Aurore Dudevant
UNE CONSPIRATION EN 1537
SCÈNE HISTORIQUE 2.
RDP: Revue de Paris, 15 d�cembre 1921 (XXVIII�me ann�e, t.VI)



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INTRODUCTION

Voici l'avant-propos de Paul Dimoff dans la Revue de Paris (source rep�r�e {RDP}). Les notes rep�res par {RDP} sont de Paul Dimoff, il en va de m�me, dans l'avant-propos des notes rep�r�es par un ast�risque. Dans le corps du texte, les notes rep�r�es par un ast�risque sont d'Aurore Dudevant.

{RDP 673} « AVANT-PROPOS

« Vers 1831, À l'�poque o� George Sand, arriv�e depuis peu � Paris, faisait, avec l'aide de Sandeau, son apprentissage dans le m�tier d'�crivain et cherchait sa voie, en s'essayant tour � tour dans divers genres, elle s'avisa de composer une sc�ne historique. La faveur du public se portait depuis quelques ann�es de ce c�t�: Ludovic Vitet avait fait para�tre avec un grand succ�s, de 1826 � 1830, trois sc�nes historiques, emprunt�es � des �pisodes des guerres de religion, les Barricades, les États de Blois, la Mort de Henri III; et la Revue de Paris, par qui George Sand r�vait de se faire imprimer, en avait publi� deux, au cours de la seule ann�e 1830, le Camp de Compi�gne, de Lo�ve-Veimars, et les M�contents, de Prosper M�rim�e.

» Elle eut t�t fait de d�couvrir, dans les Chroniques florentines de Benedetto Varchi, un sujet dramatique et neuf: c'�tait l'aventure de Lorenzo de M�dicis, — Lorenzaccio —, qui, vivant � la cour du duc Alexandre, son cousin, avait, par une longue et savante dissimulation, gagn� la confiance de celui-ci et pr�par� le guet-apens o� le tyran de Florence devait trouver la mort. Le vieux chroniqueur s'�tait plu � narrer cette histoire avec un tel luxe de d�tails qu'il �tait {RDP 674} presque inutile d'ajouter � son r�cit. Il suffisait de le d�couper en tableaux et de le mettre en dialogues. George Sand s'y employa avec beaucoup d'habilet�, et l'œuvre qu'elle sut en tirer, Une conspiration en 1537, pouvait honorablement soutenir la comparaison avec les meilleures productions du genre. Cependant, soit que l'auteur ne la juge�t pas pleinement r�ussie � son gr�, soit qu'aucune revue n'ait consenti � ce moment � l'accueillir, elle ne parut point.

» Quelques ann�es s'�coul�rent. Lorsqu'en 1833, vint la liaison avec Musset, les deux �crivains eurent tout naturellement la pens�e de se communiquer leurs projets et leurs �bauches. Musset lut ainsi, dans un petit carnet, au milieu d'autres morceaux de la m�me �poque, la sc�ne historique que George Sand avait compos�e d'apr�s les Chroniques florentines. Il fut s�duit par le sujet. De cet essai, auquel l'auteur n'attachait plus sans doute qu'une importance m�diocre, il vit le moyen de faire sortir un drame original et puissant, dans lequel il �voquerait toute la vie de Florence au XVIe si�cle. Il dut demander � George Sand et obtenir sans peine qu'elle lui c�d�t son manuscrit, en lui laissant toute libert� de l'utiliser comme bon lui semblerait. Et quand, un peu apr�s, ils partirent tous deux pour ce voyage en Italie, qui devait si mal finir, il prit avec lui, les ayant d�tach�s du carnet*, les feuillets qui contenaient l'œuvre de son amie, pour en combiner sur place certains �l�ments avec les id�es que lui sugg�reraient la lecture des chroniques et le d�cor de Florence: le drame de Lorenzaccio naquit de ce travail de remaniement.

* Le carnet, o� se voit la trace des feuillets d�chir�s, est encore aujourd'hui en la possession de madame Lauth-Sand.

» C'est la sc�ne historique de George Sand, telle qu'elle fut �crite il y a pr�s d'un si�cle, que publie aujourd'hui la Revue de Paris. Le texte nous en a �t� conserv�, gr�ce � une n�gligence de l'�crivain, qui, lors de sa rupture avec Sandeau, emporta le carnet o� �tait recopi� son ouvrage, et laissa entre les mains de son ancien collaborateur le manuscrit primitif. Ce manuscrit, donn� plus tard par Sandeau � madame Dorval, devint, apr�s la mort de celle-ci, la propri�t� du vicomte Spoelberch de Lovenjoul. Il fait maintenant partie, sous le {Lub 675} mum�ro E. 848, de la riche collection l�gu�e par M. de Lovenjoul � l'Institut de France et install�e, comme on sait, � Chantilly 1. Ce n'est pas ici le lieu de faire ressortir les ressemblances et les diff�rences qui existent entre l'œuvre de George Sand et celle de Musset*: le lecteur les apercevra d'ailleurs de lui-m�me. J'ai cru devoir simplement lui faciliter la t�che en imprimant en note les passages de la pi�ce de Musset litt�ralement emprunt�s � celle de sa devanci�re. Pour le surplus, je me contenterai de remarquer que la sc�ne historique est assez �loign�e du drame pour garder sa valeur d'�crit original, int�ressant en ce qu'il nous fait conna�tre le talent de George Sand � ses d�buts, mais qu'elle en est en m�me temps � certains �gards assez voisine, pour pr�ter � de curieux rapprochements.

* Cette �tude sera faite en t�te d'une �dition de Lorenzaccio, dans laquelle figureront, avec la sc�ne historique de George Sand, des plans et sc�nes �crits par Musset pour son drame et encore in�dits.

» L'Institut de France, possesseur du manuscrit, et madame Lauth-Sand, h�riti�re de l'�crivain, ont mis l'un et l'autre la plus grande obligeance � rendre possible la publication de ce document* Je suis d'avance assur� d'�tre l'interpr�te des lecteurs de la Revue en les en remerciant respectueusement ici.

* L'Institut de France et madame Lauth-Sand, en donnant leur consentement � la pr�sente publication, entendent, chacun en ce qui le concerne, se r�server le droit d'autoriser ou d'interdire toute publication ult�rieure int�grale ou partielle, de la sc�ne historique de George Sand.

» PAUL DIMOFF »

Nous donnons le texte de la Revue de Paris (15 d�cembre 1921, XXVIII�me ann�e, t.VI), avec indication de la pagination originale, sous la forme {RDP x} o� 'x' est le num�ro de page. nous rep�rons cette source par {RDP}.

Aurore Sand publia dans la Revue des Deux Mondes (ci-apr�s rep�r�e {RDM}) deux textes d'un carnet rouge dat� “ 1829-1830 ”: Jehan Cauvin et Une Lettre de Femme. Entre ces deux textes subsistait une page portant le titre et la liste des personnages d'Une Conspiration en 1537 ({RDM}: 1er d�cembre 1924 (XCIV�me ann�e, p.579 n.1). Aurore Sand ajoute: « Cette page est la seule qui soit rest�e dans le cahier rouge, les autres feuillets ont �t� sans doute donn�s � Alfred de Musset, et la Conspiration en 1537, devint Lorenzaccio publi� par M. Dimoff dans la Revue de Paris. » Nous donnons les variantes significatives de {RDM}.








{RDP 675} DRAMATIS PERSONÆ a



ALEXANDRE DE MEDICIS, grand-duc de Florence.
VALORI, commissaire apostolique.
MALATESTA b BAGLIONE, commandant des forces militaires.
LE CAVALIERE c DE MARSILI officiers de la maison du Grand-Duc.
LE CAPITAINE CESENA
GIOMO LE HONGROIS �cuyers du Grand-Duc.
FERNANDO L'ANDALOU d
LORENZO DE MÉDICIS, cousin du Grand-Duc.
MADONNA MARIA SODERINI, m�re de Lorenzo.
MADONNA CATTERINA, sœur de Lorenzo.
BINDO ALTOVITI, oncle de Lorenzo.
MICHEL DEL FAVOLACCINO, dit Scoronconcolo, spadassin.
GIULIO CAPPONI, citoyen de Florence.
Écuyers, pages du Grand-Duc, etc e.



{RDP 676} SCÈNE I



Le Palais du Grand-Duc � Florence.
6 janvier 1537. Dix heures du matin.

Malatesta, Valori, Marsili, plusieurs gentilshommes attache� au Grand-Duc, plusieurs riches bourgeois de la ville, quelques seigneurs �trangers.

MARSILI

Je le dis en conscience � Vos Seigneuries: l'�meute de ce matin avait un caract�re s�rieux.

VALORI

Encore les jeunes gens? Quelques �l�ves de l'�cole de peinture, artistes sans talent et sans barbe, qui croient que l'exaltation tient lieu de g�nie, quelques jeunes l�gistes, venus de Bologne, pour montrer dans nos rues leurs moustaches h�riss�es et leurs fraises tach�es d'encre? Un coup de vent ferait justice de ces conspirateurs � t�te vide et � mine affam�e.

MARSILI, baissant la voix.

Le peuple est bien m�content.

MALATESTA

C'est sa nature. Qu'importe d'ailleurs, si nous avons une garnison imp�riale bien pay�e � nos portes, et dans nos murs des troupes d�vou�es au gouvernement? Il est assez prouv� qu'avec les Florentins, le sceptre de fer vaut mieux que le sceptre d'or.

MARSILI

C'est parfaitement juste. Mais ce nouvel �dit de proscription a indispos� bien des familles pr�tes � adh�rer au gouvernement.

VALORI

On se passera de leur adh�sion. Sa Saintet� ch�rit le duc Alexandre, comme une m�re aime son fils, et le prot�gera envers et contre tous.

(Un gentilhomme parle bas � son voisin, qui lui r�pond :)

Prenez garde que le regard per�ant de Valori ne surprenne le sourire sur vos l�vres. Le pape est comme Dieu. Il est partout.

UN PAGE annon�ant:

Le Duc. (Le Duc entre, suivi du capitaine Cesena, de Vitelli, de plusieurs �cuyers, pages et gens d'armes.)

LE DUC

Eh bien! Messieurs! Qu'est-ce donc? Nous avons encore eu du bruit ce matin?

MALATESTA

Quelques amis des derniers proscrits se sont assembl�s autour de Santa Reparata et ont tent� d'en appeler au peuple. Mais les Florentins {RDP 677} fid�les � Votre Altesse les ont dispers�s, injuri�s, et, sans l'intervention de la force militaire, ils eussent fait de ces factieux une s�v�re justice.

LE DUC

Il fallait donc les laisser faire.

VITELLI

J'ai pens� que Votre Altesse aimerait mieux ordonner, dans sa sagesse, le ch�timent des rebelles.

LE DUC

Oui! se d�barrasser soi-m�me de ses ennemis, cela fait plaisir. Qu'ils soient jet�s dans les cachots!

VITELLI

C'est une chose faite, Seigneurie.

LE DUC

Eh bien! qu'ils soient pendus! Je gage que ce qui les f�chera le plus sera de ne pouvoir plus dire du mal de moi.

MARSILI, fait un pas en avant et d'une voix mal assur�e:

Altesse, j'ai un neveu...

MALATESTA, le retenant par son manteau.

Vous vous perdez.

MARSILI

Je me tais.

LE DUC, � Valori.

(Pendant la conversation du Duc avec Valori les autres personnes se tiennent dans l'�loignement.)

Votre Excellence a-t-elle re�u ce matin des nouvelles de la Cour de Rome?

VALORI

Cl�ment VII envoie mille b�n�dictions � Votre Altesse. Sa Saintet� fait des vœux pour sa longue prosp�rit�. Mais elle craint avec raison qu'Elle ne se lance au milieu de nouveaux dangers par trop d'indulgence et d'aveuglement.

LE DUC

L'on vous voit venir, Monsieur le Commissaire apostolique. Encore quelques mauvaises branches � �laguer 3? Dites, dites. Il est plus facile d'abattre que d'�lever.

{RDP 678} VALORI

La perfidie veille quand la vengeance s'endort.

LE DUC

Ce sont vos formules d'usage pour me demander un homme et une corde, l'un portant l'autre. Quel est le gros n�gociant florentin qui excite l'app�tit du Saint-Si�ge?

VALORI

Ce n'est point un n�gociant, mais un patricien.

LE DUC

Ah! cela s'obtient plus difficilement, et se paye plus cher.

VALORI

C'est Laurent de M�dicis que le pape r�clame comme transfuge de sa justice 4.

LE DUC

Bah Lorenzino? Lorenzaccio* comme l'appellent les Florentins? Mais c'est mon parent et mon favori, l'ignorez-vous?

* La terminaison en ino exprime la familiarit�. C'est un diminutif. La terminaison en accio exprime le m�pris. C'est une injure. (Note d'Aurore Dudevant.)

VALORI

C'est le rejeton d'une branche ennemie de la v�tre, et dont le poignard, toujours pr�t � ouvrir un chemin � la s�dition, a trop souvent rencontr� le cœur d'un parent et d'un ma�tre.

LE DUC

Allons! vous raillez, quand vous parlez de poignard � Lorenzino. C'est un �ventail qui convient � sa blanche main 5!

VALORI

Que Votre Altesse me pardonne si j'insiste. La Cour de Rome s'�tonne que la seule gr�ce qu'ait accord�e le duc de Florence � un tra�tre, soit tomb�e sur un ennemi de Cl�ment VII.

LE DUC

Mais que lui reproche donc si tard le Saint-P�re? Est-ce toujours la mutilation des statues de l'arc de Constantin? Ces antiquailles sont-elles si pr�cieuses aux Romains qu'ils aient �t� bien justes de condamner � mort l'�colier qui, dans une nuit d'ivresse et de d�bauche, {RDP 679} eut la plaisante id�e de les d�capiter? Par saint Cosme! J'ai ri de la sainte col�re du pape, en songeant que, si tous ces grands hommes revenaient � la vie, il ne manquerait pas de les excommunier 6. Le cardinal Hippolyte de M�dicis avait bien fait comprendre � Sa Saintet�, qui est Elle-m�me un M�dicis, que l'ignominie du supplice de Lorenzo retomberait sur les siens, et l'�vasion du condamn� avait �t� favoris�e par celui-l� m�me qui le r�clame aujourd'hui. D'o� vient cette inconstance dans la faveur du pape? Il fut un temps o� les caustiques saillies de Lorenzino �taient applaudies au Vatican comme les sottises d'un enfant g�t�. Quand on vit qu'il abusait de cette faiblesse, on le condamna � �tre pendu, et maintenant qu'on lui a pardonn�, on se r�tracte? C'est de l'incons�quence.

VALORI

On pensait que les mesures s�v�res prises contre lui le tiendraient en respect, en quelque lieu de l'Italie qu'il se f�t r�fugi�. Mais � peine a-t-il pris racine dans votre Cour qu'il recommence ses licencieuses moqueries contre les choses saintes et les personnes consacr�es � Dieu. Le pape a sujet d'�tre bless� de l'affection que Votre Altesse a con�ue pour le contempteur de la religion.

LE DUC

Le pape est d'autant plus z�l�, en cette occurrence, � venger la religion outrag�e, que son amour-propre bless� y trouve un peu son compte. Mais parlons s�rieusement. Excellence, la haine du Saint-P�re a lieu d'�tre assouvie, car il n'est pas de condition plus abjecte que celle de Lorenzo � la Cour de Florence. Cette feinte amiti�, que je lui montre, ne trompe peut-�tre ici que vous et lui. Oh! des affronts comme ceux que j'ai re�us de lui, autrefois, ne se pardonnent jamais, sachez-le bien! Mais la v�ritable vengeance, ce n'est pas le d�lire d'un instant, c'est la jouissance de toute une vie. Tuer son ennemi, c'est s'en d�faire et non s'en venger; c'est une justice de ma�tre, une mesure de s�ret�. Mais le faire souffrir longtemps, le fouler aux pieds, l'avilir, c'est une conqu�te de vainqueur, c'est un plaisir de prince!

VALORI

Mais Lorenzo l�ve devant toute la Cour un front toujours altier. Son langage est toujours acerbe et insolent. S'il est insensible au m�pris qu'il inspire, o� est son ch�timent?

LE DUC

Cette philosophie sto�que est affect�e. Au fond de son cœur, il souffre, je le sais bien. Peut-il �tre sourd aux clameurs de la haine publique, � l'indignation de sa famille, qui avait mis en lui de si {RDP 680} hautes esp�rances, et qui le voit rouler si bas? Ah! si vous aviez vu comme, dans son enfance, l'adulation des siens avait enfl� ce cœur superbe! comme ses progr�s dans les lettres l'avaient rendu fanfaron! comme il croyait s'�lever au-dessus de moi par son p�dantisme et son outrecuidance! et comme, en toute occasion, son orgueilleuse m�re cherchait � d�nigrer mon go�t pour les armes, disant que son Lorenzo �tait plus fait que moi pour r�gner! Aussi, maintenant, quelle rage d�vore ces vaniteux Soderini � la vue de Lorenzo, perdu de d�bauches, cribl� de dettes, n'ayant d'autres secours que le denier que ma piti� lui jette, pliant un genou souple devant moi, son ma�tre, et livrant � ma vengeance ses anciens partisans! C'est moi qu'ils appelaient un soldat grossier, c'est moi qui l'ai plong� dans le bourbier et qui ai mis mon pied sur sa t�te. Mon or l'a corrompu comme tant d'autres. Ma haine l'a fait descendre plus bas qu'aucun d'eux. (Lorenzo para�t au fond de la galerie; il s'avance lentement et comme plong� dans un affaissement m�lancolique.) Voyez-le, abattu, terne, us�; voyez ses traits amaigris et plomb�s, son corps d�bile, que ronge incessamment la fi�vre de l'orgie, son regard �teint et stupide 7! Est-ce l� cet esprit ardent et incisif que le pape ne d�daigne pas de redouter? Ses parents rougissent de lui, sa m�re le pleure, et Florence dit en le voyant passer: « Voil� l'inf�me Lorenzaccio, l'espion et le ruffian du ma�tre. »

VALORI

Prince, la vengeance est juste. Mais ne craignez-vous pas de tomber dans le pi�ge avec votre proie? Ces d�bauches o� vous pr�cipitez le vil Lorenzo, le public vous accuse d'y prendre un int�r�t plus personnel. Pardonnez, mais le Saint-P�re...

LE DUC

En v�rit�? C'est au nom du Saint-P�re que Votre Excellence pr�che la chastet�?

VALORI

Moins haut, de gr�ce, Altesse. Le pape ne doit jamais avoir de faiblesse aux yeux des petits.

LE DUC

Ces gens-l� ont trop connu Jules de M�dicis pour ne pas savoir qu'il a h�rit� d'un des vices radicaux de sa lign�e, savoir l'impuret�. Mais tranquillisez-vous, Excellence; si le pape n'en est pas plus respect�, il n'en est pas moins craint. Un souverain ne doit pas en demander davantage. — Bonjour � toi, Lorenzino.

LORENZO

Je baise humblement les mains de Votre Altesse.

{RDP 681} LE DUC

Oh! Point tant d'humilit�! Soyons cousins, une fois pour toutes Voici l'envoy� de la Cour de Rome qui nous parlait de la superbe harangue d�bit�e contre toi par Messere Francesco Molza � l'Acad�mie romaine 8.

LORENZO

J'ai entendu dire que cette harangue, digne des plus beaux jours de Cic�ron, avait �t� d�clam�e et �cout�e avec toute la gravit� convenable � l'importance du sujet. Le romain et le toscan n'ont pas eu d'expressions assez fl�trissantes pour le mutilateur des statues de l'antique Rome. C'est en latin que l'acad�micien a foudroy� le vandale et, peut-�tre, en cette occasion, l'un doit-il � l'autre des remerciements pour l'avoir maudit et diffam� dans celle de toutes les langues que l'on comprend le moins � l'Acad�mie.

VALORI

C'est sans doute pour rem�dier � cet inconv�nient que deux �dits en tr�s bon toscan ont �t� publi�s, l'un par les Caparions, qui enjoignait au mutilateur de sortir au plus t�t de la ville des C�sars, l'autre par le S�nat, qui promettait une r�compense � quiconque en purgerait l'Italie.

LORENZO

Mesures d'�talage et de luxe, car l'ennui qu'on respire � Rome et la roideur hypocrite de ses grands suffisent pour �loigner tout homme qui n'y est pas dupe.

LE DUC, bas � Lorenzo.

Bien, Lorenzino, venge-moi de cet importun censeur. (Bas � Valori.) Vous le voyez: insolent et bas!

VALORI, � Lorenzo.

Un homme tel que vous doit avoir le bras aussi fort que l'esprit. C'est pourquoi je m'�tonne qu'avec un langage si acerbe � la bouche, vous n'ayez point une �p�e au c�t�.

LORENZO

Ce n'est pas ma coutume.

VALORI

Alors votre coutume devrait �tre de parler peu, car l'homme qui ne sait pas se d�fendre ne doit pas attaquer.

LE DUC, bas � Valori.

Ferme! Poussez-le � bout. Vous verrez sa l�chet�.

LORENZO

Je ne suis point un soldat, mais un pauvre amant de la science. {RDP 682} Je laisse le vain appareil des armes � ceux qui n'ont pas assez d'esprit pour se d�fendre autrement.

LE DUC, bas � Lorenzo.

Courage, Lorenzino. Humilie ce p�dant!

VALORI

Vous avez trop d'esprit vous-m�me pour qu'on engage un combat a armes �gales. Chacun fait usage des siennes. (Il tire son �p�e 9.)

LE DUC, riant.

Voyons, Lorenzino, si ton esprit fera une cuirasse de ton pourpoint.

LORENZO

Qu'on me donne une �p�e! (A part.) Imprudent! J'ai failli me trahir! (Il prend l'�p�e avec embarras et affecte d'h�siter.)

LE DUC

Bravo! C'est ta premi�re affaire d'honneur, Lorenzino. Je veux te servir de t�moin.

LORENZO, � part.

C'est une �preuve. Jouons le r�le. (Il se laisse tomber.)

VALORI

Mis�rable! Ta couardise ne te sauvera pas!

LE DUC

Halte-l�, Excellence. Voulez-vous tuer un homme d�j� mort de peur?

TOUS LES COURTISANS

C'est une honte et une infamie.

LE DUC

Une infamie, non! C'est un malheur. Le pauvre jouvencet est n� avec cette infirmit�. La seule vue d'une arme nue l'a toujours fait tomber en faiblesse. Qu'on emporte ce pauvret chez sa m�re 10 et qu'on rassure la bonne femme en lui disant que l'acier n'a pas m�me effleur� le pourpoint de l'enfant. (Se retournant vers les courtisans.) Messieurs, c'est une maladie �trange, et s'il n'avait �t� battu mainte {RDP 683} fois par les valets de maint mari jaloux, l'on pourrait croire... (Le reste de sa phrase se perd dans l'�loignement. Avant de sortir, il �l�ve la voix pour appeler Valori rest� en arri�re.) Plairait-il � Votre Seigneurie apostolique de voir donner la question � ces factieux?

VALORI

De grand cœur. (Ils sortent.)

(Lorenzo reste �vanoui au milieu des pages.).

ANGIOLINO

Le porterons-nous � sa m�re?

BIONDINO

Portons-le plut�t dans l'Arno. La fra�cheur du bain le ranimera.

STEFANO

S'�vanouir � la vue d'une �p�e! Ignominie!

ANGIOLINO

On dit que son esprit n'est pas bien sain.

STEFANO

Ce sont les suites de la d�bauche.

ANGIOLINO

Portons-le chez sa m�re. Elle le soignera si elle veut.

BIONDINO

Si je souille ma main � ce r�prouv�, je veux qu'on m'appelle Lorenzaccio.

STEFANO

Il a fait un mouvement. La couleur lui revient! Laissons-le se tra�ner hors d'ici, comme il pourra.

BIONDINO

Les murailles sont accoutum�es � le soutenir. (Ils sortent.)

LORENZO, seul.

(Il est sur ses genoux et regarde autour de lui avec pr�caution.) Oui, Lorenzaccio, Castrataccio, c'est cela! (Il se rel�ve et secoue la poussi�re de son v�tement.) De la poussi�re? c'est de la boue? Jetez-en sur moi � pleines mains, c'est bien!



SCÈNE II



La maison des M�dicis Soderini.
Deux heures.

Madonna Maria Soderini travaille, Catterina tient un livre, Lorenzo r�ve, assis sur une fen�tre.
Catterina pose son livre et va embrasser sa m�re.

MADONNA MARIA

Tu as les yeux humides, mignonne?

CATTERINA

Oh! c'est l'histoire de Virginia viens de lire en latin dans Titus-Livius.

{RDP 684} MADONNA MARIA

Ch�re enfant! Ce n'est pas le sort de Virginia que je plains, mais bien celui de sa m�re.

CATTERINA s'assied aux pieds de sa m�re d'un air caressant.

J'admire le courage de Virginius. Mais, dis-moi, m�re, crois-tu que s'il n'y avait pas eu d'autres bras que celui de cette Romaine pour frapper sa fille, elle e�t pu s'y r�soudre?

MARIA quitte son ouvrage et prend les mains
de sa fille dans les siennes
.

Ma Cattina, si nous nous trouvions dans de si d�plorables circonstances, je sens bien que la force me manquerait pour verser ton sang. Mais j'aurais peut-�tre celle de mettre le poignard dans ta main et de te-dire « Choisis, ma fille, entre la mort et l'infamie ». Oh! j'en suis s�re, Catterina, ton choix d�chirerait mes entrailles; mais il ne me ferait pas rougir de t'avoir donn� la vie.

CATTERINA

Ma bonne m�re! Tu dis vrai, car je suis la fille des Soderini et notre famille est sans tache. Mais tu as aussi les yeux humides, Madonna. Lorenzino, viens donc embrasser notre m�re. Vois, comme elle est triste! (Elle le tire par le bras.)

LORENZO

Ah! tu m'�veilles, m�chante.

CATTERINA

Toujours ces r�veries, ces extases Cherches-tu la pierre philosophale, comme le vieux moine qui m'enseigne le latin? Pourquoi donc �tes-vous tous si tristes? Jusqu'� toi, mon Lorenzino, qui me faisais tant jouer et si bien rire, quand j'�tais une toute petite fille, et qui maintenant m'adresses � peine un mot? Cruels que vous �tes! Vous n'�tes pas heureux? Vous ne voulez donc pas que je le sois? Viens aupr�s de nous, fr�re. Assieds-toi l�, tout � c�t� de Madonna. Tu vois bien qu'elle s'ennuie, parce que t� ne lui parles pas. — Voulez-vous que je vous lise une histoire des temps anciens? la mort de Lucretia? ou recommencerai-je pour vous celle de Virginia?

LORENZO

Plut�t Virginia, car Lucretia, j'en doute toujours et, comme dit le po�te, elle a voulu avoir tout ensemble, le plaisir du p�ch� et la gloire du tr�pas. On peut r�pondre davantage de Virginia, quoique son p�re ne l'ait pas consult�e, peut-�tre, avant de la tuer.

MADONNA MARIA

Vous m�prisez les femmes, Lorenzo, nous le savons. Pourquoi affecter de les rabaisser devant votre m�re et votre sœur?

{RDP 685} LORENZO

Madonna, je vous respecte, et Catterina sait si je l'aime. Mais, apr�s vous deux, le reste du monde me fait horreur et piti� 11.

MADONNA MARIA

C'est le fait d'une �me vaine et irr�ligieuse.

LORENZO

Irr�ligieuse? soit. Je suis content de ne pas croire en Dieu. Je n'ai pas la peine de le ha�r, et c'est un de moins!

CATTERINA

Oh! mon fr�re! ne blasph�me pas!

LORENZO

Que crains-tu? Que ton Dieu te punisse de ma faute? Tu vois bien que tu doutes de lui.

CATTERINA

Renzo, tu fais de la peine � Madonna.

LORENZO, � sa m�re.

Pourquoi pleurer sur moi, signora? Je n'en vaux pas la peine assur�ment. Ne suis-je pas maudit, excommuni�? Si vous faisiez votre devoir de bonne chr�tienne, vous ne donneriez pas asile � l'ennemi de l'Église. Ne savez-vous point que le pape a vendu � l'encan la t�te de votre fils? Esp�rez-vous gagner le ciel, vous qui d�robez une victime � la vengeance d'un pontife?

CATTERINA

Qu'il y a d'amertume dans toutes tes paroles!

LORENZO

D'ailleurs, Madonna, je suis d�shonor�. Le peuple me montre au doigt. Le rejeton d'une si noble souche a pourri dans sa racine. Comment pourriez-vous encore m'appeler votre fils? La gloire fut toujours plus ch�re que la vie aux illustres Soderini, et leurs enfants, moins pr�cieux que leur honneur, servirent souvent d'holocauste sur l'autel du pr�jug�.

MARIA

Assez, Lorenzo, assez! Votre cœur est bien malade!

LORENZO

Vous avez raison, m�re. Si je pouvais l'arracher de ma poitrine, je l'�craserais sous mes pieds. Cattina, lis-moi l'histoire de Brutus.

{RDP 686} CATTERINA

Oh c'est une histoire de sang 12!

LORENZO

J'aime cette histoire.

(On frappe. Catterina ouvre la porte [�] Bindo Allovili et Giulio Capponi.)

CATTERINA

Mon oncle!

(Bindo l'embrasse. Maria vient � sa rencontre.)

BINDO, bas.

Je viens tenter un nouvel effort sur lui.

MADONNA MARIA

H�las! puisse-t-il n'�tre pas inutile Je vous laisse ensemble.

(Elle sort avec Catterina.)

BINDO

Renzo, je viens vous prier de d�mentir la ridicule anecdote qui circule sur votre compte ce matin.

LORENZO, � part.

Bon parent! Nous y voil�! (Haut.) Et quelle est la chronique? Fait-elle un peu plus d'honneur � l'esprit de son auteur, que toutes celles dont jusqu'ici j'ai �t� le h�ros?

BINDO

On assure que vous avez supporte les insultes de ce valet de la Cour de Rome, ce Valori. On dit m�me que la seule vue de son �p�e dirig�e contre vous...

LORENZO

Il suffit, mon oncle, l'histoire est assez exacte 13.

{RDM 687} BINDO

Et tu en conviens sans rougir, Lorenzo?

LORENZO

Sans rougir le moins du monde. En quoi donc suis-je coupable de ne f pouvoir surmonter une r�pugnance toute physique, ind�pendante du raisonnement et de la volont�?

BINDO

Tout cela est une feinte odieuse, une l�che adulation. Nous t'avons vu ardent aux id�es de gloire, impatient jusqu'� la fureur devant l'ombre d'un affront. Nous t'avons vu m�me manier le fer avec adresse. Dans ce temps-l�, le d�sir de devenir c�l�bre �tait la seule passion qui d�vor�t ton �me inqui�te, et sauvage. Notre grand Strozzi pr�disait que ton nom vivrait parmi ceux des h�ros de la libert�. Mais ce s�jour � Rome t'a perdu, Lorenzo, et, tu es devenu pire qu'une femme. Tu t'es courb� jusque dans la fange devant le tyran...

LORENZO

Le tyran! Ce peut �tre le v�tre. Quant � moi, si je le sers avec soumission, du moins je ne le maudis pas derri�re l'abri des murailles. Si j'�tais son ennemi, je m'en d�barrasserais, sans faire tant de r�flexions. Mais pourquoi le ha�rais-je? Il paie mes dettes et rit de mes �carts, au lieu de les poursuivre en p�dagogue et de me laisser mourir de faim. Sur mon �me! J'ai trouv� plus d'indulgence dans le cœur de Tib�re que dans celui de tous mes parents.

BINDO

Oh! Lorenzo! quelle indulgence ne lasserais-tu point?

LORENZO

Je crois bien! Je n'ai plus personne qui me soutienne. Les amis, c'est comme les pierres d'un mur. La premi�re qui se d�tache entra�ne toutes les autres. Que votre honneur re�oive une br�che, chacun y met la main pour l'�largir, et d'une �gratignure, ils nous font une plaie. La haine se forme de trois choses: l'envie, la calomnie, le m�pris. L'abandon couronne l'œuvre. Aussi l'homme sage se passe d'amis; parce qu'il sait que ce sont des aveugles, qui saluent l'habit tant qu'il est neuf. S'il se d�chire, adieu: l'homme qui est dessous n'est plus rien pour eux et ne doit pas esp�rer qu'un ami le couvre du coin de son manteau. Allez, vous m'avez appris ce que vaut votre attachement, et vous m'avez par l� affranchi de tout devoir envers vous. Vous n'avez donc plus le droit de me demander compte d'une vie que je consacre tout enti�re au plaisir, le seul tra�tre assez aimable pour se faire pardonner tous ses torts.

BINDO

II y a une rudesse bien am�re dans toutes ces m�taphores. Mais je n'y ferai pas attention, parce qu'on sait que ta fantaisie est de tout d�nigrer et de tout nier. Je suis venu avec la r�solution de ne me {RDP 688} d�courager d'aucune de tes injustes pr�ventions. Il faut que tu nous donnes aujourd'hui une r�ponse d�cisive. Tu sais de quoi il est question. Les crimes d'Alexandre ont lass� la patience du peuple. Le complot est pr�s d'�clater. Il ne lui manque qu'un chef, qui convienne � la fois au peuple et aux grands. Voici le repr�sentant de ce brave peuple, qui vient te proposer de sauver la patrie avec nous.

LORENZO, � Capponi.

Et c'est pour cela que Sa populaire Seigneurie a daign� visiter la maison abandonn�e du solitaire Lorenzo?

CAPPONI

De gr�ce, Messere, laissez aux gens de cour cette feinte humilit� et ce faux respect. Je ne suis point un marquis napolitain, mais seulement un bourgeois de Florence. Nous autres, voyez-vous, nous en usons sans tant de fa�ons. Nous laissons aux Espagnols ces grands airs et ces grands titres, qu'ils nous ont apport�s avec leur joug odieux. C'est � eux qu'il convient de d�gainer la rapi�re � chaque coin de rue, pour un salut trop l�ger, ou pour un vous au lieu d'un Monseigneur. La simplicit� convient � nos mœurs r�publicaines, et c'est une suite de la d�pravation des Cours que tout cet �talage de sentiments trompeurs et d'embrassades perfides!

LORENZO

Admirable! Sublime! Vous avez eu l�, Monsieur le repr�sentant du peuple, un tr�s beau mouvement oratoire. Vous �tes r�publicain dans l'�me, par saint Laurent! j'aurais d� le deviner � la couleur de votre pourpoint et au peu d'ampleur de votre manteau 14.

CAPPONI, � Bindo.

Je crois qu'il raille.

BINDO

C'est sa mani�re accoutum�e. N'y faites pas attention et lui exposez votre mission.

CAPPONI

Messere Lorenzo de M�dicis, nous aurons tous confiance en votre parole, si vous voulez enfin nous la donner. Il est vrai que votre assiduit� aupr�s du tyran nous avait fait concevoir quelques doutes sur votre d�vouement � la cause publique. Mais Messire Altoviti, votre oncle, nous a rassur�s, en nous disant que vous n'observez le Duc de si pr�s que pour vous rendre ma�tre de tous ses projets et les d�jouer. {RDP 689} C'est un but noble et g�n�reux, qui vous rend toute notre confiance. Nous savons bien que vous ne d�mentirez pas l'illustre sang des Soderini, dont vous sortez, et celui de cette branche des M�dicis, qui eut pour souche le grand Cosme et que le peuple, dans son affection, a surnomm� Popolani...

LORENZO, b�illant.

Ah! Laissez ma g�n�alogie, Monsieur de la R�publique. Plus patriote que vous, je ne fais aucun cas du pr�jug� de la naissance, et je vous trouve fort imprudent de venir confier vos projets au favori d'Alexandre, sur la seule garantie que ce favori est le fils de son p�re, garantie dont, au reste, l'homme sage devrait toujours se m�fier.

BINDO

Votre scepticisme impie me fait rougir de vous, Lorenzo. Ce n'est pas sur ce ton caustique et frivole que vous devriez r�pondre � des offres aussi s�rieuses. Depuis longtemps vous nous laissez dans un doute p�nible sur vos v�ritables sentiments � l'�gard d'Alexandre. Songez que, si vous ne prenez enfin un parti, nous vous soup�onnerons d'avoir favoris� le complot, afin de nous trahir, en nous caressant. Songez aussi qu'une nouvelle carri�re s'ouvre devant vous et qu'au lieu d'�tre le courtisan d'un monstre d�test�, vous pouvez devenir le chef d'une r�publique puissante.

LORENZO

Le chef d'une r�publique, moi? Oh! il y a ici un imbroglio tr�s compliqu�. Pla�t-il � Vos Seigneuries que je l'�claircisse pour l'avantage des deux parties? — Primo, � vous, Seigneur Altoviti, je dirai: que vous aimeriez � placer un homme de votre choix � la t�te du gouvernement, que peut-�tre cette cour opulente et licencieuse choquerait moins vos principes d'�conomie et d'aust�rit�, si vous y occupiez un rang digne de votre naissance et de votre ambition, Mais vous comptez sur l'appui de la famille Capponi et sur l'assentiment des familles bourgeoises de Florence; et vous tombez dans une grave erreur, car voici le fr�re de Niccolo Capponi, dernier gonfalonnier de la r�publique, et vous auriez d� comprendre que lui et les siens ne s'accommoderont jamais du r�tablissement de la principaut�, puisqu'ils doivent travailler � r�tablir une charge � laquelle la popularit� de leur nom et d'anciens services leur donnent le droit de pr�tendre. — Secondo, � vous, Messire Capponi, je dirai: que vous aimeriez le r�tablissement du gouvernement populaire, parce que vous en seriez le plus important personnage, et qu'il est doux de sortir d'une obscurit� aussi ha�e que vant�e, parce que, aussi, la vengeance est saine et bienfaisante, et que. tout le sang florentin que ceux-ci font r�pandre, vous autres en laveriez la trace, sur les pav�s de notre ville, avec des flots de sang espagnol. Tout cela est fort sagement con�u et tr�s philosophiquement pens�. Mais vous commettez une notable imprudence en comptant sur l'appui des {RDP 690} familles patriciennes, qui ne trouveront jamais leur compte � la r�publique, et surtout � la v�tre, car vous voyez ici le Seigneur Altoviti, qui ne me met en avant que pour �carter les pr�tentions de son autre neveu, Cosme de M�dicis. Ce rival �loign�, l'exclusion de l'insens� Lorenzaccio serait bient�t vot�e, et je ne vois personne qui s'accommoderait mieux du sceptre ducal que le Seigneur Altoviti lui-m�me. — Et � vous deux, tertio, je donnerai un conseil de prudence et de raison: c'est de ne point trop compter sur le peuple, et de vous rappeler la conjuration des Pazzi, qui, pour prix de la mort des Tyrans, furent port�s pi�ce � pi�ce au bout des piques, tandis que ce grand peuple, dont ils avaient voulu consommer la d�livrance, couvrait de boue leurs lambeaux palpitants. Croyez-moi, mettez un frein � cette inqui�te ambition qui vous tourmente et ne la couvrez point tant du manteau de la philanthropie. Car, � voir les hommes comme ils sont, personne ne peut vous croire. Telles sont les humbles repr�sentations de votre serviteur qui vous baise les mains.

BINDO

Arr�te; nous sommes venus t'offrir un parti avantageux, et tu r�ponds par l'outrage. Tu nous feras amende honorable ou tu nous rendras raison.

LORENZO

Point, mon oncle, je ne suis pas n� spadassin. Prenez-vous en � Dieu, qui ne m'a pas fait brave. Je con�ois qu'il vous serait avantageux, maintenant que votre secret est dans mes mains et que vous avez peur, de vous d�barrasser de moi. Mais calmez-vous, et profitez du conseil qu'un fou peut donner.

CAPPONI

Vous m'avez insult� personnellement. Mais j'ai piti� de votre pusillanimit�. Seulement, souvenez-vous bien que si vous trahissez...

LORENZO

Point de menace. Vous froissez mon pourpoint et ne m'effrayez gu�re. Faites pour le peuple ce qu'il vous plaira. Je ne ferai rien. Je hais les hommes, et plus ils sont grossiers, plus je les m�prise. Je n'ai pas d'int�r�t � les caresser, parce que je ne veux rien d'eux. En refusant la popularit�, je suis plus franc et plus brave que vous. Allez, pour faire une conspiration, il ne faut que deux choses: un homme et un poignard. Laissez mon pourpoint, vous dis-je. C'est de l'�toffe de vos magasins, peut-�tre, et vous voulez me forcer d'en acheter un neuf. Il me para�t que vous vous entendez mieux aux affaires de votre 'boutique qu'� celles de l'État. Vous �tes bien imprudent d'impatienter de la sorte un homme que vous craignez.

BINDO

C'en est trop, l�che, fanfaron, chien de Cour!

UN PAGE, annon�ant:

Le Duc.

{RDP 691} CAPPONI ET BINDO, atterr�s.

Nous sommes trahis!

LORENZO les contemple avec ironie, puis s'avance
� la rencontre d'Alexandre
.

D'o� me vient une faveur si grande que mon ma�tre daigne venir visiter son serviteur 15?

LE DUC

Tu t'es trouv� malade, ce matin, au Palais, et j'�tais press�, Lorenzino, de m'assurer que cet �v�nement n'avait pas eu de suites.

LORENZO

C'est trop de bont�s! La gracieuse visite de Votre Altesse m'est d'autant plus favorable qu'elle me fournit l'occasion de lui pr�senter deux citoyens de cette ville, �galement empress�s de lui offrir leurs humbles hommages. L'un est mon oncle, Bindo Altoviti, qui regrette que son long s�jour � Naples ne lui ait pas permis plus t�t de se prosterner devant Votre Altesse. L'autre est Messire Giulio Capponi 16, qui venait me prier de l'introduire devant Elle, afin qu'il p�t mettre � ses pieds les protestations de d�vouement et de fid�lit� de sa bonne ville de Florence.

LE DUC

En v�rit�? Cet hommage de deux sujets, que j'avais soup�onn�s. de favoriser tacitement la r�bellion, me serait agr�able, s'il �tait bien sinc�re.

LORENZO

Que Votre Altesse n'en doute point. Ces deux fid�les sujets voulaient, aujourd'hui m�me, lui �tre pr�sent�s, afin de d�savouer toute participation � la s�dition qui a �clat� ce matin et dont ils ont vu avec joie le juste ch�timent. (A Bindo et � Capponi.) Que la pr�sence inattendue d'un si grand prince dans cette humble maison ne vous frappe point ainsi de crainte et d'�motion 17. Dites-lui que j'ai �t� le fid�le interpr�te de vos sentiments intimes.

{RDP 692} BINDO, troubl�.

En effet, Votre Altesse doit croire que mon neveu...

LE DUC

Fort bien. Nous sommes contents de voir un alli� de notre maison faire les premiers pas vers nous, et nous le prions d'accepter la direction de notre prochaine mission � notre royal beau-p�re, l'empereur Charles V.

BINDO, s'incline profond�ment.

C'est un honneur dont je sens tout le prix et Votre Altesse peut compter sur ma fid�lit�.

LE DUC.

Il suffit. Quant � vous, Messere Capponi, nous savons que votre influence est grande. Nous vous engageons � la faire servir � notre profit. Ce sera aussi le v�tre. Car nous vous offrons, si vous y parvenez, l'exemption de toute contribution pr�sente et future, pour vous et toute votre famille.

CAPPONI g

Ah! Messire prince, c'est trop de bont�s! Vous �tes. Votre Seigneurie est un grand prince.

LE DUC

Tous ceux que j'ai enrichis me l'ont dit. Que ma pr�sence ici ne vous retienne pas plus longtemps.

CAPPONI

Oh! nous resterons avec plaisir..

LORENZO, � Capponi.

Cela signifie qu'il est temps de vous retirer.

(Bindo entra�ne Capponi et le force � s'incliner � plusieurs reprises, ce dont il s'acquitte fort gauchement.)

LE DUC, � ses �cuyers qui gardent les issues:

Laissez passer ces deux personnes 18.

(Lorenzo le suit des yeux avec preoccupation.)

LE DUC

Voyez ce marchand grossier et ce noble perfide, l'un cupide, l'autre vain! Quelle odeur de trahison, quelle puanteur de peuple ils ont laiss�es ici! Ouvre les fen�tres, Renzo; je crois toujours sentir ce pl�b�ien m'envoyer son haleine � la figure, tout en me jetant son vous � la t�te!

LORENZO

Votre Altesse veut-elle voir les lettres que j'ai re�ues du dehors?

LE DUC

Volontiers. Dis-moi, cet infernal Strozzi?

{RDP 693} LORENZO

Toujours � Venise. Mais, sur mon invitation, il doit rentrer ici myst�rieusement et y travailler au pr�tendu complot que j'ourdis contre Votre Altesse.

LE DUC, prend la lettre et lit.

En v�rit�, il viendra!

LORENZO

Aussit�t qu'il sera cach� dans cette maison, je le livre � la vengeance de mon ma�tre.

LE DUC

Bon Lorenzino! Oh! me d�faire de cet ennemi acharn�! — Et ce Benedetto Varchi?

LORENZO

Voici sa r�ponse.

LE DUC, lisant la lettre.

« Alexandre, charg� d'iniquit�s, tombera sous la vengeance publique. Il n'est pas besoin de mon concours. Par �tat, je r�pands l'encre et non le sang. » Est-ce qu'il se m�fierait de toi?

LORENZO

Je ne le pense pas. Quand cela serait, il ne tombera pas moins dans mes filets.

LE DUC

Et ce Giovanni della Casa, qui r�pand, dit-on, dans Florence, des hymnes � la libert�?

LORENZO

Un exalt�, un jeune fou, mais point dangereux, et amant du plaisir avant tout.

LE DUC

Faisons-lui gr�ce, s'il est libertin, car nous le sommes aussi. Tu le sais, Lorenzino? (Il regarde autour de l'appartement.) Mais pourquoi ai-je trouv� cette maison vide de femmes? II y en a quelquefois aux fen�tres et leur regard encha�ne longtemps celui qui passe dans la rue.

LORENZO

En effet, ma m�re fut renomm�e pour sa beaut�. Mais Votre Altesse l'a vue de loin, et la bonne dame ne l'est aujourd'hui que pour sa vertu.

LE DUC

Par saint Cosme! Il s'agit bien de ta m�re! Elle n'est pas seule ici. Dis-moi, o� est ta sœur?

LORENZO

Ma petite sœur?

LE DUC

Pourquoi la faire si petite? Elle a bien quinze ans. Ce n'est pas mon œil exerc� qui s'y tromperait.

LORENZO

En v�rit�, c'est un enfant.

{RDP 694} LE DUC

C'est un enfant qui allume des passions d'homme. Tiens, Lorenzo, il faut que tu saches le vrai motif de ma visite: j'esp�rais la voir.

LORENZO

Par quel art cette petite fille a-t-elle su inspirer tant de curiosit� � votre Altesse?

LE DUC

De la curiosit�? Dis donc de l'amour, mais l'amour le plus violent, la passion la plus effr�n�e que j'ai ressentis de ma vie. Oh! depuis plusieurs jours je m'enivre � la contempler, tant�t l�, pench�e vers cette fen�tre et livrant � la brise ses longs cheveux noirs, tant�t � l'Église, les yeux baiss�s sous son voile entr'ouvert, plus belle, plus na�ve que les Vierges que notre vieux Michel-Ange r�vait aux beaux jours de sa jeunesse. Et puis, quand elle se l�ve et que, d'un pas l�ger, elle emeure les dalles du temple, la p�tulante gaiet� de son �ge encore contenue par le recueillement de la pri�re, on dirait une hirondelle, vive et flexible qui va s'�lancer du portique dans les airs! Oh! va la chercher, Lorenzino, que je touche sa taille �lastique, que je fasse de mes deux mains une ceinture �troite � sa taille d�li�e, que je respire le parfum de ses cheveux brillants! Va la chercher! Je n'aime plus aucune des femmes que tu m'as livr�es, et je te tiens quitte, � l'avenir, de m'en trouver de nouvelles, si d�s aujourd'hui tu peux me procurer un rendez-vous avec cet ange.

LORENZINO

D�s aujourd'hui? C'est difficile. La petite est farouche et vous aurez toute une �ducation � faire. En outre sa m�re est d'une vigilance aust�re et nous aurons de la peine � d�cider l'une et � �loigner l'autre. Donnez-moi quelques jours.

LE DUC

Ne me parle pas de retards. J'ai d�j� trop souffert et trop attendu. Songe qu'il ne s'agit plus d'une de ces fantaisies d'un jour qui r�veillaient � peine mon saug engourdi. Songe que si tu te m�les d'avoir des scrupules — la chose du monde qui te si�rait le moins — ta sœur ne tombera pas moins � mon pouvoir. L'amour ne conna�t pas d'obstacles et le mien surtout. Songe enfin, que si tu abr�ges ma cruelle angoisse, tu obtiendras tout ce que tu demanderas, f�t-ce la premi�re charge de l'État, ou la fortune de Cosme au m�pris des lois, ou la t�te de ton ennemi. Essaye.

LORENZO

Je n'ai pas besoin de toutes ces promesses. Vous savez bien que, si la chose est humainement possible, Lorenzo vous servira.

LE DUC

Cours donc, ami. Dis-lui que le duc de Florence se meurt d'amour pour elle. Dis-lui qu'il couvrira de perles et de pierreries sa noire chevelure et son sein naissant et ses bras moelleux. Dis-lui qu'il lui donnera {RDP 695} le plus beau cheval que Naples ait jamais fait courir dans ses f�tes, la plus belle haquen�e de toutes les Espagnes, des �toffes d'or et des voiles brod�s de Constantinople... Tu r�ves et ne me r�ponds point?

LORENZO

Je cherche un moyen. Si je pouvais l'�loigner un instant de sa Tn�re, la femme est toujours femme, et la vertu s'amollit devant les richesses comme la cire devant le feu.

LE DUC, d�tachant sa bourse de sa ceinture.

Tiens, prends cet or pour commencer et dis-lui de demander la fortune de vingt familles. Mais h�te-toi!

LORENZO

J'ob�is! Mais il faut que Votre Altesse �vite les yeux clairvoyants de ma m�re. Si elle concevait le moindre soup�on, la petite serait jet�e dans un couvent ou envoy�e aux Strozzi. Dans deux heures, je serai au Palais et j'esp�re porter � Votre Altesse une r�ponse favorable.

LE DUC

Je compte sur toi! Compte sur la r�compense.

LORENZO, seul.

Oui, compte sur moi! Je jure par le ciel et par l'enfer, par le sein de ma m�re et par la damnation �ternelle que tu me trouveras aujourd'hui. Toi-m�me as marqu� ton heure. 0 mon bien-aim� ma�tre, je te remercie!



SCÈNE III



Quatre heures. — La chambre de Lorenzo.

SCORONCONCOLO, LORENZO.

SCORONCONCOLO

Ma�tre, as-tu assez du jeu?

LORENZO

Non! Je veux qu'on nous entende longtemps aujourd'hui. Crie plus fort.

SCORONCONCOLO

Au secours! Trahison! Lorenzo du diable!

LORENZO

Ferme, allons! Frappe du pied! Tiens, fais comme moi! (Il tr�pigne avec violence et crie d'une voix etouff�e.) Tra�tre! meurtrier! Tu m'as assassin�! Je meurs!

{RDP 696} SCORONCONCOLO, fait un vacarme effroyable, renverse les meubles, et bondit d'un bout de la chambre � l'autre.

A moi, mes braves archers A mon aide! On me tue! On me coupe la gorge 19!

LORENZO

Courage donc! on dirait que tu as peur d'enfoncer! — Es-tu s�r que les voisins nous entendent?

SCORONCONCOLO

Satan, du fond de l'enfer, nous entendrait. (Il s'essuie le front.} Par mon �me de damn�! C'est un rude jeu que tu as invent�, ma�tre. Mais dis-moi donc enfin pourquoi tu me fais crier et blasph�mer ainsi tous les jours dans cette chambre?

LORENZO

Je te l'ai dit vingt fois. J'aime � �pouvanter les voisins 20. Lorsqu'ils nous entendirent faire ce bruit, le premier jour, et qu'ils s'assembl�rent pour cerner la maison, �tait-il rien de plus risible que leurs faces effar�es, leur empressement � chercher, dans tous les coins, l'homme que nous �gorgions, et leur col�re quand ils virent que c'�tait un jeu pour les railler? Ah! je leur ai ri au nez de bon cœur, il m'en souvient. Maintenant qu'ils ne se d�rangent plus, ils me donnent encore bien de la joie, en se plaignant du sabbat infernal dont retentit cette maison, et je parie que, pour faire la sieste, ils descendent dans les caves. Ces bons voisins qui disent tant de mal de moi, ah! je les entends d'ici: « Ce r�prouv� de Lorenzo est devenu fou, le diable habite sous son toit, et quelque jour, on les verra tous deux traverser les airs. ».

SCORONCONCOLO

Tu as beau dire, ma�tre, jamais on n'a pris tant de peine pour �tre incommode � ses voisins. II y a autre chose que tu me caches. Mais j'ai trop couru le pays des aventures pour ne pas soup�onner quelque myst�re. Tu as des projets, ma�tre, et tu ne veux pas me les dire.C'est mal.

{RDP 697} LORENZO

Eh bien! Ce que tu soup�onnes, dis-le; et si tu devines la moiti�, je te dirai le tout.

SCORONCONCOLO

D'abord, ma�tre, tu as un ennemi. Quel est l'homme grand ou mis�rable qui peut s'en passer? Moi, j'en ai un, c'est le bourreau, et si je peux lui mettre au cou la corde dont ta bont� m'a sauv�, ma�tre, je jure par la croix de J�sus que je ne le manquerai pas! Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Tu as un ennemi. Tu me l'as dit maintes fois. Je t'ai vu souvent, au retour du Palais, frapper la terre du pied et maudire le jour o� tu es n� 21, d�vorant ta col�re et d�chirant ta poitrine avec les ongles, et je te l'ai dit: il y a toujours, sur deux existences d'hommes, une qui doit c�der la place � l'autre. Pourquoi donc te laisser fouler aux pieds comme un ver de terre? Tiens, ma�tre, d�barrasse-toi de celui qui te g�ne, car tu maigris et tu deviens triste. Je me suis senti comme cela quatre ou cinq fois pour mon compte, et voici le m�decin qui m'a purg� de cette bile. (Il tire sa dague du fourreau.) La derni�re fois, ce fut � Padoue, � propos d'une...

LORENZO

Fais-moi voir ta dague. Que signifie: « Sirvo á mi Senor, soy viva »?

SCORONCONCOLO

C'est de l'espagnol: J'ob�is � mon ma�tre, et je suis prompte.

LORENZO, la brandissant d'un air sombre.

Par la messe, c'est une bonne lame, si elle dit vrai.

SCORONCONCOLO

Essaie-la seulement, et tu verras.

LORENZO

Ami, tu as devin� mon mal.

SCORONCONCOLO

Eh bien! je veux t'en gu�rir sur l'heure. Quel est son nom?

LORENZO

Qu'importe son nom 22?

{RDP 698} SCORONCONCOLO

F�t-ce le pape Pour toi, je remettrais le Christ en croix!

LORENZO

R�jouis-toi, c'est un homme puissant, un favori du Grand-Duc.

SCORONCONCOLO

Quand ce serait le diable! Quand ce serait le Duc lui-m�me!

LORENZO

Aujourd'hui?

SCORONCONCOLO

Tout de suite.

LORENZO

Eh bien! dans une heure Prends cette bourse de sequins. C'est lui-m�me qui te paye ton salaire.

SCORONCONCOLO, ouvre la bourse et regarde.

C'est bien pay�! Je le servirai en conscience.

LORENZO

Écoute. Je te d�fends, sur ta vie, de le toucher, si je l'�tends du premier coup. Si j'�tais robuste comme toi, je ne me ferais pas aider. Mais le sanglier se d�fendra. Si je le manque, il m'�crasera dans sa main, moi, d�bile et maladif 23. Ma vie, c'est ce dont je me soucie le moins. Mais la sienne! Oh! s'il s'�chappait!... Jure-moi qu'entr� dans cette chambre, il n'en sortira pas vivant.

SCORONCONCOLO

Je te le jure par l'Eucharistie, par saint Pluton et par la gueule de l'enfer!

LORENZO

Je vais le chercher et l'amener l�. C'est l� qu'il tombera.

SCORONCONCOLO

C'est l�, vive Dieu! Et voici la lame qui trouvera son cœur. O� t'attendrai-je, ma�tre?

LORENZO

Dans la galerie.

SCORONCONCOLO

Mais si Madonna Maria m'aper�oit, elle me chassera, car elle ne m'aime pas.

LORENZO

Ne crains rien; les femmes sont sorties et, quand elles rentreront, tout sera fini.

SCORONCONCOLO

Amen!



SCÈNE IV



Cinq heures. — La chambre du Grand-Duc.

ALEXANDRE, LORENZO.

ALEXANDRE

Dieu du Ciel! Elle a consenti?

LORENZO

De la col�re d'abord, et puis de l'indignation, puis des larmes, quelques soupirs, beaucoup de r�flexions, un long embarras, et enfin un aveu prononc� bien bas, avec la rougeur au front et l'orgueil dans le cœur.

ALEXANDRE

Et c'est ce soir?

LORENZO

A l'instant m�me. Profitons du temps que sa m�re va passer � l'�glise pour se pr�parer par la veille et par la pri�re au saint jour de l'Épiphanie. Il faut que vous me suiviez seul et avec pr�caution. Je vous ferai entrer dans la maison et je vous cacherai dans ma propre chambre.

LE DUC

Cher Lorenzino! H�tons-nous donc. Hol�! Un pourpoint, un manteau! Je vais sortir.

(Giomo le Hongrois apporte un pourpoint.)

LORENZO

En v�rit�, ma�tre, ce haubert � mailles de Venise et ces gantelets de buffle vont vous donner l'air d'un guerrier tudesque plut�t que d'un amoureux florentin.

LE DUC

Par saint Cosme! Tu dis vrai. Qu'on me donne un pourpoint de satin doubl� de zibeline, � la napolitaine, et des gants parfum�s 24.

{RDP 700} LORENZO

Partons-nous?

LE DUC

Capitaine Cesena, Giomo le Hongrois, Fernand l'Andalou, suivez-moi.



SCÈNE V



La place Saint-Marc.

LORENZO, LE DUC, CESENA, GIOMO, FERNANDO.

LE DUC.

La soir�e est froide. Les �toiles sont brillantes.

LORENZO.

C'est bon signe pour demain.

LE DUC

Cesena, Fernando, laissez-nous.

CESENA

Seul avec le seigneur Lorenzo?

LE DUC

Giomo le Hongrois nous suivra! Allez (Ils s'�loignent. Le Duc � Giomo.) Toi, reste ici, devant la maison des Sostegni. Aie les yeux sur cette porte, que tu vois vis-�-vis. Quelque personne qui entre ou sorte, garde-toi de faire un geste ou de dire un mot. (A Lorenzo.) Il fait vraiment froid. J'ai le frisson 25.

LORENZO.

Marchons plus vite.

(Ils s'�loignent.)

GIOMO LE HONGROIS, seul.

Je comprends! C'est une affaire d'amour. Par le froid qu'il fait, j'aimerais mieux un verre d'hypocras que toutes les femmes du monde. (Il se prom�ne.) A quoi bon regarder cette porte, si je ne dois pas la garder? Que fais-je ici? Je g�le. Et puis, que peut risquer le prince avec Lorenzaccio le couard qui ne porte pas d'�p�e, parce que la sienne propre lui ferait peur? Allons! Je vais me chauffer dans la chambre du Duc en l'attendant.

(Il s'en va.)



{RDP 701} SCÈNE VI



La chambre de Lorenzo.

Le Duc entre et jette son �p�e sur le lit. Il s'approche de la chemin�e, et, pendant ce temps, Lorenzo prend l'�p�e et attache le ceinturon � la poign�e pour la rendre impossible � d�gainer.

LE DUC

Que fais-tu donc?

LORENZO

Je cache votre �p�e sous votre chevet. II est bon d'�tre toujours pr�t � se d�fendre dans ces sortes d'aventures 26. Mais il ne faut pas que la femme, pour qui l'on s'expose, se doute qu'on a pu distraire d'elle une seule pens�e pour sa propre s�curit�.

LE DUC

Crois-tu donc qu'il y ait quelque chose � craindre ici?

LORENZO

D'ici � quelques heures, je ne vois dans la maison que moi qui pourrais troubler votre repos.

LE DUC

En ce cas, tu me permettras d'�tre tranquille. Je connais ta valeur. — Ah! ce bon feu m'a ranim�. J'�tais transi de froid. (Il se d�barrasse de son manteau.) Ah! ��, dis-moi, tu sais que je n'aime pas � lutter de s�millants propos avec les femmes. On dit que la Catterina est belle parleuse et vers�e dans les lettres. Moi, la poussi�re des bouquins me prend � la gorge, et je ne sais pas faire l'amour avec des m�taphores. Pr�viens-la, je te prie, qu'elle ne s'attende pas � des fadeurs et qu'elle me fasse gr�ce de cette feinte r�sistance, dont je ne puis pas �tre dupe, moi qui connais toutes les ruses d'usage.

LORENZO

Catterina sait qu'elle ne doit pas s'attendre � �tre humblement implor�e, comme si elle avait affaire � un page ou � un po�te. Je {RDP 702} crois que ce que Votre Altesse a de mieux � faire, c'est de se mettre au lit 27. La premi�re personne qui entrera...

LEDUC

C'est bien! Cours.

LORENZO

Je ne vous demande qu'une gr�ce nouvelle. C'est d'�teindre un peu la flamme du foyer. L'obscurit� enhardira ses pas timides.

LE DUC

L'obscurit�, c'est l'impunit� pour les femmes. Fais ce que tu voudras. (Le Duc seul, d�tachant les rubans de son pourpoint.) Faire la cour � la fran�aise, avec un genou dans la poussi�re et les mots de reine et de d�esse � la bouche, ce n'est pas mon fait, surtout apr�s le souper, quand ce d�lectable vin d'Espagne a brouill� mes id�es et appesanti ma langue 28. Et puis, une femme! c'est un ange tant qu'on la d�sire; d�s qu'on la tient ce n'est plus qu'une femme. On la f�cherait bien d'ailleurs si on la prenait au mot chaque fois qu'elle dit: non. Que Lorenzo fasse la cour en mon nom! Il est fait pour cela! C'est lui qui me pr�sente la coupe du plaisir et c'est moi qui la vide. Sa sœur! Il ne manquait que cela � son ignominie! Demain toute la Cour en rira et Messire Valori, tout le premier. (Six heures sonnent.) Heure d'amour et de plaisir, je te salue! Sois la plus belle de ma vie! (Il s'enveloppe d'un couvre-pied d'hermine et se jette sur le lit.)

LORENZO, bas � Scoronconcolo, � l'entr�e de la chambre.

Le moment est venu. Tu n'h�sites pas?

SCORONCONCOLO, bas.

T�te-Dieu! En avant!

LORENZO

Le cœur me bondit avec tant de violence que je ne puis marcher.

SCORONCONCOLO

Si c'est de peur, laisse moi passer le premier.

LORENZO, l'arr�tant.

Eh! non! C'est de joie. (Il marche l'�p�e � la main vers le lit et {RDP 703} entr'ouvre le rideau.) Seigneur, dormez-vous? (Il lui passe son �p�e au travers du corps.) C'est fait 29.

(Le Duc roule par terre en rugissant. Scoronconcolo lui enl�ve une joue d'un coup de dague. Le Duc ensanglant� se rel�ve et court dans la chambre avec �garement.)

LORENZO

Maladroit, tu frappes au visage! C'est au cœur! au cœur! (Au Duc.) Hol�, seigneur, point tant de bruit! Acceptez ce b�illon! (Il lui met les doigts dans la bouche.)

SCORONCONCOLO

Le damn� bondit comme une panth�re. O� es-tu donc, ma�tre? Je n'y vois plus.

LORENZO

Je le tiens, l�, sous moi! (Il jette le Duc sur le lit.) Maudit! Tu mords comme un chien enrag�. Mais c'est �gal! Tu mourras de la main de Lorenzaccio.

SCORONCONCOLO

Ote-toi de l�, ma�tre, que je le frappe!

LORENZO

Je ne puis. Ce chien furieux tient mon pouce entre ses dents. Il me le broie. Ah! le cœur me manque. Je souffre! D�p�che-toi de le tuer!

Scoronconcolo enfonce sa dague.

LORENZO

Tu �ventres le matelas! Il me coupera le doigt.

SCORONCONCOLO, tire un couteau de sa poche.

Eh bien! saignons-le comme un pourceau! L�che-t-il prise?

LORENZO

Enfonce le couteau plus avant dans la gorge. Bien. Ses dents s'�cartent un peu. Ah! sa t�te retombe, ses muscles se d�tendent. Il meurt. Regarde, il est hideux � voir.

SCORONCONCOLO

Encore quatre � cinq coups dans la poitrine. J'aime mieux le voie bien mort.

LORENZO descend du lit.

Enfin! (Il regarde sa main sanglante.) Ce doigt sera mutil� pour toujours. Tant mieux! C'est une glorieuse blessure et j'aurai toujours ce souvenir sous les yeux.

{RDP 704} SCORONCONCOLO

Ma�tre! Que ferons-nous de ce cadavre? Sa derni�re convulsion l'a fait bondir comme un crapaud. Le voil� encore par terre. Par Monseigneur Satan, il tenait � sa vie presque autant que nous � sa mort.

LORENZO

Aide-moi � le ramasser.

(Le foyer qui, pendant celle sc�ne hideuse, a jet� quelques lueurs par intervalles, s'allume et r�pand une vive clart� dans la chambre.)

SCORONCONCOLO

Entrailles du Christ! C'est le Duc lui-m�me 30!

LORENZO

Oui, c'est lui, c'est bien lui! 0 joie du ciel! Le voir ainsi!

SCORONCONCOLO

Ma�tre! qu'avons-nous fait? C'est une affaire plus s�rieuse que je ne pensais.

LORENZO

Aide-moi � le coucher! Jette-lui ce couvre-pied et rendons � son sommeil cet oreiller dont le vaillant s'�tait fait un �cu. (Il lui soul�ve la t�te pour le regarder.) Maintenant, Grand Duc de Florence, b�tard du pape, gendre de Charles V, tyran, despote, inf�me, fanfaron, impudique Alexandre de M�dicis, bonsoir pour la derni�re fois. Lorenzo ne te ram�nera plus de l'orgie et ne te mettra plus au lit accabl� de d�bauches et de crimes. Dors bien! (Il laisse retomber la t�te du cadavre et va s'asseoir sur la fen�tre, qu'il entr'ouvre.) Ah! que je suis fatigu�! Ce taureau sauvage a soutenu un rude assaut. Je suis baign� de sueur et de sang.

SCORONCONCOLO

Ma�tre! Partons, crois-moi. On peut avoir entendu.

LORENZO

Oh que non! Il a perdu son temps � me manger la main. As-tu peur, maintenant?

SCORONCONCOLO

C'est un coup trop hardi. Fuyons 31.

LORENZO

Fuis si tu veux. Pour moi, je puis mourir maintenant. Je suis assez content d'avoir v�cu ce jour tout entier.

{RDP 705} SCORONCONCOLO

Ma�tre, par piti�, viens!

LORENZO

Laisse-moi, te dis-je. Laisse-moi savourer cet ineffable instant de ma vie. Que la nuit est fra�che et parfum�e! Que le ciel est pur! Les �toiles ont toutes un sourire au front. En voil� une qui file. C'est celle du Duc de Florence qui s'�teint. Ah! je me sens bien, maintenant, ma poitrine s'�largit, mon �me se dilate 32! Souillures, infamie, disparaissez Ce sang vous a lav�es! Lorenzaccio n'est plus! L�ve-toi, Laurent de M�dicis!

CATTERINA, avec un flambeau.

Mon fr�re, je viens te trouver. Madonna m'a renvoy�e de l'Église, disant que j'avais assez pri�. Mais je suis en bas avec L�onora et j'ai peur. Nous avons cru entendre des bruits sinistres, des tr�pignements, des voix �touff�es. Il y a dans l'air comme un r�le d'agonie. (Elle pousse un cri.) Grand Dieu! Qu'est-ce l� par terre? Du sang! et sur toi, sur cet homme, partout du sang!

SCORONCONCOLO

Ce n'est rien, Monna Cattina, rassure-toi. En jouant avec mon ma�tre, il m'a pris un saignement de nez.

CATTERINA

Toujours cet homme avec toi, Lorenzo! II m'effraye. Renvoie-le! Il tutoie tout le monde. Je ne suis pas sa sœur pour qu'il me tutoie.

SCORONCONCOLO

Ne te f�che pas, Monna Cattina. C'est la coutume encore pour tout franc soldat sicilien, qui a une lame au c�t� et qui se moque des modes espagnoles.

CATTERINA

Fr�re, parle-moi, j'ai peur! J'ai peur de ce sang, de cet homme! J'ai peur de toi aussi!

LORENZO

Viens m'embrasser, enfant, et rassure-toi, car voici le bras qui, sait d�fendre et punir, le bras de Lorenzo le vengeur!

CATTERINA

Mon Lorenzino, de qu� veux-tu te venger?

{RDP 706} LORENZO

De personne d�sormais. Je n'ai plus d'ennemis, et mon cœur est toute mis�ricorde.

CATTERINA

Moi aussi. Je ne hais qu'un seul homme.

LORENZO

Nomme-le.

CATTERINA

Ton Duc barbare et grossier! Croirais-tu qu'hier, en passant sous ma fen�tre, il a eu l'audace de m'envoyer un baiser?

LORENZO

Il ne le fera plus. Viens voir.

CATTERINA

Voir quoi?

LORENZO, l'entra�nant vers le lit.

Viens, te dis-je.

CATTERINA

Cette chambre est un lac de sang! Tu en fais jaillir sur ma robe � chaque pas. Cela est horrible! Laisse-moi m'en aller! J'ai encore plus peur,ici.

SCORONCONCOLO

Madonna, ne l'�coute pas. Sa t�te s'est �gar�e!

LORENZO

Non, Catterina! J'ai toute ma raison. Je veux te montrer, sur ce lit, notre ennemi, cet homme terrible, ce tyran qui d�vorait les citoyens, un cadavre maintenant.

CATTERINA

Laisse-moi! Grand Dieu! Tu me fais peur. Ma m�re! 0 ma m�re!

LORENZO, avec un rire infernal.

Regarde-le, te dis-je. (Il ouvre le rideau.) Je ne t'ai pas menti. Le voil� bien! C'est moi, moi, qui l'ai tu�!

CATTERINA, criant.

Horreur! Un assassinat! Un cadavre! Quel r�ve affreux! (Elle se jette dans le sein de Lorenzo et cache son visage dans ses mains.)

LORENZO

Écoute, Catterina. Cet homme, que tous maudissaient, aucun n'a os� le frapper, et c'est Lorenzo, qu'ils appelaient Lorenzaccio, qui seul a sauv� la patrie. Comme Brutus, il a su feindre. Il a tendu le pi�ge o� cet inf�me est venu se briser.

CATTERINA

Laisse-moi fuir. Je me meurs. C'est un assassinat!

{RDP 707} LORENZO

Écoute encore, Catterina. Cet homme t'avait achet�e pour une poign�e de sequins. C'est moi qui t'ai vendue, et si tu le vois, sur ce lit, c'est qu'il t'y attendait, c'est qu'il a cru que, comme une courtisane, tu viendrais te jeter dans ses bras pour son argent.

CATTERINA, se redressant.

Il a cru cela?

LORENZO

Ai-je mal fait de le tuer?

CATTERINA

L'as-tu bien tu�? Ne respire-t-il pas encore? Écarte cette couverture et donne-moi le flambeau, que je le regarde en face! Donne, je n'ai plus peur. Tu vois bien que ma main ne tremble pas. Hideux cadavre de r�prouv�, sois maudit! Celle que tu croyais damner avec toi te d�teste et te crache au visage.

LORENZO

Ma sœur, c'est bien! Embrasse celui qui t'a veng�e!

CATTERINA, se jette dans ses bras.

0 mon fr�re, je l'avais toujours dit, que tu te rel�verais! (A Scoronconcolo.) Toi, coupe cette t�te et porte-la au peuple. Dans sa reconnaissance, il proclamera Laurent duc de M�dicis.

LORENZO

Non, ma sœur, non! Je n'ai pas tu� cet homme pour mettre sa couronne ducale sur ma t�te. Je l'ai tu� pour ses forfanteries, pour les affronts que j'en ai re�us, pour venger ton honneur et le mien. Je l'ai tu� parce que je le ha�ssais mortellement et qu'il avait voulu m'avilir, parce que c'�tait la pens�e unique de tous mes jours, le r�ve caress� de toutes mes nuits, le besoin qui d�vorait mon �me, le but de ma destin�e. Je l'ai tu� pour assouvir ma soif, pour gu�rir mes blessures profondes, pour retrouver le sommeil, le bonheur et le calme! A pr�sent, je ne d�sire plus rien. J'ai ma propre estime.

CATTERINA

Mais la patrie, Lorenzo?

LORENZO

La patrie, h�las! C'est une des chim�res que le sceptique Lorenzo ne caresse plus. Vois-tu, ma sœur, j'ai soumis les hommes � une trop rude �preuve pour les estimer jamais, et ils ont trop grossi�rement mordu � l'hame�on, ils ont trop abus� de ma patience pour que je puisse croire � la v�racit� de leur retour. Je serais un mauvais souverain. Je ferais le bien sans plaisir et peut-�tre le mal sans remords.

CATTERINA

Alors il faut fuir. Chaque instant peut te perdre. La faveur du peuple sera au premier qui voudra l'exploiter. Si tu ne profites pas de ton ouvrage, tu tomberas victime de l'ingratitude. Fuis, mon fr�re, fuis; je te le demande � genoux!

{RDP 708} SCORONCONCOLO

Moi aussi, ma�tre, je te le demande � genoux!

LORENZO

Fuir comme un coupable! Eh bien! soit. Jamais Lorenzo n'a travaill� pour les hommes; et dans ceci moins que jamais. Partons. Échappons � cette b�te f�roce qu'on appelle le peuple et qui a d�vor� les Pazzi. Maintenant, la vie m'est douce et je veux vivre longtemps pour me rappeler tous les jours que mon bras a terrass� Goliath. Adieu, ma douce Catterina. Adieu, ma sœur, toi, la seule qui ne m'ait jamais condamn�!

CATTERINA, l'embrassant.

Ah! tant d'�motions me tuent! (Elle s'�vanouit).

LORENZO, la prend dans ses bras.

Portons-la � sa m�re. Et toi, prends la clef de cette chambre. Je veux la porter � Venise � notre Strozzi. Je veux la garder toute ma vie, suspendue comme une relique � ma cha�ne d'or.


GEORGE SAND 33


Variantes

  1. Ce titre ne figure pas dans {RDM}.
  2. Abalatesta {RDM} (erreur de lecture)
  3. LE CAVALIERE (sic) {RDP} ♦ Le cavalier {RDM} (Le "sic" est une prudence inutile, Aurore Dudevant voulait sans doute employer le mot italien cavaliere et non le mot fran�ais. Aurore Sand a cru bon de franciser dans {RDM}).
  4. L'ANDALOU {RDP} ♦ l'Andalous {RDM}
  5. pas de etc dans {RDM}.
  6. coupable ne de {RDP} (nous corrigeons)
  7. BINDO {Ms} (variante relev�e dans {RDP})

Notes

  1. Aujourd'hui conserv�e � la Biblioth�que Mazarine � Paris.
  2. {RDP} pr�cise: « INÉDITE DE GEORGE SAND »
  3. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV:

            LE DUC, � Valori.
        Votre Éminence a-t-elle re�u ce matin des nouvelles de la Cour de Rome?

            VALORI
        Paul III envoie mille b�n�dictions � Votre Altesse, et fait les vœux les plus ardents pour sa prosp�rit�.

            LE DUC
        Rien que des vœux, Valori?

            VALORI
        Sa Saintet� craint que le Duc ne se cr�e de nouveaux dangers par trop d'indulgence...

            LE DUC
        Ainsi, Monsieur le Commissaire apostolique, il y a encore quelques mauvaises branches � �laguer?
  4. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV:

            SIRE MAURICE
        ... C'est Lorenzo de M�dicis que le pape r�clame comme transfuge de sa justice...

            LE DUC
        ... Paix! tu oublies que Lorenzo de M�dicis est cousin d'Alexandre...
  5. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

            LE DUC
        ... Regardez-moi. ces mains fluettes et maladives, � peine assez fermes pour soutenir un �ventail...
  6. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV:

            LE DUC

        ...Je n'entends rien au respect du pape pour ces statues, qu'il excommunierait demain, si elles �taient en chair et en os...
  7. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV:

            LE DUC
        ... Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d'orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plomb�s, ces mains..., ce visage morne....
  8. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV:

            LE CARDINAL
            Messire Frandesco Molza vient de d�biter � l'Acad�mie romaine une harangue en latin contre le mutilateur de l'arc de Constantin.
  9. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. IV:

            SIRE MAURICE
        Celui qui se croit le droit de plaisanter doit savoir se d�fendre. A votre place, je prendrais une �p�e.

            LORENZO

        Si l'on vous a dit que j'�tais un soldat, c'est une erreur; je suis un pauvre amant de la science.

            SIRE MAURICE
        Votre esprit est une �p�e ac�r�e, mais flexible, c'est une arme trop vile; chacun fait usage des siennes. (Il tire son �p�e.)
  10. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

            LE DUC
        ... La seule vue d'une �p�e le fait trouver mal. Allons, ch�re Lorenzetta, fais toi emporter chez ta m�re...
  11. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV:

            LORENZO
        Elle [Lucr�ce] s'est donn� le plaisir du p�ch� et la gloire du tr�pas...

            MARIE
        Si vous m�prisez les femmes, pourquoi affectez-vous de les rabaisser devant votre m�re et votre sœur?

            LORENZO
        Je vous estime, vous et elle. Hors de l�, le monde me fait horreur...
  12. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV:

            LORENZO
        Catherine, Catherine, lis-moi l'histoire de Brutus!...

            CATHERINE
        Ah! c'est une histoire de sang.
  13. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

        (On frappe.)

            CATHERINE
        C'est mon oncle Bindo et Baptista Venturi.
        (Entrent Bindo et Venturi.)

            BINDO, bas � Marie.
        Je viens tenter un dernier effort.

            MARIE
        Nous vous laissons; puissiez-vous r�ussir!
        (Elle sort avec Catherine.)

            BINDO
        Lorenzo, pourquoi ne d�mens-tu pas l'histoire scandaleuse qui court sur ton compte?

            LORENZO
        Quelle histoire?

            BINDO
        On dit que tu t'es �vanoui � la vue d'une �p�e?...

            LORENZO
        L'histoire est vraie, je me suis �vanoui.
  14. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV:

            LORENZO
        Qu'en dites-vous, seigneur Venturi? Parlez, parlez! Voil� mon oncle qui reprend haleine... Pas un mot? Pas un beau petit mot bien sonore? Vous ne connaissez pas la v�ritable �loquence. On tourne une grande p�riode...
        ... Ne voyez-vous pas � ma coiffure que je suis r�publicain dans l'�me? Regardez comme ma barbe est coup�e. N'en doutez pas un seul instant; l'amour de la patrie respire dans mes v�tements les plus cach�s.
  15. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV:

            UN PAGE, en entrant.
        Le Duc!

        . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

            LORENZO
        Quel exc�s de faveur, mon prince! Vous daignez visiter un pauvre serviteur en personne?
  16. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

            LORENZO
        J'ai l'honneur de pr�senter � Votre Altesse mon oncle Bindo Altoviti, qui regrette qu'un long s�jour � Naples ne lui ait pas permis de se jeter plus t�t � vos pieds. Cet autre seigneur est l'illustre Baptista Venturi...
  17. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

            LORENZO
        ... Que la pr�sence inattendue d'un si grand prince dans cette humble maison. ne vous trouble pas...
  18. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. IV:

            LE DUC, � ses gardes.
        Qu'on laisse passer ces deux personnes.
  19. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte III, sc. I:

            SCORONCONCOLO
        Ma�tre, as-tu assez du jeu?

            LORENZO
        Non. Crie plus fort...

            SCORONCONCOLO
        A l'assassin! Ou me tue! on me coupe la gorge!... A moi, mes archers! Au secours! On me tue! Lorenzo de l'enfer!...
  20. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

            SCORONCONCOLO
        (S'essuyant le front.) Tu as invent� un rude jeu, ma�tre... Ma�tre, tu as un ennemi...

            LORENZO
        ... Je te dis que mon seul plaisir est de faire peur � mes voisins.
  21. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte III, sc. I:

            SCORONCONCOLO
        Tu as un ennemi, ma�tre. Ne t'ai-je pas vu frapper du pied la terre et maudire le jour de ta naissance?
  22. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

            SCORONCONCOLO
        ... Tiens, ma�tre, crois-moi, tu maigris. Ton m�decin est dans ma gaine; laisse-moi te gu�rir. (Il tire son �p�e.)

            LORENZO
        Ce m�decin-l� t'a-t-il jamais gu�ri, toi?

            SCORONCONCOLO
        Quatre ou cinq fois. Il y avait une fois � Padoue une petite demoiselle qui me disait...

        {RDP 698} LORENZO.
        Montre-moi cette �p�e. Ah! gar�on, c'est une brave lame.

            SCORONCONCOLO
        Essaye-la et tu verras.

            LORENZO
        Tu as devin� mon mal...

            SCORONCONCOLO
        Quel est te nom de l'homme?

            LORENZO
        Qu'importe?
  23. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte, III, sc. I:

            LORENZO
        ... Si je l'abats du premier coup, ne t'avise pas de le toucher. Mais je ne suis pas plus gros qu'une puce et c'est un sanglier...
  24. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. X:

            LE DUC
        Qu'on me donne mon pourpoint de zibeline!... Quels gants faut-il prendre? Ceux de guerre ou~ceux d'amour?

            LORENZO
        Ceux d'amour, Altesse.
  25. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI:

            LE DUC
        Je suis transi, — il fait vraiment froid.
  26. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI:

            LE DUC
            (Il �te son �p�e.) Eh! bien, mignon, qu'est-ce que tu fais donc?

            LORENZO
        Je roule votre baudrier autour de votre �p�e et je la mets sous votre chevet. Il est bon d'avoir toujours une arme sous la main.
            (Il entortille le baudrier de mani�re � empecher l'�p�e de sortir du fourreau.)
  27. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI:

            LE DUC
        Tu sais que je n'aime pas les bavardes, et il m'est revenu que la Catherine �tait une belle parleuse. Pour �viter les conversations, je vais me mettre au lit...
  28. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

            LE DUC
        Faire la cour � une femme... cela m'a toujours paru tr�s sot, et tout � fait digne d'un Fran�ais. Aujourd'hui surtout que j'ai soup� comme trois moines, je serais incapable de dire seulement: « Mon cœur » ou « mes ch�res entrailles »...
  29. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI:

            (Il [le Duc] se couche.)
            (Lorenzo rentre, l'�p�e � la main.)
            LORENZO
        Dormez-vous, seigneur?
            (Il le frappe.)

            SCORONCONCOLO
        Est-ce fait?...
  30. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI:

            SCORONCONCOLO
        Ah! mon Dieu, c'est le Duc de Florence!
  31. {RDP}: Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.:

            SCORONCONCOLO
        Viens, ma�tre, nous en avons trop fait, sauvons-nous.
  32. {RDP} Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. XI:

            LORENZO
        Que la nuit est belle! que l'air du ciel est pur! Respire, respire, cœur navr� de joie!...

        Que le vent du soir est doux et embaum�! Comme les fleurs des prairies s'entr'ouvrent! 0 nature magnifique, � �ternel repos!... Ah! dieu de bont�, quel moment!

            SCORONCONCOLO
        Son �me se dilate singuli�rement...
  33. Rappelons qu'� l'�poque o� fut �crite cette Conspiration, Aurore Dudevant n'avait pas encore cr�e le nom George Sand.