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L'article CONTREFAÇON occupe les pages 296 � 345 et comporte huit sections. De la septi�me section, qui comporte quatre questions auxquelles repondent quatre sous-sections nous reproduisons la troisi�me question et sa r�ponse.
{339 cl.1} [...] 3 ° [L'auteur] acquiert-il, par la r�impressions qu'il en fait faire en France, et en remplissant les formalit�s prescrites par les lois, le droit de poursuivre comme contrefacteurs ceux qui le font ensuite r�imprimer?
{339 cl.2} [...] III. Sur la troisi�me question, l'affirmative, d�j� pr�jug�e par l'un des motifs de l'arr�t que je viens de rappeler 1, a �t� formellement consacr�e par un arr�t dont voici l'esp�ce :
Le sieur Anet de Cl�ry, qui, en sa qualit� de valet de chambre de Louis XVI, avait suivi son maitre dans la prison du Temple, s'�tait retir� en Angleterre apr�s le 21 janvier 1793 2; et l�, il avait fait imprimer un ouvrage intitul� : Journal de ce qui s'est pass� � la tour du Temple pendant la captivit� de Louis XVI, roi de France.
Le 28 juillet 1814, trait� par lequel les sieurs Gaillard et Grem, exer�ant les droits de leurs �pouses, filles et h�riti�res du sieur Anet de Cl�ry, c�dent au sieur Chaumerot, libraire � Paris, la propri�t� du journal de leur beau-p�re.
Le 17 septembre suivant, le sieur Patris imprimeur � Paris, fait au minist�re de la police g�n�rale, direction de la librairie, une d�claration annon�ant qu'il r�imprime cet ouvrage pour le compte du sieur Chaumerot.
La r�impression termin�e, le sieur Chaumerot remplit les formalit�s n�cessaires pour s'assurer le droit de poursuivre les contrefacteurs, et il fait annoncer dans le journal de la librairie, du 19 octobre 1816, la mise en vente de l'ouvrage.
Le 21 juin 1817, le sieur Michaud, libraire � Paris, fait annoncer dans le m�me journal une Histoire de la captivit� de Louis XVI et de la famille royale, tant � la tour du Temple qu'� la Conciergerie, ouvrage dans lequel est ins�r� tout au long celui que les sieurs Gaillard et Grem avaient c�d� au sieur Chaumerot.
De l� une plainte en Contrefa�on de la part du sieur Chaumerot contre le sieur Michaud.
Le 26 ao�t 1817 , jugement par lequel,
« Attendu que le sieur Cl�ry, par la composition de son ouvrage intitul� Journal de ce qui s'est pass� � la tour du Temple pendant la captivit� de Louis XVI, roi de France, en est devenu propri�taire; que lui, de son vivant, et ses h�ritiers apr�s son d�c�s, ont eu un droit exclusif � cette propri�t� pendant le temps d�termin� par la loi; que le sieur Cl�ry n'avait pas abdiqu� ses droits avant son d�c�s, soit en publiant son ouvrage � Londres, parce qu'il �tait maitre de le publier o� bon lui semblait, soit en en souffrant la publication en France, parce qu'une simple tol�rance ne peut �tre consid�r�e comme une renonciation � un droit acquis; que, du moment o� ses h�ritiers ont fait conna�tre leurs droits par les voies {340 cl.1} l�gales, et � compter de ce moment, ils ont d� jouir de la pl�nitude de leurs droits; qu'eux ou le sieur Chaumerot, leur cessionnaire, les ont fait conna�tre en 1816, en d�posant dans les lieux d�termin�s le nombre d'exemplaires prescrit, en remplissant les formalit�s prescrites; que c'est en 1816 que le sieur Chaumerot a fait imprimer et publier l'�dition de l'ouvrage dont il s'agit, et que c'est en 1817 que le sieur Michaud, malgr� les droits acquis audit sieur Chaumerot et la connaissance qu'il en avait ou a pu en avoir, a publi� l'ouvrage dans lequel il a ins�r� l'�crit;
» Le tribunal ( correctionnel du d�partement de la Seine ) d�clare le sieur Michaud coupable du d�lit � lui imput� et pr�vu par les art. 427 et 429 du Code p�nal; en cons�quence, et conform�ment auxdits articles, condamne, par corps, Michaud � 100 francs d'amende; ordonne que l'�dition de l'ouvrage dont il s'agit, intitul� Histoire de la captivit� de Louis XVI et de la famille royale, tant � la tour du Temple qu'� la Conciergerie, et dans lequel est ins�r� l'ouvrage intitul� Journal de Cl�ry, sera et demeurera confisqu�; condamne Michaud � payer en outre, par corps, audit Chaumerot, la somme de 1,000 francs � titre de dommages-int�r�ts, aux int�r�ts � compter du jour de la plainte; le condamne en outre aux d�pens; ordonne que les exemplaires saisis seront remis au sieur Chaumerot ».
Appel de ce jugement de la part du sieur Michaud � la cour royale de Paris, qui, par arr�t du 25 novembre de la m�me ann�e, en adopte les motifs et le confirme.
Le sieur Michaud se pourvoit en cassation.
« Pour r�soudre d'une mani�re satisfaisante ( dit-il ) la question de savoir si un auteur ou ses ayant-cause, apr�s avoir imprim� en pays �tranger la premi�re �dition d'un ouvrage, peuvent n�anmoins jouir des avantages accord�s par la loi du 19 juillet 1793, en r�imprimant cet ouvrage en France et en remplissant les formalit�s ordonn�es par cette loi, il importe de rechercher quelle est la nature des droits d'un auteur sur les ouvrages qu'il a compos�s.
» A cet �gard, une grande diff�rence est � faire entre le cas o� l'ouvrage, soit manuscrit, soit imprim�, est encore entre les mains de l'auteur, et le cas o� il a �t� livr� au commerce.
» Dans la premi�re hypoth�se, la propri�t� de l'auteur est enti�re et absolue; il a le droit incontestable de poss�der exclusivement, {340 cl.2} de c�der � d'autres ou de transmettre � ses h�ritiers, son manuscrit et les exemplaires des �ditions qu'il a fait imprimer.
» Mais une �dition n'a pas plus t�t �t� mise en vente, un exemplaire n'en a pas plus t�t �t� vendu, que celui qui l'a achet�, a acquis sur cet exemplaire une propri�t� aussi enti�re, aussi absolue que celle de l'auteur; il peut le copier, le r�imprimer � son tour, en user enfin de la mani�re la plus ind�finie, comme d'une chose qui lui appartient, � moins qu'un privil�ge n'attribue � l'auteur de cet ouvrage, un droit de propri�t� exclusive que la nature des choses ne lui donne pas.
» Tels sont les principes sur lesquels repose cette libre facult� dont jouit chaque peuple de profiter des productions litt�raires des peuples voisins; de r�imprimer, sans le consentement des auteurs, et malgr� leur opposition, les ouvrages imprim�s en pays �tranger. S'il en �tait autrement, la r�impression, en pareil cas, ne serait autre chose qu'une odieuse spoliation, qu'une violation manifeste du droit de propri�t�.
» Les Anglais ont �t� appel�s avant nous � m�diter sur la nature de la propri�t� litt�raire, et voici ce qu'on lit dans un de leurs plus savans r�pertoires : Il est certain que la propri�t� exclusive d'un manuscrit et de tout ce qu'il renferme, appartient indubitablement � l'auteur, AVANT qu'il soit imprim� ou publi�; n�anmoins, � l'instant m�me de la publication, le droit exclusif d'un auteur ou de ses ayant-cause � la communication de ses id�es, s'�vanouit et s'�vapore imm�diatement, comme �tant un droit d'une nature trop subtile et trop INSUBSTANTIELLE pour devenir la mati�re d'une propri�t� r�gie par la loi commune, cette propriet� est uniquement susceptible d'�tre conserv�e par des statuts positifs et des provisions sp�ciales du magistrat (1).
(1) The law Dictionnary by Jacobs, London, 1797, v° Litterary property.
» Ainsi les jurisconsultes anglais professent qu'� l'instant m�me de la publication d'un ouvrage, la propri�t� exclusive de l'auteur s'�vanouit et s'�vapore, et que la loi commune est impuissante pour la lui conserver, que l'auteur ne peut retenir le droit de r�imprimer seul et sans aucun concurrent 1es �ditions post�rieures, qu'� la faveur d'une loi sp�ciale qui, d�rogeant au droit commun, �tablisse un droit exceptionnel.
» Cette doctrine, quelle qu'en soit l'origine, {341 cl.1} est suivie par tous les peuples de l'Europe.
» En France, c'est dans la loi du 19 juillet 1793 qu'on trouve le statut sp�cial protecteur de la propri�t� litt�raire, et cette loi vient elle-m�me � l'appui de la th�orie que nous retra�ons. Il est sensible, en effet, que, par cela qu'elle conf�re aux auteurs le droit exclusif de profiter du produit de leurs ouvrages, elle reconna�t invinciblement que, dans l'�tat naturel des choses, ce droit appartient indistinctement � tous; car s'il �tait une suite du droit de propri�t�, l'auteur n'aurait aucunement besoin du privil�ge d'une loi sp�ciale pour pouvoir l'exercer; la loi commune le prot�gerait �videmment d'une mani�re assez efficace; il pourrait invoquer cette r�gle commune dans les pays o� il n'aurait pas publi� son livre, comme dans ceux o� il l'aurait livr� au commerce; sa propri�t� exclusive serait garantie en tous lieux par le droit des gens.
» Ce n'est donc pas la loi commune, c'est au contraire une loi sp�ciale qui accorde aux auteurs la facult� exclusive de r�imprimer; et comme cette loi sp�ciale la leur accorde par d�rogation � un droit naturel acquis � tous du jour de la premi�re publication de l'ouvrage, il s'ensuit �videmment qu'une pareille concession ne peut �tre consid�r�e que comme un privil�gc; or , tout pr�vil�ge est une faveur, et toute faveur est un don.
» De l� deux cons�quences : la premi�re, c'est que le pouvoir public, qui est le donateur, a pu soumettre l'auteur, qui est le donataire, � l'accomplissement de certaines conditions; la seconde cons�quence est que le privil�ge, autrement la donation, doit �tre accept�e par celui � qui elle est offerte.
» La condition du privil�ge, dans toutes les l�gislations, est de faire imprimer l'ouvrage pour la premi�re fois dans le pays o� l'on pr�tend en recueillir les avantages; c'est l� une condition essentielle, et ce priucipe, universellement reconnu par le droit des gens, est consacr� par la jurisprudence m�me de la cour r�gulatrice.
» L'acceptation du privil�ge est dans l'observation des formalit�s �tablies � cet effet par les diverses l�gislations; le privil�ge ne saisit pas; il faut le saisir.
» Or, ces principes ont �t� viol�s d'une mani�re �trange par le tribunal correctionnel et ensuite par la cour royale de Paris.
» D'une part, en effet, l'arr�t d�nonc� reconnait en fait que le Journal du sieur Cl�ry a �t� imprim�, pour la premi�re fois, {341 cl.2} � Londres, c'est-�-dire, en pays �tranger.
» D'autre part, cependant, le m�me arr�t d�cide que le sieur Cl�ry a conserv� son droit de propri�t� exclusive en France, nonobstant cette impression de son ouvrage faite en pays �tranger.
» Il est donc manifeste qu'une telle d�cision est ouvertement oppos�e � la th�orie qui vient d'�tre retrac�e.
» Il est vrai, et c'est un des principaux motifs donn�s par l'arr�t attaqu� � l'appui de son syst�me, il est vrai que le sieur Chaumerot, cessionnaire des h�ritiers Cl�ry, a rempli les formalit�s voulues par la loi fran�aise pour constater sa propri�t� et s'en assurer la jouissance exclusive en France, et que ce n'est que post�rieurement � l'accomplissement de ces formalit�s que le sieur Michaud a r�imprim� � son tour l'ouvrage qu'on l'accuse d'avoir contrefait.
» Mais encore une fois, le sieur Cl�ry avait perdu sans retour son droit de propri�t� exclusive en France, par le fait de la publication de son journal en pays �tranger. Qu'importe, d�s-lors, que ses h�ritiers ou leur cessionnaire aient rempli les obligations prescrites par la loi du 19 juillet 1793? Qu'importe que le sieur Chaumerot ait d�pos� � la biblioth�que royale le nombre d'exemplaires d�termin� par cette loi? A quoi bon l'accomplissement d'une formalit�, lorsque le droit ou le privil�ge qu'elle a pour objet de conserver, est irr�vocablement �teint et an�anti ».
Le sieur Chaumerot, intervenant pour d�fendre l'arr�t attaqu�, r�pondait ainsi aux moyens de cassation de son adversaire :
« O� le sieur Michaud a-t-il vu qu'un auteur fran�ais perdit son droit de propri�t� en faisant imprimer son ouvrage en pays �tranger? Dans quel code a-t-il puis� un principe aussi h�t�rodoxe et aussi dangereux?
» Personne n'ignore sans doute que la propri�t� d'un ouvrage diff�re essentiellement, quant � sa nature, de la propri�t� de toute autre chose; chacun sait, au contraire, que le droit des gens autorise tous les peuples � jouir des productions que peut enfanter le g�nie d'un peuple voisin; qu'ainsi, tous les ouvrages publi�s � l'�tranger, sont, par rapport � la France, consid�r�s comme d�penclant du domaine public; qu'il est permis � chaque Fran�ais de traduire ces ouvrages, de les r�imprimer, de les publier en France, sans que l'�diteur puisse craindre d'�tre poursuivi par les auteurs ou propri�taires, comme coupable de Contrefa�on; et que r�ciproquement tous les ouvrages fran�ais peuvent {342 cl.1} �tre traduits en langue �trang�re, ou simplement r�imprim�s et vendus en pays �trangers, sans que les auteurs on propri�taircs soient fond�s � se plaindre, parceque leur droit n'est garanti que par les lois civiles fran�aises, et que ces lois n'ont aucune influence hors du territoire fran�ais.
» Mais de ces principes, d'ailleurs incontestables, il ne r�sulte certainement pas que l'auteur fran�ais qui a d'abord publi� son ouvrage en pays �tranger, soit par l� m�me irr�vocablement d�chu de son droit d'auteur en France, s'il veut en user couform�ment � la loi fran�aise 3.
» Comment, en effet, soutenir que cet auteur, apr�s avoir imprim� son livre a l'�trangcr, ne puisse en constater la propri�t� en France, pour r�clamer la garantie et les avantages accord�s � la propri�t� litt�raire par la loi du 19 juillet 1793?
» D'une part, la loi du 19 juillet 1793 n'assigne aux auteurs aucun d�lai pour remplir les formalit�s qu'elle exige; d'autre part, cette loi ne renferme aucune disposition de laquelle il soit possible d'inf�rer que le fait de la publication d'un ouvrage en pays �tranger enl�ve � son auteur le droit de placer son livre sous la protection de la loi fran�aise et d'en invoquer la faveur.
» Or, il faut n�cessairement conclure de ce silence que l'auteur d'un ouvrage qu'il a fait imprimer, d'abord en pays �tranger, renonce, � la v�rit�, momentan�ment au privil�ge qui lui est offert par la loi fran�aise, mais qu'il peut ressaisir ce privil�ge aussit�t qu'il en a le d�sir, en remplissant les formalit�s auxquelles le privil�ge est subordonn�.
» Ainsi, dans l'esp�ce, nul doute que le Journal de Cl�ry n'ait pu �tre r�imprim� en France avant que les h�ritiers de l'auteur ou leur cessionnaire e�t lui-m�me fait faire cette r�impression et l'e�t plac�e sous la sauvegarde de la loi; mais nul doute aussi que toute r�impression faite depuis, sans le consentement de ce dernier, ne soit une atteinte � son droit de propri�t� exclusive , et ne constitue une v�ritable Contrefa�on, dans le sens de la loi du 19 juillet 1793 ».
Tels �taient, dans cette affaire, les moyens respectifs des parties; et il est ais� de sentir qne le sieur Chaumerot ne combattait pas ceux du sieur Michaud avec tout l'avantage qu'il e�t pu le faire, en prouvant quc le sieur Michaud pr�sentait la propri�t� litt�raire sous un faux aspect.
En effet, le sieur Michaud pr�tendait que la propri�t� d'un ouvrnge livr� au public par la voie de l'impression, ne devait �tre envisag�e {342 cl.2} que comme une pure cr�ation du droit civil; et c'�tait, de sa part, une grande erreur, sinon par rapport � la l�gislation anglaise, ce que je ne suis pas en ce moment � port�e de v�rifler, au moins par rapport � la l�gislation fran�aise.
Si la propri�t� litt�raire n'�tait qu'une cr�ation du droit civil, elle ne pourrait �tre acquise que par l'exact et entier accomplissement des formalit�s prescrites par le droit civil lui-m�me, pour la mettre � l'abri de la Contrefa�on; et il serait impossible qu'elle exist�t avant que ces formalit�s fussent remplies. Or, la preuve qu'elle existe, ind�pendamment de l'observation de ces formalit�s, c'est que, comme je l'ai �tabli dans le R�pertoire de Jurisprudence, aux mots Marque de fabrique, n° 3, d'apr�s le texte m�me de la loi du 19 juillet 1793, celui qui, sans les remplir, a rendu public en France un ouvrage de sa composition, peut, apr�s les avoir remplies, poursuivre la Contrefa�on qui a �t� pr�c�demment faite du fruit de ses veilles.
Si la propri�t� litt�raire n'�tait qu'une cr�ation du droit civil, elle ne pourrait appartenir qu'aux r�gnicoles, ou du moins les �trangers ne pourraient y pr�tendre qu'autant qu'ils se trouveraient dans la position signal�e par l'art. 13 du Code civil, c'est-�-dire, qu'autant qu'ils auraient �t� admis par l'autorisation du roi � �tablir leur domicile en France, et qu'ils continueraient d'y r�sider. Or, il est bien constant qu'elle appartient aux �trangers m�me non domicili�s en France, comme aux r�gnicoles; et non-seulement cela est ainsi d�cid� en toutes lettres par le d�cret du 5 f�vrier 1810, mais un arr�t de la cour de cassation, du 23 mars de la m�me ann�e, a jug� que cette d�cision n'�tait pas introductive d'un droit nouveau.
Il faut donc n�cessairement reconna�tre que la propri�t� litt�raire a sa source dans le droit des gens, que ce n'est pas le droit civil qui l'a cr��e, qu'elle existe par elle-m�me sans le secours du droit civil, et qu'elle ne tient du droit civil, ou ce qui est la m�me chose, de l'observation des formalit�s que le droit civil impose aux auteurs qui veulent s'en assurer la pleine jouissance, que la garantie � d�faut de laquelle, sans en exister moins, elle pourrait �tre contrefaite impun�ment, ou, en d'autres termes, � d�faut de laquelle le vol qui en serait fait, ne pourrait pas �tre puni, sans cesser pour cela d'�tre un v�ritable vol.
Mais, d�s-lors, quelle difficull� pouvait-il {343 cl.1} y avoir dans l'affaire dont je viens de rendre compte, � rejeter le recours en cassation du sieur Michaud?
Le sieur Michaud aurait sans doute d� triompher, si la propri�t� d'un ouvrage litt�raire tombait dans le domaine public, par cela seul que cet ouvrage aurait �t� publi� sans l'observation pr�alable des formalit�s qui en conf�rent la garantie civile. Mais il n'en est pas, � cet �gard, de la propri�t� d'un ouvrage litt�raire comme de la propri�t� d'une invention industrielle. La loi refuse bien la garantie de la propri�t� d'une invention industrielle, du moment que cette invention a cess� d'�tre le secret de celui qui l'a faite. Et voil� pourquoi l'art. 16 de la loi du 7 janvier 1791, d�clare, n° 4, que tout inventeur qui sera convaincu d'avoir obtenu une patente pour des d�couvertes d�j� consign�es et d�crites dans des ouvrages imprim�s et publi�s, sera d�chu de sa patente; voil� pourquoi un arr�t de la cour de cassation, du 20 f�vrier 1806, a jug� nul un brevet d'invention obtenu depuis que le proc�d� dont il conf�re l'usage exclusif � l'inventeur, est devenu public par le fait de celui-ci (1). Mais ce qui prouve invinciblement qu'il n'en est pas de m�me de la propri�t� litt�raire, c'est, encore une fois, que l'auteur � qui elle appartient, ne la perd pas par cela seul qu'il la livre an public par la voie de l'impression, et qu'il peut encore, apr�s l'avoir publi�e, s'en assurer la jouissance exclusive et la mettre � l'abri de la Contrefa�on, par l'accomplissement des formalit�s prescrites par la loi.
(1) Repertoire de jurisprudence, aux mots Brevet d'invention, n° 5.
Il �tait donc impossible que le recours en cassation du sieur Michaud f�t accueilli : et en effet, il a �t� rejet� par arr�t du 20 janvier 1818 4, au rapport de M. Lecouteur, et sur les conclusions de M. l'avocat-g�n�ral Giraud-Duplessis,
« Attendu que l'arr�t d�nonc� n'a ni viol� ni faussement appliqu� la loi du 19 juillet 1793, ni les autres lois sur les propri�t�s litt�raires, en jugeant que Cl�ry avait pu faire imprimer son journal � Londres, et par suite, tol�rer qu'il en circul�t des exemplaires sur le territoire fran�ais, sans �tre r�put�, pour cela, avoir renonc� � l'exercice de son droit d'auteur en France, conform�ment aux lois fran�aises;
» Attendu que, pour exercer ce droit, les {343 cl.2} h�ritiers Cl�ry ont vendu leur manuscrit � Chaumerot, en 1814; que celui-ci, devenu cessionnaire, l'a fait imprimer en 1816 et a rempli toutes les formalit�s prescrites pour lui en assurer la vente exclusive; que ce n'est que post�rieurement, et en 1817, que Michaud, malgr� la connaissance qu'il avait ou pouvait avoir de l'�dition l�gale faite par Chaumerot, a fait r�imprimcr le m�me ouvrage, et qu'il n'a pu faire cette r�impression sans porter atteinte aux droits du cessionnaire et sans �tre contrefacteur;
» Attendu d'ailleurs que la proc�dure est r�guli�re..... (1) ».
(1) Journal dea Audiences de la cour de cassation, ann�e 1818, page 195.
[{91}] 36. L'auteur (fran�ais ou �tranger) qui, apr�s avoir publi� son ouvrage � l'�tranger, le publie plus tard en France, avec toutes les formalit�s prescrites par la loi, peut-il revendiquer en France la propri�t� exclusive de cet ouvrage? D'apr�s le droit des gens re�u aujourd'hui en mati�re de propri�t� litt�raire, d'arts ou d'inventions, il est vrai de dire que chaque nation peut impun�ment contrefaire les productions des autres nations, et que tout ce {92} qui est publi� chez l'une tombe chez les autres dans le domaine public. Ce principe admis, on ne comprendrait pas comment l'auteur, qui apr�s une premi�re publication � l'�tranger en ferait une deuxi�me en France, pourrait an�antir des droits d�sormais acquis au domaine public. Le jour o� une publication se fait � l'�tranger, la France entre en possession du droit de reproduire cette publication, et rien ne peut plus lui �ter, m�me pour l'avenir, la jouissance de ce droit. Autrement il faudrait distinguer entre le temps qui pr�c�de le d�p�t fait en France par l'auteur et celui qui suivrait ce d�p�t; les publications faites avant le d�p�t seraient donc licites et pourraient continuer de se d�biter; celles au contraire qui auraient paru apr�s le d�p�t, seraient r�put�es contrefa�ons! Dans un pareil chaos, qui oserait entreprendre la publication en France d'un ouvrage publi� � l'�tranger? Nous nous priverions ainsi d'excellens ouvrages, tandis que l'�tranger nous prend les n�tres sans difficult�. Si un auteur veut se r�server la propri�t� de son œuvre en France en m�me temps qu'� l'�tranger, qu'il en fasse deux publications simultan�es, l'une ici, l'autre l�-bas; qu'il remplisse les formalit�s l�gales de part et d'autre, et ses droits seront conserv�s. Alors le contrefacteur fran�ais ne pourra pr�tendre que la publication � l'�tranger a eu pour effet d'enrichir le domaine public en France, puisque cette publication n'aura point pr�c�d� m�me d'un instant la publication faite sur le territoire fran�ais (1). Voil� selon nous les vrais principes.
(1) Voyez n° 126. [nous ne le reproduisons pas]
La cour de cassation s'est prononc�e deux fois sur cette question. Une premi�re fois elle l'a r�solue dans notre sens; une seconde fois dans le sens oppos�.
{93} Son premier arr�t est du 17 nivose an XIII. Il s'agissait d'œuvres musicales publi�es par Pleyel, d'abord en Allemagne, puis en France, et r�imprim�es par un �diteur fran�ais qui pour ce fait �tait pr�venu de contrefa�on. Voici les termes de l'arr�t : � Attendu que la loi du 19 juillet 1793 concernant les contrefa�ons ne peut �tre applicable qu'aux ouvrages faits par un Fran�ais et contrefaits par un autre Fran�ais, et non � des ouvrages publi�s par des auteurs non Fran�ais dans un pays �tranger (l), et dont il a �t� fait nouvelle gravure en France; qu'il r�sulte de l� que Sieber, marchand de musique � Paris, a pu y faire graver des compositions musicales faites par Pleyel en Allemagne et par lui publi�es � l'�tranger, etc.; rejette. �
(1) La cour semble motiver sa d�cision sur ce que l'auteur n'est pas Fran�ais; cette consid�ration accessoire serait absolument nulle aujourd'hui que le d�cret du 5 f�v. 1810 a mis sur la m�me ligne le Fran�ais et l'�tranger. C'est le seul fait de publication en pays �tranger qui doit, en pareil cas, fixer l'attention.
Le 30 janvier 1818, la m�me cour juge au contraire que Cl�ry en publiant � l'�tranger ses m�moires sur la captivit� de Louis XVI, n'a pas ali�n� le droit de les publier en France � l'exclusion de tous autres. Voici les termes de l'arr�t : � Attendu que l'arr�t de la cour royale n'a point viol� les lois en jugeant que Cl�ry avait pu faire imprimer son journal � Londres, et par suite tol�rer qu'il en circul�t des exemplaires sur le territoire fran�ais, sans �tre r�put� pour cela avoir renonc� � l'exercice de son droit d'auteur en France, conform�ment aux lois fran�aises; que les h�ritiers de Cl�ry ayant fait en France une publication r�guli�re dans le cours de l'ann�e 1816, M... a fait imprimer le m�me ouvrage en 1817, c'est-�-dire post�rieurement, et qu'en cons�quence il a commis le d�lit de contrefa�on, etc. �
La cour royale de Paris a adopt� un mezzo termine. {94} Selon elle, la publication faite � l'�tranger ne suffit pas pour donner ouverture aux droits du domaine public en France, il faut encore que le domaine public en ait pris possession par une publication faite sur le territoire fran�ais par tout autre que par l'auteur; si l'auteur, apr�s avoir publi� � l'�tranger, publie en France avant tout autre, il conserve son droit de propri�t�; s'il arrive apr�s une contrefa�on, son droit est perdu (cour royale de Paris, app. corr., 26 novembre 1828; Gazette du 29 (1)).
(1) Voici le texte de l'arr�t : � Consid�rant que, de l'�conomie des lois sur la contrefa�on d'œuvres musicales, il r�sulte que tout auteur ou �diteur qui met au jour, c'est-�-dire qui publie pour la premi�re fois en France un ouvrage, en accomplissant les formalit�s du d�p�t, assure � lui et � ses ayant-cause la propri�t� exclusive dudit ouvrage pour le temps d�termin� par ces lois; que d�s lors, si l'auteur ou ses ayant-cause ont publi� un ouvrage sans accomplir la formalit� du d�p�t, ou n'ont fait cette publication qu'apr�s que d'autres l'avaient d�j� faite en France, sur les �ditions d�j� imprim�es ou grav�es � l'�tranger, le dit �diteur o� ses ayant-cause ne se trouvent point dans les conditions pr�vues par les lois pour l'obtention du privil�ge qu'elles conc�dent, et ne peuvent plus se ressaisir d'un droit qu'ils ont n�glig� d'acqu�rir ou de conserver, � moins qu'avant toute publication faite par un autre �diteur, ils n'aient accompli la formalit� du d�p�t qu'ils n'avaient pas remplie.
» Consid�rant, en fait, que l'op�ra de Mahomet II, d�j� publi� plusieurs fois � l'�tranger, l'avait �t� �galement en France par plusieurs �diteurs, et notamment par Paccini, qui avait accompli la formalit� du d�p�t avant la publication faite par Troupenas, cessionnaire de Rossini; que plusieurs morceaux du Mahomet II ont �t� intercal�s par Rossini dans son op�ra ayant pour titre le Si�ge de Corinthe; que Pleyel et Aulagnier, en publiant sous une forme quelconque tout ou partie de ces morceaux, n'ont point contrefait l'op�ra du Si�ge de Corinthe, et n'ont fait que reproduire partie de l'op�ra du Mahomet II, d�j� publi� et ainsi tomb� dans le domaine public, etc. »
Ce dernier syst�me ne saurait nous satisfaire, non plus que le second arr�t de la cour de cassation. Comme nous le disions au commencement, le seul fait de la publication � l'�tranger investit notre domaine public d'un droit qu'on {95} ne peut plus lui enlever. Ce droit n'est point entam� par la publication que l'auteur ferait plus tard en France; ce droit, pour exister, n'a pas besoin non plus d'une prise de possession, indiff�rente en l�galit�, et, en fait, sujette � de nombreuses difficult�s.
{273} [...] PAYS ÉTRANGER. — Il est incontestable que la propri�t� de l'auteur ne trouve de garantie que dans la loi fran�aise, et que la puissance de nos lois s'arr�te aux limites du territoire. Mais faut-il en tirer cette cons�quence que, lorsqu'un Fran�ais publie d'abord son ouvrage en pays �tranger, il perd irr�vocablement ses droits par le fait seul de cette publication. L'esprit et le texte de la loi repoussent une pareille interpr�tation.
Le droit de propri�t�, consacr� par la loi du 19 juillet 1793, est un principe large et illimit�. Il d�coule n�cessairement du fait de la composition. La loi ne trace aucune limite, et n'impose aucune formalit� � l'exercice de ce droit, si ce n'est, comme nous le verrons plus loin, celle du d�p�t; encore n'est-elle pas n�cessaire � l'existence du droit de propri�t�, mais seulement � la poursuite du contrefacteur. L'esprit de la loi repousse donc �nergiquement cette d�ch�ance. Quant au texte, il est muet sur cette question, et on ne peut suppl�er une d�ch�ance par voie d'induction, d'abord parce que les peines ne se suppl�ent pas, ensuite parce que le silence de la loi est d'accord avec son esprit. N'est-il pas �vident, en effet, que si une exception aussi exorbitante e�t pr�occup� le l�gislateur, il l'eut express�ment formul�e, comme il l'a fait dans les lois de 1791, relatives aux brevets d'invention. Au lieu de cela, il pose en principe g�n�ral le droit de propri�t�; il le fait d�couler imm�diatement, et n�cessairement, {274} et d�gag� de toutes les entraves de la formalit�, du fait m�me de l'invention. Or, la publication en pays �tranger ne fait pas que l'invention soit due � une autre intelligence. La cons�quence de cette invention, qui n'est autre chose que le droit exclusif, doit donc rester la m�me. Une seule atteinte est port�e par la loi au droit de propri�t� exclusive, c'est la d�ch�ance de ce droit, quelques ann�es apr�s la mort de l'auteur; mais pendant sa vie il le conserve entier, et l'exerce o� et quand il lui plait d'en user. Il peut m�me laisser d�biter en France son ouvrage publi� en pays �tranger, sans perdre son droit d'auteur, parce qu'une simple tol�rance ne peut �tre consid�r�e comme la renonciation � un droit acquis (1). Si donc, au m�pris de ce droit, et s'autorisant {275} � tort de la publication �trang�re, on publiait son œuvre en France, l'auteur n'aurait qu'� faire le d�p�t prescrit par la loi pour user de la pl�nitude de son droit, et poursuivre les contrefacteurs. Il en est de m�me apr�s sa mort, et du moment o� ses h�ritiers ont fait conna�tre leurs droits par les voies l�gales, et � compter de ce moment, ils doivent jouir de la pl�nitude du droit exclusif. On cite pour l'opinion contraire un arr�t de la cour supr�me ([2]); mais il ne peut faire autorit�, par la raison qu'il se {275} fonde sur ce que les lois fran�aises, relatives � la propri�t� litt�raire, ne concernent que les ouvrages faits par un Fran�ais, et contrefaits par un autre Fran�ais, distinction formellement proscrite, depuis cet arr�t, par le d�cret du 5 f�vrier 1810, dont l'art. 40 porte : Les auteurs soit nationaux, soit �trangers, ce qui tranche la difficult�.
[{274}] (1) 30 janvier 1818. — Chaumerot, C. Michaud. — Cassation.
[Nous ne reproduisons pas cette note, mais renvoyons � Merlin, IV, p.339 sqq., version compl�te de l'affaire.]
[{275}] ([2]) 17 niv�se an 13. — Pleyel, C. Sieber. — Cassation
[Nous ne reproduisons pas cette note, mais renvoyons � Gastambide, n° 36, p.93.]
{388} [...] L'arr�t� par lequel M. Locr� ajoute que cette discussion fut termin�e s'�tend � tous les h�ritiers, et n'est d'accord, en ce point, ni avec les r�dactions successives du decret, ni avec la r�ponse en marge des questions, telle qu'elle a �t� imprim�e pour les d�lib�rations du conseil. Voici comment il rapporte cet arr�t� :
« Le conseil d'�tat arr�te que les dispositions de la loi du 19 juillet 1793, relatives � la propri�t� des ouvrages, seront maintenues avec la modification qu'elle appartiendra aux heritiers pendant vingt ans depuis la mort de l'auteur. »
L'opinion �mise par l'empereur sur les inconv�niens de la perp�tuit� d'une propri�t� litt�raire est fort remarquable, et signale, avec une grande justesse, les inconv�niens qui na�traient de son application. Les preuves abondent, dans les discussions du conseil d'�tat, de cette nettet� d'intelligence et de cette sup�riorit� de bon sens, � la lumi�re desquelles, dans les questions d�battues devant lui, et sur les mati�res qui devaient lui �tre le plus �trang�res, il allait droit aux consid�rations les plus �lev�es et les plus pratiques 5.
Le projet de d�cret fut longuement �labor�. J'ai eu sous les yeux les neuf r�dactions successives qui en furent faites. On l'adopta d�finitivement dans la s�ance du 13 janvier 1810, {389} apr�s des amendemens assez nombreux � la neuvi�me de ces r�dactions.
Les articles relatifs � la propri�t� et � sa garantie, ne furent pas ceux qui �prouv�rent le plus de changement.
Voici quelles furent les r�dactions successives des articles compris sous ce titre :
(Article 39). « Le droit de propri�t� est garanti � l'auteur ou � sa veuve pendant leur vie, et � leurs enfans pendant vingt ans. » Telles furent les quatre premi�res r�dactions. A la cinqui�me r�daction, on s'exprima mieux en disant : � l'auteur et � sa veuve, etc.. Ce ne fut qu'apr�s la neuvi�me r�daction que l'on ajouta cette restriction au droit de la veuve : si les conventions matrimoniales lui en donnent le droit.
(Article 40). Les trois premi�res r�dactions �taient : « L'auteur peut c�der son droit � un imprimeur ou libraire qui est alors substitu� en son lieu et place, pour lui et ses ayant-cause, comme il est dit en l'article pr�c�dent. » On dit � la quatri�me r�daction : ... � un imprimeur ou libraire, ou � toute autre personne qui est alors substitu�e en son lieu et place, etc.. On dit � la septi�me r�daction : les auteurs soit nationaux , soit �trangers, peuvent c�der leur droit, etc.... Ce fut apr�s la neuvi�me r�daction que l'on ajouta : les auteurs soit nationaux, soit �trangers, de tout ouvrage imprim� ou grav�, etc...
Ces deux articles font seuls partie du d�cret. On lisait, dans les trois premi�res r�dactions cet autre article : « L'individu qui aura fait le premier sa d�claration pour la traduction ou publication d'un ouvrage imprim� et publi� � l'�tranger, jouira en France des droits d'auteur. » A la quatri�me r�daction, on ajouta cette restriction : pour sa traduction ou sa publication en langue originale, et un second paragraphe ainsi con�u : � Toutefois, tout autre traducteur pourra imprimer une traduction nouvelle, et le texte en regard. � Cet article dispara�t enti�rement d�s la septi�me r�daction.
{390} Je ne parle point de divers autres projets, qui n'�manaient pas de la section de l'int�rieur, et qui furent propos�s succevsivemeat. Il y en eut un qui conf�rait au directeur de la librairie le droit de conc�der des privil�ges temporaires pour les ouvrages de domaine public.
[...]
{173} [...] 73. Les ouvrages publi�s, pour la premi�re fois, � l'�tranger se trouvent-ils, par cette publication, d�volus en France au domaine public; ou bien, au contraire, conserve-t-on privil�ge en France pour un ouvrage ant�rieurement publi� en pays �tranger?
Sur cette grave question, la loi se tait et la jurisprudence se divise.
Deux arr�ts, en sens oppos�, ont �t� rendus par la cour de cassation; le premier est du 17 nivose an XIII. (2)
(2) R�pertoire. Contrefa�on, § 10.
« Consid�rant 1° que la loi du 19 juillet 1793 concernant les contrefa�ons ne peut �tre applicable qu'aux ouvrages faits par un Fran�ais, contrefaits par un autre Fran�ais, et non � des ouvrages publi�s par un auteur non fran�ais dans un pays �tranger, et dont il a �t� fait nouvelle gravure en France; qu'il r�sulte de l� que Sieber, marchand de musique � Paris, a pu y faire graver des compositions musicales faites par Pleyel en Allemagne et par lui publi�es � l'�tranger; 2° que Sieber a pu pareillement faire faire ce qu'il appelle des traductions de ces sortes d'ouvrages pour les rendre propres � d'autres instrumens que ceux pour lesquels ils avaient �t� faits par leur auteur; 3° que si plusieurs de ces traductions ont �t� publi�es et vendues en France par Sieber avec l'indication de Pleyel pour auteur, cette circonstance ne constituerait pas le d�lit de contrefa�on et ne pr�senterait qu'un abus de nom; 4° qu'il n'est point �tabli par Pleyel que Sieber lui ait fait soustraire en Allemagne quelques-unes de ses compositions manuscrites pour les faire graver en France; 5° qu'il n'est pas prouv� non plus que Sieber ait fait faire de nouvelles gravures {174} des compositions musicales publi�es par Pleyel depuis son �tablissement en France; Rejette. »
Une jurisprudence toute contraire r�sulte d'un arr�t du 30 janvier 1818 qui rejette un pourvoi contre un arr�t de la cour royale de Paris du 25 novembre 1827, � l'occasion du Journal de ce qui s'est pass� � la tour du Temple pendant la captivit� de Louis XVI. (1)
(1) Questions de droit, CONTREFAÇON, § 7.
[ici Merlin, IV, p.339 sqq., version compl�te de l'affaire]
« Attendu que l'arr�t d�nonc� n'a ni viol�, ni faussement appliqu� la loi...., en jugeant que Cl�ry avait pu faire imprimer son Journal � Londres, et, par suite, tol�rer qu'il en circul�t des exemplaires sur le territoire fran�ais, sans �tre r�put�, pour cela, avoir renonc� � l'exercice de son droit en France , conform�ment aux lois fran�aises; attendu que, pour exercer ce droit, les h�ritiers Cl�ry ont vendu leur manuscrit � Chaumerot en 1814; que celui-ci, devenu cessionnaire, l'a fait imprimer en 1816 , et a rempli toutes les formalit�s prescrites pour lui en assurer la vente exclusive; que ce n'est que post�rieurement, et en 1817, que Michaud, malgr� la connaissance qu'il avait ou pouvait avoir de l'�dition l�gale faite par Chaumerot, a fait imprimer le m�me ouvrage; et qu'il n'a pu faire cette r�impression sans porter atteinte aux droits du cessionnaire et sans �tre contrefacteur. »
Dans l'esp�ce suivante, le tribunal de la Seine a adopt� la jurisprudence du premier des deux pr�c�dens arr�ts; et la cour de Paris, tout en continuant � reconna�tre � l'auteur d'un ouvrage publi� � l'�tranger, ou � ses ayant-cause, un droit exclusif en France, n'a fait partir l'ouverture de ce droit qu'� compter de l'accomplissement de la formalit� du d�p�t.
Le tribunal correctionnel de la Seine avait, par jugement du 29 mai 1827, d�clar� Troupenaz non recevable dans une plainte form�e par lui contre Pleyel et Aulagnier : « Consid�rant, en droit, que si l'art. 426 du code p�nal r�pute d�lit de contrefa�on l'introduction en France d'ouvrages fran�ais {175} contrefaits � l'�tranger, il n'a pas plac� dans la m�me cat�gorie les ouvrages �trangers contrefaits en France; d'o� il faut conclure que l'intention du l�gislateur n'a point �t� de donner aux auteurs �trangers le privil�ge accord� aux auteurs fran�ais; par la raison toute simple qu'il n'y aurait pas eu r�ciprocit�, l'exp�rience d�montrant que, tous les jours, et presque aussit�t leur publication en France, les ouvrages fran�ais sont impun�ment contrefaits et vendus � l'�tranger. » Sur l'appel de Troupenaz, arr�t de la cour royale de Paris du 26 novembre 1828, qui, tout en adoptant les motifs des premiers juges, les a modifi�s en y ajoutant ce qui suit : « Consid�rant que de l'�conomie des lois sur la contrefa�on d'œuvres musicales, il r�sulte que tout auteur ou �diteur qui met au jour, c'est-�-dire qui publie pour la premi�re fois en France un ouvrage en accomplissant les formalit�s du d�p�t, assure � lui et � ses ayant-cause la propri�t� exclusive dudit ouvrage pour le temps d�termin� par ces lois; que, d�s-lors, si l'auteur ou ses ayant-cause ont publi� un ouvrage sans accomplir la formalit� du d�p�t, ou n'ont fait cette publication qu'apr�s que d'autres l'avaient d�j� faite en France sur les �ditions d�j� imprim�es ou grav�es � l'�tranger, ledit �diteur ou ses ayant-cause ne se trouvent pas dans les conditions pr�vues par les lois pour l'obtention du privil�ge qu'elles conc�dent, et ne peuvent plus se ressaisir d'un droit qu'ils ont n�glig� d'acqu�rir ou de conserver, � moins qu'avant toute publication faite par un autre �diteur, ils n'aient accompli la formalit� du d�p�t qu'ils n'avaient pas remplie. � (1)
(1) Dalloz, 1829, 2, 1.
Allant plus loin, la m�me cour a compl�tement abandonn� son premier syst�me par arr�t du 18 f�vrier 1832 (2) : « Attendu que si Giraldon-Bovinet a acquis la propri�t� des sujets poursuivis, il a perdu le privil�ge privatif de leur publication en �ditant les m�mes sujets en pays �tranger, ce qui les a mis {176} dans le domaine public et a autoris� les pr�venus � les faire graver et � les vendre � leur profit; que le d�p�t post�rieur � ces publications n'a pu avoir pour r�sultat d'an�antir les cons�quences de ces faits; Infirme. »
(2) Gaz. des trib. 6 janvier et 1er mars 1832.
La conciliation entre les deux arr�ts de la cour de cassation ne serait pas impossible. L'arr�t de l'an XIII d�cide que l'ouvrage d'un �tranger, imprim� � l'�tranger, appartient en France au domaine public; il ne statue pas pour le cas d'un ouvrage imprim� � l'�tranger, mais dont l'auteur serait Fran�ais. L'arr�t de 1818, rendu � l'occasion de l'ouvrage d'un Fran�ais, ne statue rien sur le cas o� l'auteur serait un �tranger. S'il �tait n�cessaire de concilier ces deux arr�ts, on pourrait en conclure qu'un ouvrage imprim� � l'�tranger, sans l'avoir �t� en France, peut devenir, en France, l'objet d'un privil�ge si l'auteur est Fran�ais, mais ne le peut pas si l'auteur est �tranger. Mais, pour s'arr�ter � cette solution, il faudrait que la loi fran�aise e�t fait deux classes des auteurs fran�ais et des auteurs �trangers; or, au contraire, l'art. 40 du d�cret du 5 f�vrier 1810 place les auteurs nationaux et �trangers sur la m�me ligne. Si l'on peut repousser l'�tranger qui demanderait un privil�ge en France en lui disant que son ouvrage a d�j� paru ailleurs, pourquoi n'en dirait-on pas autant au Fran�ais? S'il reste encore un droit au Fran�ais, apr�s l'impression hors de France, pourquoi ce m�me droit ne resterait-il pas aussi � l'�tranger?
Il est plus logique d'opter nettement entre les deux syst�mes. Pour moi, je pense qu'il faut adopter celui de l'arr�t du 17 nivose an XIII et du jugement du 29 mai 1837, conforme � l'ancienne jurisprudence attest�e par un arr�t du conseil du 14 mars 1583 et par un arr�t du parlement de Paris du 15 mars 1586. (1)
(1) V. t. 1er, p. 117 et 112.—La m�me doctrine est soutenue par M. Gastambide, n° 36; et la doctrine contraire par M. Et. Blanc, p. 273.
En faveur de la conservation du droit des auteurs dont {177} l'ouvrage a paru dans l'�tranger avant d'�tre publi� en France, on dit qu'aucune loi ne prononce en ce cas une d�ch�ance, et que les d�ch�ances ne se suppl�ent pas; que les faits consomm�s � l'�tranger sont, aux yeux de la loi fran�aise, comme s'ils n'existaient pas; on dit, enfin, qu'il est digne de la France de prendre une g�n�reuse initiative pour la protection des travaux de l'intelligence, � quelque nation qu'ils appartiennent.
S'il s'agissait, non d'interpr�ter �a loi existante, mais de fonder un droit international, je comprendrais tous les argumens tir�s de l'avantage d'�tendre, m�me sur les �trangers, une lib�rale protection. Mais, dans l'�tat actuel des l�gislations, la r�ciprocit� est la premi�re base des relations de peuple � peuple. La France ne peut pas se condamner � ne fabriquer les livres �trangers que grev�s du rench�rissement que la r�tribution pay�e � l'auteur ferait peser sur chaque exemplaire, tandis que l'�tranger fabriquerait les livres fran�ais avec affranchissement de cette r�tribution. Une telle largesse nationale ne pourrait d�river que d'un texte formel de loi; jusque-l�, comme les privil�ges garantis aux auteurs sont des stipulations du droit civil, il faut s'en tenir � l'application du principe qui ne permet pas d'�tendre d'un pays � l'autre le b�n�fice de pareilles concessions. Je me garderais de bl�mer la loi qui ferait respecter en France le privil�ge de Walter Scott ou de Byron, de Schiller ou de Goethe; mais je dis que, sous notre l�gislation, telle qu'elle existe, les productions de ces auteurs appartiennent, en France, au domaine public; et que cette interpr�tation est conforme � l'usage universel et de la France et de tous les autres pays. Si les ouvrages �trangers sont du domaine public en France, ainsi que les publications fran�aises sont du domaine public � l'�tranger, je n'aper�ois pas sur quels motifs on ferait reposer une exception en faveur du Fran�ais qui s'est fait �tranger, en publiant, hors de la France, la premi�re �dition de son ouvrage. L'article 40 du d�cret de 1810 {178} a voulu attirer en France les premi�res publications, en assimilant, en ce cas, les �trangers aux nationaux. Ne serait-ce pas se mettre en contradiction avec l'esprit de ce d�cret que d'encourager les auteurs fran�ais � faire leurs premi�res publications � l'�tranger? Enfin, l'argument que je crois d�cisif est celui-ci : la soci�t� garantit un privil�ge aux auteurs, parce qu'en �change des droits exclusifs qu'elle leur affecte, elle re�oit d'eux la communication d'un ouvrage qui ne devient public qu'� cette condition et � ce prix. Si l'ouvrage est d�j� devenu public par le fait de l'auteur, celui-ci ne livre plus rien � la soci�t�; il ne lui donne pas son ouvrage; car elle s'en trouve d�j� en possession, et elle le rencontre ailleurs dans la circulation sans stipulation et sans contrat.
[...] 180. Il est de toute �vidence que nul ne peut, ni vendre deux fois le m�me ouvrage, ni exploiter lui-m�me l'ouvrage qu'il a pr�c�demment vendu. Il serait superflu de rapporter les nombreux proc�s dans lesquels a �t� appliqu� ce principe qui n'est pas susceptible d'une contestation s�rieuse , ni m�me plausible.
S'il se pr�sente des difficult�s, elles ne proviennent d'aucun {314} doute sur le principe; elles naissent par l'absence de contrats, par l'obscurit� et l'imperfection des clauses de trait�s. Elles peuvent d�river aussi de ce que l'auteur n'aura employ�, dans un ouvrage post�rieur, qu'une partie de celui qu'il aura pr�c�demment vendu; mais, en ce cas, l'embarras n'est que de savoir s'il y a reproduction assez notable du premier ouvrage pour constituer une contrefa�on : c'est la question de contrefa�on ou de plagiat sur laquelle nous nous sommes amplement �tendus; n° 12 6. Ainsi, l'on a jug� qu'un auteur, apr�s avoir vendu une Geographie de la France en un volume, avait pu publier une autre g�ographie, contenant un volume pour chaque d�partement, dans laquelle �taient reproduits plusieurs passages du premier ouvrage. Jugement du tribunal de la Seine du 17 juillet 1829. (1)
(1) Renart contre Girault-de-Saint-Fargeau et Bandoni. Gaz. des trib. 18 juillet 1829.
Si un auteur, apr�s avoir vendu un ouvrage, en publiait un abr�g� au pr�judice de son cessionnaire, il serait r�put� contrefacteur, car nous avons vu que le droit d'abr�ger un ouvrage est attach� au privil�ge; n° 13 7. Il pourrait, en cette circonstance, en �tre autrement, si l'auteur n'avait pas ali�n� la totalit� de son privil�ge et n'avait vendu que le droit � une �dition.
Qu'un auteur ne puisse pas publier une �dition nouvelle, lorsqu'un trait� lui interdit de le faire avant l'�puisement d'une autre �dition par lui vendue, c'est ce qui est trop �vident pour avoir besoin d'�tre dit. Quand le trait� n'aurait point pr�vu ce cas, la d�cision devrait encore �tre la m�me. C'est un principe g�n�ral, en mati�re de vente , que le vendeur doit faire jouir de la chose l'acheteur, et ne point apporter, par son fait, obstacle � cette jouissance; ce qui arriverait si, lorsqu'une �dition existe encore en magasin, on venait , par une �dition nouvelle, non-seulement faire concurrence � l'ancienne, mais la discr�diter, la vieillir et la tuer. {315} Le tort serait surtout consid�rable si l'�dition nouvelle contenait des corrections ou additions.
Un usage assez ordinaire, et prudent, est de d�terminer � l'avance, soit l'�poque � laquelle une �dition nouvelle pourra �tre faite, quel que soit le nombre des exemplaires alors restant, soit le nombre d'exemplaires restant qui ne feront point obstacle � une �dition nouvelle. Par l� on �vite des contestations, et l'on se met en garde contre la n�gligence que peut apporter un �diteur � faire �couler une fin d'�dition.
Quand un auteur a vendu, sans restrictions ni r�serves, un ou plusieurs de ses ouvrages, il ne peut, sans encourir les peines de la contrefa�on, r�imprimer dans une collection de ses œuvres les ouvrages vendus. Ainsi M. Alexandre Dumas, apr�s avoir vendu � V�zard, repr�sent� depuis par Barba, le drame de Henri III, et � ce dernier, moyennant 10,000 francs, le drame de Christine, et qui s'�tait r�serv�, quant � ce dernier drame seulement, le droit de le comprendre dans ses œuvres compl�tes apr�s l'�puisement de la premi�re �dition, crut pouvoir comprendre ces deux pi�ces dans une �dition g�n�rale de ses œuvres, avant que la premi�re �dition de Christine f�t �puis�e. Un jugement du tribunal de la Seine, du 6 mai 1834, condamna M. Dumas � 5 francs et l'�diteur de ses œuvres compl�tes � 100 francs d'amende, et tous deux solidairement � 1,200 francs de dommages et int�r�ts; et ordonna, au profit de Barba, la confiscation de tous les exemplaires de l'ouvrage o� se trouvent les deux pi�ces. La cour royale de Paris, par arr�t du 2 juillet 1834 (1), porta l'amende � 100 francs contre M. Alexandre Dumas, comme contre M. Charpentier; elle �valua � 3,000 francs les dommages et int�r�ts; mais dit qu'il n'y aurait pas lieu � la confiscation des oeuvres compl�tes, qui avaient �t� tir�es � 1,200 exemplaires. Cette derni�re disposition de l'arr�t �tait en quelque sorte un contrat que l'autorit� judiciaire imposait {316} aux parties : elle cr�ait une sorte de r�trocession, en vertu de laquelle M. Dumas s'est trouv� autoris� � faire, dans 1,200 exemplaires de ses œuvres compl�tes, emploi des deux drames d�j� vendus par lui. Pour appr�cier la l�galit� de cette transaction d'�quit�, il faudrait v�rifier les conclusions respectivement prises par les parties : en l'absence de consentement de leur part, il y aurait eu exc�s de pouvoir � suppl�er ainsi d'office � des conventions. Il n'appartient pas aux tribunaux de cr�er, sans stipulation des parties, une vente et un achat de droits priv�s , et d'en d�terminer les conditions et le prix. L'autorit� judiciaire a pour mission de faire respecter et ex�cuter les contrats, et non de dresser et d'imposer des contrats.
(1) [{315}] Gaz. des trib, 30 avril, 7 mai, 15, 29 juin, 3 juillet 1834.
Un auteur qui, en vendant s�par�ment un de ses ouvrages, s'est r�serv� le droit de le publier dans la collection de ses œuvres compl�tes, enfreint la convention s'il publie ses œuvres compl�tes, et, particuli�rement, l'ouvrage c�d�, en livraisons qui puissent �tre achet�es s�par�ment. Ainsi jug� contre M. Paul de Kock, au profit de M. Barba, par arr�t de la cour royale de Paris du 23 juillet 1836. (1)
(1) Gaz. des trib. 5 d�cembre 1835; 16, 24 juillet, 13 ao�t 1836.
Il en est autrement si la publication des livraisons est calcul�e de mani�re � ce qu'elles ne puissent �tre achet�es s�par�ment. Car ce que le trait� d�fend, ce n'est pas de publier la collection g�n�rale des œuvres par livraisons, aussi bien que par tout autre mode, c'est de livrer s�par�ment au public ce que l'on s'est interdit le droit de vendre s�par�ment. Ainsi jug�, par arr�t de la cour royale de Paris du 12 mars 1836, entre MM. Barba et Charpentier, au sujet du th��tre de M. Alexandre Dumas. (2)
(2) Dalloz, 1836, 2, 109.