A Propos de "Gamiani"

À Propos de Gamiani ou Deux nuits d'exc�s, roman licencieux de 1832-1833

Ce roman �rotique ou licencieux ou sadique — un peu de tout cela sans doute — a paru en 1833. Le nom de l'auteur est Alcide, baron de ******. Le roman est en deux parties; les deux parties ne sont peut-�tre pas de la m�me main ni strictement contemporaines. Sans qu'on sache exactement comment ni pourquoi, ce roman a �t� attribu�, « � tort ou � raison »1 � Alfred de Musset2. Soit � cause de la relation amoureuse de Musset avec George Sand, soit malveillance � l'�gard de cette derni�re, soit encore pour des raisons plus objectives mais qui ne sont pas connues, on a attribu� � George Sand la co-paternit� de ce roman. Cette derni�re attribution se faisait par p�riphrase: « la personne encore vivante aujourd'hui � laquelle fait allusion le roman de Lui et elle de M. Paul de Musset »3, « un illustre romancier »4. Cette derni�re allusion manque �videmment de pr�cision! De nos jours, l'attribution � Georges Sand se fait encore parfois5.

Ni Musset ni Sand ni, semble-t-il, personne, n'a jamais revendiqu� ni reni� la paternit� de cet ouvrage qui serait oubli� depuis longtemps s'il n'y avait pas pr�cis�ment cette question de l'attribution.

Les �ditions connues avant 1877

Jusqu'� un article sign� Stander, en 1877, dans L'Interm�diaire des chercheurs et des curieux (r�f�rence {STANDER-1877}, il en sera reparl� plus loin), on ne connaissait, pour la p�riode contemporaine � George Sand, que les �ditions suivantes:

  1. Alcide, baron de M*** : "Gamiani, ou Deux nuits d'exc�s"
    Bruxelles; s.n.; 1833; 1 vol. gr. in-4° ♦ Texte lithographi� � deux colonnes, avec 8 ou 12 lithographies d'attribution diverse; {Qu�rard_Superch.} I, 246 (qui admet l'attribution � Alfred de Musset sans la discuter).
    Les figures (12 ou 8) sont g�n�ralement attribu�es � Gr�vedon et � Achille Dev�ria ({GAY-1871} p.402 — pour cette �dition, {VICAIRE}, col.866, cite {GAY-1896}, t.II col.386), parfois � Octave Tassaert, parfois � Horace Vernet6.
  2. Alcide, baron de ****** : "Gamiani, ou Deux nuits d'exc�s"
    Venise (sic); s.n.; 1835; 1 vol. in-12, couv. non impr. ♦ (150 pp. y compris f.titre et titre); frontispice et 12 planches grav�es; À Venise (sic), chez tous les marchands de nouveaut�s; {Qu�rard_Superch.} I, 246.
    {GAY-1871} dit que le frontispice et les gravures sont « d'une ex�cution d�testable » (p.401).
  3. Alcide, baron de M****** : "Gamiani, ou Deux nuits d'exc�s"
    Amsterdam; s.n.; MDCCCXL [1840] (en r�alit� 1864); 1 vol. in-12, couv. non impr. ♦ ([4 (titre et f.titre)]-VIII-123 pp.); 8 gravures en taille douce h.-t.; le tirage a �t� de 150 ex.: 136 sur papier verg�, 10 sur v�lin, 4 sur Chine fort; {Qu�rard_Superch.} I, 246 (r�impr. avec l'indication en Hollande).
    {GAY-1871} dit que les figures sont mauvaises; il ajoute que l'ouvrage est pr�c�d� «[d']une pr�face sur Alfred de Musset, et quelques vers » (p.401) (nous reproduisons la pr�face dans la note 7); c'est l� ce qui occupe les VIII pp. avant le roman. Cette pr�face, allong�e, est reproduite dans {PUISSANT-1874} pp.9-18.
  4. A D M : "Gamiani, ou Deux nuits d'exc�s" / avec un �pisode de la vie de l'auteur, extrait des m�moires de la Comtesse de C********
    Lesbos [Bruxelles]; Institution M�ry – Pavillon Baudelaire [Poulet-Malassis?]; 1864; 1 vol. in-12, couv. non impr. ♦ ([4 (titre et f.titre en rouge et noir)]-XVI-141-[4 (table)] pp.; les XVI pp. contiennent l'extrait des m�moires de la comtesse); 9 gravures dont 5 de F�licien Rops (mais il existe des exemplaires sans gravures).
    {GAY-1871} r�partit l'illustration: « 4 grav. �rot. et 5 grav. satiriques (eaux-fortes de [F�licien] Rops » (p.401). Le m�me ajoute cette pr�cision: « La pr�face de cette �dition contient un passage des Adieux au monde (M�moires de C�leste Mogador, comtesse de Chabrillan), passage concernant Alfred de Musset » (id.). Cet extrait des m�moires est reproduit dans {PUISSANT-1874}, pp.19-24.
  5. Alcide, Baron de M*** : "Gamiani, ou Deux nuits d'exc�s" / Nouvelle �dition
    Lucerne [Bruxelles]; s.n.? [Jules Gay]; 1864; 1 vol. ♦ (XVI-70-[4 (table)]Tirage � 100 ex. au format petit in-12 et 20 ex. au format petit in-8°; sans ill.; {Qu�rard_Superch.} I, 246
    {GAY-1871} pr�cise que « c'est la plus correcte, et la mieux imprim�e, sur beau papier verg�, de toutes celles faites jusqu'aujourd'hui »
  6. A D M : "Gamiani ou deux nuits d'exc�s"
    En Hollande; s.n. [Poulet-Malassis? ou Vital Puissant?]; 1866; 1 vol. in-12 ♦ ([4]-XVI-[1]-141-[3?] pp.); 10 gravures libres h.-t. (dont une au moins rappelle la mani�re de F�licien Rops; toutes ne sont pas de la m�me main ni, dirait-on, de la m�me �poque; certaines illustrations sont des �tats diff�rents de la m�me gravure); mention sans d�tail in {Qu�rard_Superch.} I, 246.
    La description que nous faisons est bas�e sur un catalogue de vente de Sotheby's: A select collection of a bookdealer-dilettante: Christophe d'Astier, Paris, 2/4/2009, lot 235 (un Gamiani de cette �dition, vendu 1.250 euros). Une gravure est reproduite sur le site de Sotheby's www.sothebys.com, sans attribution mais qui rappelle la mani�re de F�licien Rops.
    {GAY-1871} dit que « [l]'�dition de Poulet-Malassis [de 1864] a �t� r�imprim�e aussi avec l'indication: En Hollande, s.d. » (p.402).
    Jacques Duprilot, dans son introduction � Gamiani, fac-simil� de l'�dition originale de Paris, 1833 (Gen�ve-Paris, Editions Slatkine, 1980) pense que la pr�sente �dition pourrait �tre due au libraire-�diteur bruxellois Vital Puissant8 (d'apr�s www.sothebys.com).
  7. Alcide, Baron de M****** : "Gamiani ou deux nuits d'exc�s"
    Bruxelles; s.n.; MDCCCXXXIII-1871 (sic); 1 vol. pet. in-8°, couv. non impr. ♦ ([4 (titre et f.titre)]-VIII-116 pp.; les VIII pp. contiennent une Notice anecdotique bibliographico-litt�raire); frontispice de F�licien Rops, tir� sur Chine volant, et 5 figures h.-t. �galement sur Chine volant.
    La pr�sence de la Notice anecdotique [...] pourrait indiquer que l'�diteur est Vital Puissant: la dite notice appara�tra encore sous ce titre dans {PUISSANT-1874}.

On notera que "Qu�rard, Superch." (1865), t.I col.246 n'apporte aucun �l�ment nouveau; il semble que J.-M. Qu�rard n'ait vu aucune de ces �ditions.

D�couverte en 1877 d'une �dition princeps

En 1877 fut r�v�l�e l'existence d'une �dition de Gamiani anonyme et ne comprenant que la premi�re partie du roman:

[anonyme] : "Gamiani"
s.l.; s.n.; s.d. [1833?]; 1 vol. in-4° ♦ ([2]-13-[1] pp.). Texte autographi� � deux colonnes de 39 lignes par page. Édition rarissime, probablement sans illustrations. Elle ne contient que la premi�re partie du roman. On doit la consid�rer comme l'�dition princeps. Elle a �t� signal�e pour la premi�re fois en 1877 (Stander in Interm. des Ch. et des Cur., vol.X (1877) col.686-687, description tr�s pr�cise).

C'est un article sign� Stander9 qui fit cette r�v�lation. Il r�pondait avantageusement � une question pos�e dans la m�me revue, t.IX col.583, relative aux �ditions du roman; question � laquelle avaient �t� apport�es deux premi�res r�ponses dans la m�me revue, t.IX col.638 et 668, renvoyant l'une et l'autre � des ouvrages bibliographiques existant (� savoir {GAY-1871} et {PUISSANT-1874}).

R�sum� de Gamiani

Avant de discuter de l'attribution du roman, il n'est pas inutile de pr�senter un r�sum� de Gamiani.
Le pr�sent r�sum� renvoie, pour la pagination, � l'�dition "LECHARMEUR, EDITEUR / A SOFIA", s.d.10, qu'on peut lire en ligne sur le site www.archive.org.
Dans cette �dition, le roman proprement dit est pr�c�d� d'une Pr�face (qui occupe les pages 5 � 10), et d'un "Extrait des M�moires de la comtesse de C*** sur l'auteur de Gamiani" (qui occupe les pages 11 � 19). Ce sont l� des textes issus, le premier, de l'�dition d'Amsterdam (1840 [1864]); le second, de l'�dition de Lesbos (m�me ann�e).

PREMIÈRE PARTIE (pp.21-73):

  1. pp.21-24, Pr�ambule: « Minuit sonnait » (p.22) chez la comtesse Gamiani, le narrateur — s'exprimant � la premi�re personne — s'interroge sur « l'�tre moral » (p.22) de la comtesse sans parvenir « � une conclusion satisfaisante » (p.23), quand un vieux libertin lui dit: « Bah! c'est une tribade » (id.)
    L'auteur se met en peine de quelques jolies phrases au d�but, mais au d�but seulement.
  2. pp.24-30, Alcide cach� observe les �bats de Gamiani et « une de ses amies, Mlle Fanny B... » (p.25).
    C'est pour moiti� une alternance de dialogue entre les deux femmes et de description sommaire des �bats. Le pr�nom Fanny fait imm�diatement penser au roman de John Cleland (1709-1789): Memoirs of a Woman of Pleasure written by herself, qui parut � Londres en 1748-1749. Ce roman, licencieux mais qui est une s�v�re �tude de mœurs, est plus connu sous le titre de Fanny Hill. Il semble n'avoir pas �t� traduit en fran�ais avant 1887 (par Isidore Liseux sous le titre de M�moires de Fanny Hill, voir Vicaire, II, 447) mais rien n'exclut qu'il ne circulait pas en France des exemplaire anglais au d�but des ann�es 1830. Cela dit, seul le pr�nom Fanny peut relier ce roman � Gamiani.
  3. pp.30-33, Alcide entre en sc�ne et s'empare de Fanny. En duo, en trio, les �changes se suivent � un rythme rapide.
  4. pp.33-35, Pause: « Et nous rest�mes l'un sur l'autre �tendus, [...] sans mouvement, [...] nos haleines presque �teintes. / Peu � peu nous rev�nmes � nous » (p.33). Les deux femmes se plaignent de l'audace d'Alcide, et Gamiani riposte � la d�fense de celui-ci par une phrase dont la profondeur d�passe le contexte: « sachez qu'une femme ne pardonne jamais � celui qui surpend sa faiblesse » (p.34).
  5. pp.35-36, Reprise des �bats, tr�s br�ve.
  6. pp.37-45, Gamiani raconte son enfance: sadisme de sa tante � son �gard, bient�t assist�e d'un moine. Viol. « Plus de vingt moines se ru�rent � leur tour en cannibales effr�n�s » (p.44).
    L'apparition du moine par une « porte secr�te » (p.40) �voque bien entendu les romans gothiques anglais mais aussi Justine ou les malheurs de la vertu du marquis de Sade (1791). Dans la deuxi�me partie, on verra que Gamiani racontera la suite de son histoire.
  7. pp.45-51, R�cit par Fanny de la d�couverte du plaisir solitaire � quinze ans. Échauff�, Alcide lui fait un petit interm�de: « Et la douce volupt� nous abimait d'ivresse, nous portait tous les deux au ciel » (p.51)
  8. pp.51-58, R�cit d'Alcide de la d�couverte du plaisir, involontaire car « destin� � l'�tat eccl�siastique, [...] [il] combattai[t] de toutes [s]es forces les premiers d�sirs de [s]es sens » (p.52). Ce r�cit inclut un r�ve �rotique imag� et non d�nu� d'une po�sie descriptive (pp.53-58); mutatis mutandis on a l� des images et un langage d'Apocalypse.
  9. pp.58-62, Alcide poursuit son r�cit: du r�ve � l'acte, il perd son pucelage. Le ton enflamm� est assez semblable au r�cit du r�ve.
  10. pp.62-70, La nuit se termine dans une orgie d�lirante � laquelle se joignent Julie, femme de chambre de la comtesse, et le chien M�dor. « Le sommeil arr�ta enfin toutes ces fureurs » (p.70).
  11. pp.71-73, Joli et calme r�veil d'Alcide et Fanny. Ils quittent « cet ignoble s�jour » (p.73), ayant vu la comtesse « ignoblement renvers�e, la figure d�faite, le corps sale, tach�. Comme une femme ivre, jet�e nue pr�s d'une borne, elle semblait cuver sa luxure » (pp.72-73).

DEUXIÈME PARTIE (pp.75-124):

  1. pp.73-84, À quelque temps (ind�termin�) de l�, Alcide croit que Fanny a oubli� Gamiani. Mais il n'en �tait rien. Il se r�soud � l'espionner et, co�ncidence! Gamiani s'introduit chez Fanny et tente de la reconqu�rir ... et y parvient.
    À la diff�rence de la premi�re partie, on a ici de longues p�riodes et abondance d'adjectifs. Gamiani d�ploie des tr�sors d'�loquence. En g�n�ral, il en est ainsi dans toute la deuxi�me partie.
  2. pp.84-85, Dans son r�duit, ne pouvant se joindre aux deux femmes, Alcide �panche ses ardeurs.
  3. pp.85-87, Suite des �bats de Gamiani et Fanny.
  4. pp.87-93, Gamiani raconte sa vie au couvent: ayant fui sa tante, elle se r�fugia dans un couvent o�, dit-elle, la sup�rieure, « touch�e sans doute de mon jeune �ge et de mon apparente timidit�, me fit l'accueil le plus propre � dissiper mes craintes et mon embarras » (p.88). À l'instar de Mme ***, la sup�rieure du couvent d'Arpajon dans la Religieuse de Diderot, la sup�rieure de Gamiani a pour la novice une attirance vive. Et l'on peut comparer: « La sup�rieure [...] se plaignait du froid et me pria de coucher avec elle pour la r�chauffer. Je la trouvai absolument nue. On dort mieux, dit-elle sans chemise » (Gamiani, p.89); « “ Je tremble, me dit [Mme ***], je frissonne, un froid mortel s'est r�pandu sur moi. [../..] Suzanne, mon amie, rapprochez-vous un peu... ” Elle �tendit ses bras; je lui tournais le dos; elle me prit doucement, elle me tira vers elle [...] Je m'�tais retourn�e, elle avait �cart� son linge, et j'allais �carter le mien [...] » (La Religieuse, p.375 in Diderot, Œuvres; Paris, Laffont, coll. Bouquins; 1994; t.II Contes). Chez Diderot l'affaire s'arr�te l�, interrompue par sœur Suzanne; dans Gamiani, on a droit � tous les d�tails, la description est �labor�e.
  5. pp.93-94, Bref interm�de entre la comtesse et Fanny.
  6. pp.94-98 R�cit en tiroir: Gamiani raconte l'histoire de la sup�rieure. À douze ans, celle-ci fait ses d�buts, solitaire, puis avec un singe. « Pour gu�rir la pauvre fille de sa manie singesque, on la pla�a dans le couvent » (p.98).
  7. pp.98-108, Gamiani poursuit le r�cit de sa propre vie: la c�r�monie de son admission au couvent, lubrique comme bien on pense; puis description �labor�e des mœurs et orgies lesbiennes au couvent.
  8. pp.109-116, R�cit encore de Gamiani, �pisodes divers: un homme s'introduit, « je ne sais comment » (p.109) dans le couvent. Toutes les religieuses se ruent sur lui et l'�puisent si bien qu'elles d�cident de s'en d�barrasser: elles le pendent. On a alors droit � une sc�ne gothique � la suite de laquelle Gamiani s'enfuit du couvent. Elle se refugie � Florence o� un jeune anglais, sir Edward, s'�prend d'elle, et r�ciproquement. Amour platonique dont sir Edward ne se satisfait point, il la viole. C'est un moine. Elle s'enfuit. Voulant alors « rompre avec les hommes, [dit-elle,] j'�puisai tous le plaisir qu'ils peuvent nous donner » (p.114).
  9. pp.116-124 Ébats en duo de Gamiani et Fanny. Crescendo habituel mais culminant par la mort spectaculaire de Fanny, empoisonn�e. Alcide, dont on n'avait plus entendu parler parler depuis son intromission dans le r�duit d'o� il espionnait les deux femmes, se manifeste enfin: « Je brise les portes dans ma violence, j'arrive. H�las! Fanny n'existait plus » (p.123). Gamiani ne tarde pas � la suivre dans l'au-del�: « l'horrible furie tombe morte sur le cadavre! » (p.124). Et le combat cessa faute de combattants.

Un ou deux auteurs?

L'�dition princeps r�v�l�e par Stander en 1877 t�moigne probablement d'une composition du roman en deux temps bien distincts; toutefois on peut aussi admettre que cette �dition rarissime �tait limit�e � la premi�re partie du r�cit pour en r�duire le co�t.

Quoi qu'il en f�t, les deux parties du roman sont nettement diff�rentes l'une de l'autre. La premi�re partie semble avoir �t� �crite rapidement et n'est rien d'autre qu'un r�cit assez quelconque de d�bauche; c'est un r�cit sans fioriture, un peu comme un exercice ou une plaisanterie. La seconde partie, au contraire, est plus �labor�e: il y a une r�elle progression dramatique tendant � s'acc�l�rer de mani�re exponentielle pour aboutir au d�lire mortel final; les phrases sont plus orn�es, les descriptions de lieux ou de circonstances sont plus pr�sentes. Cela veut-il dire n�cessairement qu'il y eut deux auteurs? Non certes, car la diff�rence entre les deux parties peut provenir seulement du temps mis � �crire l'une et � �crire l'autre. On verra d'ailleurs qu'il y a des arguments de critique interne en faveur d'un seul auteur. Mais il est certain que — probablement d�s l'�dition illustr�e de 1833 — la rumeur voulait deux auteurs.

Quels seraient les auteurs?

Alcide, baron de M*** serait Alfred de Musset. Bien qu'il n'y ait aucune preuve ni aucun t�moignage probant11, le nombre d'�ditions que connut cet ouvrage ainsi que la renomm�e des illustrateurs suppos�s tendent � d�montrer que l'auteur cach� devait �tre renomm�.

Mo�se Le Yaouanc disait qu'Alfred de Vigny « pourrait ne plus para�tre au-dessus de tout soup�on » mais il pensait que Jules Janin �tait plus probable ({LE YAOUANC-1976}, p.74 n.3) ou encore F�lix Pyat (id. p.75 n.3)12. Vigny �tait n� en 1797, Janin en 1804 comme George Sand, Musset et Pyat en 1810. Personne ne semble avoir attribu� la composition de Gamiani � George Sand seule.

Simon Jeune13 a apport� « un faisceau d'indices convergents dont certains [...] paraissent importants » ({S.JEUNE-1985} p.988). Ses arguments sont relatifs � la vie, aux go�ts et � l'œuvre m�me de Musset, mais ce sont aussi et surtout des arguments comparatifs et stylistiques, et m�me de po�tique, qui sont fort convaincants. Nous renverrons donc, pour ce qui regarde Musset, � ce tr�s remarquable article de Simon Jeune. Si l'on suit ce chercheur, Musset est le seul auteur, Janin est exclu parce que « nous sommes loin des facilit�s et de l'entra�nementet verbal » (S. Jeune, op.cit. p.996) et George Sand est exclue parce que cela n'a « rien � voir avec la rondeur ample et un peu molle, le fameux “ style coulant ” » (id.).

On remarquera que l'attribution des illustrations des �dition de 1833 et 1835 a divers artistes montre que, � l'�poque, rien de ce qui concernait Gamiani n'�tait d�cidemment clair. On a attribu� en tout ou en partie les illustrations � Horace Vernet {INTERM-1865/33}, � D�v�ria, � Gr�vedon et � Octave Tassaert.

Quand aurait �t� �crit Gamiani?

« Quelques temps apr�s la r�volution de 1830, » dit {PREFACE_1864}. Dans la premi�re partie du roman, il est dit du personnage de Gamiani que « les uns l'appelaient Fœdora, une femme sans cœur et sans temp�rament. » On a l� une « allusion on ne peut plus nette, rappelant � la fois le nom de l'h�ro�ne balzacienne et le surnom que lui donne le titre de la seconde partie » de la Peau de chagrin, roman de 1831 ({LE YAOUANC-1976}, pp.72-73). La r�daction du livre pourrait alors remonter � la fin de 1831 ou � 1832 (id. p.75; {S.JEUNE-1985} p.990).

George Sand et Alfred de Musset ne se seraient rencontr�s que vers le 19 juin 1833 au plus tard, et en mars de la m�me ann�e au plus t�t (George Lubin, in: George Sand, Correspondance, t.II (1832 - juin 1835) pp.212 et 311 n.1 – Paris, Éditions Garnier, 1966).

Conclusion?

Si Gamiani, tel qu'on le connait, en deux parties, �tait �crit par Musset avant 1833, George Sand ne peut en �tre le co-auteur.

Si le roman a �t� �crit ou retravaill� en 1833 et si Musset est l'initiateur et l'auteur principal, on ne peut exclure que George Sand ait mis la main � la p�te. Quand on regarde le calendrier de composition des œuvres de George Sand pour l'ann�e 1833, il reste assez de place pour avoir contribu� � Gamiani.

Et si Musset n'a rien � voir avec ce roman, mais que F�lix Pyat ou Jules Janin en est l'auteur, on ne peut exclure que George Sand ait pu y contribuer.

À moins qu'un document r�v�lateur et indiscutable ne vienne au jour dans l'avenir, on ne peut qu'attribuer une certaine probabilit�: il y a moins d'une chance sur dix que George Sand ait contribu� � ce roman; mais cette cote n'a, en d�finitive, aucune signification car seules deux valeurs sont possibles: z�ro ou dix!


Notes

Notes relatives � Gamiani

  1. {VICAIRE} col.866.
    {VICAIRE}: Georges Vicaire; Manuel de l'amateur de livres au XIXe si�cle, 1801-1893; Paris, A. Roquette, 1894-1920, 8 vol. in-8°. La bibliographie de Gamiani se trouve au t.III (D-G), col.866-867.

  2. {NOUV-PARNASSE-SATIR-1871} est tr�s affirmatif. Il est va de m�me de {GAY-1871} p.402. Voir aussi {ENFER-BNF-1919} p.59, cit� par {LE YAOUANC-1976} p.74 n.1: voir plus loin.

    {NOUV-PARNASSE-SATIR-1871}: Poulet-Malassis, Nouveau Parnasse satirique du XIXe si�cle, extrait d'une note jointe aux stances attribu�es � Musset, figurant dans la 3e �dition de Gamiani (et reproduites en partie in {GAY-1871}):

    « Cette pi�ce [les stances] de M. Alfred de Musset (� moins qu'elle ne soit de M. Gustave Drouineau) a �t� reproduite, incompl�tement, dans les pr�faces de deux des quatre �ditions d'un roman sadique, Gamiani ou deux nuits d'exc�s, publi�e pourla premi�re fois en 1833, a eues depuis trois and (1863-1865). On a des preuves que M. Alfred de Musset est l'auteur de ce roman. Ceux de ses amis qui repoussent avec horreur l'attribution que lui en ont faite, � l'exclusion de tout autre, les contemporains, n'ignorent pas que les habitudes du po�te �taient un peu plus coupables que ses imaginations. »


    (Cit� par "Helpey, bibliophile poitevin" [i.e. Louis Perceau] in L'Interm�diaire des chercheurs et des curieux, vol.LXXXVIII, 61e ann�e (1925) n°1624, col. 515-516).

    {LE YAOUANC-1976} Mo�se Le Yaouanc; Échanges romantiques: Balzac et “Gamiani”, Balzac et “Fortunio”; in Ann�e Balzacienne 1976 (Paris, Garnier, 1976), pp.71-86.
    Nous recommandons la lecture de cet int�ressant article de Mo�se Le Yaouanc.
    {ENFER-BNF-1919} Guillaume Apollinaire, Fernand Fleuret, Louis Perceau; L'Enfer de la Biblioth�que Nationale; Paris, Mercure de France, 1913, 1 vol. in-8° (r��d. 1919, r�impr. 2002).
    Ici et ailleurs, nos ajouts et omissions sont plac�s entre crochets droits.
    « [p.59] nous persistons � penser que la premi�re partie de Gamiani, au moins, doit �tre attribu�e � Alfred de Musset, bien qu'on ne poss�de aucune preuve formelle de cette paternit� »
  3. {GAY-1871} p.403. On sait en effet que Paul de Musset �crivit ce roman en r�action contre Elle et Lui de George Sand.
    {GAY-1871}: Jules Gay, Bibliographie des ouvrages relatifs � l'amour, aux femmes, au mariage [...] (3�me �dition; Turin, J. Gay & fils �d. [...], 1871). La bibliographie de Gamiani est au t.3 (DES-HAMILTON – Nous donnons plus loin la description de ce volume) pp.401-403.
    {GAY-1896}: est la 4e �dition de cet ouvrage de Jules Gay: Lille, St�phane B�cour, 1896, ? vol.
    Nos ajouts et omissions sont entre crochets droits.

    « [p.401] Gamiani ou Deux nuits d'exc�s; par Alcide, baron de M***. Bruxelles, 1833, gr. in-4°, texte lithographi� � deux colonnes, avec lithographies assez bien faites, attribu�es � Gr�vedon et � Dev�ria.
    « Cette premi�re �dition, tr�s-incorrecte, est devenue introuvable aujourd'hui ; depuis lors, on a fait plusieurs r�impressions sous les rubriques suivantes: 1° Venise, 1835, in-18 de 105 pages avec 12 gravures et un frontispice d'une ex�cution d�testable. — 2° Amsterdam 1840 (1864), pet. in-8, avec 8 mauvaises figures, une pr�face sur Alfred de Musset, et quelques vers que nous reproduisons plus loin. — 3° �dition avec cette �pigraphe:

    » Hippolyte, cher cœur, que dis-tu de ces choses?

    » Lesbos (Bruxelles, pour P.-Malassis), in-8, avec 4 grav. �rot. et 5 grav. satiriques (eaux-fortes de [F�licien] Rops); papier ord., 12 fr., et pap. verg�, 24 fr. La pr�face de cette �dition contient un passage des Adieux au monde (M�moires de C�leste Mogador, comtesse de Chabrillan), passage concernant Alfred de Musset, ce pauvre fou de g�nie. — 4° Lucerne (Bruxelles, J. Gay), 1864, tir� petit in-12 � cent exempl., et pet. in-8 � 20 exempl. Cette �dition est sans figures, mais c'est la plus correcte, et la mieux imprim�e, sur beau papier verg�, de toutes celles faites jusqu'aujourd'hui. La pr�face reproduit l'extrait des Adieux au Monde. [p.402] L'�dition de Poulet-Malassis a �t� r�imprim�e aussi avec l'indication: En Hollande, s.d. — On a des preuves qu'Alfred de Musset est l'auteur de ce roman. Ceux de ses amis qui repoussent l'attribution que lui en ont faite � l'exclusion de tout autre, les contemporains, n'ignorent pas que les habitudes du po�te �taient un peu plus coupables que ses imaginations (Nouveau Parnasse satirique, 1866, p.78). Le vice d�peint sous de si violentes couleurs dans ce livre parait avoir toujours exist�; il eut ses pr�tresses � Lesbos ; il se d�veloppa dans les harems et dans les couvents, et parcourant la route de l'esprit humain, il s'est d�mocratis�, et r�gne, dit-on, maintenant sur la foule de nos h�ta�res de tous les �tages. [...] Dans Gamiani, la passion domine tout en souveraine, passion complexe de l'esprit, du cœur, et des sens arrivant au paroxisme de la fi�vre hist�rique, � la folie et m�me jusqu'au crime. [...] Apr�s avoir r�p�t� les on dit sur l'auteur pr�sum� de cet ouvrage, nous nous permetrons d'ajouter que la 1re partie nous parait �crite d'abondance sous l'inspiration d'un r�cit ou d'un souvenir; il n'en est pas de m�me de la 2e, dont le style est plus travaill�, l'action plus extravagante, et semble tout � fait rentrer dans le domaine de la collaboration; on y sent l'effet de l'imagination qui cherche � s'�chauffer, et ne parvient qu'� produire l'horrible. La premi�re partie en question est l'œuvre de Musset; mais la seconde partie, celle qui concerne les femmes, est attribu�e � la personne encore vivante aujourd'hui � laquelle fait allusion le roman de Lui et elle de M. Paul de Musset. — Voici les trois strophes d'Alfred, dont nous parlions plus haut;

    » Ce qu'il me faut � moi, c'est la brutale orgie
    La brune courtisane � la l�vre rougie
             Qui se p�me et se tord,
    Qui s'enlace � vos bras, dans sa fougueuse ivresse,
    Qui laisse ses cheveux se d�rouler en tresse,
             Vous �treint et vous mord.
    » Eh bien ! venez encor me vanter vos pucelles,
    Avec leurs regards froids, avec leurs tailles fr�les,
             Fr�les comme un roseau,
    Qui n'osent de leurs doigts vous toucher, ni rien dire,
    Qui n'osent regarder et craignent de sourire,
             Ne boivent que de l'eau.
    » [p.403] Non ! vous ne valez pas, � tendre jeune fille,
    Au teint frais et si pur cach� sous la mantille,
             Et dans le blanc satin,
    Non, dames du grand ton, en tout, tant que vous �tes,
    Non ! vous ne valez pas, femmes dites honn�tes,
             Un amour de catin! »
    BIBLIOGRAPHIE / DES OUVRAGES RELATIFS / A L'AMOUR, AUX FEMMES, AU MARIAGE / ET DES LIVRES FACÉTIEUX, PANTAGRUÉLIQUES / SCATOLOGIQUES, SATYRIQUES, ETC. / contenant les Titres d�taill�s de ces ouvrages / les noms des Auteurs, un Aper�u de leur sujet / leur valeur et leur prix dans les ventes, etc. / PAR M. LE C. D'I*** / 3me Édition / enti�rement refondue et consid�rablement augment�e / ORDRE ALPHABÉTIQUE / par nom d'Auteurs et titres d'Ouvrages / TOME TROISIÈME / DES — HAMILTON / ——— / TURIN / J. GAY ET FILS, ÉDITEURS / ET A TURIN, A ROME, ET A FLORENCE / BOCCA FRÈRES, LIBRAIRES DE S. M. LE ROI D'ITALIE / — / 1871
    (Vincent Bona, Imprimeur de S. M. � Turin.)
    On peut consulter cet ouvrage sur le site www.archive.org.
  4. {PERCEAU-1930} p.68, cit� par {LE YAOUANC-1976}: voir le premier extrait donn� ci-apr�s. Mo�se Le Yaouanc n'avait pas reconnu, sous cet « auteur d�j� c�l�bre », George Sand. Il estimait que « pour le sujet, Vigny pourrait ne plus para�tre au-dessus de tout soup�on, mais le vicomte A. de V. n'�tait pas homme � se risquer dans une telle entreprise. Le “ style fougueux ” fait penser � Jules Janin, [...] auteur de Barnave (1831) » {LE YAOUANC-1976} p.74 n.3.

    {PERCEAU-1930}: Louis Perceau, Bibliographie du roman �rotique au XIXe si�cle; Paris, Georges Fourdrinier, 1930; 2 vol. in-8° (r�impr. 2003 en 1 vol.), [t.?] pp.68-71.

    Nous donnons des extraits cit�s par {LE YAOUANC-1976}.

    « [p.68] la police du temps [c'est-�-dire � l'�poque de l'apparition de Gamiani] [...] attribuait l'ouvrage � un auteur d�j� c�l�bre et dont le style brillant et fougueux pouvait alors donner quelque poids � cette attribution « [{LE YAOUANC-1976} p.74 n.3 – Louis Perceau citant Jules Gay.]
  5. « l'h�ro�ne lesbienne �ponyme [est] un portrait de sa ma�tresse [de Musset] » (en.Wikipedia, art. "Gamiani": cet article s'appuye sur un ouvrage r�cent de Barbara Kendall-Davies: The Life and Work of Pauline Viardot Garcia (Cambridge Scholars Press, 2003, ISBN 1904303277), pp. 45-46. Nous n'avons pu consulter ce livre.
    On notera que ce genre de d�claration refl�te davantage la facilit� de son auteur que le r�sultat d'un effort de recherche d'�l�ments de preuve.
    Parmi les sources douteuses d'affirmations aussi cat�goriques qu'aventur�es, on a {PUISSANT-1874} pp.14-16. On fera le tri: « du tout besoing estoyt d'en oster quasi les quatre quarts »(*).
    (*) Honor� de Balzac, D'ung iusticiard qui ne se remembrait les choses, 3e dixain des Contes drolatiques (in Œuvres diverses, Gallimard, coll. de la Pl�iade, t.I p.336).

  6. {INTERM-1865/33}, col.276, dit que la premi�re �dition avait « 8 fig. qui sont, dit-on, d'Horace Vernet ».
    {INTERM-1865/33}: L'Interm�diaire des chercheurs et des curieux (vol.II, 2�me ann�e (1865) n°33. Article sign� M. X.!

  7. {PREFACE_1864}: Pr�face de l'�dition d'Amsterdam (1840 [1864]). Nous en donnons un extrait d'apr�s l'�dition qu'on peut lire sur le site www.archive.org (Sofia; Lecharmeur, Éditeur; s.d.)

    [p.5] Quelques temps apr�s la r�volution de 1830, une dizaine de jeunes gens, pour la plupart destin�s � devenir c�l�bres dans les lettres, la m�decine ou le barreau, se trouvaient r�unis dans un des plus brillants restaurants du Palais-Royal. Les d�bris d'un splendide souper et le nombre des flacons vides t�moignaient en faveur du robuste estomac, et partant, de la gaiet� des convives.

    On �tait arriv� au dessert, et tout en faisant p�tiller le Champagne, on avait �puis� la conversation sur la politique d'abord, et ensuite sur les mille sujets � l'ordre du jour � cette [p.6] �poque. La litt�rature devait n�cessairement avoir son tour. Apr�s avoir pass� en revue les divers genres d'ouvrages qui, depuis l'antiquit�, ont tour � tour �t� l'objet d'une admiration plus ou moins passag�re, on en vint � parler du genre erotique. Il y avait l� ample mati�re � discourir. Aussi, depuis les Pastorales de Longus jusqu'aux cruaut�s luxueuses du Marquis de Sade, depuis les Épigrammes de Martial et Satires de Juv�nal jusqu'aux Sonnets de l'Ar�tin, tout fut pass� en revue.

    Apr�s avoir compar� la libert� d'expression de Martial, Properce, Horace, Juv�nal, T�rence, en un mot, des auteurs latins, avec la g�ne que s'�taient impos�e les divers �crivains erotiques fran�ais, quelqu'un fut amen� � dire qu'il �tait impossible d'�crire un ouvrage de ce genre sans appeler les choses par leur nom; l'exemple de Lafontaine �tait une exception ; que d'ailleurs, la po�sie fran�aise admettant ces sortes de r�ticences et savait m�me, par la finesse et une heureuse tournure de phrases, s'en cr�er un charme de plus, mais qu'en prose on ne pourrait rien produire de passionn� ni d'attrayant.

    [p.7] Un jeune homme, qui jusqu'alors s'�tait content� d'�couter la conversation d'un air r�veur, sembla s'�veiller � ces derniers mots et prenant la parole: « Messieurs, dit-il, si vous consentez � vous r�unir de nouveau ici dans trois jours, j'esp�re vous convaincre qu'il est facile de produire un ouvrage de haut go�t sans employer les grossi�ret�s qu'on a coutume d'appeler des na�vet�s chez nos bons a�eux, tels que Rabelais, Brant�me, B�roalde de Verville, Bonaventure Desperriers, et tant d'autres, chez lesquels l'esprit gaulois brillerait d'un �clat tout aussi vif, s'il �tait d�barrass� des mots orduriers qui salissent notre vieux langage. »

    La proposition fut accept�e par acclamation, et trois jours apr�s, notre jeune auteur apporta le manuscrit de l'ouvrage que nous pr�sentons aux amateurs.

    Chacun des assistants voulut en poss�der une copie, et l'indiscr�tion de l'un d'entre eux permit � un �diteur �tranger de l'imprimer en 1833, dans le format in-4° et orn� de grandes gravures colori�es.

    Cette �dition, tr�s incorrecte, fut suivie d'une [p.8] seconde en 1835 sous la rubrique de Venise; l'ex�cution typographique et la correction de celle-ci laissent encore beaucoup � d�sirer. En voici le texte: « Gamiani ou Deux Nuits d'exc�s, par Alcide baron de M. A. Venise, chez tous les marchands de nouveaut�s: Venise 1835, 1 vol. in-18 de 105 pages, enlaidi de 10 gravures abominables. »

    Sauf de l�g�res corrections, dues � l'inexp�rience d'un g�nie essayant ses ailes, chacun y pourra reconna�tre cette muse sympathique et gracieuse qui, pendant vingt ans, a fait les d�lices des gens de go�t, et dont le g�nie est encore regrett� tous les jours.

    Notre jeune auteur eut le rare bonheur de laisser sa virginit� � une femme, plus digne que beaucoup d'autres, de cueillir la fleur de sa jeunesse ; mais malheureusement cette femme poss�dait, comme toutes les autres, un l�ger quartier de la pomme d'Eve, de sorte qu'elle le trompa : c'�tait son m�tier de femme, mais notre po�te, � qui toute impression don- nait des spasmes en garda la blessure saignante pendant tout le temps de sa courte existence. Il voulut oublier : d'abord d�bauch� par d�pit, [p.9] il devint libertin par go�t, parce qu'il commen�ait � penser que le libertinage seul ne trompait pas; il eut beau faire, il eut beau chercher l'oubli dans le poison fran�ais, il fut moissonn� dans sa jeunesse par le souvenir de la premi�re femme qu'il avait toujours aim�e, de cette grisette devenue inf�me et infime courtisane, dont le cœur sec se riait du mal qu'elle causait.

    C'est � la suite de cet abandon qu'il composa les strophes suivantes:

    [...]

  8. Vital Puissant, libraire-�diteur belge (install� au 14, Grand'place � Bruxelles). Son nom est �vocateur, il �tait en effet dou� d'une vitalit� �tonnante, publiant des contrefa�ons de toute sorte sans laisser appara�tre son nom. Il semble avoir pris pour cible, entre autres, les publications de Jules Gay et d'Auguste Poulet-Malassis. Pour plus d'information sur cet int�ressant personnage, nous renvoyons � l'article de Ren� Fayt, grand sp�cialiste de cette question de l'�dition belge au XIXe si�cle: Un �diteur clandestin: Vital Puissant in Les Cahiers du C�dic, n° 1 (d�cembre 1999); reparu dans Histoires litt�raires n° 28 (2006)).

    {PUISSANT-1874}: Vital Puissant a publi� en 1874 une “NOTICE / ANECDOTICO-BIBLIOGRAPHIQUE / SUR LE / GAMIANI / D'ALFRED DE MUSSET / Pr�c�d�e de sa BIOGRAPHIE et suivie d'un extrait des / MÉMOIRES DE CÉLESTE MOGADOR / par / PH. J. G. B., BIBLIOPHILE / — / PARIS / GAILLARD ET LEGAY, ÉDITEURS / 113, RUE DE RICHELIEU, 113 / – / MVIIILXXIV [sic]”. Cet ouvrage — qu'on peut consulter sur le site Gallica de la BNF — contient, en pp.[5]-8: une Notice biographique sign�e "Ph. J. G. B., Bibliophile" qui n'�claircit en rien le myst�re Gamiani; en pp.9-18: la Notice anecdotique bibliographico-litt�raire, sign�e "Ph. J. G. B." dont on trouvera le texte sur le site www.eros-thanatos.com (et, dans sa version courte, dans la Pr�face de l'�dition de Gamiani qu'on trouve sur le site www.archive.org) et qui est tr�s probablement la pr�face de l'�dition d'Amsterdam, MDCCCXL [en fait, 1864]; en pp.19-24: un Extrait des M�moires de la comtesse de Chabrillan (C�leste Mogador) qui n'�clairent pas beaucoup notre lanterne.

    Nous reproduisons la partie ajout�e de la Notice anecdotique [...]:

  9. À l'�poque de la publication de cet ouvrage, des gens de lettres tr�s-s�rieux et � m�me de ne point se tromper, ont pr�tendu que l'illustre romanci�re contemporaine, qui �crit sous le nom de *** *** avait collabor� avec Alfred de Musset � la r�daction de ce roman de haut go�t. Nous ne sommes gu�re [p.14] comp�tent pour nous poser en juge de cette attribution; si pourtant, nous en r�f�rant � ce que l'on ajoute � ce sujet (cette dame avait la passion de l'amour lesbien), nous ne serions pas tax� de t�m�rit� en accordant un certain degr� de foi � cette all�gation. Voici d'ailleurs ce que nous lisons � cet �gard dans le Chassepot (A), pamphlet qui a paru � Londres, in-16, en 1868, et que nous avons �galement vu relat� dans Paris sous le Bas-Empire, Londres, in-18, p.53 (B).

    « Il y avait, en 1848, une certaine dame, ... ...,, fort connue dans le monde galant, qui avait la manie de se v�tir en homme. Elle avait l'habitude d'aller chaque soir chez Madame Henry, rue Richelieu, qui tenait une p�pini�re de jolies femmes. Elle s'y rendait avec autant d'ardeur que jadis Messaline au quartier des Esquilles.

    « La plus coupable d'entre ces deux femmes n'est certes pas Messaline. Que voulait l'�pouse de Claude? Du plaisir. Que cherchait-elle? De la volupt�. Ce que voulait notre ch�re dame �tait bien diff�rent. Comme toutes les filles de Lesbie, elle aimait les fleurs, et, comme elles, elle pr�f�rait certains endroits pour les cueillir. Elle allait dans ce lupanar en faire une ample moisson; puis, quand elle avait de ses l�vres humides, effeuill� les roses fl�tries que portent � leur ceinture les filles de joie, elle partait heureuse et contente.

    « Tous les romantiques du temps se rappellent qu'elle fut surnomm�e le colonel des tribades, et que depuis ce titre lui est rest�.

    « Aujourd'hui cette vieille dame �crit des romans [p.15] o� elle pr�che la morale, car, gr�ce � ses amis, elle est devenue une des �toiles de la litt�rature; en un mot, elle est une c�l�brit�.

    « ELLE est d'ailleurs une des actrices du Gamiani, ce livre aux sc�nes tribadiques dont l'auteur est LUI. »


    [p.18] « NOTES. (A.): LE CHASSEPOT. Londres, Jeffs, 1869. in-16, papier verg�, publi� au prix de 5 francs.

    (B.): PARIS SOUS LE BAS-EMPIRE. Notes in�dites par Lambert, �l�ve posthume de Saint-Simon et de Tallemant des R�aulx. Londres, 1871, in-18, avec la Clef des noms ; papier verg�, publi� au prix de 5 francs. »


    On peut consulter LE CHASSEPOT sur le site Gallica de la BNF. L'article se trouve en pages 10 � 11 et, au lieu de points de suspension, on y trouve "Georges (sic) Sand" express�ment nomm�e. Dans la table des mati�res (p.3) l'article est intitul�: « Madame Georges Sand et l'amour lesbien. « La page de titre porte: JEFFS, / LIBRAIRE-ÉDITEUR, Burlington-Arcade. / [en diagonale sur toute la hauteur] LE CHASSEPOT / LONDRES / LIBRAIRIE / UNIVERSELLE »
    Cerise sur le g�teau, on trouve en page 32 un AVIS: « Tous les faits que nous publions dans cette brochure sont authentiques. Nous les tenons de sources certaines et des personnes m�mes qui sont mises en cause » In cauda veritas!
    On peut pareillement consulter PARIS SOUS LE BAS-EMPIRE (deuxi�me �dition, 1865?) sur le site Gallica de la BNF. Le texte en question, avec les points de suspension, se trouve aux pages 53 et 54. La table des mati�res (p.71) lui donne pour titre « Georges Sand et le tribadisme. «

    Les diff�rences entre les trois textes –, � part les points de suspension ou le nom – sont n�gligeables.
  10. {STANDER-1877}: un article sign� Stander dans L'Interm�diaire des chercheurs et des curieux, vol.X (10e ann�e, 1877) n°229 (25 novembre), col. 686-687.

  11. « [col.686] Gamiani [...]. — La premi�re �dition de ce d�plorable ouvrage est demeur�e inconnue. La Bibliographie du comte d'I*** [{GAY-1871}, vide supra] cite comme telle celle qui porte l'indication de Bruxelles et la date de 1833, et dont le texte est lithographi�. L'�dition princeps est autographi�e et imprim�e sur papier verg� teint�, � deux colonnes, � 39 lignes la colonne, le texte encadr� d'un double filet et la pagination inscrite entre deux parenth�ses, interrompant le double filet au milieu et en haut de chaque page. C'est un in-4° de deux feuilles, dont 13 pages seulement sont �crites. Le premier feuillet est en blanc, de m�me que le verso du dernier. Il n'y a pas de titre, le nom de Gamiani est simplement inscrit en gothique, en haut de la premi�re page de texte.

    » Cette �dition est tout � fait distincte de celle que d�signe la Bibliographie. Si l'indication de lithographi�e peut, aux yeux d'un observateur inexperiment�, se confondre avec celle d'autographi�e, d'autres particularit�s caract�risent absolument la distinction. Telle est l'absence de date et de nom de lieu. De m�me aussi, l'auteur de la Bibliographie signale la premi�re �dition comme tr�s-incorrecte, tandis que celle dont il s'agit est au contraire d'une scrupuleuse correction. Enfin, elle ne contient que la premi�re partie qui, en effet, constituait seule, � l'origine, cet ouvrage. La seconde partie a �t�, comme on l'a fait observer (op. cit. t.III p.402), l'œuvre d'un autre �crivain, � en juger par la diff�rence du style. Nous sommes donc en pr�sence de la v�ritable �dition princeps qui doit �tre rarissime [...]. L'amateur qui poss�de l'unique exemplaire que j'aie vu y avait ajout� la suite des huit lithographies de Deveria, relatives � la premi�re partie, et quatre de la deuxi�me partie, d'une ex�cution inf�rieure et de diff�rentes mains. Ces lithographies (d�tail � noter) ont �t� imprim�es chacune sur une pierre speciate, de la dimension que les lithographes appellent pierres en “ huiti�me ”, et non par deux ou quatre dessins a la fois. A l'�gard des auteurs de ces planches, l'attribution de celles de la premi�re partie � Deveria est incontestable et se trahit par la mani�re, mais il est permis de douter de l'assertion de la [col.687] Bibliographie qui en donne quelques-unes � Gr�vedon. Sa mani�re ne se reconna�t pas, et il n'est pas � croire que le crayon qui a dessine des t�tes de femmes d'une expression si pure, si chaste, si limpide, ait pu se plaire � de pareilles œuvres.

    » Il serait � souhaiter aussi qu'Alfred de Musset f�t �galement purg� de l'accusation qui lui attribue Gamiani. Cette production, ignoble rapsodie d'un style plat et pr�tentieux, ne fait pas plus d'honneur au talent de l'�crivain qu'� son caract�re et � sa moralit�. »

  12. Quelques �ditions post�rieures de Gamiani:

  13. Voici deux avis oppos�s quoique contemporains:
    POUR:
    En 1876, Joris-Karl Huysmans publia anonymement dans le Bulletin du bibliophile un article intitul� Étude sur le Gamiani de Musset; on trouvera le texte de cet article sur le site www.artandpopularculture.com. Il n'y est pas question d'une collaboration de George Sand. Huysmans admet sans r�serve l'attribution � Musset et ajoute: « Tout le monde sait que Musset se trouvant, une nuit � souper en joyeuse compagnie, paria [...] qu'en �vitant toute expression crue ou �rotique, il �crirait � l'encontre des Anciens, le volume le plus “ Cela ” que l'on pourrait r�ver dans ce genre! » H�las le « Tout le monde sait » rend l'affirmation infirme!
    CONTRE:
    « Quoique l'attribution de paternit� � la charge du po�te puisse malheureusement se justifier, il en est qui la nient, et qui, niant � plus forte raison la collaboration pr�tendue d'un illustre romancier dans cet �crit, n'y veulent voir qu'un abominable libelle dirig� contre tous deux. » {INTERM-1865/33}, col.276. Ceci r�sume bien le dilemme et pourrait ici servir d'�pigraphe!

  14. Balzac croyait que l'auteur de Les Deux Filles de S�jan — dernier chapitre de Barnave, roman �rotique paru anonymement en 1831 mais plus tard reconnu par Janin — �tait de F�lix Pyat. Mo�se Le Yaouanc se demandait alors si on ne pouvait pas songer � Pyat comme auteur de Gamiani {LE YAOUANC-1976} p.75 et n.3.

  15. {S.JEUNE-1985}: Simon Jeune, "Gamiani" po�me �rotique et fun�bre d'Alfred de Musset? in Revue d'Histoire Litt�raire de la France [en abr�g� RHLF], 85e ann�e (1985) n° 6, pp.988-1010.
    On peut trouver cet article sur le site Gallica de la BNF: rechercher le titre "Revue d'histoire litt�raire de la France", puis l'ann�e 1985.

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