WLADIMIR KARENINE
GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES
*
1804-1833
Deuxi�me �dition


Paris; Libr. Plon - Plon-Nourrit et Cie, Impr.-Ed.; 1899 - 2�me �dition, tome *

CHAPITRE VI
(1831)

Inexactitudes de l'Histoire de ma Vie et erreurs des biographies. — Vie excentrique. — Amis berrichons. — Jules Sandeau. — Le comte de K�ratry et de Latouche. — Rose et Blanche — � Jules Sand � et � George Sand � . — La Molinara. — Bigarrure. — La Vision. — La Fille d'Albano. — Indiana. — Valentine. — La Marquise. — Melchior. — Le Toast. — La Reine Mab.



[{309}] F�lix Pyat*, un pays de George Sand comme on le sait, raconte dans ses Souvenirs**, qu'en 1831, il fut un jour invit� par Jules Sandeau � l'accompagner au bureau des diligences du Berry pour y rencontrer une dame de sa connaissance. Il vit descendre de l'imp�riale un jeune �tudiant alerte, en jaquette de velours, coiff� d'un b�ret, qui, � son grand �tonnement, se trouva �tre la baronne Dudevant. C'est ainsi qu'il fit la connaissance de la future George Sand d�s le premier jour de son arriv�e � Paris. Malheureusement ces m�moires doivent �tre rang�s parmi ces r�cits apocryphes et l�gendaires auxquels sont si enclins tous ceux qui �crivent leurs souvenirs apr�s coup, lorsque la m�moire leur fait d�j� d�faut et lorsque ce qu'ils ont entendu � diverses �poques, imagin� ou invent�, vient se confondre sous leur plume avec des faits r�ellement vus et se transformer en quelque chose de vague {310} et de nuageux, o� il n'est plus possible de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux***.

* F�lix Pyat, �crivain et homme polilique, plus tard devenu communard, naquit � Vierzon en 1810 et mourut en 1889 � Paris.

** Grande Revue de Paris et de P�tersbourg, r�dig�e par Ars. Houssaye, 1881, n° 1. � Comment j'ai connu George Sand, Mes Souvenirs », par F�lix Pyat.

*** Tout aussi apocryphes sont les chapitres des Souvenirs d'Ars. Houssaye lui-m�me, consacr�s � G. Sand, Jules Sandeau, Marie Dorval et la mansarde du quai Malaquais en 1832. On ne peut y puiser que fort peu de faits certains. (Les passages sur G. Sand se trouvent dans Les Confessions, souvenirs d'un demi-si�cle, par Ars. Houssaye, t. V et VI, (Paris, Dentu, 1891, et dans les Souvenirs de jeunesse (1840-1850), Paris, Ernest Flammarion.)

Le petit �tudiant � physionoinie �veill�e courut en effet plus tard les rues de Paris avec ses compagnons berrichons, mais ce n'est pas d'un coup que se m�tamorphosa la r�veuse amie de Zo� Leroy en ce gamin et en cet apprenti litt�raire dont George Sand parle dans l'Histoire de ma Vie (chapitres XIII, XIV de la quatri�me partie, vol. IV).

Une seule chose est exacte dans le r�cit de Pyat, c'est qu'� l'arriv�e d'Aurore Dudevant � Paris, dans le courant de janvier 1831, Jules Sandeau l'y attendait d�j�.

Le r�cit que George Sand elle-m�me nous fait dans l'Histoire de ma Vie de ses premiers pas � Paris n'est pas moins inexact. En guise d'introduction � ce r�cit, elle expose, mais d'une mani�re fort vague et obscure, les raisons pour lesquelles elle ne racontera plus ses faits et gestes dans leur ordre chronologique, quoique � ici, dit-elle, ma vie devienne plus active, plus remplie de d�tails et d'incidents* �. Elle pr�tend agir ainsi par g�n�rosit� et par d�licatesse envers les personnes dont la vie est trop �troitement li�e � la sienne, pour ne pas �tre indiscr�te envers elles. Elle pr�f�re, ajoute-t-elle, se taire sur beaucoup de choses et sauter par-dessus, pr�f�rant m�me donner par l� l'occasion de la calomnier, plut�t que d'avoir � accuser les autres et � se justifier, et, � partir de 1831, tout ordre chronologique dans l'Histoire de ma Vie {311} est en effet interverti et d�s les premi�res pages, racontant l'�tablissement d'Aurore Dudevant � Paris, le biographe ne doit plus la suivre � la lettre, tant son r�cit est embrouill�. Ainsi, George Sand commence par faire la description du logement qu'elle occupait quai Saint-Michel et par nous raconter comment elle a achet� des meubles et s'y est install�e avec sa petite fille, pour ajouter aussit�t apr�s, comme en passant, que c'�tait l� son logement durant � la deuxi�me ann�e de son s�jour � Paris, mais que, d'abord, elle y avait v�cu d'une mani�re tr�s inusit�e »..... Par contre, la Correspondance nous apprend qu'elle avait d'abord log� rue de Seine, n° 31**, et que ce ne fut qu'au mois de juillet 1831, apr�s une seconde arriv�e de Nohant � Paris, qu'elle s'�tait install�e au quai Saint-Michel, avait achet� des meubles et s'�tait fait un chez-soi; qu'elle avait ensuite pass� une fois deux mois � Nohant, �tait rentr�e � Paris pour les mois de novembre et de d�cembre, �tait retourn�e � la campagne pour le mois de janvier 1832 et n'avait amen� sa fille Solange � Paris qu'en avril de la m�me ann�e***. Cependant, au chapitre XIII du vol. IV de l'Histoire de ma Vie, {312} elle d�peint, dans les premi�res pages, son logement du quai Saint-Michel et raconte comment elle vivait � Paris � avec sa fille �. Puis elle fait tout � coup un retour � l'ann�e 1831 et nous raconte sa vie � inusit�e �, puis elle revient encore une fois, et sans pr�venir le lecteur, � 1832, en sorte que l'on peut perdre le fil du r�cit au milieu de ce g�chis chronologique. George Sand jette � dessein un voile sur cette nouvelle �poque de sa vie, car son arriv�e � Paris et la rupture avec son mari co�ncidaient avec un autre �v�nement important dans la vie d'Aurore Dudevant: sa liaison avec Jules Sandeau.

* Histoire de ma Vie, vol. IV, 4e partie, p. 77.

** Dans le tome I de la Correspondance, la lettre � Charles Duvernet du 19 janvier 1831 est imprim�e sans adresse, mais lors de sa premi�re impression dans la Nouvelle Revue 1881, cette lettre �tait dat�e, comme dans l'original: Paris, (rue de Seine, 31) 19 Janvier 1831.

C'�tait l'appartement d'Hippolyte Ch�tiron et c'est bien l� qu'elle �tait descendue en arrivant � Paris. M. Amic pr�tend, au contraire, que Jules Sandeau demeurant alors rue Racine, c'est chez lui qu'elle alla directement s'�tablir � Paris.

Nous trouvons encore, dans le tome II du Curieux, l'indication que George Sand et Jules Sandeau demeuraient dans ce m�me h�tel Jean-Jacques Rousseau, n° 1, rue des Cordiers, o� avaient demeur� avant eux Jean-Jacques Rousseau lui-m�me, Condillac, Mahly et Gresset, et plus tard Gustave Planche. Balzac fait descendre son li�ros Lucien de Rubempr�, apr�s son arriv�e � Paris, � ce m�me h�tel, qui a cess� d'exister depuis 1887.

*** Correspondance, vol. I, et les lettres in�dites de janvier 1831 � janvier 1833.

L�onard-Sylvin-Julien Sandeau, un berrichon encore comme George Sand et Pyat, naquit le 19 f�viier 1811 � Aubusson. Il se pr�parait au barreau et faisait son droit � Paris. C'est en 1829 ou 1830, qu'il fit la connaissance des Dudevant au Coudray, pr�s La Ch�tre, chez des amis communs, les Duvernet. Étant le camarade de Fleury, de Charles Duvernet, de Papet et de Gabriel de Planet, il se lia bientot d'amiti� avec Aurore et son jeune prot�g� Boucoiran. Tous ces jeunes gens se voyaient tant�t chez l'un, tant�t chez l'autre; on s'amusait, on faisait des promenades, on dansait ou on faisait de la musique*. Mais ce qui les int�ressait surtout, c'�tait la litt�rature et sa nouvelle �cole. (Ce go�t de la litt�rature n'a rien qui puisse nous �tonner, car presque tous les membres de cette petite soci�t� intime, � commencer par George Sand et Sandeau, entr�rent plus tard, de fa�on ou d'autre, dans la carri�re litt�raire. C'�taient tous des �crivains ou des amateurs de {313} litt�rature en herbe.) On faisait souvent des lectures � haute voix et on s'enthousiasmait surtout pour le chef du romantisme, Victor Hugo. Ses œuvres �taient avidement d�vor�es, ainsi que les articles de Sainte-Beuve. Aurore et ses jeunes amis se moquaient bien du style de la nouvelle �cole romantique et de ses exag�rations, ils les parodiaient m�me dans leurs lettres, mais Victor Hugo restait n�anmoins pour eux un objet d'admiration et de v�n�ration.

* Remarquons pour les musiciens et les dilettanti, que d�j� en 1830, George Sand mentionne souvent dans ses lettres le nom de Berlioz, alors si peu appr�ci� en France, mais dont les M�lodies et les autres œuvres �taient d�j� connues et estim�es dans le petit cercle d'amis d'Aurore.

Les relations d'Aurore avec ces jeunes gens �taient simples et cordiales, une vraie camaraderie, avec cette teinte de boh�me romantique, que, sous l'influence des id�es saint-simoniennes flottant dans l'air et du romantisme naissant, George Sand adopta d�s lors envers ses amis masculins et qu'elle professa toute sa vie.

Chaque fois qu'un des membres de la petite soci�t� partait pour Paris pendant que les autres restaient � Nohant ou � La Ch�tre, une lettre �tait aussit�t �crite en commun et exp�di�e � l'absent. Parmi les lettres in�dites de George Sand, on trouve plusieurs �p�tres humoristiques � Duvernet, �crites en commun ou tour � tour, en vers et en prose, par Aurore, Sandeau et Fleury. Elles sont pleines de verve et d'une gaiet� exub�rante.

L'une d'elles est sign�e comme suit:

AURORE DUDEVANT
hugol�tre!

JULES SANDEAU
hugol�tre!!

ALPHONSE FLEURY
hugol�tre!!!

Lorsque, en 1830, tous ces messieurs partirent pour {314} Paris, ils envoy�rent � leur tour � Aurore une lettre collective, � laquelle elle r�pondit par les deux missives humoristiques publi�es dans la Correspondance. L'une d'elies porte le titre. � Ep�tre romantique � mes amis, Sandeau, Fleury, Duvernet �, et l'autre est �crite sous forme de � R�clamation adress�e par le chien Brave � MM. Fleury et Duvernet, pour offense � la personne du dit Brave et diffamation gratuite aupr�s de sa protectrice, dame Aurore, ch�telaine de Nohant et de beaucoup de ch�teaux en Espagne, dont la description serait trop longue � mentionner �. Le chien Brave porte plainte contre ces messieurs, qui l'accusaient de � traiter de factieux les glorieux lib�rateurs de la patrie �, de lire la Quotidienne et d'autres crimes semblables.

Ces �pitres drolatiques nous peignent de la mani�re la plus attrayante le parfait accord et la gaiet� qui r�gnaient parmi cette jeunesse. Bien autrement remarquable encore est la fin de la lettre du 27 octobre 1830, adress�e � Jules Boucoiran et imprim�e en entier dans la Revue des Deux-Mondes, de 1881, parmi les quatorze lettres de George Sand, mais qui, pour une raison quelconque, fut tronqu�e lors de son impression dans la Correspondance* et o� George Sand dit: � Les cancans vont leur train � la Ch�tre plus que jamais. Ceux qui ne m'aiment gu�re disent que j'aime Sandot** (vous comprenez la port�e du {315} mot); ceux qui ne m'aiment pas du tout disent que j'aime Sandot et Fleury � la fois; ceux qui me d�testent, que Duvernet et vous, par-dessus le march�, ne me font pas peur. Ainsi, j'ai quatre amants � la fois. Ce n'est pas trop quand on a comme moi les passions vives. Les m�chants et les imb�ciles! Que je les plains d'�tre au monde! Bonsoir, mon fils, �crivez-moi. Et � propos, Sandot m'a charg� de le rappeler sp�cialement � votre souvenir. Il vous aime, cela ne m'�tonne pas. Aimez-le aussi, il le m�rite �.

[{314}] * M. Rocheblave, en citant ce passage dans son article George Sand avant George Sand (Revue de Paris, 1896), se trompe compl�tement en l'appelant � in�dit �. Chacun peut le lire dans le n° du 15 janvier 1881 de la Revue des Deux Mondes.

** À cette �poque, chose remarquable, Aurore Dudevant �crivait encore � Sandot � au lieu de � Sandeau �. Dans la Correspondance de George Sand toutes ses fautes sont corrig�es, on a corrig� celle-l� aussi. Dans la pr�face de Pauline elle avoue pourtant qu'elle faisait encore � ce moment beaucoup de fautes d'orthographe.

Si, comme on le voit, tout le monde dans cette petite soci�t� �tait li� d'amiti�, il y avait deux de ses membres, les deux Jules, qui �taient tout particuli�rement chers � Aurore: Boucoiran et Sandeau. Dans le chapitre pr�c�dent nous avons vu que c'est � Boucoiran qu'Aurore, avant tout autre, avait communiqu� les d�tails de sa catastrophe de famille et de la r�solution qu'elle avait prise de quitter le toit conjugal. Elle ne s'�loigne de Nohant qu'apr�s avoir re�u de Boucoiran la promesse de diriger l'�ducation de ses enfants pendant ses absences. Les lignes que nous venons de citer nous apprennent, d'autre part, que les calomnies de la Ch�tre lui donnaient d�j� alors Sandeau pour amant. La m�disance anticipait beaucoup sur les faits, car les rapports entre Aurore et Sandeau ne devinrent intimes que beaucoup plus tard*.

* Dans une lettre � Émile R�gnault elle disait sans d�tour: � Pondant trois mois... ju lui ai r�sist�... � (D�fense de George Sand par Henri Amic. � Lettres � Émile R�gnault �, le Figaro, 9 novembre 1896.)

À l'�poque o� Aurore Dudevant quitta son mari, ses rapports avec Sandeau n'�taient encore que purement amicaux, un peu � boh�mes � comme nous l'avons dit plus haut, quoique plus intimes qu'avec les autres jeunes gens de son {316} cercle. Dans ses lettres � Émile Regnault, Aurore raconte comment naquit cet amour, comment ils se voyaient souvent dans le petit nois entre Nohant rt le ch�teau d'Ars et comment Jules devina le sentiment qu'elle lui portait avant qu'elle s'en rend�t compte elle-m�me. Na�vement et candidement, elle dit, qu'en apercevant au salon un tas de chapeaux gris � peu pr�s les m�mes, elle s'empressait de reconna�tre au � lacet rouge � qui distinguait le chapeau de Jules, si Jules �tait l�, sans s'avouer qu'elle l'attendait.

En arrivant � Paris, Aurore y retrouva la m�me soci�t� de jeunes Berrichons. Jouissant d'une pleine libert�, elle voulut plus que jamais se mettre avec eux sur le pied de l'�galit�, secouer tout pr�jug�, toute cha�ne qui l'emp�ch�t de partager en camarade l'existence de ses amis, adonn�e aux int�r�ts les plus br�lants, aux projets les plus hardis. Elle eut tout d'abord � � liquider � son pass�, � quitter ses anciennes liaisons mondaines, pour commencer une vie nouvelle et se faire un avenir � sa guise. Elle commen�a par rompre avec ceux de ses parents et amies, qui auraient d�sapprouv� sa d�marche, qui auraient jet� le haro et se seraient �loign�s d'elle en apprenant qu'elle avait quitt� le toit conjugal. Elle alla donc au couvent faire ses adieux � ses sœurs bien-aim�es, puis elle f�t une visite aux demoiselles Bazouin, alors mari�es et devenues comtesses, et � quelques autres de ses amies du grand monde. Elle ne leur r�v�la rien. Elle leur promit m�me de revenir, quoiqu'elle s�t parfaitement qu'elle les voyait pour la derni�re fois, que le temps viendrait bient�t, o�, malgr� leur attachement, elles n'oseraient plus la recevoir, et, � leur corps d�fendant, se d�tourneraient d'elle comme d'une femme qui avait foul� aux pieds toutes les r�gles de la morale. Elle revit {317} encore quelques autres amies mondaines et irr�prochablement morales, puis, ces visites finies, elle br�la ses vaisseaux, et devint d�finitivement � gamin � et � apprenti litt�raire �. Alors commenc�rent pour elle les Lehr und Wanderjahre — � Ann�es de voyages et d'apprentissage. �

La situation mat�rielle d'Aurore �tait bien p�nible. La somme consentie par son mari �tait trop minime et Mme Dudevant dut �conomiser sur toutes choses, nourriture, v�tements, billets de th��tre trop co�teux, livres nouveaux. Elle voulait cependant ne pas rester en arri�re de ses camarades et prendre sa part de leurs plaisirs. Dans ses courses � travers Paris, par tous les temps, � chaque heure du jour et de la nuit, les belles robes et les fines chaussures s'ab�maient; elles l'emp�chaient en outre d'aller partout sans attirer l'attention et sans scandaliser ceux qui la voyaient. N'oublions pas qu'� cette �poque, les dames n'occupaient jamais aux th��tres que les places de loges et de balcon et ne sortaient pas seules le soir. En ces ann�es, o� l'on se serait r�cri� d'horreur � la vue d'une bicycliste contemporaine ou d'une femme portant un petit chapeau d'homme et un de ces costumes tailleurs mi-masculins avec gilet et cravate, si re�us de nos jours, les dames recouraient dans les circonstances les plus diverses au costume masculin, et Byron n'a rien invent� d'invraisemblable en obligeant ses amoureuses � se travestir en hommes pour accompagner ainsi leurs amants dans leurs voyages � travers le monde. Lorsque Lamartine rencontra � Rome le chanteur David avec sa fille Camille, celle-ci, pour plus de commodit�, accompagnait son p�re, habill�e en gar�on. La m�re et la tante d'Aurore Dudevant, dans leur jeunesse, faute d'avoir assez {318} de fortune pour prendre des loges trop co�teuses, accompagnaient leurs maris au spectacle en costume d'homme, sans aucune pr�tention au � f�minisme � ni � l'�mancipation. Non loin de Nohant, demeurait une jeune comtesse avec son p�re; elle portait des v�tements d'homme pour chasser le li�vre, et c'est ce qui avait inspir� � Deschartres l'id�e de conseiller � Aurore d'en porter aussi pour aller � la chasse. D'ailleurs Mme Dudevant avait d�j� rev�tu tant de fois ce costume dans la vie et sur la sc�ne, qu'elle trouvait maintenant tout naturel de l'adopter sans rien vouloir � prouver � par l�, mais tout simplement pour faire des �conomies et parce qu'elle trouvait pratique. De nos jours, quand les hommes portent les cheveux coup�s ras et que tous s'habillent uniform�ment en frac ou en veston, en culotte �troite et en chapeaux de haute forme, ce qui, selon l'expression d'un �crivain d'esprit, leur donne � tous un air de � piteux ramoneurs � — une femme habill�e en homme serait aussit�t reconnue, comme Mme Dieulafoi qui se fait trop remarquer en frac, avec sa boutonni�re d�cor�e. Il n'en �tait pas ainsi � Paris, en 1830. On �tait alors en plein romantisme. Il suffit de lire la description de la maison La Chilp�ric et de ses habitants dans les M�moires d'un Anglais � Paris* pour se faire une id�e des costumes extravagants, moyen-�geux ou fantastiques, des coiffures impossibles et des chapeaux �tranges, que portaient les jeunes po�tes et les artistes du quartier latin. C'�tait une mascarade permanente. Si Aurore se f�t m�me costum�e en Rapha�l — cheveux jusqu'aux �paules et b�ret � larges bords — ou quelque autre costume historique, commode pour une {319} femme, personne n'y aurait reconnu une dame; mais elle s'habillait en simple bourgeois de l'�poque. La mode du temps facilitait ce travestissement. � Les hommes portaient de longues redingotes carr�es dites � la propri�taire, qui tombaient jusqu'aux talons et qui dessinaient si peu la taille � que le fr�re d'Aurore, Hippolyte, avait dit en riant: � le tailleur prend mesure sur une gu�rite et �a irait � ravir � tout un r�giment �. Aurore endossa donc une � redingote-gu�rite �, se noua une grosse cravate en laine, se fit couper ses boucles noires jusqu'aux �paules, et mit un chapeau de feutre mou.

* Un Anglais � Paris. Notes et souvenirs, Ier vol. (1835-1848), IIe vol. (1848-1871). Paris, Plon, 1894.

George Sand nous dit avec raison que, m�me sur le th��tre, les femmes ne trahissent leur sexe que par leur trop grand d�sir de plaire et de faire impression; mais comme le meilleur moyen pour une femme, qu'elle soit habill�e en homme ou en femme, pour passer inaper�ue, est de sacrifier l'�clat de ses yeux, ce d�guisement lui r�ussit parfaitement. Sans attirer l'attention de personne, elle put courir les rues, fr�quenter les caf�s, les cabarets, aller aux places � bon march� au th��tre, prendre part aux r�unions des clubs r�publicains et des Saints-Simoniens, visiter les ateliers des peintres et les mus�es, gravir les tours de Notre-Dame et assister aux conf�rences des soci�t�s savantes, en un mot, aller partout avec les trois ou quatre amis berrichons, qui composaient son c�nacle pendant les premiers mois de son s�jour � Paris. C'�taient F�lix Pyat, Jules Sandeau et de Latouche*, auxquels se joignaient parfois Charles Duvernet et Alphonse Fleury, surnomm� par eux � le Gaulois � ou � le Germanique �. {320} Le d�put� Duris-Dufresne, dont nous avons d�j� eu plusieurs fois l'occasiou de parler, et qui, dans les premiers temps, aidait Aurore � se mettre en relation avec le monde litt�raire de Paris, venait souvent compl�ter leur soci�t�.

[{319}] * Alexandre Hyacinthe Thabaud de Latouche, n� en 1785 � La Ch�tre, mort � Aulnay en 1857; journaliste,po�te lyrique et dramatique et romancier, il fut le fondateur du Figaro et s'est surtout rendu c�l�bre [{320}] pour avoir mis en lumi�re le nom et la gloire d'Andr� Ch�nier, en r�unissant et en publiant ses œuvres. Parmi ses ouvrages � lui, citons la Reine d'Espayne, Fragoletta et un recueil de po�sies Les Adieux dont nous parlerons plus loin.

Nous ne reproduirons pas ici les belles pages de l'Histoire de ma Vie o� George Sand raconte avec tant de verve et d'entrain le passe-temps de ses joyeux compagnons, toutes les farces invent�es par eux au milieu de leur vagabondage � travers Paris, leur gaiet� contagieuse leur faisant oublier pauvret�, privations et adversit�s de fortune. Les souvenirs de George Sand se rapportant � cette �poque respirent la fra�cheur, la joie de vivre. Toute cette g�n�reuse jeunesse �tait pleine de foi en l'id�al, port�e � l'h�ro�sme, r�vait la gloire, aspirait � transformer, sinon le monde, au moins la litt�rature. Pouvait-on regretter un d�ner, qu'on ne pouvait se payer, lorsqu'il s'agissait d'une soir�e au th��tre, o� se donnait un nouveau drame de Victor Hugo ou une pi�ce de de Latouche o� il fallait siffler ou applaudir, car on � luttait pour le bon principe �. Était-ce la peine de se soucier du froid de la mansarde, lorsque les articles de de Latouche, de Planche ou de Sainte-Beuve �chauffaient tous les cœurs, soulevaient des temp�tes d'enthousiasmes et d'esp�rances, d'indignation et de ressentiment?

Comme un jeune aigle �chapp� de sa cage, ivre de sa libert�, assoiff�e de savoir, br�lant d'une fi�vre d'activit�, les yeux grands ouverts sur toutes les merveilles qui s'ouvraient devant elle. Aurore Dudevant se trouva jet�e � {321} Paris, et dans quel Paris? Dans ce Paris de 1831, au lendemain d'une r�volution, lorsque la vie sociale, artistique et intellectuelle, ressemblait � une mer apr�s une temp�te, quand ses flots, non encore calm�s, rejettent sur la plage de beaux coquillages, de merveilleuses herbes marines, des perles pr�cieuses, mais aussi des monstres expir�s, des mollusques repoussants et des �paves de navires bris�s. La litt�rature, les arts, les doctrines sociales, la religion, tout �tait en fermentation, tout semblait rena�tre � une vie nouvelle; chaque jour, surgissaient de nouveaux �crivains et de nouveaux livres, de nouveaux pr�dicateurs et de nouveaux syst�mes, de nouvelles pi�ces de th��tre et de nouveaux projets de bonheur universel. Et tout cela, il fallait le conna�tre au plus vite, le voir, l'entendre; il fallait, en outre, ne plus �tre une campagnarde arri�r�e, plonger dans le tourbillon de la vie parisienne, saisir au vol l'esprit du temps � �tre dans le train �, selon l'expression des h�ro�nes de Gyp, mot que George Sand n'aurait certes pas employ�, mais ce qu'elle nous dit � ce propos en a bien le sens: � ... J'�tais avide de me d�provincialiser et de me mettre au courant des choses, au niveau des id�es et des formes de mon temps �.

Elle avait l'air de vouloir rattraper le pr�cieux temps perdu � Nohant et � la Ch�tre, dans une vie uniforme, banale, d�nu�e de tout int�r�t*. Elle avait trop peu de vingt-quatre heures par jour pour voir, entendre, prendre connaissance de tout ce qui l'int�ressait. Comme Liszt, autre g�nie de l'�poque, elle courait, du mus�e du Louvre � l'�glise, pour entendre le pr�dicateur c�l�bre; d'une conf�rence au th��tre, pour entendre chanter la Malibran**, {322} ou voir un nouveau drame de Victor Hugo; de la biblioth�que o� elle d�vorait � l'instant tout ce qui paraissait, ou ce qu'elle ignorait des grandes œuvres litt�raires, elle allait errer dans le vieux Paris, dont raffolaient les romantiques, ou assister � quelque r�union saint-simonienne***. Tout l'int�ressait, tout l'attirait. Chaque jour il arrivait � Aurore de faire la connaissance de quelque personnalit� plus ou moins c�l�bre du monde litt�raire ou artistique de Paris. Elle se r�jouissait de chaque nouvelle relation sortant de l'ordinaire, esp�rait toujours — comme elle le dit avec beaucoup de candeur — entendre quelque chose de bon, de beau et � devenir meilleure �. Dans toute personne �minente, �crivain ou artiste, elle saluait une nouvelle � lumi�re �, de chacune elle attendait � une nouvelle parole �, une id�e profonde, une r�v�lation.

[{321}] * Histoire de ma Vie, t. IV, p. 80.

[{322}] ** À la fin de janvier 1831, elle �crit � son mari: � J'ai �t� assez malade d'un rhume, mon ami. Mais je vais bien et je commence � aller au spectacle. J'ai vu le Napol�on de Dumas � l'Od�on. La pi�ce est pitoyable, et Fr�d�ric Lema�tre est bien inf�rieur � Gobert dans ce r�le... J'ai �t� hier aux Italiens... J'ai vu Mme Malibran dans 0tello. Elle m'a fait pleurer, fr�mir, souffrir enfin, comme si j'eusse assist� � une sc�ne r�elle de la vie. Cette femme est le premier g�nie de l'Europe. Belle comme une vierge de Rapha�l, simple, �nergique, na�ve, c'est la premi�re cantatrice et la premi�re trag�dienne. J'en suis enthousiaste.

J'ai �t� avec les P�rigny voir l'exposition du Luxembourg... Je vais ce soir entendre Mo�se � l'Op�ra. Demain j'irai au Gymnase, et puis je me reposerai des spectacles et je travaillerai pendant une quinzaine de jours... �

*** Au mois de f�vrier 1831, elle �crit encore � son mari: � Croirais-tu que je n'ai pas eu le temps d'aller entendre les Saint-Simoniens? Mme de P�rigny y est assidue, quoiqu'elle voie dans leur doctrine le renversement de tout ordre social et des flots de sang � faire couler. [{323}] Moi, je n'y vois qu'une erreur impraticable, et l'opinion g�n�rale en fait d�j� justice. Il y a une Papesse, qui n'est l� que pour montrer sa robe de velours bleu de ciel et son boa de cygne. Toujours des farces!... �

Les deux lettres in�dites dont nous venons de citer ces passages furent depuis publi�es par le vicomte de Spoelberch, auquel elles appartiennent, au nombre de dix lettres d'Aurore Dudevant � son mari, ins�r�es dans le Cosmopolis (f�vrier 1897), et r�imprim�es par lui dans son excellent ouvrage, tout plein de documents et palpitant d'int�r�t: V�ritable Histoire de � Elle et Lui �, Paris, Calmann L�vy, 1897.

Recherchant partout quelque manifestation �clatante du g�nie humain, elle ne soup�onnait pas que cette soif de lumi�re, cette ardeur intarissable, qui tendait � s'ouvrir des horizons nouveaux, encore confus pour elle, ce vif d�sir de savoir, d'�largir ses vues, que tout cela la distinguait {323} des femmes ordinaires, relevait au-dessus de la foule et attirait � elle tous ceux qui �taient capables de la comprendre et de l'appr�cier. Elle, qui se croyait heureuse de se trouver dans la soci�t� des �lus, ne soup�onnait pas qu'elle �tait elle-m�me marqu�e du sceau du g�nie.

On ne pouvait cependant pas toujours se borner au r�le de spectateurs et de dilettanti, il fallait travailler. Dans les deux derni�res ann�es qu'elle avait pass�es � Nohant, Aurore avait essay� de diverses occupations et � m�tiers � et s'�tait d�cid�e pour celui d'�crivain. Nous avons dit d�j� qu'il serait absolument erron� de croire que c'�tait apr�s son arriv�e � Paris et la rupture avec son �poux, qu'elle fit tous ces essais. C'est cependant l� une erreur, qui, ainsi que nous l'avons fait remarquer, se rencontre chez tous les biographes de George Sand.

En 1831 elle ne s'�tait donc plus � essay�e � � diff�rents m�tiers, mais elle se mit imm�diatement � �crire pour se cr�er des ressources, ce que l'on peut du reste voir par toutes ses lettres publi�es ou in�dites. Il est tr�s int�ressant, tr�s instructif aussi, de suivre dans cette correspondance tous les tourments et la rude �cole par lesquels elle eut � passer dans les premiers temps de son apprentissage litt�raire. Sous ce rapport, ses lettres nous pr�sentent une source bien plus f�conde et des donn�es bien plus {324} v�ridiques que l'Histoire de ma Vie, o� toutes ces difficult�s sont racont�es d'une mani�re plus ou moins adoucie, et o� nous trouvons beaucoup de lacunes et d'inexactitudes: disons plus, les lettres et l'Histoire de ma Vie se contredisent m�me assez souvent. Dans l'Histoire de ma Vie, George Sand dit qu'elle s'adressa d'abord, par l'entremise de Duris-Dufresne, � K�ratry, l'auteur du Dernier des Beaumanoir, �crivain qui jouissait alors d'une grande r�putation, mais aujourd'hui enti�rement oubli�. Elle raconte comme quoi il la re�ut d'une mani�re fort peu aimable, qu'elle vit, d�s l'abord que ce n'�tait pas le guide qu'il lui fallait, que leurs id�es, leurs habitudes et leurs go�ts diff�raient compl�tement, qu'elle ne remit donc plus les pieds chez lui et qu'elle s'adressa ensuite � de Latouche. Celui-ci rit beaucoup du conseil que K�ratry lui avait donn� de � ne pas faire de livres, mais des enfants �, � quoi elle aurait r�pondu: � Gardez le pr�cepte pour vous-meme, si bon vous semble � ou m�me, d'apr�s la version de de Latouche: � Faites-en vous-m�me, si vous pouvez* �, et que c'est alors que de Latouche l'aida dans les premiers pas � faire dans la carri�re litt�raire.

* Histoire de ma Vie, vol. IV, p. 122.

Dans la Correspondance de George Sand, nous lisons aussi que de Latouche, pour lequel elle avait une lettre de recommandation, la re�ut tr�s aimablement, mais qu'il n'approuva pas son roman (Aim�e?) et la fit entrer dans le journalisme; qu'il �tait tr�s s�v�re et ne lui passait rien, mais que ce fut lui seul qui l'aida en tout et devint aussit�t un ami pour elle.

Mais, par les lettres in�dites � son mari*, nous voyons que {325} tout d'abord elle s'�tait bien adress�e � de Latouche pour qui elle avait r�ellement une lettre de recommandation de la part de Mme Duvernet m�re, tante de de Latouche, que celui-ci re�ut la jeune aspirante avec beaucoup d'affabilit�, mais qu'il ne lui plut pas. Ses mani�res lui avaient paru antipathiques et lui-m�me ne lui avait inspir� aucune confiance. C'est alors qu'elle s'�tait adress�e � Duris-Dufresne en le priant de la recommander � K�ratry. Dans ses lettres, dat�es de janvier � mars 1831, elle dit � plusieurs reprises qu'elle ne veut pas avoir affaire � de Latouche, ni m�me suivre ses conseils, que K�ratry lui pla�t beaucoup mieux, mais qu'elle prie son mari de ne souffler mot l�-dessus devant les Duvernet, pour ne pas offenser Mme Duvernet et pour que la nouvelle de ses rapports avec K�ratry n'arrive pas aux oreilles de de Latouche. Le fils du comte de K�ratry a donc eu parfaitement raison quand il protesta, dans le Figaro** contre ce qui est dit de son p�re dans � l'Histoire de ma Vie � et que, pour le prouver, il publia des lettres d'Aurore Dudevant � son p�re. Il est hors de doute qu'au d�but, les relations entre elle et K�ratry furent amicales et agr�ables, que K�ratry d�sirait l'aider autant qu'il le pouvait***, et que ce ne fut qu'au bout de quelques temps qu'ils virent combien ils se convenaient peu par leurs id�es et leurs go�ts. Cela n'arriva que plusieurs mois apr�s l'installation de Mme Dudevant � Paris. Le 4 mars 1831 elle �crit � Boucoiran. � J'ai revu K�ratry et j'en ai assez. H�las! {326} il ne faut pas voir les c�l�brit�s de trop pr�s �... Il est donc �vident que ce n'est pas de Latouche qui la conseilla le premier, mais que son premier conseiller fut K�ratry. Il est �vident aussi que ce n'est pas Duris-Dufresne � qui combattit son projet d'aller voir de Latouche contre lequel il avait de fortes pr�ventions � — comme elle l'�crit dans l'� Histoire**** � mais qu'elle-m�me, ayant, d�s son arriv�e � Paris et avant de conna�tre K�ratry, fait la connaissance de de Latouche, ressentit aussit�t de la d�fiance et de l'antipathie pour lui, t�cha de l'�viter et se tint sur la r�serve jusqu'� ce qu'elle e�t compris quel brave cœur, toujours pr�t � aider ses jeunes confr�res, se cachait sous son ext�rieur rev�che, et alors leurs relations devinrent tr�s amicales. Dans les commencements, de Latouche se montra effectivement d'une grande s�v�rit� envers la novice; la petite fille de Marie-Aurore de Saxe fut tr�s choqu�e de ses mani�res brusques et de son ton autoritaire, l'impression fut — comme nous l'avons vu — que K�ratry �tait plus agr�able et elle pr�tendait � ne pas aimer de Latouche et ne pas vouloir lui �tre oblig�e***** �.

[{324}] * Plusieurs, comme nous venons de le dire, parurent dans le Cosmopolis de 1897 o� elles furent publi�es par le vicomte de Spoelberch qui poss�de en outre toute la correspondance entre les deux �poux.

[{325}] ** Figaro, 28 septembre 1888. Comte Ém. de K�ratry: � Lettres in�dites de George Sand �. Aussi dans ses Petits M�moires. 1 vol. Ollendorff, 1898.

*** Voir la lettre sans date � son mari, ne portant que le mot � Vendredi �, la troisi�me qu'elle lui �crivit apr�s son d�part de Nohant, (pouvant �tre de f�vrier 1831 d'apr�s l'annotation du vicomte de Spoelberch, faite par lui lors de la publication de cette lettre dans son [{326}] ouvrage: la V�ritable histoire de � Elle et Lui �, surtout les phrases: � K�ratry m'a re�ue d'une mani�re paternelle, et j'ai bonne esp�rance maintenant, car, entre nous soit dit, je ne m'entendrai jamais avec un homme comme Latouche. Il continue pourtant � mettre beaucoup d'obligeance dans ses d�marches... Quant au roman, les corrections qu'il exige vont mal avec mes principes. J'aime mieux adopter celles que K�ratry m'imposera, car lui, du moins, est un honn�te homme et un bon homme �.

**** Histoire de ma Vie, t. IV, p. 122.

***** Lettre � son mari �crite � la fin de janvier 1831.

Le 15 janvier elle avait cependant d�j� l'intention d'aller avec de Latouche chez Mme R�camier o� elle esp�rait voir Delphine Gay et plusieurs autres c�l�brit�s litt�raires. Le 19 janvier, Aurore �crit encore, comme toujours d'un ton {327} humoristique, � Charles Duvernet qu'elle �tait all�e avec Fleury chez de Latouche, � car, dit-elle, il aurait fallu deux mulets pour tra�ner jusque-l� mes œuvres l�g�res, qui avaient cependant du poids �, que de Latouche l'avait re�ue d'une mani�re charmante — ce qu'elle attribue � la protection de la vieille Mme Duvernet — mais le r�sultat de sa visite avait �t� que � son roman �tait d�clar� n'avoir pas le sens commun �. De Latouche lui dit encore � qu'il fallait tout refaire, que je ferais bien de recommencer, � quoi j'ai ajout�: Suffit �.

Elle essaya ensuite, comme elle le dit dans la lettre � son mari de la fin de jauvier dont il a �t� d�j� question, de faire para�tre une œuvre dans la Revue de Paris, mais l� on lui dit qu'on ne pouvait l'accepter, � le nom de l'auteur n'�tant pas connu �. � De Latouche, — ajoute-t-elle dans une autre lettre � son mari, �crite � la fin de f�vrier, — promet d'en inventer un... �

Dans la lettre d�j� cit�e, du 10 janvier, adress�e � Charles Duvernet, elle parle avec plus de d�tails de ses rapports avec la Revue de Paris et de son r�dacteur en chef, M. V�ron. � Quant � la Revue de Paris, dit-elle, elle a �t� tout � fait charmante. Nous lui avons port� un article incroyable. Jules l'a sign�, et, entre nous soit dit, il en a fait les trois quarts; car j'avais la fi�vre. D'ailleurs, je ne poss�de pas comme lui le genre sublime de la Revue de Paris. M. V�ron a promis solennellement de le faire ins�rer et il l'a trouv� bien. J'en suis charm�e pour Jules. Cela nous prouve qu'il peut r�ussir. J'ai r�solu de l'associer � mes travaux ou de m'associer aux siens, comme vous voudrez. Tant y a quil me pr�te son nom, car je ne veux pas para�tre, et je lai pr�terai mon aide quand il en aura besoin. Gardez-nous le secret sur cette association litt�raire {328} (vraiment j'ai un choix d'expressions d�licieux!) On m'habille si cruellement � La Ch�tre (vous n'�tes pas sans le savoir) qu'il ne manquerait plus que cela pour m'achever. Apr�s tout je m'en moque un peu; l'opinion que je respecte, c'est celle de mes amis. Je me passe du reste... Je n'ai pas parl� de Jules � M. de Latouche, sa protection n'est pas tr�s facile � obtenir, m'a-t-on dit. Sans la recommandation de votre maman, j'aurais pu la rechercher longtemps sans succ�s. J'ai donc craint qu'il ne voul�t pas l'�tendre � deux personnes. Je lui ai dit que le nom de Sandeau �tait celui d'un de mes compatriotes, qui avait bien voulu me le pr�ter. En cela, je suivis son conseil, car il est bon que je vous le dise, M. V�ron, le r�dacteur en chef de la Revue d�teste les femmes et n'en veut pas entendre parler �.

Aurore ajoute qu'elle explique tout cela pour que Mme Duvernet ne soit pas �tonn�e en trouvant dans la Revue le nom de Sandeau... � Quand nous serons assez avanc�s pour voler de nos propres ailes, je lui laisserai tout l'honneur de la publication et nous partagerons les profits (s'il y en a). Pour moi, �me �paisse et positive, il n'y a que cela qui me tente... �

Voil� combien Aurore Dudevant �tait alors modeste et � quel point les premiers pas dans le chemin de la gloire furent difficiles � George Sand. De Latouche, qui avait toutefois devin� le talent litt�raire de la jeune femme, lui conseilla, si elle voulait devenir un v�ritable �crivain, d'observer autant que possible, de conna�tre la vie sous toutes ses faces et dans toutes ses vari�t�s avant de se mettre � �crire. Mais, comme il la voyait assez embarrass�e par la vie mat�rielle, il lui offrit les m�mes occupations qu'� F�lix Pyat et � Jules Sandeau, c'est-�-dire de s'employer � la r�daction du Figaro. Voil� donc Aurore, commen�ant son {329} � apprentissage litt�raire �, en oubliant pour le moment son r�ve d'�crire des romans. Elle s'y mit avec le m�me z�le et la m�me soumission que les gar�ons apprentis apportent � s'approprier les premiers �l�ments de leur m�tier. Chaque jour la jeune femme se mettait � sa petite table dans le cabinet de r�daction, �crivant sur un sujet qu'on lui avait donn�, tant�t un r�cit fantastique, tant�t une chronique de la vie politique, tant�t une bigarrure.

De Latouche, toujours m�content de ce qu'elle �crivait, d�chirait ce qu'elle avait fait et lui faisait refaire plusieurs fois la m�me chose. Aurore se d�sesp�rait. Il lui semblait qu'elle ne serait jamais capable de m�riter l'approbation de son s�v�re censeur, de plaire au public, d'�crire des notices mordantes et des pages � dans le go�t du temps �, comme savaient en faire les autres collaborateurs du journal. Cependant elle ne perdait pas de vue le but qu'elle s'�tait fix�, ne perdait pas non plus courage et continuait � travailler ferme. Le 4 mars elle �crit � Boucoiran:

� Je suis plus que jamais r�solue � suivre la carri�re litt�raire. Malgr� les d�go�ts que j'y rencontre parfois, malgr� les jours de paresse et de fatigue, qui viennent interrompre mon travail, malgr� la vie plus que modeste que je m�ne ici, je sens que mon existence est d�sormais remplie. J'ai un but, une t�che, disons le mot, une passion. Le m�tier d'�crire en est une violente, presque indestructible. Quand elle s'est empar�e d'une pauvre t�te, elle ne peut plus la quitter. Je n'ai point eu de succ�s. Mon ouvrage a �i� trouv� invraisemblable par les gens auxquels j'ai demand� conseil. En conscience, ils m'ont dit que c'�tait trop bien de morale et de vertu pour �tre trouv� probable par le public. C'est juste, il faut servir le pauvre public � son go�t, et je vais faire comme le veut la mode. Ce sera mauvais. Je {330} m'en lave les mains. Il faut que les noms connus passent avant moi. C'est trop juste. Patience donc. Je travaille � me faire inscrire dans la Mode et dans l'Artiste, deux journaux du m�me genre que la Revue. C'est bien le diable si je ne r�ussis dans aucun.

� En attendant il faut vivre. Pour cela je fais le dernier des m�tiers, je fais des articles pour le Figaro. Si vous saviez ce que c'est! Mais on est pay� sept francs la colonne et avec �a on boit, on mange, on va m�me au spectacle, en suivant certain conseil que vous m'avez donn�. C'est pour moi l'occasion des observations les plus utiles et les plus amusantes. Il faut, quand on veut �crire, tout voir, tout conna�tre, rire de tout. Ah! Ma foi, vive la vie d'artiste! Notre devise est libert�!

� Je me vante un peu pourtant. Nous n'avons pas pr�cis�ment la libert� au Figaro. M. de Latouche, notre digne patron (ah! si vous connaissiez cet homme-l�!) est sur nos �paules, taillant, rognant � tort et � travers, nous imposant ses lubies, ses aberrations, ses caprices. Et nous, d'�crire comme il l'entend; car, apr�s tout, c'est son affaire, nous ne sommes que ses manœuvres ouvrier-journaliste, gar�on-r�dacteur, je ne suis pas autre chose pour le moment*!... �

* Correspondance, vol. I, p. 165-107.

Deux jours plus tard, le 6 mars, Mme Dudevant communique � Duvernet qu'enfin elle a eu du succ�s. La Molinara parue dans le Figaro du 3 mars sans nom d'auteur, fit une grande impression, int�ressa vivement les lecteurs, et tout le monde voulut savoir qui avait �crit l'article. Le 5 mars parut la Vision, �crite par Jules Sandeau, mais corrig�e par Aurore Dudevant, et, dans le m�me num�ro une Bigarrure, {331} — � nouvelle � la main �, un petit entrefilet politique �crit par elle seule. Cet entrefilet plut beaucoup au public qui le trouva � profond »; la censure, qui y trouva des allusions contre le gouvernement, s'en m�la, voulut tra�ner le r�dacteur du journal devant les tribunaux et m�me l'incarc�rer. En un mot, la � Bigarrure � eut un succ�s de scandale. Mme Dudevant �crit dans la m�me lettre du 6 mars*: � Alors le roi-citoyen s'est f�ch�. Et voil� qu'on a saisi le Figaro et qu'on lui a intent� un proc�s de tendance. Si on incrimine les articles en particulier, le mien le sera pour s�r. Je m'en d�clare l'auteur et je me fais mettre en prison. Vive Dieu! Quel scandale � La Ch�tre! Quelle horreur, quel d�sespoir dans ma famille! Mais ma r�putation est faite, et je trouve un �diteur pour acheter mes platitudes et des sots pour les lire. Je donnerais neuf francs cinquante centimes pour avoir le bonheur d'�tre condamn�e!... �

* Correspondance, vol. I, p. 168-173.

Elle ne fut ni poursuivie, ni condamn�e, mais cela contribua � lui faire une certaine r�putation. Bient�t apr�s elle fit para�tre, dans la Revue de Paris, une petite nouvelle la Prima-Donna*, et le 13 mars, dans la Mode: La Fille d'Albano. Plus tard, George Sand avait si compl�tement oubli� ce r�cit, que, quand le futur historien de ses œuvres, le vicomte de Spoelberch lui demanda si c'�tait elle qui l'avait �crit, elle dit d'abord que non; mais quand il lui en eut montr� le texte, elle reconnut ce r�cit.

* 0n ne sait pas trop pourquoi, dans la Correspondance, vol. I, p. 188, il est dit dans une note au bas de la lettre � Charles Duvernet que la Prima-Donna est l'h�ro�ne d'un des � fragments litt�raires in�dits de George Sand �. Comme nous le voyons, ce r�cit a paru en entier au mois d'avril 1831 et il est d� indubitablement � la plume de George Sand.

En avril. Aurore partit pour Nohant o� elle resta jusqu'en juillet, se reposant, au milieu de la nature, de sa vie de {332} travail et de l'agitation de Paris, s'occupant de ses enfants, Maurice et Solange, et de sa petite ni�ce L�ontine. Revenue � Paris au commencement de juillet et d�sirant s'installer plus commod�ment, elle se logea, quai Saint-Michel, dans cette grande maison, qu'elle d�crit dans l'Histoire de ma Vie, imm�diatement apr�s avoir racont� son arriv�e en janvier � Paris; elle s'acheta quelques meubles et en loua d'autres. Bien que ses ressources fussent sup�rieures � ce qu'elles �taient lors de son premier voyage � Paris, sa vie restait cependant toujours difficile. � Je cherchai un logement et m'�tablis bient�t quai Saint-Michel, dans une des mansardes de la grande maison qui fait le coin de la place, au bout du pont, en face de la Morgue*. J'avais l� trois petites pi�ces tr�s propres donnant sur un balcon, d'o� je dominais une grande �tendue du cours de la Seine et d'o� je contemplais face � face les monuments gigantesques de Notre-Dame, Saint-Jacques-la-Boucherie, la Sainte-Chapelle, etc. J'avais du ciel, de l'eau, de l'air, des hirondelles, de la verdure sur les toits; je ne me sentais pas trop dans le Paris de la civilisation, qui n'e�t convenu ni � mes go�ts, ni � mes ressources, mais plut�t dans le Paris pittoresque et po�tique de Victor Hugo, dans la ville du pass�.

* Dans la lettre du 19 juillet 1831 � Charles Duvernet elle donne son adresse � Quai Saint-Michel, 25 �. Dans une lettre in�dite � son mari se trouve: � Quai Saint-Michel, 29. � Balzac donne, dans sa lettre � sa m�re du 1er septembre 1832, l'adresse de Jules Sandeau, � quai Saint-Michel, 26 �, en recommandant de lui envoyer de sa part un exemplaire des Contes Philosophiques � pour l'offrir � qui de droit �. (George Sand.)

� J'avais, je crois, 300 francs de loyer par an. Les cinq �tages de l'escalier me chagrinaient fort, je n'ai jamais su monter; mais il le fallait bien et souvent avec ma grosse fille dans les bras*. Je n'avais pas de servante; ma porti�re, {333} tr�s fid�le, tr�s propre et tr�s bonne, m'aida � faire mon m�nage pour 15 francs par mois. Je me fis apporter mon repas de chez un gargotier tr�s propre et tr�s honn�te aussi, moyennant 2 francs par jour. Je savonnais et repassais moi-m�me le fin. J'arrivai alors � trouver mon existence possible dans la limite de ma pension. Le plus difficile fut d'acheter des meubles**..... �

[{332}] * Quoiqu'elle dise, d�s ce moment, qu'il lui fut difficile de porter [{333}] Solange sur ses bras au cinqui�me �tage, nous savons qu'elle n'amena sa fille � Paris qu'au mois d'avril de l'ann�e suivante (1832).

** Histoire de ma Vie, vol. IV, p. 77-78.

Pour s'acheter des meubles* elle fut oblig�e d'emprunter de l'argent � de Latouche. Toutes ses lettres in�dites � son mari et � Hippolyte, dat�es de la seconde moiti� de 1831 et du commencement de 1832, sont remplies de ses soucis et de ses inqui�tudes � propos du payement de cette dette. Longtemps elle ne sut comment l'acquitter. Elle demanda � Hippolyte de la cautionner; il refusa d'abord, consentit ensuite et m�me lui avan�a 500 francs. Dans un de ses voyages � Paris, Casimir Dudevant paya gracieusement le restant de la dette de sa femme. À la fin de 1831, la vie ext�rieure d'Aurore devint par l� plus tranquille et plus r�guli�re, ce qui lui permit d'�tre plus s�dentaire.

* Dans une lettre in�dite � son mari, dat�e de juillet 1831, elle parle de ses � meubles en acajou et en merisier ».

À cette �poque, ses rapports avec Jules Sandeau �taient d�j� tout autres que son amour mystique pour Aur�lien de S�ze. Aurore se regardait maintenant comme parfaitement libre, pouvant disposer de sa personne comme elle l'entendait. Elle pr�tendait jouir du m�me droit de libert� que son mari, comme le prouvent ces quelques lignes d'une lettre �crite de Nohant � sa m�re, dans laquelle elle r�fute, on ne sait trop pourquoi ni comment, le bruit, arriv� aux oreilles {334} de Mme Dupin, qu'elle s'habillait en homme: � On vous a dit que je portais culotte, on vous a bien tromp�e; si vous passiez vingt-quatre heures ici, vous verriez bien que non. En revanche je ne veux point qu'un mari porte mes jupes. Chacun son v�tement, chacun sa libert�. J'ai des d�fauts, mon mari en a aussi, et, si je vous disais que notre m�nage est le mod�le des m�nages, qu'il n'y a jamais eu un nuage entre nous, vous ne le croiriez pas. Il y a dans ma position, comme dans celle de tout le monde, du bon et du mauvais*. Le fait est que mon mari fait tout ce qu'il veut; qu'il a des ma�tresses ou n'en a pas, suivant son app�tit; qu'il boit du vin muscat ou de l'eau claire, selon sa soif; qu'il entasse ou d�pense, selon son go�t; qu'il b�tit, plante, change, ach�te, gouverne son bien et sa maison, comme il l'entend. Je n'y suis pour rien �... Et aussit�t ajoute-t-elle fermement: � Il est bien juste que cette grande libert� dont jouit mon mari soit r�ciproque; sans cela il me deviendrait odieux et m�prisable; c'est ce qu'il ne veut point �tre. Je suis donc enti�rement ind�pendante; je me couche quand il se l�ve, je vais � La Ch�tre ou � Rome, je rentre � minuit ou � six heures; tout cela c'est mon affaire. Ceux qui ne le trouveraient pas bon et vous tiendraient des propos sur mon compte, jugez-les avec votre raison et avec votre cœur de m�re; l'un et l'autre doivent �tre pour moi**...�

* Il a d�j� �t� dit dans le chapitre pr�c�dent qu'Aurore Dudevant cachait � sa m�re ses chagrins de famille et comment elle t�chait de sauver les apparences envers elle. Il est certain qu'� cette �poque elle se sentait d�j� loin de sa m�re et trop sup�rieure � elle pour lui d�voiler les plaies de son �me.

** Correspondance, vol. I, p. 182-183.

Et au mois de juillet, de retour � Paris, voil� ce qu'Aurore �crit � Duvernet*: � (Je voudrais vous donner) cette {335} facult� de la sentir vive, joyeuse ou br�lante, comme elle circule dans mon sang, comme elle bouillonne dans mon sein! Vivre! que c'est doux! que c'est bon! malgr� les chagrins, les maris, l'ennui, les dettes, les parents, les cancans, malgr� les poignantes douleurs et les fastidieuses tracasseries, vivre! c'est enivrant! Aimer, �tre aim�! c'est le bonheur! c'est le Ciel! Vous savez aimer aussi, vous. Tout votre mal est venu de ce qu'on n'a pas su vous le rendre. Et maintenant que vous �tes compris, vous devez gu�rir... �

[{334}] * Cette page est omise dans la lettre du 19 juillet 1831 imprim�e dans [{335}] la Correspondance, elle doit sans doute �tre plac�e page 194, apr�s la phrase suivante: � Tout cela vous fera travailler sans ennui et vous forcera � des recherches historiques, qui vous arriveront pleines d'int�r�t et de vie �. Il manque ensuite probahlement les mots � je voudrais vous donner �, puis suit la page que nous donnons dans le texte.

Aurore faisait d'autant moins un secret de ses rapports avec Sandeau que les th�ories de l'amour � libre et divin � planaient dans l'air et �taient proclam�es non seulement par les Saint-Simoniens, mais aussi par tous les amis de la jeune femme. Cet amour pour Sandeau joua dans sa vie intime un r�le fatal. Ce fut le premier anneau de toute une cha�ne de liaisons plus ou moins malheureuses, trop nombreuses, et qui ne laiss�rent � la fin, dans ce cœur de femme, qu'amertume et d�senchantement. Ces amours ont creus�, il est vrai, bien plus avant dans l'�me de l'�crivain. Elles le mirent aussi bien souvent en relations avec des personnages �minents et m�me des hommes de g�nie dans les sph�res les plus diverses de la vie sociale et artistique. On sait que ce premier essai de � l'amour libre » ne fut pas heureux, ou pour mieux dire, le bonheur fut aussi fugitif qu'il l'est toujours dans toutes les amours, libres ou non. Quoi qu'il en soit, dans les commencements, ce bonheur {336} sourit � ce couple de camarades amoureux; leurs communs travaux litt�raires contribu�rent encore � les unir et firent de leur liaison une alliance de collaborateurs se respectant et se soutenant r�ciproquement.

Ainsi, � partir de l'�t� de 1831, Aurore �tait plus souvent chez elle qu'� la r�daction du Figaro, d'autant plus qu'elle �crivait, en commun avec Jules Sandeau, leur grand roman Rose et Blanche. Ils �crivaient tour � tour. Chacun r�digeait son chapitre d'apr�s le plan arr�t� d'avance. Il semble toutefois que c'est Aurore qui a �crit la plus grande partie et que le travail de Sandeau consistait plut�t � corriger et � animer les dialogues. Dans l'Histoire de ma Vie, George Sand assure que Jules Sandeau refit ensuite tout le roman et que par cons�quent il lui revient de droit; mais il suffit de lire attentivement Rose et Blanche, pour se convaincre qu'elle n'est pas ici dans la v�rit�. Le roman est �crit d'une mani�re in�gale et il est �vident qu'il n'est pas d'une seule et m�me main. Il y a des chapitres qui sont certainement dus � l'auteur de Consuelo, de Lelia et du P�ch� de M. Antoine, dont ils semblent parfois �tre des fragments. D'autres ont �t� indubitablement �crits par l'auteur de Marianna et de Mme de la Seigli�re; ceux-l� sont moins nombreux et produisent l'impression d'�pisodes isol�s. Il est tr�s �trange que quelques petites nouvelles de George Sand soient entr�es dans les deux volumes publi�s en 1840, sous le titre des Revenants, par Jules Sandeau et Ars�ne Houssaye. Cependant de Rose et Blanche il n'y est entr� qu'un fragment, Horace, tr�s refait et chang� par Sandeau et ayant d�j� servi, sous le titre Vie et Malheurs d'Horace de Saint-Aubin, d'introduction � l'œuvre de jeunesse de Balzac, la Derni�re F�e, reparue en 1836 sous le pseudonyme d' � Horace de Saint-Aubin* ». {337} Ni Jules Sandeau, ni George Sand ne reconnurent donc plus tard Rose et Blanche comme leur œuvre, et ne l'ins�r�ront ni l'un ni l'autre dans leurs œuvres compl�tes. Rose et Blanche ou La com�dienne et la religieuse est l'histoire parall�le de deux jeunes filles, l'une actrice, l'autre religieuse, et peint sous des couleurs tr�s vives le contraste des deux mondes o� vivent les deux h�ro�nes. Les h�ros sont aussi au nombre de deux et font �galement contraste par leur temp�rament et leur caract�re. Dans le principal nous appara�t le type favori de George Sand, celui d'un jeune homme faible, manquant de volont�, incapable de se laisser absorber par aucun sentiment ou de prendre aucune r�solution d�cisive, mais se laissant facilement entra�ner et entra�nant les autres, un peu phraseur, un peu d�senchant�, au fond, froid et �go�ste. Remarquons d�s maintenant que plus tard, dans son roman Horace, o� elle exposa toutes les faiblesses de ce type, George Sand lui donna le nom d'un des h�ros, de son premier roman (ce nom appartient, dans Rose et Blanche d'ailleurs, � un tout autre caract�re) et lui attribua, en outre, plusieurs traits de Jules Sandeau lui-m�me. Il y a dans Rose et Blanche de merveilleuses descriptions, une peinture magistrale des mœurs de th��tre, des pages d'une fine analyse psychologique. On y suit en outre facilement les souvenirs personnels, v�cus par Aurore Dupin. Le couvent, avec ses types si vari�s, et la noblesse campagnarde y ont trouv� un peintre v�ridique d'un puissant coloris. La m�re de l'actrice, Primerose, ressemble beaucoup par sa nature excentrique et fougueuse � la m�re de l'auteur, {338} Sophie-Autoinette Dupin, tout comme l'arrv�e du pr�lat et le d�ner donn� en son honneur, sont �vdemment copi�s sur nature et repr�sentent l'arriv�e � Nohant, en 1829, de Monseigneur de Vill�le (fr�re du ministre), jadis confesseur de presque toutes les �l�ves pendant le s�jour d'Aurore au couvent, ensuite �v�que de Bourges. Nous trouvons le r�cit de cette arriv�e de l'�v�que � Nohant, et le d�ner en son honneur, dans une lettre in�dite de Casimir Dudevant � Caron, et sa description est de tous points la m�me que celle qu'en donne sa femme, certes avec plus de couleur et d'art, dans son premier roman. On ignore qui des deux auteurs a �crit l'�pisode d' � Horace �; les deux jeunes berrichons, en le peignant, se sont servis du m�me original, mais en relisant, dans Rose et Blanche, les pages qui se rapportent � Horace, on croit relire certains passages du P�ch� de M. Antoine, de Mauprat et m�me des romans post�rieurs de George Sand, tels que Jean de la Roche ou Mlle Merquem. Il est difficile de prouver et de montrer en quoi consiste cette ressemblance: elle est dans tout et dans rien — mais le lecteur la sent vivement. Ainsi donc, Rose et Blanche renferme en germe les �l�ments les plus vari�s des œuvres ult�rieures de George Sand. Ce qui est plus remarquable encore, c'est que ce roman est beaucoup plus r�aliste que ceux qu'elle a �crits plus tard. Son style rappelle le ton insouciant et spontan� de ses lettres o� elle ne craint pas de dire les choses carr�ment et hardiment, et emploie des mots tr�s verts et fort peu admis dans un salon. Sa mani�re de traiter, avec verve et cr�nerie, les h�ros et les �v�nements, les dialogues et les conversations, est la m�me que celle de son Voyage en Auvergne. Il s'en d�gage quelque chose de naturel, de sain, de frais. On y trouve bien moins d'exag�rations, de d�clamations, de {339} phrases ampoul�es ot n�buleuses que dans les romans post�rieurs. Et c'est l� un point digne de remarque. Il est tr�s probable que si, d�s ses d�buts, George Sand n'�tait pas tomb�e dans le groupe des romantiques et n'avait pas �t� endoctrin�e par de Latouche, Sainte-Beuve et d'autres, mais qu'elle e�t �crit sous sa propre inspiration sans essayer du � genre sublime � alors en vogue, son talent e�t pris une tout autre direction et se f�t plut�t rapproch� de la mani�re de Balzac, (quoique dans les m�mes chapitres o� elle parle de ses premiers pas dans la carri�re litt�raire, elle nous dise elle-m�me que Balzac et elle avaient, d�s le d�but, compris la diff�rence de leurs aspirations litt�raires et de leurs tendances: elle �tait port�e � id�aliser dans le sens du beau, et lui dans le sens du comique ou du laid). Il serait peut-�tre t�m�raire de se livrer � des hypoth�ses bas�es uniquement sur Rose et Blanche, mais il est toutefois curieux de signaler le r�alisme prononc� du premier grand roman de George Sand. Pour confirmer nos paroles, nous ne donnerons pourtant ici aucun extrait de ce roman, pour la bonne raison que de courts passages prouvent toujours tr�s peu, Moins encore nous r�crierons-nous d'admiration ou d'indignation � propos de la fameuse arriv�e de la diligence avec la vieille nonne perch�e � l'imp�riale, sc�ne tant cit�e � cause de ses d�tails grossi�rement r�alistes. Cependant, comme preuve que ces pages sont r�ellement dues � George Sand, rappelons au souvenir du lecteur les lignes suivantes d'une lettre � sa m�re, dat�e du 22 f�vrier 1832 de Nohant.

[{337}] * Voir l'excellent travail de M. de Lovenjoul: Histoire des Œuvres de Honor� de Balzac, par Charles de Lovenjoul. Paris. Calmann-L�vy, 1879.

... � Si vous trouvez la sœur Olympe trop troupi�re, c'est sa faute plus que la mienne. Je l'ai beaucoup connue, et je vous assure que, malgr� ses jurons, c'�tait la meilleure et la plus digne des femmes. Au reste, je ne pr�tends pas {340} avoir bien fait de la prendre pour mod�le dans le caract�re de ce personnage. Tout ce qui est v�rit�, n'est pas bon � dire; il peut y avoir mauvais go�t dans le choix. En somme, je vous ai dit que je n'avais pas fait cet ouvrage seule. Il y a beaucoup de farces que je d�sapprouve: je ne les ai tol�r�es que pour satisfaire mon �diteur, qui voulait quelque chose d'un peu �grillard. Vous pouvez r�pondre cela pour me justifier aux yeux de Caroline, si la verdeur des mots la scandalise. Je n'aime pas non plus les polissonneries. Pas une seule ne se trouve dans le livre que j'�cris maintenant et auquel je ne m'adjoindrai de mes collaborateurs que le nom, le mien n'�tant pas destin� � entrer jamais dans le commerce du bel esprit* �.

* Correspondance, vol. I, p. 212.

En l'automne de 1831, Aurore passa de nouveau deux mois � Nohant, d'o� elle rapporta � Paris Indiana, roman qu'elle avait �crit pendant l'�t� dans l'espoir que Sandeau, comme il �tait convenu, le corrigerait, y apporterait quelques changements et ajouterait quelques chapitres de sa plume. Mais il se trouva que Sandeau n'avait rien �crit pendant ce temps; il ne voulut non plus rien changer au roman. À la fin de 1831 parut cependant Rose et Blanche. Le nom du nouvel auteur, J. Sand, dont les deux collaborateurs signaient leurs œuvres communes, �tait d�j� connu et avait acquis une notable c�l�brit�. Les jeunes auteurs n'avaient plus besoin de courir � la recherche d'un �diteur; celui qui vint ensuite, vint de lui-m�me chez eux pour leur demander s'ils avaient quelque chose � lui donner. Aurore lui remit le manuscrit d'Indiana, esp�rant pouvoir le signer, comme auparavant, du nom de J. Sand. Mais la modestie de Sandeau se r�volta � l'id�e de signer du {341} pseudonyme commun un travail auquel il n'avait pris aucune part. L'�diteur, de son c�t�, ne voulut pas voir son �dition sign�e d'un autre nom que du nom d�j� connu de J. Sand ou Jules Sand, lui promettant ainsi un prompt �coulement. Que faire? De Latouche conseilla � Sandeau de signer dor�navant ses ouvrages de son vrai nom tout entier, proposa � Mme Dudevant d'en conserver la moiti� — Sand, en ne changeant que le pr�nom, et choisit pour elle celui de Georges*, presque synonyme de � berrichon �.

* George Sand, jusqu'� la fin de 1833 � peu pr�s, �crivait Georges et non George.

Dans l'Histoire de ma Vie, George Sand dit que plus tard beaucoup de ses admirateurs peu sagaces et d'ennemis pas plus raisonnables, virent dans ce pseudonyme un t�moignage ostensible de ses sympathies pour Karl Sand, l'assassin de Kotz�bue, tandis qu'en r�alit� ce pseudonyme n'est que la moiti� du nom de Sandeau que de Latouche lui avait, sans aucune arri�re-pens�e, conseill� de prendre, et qu'elle-m�me avait accept� sans penser � mal et sans y attacher la moindre importance. Mais les chers ours bienfaisants continu�rent encore longtemps � la f�liciter � d'arborer les id�es r�volutionnaires �, pendant que ses ennemis lui reprochaient � sa passion pour les id�es subversives qu'elle affichait si ouvertement et si insolemment �.

Voil� George Sand venue au monde. Quelques mois apr�s Indiana, qui parut le 19 mai 1832, fut publi�: Melchior, puis La Marquise, Valentine, le Toast, la po�sie La Reine Mab.

� L'apprentissage � �tait fini. La litt�rature fran�aise pouvait saluer un nouveau � ma�tre �, et Aurore Dudevant, de collaborateur inconnu de l'insignifiant Figaro d'alors, {342} �tait devenue une c�l�brit�, un nom. Cette ann�e de 1831 cl�t la vie d'Aurore Dudevant. George Sand appara�t, et c'est ce nom que nous lui conserverons d�sormais. Dans les chapitres pr�c�dents, nous avons t�ch� de montrer quels traits h�r�ditaires, quelles impressions d'enfance et de jeunesse, quelles observations froides de l'esprit et tristes remarques d'un triste cœur* ont contribu� � former la nature et le caract�re d'Aurore Dupin-Dudevant; nous y avons donn� le portrait de la femme, nous allons maintenant faire la m�me chose pour l'�crivain. Tout en racontant les �v�nements de sa vie priv�e, nous indiquerons les �tapes successives de son �volution et les �l�ments sous l'influence desquels s'est agrandie et modifi�e sa personnalit� d'�crivain.

* Vers de Pouchkine d�j� cit�.

Nous avons d�j� attir� l'attention du lecteur sur la p�riode de d�veloppement latent et inconscient qu'Aurore eut � traverser depuis l'enfance jusqu'au moment o�, dit-elle, � Je compris que de tous les petits travaux dont j'�tais capable, la litt�rature proprement dite �tait celui qui m'offrait le plus de chances de succ�s comme m�tier, et, tranchons le mot, comme gagne-pain �. Cette p�riode � latente � rappelle les m�tamorphoses du papillon depuis le moment o� il sort de l'œuf, jusqu'au moment o�, d�j� un papillon in potentia, sous forme de cocon, il reste suspendu dans quelque coin cach� aux yeux. La faiseuse de romans � entre quatre chaises �; l'�criveuse de � r�sum�s historiques et de descriptions po�tiques �; l'arrangeuse de Moli�re sur la sc�ne du couvent; l'auteur mystique du roman sentimental sans amour, approuv� par les amies de couvent et par son cousin Ren� et de la {343} Marraine, tout impr�gn� d'amour romanesque; le chroniqueur d�senchant� du Voyage en Auvergne, — voil� les diff�rentes �tapes que la chrysalide avait d�j� travers�es avant 1831: voil� comment, dans sa jeunesse, elle s'�tait pr�par�e, � son insu, � la carri�re d'�crivain. Ils avaient bien raison ceux qui, comme l'a�eule et Ren� de Villeneuve, l'avaient encourag�e � suivre cette voie et lui avaient pr�dit un glorieux avenir.

Mais il lui a fallu sa correspondance avec Aur�lien de S�ze pour qu'elle se d�couvr�t, et son amour pour Jules Sandeau fut pour elle l'haleine de printemps, qui �veilla � la ve la timide chrysalide, la d�gagea de sa gaine et fit d'elle un brillant et splendide papillon. C'est en �crivant � Aur�lien qu'elle apprit � �noncer ses id�es et � cr�er sur le papier la fiction d'une vie dont elle �tait priv�e en r�alit�. Son �tablissement � Paris et son intimit� avec l'homme aim�, au plus fort du mouvement artistique et intellectuel de l'�poque, firent, de ce besoin de se manifester et de ce talent de donner au courant de la plume la vie � tout un monde r�v�, — non plus un passe-temps d'amateur, mais un gagne-pain et un sacerdoce. De dilettante, elle devint �crivain de profession, et, apr�s avoir pass� en tr�s peu de temps par tous les degr�s de l'apprentissage, la voil� ma�tre.

C'est pour cette raison que nous sommes port� � voir dans sa liaison avec Sandeau, une date marquant surtout la manifestation de son g�nie litt�raire, qui, du reste, a co�ncid� avec la crise qui a d�cid� de son sort.

Avant de parler de la vie de George Sand � Paris et � Nohant en 1832, nous jetterons un coup d'œil sur ses premi�res œuvres.

Comme nous avons eu plusiours fois l'occasion de le {344} faire remarquer, depuis son enfance, les jours de r�veries succ�daient chez Aurore Dupin aux acc�s de folle gaiet�. A partir de 1821, dans les entr'actes de ses p�riodes de contemplation et d'aspirations vers l'id�al et la v�rit�, Aurore, tant�t savourait la vie en artiste, courant � travers champs et jouissant de sa libert� au milieu de la nature, tant�t entrait en r�volte ouverte contre la soci�t� et le monde entier. Son amiti� pour Zo� et son amour pour de S�ze — ces six ann�es si calmes en apparence, si remplies par la vie intense de l'�me — furent encore une �poque vou�e aux recherches mi-mystiques, mi-po�tiques, d'une v�rit� nouvelle, devant succ�der aux croyances d'autrefois, aux r�veries enfantines. Les ann�es 1830, 1831, 1832, et le commencement de 1833, apparaissent comme des ann�es de protestation et de r�volte par excellence. Les premi�res œuvres de George Sand, � commencer par la Prima Donna jusqu'� L�lia, portent l'empreinte �vidente tant de ses r�veries po�tiques et de ses recherches passionn�es de la v�rit� pendant sa vie calme � Nohant, que de ses r�voltes contre la soci�t�, ses institutions et ses abus.

Examinons sommairement ses contes, nouvelles et romans en passant Rose et Blanche dont nous avons d�j� parl� ant�rieurement, car cette œuvre ne peut �tre consid�r�e comme sortie exclusivement de la plume de George Sand. Nous avons devant nous — La Prima Donna, la Fille d'Albano, Indiana, Melchior, la Marquise, Valentine, le Toast, un petit po�me La reine Mab et le roman Pauline, paru beaucoup plus tard, mais �crit imm�diatement apr�s Indiana*). George Sand a essay� dans les pr�faces de plusieurs de ses œuvres et dans la douzi�me {345} Lettre d'un voyageur adress�e � Nisard, de prouver que ses premiers romans n'ont pas �t� �crits pour protester contre l'institution du mariage ou contre toute autre institution sociale. Cependant tous ces ouvrages sont p�n�tr�s, qu'elle en ait conscience ou non, d'un esprit de protestation et de r�volte contre la soci�t�, la famille, les pr�jug�s, les injustices et les violences, au nom de la libert� individuelle de la femme. Ou bien ils sont un plaidoyer en faveur des artistes, des talents �touff�s dans les tenailles de la vie bourgeoise.

[{344}] * Pour tout ce qui concerne les dates de publication des œuvres de George Sand nous avons consult� la rarissime brochure: [{345}] « Étude bibliographique sur les œuvres de George Sand » [{345}] par le Bibliophile Isaac (vicomte de Spoelberch). Bruxelles, 1838. Et l'auteur a eu l'extr�me bont� dle nous en communiquer la suite manuscrite (1867-1896). Nous profitons de l'occasion pour lui exprimer ici, encore une fois, toute notre gratitude.

Qu'est-ce en r�alit� que la Prima Donna? C'est, en trois ou quatre pages, l'histoire d'une chanteuse d'op�ra. Mari�e � un homme du grand monde, Gina, c'est le nom de l'h�ro�ne, d�p�rit du mal de la sc�ne; un feu int�rieur la d�vore, ne trouvant pas d'issue dans sa vie de mariage uniforme et terne, elle languit, s'�teint, est mortellement malade. Le docteur, qui comprend la raison de sa maladie, persuade � son mari de la laisser remonter sur la sc�ne. La permission est donn�e. Gina chante avec succ�s dans � Rom�o et Juliette � et meurt au milieu de son triomphe, foudroy�e par le bonheur de se trouver dans le monde de l'art, terrass�e par le trop-plein de ses sentiments qui sont au-dessus de ses forces d�j� bris�es.

La fille d'Albano? — C'est une diatribe de po�te contre le bien-�tre moral et mat�riel de la bourgeoisie, milieu le moins appropri� et le plus funeste � une nature artistique; Carlos, fr�re a�n� d'une artiste, Laurence, attaque �nergiquement la vie bourgeoise pour sauver sa sœur adoptive en {346} l'emp�chant d'�pouser un excellent homme de tr�s bonne famille, parce que ni lui, ni les siens ne conviennent nullement � sa bouillante nature artistique. Presqu'au moment de signer le contrat, Carlos arrache Laurence � l'homme aim�, il l'enl�ve � l'eau tranquille et stagnante, pour l'entra�ner de nouveau vers la mer houleuse de la vie artistique o� l'art seul est but, moyen, r�compense, souverain bonheur. Le ton quelque peu emphatique du r�cit lui nuit un peu, mais ce ton est presque naturel dans la bouche d'un � artiste � qui a la parole ardente, plastique, presque exub�rante. Le h�ros s'appelle Aur�lien... de Nanc�; il se console bien vite de la perte de la femme aim�e, se marie, entre dans l'ar�ne politique dans l'espoir de devenir arec le temps pair de France ou ministre. Tout en lui, dans sa vie, dans sa famille, est correct, d'accord avec les r�gles de la morale et du bon ton, tout est noble, mais frise la froideur et... �voque quelques vagues souvenirs personnels de l'auteur.

C'est ainsi que George Sand se laisse aller, d�s ses premiers pas dans la carri�re litt�raire, � d�crier la vie bourgeoisement vertueuse, intol�rable, funeste � chaque talent, et manifeste une sympathie sp�ciale. et un vif int�r�t pour les « artistes � dans le sens pr�cis du mot. Une des h�ro�nes de Rose et Blanche est encore une actrice, comme nous l'avons vu, et le roman lui-m�me porte comme sous-titre: � La com�dienne et la religieuse �.

Dans la Marquise, ce n'est pas l'h�ro�ne, mais le h�ros qui appartient au monde th��tral. Cette charmante et triste nouvelle, �crite dans les tons tendres d'un pastel de Latour, atteste � quel point l'auteur poss�dait la connaissance approfondie du grand monde brillant de la fin du XVIIIe si�cle. C'est l'histoire d'une certaine marquise, qui, n'ayant jamais {347} connu l'amour, quoique mari�e depuis plusieurs ann�es et en liaison toute de convenance comme il �tait de bon ton alors, avec un chevalier quelconque, tombe tout � coup amoureuse de l'acteur L�lio. Elle l'aime d'un amour tout diff�rent des intrigues passag�res et l�g�res des vicomtesses et des comtesses de son entourage. L�lio, lui-m�me, ne ressemble en rien aux chevaliers et aux abb�s poudr�s, parfum�s, mani�r�s, froidement pervertis, d'une �l�gance ext�rieure, d'une nullit� de cœur effrayante, familiers du cercle de la marquise. L�lio �tait tout feu et tout �me: il ne mimait pas seulement les grands sentiments des h�ros de Corneille et de Racine, leur noblesse, leur fougue, — par sa nature il �tait lui-m�me un de ces h�ros. Il �tait beaucoup moins acteur sur la sc�ne que ne relaient dans la vie les fats mondains qui entouraient la marquise. Disons plus, son jeu �tait si simple, si naturel et si plein de passion et de po�sie, qu'il d�plaisait aux amateurs contemporains de l'art dramatique, qui demandaient alors aux acteurs un jeu plus artificiel et plus mani�r�. Mais la marquise, languissant au miheu d'une soci�t� mondaine o� elle ne trouvait rien ni personne capable de toucher son cœur, ni ses sentiments, se prit d'amour pour L�lio uniquement pour la beaut� de son �me qu'elle avait devin�e, pour ce feu sacr� qui illuminait son visage laid et sa personne ch�tive. La marquise �tait sur le point d'oublier pour L�lio sa r�putation � impeccable �, qui la rendait presque ridicule au milieu de ses amies frivoles; mais en l'ayant vu hors de la sc�ne, -elle en fut d�senchant�e, car hors du th��tre c'�tait un homme laid, insignifiant, aux mouvements brusques et aux mani�res grossi�res. Alors l'amour de la marquise se trouva �tre encore plus en opposition avec sa vie r�elle et devint une r�verie, o� elle cherchait l'oubli de l'ennui qui {348} la rongeait. Elle consentit � un rendez-vous que L�lio l'avait suppli�e de lui accorder, car lui aussi l'aimait de loin et avait su deviner sa nature � l'expression attentive de son visage. Au grand �tonnement de la marquise, L�lio se pr�senta � l'entrevue par� et orn� comme elle l'avait vu au th��tre; sa conversation lui montra aussi que son commerce de tous les jours avec les classiques avait ennobli et rehauss� son �me, lui rendant familiers les sentiments les plus sublimes. Malheureusement, ce que la marquise aimait surtout dans L�lio, ce n'�tait pas l'homme, c'�tait l'id�al qui l'avait consol� dans sa vie terne; d'autre part, L�lio adorait trop la marquise pour ne point remplir ses moindres d�sirs. Tous deux comprirent que le bonheur �tait chose impossible pour eux; que, si m�me ils r�ussissaient � le conqu�rir, leur vie au milieu d'une soci�t�, alors rigoureusement divis�e en castes, aurait �t� intol�rable. Ils se s�parent pour toujours. Comme autrefois la grand'm�re d'Aurore, la marquise � conserve ses plumes blanches » d'une puret� immacul�e, et il ne reste au lecteur qu'� s'affliger avec L�lio sur les pr�jug�s du monde, qui mettent une barri�re artificielle entre deux �mes sœurs, se comprenant l'une l'autre, ou � se dire, qu'en g�n�ral, les natures ardentes, passionn�es, profondes, soit dans le monde, soit sur la sc�ne, sont toujours condamn�es � souffrir parmi les hommes ordinaires, froids ou indiff�rents, et � rester incomprises et m�me m�pris�es. L�lio passe pour un homme sauvage, mal �lev� et mauvais acteur, parce qu'il donne toute son �me dans son art. La marqise, de m�me, se croit et tous la croient born�e et sotte, quoiqu'elle soit cent fois sup�rieure aux poup�es qui l'entourent.

Remarquons que, dans l'edition illustr�e des œuvres de {349} George Sand, au-dessus du titre La Marquise se trouve uu m�daillon avec le portrait soi-disant de la marquise elle-m�me, dont l'auteur nous parle dans la pr�face. Elle est en Diane-chasseresse (comme est r�pr�sent�e Marie�Aurore de Saxe elle-m�me sur le portrait par Latour, qui appartient maintenant � la petite fille de George Sand, Mme Aurore Lauth): corsage tr�s d�collet�, style Louis XV, en � satin tigr� �, un arc � la main et un croissant dans les cheveux poudr�s. Remarquons aussi que, si l'amie de la marquise porte le nom de Mme de Ferri�res, lequel appartenait � une des vraies amies de Mme Dupin de Francueil, la marquise elle-m�me tr�s belle et fort sotte (elle passait au moins pour stupide) semble rappeler Mme de Pardaillan* t, ou m�me un original qui �tait beaucoup plus proche d'Aurore Dudcvant. Rappelons-nous qu'elle r�p�te � plusieurs reprises dans � l'Histoire de ma Vie � que, dans son enfance, elle paraissait souvent � sotte �, � b�te � et que m�me plus tard, lorsqu'elle songeait ou r�fl�chissait, sa figure prenait une expression d'immobilit� stupide — elle�m�me le pr�tend et quantit� de personnes qui l'ont connue dans diff�rentes p�riodes de sa vie**, le disent aussi, en ajoutant que cette expression pouvait iuduire en erreur ceux qui ne la connaissaient pas, — tout comme la figure peu �veill�e de la pauvre marquise lui faisait faire, de m�me qu'� ses amies, des r�flexions d�daigneuses � propos de son esprit. Nous voyons ainsi dans La Marquise, � c�t� d' observations sur autrui, des traits plus ou moins autobiographiques. {350} Par sa naissance et par son �ducation, l'auteur appartenait au m�me monde que la marquise; comme celle-ci, elle a cherch� le bonheur dans la boh�me artistique, et m�me n'a pas manqu� de faire porter � sa marquise le costume d'homme pour aller au th��tre, lorsqu'elle se glisse incognito aux stalles pour jouir du jeu de L�lio sans avoir � craindre de trahir son amour et son �motion.

[{349}] * Histoire de ma Vie, vol. II, p. 318-320.

** Heine, Gutzkow, Lenz, Maxime Du Camp, Goncourt et plusieurs autres contemporains de George Sand, qui sont encore en vie, parlent � peu pr�s en m�me termes du � regard immobile de ses grands yeux noirs, velout�s, sans �clat ni expression, et qui ont l'air de ne rien voir �.

Pauline doit �galement �tre rang�e parmi les premi�res œuvres de George Sand; ce roman n'a �t� publi�, il est vrai, qu'� la fin de 1839 et au commencement de 1840, mais c'est au d�but de l'ann�e 1832 qu'il a �t� con�u et m�me �crit � moiti�. Dans la pr�face de l'�dition de 1852, George Sand dit: « J'avais commenc� ce roman en 1832 � Paris , dans une mansarde o� je me plaisais beaucoup. Le manuscrit s'�gara: je crus l'avoir jet� au feu par m�garde, et, comme au bout de trois jours, je ne me souivenais d�j� plus de ce que j'avais voulu faire... je ne songeai point � recommencer. Au bout de dix ans environ, en ouvrant un in-quarto � la campagne, j'y retrouvai la moiti� d'un volume manuscrit, intitul� Pauline. J'eus peine � reconna�tre mon �criture, tant elle �tait meilleure que celle d'aujourd'hui. Est-ce que cela ne vous est pas souvent arriv� � vous-m�me, de retrouver toute la spontan�it� de votre jeunesse et tous les souvenirs du pass� dans la nettet� d'une majuscule et dans le laisser-aller d'une ponctuation? Et les fautes d'orthographe, que tout le monde fait et dont on se corrige tard, quand on s'en corrige, est-ce qu'elles ne repassent pas sous vos yeux comme de vieux amis? En relisant ce manuscrit, la m�moire de la premi�re donn�e me revint aussit�t, et j'�crivis le reste sans incertitude �.

Et que voyons-nous dans cr roman?

Nous y retrouvons encore une actrice, Laurence, Par {351} sa nature g�n�reuse, grande, spontan�e et ouverte, candide et impressionnable. Laurence fait contraste avec la provinciale Pauline, bourgeoisement vertueuse, s�chement pieuse, mesquine, incapable de tout �lan, de tout mouvement spontan�, �loign�e du vice, mais �loign�e aussi de tout profond sentiment humain, Laurence, actrice de beaucoup de talent et d�j� c�l�bre, arrive par hasard, �tant en route pour Lyon, dans la petite ville de Saint-Front, o� elle avait pass� sa triste jeunesse abreuv�e de privations et de peines. Elle y avait laiss� une amie et �l�ve, Pauline, dont elle avait fait la connaissance, lorsque, �g�e de quinze ans � peine, elle donnait des le�ons dans une pension, avant d'avoir song� au th��tre. Plus tard, quand elle eut franchi ce pas hardi en se faisant actrice et en rompant ainsi avec les vertus bourgeoises, Pauline, comme tous ses concitoyens et ses concitoyennes, avait rompu avec elle, ou du moins avait cess� de lui �crire. Laurence avait pourtant tr�s hien compris que Pauline, dans le monde o� elle est n�e, ne pouvait agir autrement, mais malgr� les longues ann�es de s�paration, elle ne doute pas de l'amiti� de Pauline. (Lecteur remarque certainement vr trait autobiographique). Apprenant que Paulin �tait toujours dans cette ville et point mari�e, Laurence interrompt son voyage et va la voir. À peine a-t-elle franchi le seuil de la porte de Pauline, qu'elle est envahie par la sensation du calme et du silence qui y r�gnent, par le sentiment de l'�loignement des agitations et des passions mondaines. L'atmosph�re de cette maison provinciale, terne et morte, lui semble p�n�tr�e d'humbles et aust�res vertus, et Pauline, elle-m�me, pench�e tant�t sur son m�tier, tant�t occup�e � soigner sa m�re acari�tre et aveugle, �go�ste comme tous les malades, s'offre � son imagination comme la personnification {352} de l'humilit� ang�lique, de la mis�ricorde chr�tienne, de la patience, du sacriflce tranquille et conscient. Laurence se sent saisie envers Pauline d'�tonnement, de respect et presque d'adoration. Il lui semble que jamais elle ne serait en �tat de remplir une mission aussi sublime. Pauline accueille son ancienne amie � bras ouverts et dit que c'est par simple ob�issance � sa m�re, qui n'avait pas permis de continuer son amiti� avec une actrice — selon elle, femme perdue — qu'elle avait cess� de lui �crire. L'aveugle, d'abord fort peu aimable avec Laurence, la traite de � malheureuse �, puis s'adoucit, vaincue par les bonnes gr�ces de la jeune femme qui sait la charmer, et, enfin, pour faire pi�ce � toute la petite ville, la prend sous sa protection et fait �clater aux yeux de tous l'amiti� qu'elle lui t�moigne. La nouvelle de l'arriv�e d'une belle inconnue se r�pand auss�t�t dans la ville, remuant ce marais stagnant. Les rumeurs, les bruits, les comm�rages se propagent. Enfin, pouss�s par la curiosit�, les habitants de Saint�Front n'y tiennent plus, et, sous des pr�textes sp�cieux, ils se rendent chez la m�re ge Pauline. La sc�ne de l'apparition de presque toute la ville dons le salon �ternellement silencieux et toujours d�sert de la vieille Mme D., la lutte des petits amours-propres et des mesquines vanit�s avec la curiosil�; les potins, les coups d'�pingles et les grosses m�disances, tous ces bas-fonds de la vie provinciale remu�s tout � coup jusque dans leurs profondeurs par l'arriv�e, sinon d'un � ispecteur g�n�ral �, au moins d'une c�l�brit�, sont d�peints de main de ma�tre en traits concis, �nergiques, incisifs, mais pleins, en m�me temps, de bonhomie et d'humour. Ce sont l� des pages que l'auteur du � Reviseur �, lui-meme pourrait presque envier. Tous, MM. les maires et Mmes les sous-pr�fettes, sont si pleins d'une terreur {353} panique devant � l'affreuse femme �, en m�me temps si d�sireux d'apprendre quelque chose d'elle; ils craignent tnnt d'avouer leur curiosit� ou d'adresser la parole � Laurence et plus tard sont si press�s d'assurer qu'ils ont �t� justement � les premiers � causer avec elle et qu'ils se sont mis au-dessus des pr�jug�s » qu'on arrive involontairement � conclure que la calme Mme Aurore Dudevant, tout en faisant ses confitures, en taillant des gilets ou en jouant des contredanses � quatre mains avec Dutheil ou P�rigny, n'avait pas mal r�ussi � r�colter d'heureuses observations sur les petitesses provincialos et qu'elle avait peut-�lre m�me eu l'occasiou d'en faire l'�preuve sur sa propre personne, lorsque, de femme effac�e d'un insignifiant gentill�tre, elle s'�tait faite, elle aussi, artiste et � femme affreuse ». On peut m�me croire que George Sand a v�cu pareil retour au pays natal, retour qui aura remu� le lac dormant de La Ch�tre. Si elle ne l'a pas v�cu personnellement, elle connnaissait du moins toutes les conditions locales pour se l'imaginer et le d�peindre avec une v�rit� frappante. On croit aussi 1ire des pages de journal intime dans les lignes suivantes: � C'�tait affreux, cette pauvre ville, et pourtant j'y ai pass� des ann�es de jeunesse et de force! J'�tais bien autre alors... J'�tais pauvre de condition, mais j'�tais riche d'�nergie et d'espoir. Je souffrais bien! Ma vie se consumait dans l'ombre et l'inaction; mais qui me rendra ces souffrances d'une �me agit�e par sa propre puissance? 0 jeunesse de cœur! qu'�tes�vous devenue?... »

Mais revenons � notre r�cit. Apr�s avoir soumis et enchant� les habitants de Saint-Front par la vivacit� de son caract�re, le charme qui �mane d'une artiste, la grace de toute sa personne, Laurence quitte la ville; elle quitte la {354} maison de Pauline avec de tout autres pens�es que celles qu'elle avait en y entrant deux jours auparavant. Id�alisant en artiste ses premi�res impressions, elle croyait �tre tomb�e dans un abri de vrai vertu; il lui semblait que Pauline �tait l'id�al d'un sacrifice conscient; qu'elle s'�tait volontairement immol�e � l'amour de sa m�re. Mais il n'en �tait rien: Pauline ne remplissait son devoir que par orgueil, dans le d�sir de s'�lever � ses propres yeux; le sacrifice de sa jeunesse et les soins qu'elle prenait de sa m�re n'�taient qu'une sorte de « manteau de vertu » dans lequel elle se drapait devant le monde et plus encore devant elle-m�me; ses soins cachaient le d�pit contre sa m�re, l'irritation d'avoir perdu sa jeunesse, riv�e � une mourante, presque � un �tre mort. Et en Mme D., Laurence remarque au lieu d'une reconnaissance touchante, la crainte qu'elle a de sa fille, la peur de se voir tout � coup priv�e de son aide et de son soutien, et en m�me temps le d�pit d'avoir cette crainte et de ne pas pouvoir se suffire � elle-m�me. Pour cette raison, aux moments o� elle a besoin de sa fille, elle met de c�t� ses convictions et ses principes pour l'amadouer (c'est dans un de ces moments qu'elle a consenti � recevoir Laurence); mais quand elle n'a plus besoin de rien, que tous ses d�sirs sont satisfaits, elle se venge de sa fille par des coups d'�pingle, des caprices, des paroles m�chantes et am�res. En un mot, ce paradis que Laurence avait cru trouver, �tait en v�rit�, sinon un enfer, du moins un bagne o� ces deux �tres, riv�s l'un � l'autre, par une cha�ne indestructible, ne pouvaient faire un pas sans s'�tre � charge.

Laurence n'est pas la seule qui fut d�senchant�e. Pauline aussi fut tromp�e dans son attente; elle avait esp�r� faire envers son amie la g�n�reuse, la protectrice, lui accorder son pardon et lui montrer son indulgence envers {355} la femme d�chue. Toul au contraire , Laurence n'�tait nullement ni femme � d�chue �, ni femme � perdue »; elle n'avait besoin de la protection de personne, vivait d'une vie pleine et heureuse au milieu d'une soci�t� brillante, entour�e de respect, d'amiti�, d'adoration, de luxe, habitu�e � une grande libert� et � toutes les petites jouissances du bien-�tre inconnues � Pauli. Au lieu d'avoir � pardonner, l'�me de Pauline se remplit de fiel et de jalousie. Laurence, au contraire, n'a pour Pauline que de la piti�. Elles se quittent. Il s'�tablit entre elles une correspondance qui, d'un c�t� comme de l'autre, ne fait que d�velopper ces sentiments oppos�s. La m�re de Pauline, morte, la g�n�reuse Laurence, apr�s avoir consult� sa bonne et sensible m�re, la prend chez elle � Paris. (Au moment o� elle terminait son roman, en 1840, George Sand attribua � la m�re de Laurence bien des traits de la vieille Mme Garcia, m!re de Mmes Malibran et Viardot, comme elle a aussi dessin�, en partie, toute la famille de Laurence d'apr�s cette famille d'artiste.) La premi�re partie du roman forme, pour ainsi dire, le nœud de l'action, et la seconde le d�veloppement de toutes les donn�es. Laurence, insoucieuse, g�n�reuse, sinc�re, enthousiaste, occp�e de son art, de ses nombreuses connaissances et de l'�ducation de ses deux jeunes sœurs, se comporte avec Pauline en toute confiance et t�che en toute sinc�rit�, de lui faire un vie heureuse. Elle fait du bien � tous sans s'en donner la peine, parce que sa nature est g�n�reuse et bienfaisante, et les privations des ann�es pr�c�dentes lui ont fait mieux sentir les tristesses � des humbles et des opprim�s �. Pauline, au contraire, agit toujours en pleine conscience avec la susceptibilit� craintive des natures �go�stes. Elle craint tellement de se sentir redevable � Laurence et � sa famille qu'elle {356} s'empresse de se charger de presque tout le m�nage et des soins domestiques pour ne pas �tre oblig�e � la reconnaissance envers ses h�tes, et pour relever son r�le � ses propres yeux et � ceux du monde. � Je suis utile, dit-ellle, je n'admets aucun bienfait gratuit, je paye tout au centuple. � Pleine d'un amour-propre mesquin, elle envie le succ�s, les adorateurs de Laurence et sa mani�re de vivre; son r�le volontaire de confidente, d'aide et de m�nag�re lui p�se bient�t, et elle se met � d�tester Laurence qui n'en peut mais, comme autrefois elle couvait une haine sourde contre sa m�re. Ici encore elle renferme tout cela en elle, mais l'amertume ne fait que grandir. Appara�t alors un riche dilettante, Montgenays, homme sans cœur et vaniteux, qui par son amour-propre excessif, lequel ne pardonne rien, ressemble beaucoup � Pauline. Il avait autrefois tent� de faire la cour � Laurence, mais sans succ�s: sa vertu inalt�rable �tait � juste titre l�gendaire. Il n'est pas homme � pardonner sa d�faite. Bassement personnel, cachant sous un semblant d'amiti� respectueuse la soif de se venger, Montgenays esp�re, t�t ou tard, arriver � son but. Devinant l'amour-propre de Pauline et � quel point elle est vaniteuse, il recourt, avec son exp�rience de viveur, au moyen classique, la jalousie, pour exciter l'amour de Laurence. Il se sert comme arme de Pauline, et commence � lui faire la cour. Laurence, flairant le mensonge, essaye de pr�venir Pauline contre le danger et lui conseille de ne pas prendre au s�rieux toutes les paroles de Montgenays. Mesquine et incapable d'abn�gation, Pauline ne peut pas comprendre qu'il puisse y avoir chez les autres des sentiments d�sint�ress�s. Elle regarde la sinc�rit� de Laurence comme la ruse d'une coquette qui craint de perdre un seul de ses adorateurs, et {357} elle y r�pond par un redoublement d'animosit�, de m�fiance et de haine. Non contente de cela, elle fait part � Montgenays des conseils de Laurence, ce qui l'exasp�re encore davantage contre la jeune femme. Apr�s quelques nouvelles ruses, aussi malheureuses que la premi�re, pour conqu�rir l'amour de Laurence, par haine et par vengeance, il s�duit Pauline, apr�s l'avoir brouill�e avec sa protectrice, et install�e dans un grenier o� elle gagne � peine sa vie en s'occupant de couture. Montgenays, dont l'amour-propre et le d�sir de para�tre est le seul mobile, finit par �pouser Pauline pour �tonner le monde par son d�sint�ressement. Mais il se venge sur elle de son insucc�s, et la vie ext�rieurement brillante qu'il lui fait mener est un v�ritable enfer. Pauline se console par la pens�e qu'elle est envi�e des autres femmes et qu'elle l'a emport� sur sa pr�tendue rivale, Laurence, qu'elle croit jalouse de la savoir mari�e � son ancien adorateur. Consolation digne de cette nature insignifiante! Le roman finit par ces mots: � Beaucoup de vertus tiennent � des facult�s n�gatives. Il ne faut pas les estimer moins pour cela. La rose ne s'est pas cr��e elle-m�me, son parfum n'en est pas moins suave, parce qu'il �mane d'elle sans qu'elle en ait conscience; mais il ne faut pas trop s'�tonner si la rose se fl�trit un jour, si les grandes vertus domestiques s'alt�rent vite sur un th��tre pour lequel elles n'avaient pas �t� cr��es �.

Et dans la petite pr�face, que nous avons d�j� reproduite en partie, George Sand dit encore: � La morale du conte, s'il faut en trouver une, c'est que l'extr�me g�ne et l'extr�me souffrance sont un terrible milieu pour la jeunesse et la beaut�. Un peu de go�t, un peu de po�sie, ne seraient point incompatibles, m�me au fond des provinces, {358} avec les vertus aust�res de la m�diocrit�, mais il ne faut pas que la m�diocrit� touche � la d�tresse; c'est l� une situation que ni l'homme, ni la femme, ni la vieillesse, ni la jeunesse, ni m�me l'�ge m�r ne peuvent regarder comme le d�veloppement normal de la destin�e providentielle �.

Selon nous, cependant, les lignes qui terminent ce livre expriment d'une mani�re bien plus juste, quoiqu'un peu nuageuse, l'id�e-m�re du roman. Elles peuvent �tre comment�es ainsi: Ne vous fiez pas trop � ces vertus passives qui ne sont souvent vertus que parce qu'elles n'ont pas la force d'�tre quelque chose de plus actif. La vertu, le sacrifice de soi-m�me, l'humilit� chr�tienne, ne sont durables et bonnes, que lorsqu'elles sont d'un cot� purement instinctives et �manent d'une �me pure et belle, et d'un autre sont conscientes et viennent d'un esprit �clair� et bienfaisant. L� o� il n'y a que le d�sir de para�tre �lev�, bon, pur, o� la vertu chr�tienne et l'abn�gation ne sont pas p�n�tr�es d'un vrai amour, cette vertu est froide, conduit souvent � la s�cheresse, � l'envie, � la m�chancet�, � l'orgueil, � l'�go�sme, � tout ce que vous voudrez, mais non aux actes et aux sentiments chr�tiens. De pareille vertu, on peut s'attendre � l'occasion, � toutes les m�chancet�s et m�me au crime. Placez-la dans des conditions o� l'on n'exige ni humilit�, ni patience, ni amour, mais des qualit�s tout oppos�es, et elle sera capable de tout. Ou bien on peut tirer de Pauline la conclusion que voici: Des natures non artistiques ne seront jamais de grandes �mes, elles sont trop s�ches dans leur morale journali�re, trop confin�es dans leur mesquine et �go�ste individualit�.

Le roman, la premi�re partie surtout, renferme bon nombre depages tr�s belles et d'observations heureuses, et {359} les premiers chapitres nous font partager l'opinion d'un auteur inconnu qui dit dans un petit article publi� dans la Nouvelle Biographie g�n�rale �dit�e chez Firmin Didot: � Ses entr�es (de G. Sand) en mati�re sont adorables et dignes des plus beaux d�buts de Walter Scott �... Cette remarque ne s'applique � aucun des romans de George Sand mieux qu'� Pauline. En effet, le d�but en est non seulement parfaitement �crit, mais nous y trouvons encore tous les motifs favoris des d�buts de Walter Scott: l'indispensable auberge, l'arriv�e d'une voyageuse, et le postillon, et l'aubergiste, et un relais, — tout ce que nous aimons tant dans les r�cits du vieux � sacristain de Ganderclaigh �.

Ainsi, dans ces cinq premi�res œuvres, George Sand d�peint le conflit entre le talent et le milieu bourgeois, la lutte des �mes empreintes du sceau du g�nie contre l'oppression de la vie quotidienne et les pr�jug�s de caste, et pr�che le droit des gens de g�nie � une libert� plus large que celle dont jouit le commun des hommes. C'est pourquoi la Prima Donna, Rose et Blanche, la Fille d'Albano, la Marquise, Pauline, sont comme les jalons des th�mes qu'elle a si artistement d�velopp�s plus tard dans la Derni�re Aldini, dans Carl, Teverino, Consuelo, Lucrezia Floriani, dans le Ch�teau des D�sertes, Consiance Verrier et m�me dans le conte le Ch�teau de Pic-tordu.

Dans Melchior, dans le Toast, dans Indiana et dans Valentine elle met en sc�ne, non des probl�mes concernant les artistes, mais des probl�mes tragiques de la vie de femme. Une femme mari�e, malheureuse, incomprise et languissant dans une union mal assortie, n'aurait-elle donc pas le droit de s'affranchir? Son �me doit-elle �tre sacrifi�e au code de la morale formelle qui ordonne l'indissolubilit� du {360} mariage, la soumission de la femme � son mari? Vaudrait-il mieux par hasard mentir et continuer � vivre avec un homme non aim�, indigne, que d'unir honn�tement et librement sa vie � l'homme aim�? Aujourd'hui que ces questions et leurs solutions sont des vieilleries par trop rebattues par les � f�ministes � il serait absurde d'en parler. Il y a plus encore: il en fourmille de ces � femmes incomprises � et on a vraiment trop abus� dans la litt�rature et dans la vie de la pr�tendue � libert� sacr�e � de l'amour, on s'en est trop servi pour d�guiser des caprices et des fredaines. Rompre des lances pour d�fendre le droit au bonheur de la pauvre Indiana, d'autant plus qu'elle n'a pas trouv� le bonheur dans l'homme de son choix, serait certes parfaitement ridicule aujourd'hui, puisque, par l�, son � crime � contre la morale sociale eut son � ch�timent �. Mais si ces questions ont �t� discut�es, r�solues et rel�gu�es aux archives, c'est peut-�tre parce qu'il y eut une George Sand, qui les a soulev�es � temps et qu'une des premi�res elle a lutt� contre la position humili�e et opprim�e de la femme dans le mariage. Et Indiana, quoi qu'en ait dit George Sand dans ses � pr�faces �, m�rite d'arr�ter aujourd'hui notre attention comme une premi�re tentative de r�volte. Ce roman est d'ailleurs �crit avec tant de passion, avec tant d'ardeur artistique et un style si merveilleux que, m�me au point de vue de l'art, il demeure de nos jours encore, une œuvre vraiment remarquable.

On a souvent dit qu'en cr�ant la pauvre Indiana, — cette cr�ole r�veuse et passionn�e, mari�e au colonel Delmare, d�p�rissant aupr�s de ce mari rude et prosa�que, br�lant d'amour pour Raymon de Rami�re, un �l�gant correct et sans cœur, docile et servile devant les lois mondaines, d'abord �pris d'Indiana et l'entra�nant dans sa passion, puis {361} l'abandonnant pour faire un mariage avantageux et suivre une carri�re parlementaire (comme Aur�lien de Nanc� dans la Fille d'Albano) — George Sand avait voulu d�peindre sa triste vie conjugale, son roman manqu� avec de S�ze et la consolation qu'elle a trouv� dans l'amiti�. Remarquons, � ce propos, que l'un des intimes amis d'Aurore Dudevant, son voisin de Nohant, Jules N�raud, avait donn� � la jeune romanci�re des cahiers de notes et de descriptions du Madagascar et de l'�le de la R�union, o� il avait pass� quelque temps, pouss� au loin � la fois par son amour pour la botanique et l'amour qu'il portait � son �l�ve de Nohant. Car, — tout comme son pr�d�cesseur, St�phane de Grandsagne, l'ex-professeur d'histoire naturelle d'Aurore, — Jules N�raud �tait tomb� sous le charme � des grands yeux noirs �, � la suite de quoi il y e�t des sc�nes orageuses de jalousie entre lui et sa femme*.

* On voit, par les lettres in�dites d'Aurore Dudevant � son mari, dat�es de Paris des 10, 13 et 15 d�cembre 1827, qu'elle ne s'abusait nullement sur les v�ritables motifs qui avaient amen� le d�part de N�raud, et avec autant d'humour que de bonhomie, elle raconte les sc�nes de jalousie que lui faisait sa femme. On trouve encore des allusions � cet �pisode dans une lettre in�dite � N�raud lui-m�me, du 10 d�cembre 1834, et enfin, George Sand raconte le m�me fait � � mots couverts � � Everard (Michel) dans le n° VI des Lettres d'un Voyageur. Les lettres in�dites de Jules N�raud � G. Sand, que nous avons eu la chance de parcourir, confirment de tous points le r�cit que George Sand fait � Michel, et dans l'Histoire de ma Vie, � propos de la malheureuse passion, vite apais�e du reste, que son professeur de botanique ressentit pour elle.

George Sand mit � profit les descriptions de la luxuriante nature des iles, qu'elle avait lues et copi�es dans le journal du Malgache comme elle appelait N�raud*. Elle fait faire la {362} travers�e � Indiana et l'installe � l'�le Bourbon avec son mari et plus tard, lorsque toute sa vie s'�croule, elle l'y renvoie encore une fois chercher la mort � deux avec son ami et cousin, sir Ralph Brown.

[{361}] * L'amiti� de George Sand pour N�raud dura toute sa vie. Chacun de ses chagrins y ajouta un nouvel �lan, s'exprimant dans des lettres sinc�res et confiantes, et dans leurs conversations. Cette amiti� resta in�branlable � travers toutes les catastrophes de leur vie. Les num�ros IV (adress� en partie � Rollinat) et IX des Lettres d'un Voyageur, sont consacr�es � N�raud; il est �galement parl� de lui dans le n° VI et dans [{362}] l'Histoire de ma Vie. C'est � lui que sont adress�s: La relation d'un voyage chez les sauvages de Paris et les R�flexions sur J.-J. Rousseau. C'est encore de lui qu'elle se souvient dans un autre article sur Rousseau, intitul� Les Charmettes, et enfin dans l'Éclaireur de l'Indre, 1843, elle donne un compte rendu du livre Botanique de l'enfance publi� en Suisse par Jules N�raud.

Tous ces articles sont entr�s dans l'�dition compl�te des œuvres de G. Sand publi�e par L�vy, dans les tomes: l'Uscoque, Laura, Simon et Souvenirs de 1848.

Le lecteur doit s'en souvenir', nous ne trouvons pas possible pour un biographe de se servir de h�ros de romans et surtout d'�v�nements fictifs pour �tablir des faits de la vie de leur auteur.

Mais nous avons toutefois dit que dans l'œuvre la plus objective on peut toujours trouver des pages v�cues et personnelles. Voici les passages d'Indiana qui produiront, sur le lecteur l'impression de quelque chose de d�j� connu; ils rappelleront � son souvenir l'histoire de leur auteur. Et d'abord le portrait du colonel Delmare*: � Savez-vous ce qu'en province on appelle un honn�te homme? C'est celui qui n'empi�te pas sur le champ de son voisin, qui n'exige pas de ses d�biteurs un sou de plus qu'ils ne lui doivent, qui �te son chapeau � tout individu qui le salue; c'est celui qui ne viole pas les filles sur la voie publique, qui ne met pas le feu � la grange de personne, qui ne d�trousse pas les passants au coin de son parc. Pourvu qu'il respecte religieusement la vie et la bourse de ses concitoyens, on ne lui demande pas compte d'autre chose. Il peut battre sa femme, maltraiter ses {363} gens, ruiner ses enfants, cela ne regarde personne. La soci�t� ne condamne que les actes qui lui sont nuisibles; la vie priv�e n'est pas de son ressort.

* Nous citons d'apr�s la 1re �dition d'Indiana qui diff�re beaucoup des suivantes.

� Telle �tait la morale de M. Delmare. Il n'avait jamais �tudi� d'autre contrat social que celui-ci: � Chacun chez soi. � Il traitait toutes les d�licatesses du cœur de pu�rilit�s f�minines et de subtilit�s sentimentales. Homme sans esprit, sans tact et sans �ducation, il jouissait d'une consid�ration plus solide que celle qu'on obtient par les talents et la bont�. Il avait de larges �paules, un vigoureux poignet; il maniait parfaitement le sabre et l'�p�e, et avec cela il poss�dait une susceptibilit� ombrageuse. Comme il ne comprenait pas toujours la plaisanterie, il �tait sans cesse pr�occup� de l'id�e qu'on se moquait de lui. Incapable d'y r�pondre d'une mani�re convenable, il n'avait qu'un moyen de se d�fendre: c'�tait d'imposer silence par des menaces. Ses �pigrammes favorites roulaient toujours sur des coups de b�ton � donner et des affaires d'honneur � vider; moyennant quoi, la province accompagnait toujours son nom de l'�pith�te de brave.

... Candide jusqu'� l'enfantillage sur certaines d�licatesses du point d'honneur, il savait fort bien conduire ses int�r�ts � la meilleure fin possible sans s'inqui�ter du bien ou du mal qui pouvait en r�sulter pour autrui. Toute sa conscience c'�tait la loi; toute sa morale, c'�tait son droit. C'�tait une de ces probit�s s�ches et rigides qui n'empruntent rien, de peur de ne pas rendre, et qui ne pr�tent pas davantage, de peur de ne pas recouvrer. C'�tait l'honn�te homme qui ne prend et ne donne rien; qui aimerait mieux mourir que de d�rober un fagot dans les for�ts du roi, mais qui nous tuerait sans fa�on pour un f�tu ramass� dans la sienne. Utile � lui seul, il n'�tait {364} nuisible � personne. Il ne se m�lait de rien autour de lui, de peur d'�tre forc� de rendre un service �. Mais, quand il se croyait engag� par honneur � le rendre, nul n'y mettait un z�le plus actif, et une franchise plus chevaleresque. À la fois, confiant comme un enfant, soup�onneux comme un despote, il croyait un faux serment et se d�fiait d'une promesse sinc�re. Comme dans l'�tat militaire, tout pour lui consistait dans la forme. L'opinion le gouvernait � tel point que le bon sens et la raison n'entraient pour rien dans ses d�cisions, et quand il avait dit: � Cela se fait, » il croyait avoir pos� un argument sans r�plique.

� C'�tait donc la nature la plus antipathique � celle de sa femme, le cœur le moins fait pour la comprendre, l'esprit le plus incapable de l'appr�cier. Et pourtant, il est certain que l'esclavage avait engendr� dans ce cœur de femme une sorte d'aversion vertueuse et muette, qui n'�tait pas toujours juste. Mme Delmare doutait trop du cœur de son mari; il n'�tait que dur, et elle le jugeait cruel. Il y avait plus de rudesse que de col�re dans ses emportements, plus de grossi�ret� que d'insolence dans ses mani�res. La nature ne l'avait pas fait m�chant; il avait des instants de piti� qui l'amenaient au repentir, et, dans le repentir, il �tait presque sensible. C'�tait la vie des camps qui avait �rig� chez lui la brutalit� en principe. Avec une femme moins polie et moins douce, il eut �t� craintif comme un loup apprivois�; mais cette femme �tait rebut�e de son sort; elle ne se donnait pas la peine de chercher � le rendre meilleur. �

Voici maintenant comment George Sand d�peint cette r�sistance passive d'Indiana: � Si elle e�t �lev� la voix, Delmare qui n'�tait que brutal, e�t rougi de passer pour m�chant. Rien n'�tait plus facile que d'attendrir son cœur {365} et de dominer son caract�re, quand on voulait descendre � son niveau et entrer dans le cercle d'id�es qui �tait � la port�e de son esprit. Mais Indiana �tait roide et hautaine dans sa soumission; elle ob�issait toujours en silence; mais c'�taient le silence et la soumission de l'esclave qui s'est fait une vertu de la haine et un m�rite de l'infortune. Sa r�signation, c'�tait la dignit� d'un roi qui accepte des fers et un cachot, plut�t que d'abdiquer sa couronne et de se d�pouiller d'un vain titre. Une femme de l'esp�ce commune e�t domin� cet homme d'une trempe vulgaire; elle e�t dit comme lui et se fut r�serv� le plaisir de penser autrement; elle e�t feint de respecter ses pr�jug�s et elle les e�t foul�s aux pieds en secret; elle l'e�t caress� et tromp�. Indiana voyait beaucoup de femmes agir ainsi, mais elle se sentait si au-dessus d'elles qu'elle e�t rougit de les imiter, vertueuse et chaste, elle se croyait dispens�e de flatter son ma�tre dans ses paroles, pourvu qu'elle le respect�t dans ses actions. Elle ne voulait point de sa tendresse, parce qu'elle n'y pouvait pas r�pondre. Elle se f�t regard�e comme bien plus coupable de t�moigner de l'amour � ce mari qu'elle n'aimait pas, que d'en accorder � l'amant qui lui en inspirait. Tromper, c'�tait l� le crime � ses yeux, et vingt fois par jour elle se sentait pr�te � d�clarer qu'elle aimait Raymon; la crainte seule de perdre Raymon la retenait. Sa froide ob�issance irritait le colonel bien plus que ne l'e�t fait une r�bellion adroite. Si son amour-propre e�t souffert de n'�tre pas le ma�tre absolu dans sa maison, il soutirait bien davantage de l'�tre d'une fa�on odieuse ou ridicule. Il e�t voulu convaincre, et il ne faisait que commander; r�gner, et il gouvernait. Parfois il donnait chez lui un ordre mal exprim�, ou bien il dictait sans r�flexion des ordres nuisibles � ses {366} propres int�r�ts. Mme Delmare les faisait ex�cuter sans examen, sans appel, avec l'indiff�r�nce du cheval qui tra�ne la charrue dans un sens ou dans l'autre. Delmare, en voyant le r�sultat de ses id�es mal comprises, de ses volont�s m�connues, entrait en fureur; mais quand elle lui avait prouv� d'un mot calme et glacial qu'elle n'avait fait qu'ob�ir strictement � ses arr�ts, il �tait r�duit � tourner sa col�re contre lui-m�me. C'�tait pour cet homme, petit d'amour-propre et violent a de sensations, une souffrance cruelle, un affront sanglant.

� Alors il e�t tu� sa femme s'il e�t �t� � Smyrne ou au Caire. Et pourtant il aimait au fond du cœur cette femme faible qui vivait sous sa d�pendance et gardait le secret de ses torts avec une prudence religieuse. Il l'aimait ou la plaignait, je ne sais lequel. Il e�t voulu en �tre aim�; car il �tait vain de son �ducation et de sa sup�riorit�. Il se f�t �lev� � ses propres yeux si elle e�t daign� s'abaisser jusqu'� entrer en capitulation avec ses id�es et ses principes. Lorsqu'il p�n�trait chez elle le matin avec l'intention de la quereller, il la trouvait quelquefois endormie, et il n'osait pas l'�veiller. Il la contemplait en silence; il s'effrayait de la d�licatesse de sa constitution, de la p�leur de ses joues, de l'air de calme m�lancolique, de malheur r�sign�, qu'exprimait cette figure immobile et muette. Il trouvait dans ses traits mille sujets de reproche, de remords, de col�re et de crainte; il rougissait de sentir l'influence qu'un �tre si faible avait exerc�e sur sa destin�e, lui, homme de fer...

� Une femme encore enfant l'avait donc rendu malheureux! Elle le for�ait de rentrer en lui-m�me, d'examiner ses volont�s, d'en modifier beaucoup, d'en r�tracter plusieurs, et tout cela sans daigner lui dire: � Vous avez tort; {367} je vous prie de faire ainsi. � Jamais, jamais elle ne l'avait implor�, jamais elle n'avait daign� se montrer son �gale et s'avouer sa compagne. Cette femme qu'il aurait bris�e dans sa main s'il e�t voulu, elle �tait l�, ch�tive, r�vant d'un autre peut-�tre sous ses yeux, et le bravant jusque dans son sommeil. Il �tait tent� de l'�trangler, de la tra�ner par les cheveux, de la fouler aux pieds pour la forcer de crier merci, d'implorer sa gr�ce, mais elle �tait si jolie, si mignonne et si blanche, qu'il se prenait � avoir piti� d'elle, comme l'enfant s'attendrit � regarder l'oiseau qu'il voulait tuer. Et il pleurait comme une femme, cet homme de bronze, et il s'en allait pour qu'elle n'e�t pas le triomphe de le voir pleurer. En v�rit�, je ne sais lequel �tait plus malheureux d'elle ou de lui. Elle �tait cruelle par vertu, comme il �tait bon par faiblesse; elle avait de trop la patience qu'il n'avait pas assez; elle avait les d�fauts de ses qualit�s, et lui les qualit�s de ses d�fauts... M. et Mme Delmare ne se querellaient point du tout; car, avec la syst�matique soumission d'Indiana, jamais, quoi qu'il fit, le colonel ne pouvait arriver � engager une dispute �...

Raymon de Rami�re qui avait d'abord recherch� l'amour d'indiana, faisait maintenant, comme autrefois l'ami de Bordeaux d'Aurore, valoir des � principes �. � Quand il vit le colonel lui t�moigner tant de confiance et d'amiti�, le regarder comme le type de l'honneur et de la franchise, l'�tablir comme m�diateur entre sa femme et lui, il r�solut de justifier cette confiance, de m�riter cette amiti�, de r�concilier ce mari et cette femme, de repousser de la part de l'une toute pr�f�rence qui e�t pu porter pr�judice au repos de l'autre. Il redevint moral, vertueux et philosophe. Vous verrez pour combien de temps �...

{368} Cependant, par l'immixtion non sollicit�e de personnes �trang�res*, les relations entre les �poux s'aigrissent et Delmare en vient aux � actes �. Il enferme sa femme et essaye de la terrifier par la souffrance physique en lui meurtrissant les mains, lorsqu'elle refuse de r�pondre. Alors, exasp�r�e, elle se d�cide � aller demander aide et protection � Raymon. Celui-ci fait, � cette occasion, preuve de son �go�sme, de sa pusillanimit� devant l'� opinion � et d'un triste manque de cœur. Il pr�che la morale courante sans se rendre aucun compte de la responsabilit� que lui impose la possession d'une �me qui s'est abandonn�e � lui. Son amour pour Indiana s'est d�j� refroidi. La trouvant dans sa chambre en rentrant d'un bal, il est uniquement soucieux, non d'unir son sort au sien, mais de la faire rentrer � d�cemment � chez elle pour la sauver des cons�quences de sa d�marche � insens�e �. Il ne trouve rien de mieux � faire que d'appeler sa m�re, afin de calmer la malheureuse jeune femme et de la faire retourner au foyer conjugal. Indiana est d'abord comme p�trifi�e en voyant son bonheur subitement �croul� � tout jamais. Cruellement d��ue par l'homme qu'elle avait aim�, elle rassemble ses derni�res forces et part seule, refusant la protection de Mme de Rami�re. Quasi folle, appelant la mort, elle erre au jour levant par les rues d�sertes. Sauv�e du suicide par Ralph, elle suit avec une docilit� apathique et machinale son mari � l'�le Bourbon o� l'appellent ses affaires.

* Remarquons que l'aigreur entre les Delmare se produisit pendant leur s�jour pr�s de Melun, et rappelons-nous les sc�nes qui se pass�rent entre les Dudevant (voir 240-242), lorsqu'en 1824, ils �taient les h�tes de Roettiers Duplessis, dans le voisinage de Melun.

Faible et �go�ste qu'il est, Raymon ne la laisse pourtant {369} point au repos; maintenant qu'elle est loin, il lui �crit de tendres lettres, Indiana, bris�e et malheureuse, lui r�pond de m�me. Sa vie est redevenue monotone et tranquille, mais une nouvelle brutalit� de Delmare vient de nouveau rompre leurs liens, d�j� si fragiles.

... � La situation de madame Delmare �tait devenue presque intol�rable par suite d'un incident domestique de la plus grande importance pour elle. Elle avait pris la triste habitude d'�crire chaque soir la relation des chagrins de la journ�e. Ce journal de ses douleurs s'adressait � Raymon, et, quoiqu'elle n'e�t pas l'intention de le lui faire parvenir, elle s'entretenait avec lui tant�t avec passion, tant�t avec amertume des maux de sa vie et des sentiments qu'elle ne pouvait �touffer. Ces papiers tomb�rent entre les mains de Delmare, c'est-�-dire qu'il brisa le coffre qui les recelait, ainsi que les anciennes lettres de Raymon, et qu'il les d�vora d'un œil jaloux et furieux*. Dans le premier mouvement de sa col�re il perdit la force de se contenir, et alla, le cœur palpitant, les mains crisp�es, attendre qu'elle revint de sa promenade. Peut-�tre, si elle e�t tard� quelques minutes, cet homme malheureux aurait eu le temps de rentrer en lui-m�me; mais leur mauvaise �toile � tous deux voulut qu'elle se pr�sent�t presque aussit�t devant lui. Alors, sans pouvoir articuler une parole, il la {370} saisit par les cheveux, la renverse, et la frappa au front du talon de sa botte �.

[{369}] * Le lecteur se rappelle que Dudevant s'�tait permis une indiscr�tion semblable, c'est pour cela qu'Aurore avait � maintes reprises, pendant ses absences de Nohant, entre 1831 et 1834, pri� ses amis d'�tre tr�s prudents dans l'envoi des lettres qu'ils lui adressaient, et qu'elle avait demand� � Boucoiran, le 7 mars 1834, de prendre chez lui les papiers et les cahiers qu'elle avait laiss�s dans sa chambre, car, � son avis, ils n'y �taient pas en s�ret�. Voir plus haut, p. 305, la lettre in�dite � Boucoiran dat�e de 1831, et surtout le passage: � Vous ne serez pas le premier dont les papiers aient �t� fouill�s et examin�s... �

Delmare fut d�sesp�r� de sa brutalit�, mais il �tait trop tard. Indiana, revenue � elle, se d�cida � le quitter pour toujours. Sous l'impression d'une lettre de Raymon, triste et tendre, que pendant longtemps elle avait gard�e sans oser l'ouvrir et la lire et dans laquelle il semblait la rappeler aupr�s de lui, elle s'enfuit secr�tement de la maison et s'arrangea avec un capitaine de vaisseau pour rentrer en France. Elle expia cruellement cette derni�re faiblesse, cette derni�re confiance en l'homme aim�: elle trouva Raymon mari�.

La malheureuse Indiana but jusqu'� la lie la coupe de sa d�ception et r�solut de mourir. Sir Ralph, � qui elle ne cachait pas son dessein, et qui, comme un chien fid�le l'avait suivie � Bourbon et en revient en m�me temps qu'elle, voulait lui rester d�vou� jusqu'� la mort et dispara�tre avec elle. Il persuada pourtant � la pauvre femme, devenue toute passive et comme indiff�rente � tout, � force de souffrances, de visiter une derni�re fois les lieux o� s'�coul�rent les jours riants de leur enfance et puis d'y chercher la mort ensemble dans quelque pr�cipice aux flancs du mont Bernica. D'apr�s le plan primitif du roman, ils devaient r�ellement se jeter dans une cataracte, et cette fin e�t �t� certainement plus hardie et plus naturelle, vu le d�sespoir et la mort morale d'Indiana. C'est ce que Gustave Planche a d�j� fait remarquer en son temps. Mais George Sand, qui n'aimait pas les d�nouements tragiques, changea d'id�e et ajouta un �pilogue, dans lequel Indiana et Ralph, au moment de se pr�cipiter dans l'ab�me, d�couvrent tout � coup, elle — qu'elle peut encore aimer, lui, — qu'il l'a toujours aim�e. Le couple heureux vient alors s'�tablir {371} dans une vall�e idyllique de l'�le, toute noy�e dans la verdure. Cette fin ne fait que nuire au roman, p�chant trop d�j� par des exag�rations romantiques, des longueurs et des tirades. Et pourtant, ces pages br�lantes de passion, ces belles descriptions, ces fines analyses psychologiques, ces observations prises sur le vif, nous enchantent quand m�me. Il y a l� des passages et des sc�nes qui se gravent pour toujours dans la m�moire. Telle est, par exemple, cette obscure soir�e d'automne au ch�teau des Delmare: le colonel, sombre et farouche, arpente la chambre; la fluette et jolie Indiana (nous allions dire Aurore), assise devant la chemin�e, de ses tristes yeux noirs contemple r�veusement le feu. L'ami fid�le, Ralph, silencieux et correct, les examine tous les deux � la d�rob�e. L'oppression, le morne chagrin, la r�volte secr�te, mais implacable d'une �me insondable de femme, tout cela semble flotter dans l'air et p�n�trer le lecteur. Tel aussi ce commencement du premier chapitre de la seconde partie (dans la premi�re �dition, et qui n'a plus �t� ins�r�, on ne sait pas trop pourquoi, dans les suivantes), si parfaitement pessimiste et d'une si fine analyse psychologique. Remarquons que George Sand, tout en �crivant tr�s vite, presque sans rature, ni corrections, — ce dont tous les critiques l'ont lou�e � sati�t�, — aimait � changer et � refaire ses ouvrages, soit pour leur apparition en volumes, soit pour les �ditions suivantes, et presque toujours � leur d�savantage. À parler franchement, nous pr�f�rons les premi�res versions aux autres. En changeant ou en ajoutant, elle g�tait toujours son premier texte. C'est ainsi qu'elle a g�t� Indiana en supprimant beaucoup d'expressions, frappantes de pr�cision et de justesse, et m�me des pages enti�res. C'est encore ainsi qu'elle a g�t� L�lia en changeant {372} compl�tement l'id�e premi�re et en att�nuant par une derni�re partie optimiste le profond d�sespoir, qui faisait le charme du livre. Voici quelques lignes qui ont disparu d'Indiana et qui sont cependant, par leur profondeur, dignes d'un Tolsto�:

� Je pourrais, pour peu que je fusse � la hauteur de mon si�cle, exploiter avec fruit, la catastrophe qui se trouve si agr�ablement sous ma main, — (la mort de la sœur de lait d'Indiana, la cr�ole Noun, qui p�rit aussi par la faute de Ravmond — vous faire assister aux fun�railles, vous exposer le cadavre d'une femme noy�e, avec ses taches livides, ses l�vres bleues et tous ces menus d�tails de l'horrible et du d�go�tant qui sont en possession de vous r�cr�er par le temps qui court. Mais chacun sa mani�re, et moi je con�ois la terreur autrement. Ce n'est pas sous la pierre des tombeaux, mais autour des tombeaux que je l'ai vue habiter; ce n'est pas dans les vers du s�pulcre que je l'ai trouv�e, c'est dans le cœur des vivants et sous leurs habits de f�te; ce n'est pas dans la mort de celui qui nous quitte, c'est dans l'indiff�rence de ceux qui lui survivent; cest l'oubli qui est le v�ritable linceul des morts, c'est celui-l� qui fait dresser mes cheveux, c'est celui-l� qui glace mon sang et me serre le cœur; ce n'est pas l'�glise avec son deuil et ses cierges, ce n'est pas le fossoyeur avec sa puanteur et sa b�che qui ont pour moi des �motions profondes et de p�les frayeurs; c'est le lendemain tranquille, la vie qui reprend son cours sur la tombe � peine ferm�e, le repas o� la famille s'assemble comme de coutume en sortant du cimeti�re. Shakespeare l'entendait bien ainsi, lorsqu'au lieu de baisser le rideau sur le meurtre ou le suicide, il rassemblait autour des cadavres ses personnages secondaires, et leur mettait dans la bouche des sentences {373} philosophiques, ou le plus souvent des r�flexions sur leurs propres affaires. Pour lui, un drame n'�tait pas une sc�ne d'�chafaud ou d'assassinat, c'�tait une peinture de la vie, avec ses int�r�ts, ses passions, ses chances de succ�s ou de d�faite; l'homme qui succombait n'�tait qu'un accident, un moyen pour d�nouer l'entreprise de plusieurs*

* Cette introduction, qui manque dans les �ditions post�rieurs d'Indiana, a �t� r�imprim�e dans l'�dition des œuvres de George Sand, faite � Bruxelles par la Soci�t� belge de librairie, M�line, Cans et Cie, qui �tait tr�s r�pandue en Russie vers 1850. Nous on poss�dons l'�dition compl�te. Les tomes I, II, III, sont dat�s de 1842; le tome IV de 1843; le tome V de 1844; et le tome VI de 1847. 1

Impossible de citer toutes les beaut�s du livre; il faudrait pour cela copier des pages enti�res. Le lecteur fera bien de lire ou de relire le roman, s'il l'a oubli�. Il comprendra certainement alors pourquoi les lecteurs et les critiques de l'�poque salu�rent en l'auteur une nouvelle �toile litt�raire; il comprendra �galement pourquoi les critiques contemporains y signal�rent d'embl�e ces probl�mes, ces � cruelles �nigmes � pour tout homme pensant, que George Sand a soulev�s dans ce roman!

Indiana aux yeux noirs, est toute passion, Valentine b est toute po�sie. C'est cette po�sie douce et suave, r�pandue dans l'air du Berry, que George Sand avait hum� dans ses matinales promenades solitaires. Le roman nous prouve pourtant que le po�te conna�t aussi � fond la vie de campagne. C'est l�-dessus que les critiques et les historiens de la litt�rature, qui, par routine divisent les romans de George Sand en trois p�riodes, en rattachant exclusivement � la troisi�me l'�l�ment champ�tre, devraient fixer leur attention. Il nous est difficile de comprendre pourquoi la famille Lh�ry dans Valentine devrait �tre consid�r�e � peinte dans une autre mani�re � que la famille Barbeau dans la {374} Petite Fadette; pour quelle raison le nom de � personnages rustiques� appartiendrait � Germain le fin laboureur, � son beau-p�re positif et pratique, le vieux Maurice, au vieux fripon L�onard, p�re de la coquette de village, Catherine Gu�rin (La Mare au diable), � plus juste titre qu'� la m�re Janille dans Le P�ch� de M. Antoine, � Bricolin dans le Meunier d'Angibault on � � la m�re Lh�ry �, � Pierre Blutty et � Ath�na�s dans Valentine; ni quelle diff�rence on pourrait trouver entre la description de la f�te champ�tre dans Valentine et celle de la � bourr�e � dans la Petite Fadette? Il est temps d'en finir avec ces divisions arbitraires en � trois p�riodes � et de reconna�tre enfin que George Sand, d�s ses premiers pas dans la carri�re litt�raire, se mit � d�peindre des tableaux et des figures rustiques de son Berry; puis, que dans ses premiers, comme dans ses derniers romans, elle en a repr�sent� avec un succ�s �gal les personnages comiques, n�gatifs, typiques, dans le genre des Bricolin, des Lh�ry, des L�onard et des Catherine, en id�alisant et en traitant � l'eau de rose les personnages positifs, comme elle le faisait pour tous ses h�ros principaux, � quelque classe qu'ils appartinssent.

Revenons � Valentine. Le drame d'amour de ce roman est plus vari� que celui d'Indiana; l'action, qui se passe enti�rement dans le Berry, donne � l'auteur la possibilit� de prendre sur nature des tableaux aim�s d�s son plus jeune �ge, des tableaux de la vie rustique et de la vie de ch�teau. La fable du livre est plus simple, plus r�elle, plus vraie que dans Indiana.

Valentine de Raimbault, une douce r�veuse, aimant la nature et la vie simple, �pouse M. de Lansac, pour ob�ir d'une part � sa grand'm�re, une bonne vieille � la morale l�g�re du si�cle pass�, admettant tous les caprices, toutes {375} les folies, pourvu qu'elles fussent voil�es, d'autre part pour complaire � sa m�re, d�sireuse de se d�barrasser au plus vite de sa fille. Dans ses promenades � travers les for�ts du Berry — reproduisant �videmnient celles de l'auteur lui-m�me — il arrive � Valentine de faire la connaissance de B�n�dict. Ce fils de paysan, petit jeune homme � grandes ambitions, ce chercheur d'id�al, en r�volte contre la modestie de son sort qui ne r�pond pas � l'�l�vation de son �me, est assez d�senchant�, mais souffre surtout de son inactivit�. Somme toute, c'est un pastiche de Ren� et des h�ros de Victor Hugo, mais en m�me temps, un personnage ressemblant beaucoup � certains jeunes gens de l'entourage d'Aurore. En r�alit�, c'est une nature passionn�e, sans convictions arr�t�es, un caract�re faible dont les actions d�pendent plut�t du hasard que d'intentions d�termin�es; c'est aussi un prototype de tous ces nombreux � jeunes premiers � prol�taires de George Sand qui s'�prennent d'amour pour des demoiselles nobles: de tous ces Simon F�line, Pierre Huguenin, Henri Lemor, etc. Les deux jeunes gens s'�prennent l'un de l'autre. La naissance de l'amour de Valentine pour B�n�dict, la lutte entre l'amour et le devoir, la triste histoire de la jeune femme, victime des pr�jug�s de caste et de la morale re�ue qui exige la fid�lit� de la femme � son mari, m�me lorsqu'il n'existe aucun amour ni aucune sympathie entre les �poux; d'autre part, la position tragique du jeune homme sorti du peuple, sup�rieur par le d�veloppement de son �me et de son esprit aux repr�sentants de la haute soci�t� qui l'entoure, p�rissant uniquement pour avoir os� aimer une jeune patricienne, toutes les p�rip�ties de ce drame sont peintes avec un �lan po�tique et une inimitable finesse d'analyse psychologique. La trag�die de la passion des deux jeunes {376} gens se complique par les relations de B�nediet avec la famille de sa fianc�e, Ath�na�s Lh�ry, fille d'un paysan enrichi qui l'a �lev�e � comme une demoiselle �, et par les relations de Valentine avec Louise, sa sœur a�n�e, fille perdue, que sa famille a maudite. La position de cette malheureuse est un avertissement pour Valentine, si jamais elle se laissait entra�ner par son amour pour B�n�dict. Louise, que Valentine voit malgr� la d�fense de sa m�re et de sa grand'm�re, devient � son tour amoureuse de B�n�dict, ce qui ne les emp�che pas de rester amies; le m�pris m�me qui retombe sur Louise ne fait que rendre leur tendresse plus ardente, plus �mue. Ce sont l� des souvenirs des relations d'Aurore avec sa m�re, et d'une f�te de La Ch�tre, o� elle s'�tait faite la protectrice d'une fille d�chue (il en a �t� parl� plus haut 2). La sc�ne o� Valentine danse la � bourr�e � rappelle tout � fait celle qui est racont�e dans l'� Histoire de ma Vie � � propos de l'amiti� d'Aurore pour cette malheureuse jeune fille. C'est une des meilleures sc�nes du roman et ce n'est pas la seule excellente. Nous ne tenons pas � r�p�ter ici les �loges, tant de fois prodigu�s, au r�cit de la premi�re rencontre de Valentine avec B�n�dict, quand, ne l'apercevant pas encore, elle admire son chant dans le silence de la foret, ni � vanter une fois de plus la charmante idylle au bord du ruisseau lors de la partie de plaisir champ�tre; nous ne parlerons pas non plus du d�part de la famille Lh�ry, pour la f�te, ni de la br�lante explication, la nuit, entre B�n�dict et Valentine dans la chambre de celle-ci. Si nous ne r�p�tons pas ici toutes les louanges adress�es � l'auteur � l'occasion de ces sc�nes admirables, ce n'est pas que nous ne d�sirions les louer encore cent fois davantage, mais uniquement pour ne pas ressasser ce que chaque lecteur, tant soit {377} peu au courant des œuvres de G. Sand et de ce qu'on a �crit sur elle, sait parfaitement bien, tandis que cela ne peut rien expliquer � celui qui ignore œuvres et critiques.

Portons maintenant notre attention sur ce fait, qu'en d�pit des attaques r�pandues, d�s l'apparition d'Indiana et de Valentine, sur ces romans, leur tendance, le d�sir de l'auteur de � saper la sainte institution du mariage �, le lecteur impartial d'aujourd'hui en jugera tout autrement et n'y trouvera aucune apologie d'immoralit� c. Tout au contraire, dans les deux romans, les h�ro�nes sont punies pour avoir viol� leurs devoirs d'�pouses. Indiana, qui fuit le toit conjugal, expie sa faute en d�couvrant la perfidie et la bassesse de l'homme aim�; Valentine et B�n�dict p�rissent l'un apr�s l'autre, ayant � peine go�t� au fruit d�fendu. Ici comme l�, le ch�timent ne surgit pas comme un deus ex machina, mais ressort logiquement de l'engrenage de relations et de circonstances o� les h�ro�nes ont �t� entra�n�es par leurs amours fatales*. C'est la m�me th�se que celle du roman g�nial de Tolsto� avec son adage implacable: � À Moi la vengeance et cest Moi qui ch�tie. � (Anna Kar�nine.)

* M. Skabitchevsky, qui dans ses �tudes sur G. Sand fait une analyse � tendance, et tr�s �troite, de ses romans, tombe souvent dans des erreurs fort curieuses (surtout � propos de L�lia, de Jacques et de Spiridion). En expliquant d'une mani�re absolument �trange le d�nouement de Valentine, il dit que � la mal�diction de Louise, � la fin de l'ouvrage, jette une lumi�re toute sp�ciale sur toute la marche du roman � et que � la lutte asc�tique de Valentine est comme un reste de morgue nobiliaire, qui l'emp�che de sacrifier au bonheur de son amant les pr�jug�s traditionnels de son monde �... Selon lui, la fin [{378}] tragique du roman est le � pitoyable r�sultat de la faiblesse (??) de Valentine, de sa dualit� qui ne lui a pas permis de s'abandonner librement et ouvertement � son amour, comme elle aurait pu le faire, si elle n'avait voulu attendre des circonstances favorables pour contenter les ch�vres et les loups �... Ils sont bien � plaindre, ceux qui se mettent � expliquer de cette mani�re le d�nouement de Valentine et � juger l'h�ro�ne sous ce point de vue!

Quoi qu'il en soit, dans les deux premiers grands romans que George Sand a �crits sans collaborateur, son talent d'�crivain appara�t d�j� d�termin� et �clatant, et m�me on {378} y trouve toute sa � mani�re � tr�s nettement manifest�e avec ses particularit�s et ses types favoris. Il y a plus encore: les qualit�s de ces deux romans l'emportent de beaucoup sur leurs d�fauts, ce que l'on ne peut pas toujours dire des œuvres ult�rieures. Ainsi nous y voyons: 1° une femme sup�rieure par son �me et ses facult�s intellectuelles � celui qu'elle aime; 2° un ami d�vou�, d�sint�ress�, �pris de l'h�ro�ne, mais cachant son amour au fond du cœur, pr�t � tous les sacrifices, m�me � se d�vouer en faveur de son rival, plus heureux et moins d�sint�ress�; 3° des h�ros sortis du peuple tombant amoureux de femmes appartenant aux classes sup�rieures et des h�ro�nes, qui oublient, pour leur amour, leur noblesse et leurs pr�rogatives. (Remarquons seulement que, chez Valentine, il n'y a pas encore d'intention de descendre jusqu'� l'homme sorti du peuple au nom de l'�galit�, mais qu'au contraire ses r�ves, ses d�sirs et ses go�ts sont si modestes, si mesquins et si insignifiants, que c'est plut�t B�n�dict, plus �clair�, plus brillant que celle qu'il aime, qui doit descendre � son niveau. Habiter une ferme, nourrir des oies et des moutons — id�al de la vie heureuse que se fait Valentine, — c'est bien gentil, mais bien peu de chose et montre plut�t la pauvret� d'int�r�ts de la gracieuse h�ro�ne que ses tendances d�mocratiques). 4° nous voyons dans ces romans de magnifiques descriptions de la nature et... des monologues et des dialogues {379} interminables, ampoul�s, et, enfin 5°, la fid�lit� et le r�alisme dans la descriptio� des personnages secondaires et l'exag�ration romanesque des principaux h�ros.

Le m�me plaidoyer pour la libert� de sentiment contre le joug de la morale re�ue se voit dans Melchior, petit r�cit, dont voici le sujet: un certain marin, beau, brave et honn�te, Melchior, dans un acc�s de d�sespoir, noie dans l'oc�an sa cousine Jenny, qui avait le malheur de l'aimer et qu'il aimait aussi passionn�ment; il la fait p�rir pour l'unique raison qu'il est depuis longtemps mari� � une femme int�ress�e, menteuse, une aventuri�re dont il s'est s�par� depuis longtemps et qui, de son c�t�, ne pense pas � lui, mais dont l'existence seule rend cependant criminel l'amour de Melchior pour Jenny, et leur bonheur. La jeune fille paie, par sa mort, un court moment de ce criminel et enivrant bonheur partag�, et Melchior le paie � son tour par la folie*.

* Notons en passant que le sujet de cette nouvelle semble avoir �t� donn� � George Sand par N�raud, car nous trouvons dans une de ses lettres la description d'une journ�e � bord d'un navire, et de la disparition, au milieu d'une tourmente, d'un couple d'amoureux, appel�s Jenny et Melchior.

La Providence et la nature ont donn� aux hommes l'amour, cette joie pure et sublime, mais les hommes ne savent pas en profiter; cr�ant par leurs lois des obstacles et des entraves, ils p�rissent chaque fois que volontairement ou malgr� eux ils s'en affranchissent. Telle est la morale renferm�e dans Melchior.

Dans le Toast, petit conte romantique paru dans les Soir�es litt�raires de Paris (recueil publi� en 1832)*, l'auteur chante, cette fois sur un ton majeur, un hymne {380} au sentiment divin. L'action se passe aux Pays-Bas au XVIIe si�cle. Le vieux gouverneur de Berg-op-Zoom, Sneyders a �pous� une jeune et belle Espagnole, Juana. La pauvre Juana, qui a grandi sous le soleil de l'Andalousie, s'ennuie et languit dans ce pays humide et triste, entour�e de Hollandais lourds et prosa�ques. � Joignez � l'influence du climat la soci�t� d'un mari fort riche, fort sens�, fort entendu en ce qui touche ses affaires et son gouvernement, mais fort ennuyeux, il faut bien le dire, et vous comprendrez que la belle et tendre Juana pouvait bien avoir le mal du pays... � Elle a, comme on peut s'y attendre, les yeux noirs et tristes, la p�leur mate et l'air m�lancolique de la soumission, traits d'une femme bien connue de George Sand, qui avait le malheur de vivre depuis neuf ans avec un mari qui, quoiqu'il ne f�t pas gouverneur de Berg-op-Zoom, n'en �tait pas moins aussi prosa�que que l'honorable Sneyders. Heureusement pour la pauvre Juana, il se trouvait dans la maison du gouverneur un jeune page aux yeux noirs, Ramiro, n� aussi dans la chaude Espagne, amateur de musique, chantant parfaitement les anciennes romances espagnoles; il �tait, en outre, � d'une noble et antique maison, ce qui, dans ce temps-l�, ne g�tait rien �, ajoute l'auteur, qui, de la premi�re � la derni�re ligne de cette gentille bluette, ne se d�partit pas d'un ton gai, l�ger, plein d'humour et d'entrain le plus parfait. Sneyders aurait pu, semblerait-il, ne pas avoir trop d'inqui�tudes, vu la conduite irr�prochable de sa jeune femme et la chaste innocence de son page de seize ans, et compter, en plus, sur � le climat refroidissant de la Flandre �. Il n'aurait donc d� avoir aucun motif de jalousie, « ce dont il �tait contrari� parfois autant que flatt� car il y a certaines liaisons pures, discr�tes, myst�rieuses, qui font plus de tort au repos d'un mari {381} que de franches et loyales infid�lit�s �. En vain Sneyders essaye-t-il d'espionner les jeunes gens, il perd son temps. � On peut surprendre en flagrant d�lit des coupables, d�couvrir les man�ges de la passion, — on ne peut surprendre ou d�masquer un amour pur, profond et innocent �. Sneyders se met � railler le page, se moque de sa musique et de ses empressements; peine inutile! Alors, il recourt au crime, d�guis� de la plus belle fa�on. Sous pr�texte d'une mission urgente, Sneyders envoie le jeune page chez le gouverneur d'Anvers, son parent, esp�rant qu'il y sera retenu comme otage espagnol ou m�me tu� (l'action se passe � l'�poque de la lutte des Pays-Bas contre l'Espagne), d'autant plus que le gouverncur est l'ennemi jur� du p�re et de toute la famille de Ramiro. Mais le vieux Sneyders se r�jouit trop t�t d'avoir �conduit le jeune homme; il a trop compt� sur la perfidie de son parent, homme d'honneur; il a oubli� que le petit dieu capricieux prot�ge ses fid�les adorateurs et se moque des vieillards, ses ennemis. Un jour, apr�s un bon d�ner et apr�s avoir aiguis� sa langue sur l'� Espagne, les femmes, les romances, les petits chiens et les pages, joueurs de guitare �, Sneyders veut m�chamment faire boire Juana � la sant� du gouverneur d'Anvers. Il triomphe perfidement de sa victoire sur Ramiro et se r�jouit d�j� de sa mort, lorsque Juana, au d�sespoir du p�ril que court le jeune homme, prend le verre en main et, boulevers�e par la cruelle plaisanterie de son mari, s'�crie: � Si la confiance des Anversois dans leur gouverneur est si aveugle, dit-elle, c'est qu'apparemment ils le savent incapable d'une action l�che et d'un crime inutile �.

[{379}] * Dans les Œuvres compl�tes de G. Sand, �dition L�vy, il fait partie du volume La Coupe, etc.

Tout � coup une jeune voix se fait entendre sous la fen�tre, chantant le refrain d'une romance favorite de Juana, et celle-ci boit joyeusement � la sant� de � son ami {382} et parent, le glorieux gouverneur d'Anvers �. Apr�s avoir calm� sa bien-aim�e, Ramiro se cache pour �chapper � la vengeance du tr�s cher Sneyders, qui, cette fois, aurait certainement tout fait pour le perdre. La victoire reste � la jeunesse. Ramiro et Juana ne se reverront peut-�tre plus, mais ce moment de bonheur a compens� tous leurs chagrins. L'amour a vaincu et se rit des vieux maris, des cha�nes, des proscriptions, des d�fenses, des lois et des s�vices. Vive l'amour, vive tout sentiment pur et humain, voil� ce que nous dit ce petit conte gracieux et gai, �crit d'une plume alerte et avec une verve et un entrain tout � fait surprenants.

Ainsi la lutte (finissant par la perte ou le triomphe) des �mes marqu�es de l'�tincelle du g�nie, ou simplement des natures dou�es de talents, contre la vie bourgeoise, mesquine et plate, contre la tourbe banale, m�diocrement vertueuse ou m�diocrement vicieuse et contre les id�es �troites et routini�res; puis la d�fense de l'inspiration contre la morale re�ue, du talent contre la foule, de l'amour contre les pr�jug�s du monde et les int�r�ts prosa�ques; et enfin le triomphe de l'amour v�ritable sur tous les obstacles, toutes les barri�res et toutes les entraves, voil� les th�mes principaux des premi�res œuvres de George d Sand.

� Quels r�ves irr�alisables, quelle sentimentalit�! � dira le lecteur pratique et r�aliste de 1898. N�anmoins, bien des r�ves irr�alisables de George Sand sont devenus de vieilles v�rit�s, et, ce qui n'est pas encore r�alis�, les po�tes de tous les peuples l'ont toujours r�v�, esp�r� et pr�dit; c'est le r�ve dor� que chacun de nous porte en soi et voudrait voir accompli.

Donc, rien d'�tonnant si la derni�re œuvre, �crite en {383} 1832 par George Sand, alors si enflamm�e par l'espoir en l'avenir, si vibrante d'�nergie, de courage, de croyance � l'id�al, fut la Reine Mab, cette pi�ce de vers d�di�e � la f�e des songes qui nous envoie des r�ves riants, des visions heureuses, — � cette adorable reine Mab qui nous emporte, ne f�t-ce que pour un moment fugitif, hors de notre vie terrestre, nous transporte dans une autre sph�re et nous fait voir ce qui nest pas, mais ce que nous d�sirerions qui f�t!


Variantes

  1. petit d'amour-propr te eviolent (Nous corrigeons)
  2. Valetinen (nous corrigeons)
  3. aucune apologie d'immortalit� (nous corrigeons ce quiproquo)
  4. Goorge (nous corrigeons cette coquille)

Notes

  1. Bien que dat� de 1847, le tome VI de l'�dition Meline est de 1849. On ne doit pas le confondre avec celui de l'�dition Hauman qui fut achev�e par Meline et est, lui, de 1847.
  2. « elle s'�tait faite la protectrice d'une fille d�chue »: voir p. 201.