George Sand
[Sur une Brochure de Marliani]

RDP : Revue de Paris - Nouvelle série, t.XIII, 5 janvier 1840, pp.67-68



Retour à la page principale Œuvres de G.S. sur ce site
Écrire à [email protected]





INTRODUCTION

Cet article a pour sujet la publication d'une brochure d'Emmanuel Marliani récemment parue et intitulée: Éclaircissements sur ma mission en Allemagne auprès des cours de Berlin et de Vienne (Séance des Cortès des 26, 27, et 28 octobre 1839), in-8° de 2 FF. 1/4 (à Paris, chez Rousseau), BF 21/12/1839 #6013.

L'article parut sans titre ni signature dans la rubrique Bulletin signée F. BONNAIRE. George Sand protesta auprès de François Buloz, dans une lettre du 10 janvier 1840: « Mon cher Buloz, je suis fort étonnée de trouver dans la Revue de Paris un article de moi tronqué, arrangé et non signé de mes intiales. Je ne suis pas habituée à être revue et corrigée et je ne croyais pas que vous eussiez pour moi de pareils procédés après ce que je m'étais plu à faire pour vous. » (Corr.IV pp.848-849).

Nous donnons le texte de la Revue deParis avec la pagination sous la forme {RDP n} où 'n' est le numéro de page.






{RDP 67} — M. Marliani, ancien consul-général d'Espagne à Paris, vient de publier une brochure remarquable à plus d'un titre. Outre qu'elle est la protestation d'un homme de cœur contre des imputations mensongères, fait toujours assez grave, puisqu'il intéresse tous les honnêtes gens, elle offre des détails assez curieux sur l'immoralité politique qui règne en Espagne dans certaines régions du pouvoir.

Envoyé en Allemagne, en Prusse et en Angleterre pour éclairer les puissances du Nord sur la légitimité des droits de la reine Isabelle, M. Marliani fut adjoint à M. Zéa Bermudez, homme inébranlable dans sa loyauté envers la reine, mais porté vers les idées absolutistes autant que M. Marliani l'est vers les idées libérales. Sans crainte d'être accusé de défection par ses amis politiques, bien qu'il prévît le cas où quelques défiances injustes pourraient résulter de cette association, M. Marliani, n'écoutant que son patriotisme, se rendit à Vienne et à Berlin dans le courant de l'hiver dernier. De concert avec M. Zéa, qui remplit son mandat avec la même intégrité, il eut le bonheur de réussir dans sa mission au-delà des espérances du ministère qui la lui avait confiée. La démonstration historique des droits d'Isabelle au trône d'Espagne eut pour conséquence la suppression immédiate des secours envoyés jusque-là à don Carlos. C'était une assez belle tâche que celle d'avoir contribué à pacifier l'Espagne en rendant impossible à don Carlos l'entretien d'une armée. Cette tâche fut remplie avec un zèle et une promptitude, et un sentiment de fierté nationale qu'on ne saurait trop louer. Aucune place, aucune faveur ne récompensa M. Marliani, et il considéra cette conduite du gouvernement de la reine, non comme un oubli, non comme une injustice, mais comme le plus beau témoignage {RDP 68} d'estime que l'on pût accorder à son caractère. L'éclat des distinctions publiques n'eût pu rien ajouter à la joie intérieure qu'il éprouvait d'avoir aidé au succès de la cause espagnole, et le mystère dont la diplomatie enveloppe et les personnes et leurs opérations n'est jamais une souffrance d'amour-propre à ceux qui comprennent la sainteté de leurs devoirs. M. Marliani n'aurait donc jamais pensé à rompre le silence sur lui-même, si une étrange discussion élevée à son sujet dans les séances des cortès des 26, 27 et 28 octobre dernier, ne l'eût forcé de rendre publiquement compte de ses actes. Dans ces séances, la voix d'un député s'étant élevée pour demander des explications sur la mission de MM. Zéa et Marliani, le ministère, par un sentiment impossible à expliquer, impossible à justifier, désavoua cette mission et l'attribua au propre mouvement d'agens volontaires ou à l'impulsion occulte de quelque camarilla. M. Marliani, outragé dans sa personne, dans ses actes, a dû prendre la plume et mettre les faits dans leur jour sans trahir le secret inviolable de la partie de ses opérations qui n'intéressent pas immédiatement la partie politique, il a raconté ses démarches et produit les preuves authentiques de ses pouvoirs. Il se devait à lui-même de ne pas laisser outrager son caractère, et dénaturer ses opinions; il devait prouver qu'il n'avait pas joué le rôle d'un aventurier diplomatique, mais celui d'un mandataire de son gouvernement et d'un ami de son pays. Il devait se plaindre (et il l'a fait avec mesure) de la conduite d'un ministère qui niait ses propres actes et désavouait la meilleure partie de ses services; car si la Navarre est pacifiée, ce résultat est dû en partie à la persévérance avec laquelle le ministère a suivi la voie qu'avait ouverte M. le duc de Frias par les instructions données à MM. Zéa et Marliani, et il est au moins étrange de voir ce même ministère rougir en public d'avoir persévéré dans une si haute et si nécessaire entreprise.

La brochure de M. Marliani, écrite avec énergie et clarté, n'est cependant ni une récrimination, ni un libelle; mais l'auteur n'a pu toucher à une question où son honneur est en cause, sans soulever, malgré lui, un coin du rideau derrière lequel s'agitent les fantômes du ministère espagnol. Dans un travail plus étendu, il se propose de lever tout-à-fait le voile qui nous cache les véritables causes des désordres dont l'Espagne est depuis si long-temps victime. Cet ouvrage, qui aura pour titre: Histoire de la Liberté espagnole, contient une introduction qui est un précis rapide de l'histoire parlementaire de l'Espagne et des longs combats qu'elle a livrés, depuis ses premiers siècles jusqu'à nos jours, pour conquérir sa liberté politique. Un autre travail sur les Relations diplomatiques de l'Espagne avec la France depuis Louis XIV sera le complément de ce tableau historique.