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L'article CONTREFAÇON occupe les pages 296 à 345 et comporte huit sections. De la septième section, qui comporte quatre questions auxquelles repondent quatre sous-sections nous reproduisons la troisième question et sa réponse.
{339 cl.1} [...] 3 ° [L'auteur] acquiert-il, par la réimpressions qu'il en fait faire en France, et en remplissant les formalités prescrites par les lois, le droit de poursuivre comme contrefacteurs ceux qui le font ensuite réimprimer?
{339 cl.2} [...] III. Sur la troisième question, l'affirmative, déjà préjugée par l'un des motifs de l'arrêt que je viens de rappeler 1, a été formellement consacrée par un arrêt dont voici l'espèce :
Le sieur Anet de Cléry, qui, en sa qualité de valet de chambre de Louis XVI, avait suivi son maitre dans la prison du Temple, s'était retiré en Angleterre après le 21 janvier 1793 2; et là, il avait fait imprimer un ouvrage intitulé : Journal de ce qui s'est passé à la tour du Temple pendant la captivité de Louis XVI, roi de France.
Le 28 juillet 1814, traité par lequel les sieurs Gaillard et Grem, exerçant les droits de leurs épouses, filles et héritières du sieur Anet de Cléry, cèdent au sieur Chaumerot, libraire à Paris, la propriété du journal de leur beau-père.
Le 17 septembre suivant, le sieur Patris imprimeur à Paris, fait au ministère de la police générale, direction de la librairie, une déclaration annonçant qu'il réimprime cet ouvrage pour le compte du sieur Chaumerot.
La réimpression terminée, le sieur Chaumerot remplit les formalités nécessaires pour s'assurer le droit de poursuivre les contrefacteurs, et il fait annoncer dans le journal de la librairie, du 19 octobre 1816, la mise en vente de l'ouvrage.
Le 21 juin 1817, le sieur Michaud, libraire à Paris, fait annoncer dans le même journal une Histoire de la captivité de Louis XVI et de la famille royale, tant à la tour du Temple qu'à la Conciergerie, ouvrage dans lequel est inséré tout au long celui que les sieurs Gaillard et Grem avaient cédé au sieur Chaumerot.
De là une plainte en Contrefaçon de la part du sieur Chaumerot contre le sieur Michaud.
Le 26 août 1817 , jugement par lequel,
« Attendu que le sieur Cléry, par la composition de son ouvrage intitulé Journal de ce qui s'est passé à la tour du Temple pendant la captivité de Louis XVI, roi de France, en est devenu propriétaire; que lui, de son vivant, et ses héritiers après son décès, ont eu un droit exclusif à cette propriété pendant le temps déterminé par la loi; que le sieur Cléry n'avait pas abdiqué ses droits avant son dëcès, soit en publiant son ouvrage à Londres, parce qu'il était maitre de le publier où bon lui semblait, soit en en souffrant la publication en France, parce qu'une simple tolérance ne peut être considérée comme une renonciation à un droit acquis; que, du moment où ses héritiers ont fait connaître leurs droits par les voies {340 cl.1} légales, et à compter de ce moment, ils ont dû jouir de la plénitude de leurs droits; qu'eux ou le sieur Chaumerot, leur cessionnaire, les ont fait connaître en 1816, en déposant dans les lieux déterminés le nombre d'exemplaires prescrit, en remplissant les formalités prescrites; que c'est en 1816 que le sieur Chaumerot a fait imprimer et publier l'édition de l'ouvrage dont il s'agit, et que c'est en 1817 que le sieur Michaud, malgré les droits acquis audit sieur Chaumerot et la connaissance qu'il en avait ou a pu en avoir, a publié l'ouvrage dans lequel il a inséré l'écrit;
» Le tribunal ( correctionnel du département de la Seine ) déclare le sieur Michaud coupable du délit à lui imputé et prévu par les art. 427 et 429 du Code pénal; en conséquence, et conformément auxdits articles, condamne, par corps, Michaud à 100 francs d'amende; ordonne que l'édition de l'ouvrage dont il s'agit, intitulé Histoire de la captivité de Louis XVI et de la famille royale, tant à la tour du Temple qu'à la Conciergerie, et dans lequel est inséré l'ouvrage intitulé Journal de Cléry, sera et demeurera confisqué; condamne Michaud à payer en outre, par corps, audit Chaumerot, la somme de 1,000 francs à titre de dommages-intérèts, aux intérêts à compter du jour de la plainte; le condamne en outre aux dèpens; ordonne que les exemplaires saisis seront remis au sieur Chaumerot ».
Appel de ce jugement de la part du sieur Michaud à la cour royale de Paris, qui, par arrêt du 25 novembre de la même année, en adopte les motifs et le confirme.
Le sieur Michaud se pourvoit en cassation.
« Pour résoudre d'une manière satisfaisante ( dit-il ) la question de savoir si un auteur ou ses ayant-cause, après avoir imprimé en pays étranger la première édition d'un ouvrage, peuvent néanmoins jouir des avantages accordés par la loi du 19 juillet 1793, en réimprimant cet ouvrage en France et en remplissant les formalités ordonnées par cette loi, il importe de rechercher quelle est la nature des droits d'un auteur sur les ouvrages qu'il a composés.
» A cet égard, une grande différence est à faire entre le cas où l'ouvrage, soit manuscrit, soit imprimé, est encore entre les mains de l'auteur, et le cas où il a été livré au commerce.
» Dans la première hypothèse, la propriété de l'auteur est entière et absolue; il a le droit incontestable de posséder exclusivement, {340 cl.2} de céder à d'autres ou de transmettre à ses héritiers, son manuscrit et les exemplaires des éditions qu'il a fait imprimer.
» Mais une édition n'a pas plus tôt été mise en vente, un exemplaire n'en a pas plus tôt été vendu, que celui qui l'a acheté, a acquis sur cet exemplaire une propriété aussi entière, aussi absolue que celle de l'auteur; il peut le copier, le réimprimer à son tour, en user enfin de la manière la plus indéfinie, comme d'une chose qui lui appartient, à moins qu'un privilège n'attribue à l'auteur de cet ouvrage, un droit de propriété exclusive que la nature des choses ne lui donne pas.
» Tels sont les principes sur lesquels repose cette libre faculté dont jouit chaque peuple de profiter des productions littéraires des peuples voisins; de réimprimer, sans le consentement des auteurs, et malgré leur opposition, les ouvrages imprimés en pays étranger. S'il en était autrement, la réimpression, en pareil cas, ne serait autre chose qu'une odieuse spoliation, qu'une violation manifeste du droit de propriété.
» Les Anglais ont été appelés avant nous à méditer sur la nature de la propriété littéraire, et voici ce qu'on lit dans un de leurs plus savans répertoires : Il est certain que la propriété exclusive d'un manuscrit et de tout ce qu'il renferme, appartient indubitablement à l'auteur, AVANT qu'il soit imprimé ou publié; néanmoins, à l'instant même de la publication, le droit exclusif d'un auteur ou de ses ayant-cause à la communication de ses idées, s'évanouit et s'évapore immédiatement, comme étant un droit d'une nature trop subtile et trop INSUBSTANTIELLE pour devenir la matière d'une propriété régie par la loi commune, cette proprieté est uniquement susceptible d'être conservée par des statuts positifs et des provisions spéciales du magistrat (1).
(1) The law Dictionnary by Jacobs, London, 1797, v° Litterary property.
» Ainsi les jurisconsultes anglais professent qu'à l'instant même de la publication d'un ouvrage, la propriété exclusive de l'auteur s'évanouit et s'évapore, et que la loi commune est impuissante pour la lui conserver, que l'auteur ne peut retenir le droit de réimprimer seul et sans aucun concurrent 1es éditions postérieures, qu'à la faveur d'une loi spéciale qui, dérogeant au droit commun, établisse un droit exceptionnel.
» Cette doctrine, quelle qu'en soit l'origine, {341 cl.1} est suivie par tous les peuples de l'Europe.
» En France, c'est dans la loi du 19 juillet 1793 qu'on trouve le statut spécial protecteur de la propriété littéraire, et cette loi vient elle-même à l'appui de la théorie que nous retraçons. Il est sensible, en effet, que, par cela qu'elle confère aux auteurs le droit exclusif de profiter du produit de leurs ouvrages, elle reconnaît invinciblement que, dans l'état naturel des choses, ce droit appartient indistinctement à tous; car s'il était une suite du droit de propriété, l'auteur n'aurait aucunement besoin du privilège d'une loi spéciale pour pouvoir l'exercer; la loi commune le protégerait évidemment d'une manière assez efficace; il pourrait invoquer cette règle commune dans les pays où il n'aurait pas publié son livre, comme dans ceux où il l'aurait livré au commerce; sa propriété exclusive serait garantie en tous lieux par le droit des gens.
» Ce n'est donc pas la loi commune, c'est au contraire une loi spéciale qui accorde aux auteurs la faculté exclusive de réimprimer; et comme cette loi spéciale la leur accorde par dérogation à un droit naturel acquis à tous du jour de la première publication de l'ouvrage, il s'ensuit évidemment qu'une pareille concession ne peut être considérée que comme un privilégc; or , tout prîvilége est une faveur, et toute faveur est un don.
» De là deux conséquences : la première, c'est que le pouvoir public, qui est le donateur, a pu soumettre l'auteur, qui est le donataire, à l'accomplissement de certaines conditions; la seconde conséquence est que le privilège, autrement la donation, doit être acceptée par celui à qui elle est offerte.
» La condition du privilége, dans toutes les législations, est de faire imprimer l'ouvrage pour la première fois dans le pays où l'on prétend en recueillir les avantages; c'est là une condition essentielle, et ce priucipe, universellement reconnu par le droit des gens, est consacré par la jurisprudence même de la cour régulatrice.
» L'acceptation du privilége est dans l'observation des formalités établies à cet effet par les diverses législations; le privilége ne saisit pas; il faut le saisir.
» Or, ces principes ont été violés d'une manière étrange par le tribunal correctionnel et ensuite par la cour royale de Paris.
» D'une part, en effet, l'arrêt dénoncé reconnait en fait que le Journal du sieur Cléry a été imprimé, pour la première fois, {341 cl.2} à Londres, c'est-à-dire, en pays étranger.
» D'autre part, cependant, le même arrêt décide que le sieur Cléry a conservé son droit de propriété exclusive en France, nonobstant cette impression de son ouvrage faite en pays étranger.
» Il est donc manifeste qu'une telle décision est ouvertement opposée à la théorie qui vient d'être retracée.
» Il est vrai, et c'est un des principaux motifs donnés par l'arrêt attaqué à l'appui de son système, il est vrai que le sieur Chaumerot, cessionnaire des héritiers Cléry, a rempli les formalités voulues par la loi française pour constater sa propriété et s'en assurer la jouissance exclusive en France, et que ce n'est que postérieurement à l'accomplissement de ces formalités que le sieur Michaud a réimprimé à son tour l'ouvrage qu'on l'accuse d'avoir contrefait.
» Mais encore une fois, le sieur Cléry avait perdu sans retour son droit de propriété exclusive en France, par le fait de la publication de son journal en pays étranger. Qu'importe, dès-lors, que ses héritiers ou leur cessionnaire aient rempli les obligations prescrites par la loi du 19 juillet 1793? Qu'importe que le sieur Chaumerot ait déposé à la bibliothèque royale le nombre d'exemplaires déterminé par cette loi? A quoi bon l'accomplissement d'une formalité, lorsque le droit ou le privilège qu'elle a pour objet de conserver, est irrévocablement éteint et anéanti ».
Le sieur Chaumerot, intervenant pour défendre l'arrêt attaqué, répondait ainsi aux moyens de cassation de son adversaire :
« Où le sieur Michaud a-t-il vu qu'un auteur français perdit son droit de propriété en faisant imprimer son ouvrage en pays étranger? Dans quel code a-t-il puisé un principe aussi hétérodoxe et aussi dangereux?
» Personne n'ignore sans doute que la propriétê d'un ouvrage diffère essentiellement, quant à sa nature, de la propriété de toute autre chose; chacun sait, au contraire, que le droit des gens autorise tous les peuples à jouir des productions que peut enfanter le génie d'un peuple voisin; qu'ainsi, tous les ouvrages publiés à l'étranger, sont, par rapport à la France, considèrés comme dêpenclant du domaine public; qu'il est permis à chaque Français de traduire ces ouvrages, de les réimprimer, de les publier en France, sans que l'éditeur puisse craindre d'être poursuivi par les auteurs ou propriétaires, comme coupable de Contrefaçon; et que réciproquement tous les ouvrages français peuvent {342 cl.1} être traduits en langue étrangère, ou simplement réimprimés et vendus en pays étrangers, sans que les auteurs on propriétaircs soient fondés à se plaindre, parceque leur droit n'est garanti que par les lois civiles françaises, et que ces lois n'ont aucune influence hors du territoire français.
» Mais de ces principes, d'ailleurs incontestables, il ne résulte certainement pas que l'auteur français qui a d'abord publié son ouvrage en pays étranger, soit par là même irrèvocablement déchu de son droit d'auteur en France, s'il veut en user couformèment à la loi française 3.
» Comment, en effet, soutenir que cet auteur, après avoir imprimé son livre a l'ètrangcr, ne puisse en constater la propriété en France, pour rèclamer la garantie et les avantages accordés à la propriété littéraire par la loi du 19 juillet 1793?
» D'une part, la loi du 19 juillet 1793 n'assigne aux auteurs aucun dèlai pour remplir les formalités qu'elle exige; d'autre part, cette loi ne renferme aucune disposition de laquelle il soit possible d'inférer que le fait de la publication d'un ouvrage en pays étranger enlève à son auteur le droit de placer son livre sous la protection de la loi française et d'en invoquer la faveur.
» Or, il faut nécessairement conclure de ce silence que l'auteur d'un ouvrage qu'il a fait imprimer, d'abord en pays étranger, renonce, à la vérité, momentanément au privilège qui lui est offert par la loi française, mais qu'il peut ressaisir ce privilége aussitôt qu'il en a le dèsir, en remplissant les formalités auxquelles le privilège est subordonné.
» Ainsi, dans l'espèce, nul doute que le Journal de Cléry n'ait pu être réimprimé en France avant que les héritiers de l'auteur ou leur cessionnaire eût lui-même fait faire cette réimpression et l'eût placée sous la sauvegarde de la loi; mais nul doute aussi que toute réimpression faite depuis, sans le consentement de ce dernier, ne soit une atteinte à son droit de propriété exclusive , et ne constitue une véritable Contrefaçon, dans le sens de la loi du 19 juillet 1793 ».
Tels étaient, dans cette affaire, les moyens respectifs des parties; et il est aisé de sentir qne le sieur Chaumerot ne combattait pas ceux du sieur Michaud avec tout l'avantage qu'il eût pu le faire, en prouvant quc le sieur Michaud présentait la propriété littéraire sous un faux aspect.
En effet, le sieur Michaud prétendait que la propriété d'un ouvrnge livré au public par la voie de l'impression, ne devait être envisagée {342 cl.2} que comme une pure création du droit civil; et c'était, de sa part, une grande erreur, sinon par rapport à la législation anglaise, ce que je ne suis pas en ce moment à portée de vérifler, au moins par rapport à la législation française.
Si la propriété littéraire n'était qu'une création du droit civil, elle ne pourrait être acquise que par l'exact et entier accomplissement des formalités prescrites par le droit civil lui-même, pour la mettre à l'abri de la Contrefaçon; et il serait impossible qu'elle existât avant que ces formalités fussent remplies. Or, la preuve qu'elle existe, indépendamment de l'observation de ces formalités, c'est que, comme je l'ai établi dans le Répertoire de Jurisprudence, aux mots Marque de fabrique, n° 3, d'après le texte même de la loi du 19 juillet 1793, celui qui, sans les remplir, a rendu public en France un ouvrage de sa composition, peut, après les avoir remplies, poursuivre la Contrefaçon qui a été prècêdemment faite du fruit de ses veilles.
Si la propriété littéraire n'était qu'une création du droit civil, elle ne pourrait appartenir qu'aux régnicoles, ou du moins les étrangers ne pourraient y prétendre qu'autant qu'ils se trouveraient dans la position signalée par l'art. 13 du Code civil, c'est-à-dire, qu'autant qu'ils auraient été admis par l'autorisation du roi à établir leur domicile en France, et qu'ils continueraient d'y résider. Or, il est bien constant qu'elle appartient aux étrangers même non domiciliés en France, comme aux régnicoles; et non-seulement cela est ainsi décidé en toutes lettres par le décret du 5 février 1810, mais un arrêt de la cour de cassation, du 23 mars de la même année, a jugé que cette décision n'était pas introductive d'un droit nouveau.
Il faut donc nécessairement reconnaître que la propriété littéraire a sa source dans le droit des gens, que ce n'est pas le droit civil qui l'a créée, qu'elle existe par elle-même sans le secours du droit civil, et qu'elle ne tient du droit civil, ou ce qui est la même chose, de l'observation des formalités que le droit civil impose aux auteurs qui veulent s'en assurer la pleine jouissance, que la garantie à défaut de laquelle, sans en exister moins, elle pourrait être contrefaite impunément, ou, en d'autres termes, à défaut de laquelle le vol qui en serait fait, ne pourrait pas être puni, sans cesser pour cela d'être un véritable vol.
Mais, dès-lors, quelle difficullé pouvait-il {343 cl.1} y avoir dans l'affaire dont je viens de rendre compte, à rejeter le recours en cassation du sieur Michaud?
Le sieur Michaud aurait sans doute dû triompher, si la propriétè d'un ouvrage littéraire tombait dans le domaine public, par cela seul que cet ouvrage aurait été publié sans l'observation préalable des formalités qui en confèrent la garantie civile. Mais il n'en est pas, à cet égard, de la propriété d'un ouvrage littéraire comme de la propriété d'une invention industrielle. La loi refuse bien la garantie de la propriété d'une invention industrielle, du moment que cette invention a cessé d'être le secret de celui qui l'a faite. Et voilà pourquoi l'art. 16 de la loi du 7 janvier 1791, déclare, n° 4, que tout inventeur qui sera convaincu d'avoir obtenu une patente pour des découvertes déjà consignées et décrites dans des ouvrages imprimés et publiés, sera déchu de sa patente; voilà pourquoi un arrêt de la cour de cassation, du 20 février 1806, a jugé nul un brevet d'invention obtenu depuis que le procédé dont il confère l'usage exclusif à l'inventeur, est devenu public par le fait de celui-ci (1). Mais ce qui prouve invinciblement qu'il n'en est pas de même de la propriété littéraire, c'est, encore une fois, que l'auteur à qui elle appartient, ne la perd pas par cela seul qu'il la livre an public par la voie de l'impression, et qu'il peut encore, après l'avoir publiée, s'en assurer la jouissance exclusive et la mettre à l'abri de la Contrefaçon, par l'accomplissement des formalités prescrites par la loi.
(1) Repertoire de jurisprudence, aux mots Brevet d'invention, n° 5.
Il était donc impossible que le recours en cassation du sieur Michaud fût accueilli : et en effet, il a été rejeté par arrêt du 20 janvier 1818 4, au rapport de M. Lecouteur, et sur les conclusions de M. l'avocat-général Giraud-Duplessis,
« Attendu que l'arrêt dénoncé n'a ni violé ni faussement appliqué la loi du 19 juillet 1793, ni les autres lois sur les propriétés littéraires, en jugeant que Cléry avait pu faire imprimer son journal à Londres, et par suite, tolérer qu'il en circulât des exemplaires sur le territoire français, sans être réputé, pour cela, avoir renoncé à l'exercice de son droit d'auteur en France, conformèment aux lois françaises;
» Attendu que, pour exercer ce droit, les {343 cl.2} héritiers Cléry ont vendu leur manuscrit à Chaumerot, en 1814; que celui-ci, devenu cessionnaire, l'a fait imprimer en 1816 et a rempli toutes les formalités prescrites pour lui en assurer la vente exclusive; que ce n'est que postérieurement, et en 1817, que Michaud, malgré la connaissance qu'il avait ou pouvait avoir de l'édition légale faite par Chaumerot, a fait réimprimcr le même ouvrage, et qu'il n'a pu faire cette réimpression sans porter atteinte aux droits du cessionnaire et sans être contrefacteur;
» Attendu d'ailleurs que la procédure est régulière..... (1) ».
(1) Journal dea Audiences de la cour de cassation, année 1818, page 195.
[{91}] 36. L'auteur (français ou étranger) qui, après avoir publié son ouvrage à l'étranger, le publie plus tard en France, avec toutes les formalités prescrites par la loi, peut-il revendiquer en France la propriété exclusive de cet ouvrage? D'après le droit des gens reçu aujourd'hui en matière de propriété littéraire, d'arts ou d'inventions, il est vrai de dire que chaque nation peut impunément contrefaire les productions des autres nations, et que tout ce {92} qui est publié chez l'une tombe chez les autres dans le domaine public. Ce principe admis, on ne comprendrait pas comment l'auteur, qui après une première publication à l'étranger en ferait une deuxième en France, pourrait anéantir des droits désormais acquis au domaine public. Le jour où une publication se fait à l'étranger, la France entre en possession du droit de reproduire cette publication, et rien ne peut plus lui ôter, même pour l'avenir, la jouissance de ce droit. Autrement il faudrait distinguer entre le temps qui précède le dépôt fait en France par l'auteur et celui qui suivrait ce dépôt; les publications faites avant le dépôt seraient donc licites et pourraient continuer de se débiter; celles au contraire qui auraient paru après le dépôt, seraient réputées contrefaçons! Dans un pareil chaos, qui oserait entreprendre la publication en France d'un ouvrage publié à l'étranger? Nous nous priverions ainsi d'excellens ouvrages, tandis que l'étranger nous prend les nôtres sans difficulté. Si un auteur veut se réserver la propriété de son œuvre en France en même temps qu'à l'étranger, qu'il en fasse deux publications simultanées, l'une ici, l'autre là-bas; qu'il remplisse les formalités légales de part et d'autre, et ses droits seront conservés. Alors le contrefacteur français ne pourra prétendre que la publication à l'étranger a eu pour effet d'enrichir le domaine public en France, puisque cette publication n'aura point précédé même d'un instant la publication faite sur le territoire français (1). Voilà selon nous les vrais principes.
(1) Voyez n° 126. [nous ne le reproduisons pas]
La cour de cassation s'est prononcée deux fois sur cette question. Une première fois elle l'a résolue dans notre sens; une seconde fois dans le sens opposé.
{93} Son premier arrêt est du 17 nivose an XIII. Il s'agissait d'œuvres musicales publiées par Pleyel, d'abord en Allemagne, puis en France, et réimprimées par un éditeur français qui pour ce fait était prévenu de contrefaçon. Voici les termes de l'arrêt : « Attendu que la loi du 19 juillet 1793 concernant les contrefaçons ne peut être applicable qu'aux ouvrages faits par un Français et contrefaits par un autre Français, et non à des ouvrages publiés par des auteurs non Français dans un pays étranger (l), et dont il a été fait nouvelle gravure en France; qu'il résulte de là que Sieber, marchand de musique à Paris, a pu y faire graver des compositions musicales faites par Pleyel en Allemagne et par lui publiées à l'étranger, etc.; rejette. »
(1) La cour semble motiver sa décision sur ce que l'auteur n'est pas Français; cette considération accessoire serait absolument nulle aujourd'hui que le décret du 5 fév. 1810 a mis sur la même ligne le Français et l'étranger. C'est le seul fait de publication en pays étranger qui doit, en pareil cas, fixer l'attention.
Le 30 janvier 1818, la même cour juge au contraire que Cléry en publiant à l'étranger ses mémoires sur la captivité de Louis XVI, n'a pas aliéné le droit de les publier en France à l'exclusion de tous autres. Voici les termes de l'arrêt : « Attendu que l'arrêt de la cour royale n'a point violé les lois en jugeant que Cléry avait pu faire imprimer son journal à Londres, et par suite tolérer qu'il en circulât des exemplaires sur le territoire français, sans être réputé pour cela avoir renoncé à l'exercice de son droit d'auteur en France, conformément aux lois françaises; que les héritiers de Cléry ayant fait en France une publication régulière dans le cours de l'année 1816, M... a fait imprimer le même ouvrage en 1817, c'est-à-dire postérieurement, et qu'en conséquence il a commis le délit de contrefaçon, etc. »
La cour royale de Paris a adopté un mezzo termine. {94} Selon elle, la publication faite à l'étranger ne suffit pas pour donner ouverture aux droits du domaine public en France, il faut encore que le domaine public en ait pris possession par une publication faite sur le territoire français par tout autre que par l'auteur; si l'auteur, après avoir publié à l'étranger, publie en France avant tout autre, il conserve son droit de propriété; s'il arrive après une contrefaçon, son droit est perdu (cour royale de Paris, app. corr., 26 novembre 1828; Gazette du 29 (1)).
(1) Voici le texte de l'arrêt : « Considérant que, de l'économie des lois sur la contrefaçon d'œuvres musicales, il résulte que tout auteur ou éditeur qui met au jour, c'est-à-dire qui publie pour la première fois en France un ouvrage, en accomplissant les formalités du dépôt, assure à lui et à ses ayant-cause la propriété exclusive dudit ouvrage pour le temps déterminé par ces lois; que dès lors, si l'auteur ou ses ayant-cause ont publié un ouvrage sans accomplir la formalité du dépôt, ou n'ont fait cette publication qu'après que d'autres l'avaient déjà faite en France, sur les éditions déjà imprimées ou gravées à l'étranger, le dit éditeur où ses ayant-cause ne se trouvent point dans les conditions prévues par les lois pour l'obtention du privilège qu'elles concèdent, et ne peuvent plus se ressaisir d'un droit qu'ils ont négligé d'acquérir ou de conserver, à moins qu'avant toute publication faite par un autre éditeur, ils n'aient accompli la formalité du dépôt qu'ils n'avaient pas remplie.
» Considérant, en fait, que l'opéra de Mahomet II, déjà publié plusieurs fois à l'étranger, l'avait été également en France par plusieurs éditeurs, et notamment par Paccini, qui avait accompli la formalité du dépôt avant la publication faite par Troupenas, cessionnaire de Rossini; que plusieurs morceaux du Mahomet II ont été intercalés par Rossini dans son opéra ayant pour titre le Siège de Corinthe; que Pleyel et Aulagnier, en publiant sous une forme quelconque tout ou partie de ces morceaux, n'ont point contrefait l'opéra du Siège de Corinthe, et n'ont fait que reproduire partie de l'opéra du Mahomet II, déjà publié et ainsi tombé dans le domaine public, etc. »
Ce dernier système ne saurait nous satisfaire, non plus que le second arrêt de la cour de cassation. Comme nous le disions au commencement, le seul fait de la publication à l'étranger investit notre domaine public d'un droit qu'on {95} ne peut plus lui enlever. Ce droit n'est point entamé par la publication que l'auteur ferait plus tard en France; ce droit, pour exister, n'a pas besoin non plus d'une prise de possession, indifférente en légalité, et, en fait, sujette à de nombreuses difficultés.
{273} [...] PAYS ÉTRANGER. — Il est incontestable que la propriété de l'auteur ne trouve de garantie que dans la loi française, et que la puissance de nos lois s'arrête aux limites du territoire. Mais faut-il en tirer cette conséquence que, lorsqu'un Français publie d'abord son ouvrage en pays étranger, il perd irrévocablement ses droits par le fait seul de cette publication. L'esprit et le texte de la loi repoussent une pareille interprétation.
Le droit de propriété, consacré par la loi du 19 juillet 1793, est un principe large et illimité. Il découle nécessairement du fait de la composition. La loi ne trace aucune limite, et n'impose aucune formalité à l'exercice de ce droit, si ce n'est, comme nous le verrons plus loin, celle du dépôt; encore n'est-elle pas nécessaire à l'existence du droit de propriété, mais seulement à la poursuite du contrefacteur. L'esprit de la loi repousse donc énergiquement cette déchéance. Quant au texte, il est muet sur cette question, et on ne peut suppléer une déchéance par voie d'induction, d'abord parce que les peines ne se suppléent pas, ensuite parce que le silence de la loi est d'accord avec son esprit. N'est-il pas évident, en effet, que si une exception aussi exorbitante eût préoccupé le législateur, il l'eut expressément formulée, comme il l'a fait dans les lois de 1791, relatives aux brevets d'invention. Au lieu de cela, il pose en principe général le droit de propriété; il le fait découler immédiatement, et nécessairement, {274} et dégagé de toutes les entraves de la formalité, du fait même de l'invention. Or, la publication en pays étranger ne fait pas que l'invention soit due à une autre intelligence. La conséquence de cette invention, qui n'est autre chose que le droit exclusif, doit donc rester la même. Une seule atteinte est portée par la loi au droit de propriété exclusive, c'est la déchéance de ce droit, quelques années après la mort de l'auteur; mais pendant sa vie il le conserve entier, et l'exerce où et quand il lui plait d'en user. Il peut même laisser débiter en France son ouvrage publié en pays étranger, sans perdre son droit d'auteur, parce qu'une simple tolérance ne peut être considérée comme la renonciation à un droit acquis (1). Si donc, au mépris de ce droit, et s'autorisant {275} à tort de la publication étrangère, on publiait son œuvre en France, l'auteur n'aurait qu'à faire le dépôt prescrit par la loi pour user de la plénitude de son droit, et poursuivre les contrefacteurs. Il en est de même après sa mort, et du moment où ses héritiers ont fait connaître leurs droits par les voies légales, et à compter de ce moment, ils doivent jouir de la plénitude du droit exclusif. On cite pour l'opinion contraire un arrêt de la cour suprême ([2]); mais il ne peut faire autorité, par la raison qu'il se {275} fonde sur ce que les lois françaises, relatives à la propriété littéraire, ne concernent que les ouvrages faits par un Français, et contrefaits par un autre Français, distinction formellement proscrite, depuis cet arrêt, par le décret du 5 février 1810, dont l'art. 40 porte : Les auteurs soit nationaux, soit étrangers, ce qui tranche la difficulté.
[{274}] (1) 30 janvier 1818. — Chaumerot, C. Michaud. — Cassation.
[Nous ne reproduisons pas cette note, mais renvoyons à Merlin, IV, p.339 sqq., version complète de l'affaire.]
[{275}] ([2]) 17 nivôse an 13. — Pleyel, C. Sieber. — Cassation
[Nous ne reproduisons pas cette note, mais renvoyons à Gastambide, n° 36, p.93.]
{388} [...] L'arrêté par lequel M. Locré ajoute que cette discussion fut terminée s'étend à tous les héritiers, et n'est d'accord, en ce point, ni avec les rédactions successives du decret, ni avec la réponse en marge des questions, telle qu'elle a été imprimée pour les délibérations du conseil. Voici comment il rapporte cet arrêté :
« Le conseil d'état arrête que les dispositions de la loi du 19 juillet 1793, relatives à la propriété des ouvrages, seront maintenues avec la modification qu'elle appartiendra aux heritiers pendant vingt ans depuis la mort de l'auteur. »
L'opinion émise par l'empereur sur les inconvéniens de la perpétuité d'une propriété littéraire est fort remarquable, et signale, avec une grande justesse, les inconvéniens qui naîtraient de son application. Les preuves abondent, dans les discussions du conseil d'état, de cette netteté d'intelligence et de cette supériorité de bon sens, à la lumière desquelles, dans les questions débattues devant lui, et sur les matières qui devaient lui être le plus étrangères, il allait droit aux considérations les plus élevées et les plus pratiques 5.
Le projet de décret fut longuement élaboré. J'ai eu sous les yeux les neuf rédactions successives qui en furent faites. On l'adopta définitivement dans la séance du 13 janvier 1810, {389} après des amendemens assez nombreux à la neuvième de ces rédactions.
Les articles relatifs à la propriété et à sa garantie, ne furent pas ceux qui éprouvèrent le plus de changement.
Voici quelles furent les rédactions successives des articles compris sous ce titre :
(Article 39). « Le droit de propriété est garanti à l'auteur ou à sa veuve pendant leur vie, et à leurs enfans pendant vingt ans. » Telles furent les quatre premières rédactions. A la cinquième rédaction, on s'exprima mieux en disant : à l'auteur et à sa veuve, etc.. Ce ne fut qu'après la neuvième rédaction que l'on ajouta cette restriction au droit de la veuve : si les conventions matrimoniales lui en donnent le droit.
(Article 40). Les trois premières rédactions étaient : « L'auteur peut céder son droit à un imprimeur ou libraire qui est alors substitué en son lieu et place, pour lui et ses ayant-cause, comme il est dit en l'article précédent. » On dit à la quatrième rédaction : ... à un imprimeur ou libraire, ou à toute autre personne qui est alors substituée en son lieu et place, etc.. On dit à la septième rédaction : les auteurs soit nationaux , soit étrangers, peuvent céder leur droit, etc.... Ce fut après la neuvième rédaction que l'on ajouta : les auteurs soit nationaux, soit étrangers, de tout ouvrage imprimé ou gravé, etc...
Ces deux articles font seuls partie du décret. On lisait, dans les trois premières rédactions cet autre article : « L'individu qui aura fait le premier sa déclaration pour la traduction ou publication d'un ouvrage imprimé et publié à l'étranger, jouira en France des droits d'auteur. » A la quatrième rédaction, on ajouta cette restriction : pour sa traduction ou sa publication en langue originale, et un second paragraphe ainsi conçu : « Toutefois, tout autre traducteur pourra imprimer une traduction nouvelle, et le texte en regard. » Cet article disparaît entièrement dès la septième rédaction.
{390} Je ne parle point de divers autres projets, qui n'émanaient pas de la section de l'intérieur, et qui furent proposés succevsivemeat. Il y en eut un qui conférait au directeur de la librairie le droit de concéder des privilèges temporaires pour les ouvrages de domaine public.
[...]
{173} [...] 73. Les ouvrages publiés, pour la première fois, à l'étranger se trouvent-ils, par cette publication, dévolus en France au domaine public; ou bien, au contraire, conserve-t-on privilège en France pour un ouvrage antérieurement publié en pays étranger?
Sur cette grave question, la loi se tait et la jurisprudence se divise.
Deux arrêts, en sens opposé, ont été rendus par la cour de cassation; le premier est du 17 nivose an XIII. (2)
(2) Répertoire. Contrefaçon, § 10.
« Considérant 1° que la loi du 19 juillet 1793 concernant les contrefaçons ne peut être applicable qu'aux ouvrages faits par un Français, contrefaits par un autre Français, et non à des ouvrages publiés par un auteur non français dans un pays étranger, et dont il a été fait nouvelle gravure en France; qu'il résulte de là que Sieber, marchand de musique à Paris, a pu y faire graver des compositions musicales faites par Pleyel en Allemagne et par lui publiées à l'étranger; 2° que Sieber a pu pareillement faire faire ce qu'il appelle des traductions de ces sortes d'ouvrages pour les rendre propres à d'autres instrumens que ceux pour lesquels ils avaient été faits par leur auteur; 3° que si plusieurs de ces traductions ont été publiées et vendues en France par Sieber avec l'indication de Pleyel pour auteur, cette circonstance ne constituerait pas le délit de contrefaçon et ne présenterait qu'un abus de nom; 4° qu'il n'est point établi par Pleyel que Sieber lui ait fait soustraire en Allemagne quelques-unes de ses compositions manuscrites pour les faire graver en France; 5° qu'il n'est pas prouvé non plus que Sieber ait fait faire de nouvelles gravures {174} des compositions musicales publiées par Pleyel depuis son établissement en France; Rejette. »
Une jurisprudence toute contraire résulte d'un arrêt du 30 janvier 1818 qui rejette un pourvoi contre un arrêt de la cour royale de Paris du 25 novembre 1827, à l'occasion du Journal de ce qui s'est passë à la tour du Temple pendant la captivité de Louis XVI. (1)
(1) Questions de droit, CONTREFAÇON, § 7.
[ici Merlin, IV, p.339 sqq., version complète de l'affaire]
« Attendu que l'arrêt dénoncé n'a ni violé, ni faussement appliqué la loi...., en jugeant que Cléry avait pu faire imprimer son Journal à Londres, et, par suite, tolérer qu'il en circulât des exemplaires sur le territoire français, sans être réputé, pour cela, avoir renoncé à l'exercice de son droit en France , conformément aux lois françaises; attendu que, pour exercer ce droit, les héritiers Cléry ont vendu leur manuscrit à Chaumerot en 1814; que celui-ci, devenu cessionnaire, l'a fait imprimer en 1816 , et a rempli toutes les formalités prescrites pour lui en assurer la vente exclusive; que ce n'est que postérieurement, et en 1817, que Michaud, malgré la connaissance qu'il avait ou pouvait avoir de l'édition légale faite par Chaumerot, a fait imprimer le même ouvrage; et qu'il n'a pu faire cette réimpression sans porter atteinte aux droits du cessionnaire et sans être contrefacteur. »
Dans l'espèce suivante, le tribunal de la Seine a adopté la jurisprudence du premier des deux précédens arrêts; et la cour de Paris, tout en continuant à reconnaître à l'auteur d'un ouvrage publié à l'étranger, ou à ses ayant-cause, un droit exclusif en France, n'a fait partir l'ouverture de ce droit qu'à compter de l'accomplissement de la formalité du dépôt.
Le tribunal correctionnel de la Seine avait, par jugement du 29 mai 1827, déclaré Troupenaz non recevable dans une plainte formée par lui contre Pleyel et Aulagnier : « Considérant, en droit, que si l'art. 426 du code pénal répute délit de contrefaçon l'introduction en France d'ouvrages français {175} contrefaits à l'étranger, il n'a pas placé dans la même catégorie les ouvrages étrangers contrefaits en France; d'où il faut conclure que l'intention du législateur n'a point été de donner aux auteurs étrangers le privilège accordé aux auteurs français; par la raison toute simple qu'il n'y aurait pas eu réciprocité, l'expérience démontrant que, tous les jours, et presque aussitôt leur publication en France, les ouvrages français sont impunément contrefaits et vendus à l'étranger. » Sur l'appel de Troupenaz, arrêt de la cour royale de Paris du 26 novembre 1828, qui, tout en adoptant les motifs des premiers juges, les a modifiés en y ajoutant ce qui suit : « Considérant que de l'économie des lois sur la contrefaçon d'œuvres musicales, il résulte que tout auteur ou éditeur qui met au jour, c'est-à-dire qui publie pour la première fois en France un ouvrage en accomplissant les formalités du dépôt, assure à lui et à ses ayant-cause la propriété exclusive dudit ouvrage pour le temps déterminé par ces lois; que, dès-lors, si l'auteur ou ses ayant-cause ont publié un ouvrage sans accomplir la formalité du dépôt, ou n'ont fait cette publication qu'après que d'autres l'avaient déjà faite en France sur les éditions déjà imprimées ou gravées à l'étranger, ledit éditeur ou ses ayant-cause ne se trouvent pas dans les conditions prévues par les lois pour l'obtention du privilège qu'elles concèdent, et ne peuvent plus se ressaisir d'un droit qu'ils ont négligé d'acquérir ou de conserver, à moins qu'avant toute publication faite par un autre éditeur, ils n'aient accompli la formalité du dépôt qu'ils n'avaient pas remplie. » (1)
(1) Dalloz, 1829, 2, 1.
Allant plus loin, la même cour a complètement abandonné son premier système par arrêt du 18 février 1832 (2) : « Attendu que si Giraldon-Bovinet a acquis la propriété des sujets poursuivis, il a perdu le privilège privatif de leur publication en éditant les mêmes sujets en pays étranger, ce qui les a mis {176} dans le domaine public et a autorisé les prévenus à les faire graver et à les vendre à leur profit; que le dépôt postérieur à ces publications n'a pu avoir pour résultat d'anéantir les conséquences de ces faits; Infirme. »
(2) Gaz. des trib. 6 janvier et 1er mars 1832.
La conciliation entre les deux arrêts de la cour de cassation ne serait pas impossible. L'arrêt de l'an XIII décide que l'ouvrage d'un étranger, imprimé à l'étranger, appartient en France au domaine public; il ne statue pas pour le cas d'un ouvrage imprimé à l'étranger, mais dont l'auteur serait Français. L'arrêt de 1818, rendu à l'occasion de l'ouvrage d'un Français, ne statue rien sur le cas où l'auteur serait un étranger. S'il était nécessaire de concilier ces deux arrêts, on pourrait en conclure qu'un ouvrage imprimé à l'étranger, sans l'avoir été en France, peut devenir, en France, l'objet d'un privilège si l'auteur est Français, mais ne le peut pas si l'auteur est étranger. Mais, pour s'arrêter à cette solution, il faudrait que la loi française eût fait deux classes des auteurs français et des auteurs étrangers; or, au contraire, l'art. 40 du décret du 5 février 1810 place les auteurs nationaux et étrangers sur la même ligne. Si l'on peut repousser l'étranger qui demanderait un privilège en France en lui disant que son ouvrage a déjà paru ailleurs, pourquoi n'en dirait-on pas autant au Français? S'il reste encore un droit au Français, après l'impression hors de France, pourquoi ce même droit ne resterait-il pas aussi à l'étranger?
Il est plus logique d'opter nettement entre les deux systèmes. Pour moi, je pense qu'il faut adopter celui de l'arrêt du 17 nivose an XIII et du jugement du 29 mai 1837, conforme à l'ancienne jurisprudence attestée par un arrêt du conseil du 14 mars 1583 et par un arrêt du parlement de Paris du 15 mars 1586. (1)
(1) V. t. 1er, p. 117 et 112.—La même doctrine est soutenue par M. Gastambide, n° 36; et la doctrine contraire par M. Et. Blanc, p. 273.
En faveur de la conservation du droit des auteurs dont {177} l'ouvrage a paru dans l'étranger avant d'être publié en France, on dit qu'aucune loi ne prononce en ce cas une déchéance, et que les déchéances ne se suppléent pas; que les faits consommés à l'étranger sont, aux yeux de la loi française, comme s'ils n'existaient pas; on dit, enfin, qu'il est digne de la France de prendre une généreuse initiative pour la protection des travaux de l'intelligence, à quelque nation qu'ils appartiennent.
S'il s'agissait, non d'interpréter îa loi existante, mais de fonder un droit international, je comprendrais tous les argumens tirés de l'avantage d'étendre, même sur les étrangers, une libérale protection. Mais, dans l'état actuel des législations, la réciprocité est la première base des relations de peuple à peuple. La France ne peut pas se condamner à ne fabriquer les livres étrangers que grevés du renchérissement que la rétribution payée à l'auteur ferait peser sur chaque exemplaire, tandis que l'étranger fabriquerait les livres français avec affranchissement de cette rétribution. Une telle largesse nationale ne pourrait dériver que d'un texte formel de loi; jusque-là, comme les privilèges garantis aux auteurs sont des stipulations du droit civil, il faut s'en tenir à l'application du principe qui ne permet pas d'étendre d'un pays à l'autre le bénéfice de pareilles concessions. Je me garderais de blâmer la loi qui ferait respecter en France le privilège de Walter Scott ou de Byron, de Schiller ou de Goethe; mais je dis que, sous notre législation, telle qu'elle existe, les productions de ces auteurs appartiennent, en France, au domaine public; et que cette interprétation est conforme à l'usage universel et de la France et de tous les autres pays. Si les ouvrages étrangers sont du domaine public en France, ainsi que les publications françaises sont du domaine public à l'étranger, je n'aperçois pas sur quels motifs on ferait reposer une exception en faveur du Français qui s'est fait étranger, en publiant, hors de la France, la première édition de son ouvrage. L'article 40 du décret de 1810 {178} a voulu attirer en France les premières publications, en assimilant, en ce cas, les étrangers aux nationaux. Ne serait-ce pas se mettre en contradiction avec l'esprit de ce décret que d'encourager les auteurs français à faire leurs premières publications à l'étranger? Enfin, l'argument que je crois décisif est celui-ci : la société garantit un privilège aux auteurs, parce qu'en échange des droits exclusifs qu'elle leur affecte, elle reçoit d'eux la communication d'un ouvrage qui ne devient public qu'à cette condition et à ce prix. Si l'ouvrage est déjà devenu public par le fait de l'auteur, celui-ci ne livre plus rien à la société; il ne lui donne pas son ouvrage; car elle s'en trouve déjà en possession, et elle le rencontre ailleurs dans la circulation sans stipulation et sans contrat.
[...] 180. Il est de toute évidence que nul ne peut, ni vendre deux fois le même ouvrage, ni exploiter lui-même l'ouvrage qu'il a précédemment vendu. Il serait superflu de rapporter les nombreux procès dans lesquels a été appliqué ce principe qui n'est pas susceptible d'une contestation sérieuse , ni même plausible.
S'il se présente des difficultés, elles ne proviennent d'aucun {314} doute sur le principe; elles naissent par l'absence de contrats, par l'obscurité et l'imperfection des clauses de traités. Elles peuvent dériver aussi de ce que l'auteur n'aura employé, dans un ouvrage postérieur, qu'une partie de celui qu'il aura précédemment vendu; mais, en ce cas, l'embarras n'est que de savoir s'il y a reproduction assez notable du premier ouvrage pour constituer une contrefaçon : c'est la question de contrefaçon ou de plagiat sur laquelle nous nous sommes amplement étendus; n° 12 6. Ainsi, l'on a jugé qu'un auteur, après avoir vendu une Geographie de la France en un volume, avait pu publier une autre géographie, contenant un volume pour chaque département, dans laquelle étaient reproduits plusieurs passages du premier ouvrage. Jugement du tribunal de la Seine du 17 juillet 1829. (1)
(1) Renart contre Girault-de-Saint-Fargeau et Bandoni. Gaz. des trib. 18 juillet 1829.
Si un auteur, après avoir vendu un ouvrage, en publiait un abrégé au préjudice de son cessionnaire, il serait réputé contrefacteur, car nous avons vu que le droit d'abréger un ouvrage est attaché au privilège; n° 13 7. Il pourrait, en cette circonstance, en être autrement, si l'auteur n'avait pas aliéné la totalité de son privilège et n'avait vendu que le droit à une édition.
Qu'un auteur ne puisse pas publier une édition nouvelle, lorsqu'un traité lui interdit de le faire avant l'épuisement d'une autre édition par lui vendue, c'est ce qui est trop évident pour avoir besoin d'être dit. Quand le traité n'aurait point prévu ce cas, la décision devrait encore être la même. C'est un principe général, en matière de vente , que le vendeur doit faire jouir de la chose l'acheteur, et ne point apporter, par son fait, obstacle à cette jouissance; ce qui arriverait si, lorsqu'une édition existe encore en magasin, on venait , par une édition nouvelle, non-seulement faire concurrence à l'ancienne, mais la discréditer, la vieillir et la tuer. {315} Le tort serait surtout considérable si l'édition nouvelle contenait des corrections ou additions.
Un usage assez ordinaire, et prudent, est de déterminer à l'avance, soit l'époque à laquelle une édition nouvelle pourra être faite, quel que soit le nombre des exemplaires alors restant, soit le nombre d'exemplaires restant qui ne feront point obstacle à une édition nouvelle. Par là on évite des contestations, et l'on se met en garde contre la négligence que peut apporter un éditeur à faire écouler une fin d'édition.
Quand un auteur a vendu, sans restrictions ni réserves, un ou plusieurs de ses ouvrages, il ne peut, sans encourir les peines de la contrefaçon, réimprimer dans une collection de ses œuvres les ouvrages vendus. Ainsi M. Alexandre Dumas, après avoir vendu à Vézard, représenté depuis par Barba, le drame de Henri III, et à ce dernier, moyennant 10,000 francs, le drame de Christine, et qui s'était réservé, quant à ce dernier drame seulement, le droit de le comprendre dans ses œuvres complètes après l'épuisement de la première édition, crut pouvoir comprendre ces deux pièces dans une édition générale de ses œuvres, avant que la première édition de Christine fût épuisée. Un jugement du tribunal de la Seine, du 6 mai 1834, condamna M. Dumas à 5 francs et l'éditeur de ses œuvres complètes à 100 francs d'amende, et tous deux solidairement à 1,200 francs de dommages et intérêts; et ordonna, au profit de Barba, la confiscation de tous les exemplaires de l'ouvrage où se trouvent les deux pièces. La cour royale de Paris, par arrêt du 2 juillet 1834 (1), porta l'amende à 100 francs contre M. Alexandre Dumas, comme contre M. Charpentier; elle évalua à 3,000 francs les dommages et intérêts; mais dit qu'il n'y aurait pas lieu à la confiscation des oeuvres complètes, qui avaient été tirées à 1,200 exemplaires. Cette dernière disposition de l'arrêt était en quelque sorte un contrat que l'autorité judiciaire imposait {316} aux parties : elle créait une sorte de rétrocession, en vertu de laquelle M. Dumas s'est trouvé autorisé à faire, dans 1,200 exemplaires de ses œuvres complètes, emploi des deux drames déjà vendus par lui. Pour apprécier la légalité de cette transaction d'équité, il faudrait vérifier les conclusions respectivement prises par les parties : en l'absence de consentement de leur part, il y aurait eu excès de pouvoir à suppléer ainsi d'office à des conventions. Il n'appartient pas aux tribunaux de créer, sans stipulation des parties, une vente et un achat de droits privés , et d'en déterminer les conditions et le prix. L'autorité judiciaire a pour mission de faire respecter et exécuter les contrats, et non de dresser et d'imposer des contrats.
(1) [{315}] Gaz. des trib, 30 avril, 7 mai, 15, 29 juin, 3 juillet 1834.
Un auteur qui, en vendant séparément un de ses ouvrages, s'est réservé le droit de le publier dans la collection de ses œuvres complètes, enfreint la convention s'il publie ses œuvres complètes, et, particulièrement, l'ouvrage cédé, en livraisons qui puissent être achetées séparément. Ainsi jugé contre M. Paul de Kock, au profit de M. Barba, par arrêt de la cour royale de Paris du 23 juillet 1836. (1)
(1) Gaz. des trib. 5 décembre 1835; 16, 24 juillet, 13 août 1836.
Il en est autrement si la publication des livraisons est calculée de manière à ce qu'elles ne puissent être achetées séparément. Car ce que le traité défend, ce n'est pas de publier la collection générale des œuvres par livraisons, aussi bien que par tout autre mode, c'est de livrer séparément au public ce que l'on s'est interdit le droit de vendre séparément. Ainsi jugé, par arrêt de la cour royale de Paris du 12 mars 1836, entre MM. Barba et Charpentier, au sujet du théâtre de M. Alexandre Dumas. (2)
(2) Dalloz, 1836, 2, 109.