Voici un extrait d'un article de Xavier Marmier paru dans la Revue des Deux Mondes (3ème série, tome 3, 1er juillet 1834, p.105; l'article est intitulé Leipzig et la librairie allemande, pp.93-105 — assez curieusement les deux paragraphes repris ici sont imprimés dans la revue en petit caractère et comme hors contexte):
« Un volume in-8° de M. V. Hugo arrive à Bruxelles par la poste. Le libraire le reçoit à huit heures du matin, le distribue aux ouvriers; dans la journée même, il est composé, corrigé et mis sous presse. Le lendemain on le distribue, et cinq jours après il arrive avec le courrier à Leipzig, avant qu'aucun exemplaire de l'édition originale pût y être parvenu.
» Qu'on juge d'après cela du tort énorme que peut faire à la librairie française l'industrie des pirates belges. Si le gouvernement français s'inquiétait tant soit peu de celte branche si importante de notre commerce, lui qui a donné un roi et une existence politique à la Belgique, ne pourrait-il pas lui imposer le respect de la propriété la plus sacrée peut-être, celle de l'écrivain pauvre et laborieux? Pourquoi un traité de conmierce, qui s'étendrait à la Belgique et aux divers états de l'Allemagne, ne mettrait-il un terme à ce vol de grand chemin? »
En octobre 1852, alors que les pourparlers entre la France et la Belgique pour la résoluion de la question épineuse de la contrefaçon sont en cours, la {Bibliogr.Belgique} publie deux articles intéressants pour la compréhension des tenants de la question du côté belge (voir {Bibliogr.Belgique} 1852 fasc.10 (octobre) pp.88-98).
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Cette note a pour but, d'une part de résumer les opérations qui font passer
un ouvrage des formes d'imprimerie au livre proprement dit; et d'autre part
d'attirer l'attention sur ce qui, lors du débrochage, peut altérer
Assemblage et pliage des feuilles formant un ouvrage:
L'assemblage est l'opération qui consiste à rassembler dans l'ordre
croissant les feuilles qui composeront le volume ou les volumes de l'ouvrage
imprimé (Sébastien Lenormand, et M. R..., relieur amateur; Nouveau
manuel complet du relieur dans toutes ses parties [...]; Paris, Libr.
encyclop. de Roret, 1840; pp.. 14-19).
L'ordre des feuilles est donné par la signature que porte chaque
feuille en un ou plusieurs endroits bien précis, suivant le format. La
signature, précédée de la réclame s'il y a plusieurs volumes
se trouve sur la ligne de pied située au bas de la première page
de la feuille, répétée aux pages déterminées, suivant le format. Exemple de
réclame : « TOME II ». (Voir, pour les
réclames et signatures : M. Audouin de Géronval; Manuel de l'imprimeur ou
traité simplifié de la typographie; Paris, Impr. de Crapelet, 1826;
pp.77-79). À toutes les étapes, depuis le tirage jusqu'au brochage ou
à la reliure, le bon ordonnancement des signatures est crucial. De plus, au
moins à l'assemblage, il est vérifié que chaque feuille appartient bien à
l'ouvrage en cours; pour cela on verifie que le titre courant
– placé en tête de page – est bien celui de l'ouvrage en cours.
Le pliage est l'opération par laquelles les feuilles
assemblées formant un volume sont pliées en cahiers. Pour les
in-folio, in-4° et in-8° les feuilles sont pliées sans découpage;
pour les autres formats, à partir d'in-12, les feuilles sont coupées ; et les
demi-feuilles, tiers de feuille, etc., qui portent la même signature,
sont pliés puis encartés – placés l'une dans l'autre suivant les
règles propres aux différents formats.
(Voir Lenormand et R..., op. cit., pp.23-35).
Toutes les feuilles d'un ouvrage portent la signature qui les caractérise,
sauf celles qui contiennent les faux-titre et titre; celles-ci n'ont
jamais de signature; et donc une feuille portant la signature 1 ou A n'est
jamais celle des titres.
Le brochage est le cas général:
Il n'est « pas absolument indispensable qu'un livre soit broché avant de
le relier, puisqu'un ouvrier peut recevoir le volume en feuilles en sortant
des mains de l'assembleur, cependant, [...] il arrive le plus souvent que les
libraires vendent leurs ouvrages brochés, et que ce n'est que dans certains
cas rares qu'ils font relier pour satisfaire l'acheteur qui les demande
ainsi » (Lenormand et R..., op. cit., p.36).
Après avoir vérifié que le volume à brocher est complet et ses feuilles
ordonnées, la brocheuse — c'était souvent une femme — place une
une garde devant le premier cahier et derrière le dernier cahier.
La garde est une feuille du même papier que l'ouvrage ou d'un papier plus
ordinaire et généralement plus lisse. La feuille est double, le plus souvent;
elle sera cousue avec le cahier qu'elle accompagne. Le but des gardes est la
préservation du cahier de titres et du dernier cahier du volume; en effet,
lors de la pose de la couverture, les revers des plats de cette dernière sont
contre-collés à la face extérieure de la garde (sur toute la surface, ce qui
est le mieux, ou sur une partie seulement). Ce collage est fait à la colle de
farine, qui à l'avantage – si le livre est ultérieurement démonté pour
être relié – de permettre le décollage de la garde par trempage.
Mais il arrive que la colle d'os soit utilisée; c'est aussi un encollage
réversible, mais le décollage est plus difficile.
Après la couture des cahiers et l'encollage du dos, on étale la couverture
– qui est presque toujours un papier de couleur –, face intérieure
en l'air, on l'encolle sur toute la surface, on encolle une seconde fois le
dos du volume, puis on place le volume, dos en bas, au centre de la couverture
encollée, en appuyant fortement, puis on tire les plats de couverture sur les
gardes en chassant les bulles d'air et excès de colle (voir Lenormand et R...,
op. cit., pp.38-39).
En fin, on colle l'étiquette – s'il y en a une – sur le dos
du volume, souvent dans le bas. L'étiquette a pour effet de marquer un
changement de prix, de milésime, voire d'éditeur.
Si la couverture est imprimée des deux côtés, l'encollage de la couverture sur
les gardes est nécessairement réduit en surface.
Parfois il y a un plusieurs folios d'errata ou des cartons (i.e. des folios de substitution. Unique, le folio est collé;
multiples, ils sont cousus au début – après les titres – ou à la fin
du volume (Lenormand et R..., op. cit., p.40)
Il arrive que l'éditeur ajoute une ou plusieurs feuilles qui font un
catalogue de librairie. Ces feuilles additionnelles, souvent sur papier
mince et lisse, forment un ou plusieurs cahiers dont les signatures sont
distinctes de celles de l'ouvrage même. Ces cahiers sont insérés à la fin
du volume, avant la garde.
De même le quatrième plat de couverture, et les deuxièmes et troisièmes
parfois, sont aussi imprimés dans le même but.
La cahier du faux-titre et du titre, sans signature, fait normalement quatre
pages, non paginées. La première page est le faux-titre. La seconde est
blanche, ou porte la marque de l'imprimeur, ou d'autres indications, par
exemple sur le tirage, sur les autres ouvrages publiés par le même éditeur,
... La troisième page est le titre. La quatrième page est souvent blanche
(voir M. Audouin de Géronval, op. cit., pp.80-81).
Il arrive parfois que la feuille de titre compte plus de quatre pages, par
exemple à cause d'une dédicace; il peut en résulter qu'il y ait alors un
folio blanc qui peut servir de garde s'il forme les deux premières pages.
Il n'est pas impossible que la feuille comporte deux folios blancs, au début
et à la fin du cahier. Normalement ce folio double est coupé au brochage,
mais il semblerait qu'il soit conservé occasionnellement.
Nous ne parlerons pas ici du frontispice et des illustrations hors-texte, qui
font l'objet d'un traitement particulier qui ne nous intéresse pas ici.
Le collationnement lors de la reliure:
Le relieur démonte le volume broché. Il commence par le décollage de la
couverture qu'il s'efforce d'avoir d'une seule pièce. Ce décollage ne pose pas
de problème si le volume est en excellent état et avait été collé à la colle
de farine. Si la colle employée était la colle d'os – qui s'applique à
chaud –, le décollage est plus laborieux et souvent le couverture est
sacrifiée. Il en va de même si le volume est vieux ou fort usagé: le dos de
la couverture tend à se fragmenter entre les cahiers, s'éparpillant en petits
fragments allongés fort difficiles à réutiliser. Ceci explique pourquoi, très
souvent, la couverture ne se retrouve plus dans le volume relié.
Le relieur vérifié que le volume est complet et bien ordonné; il conserve ou
écarte les cahiers publicitaires et il conserve les errata. Quant
aux cartons, il les monte dans le volume, à la place qui leur est
assignée et, pour cela, supprime les folios remplacés (Lenormand et R...,
op. cit., pp.40-41).
Nous n'insisterons pas sur les opérations successives de la reliure,
nombreuses et sans objet ici.
Ce qui se perd lors de la reliure:
On l'aura compris, la reliure peut faire perdre la couverture, les cahiers
publicitaires, l'étiquette, les folios corrigés par des cartons.
La perte de la couverture et de l'étiquette est
fort regrettable car on perd avec cela des informations importantes concernant
le tirage. Souvent en effet des tirage successifs ne se distinguent que par
la couverture. L'étiquette peut cacher une remise en vente d'invendus, ou
une cession d'un lot de livre à un libraire, ou tout simplement un tirage
non enregistré dans la {BF} ou la {Bibliogr.Belgique}.
Pour la bibliophilie, comme pour l'histoire de l'édition, l'opération de
reliure doit être aussi conservatrice que possible.
Nous ne mentionnons ici que les lettres inconnues ou difficiles.
Les numéros que nous leur avons attribués sont des pierres d'attente; certains
devront probablement être changés quand une suite sera donnée aux Lett.Retr.
(p.ex. S 1.1 à S 1.4 qui contreviennent aux principes
de numérotation adoptés par Georges Lubin et Thierry Bodin).
Le libraire et éditeur Gervais Charpentier écrit en 1837 que désormais « la loi du bon marché est devenue la condition de toute publication » Voyez l'article "Gervais Charpentier" de fr.wikipedia, dont nous citons un extrait : “ Les éditeurs belges avaient compris que la baisse du prix du livre résidait dans la baisse du prix du papier. Gervais Charpentier confia en 1837 à Eugène Roulhac, un imprimeur de la capitale, le soin d'obtenir un nouveau format permettant d'enfermer la matière de deux ou trois volumes in-8°, en utilisant un papier irréprochable. Ainsi, apparut un nouveau format, le « format in-18 grand-jésus vélin », de dimensions 11,5 x 18,3 cm [...] où l'espace typographique était rentabilisé au maximum de ses possibilités. ”
Sur cette base l'éditeur fonda en août 1838 une collection qui allait bientôt
s'appeler Bibliothèque Charpentier et qui obtint un succès rapide.
À la fin du volume de Klopstock intitulé La Messiade, de 1840 dans la
Bibliothèque Charpentier, on trouve
un prospectus suivi d'un catalogue
de la Bibliothèque. À la page 2 du prospectus, daté de mai 1840, on peut lire
ceci: « La plupart de nos éditions sont revues, corrigées par leurs
auteurs et augmentées de notices, jugemens, appendices et travaux littéraires
de nos premiers écrivains. Il nous suffit de citer parmi ces derniers: MM.
Villemain, George Sand, [...] ». A cette date, le nom de George Sand
n'aparaît dans le catalogue qu'associé au volume de Senancour:
Obermann, dont elle est la préfacière. La phrase de Charpentier
peut prêter à confusion, quant à George Sand, mais elle est exacte puisqu'il
y a Obermann. Cette même notice éditoriale annonce implicitement
l'entrée de volumes de George Sand dans la Bibliothèque: « D'autres noms
non moins recommandables suivront prochainement », dit encore Gervais
Charpentier.
Comme en écho à ce que Charpentier laissait ainsi sous-entendre,
Dessalles-Régis publie dans la Revue de Paris de juillet 1840 un long
article consacré à la Bibliothèque Charpentier qu'il appelle aussi
Bibliothèque choisie. Il dit, à la fin de l'article :
« Les oeuvres de George Sand viendrons ensuite, nous le pensons, enrichir
la bibliothèque choisie. Ce nom manque essentiellement à la galerie
des plus beaux noms littéraires modernes, et, sans lui, elle serait loin
d'être complète » (IIIe série, t.XIX, p.289 — l'article, intitulé,
Une bibliothèque choisie, occupe les pp.[273] à 289).
Bel hommage à G.S. et bel encouragement à Charpentier!
George Sand n'a pas signé de contrat avec Charpentier et cependant, en 1843,
le catalogue de la Bibliothèque
Charpentier contient plusieurs volumes d'elle. Comment cela se peut-il?
Voici les indices:
Le Moniteur de la Librairie, n° 23 du 10 août 1843 contient un
catalogue de la Bibliothèque Charpentier (dans une rubrique intitulée
Bibliographie usuelle / Collections gr. in-18, format anglais, dans
le Feuilleton littéraire et bibliographique,
pp.11-12, du dit
Moniteur).
Ce catalogue contient une liste de volumes de George Sand (p.12),
reproduite ci-contre :
Cette liste correspond exactement à celle des volumes de l'édition
Perrotin des oeuvres de G.S., parus à ce moment. Seul manque Horace
qui ne sera annoncé par la {BF}, pour Perrotin, qu'en mars 1844.
Ces volumes de la Bibliothèque Charpentier n'ont pas été annoncé par
la Bibliographie de la France.
La conclusion qui paraît s'imposer est que ces volumes sont ceux de l'édition
Perrotin, ou une partie d'entre eux, suivant un accord entre Charpentier et
Perrotin, en vertu implicite des articles mentionnés plus haut du traité
Sand - Perrotin. Ces volumes sont affublés de couvertures nouvelles, celles de
la Bibliothèque Charpentier, lesquelles couvertures n'ont pas été
annoncées par la Bibliographie de la France, à l'instar de bien
d'autres accords entre libraires et éditeurs.
En dehors des informations mentionnées dans la présente note, nous n'avons
trouvé aucune trace des volumes. Ce qui laisse à penser deux choses:
Par traité du 9 novembre 1844 (L. 3009 in Corr.VI pp.687-688),
Charles-Aristide Perrotin céde à Garnier frères ses droits sur
l'édition in-18 des œuvres de George Sand (voir la page des éditions groupées) et leur vendait le restant des volumes fabriqués.
Ce qui signifie que l'accord avec Charpentier était caduc. On voit en effet
dans le catalogue de la Bibliothèque Charpentier de 1845 qu'il n'y a
plus aucun titre de George Sand (par exemple sur la quatrième de couverture du
troisième tome des Éléments de la philosophie de l'esprit
humain de Dugald-Stewart, trad. L. Peisse, 1845; exemplaire de la
Bibliothèque de la Ville de Lyon, sur google books).
Historique des changements
[Quelques] Lettres apparues depuis Lett.Retr.
Le catalogue comprend une lettre de George Sand: lot 25582 (p.183).
Le catalogue comprend deux lettres de George Sand: lots 26234 et 26235 (p.64).
Cette collection comprend les lots 165 à 298 de la vente
(catalogue, pp.48-87). Parmi ces lots, plusieurs font l'objet ici d'entrées
dans la table chronologique de la correspondance, étant apparues depuis la
publication de Lett.Retr..
Il s'agit en fait d'une quittance datée du 10 novembre 1840 et d'une
confirmation de cette quittance, datée du 18 février 1841, l'une et l'autre
adresséées à l'éditeur bruxellois Alexandre Jamar à qui G.S. avait vendu
les droits de copie du Compagnon du tour de France en Belgique.
Nous donnons à ces deux documents des numéros provisoires:
"2131bis*"
pour la quittance; et
"2183bis*"
pour la confirmation.
Les lots 309, 310 et 311 sont des lettres autographes de George Sand. Le
catalogue ne fait pas référence à l'édition de Georges Lubin.
George Sand et la Bibliothèque Charpentier
On y voit que les caractéristiques de l'édition Perrotin sont les mêmes que
celles de la Bibliothèque Charpentier.
Cette dernière information montre que Charpentier n'inséra pas de volume de
G.S. dans son catalogue avant le début de 1843, alors que les sept
premiers volumes de l'édition Perrotin avaient paru en 1842.
27 mars 2017: ajout de la section "Du brochage à la reliure"
4 octobre 2016: ajout de la section "George Sand et la Bibliothèque Charpentier"
10/3/2015 ajout de la section "Sur la typographie"
10/01/2015 ajout d'un extrait d'article de Xavier Marmier, sur les contrefaçons belges.
30/11/2014 ajout de la section "Lettres apparues [...]"
14/10/2014 original
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