Ce roman �rotique ou licencieux ou sadique — un peu de tout cela sans doute — a paru en 1833. Le nom de l'auteur est Alcide, baron de ******. Le roman est en deux parties; les deux parties ne sont peut-�tre pas de la m�me main ni strictement contemporaines. Sans qu'on sache exactement comment ni pourquoi, ce roman a �t� attribu�, « � tort ou � raison »1 � Alfred de Musset2. Soit � cause de la relation amoureuse de Musset avec George Sand, soit malveillance � l'�gard de cette derni�re, soit encore pour des raisons plus objectives mais qui ne sont pas connues, on a attribu� � George Sand la co-paternit� de ce roman. Cette derni�re attribution se faisait par p�riphrase: « la personne encore vivante aujourd'hui � laquelle fait allusion le roman de Lui et elle de M. Paul de Musset »3, « un illustre romancier »4. Cette derni�re allusion manque �videmment de pr�cision! De nos jours, l'attribution � Georges Sand se fait encore parfois5.
Ni Musset ni Sand ni, semble-t-il, personne, n'a jamais revendiqu� ni reni� la paternit� de cet ouvrage qui serait oubli� depuis longtemps s'il n'y avait pas pr�cis�ment cette question de l'attribution.
Jusqu'� un article sign� Stander, en 1877, dans L'Interm�diaire des chercheurs et des curieux (r�f�rence {STANDER-1877}, il en sera reparl� plus loin), on ne connaissait, pour la p�riode contemporaine � George Sand, que les �ditions suivantes:
On notera que "Qu�rard, Superch." (1865), t.I col.246 n'apporte aucun �l�ment nouveau; il semble que J.-M. Qu�rard n'ait vu aucune de ces �ditions.
En 1877 fut r�v�l�e l'existence d'une �dition de Gamiani anonyme et ne comprenant que la premi�re partie du roman:
[anonyme] : "Gamiani"
s.l.; s.n.; s.d. [1833?]; 1 vol. in-4° ♦ ([2]-13-[1] pp.). Texte autographi� � deux colonnes de 39 lignes par page. Édition rarissime, probablement sans illustrations. Elle ne contient que la premi�re partie du roman. On doit la consid�rer comme l'�dition princeps. Elle a �t� signal�e pour la premi�re fois en 1877 (Stander in Interm. des Ch. et des Cur., vol.X (1877) col.686-687, description tr�s pr�cise).
C'est un article sign� Stander9 qui fit cette r�v�lation. Il r�pondait avantageusement � une question pos�e dans la m�me revue, t.IX col.583, relative aux �ditions du roman; question � laquelle avaient �t� apport�es deux premi�res r�ponses dans la m�me revue, t.IX col.638 et 668, renvoyant l'une et l'autre � des ouvrages bibliographiques existant (� savoir {GAY-1871} et {PUISSANT-1874}).
Avant de discuter de l'attribution du roman, il n'est pas inutile de pr�senter
un r�sum� de Gamiani.
Le pr�sent r�sum� renvoie, pour la pagination, � l'�dition "LECHARMEUR,
EDITEUR / A SOFIA",
s.d.10, qu'on peut lire
en ligne sur le site www.archive.org.
Dans cette �dition, le roman proprement dit est pr�c�d� d'une Pr�face
(qui occupe les pages 5 � 10), et d'un "Extrait des M�moires de la
comtesse de C*** sur l'auteur de Gamiani" (qui occupe les pages 11 � 19).
Ce sont l� des textes issus, le premier, de l'�dition d'Amsterdam (1840
[1864]); le second, de l'�dition de Lesbos (m�me ann�e).
L'�dition princeps r�v�l�e par Stander en 1877 t�moigne probablement d'une composition du roman en deux temps bien distincts; toutefois on peut aussi admettre que cette �dition rarissime �tait limit�e � la premi�re partie du r�cit pour en r�duire le co�t.
Quoi qu'il en f�t, les deux parties du roman sont nettement diff�rentes l'une de l'autre. La premi�re partie semble avoir �t� �crite rapidement et n'est rien d'autre qu'un r�cit assez quelconque de d�bauche; c'est un r�cit sans fioriture, un peu comme un exercice ou une plaisanterie. La seconde partie, au contraire, est plus �labor�e: il y a une r�elle progression dramatique tendant � s'acc�l�rer de mani�re exponentielle pour aboutir au d�lire mortel final; les phrases sont plus orn�es, les descriptions de lieux ou de circonstances sont plus pr�sentes. Cela veut-il dire n�cessairement qu'il y eut deux auteurs? Non certes, car la diff�rence entre les deux parties peut provenir seulement du temps mis � �crire l'une et � �crire l'autre. On verra d'ailleurs qu'il y a des arguments de critique interne en faveur d'un seul auteur. Mais il est certain que — probablement d�s l'�dition illustr�e de 1833 — la rumeur voulait deux auteurs.
Alcide, baron de M*** serait Alfred de Musset. Bien qu'il n'y ait aucune preuve ni aucun t�moignage probant11, le nombre d'�ditions que connut cet ouvrage ainsi que la renomm�e des illustrateurs suppos�s tendent � d�montrer que l'auteur cach� devait �tre renomm�.
Mo�se Le Yaouanc disait qu'Alfred de Vigny « pourrait ne plus para�tre au-dessus de tout soup�on » mais il pensait que Jules Janin �tait plus probable ({LE YAOUANC-1976}, p.74 n.3) ou encore F�lix Pyat (id. p.75 n.3)12. Vigny �tait n� en 1797, Janin en 1804 comme George Sand, Musset et Pyat en 1810. Personne ne semble avoir attribu� la composition de Gamiani � George Sand seule.
Simon Jeune13 a apport� « un faisceau d'indices convergents dont certains [...] paraissent importants » ({S.JEUNE-1985} p.988). Ses arguments sont relatifs � la vie, aux go�ts et � l'œuvre m�me de Musset, mais ce sont aussi et surtout des arguments comparatifs et stylistiques, et m�me de po�tique, qui sont fort convaincants. Nous renverrons donc, pour ce qui regarde Musset, � ce tr�s remarquable article de Simon Jeune. Si l'on suit ce chercheur, Musset est le seul auteur, Janin est exclu parce que « nous sommes loin des facilit�s et de l'entra�nementet verbal » (S. Jeune, op.cit. p.996) et George Sand est exclue parce que cela n'a « rien � voir avec la rondeur ample et un peu molle, le fameux “ style coulant ” » (id.).
On remarquera que l'attribution des illustrations des �dition de 1833 et 1835 a divers artistes montre que, � l'�poque, rien de ce qui concernait Gamiani n'�tait d�cidemment clair. On a attribu� en tout ou en partie les illustrations � Horace Vernet {INTERM-1865/33}, � D�v�ria, � Gr�vedon et � Octave Tassaert.
« Quelques temps apr�s la r�volution de 1830, » dit {PREFACE_1864}. Dans la premi�re partie du roman, il est dit du personnage de Gamiani que « les uns l'appelaient Fœdora, une femme sans cœur et sans temp�rament. » On a l� une « allusion on ne peut plus nette, rappelant � la fois le nom de l'h�ro�ne balzacienne et le surnom que lui donne le titre de la seconde partie » de la Peau de chagrin, roman de 1831 ({LE YAOUANC-1976}, pp.72-73). La r�daction du livre pourrait alors remonter � la fin de 1831 ou � 1832 (id. p.75; {S.JEUNE-1985} p.990).
George Sand et Alfred de Musset ne se seraient rencontr�s que vers le 19 juin 1833 au plus tard, et en mars de la m�me ann�e au plus t�t (George Lubin, in: George Sand, Correspondance, t.II (1832 - juin 1835) pp.212 et 311 n.1 – Paris, Éditions Garnier, 1966).
Si Gamiani, tel qu'on le connait, en deux parties, �tait �crit par Musset avant 1833, George Sand ne peut en �tre le co-auteur.
Si le roman a �t� �crit ou retravaill� en 1833 et si Musset est l'initiateur et l'auteur principal, on ne peut exclure que George Sand ait mis la main � la p�te. Quand on regarde le calendrier de composition des œuvres de George Sand pour l'ann�e 1833, il reste assez de place pour avoir contribu� � Gamiani.
Et si Musset n'a rien � voir avec ce roman, mais que F�lix Pyat ou Jules Janin en est l'auteur, on ne peut exclure que George Sand ait pu y contribuer.
À moins qu'un document r�v�lateur et indiscutable ne vienne au jour dans l'avenir, on ne peut qu'attribuer une certaine probabilit�: il y a moins d'une chance sur dix que George Sand ait contribu� � ce roman; mais cette cote n'a, en d�finitive, aucune signification car seules deux valeurs sont possibles: z�ro ou dix!
{VICAIRE} col.866.
{VICAIRE}: Georges Vicaire; Manuel de
l'amateur de livres au XIXe si�cle, 1801-1893; Paris, A. Roquette,
1894-1920, 8 vol. in-8°. La bibliographie de Gamiani se trouve
au t.III (D-G), col.866-867.
{NOUV-PARNASSE-SATIR-1871} est tr�s
affirmatif. Il est va de m�me de {GAY-1871} p.402.
Voir aussi {ENFER-BNF-1919} p.59,
cit� par {LE YAOUANC-1976} p.74 n.1: voir
plus loin.
{NOUV-PARNASSE-SATIR-1871}:
Poulet-Malassis, Nouveau Parnasse satirique du
XIXe si�cle, extrait d'une note jointe aux stances attribu�es � Musset,
figurant dans la 3e �dition de Gamiani (et reproduites en partie
in {GAY-1871}):
« Cette pi�ce [les stances] de M. Alfred
de Musset (� moins qu'elle ne soit de M. Gustave Drouineau) a �t� reproduite,
incompl�tement, dans les pr�faces de deux des quatre �ditions d'un roman
sadique, Gamiani ou deux nuits d'exc�s, publi�e pourla premi�re fois
en 1833, a eues depuis trois and (1863-1865). On a des preuves que
M. Alfred de Musset est l'auteur de ce roman. Ceux de ses amis qui repoussent
avec horreur l'attribution que lui en ont faite, � l'exclusion de
tout autre, les contemporains, n'ignorent pas que les habitudes du po�te
�taient un peu plus coupables que ses imaginations. »
(Cit� par "Helpey, bibliophile poitevin" [i.e. Louis Perceau] in L'Interm�diaire des chercheurs et des curieux, vol.LXXXVIII, 61e ann�e (1925) n°1624, col. 515-516). |
« [p.59] nous persistons � penser que la premi�re partie de Gamiani, au moins, doit �tre attribu�e � Alfred de Musset, bien qu'on ne poss�de aucune preuve formelle de cette paternit� » |
{GAY-1871} p.403. On sait en effet que
Paul de Musset �crivit ce roman en r�action contre Elle et Lui de
George Sand.
{GAY-1871}: Jules Gay, Bibliographie des
ouvrages relatifs � l'amour, aux femmes, au mariage [...] (3�me �dition;
Turin, J. Gay & fils �d. [...], 1871). La bibliographie de
Gamiani est au t.3 (DES-HAMILTON – Nous donnons plus
loin la description de ce volume) pp.401-403.
{GAY-1896}: est la 4e �dition de cet ouvrage de
Jules Gay: Lille, St�phane B�cour, 1896, ? vol.
Nos ajouts et omissions sont entre crochets droits.
« [p.401] Gamiani ou Deux nuits d'exc�s; par Alcide, baron de
M***. Bruxelles, 1833, gr. in-4°, texte lithographi� � deux colonnes, avec
lithographies assez bien faites, attribu�es � Gr�vedon et � Dev�ria. » Hippolyte, cher cœur, que dis-tu de ces choses? » Lesbos (Bruxelles, pour P.-Malassis), in-8, avec 4 grav. �rot. et 5 grav. satiriques (eaux-fortes de [F�licien] Rops); papier ord., 12 fr., et pap. verg�, 24 fr. La pr�face de cette �dition contient un passage des Adieux au monde (M�moires de C�leste Mogador, comtesse de Chabrillan), passage concernant Alfred de Musset, ce pauvre fou de g�nie. — 4° Lucerne (Bruxelles, J. Gay), 1864, tir� petit in-12 � cent exempl., et pet. in-8 � 20 exempl. Cette �dition est sans figures, mais c'est la plus correcte, et la mieux imprim�e, sur beau papier verg�, de toutes celles faites jusqu'aujourd'hui. La pr�face reproduit l'extrait des Adieux au Monde. [p.402] L'�dition de Poulet-Malassis a �t� r�imprim�e aussi avec l'indication: En Hollande, s.d. — On a des preuves qu'Alfred de Musset est l'auteur de ce roman. Ceux de ses amis qui repoussent l'attribution que lui en ont faite � l'exclusion de tout autre, les contemporains, n'ignorent pas que les habitudes du po�te �taient un peu plus coupables que ses imaginations (Nouveau Parnasse satirique, 1866, p.78). Le vice d�peint sous de si violentes couleurs dans ce livre parait avoir toujours exist�; il eut ses pr�tresses � Lesbos ; il se d�veloppa dans les harems et dans les couvents, et parcourant la route de l'esprit humain, il s'est d�mocratis�, et r�gne, dit-on, maintenant sur la foule de nos h�ta�res de tous les �tages. [...] Dans Gamiani, la passion domine tout en souveraine, passion complexe de l'esprit, du cœur, et des sens arrivant au paroxisme de la fi�vre hist�rique, � la folie et m�me jusqu'au crime. [...] Apr�s avoir r�p�t� les on dit sur l'auteur pr�sum� de cet ouvrage, nous nous permetrons d'ajouter que la 1re partie nous parait �crite d'abondance sous l'inspiration d'un r�cit ou d'un souvenir; il n'en est pas de m�me de la 2e, dont le style est plus travaill�, l'action plus extravagante, et semble tout � fait rentrer dans le domaine de la collaboration; on y sent l'effet de l'imagination qui cherche � s'�chauffer, et ne parvient qu'� produire l'horrible. La premi�re partie en question est l'œuvre de Musset; mais la seconde partie, celle qui concerne les femmes, est attribu�e � la personne encore vivante aujourd'hui � laquelle fait allusion le roman de Lui et elle de M. Paul de Musset. — Voici les trois strophes d'Alfred, dont nous parlions plus haut;
|
{PERCEAU-1930} p.68,
cit� par {LE YAOUANC-1976}:
voir le premier extrait donn� ci-apr�s. Mo�se Le Yaouanc n'avait pas reconnu,
sous cet « auteur d�j� c�l�bre », George Sand. Il estimait que
« pour le sujet, Vigny pourrait ne plus para�tre au-dessus de tout
soup�on, mais le vicomte A. de V. n'�tait pas homme � se risquer dans une
telle entreprise. Le “ style fougueux ” fait penser � Jules Janin,
[...] auteur de Barnave (1831) »
{LE YAOUANC-1976} p.74 n.3.
{PERCEAU-1930}: Louis Perceau,
Bibliographie du roman �rotique au XIXe si�cle; Paris, Georges
Fourdrinier, 1930; 2 vol. in-8° (r�impr. 2003 en 1 vol.), [t.?]
pp.68-71.
Nous donnons des extraits cit�s par
{LE YAOUANC-1976}.
« [p.68] la police du temps [c'est-�-dire � l'�poque de l'apparition de Gamiani] [...] attribuait l'ouvrage � un auteur d�j� c�l�bre et dont le style brillant et fougueux pouvait alors donner quelque poids � cette attribution « [{LE YAOUANC-1976} p.74 n.3 – Louis Perceau citant Jules Gay.] |
« l'h�ro�ne lesbienne �ponyme [est] un
portrait de sa ma�tresse [de Musset] » (en.Wikipedia, art. "Gamiani":
cet article s'appuye sur un ouvrage r�cent de Barbara Kendall-Davies: The
Life and Work of Pauline Viardot Garcia (Cambridge Scholars Press, 2003,
ISBN 1904303277), pp. 45-46. Nous n'avons pu consulter ce livre.
On notera que ce genre de d�claration refl�te davantage la facilit� de son
auteur que le r�sultat d'un effort de recherche d'�l�ments de preuve.
Parmi les sources douteuses d'affirmations aussi cat�goriques qu'aventur�es,
on a {PUISSANT-1874} pp.14-16. On fera le tri:
« du tout besoing estoyt d'en oster quasi les quatre quarts »(*).
(*) Honor� de Balzac, D'ung iusticiard qui ne se remembrait les
choses, 3e dixain des Contes drolatiques (in Œuvres
diverses, Gallimard, coll. de la Pl�iade, t.I p.336).
{INTERM-1865/33},
col.276, dit que la premi�re �dition avait « 8 fig. qui sont, dit-on,
d'Horace Vernet ».
{INTERM-1865/33}: L'Interm�diaire des
chercheurs et des curieux (vol.II, 2�me ann�e (1865) n°33. Article
sign� M. X.!
{PREFACE_1864}: Pr�face de l'�dition
d'Amsterdam (1840 [1864]). Nous en donnons un extrait d'apr�s l'�dition
qu'on peut lire sur le site www.archive.org (Sofia; Lecharmeur,
Éditeur; s.d.)
[p.5] Quelques temps apr�s la r�volution de 1830, une dizaine de jeunes gens, pour la plupart destin�s � devenir c�l�bres dans les lettres, la m�decine ou le barreau, se trouvaient r�unis dans un des plus brillants restaurants du Palais-Royal. Les d�bris d'un splendide souper et le nombre des flacons vides t�moignaient en faveur du robuste estomac, et partant, de la gaiet� des convives. On �tait arriv� au dessert, et tout en faisant p�tiller le Champagne, on avait �puis� la conversation sur la politique d'abord, et ensuite sur les mille sujets � l'ordre du jour � cette [p.6] �poque. La litt�rature devait n�cessairement avoir son tour. Apr�s avoir pass� en revue les divers genres d'ouvrages qui, depuis l'antiquit�, ont tour � tour �t� l'objet d'une admiration plus ou moins passag�re, on en vint � parler du genre erotique. Il y avait l� ample mati�re � discourir. Aussi, depuis les Pastorales de Longus jusqu'aux cruaut�s luxueuses du Marquis de Sade, depuis les Épigrammes de Martial et Satires de Juv�nal jusqu'aux Sonnets de l'Ar�tin, tout fut pass� en revue. Apr�s avoir compar� la libert� d'expression de Martial, Properce, Horace, Juv�nal, T�rence, en un mot, des auteurs latins, avec la g�ne que s'�taient impos�e les divers �crivains erotiques fran�ais, quelqu'un fut amen� � dire qu'il �tait impossible d'�crire un ouvrage de ce genre sans appeler les choses par leur nom; l'exemple de Lafontaine �tait une exception ; que d'ailleurs, la po�sie fran�aise admettant ces sortes de r�ticences et savait m�me, par la finesse et une heureuse tournure de phrases, s'en cr�er un charme de plus, mais qu'en prose on ne pourrait rien produire de passionn� ni d'attrayant. [p.7] Un jeune homme, qui jusqu'alors s'�tait content� d'�couter la conversation d'un air r�veur, sembla s'�veiller � ces derniers mots et prenant la parole: « Messieurs, dit-il, si vous consentez � vous r�unir de nouveau ici dans trois jours, j'esp�re vous convaincre qu'il est facile de produire un ouvrage de haut go�t sans employer les grossi�ret�s qu'on a coutume d'appeler des na�vet�s chez nos bons a�eux, tels que Rabelais, Brant�me, B�roalde de Verville, Bonaventure Desperriers, et tant d'autres, chez lesquels l'esprit gaulois brillerait d'un �clat tout aussi vif, s'il �tait d�barrass� des mots orduriers qui salissent notre vieux langage. » La proposition fut accept�e par acclamation, et trois jours apr�s, notre jeune auteur apporta le manuscrit de l'ouvrage que nous pr�sentons aux amateurs. Chacun des assistants voulut en poss�der une copie, et l'indiscr�tion de l'un d'entre eux permit � un �diteur �tranger de l'imprimer en 1833, dans le format in-4° et orn� de grandes gravures colori�es. Cette �dition, tr�s incorrecte, fut suivie d'une [p.8] seconde en 1835 sous la rubrique de Venise; l'ex�cution typographique et la correction de celle-ci laissent encore beaucoup � d�sirer. En voici le texte: « Gamiani ou Deux Nuits d'exc�s, par Alcide baron de M. A. Venise, chez tous les marchands de nouveaut�s: Venise 1835, 1 vol. in-18 de 105 pages, enlaidi de 10 gravures abominables. » Sauf de l�g�res corrections, dues � l'inexp�rience d'un g�nie essayant ses ailes, chacun y pourra reconna�tre cette muse sympathique et gracieuse qui, pendant vingt ans, a fait les d�lices des gens de go�t, et dont le g�nie est encore regrett� tous les jours. Notre jeune auteur eut le rare bonheur de laisser sa virginit� � une femme, plus digne que beaucoup d'autres, de cueillir la fleur de sa jeunesse ; mais malheureusement cette femme poss�dait, comme toutes les autres, un l�ger quartier de la pomme d'Eve, de sorte qu'elle le trompa : c'�tait son m�tier de femme, mais notre po�te, � qui toute impression don- nait des spasmes en garda la blessure saignante pendant tout le temps de sa courte existence. Il voulut oublier : d'abord d�bauch� par d�pit, [p.9] il devint libertin par go�t, parce qu'il commen�ait � penser que le libertinage seul ne trompait pas; il eut beau faire, il eut beau chercher l'oubli dans le poison fran�ais, il fut moissonn� dans sa jeunesse par le souvenir de la premi�re femme qu'il avait toujours aim�e, de cette grisette devenue inf�me et infime courtisane, dont le cœur sec se riait du mal qu'elle causait. C'est � la suite de cet abandon qu'il composa les strophes suivantes: [...] |
À l'�poque de la publication de cet ouvrage, des gens de lettres tr�s-s�rieux et � m�me de ne point se tromper, ont pr�tendu que l'illustre romanci�re contemporaine, qui �crit sous le nom de *** *** avait collabor� avec Alfred de Musset � la r�daction de ce roman de haut go�t. Nous ne sommes gu�re [p.14] comp�tent pour nous poser en juge de cette attribution; si pourtant, nous en r�f�rant � ce que l'on ajoute � ce sujet (cette dame avait la passion de l'amour lesbien), nous ne serions pas tax� de t�m�rit� en accordant un certain degr� de foi � cette all�gation. Voici d'ailleurs ce que nous lisons � cet �gard dans le Chassepot (A), pamphlet qui a paru � Londres, in-16, en 1868, et que nous avons �galement vu relat� dans Paris sous le Bas-Empire, Londres, in-18, p.53 (B). « Il y avait, en 1848, une certaine dame, ... ...,, fort connue dans le monde galant, qui avait la manie de se v�tir en homme. Elle avait l'habitude d'aller chaque soir chez Madame Henry, rue Richelieu, qui tenait une p�pini�re de jolies femmes. Elle s'y rendait avec autant d'ardeur que jadis Messaline au quartier des Esquilles. « La plus coupable d'entre ces deux femmes n'est certes pas Messaline. Que voulait l'�pouse de Claude? Du plaisir. Que cherchait-elle? De la volupt�. Ce que voulait notre ch�re dame �tait bien diff�rent. Comme toutes les filles de Lesbie, elle aimait les fleurs, et, comme elles, elle pr�f�rait certains endroits pour les cueillir. Elle allait dans ce lupanar en faire une ample moisson; puis, quand elle avait de ses l�vres humides, effeuill� les roses fl�tries que portent � leur ceinture les filles de joie, elle partait heureuse et contente. « Tous les romantiques du temps se rappellent qu'elle fut surnomm�e le colonel des tribades, et que depuis ce titre lui est rest�. « Aujourd'hui cette vieille dame �crit des romans [p.15] o� elle pr�che la morale, car, gr�ce � ses amis, elle est devenue une des �toiles de la litt�rature; en un mot, elle est une c�l�brit�. « ELLE est d'ailleurs une des actrices du Gamiani, ce livre aux sc�nes tribadiques dont l'auteur est LUI. » [p.18] « NOTES. (A.): LE CHASSEPOT. Londres, Jeffs, 1869. in-16, papier verg�, publi� au prix de 5 francs. (B.): PARIS SOUS LE BAS-EMPIRE. Notes in�dites par Lambert, �l�ve posthume de Saint-Simon et de Tallemant des R�aulx. Londres, 1871, in-18, avec la Clef des noms ; papier verg�, publi� au prix de 5 francs. » |
« [col.686] Gamiani [...]. — La premi�re �dition de ce
d�plorable ouvrage est demeur�e inconnue. La Bibliographie du comte
d'I*** [{GAY-1871}, vide supra] cite comme telle celle qui porte
l'indication de Bruxelles et la date de 1833, et dont le texte est
lithographi�. L'�dition princeps est
autographi�e et imprim�e sur papier verg� teint�, � deux colonnes, � 39 lignes
la colonne, le texte encadr� d'un double filet et la pagination inscrite entre
deux parenth�ses, interrompant le double filet au milieu et en haut de chaque
page. C'est un in-4° de deux feuilles, dont 13 pages seulement sont
�crites. Le premier feuillet est en blanc, de m�me que le verso du dernier.
Il n'y a pas de titre, le nom de Gamiani est simplement inscrit en
gothique, en haut de la premi�re page de texte.
» Cette �dition est tout � fait distincte de celle que d�signe la Bibliographie. Si l'indication de lithographi�e peut, aux yeux d'un observateur inexperiment�, se confondre avec celle d'autographi�e, d'autres particularit�s caract�risent absolument la distinction. Telle est l'absence de date et de nom de lieu. De m�me aussi, l'auteur de la Bibliographie signale la premi�re �dition comme tr�s-incorrecte, tandis que celle dont il s'agit est au contraire d'une scrupuleuse correction. Enfin, elle ne contient que la premi�re partie qui, en effet, constituait seule, � l'origine, cet ouvrage. La seconde partie a �t�, comme on l'a fait observer (op. cit. t.III p.402), l'œuvre d'un autre �crivain, � en juger par la diff�rence du style. Nous sommes donc en pr�sence de la v�ritable �dition princeps qui doit �tre rarissime [...]. L'amateur qui poss�de l'unique exemplaire que j'aie vu y avait ajout� la suite des huit lithographies de Deveria, relatives � la premi�re partie, et quatre de la deuxi�me partie, d'une ex�cution inf�rieure et de diff�rentes mains. Ces lithographies (d�tail � noter) ont �t� imprim�es chacune sur une pierre speciate, de la dimension que les lithographes appellent pierres en “ huiti�me ”, et non par deux ou quatre dessins a la fois. A l'�gard des auteurs de ces planches, l'attribution de celles de la premi�re partie � Deveria est incontestable et se trahit par la mani�re, mais il est permis de douter de l'assertion de la [col.687] Bibliographie qui en donne quelques-unes � Gr�vedon. Sa mani�re ne se reconna�t pas, et il n'est pas � croire que le crayon qui a dessine des t�tes de femmes d'une expression si pure, si chaste, si limpide, ait pu se plaire � de pareilles œuvres. » Il serait � souhaiter aussi qu'Alfred de Musset f�t �galement purg� de l'accusation qui lui attribue Gamiani. Cette production, ignoble rapsodie d'un style plat et pr�tentieux, ne fait pas plus d'honneur au talent de l'�crivain qu'� son caract�re et � sa moralit�. » |
Quelques �ditions post�rieures de Gamiani:
Voici deux avis oppos�s quoique contemporains:
POUR:
En 1876, Joris-Karl Huysmans publia anonymement dans
le Bulletin du bibliophile un article intitul�
Étude sur le Gamiani de Musset; on trouvera le texte de cet
article sur le site
www.artandpopularculture.com.
Il n'y est pas question d'une collaboration de George Sand. Huysmans admet
sans r�serve l'attribution � Musset et ajoute: « Tout le monde sait que
Musset se trouvant, une nuit � souper en joyeuse compagnie, paria [...] qu'en
�vitant toute expression crue ou �rotique, il �crirait � l'encontre des
Anciens, le volume le plus “ Cela ” que l'on pourrait r�ver dans
ce genre! » H�las le « Tout le monde sait » rend
l'affirmation infirme!
CONTRE:
« Quoique l'attribution de paternit� � la charge du po�te puisse
malheureusement se justifier, il en est qui la nient, et qui, niant � plus
forte raison la collaboration pr�tendue d'un illustre romancier dans cet
�crit, n'y veulent voir qu'un abominable libelle dirig� contre tous
deux. » {INTERM-1865/33}, col.276.
Ceci r�sume bien le dilemme et pourrait ici servir d'�pigraphe!
Balzac croyait que l'auteur de Les Deux Filles de S�jan — dernier chapitre de Barnave, roman �rotique paru anonymement en 1831 mais plus tard reconnu par Janin — �tait de F�lix Pyat. Mo�se Le Yaouanc se demandait alors si on ne pouvait pas songer � Pyat comme auteur de Gamiani {LE YAOUANC-1976} p.75 et n.3.
{S.JEUNE-1985}: Simon Jeune, "Gamiani"
po�me �rotique et fun�bre d'Alfred de Musset? in Revue d'Histoire
Litt�raire de la France [en abr�g� RHLF], 85e ann�e (1985) n° 6,
pp.988-1010.
On peut trouver cet article sur le site Gallica de la BNF: rechercher le titre
"Revue d'histoire litt�raire de la France", puis l'ann�e 1985.
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