GEORGE SAND
LE CONTREBANDIER.
Histoire lyrique

"La Coupe — [...] — Le Contrebandier — La R�verie � Paris"; Paris, Calmann L�vy, 1876; pp.261-298



Retour � la page principale Œuvres de G.S. sur ce site
Écrire � [email protected]





INTRODUCTION

Le contrebandier a paru le 1er janvier 1837 dans la Revue et Gazette Musicale de Paris (4�me ann�e (1837) n° 1; pp.1-9). Nous rep�rons cette pr�publication par le sigle {RGM}.
Du vivant de George Sand, cette histoire lyrique ne parut plus que dans le volume des Œuvres compl�tes intitul�: « "La Coupe" — "Lupo Liverani" — "Le Toast" — "Garnier" — "Le Contrebandier" — "La R�verie � Paris" » (Paris; Calmann L�vy, anc. maison Michel L�vy fr�res; 1876) dont elle occupe les pages 261 � 298. Nous rep�rons cette �dition par le sigle {CL}; c'est notre texte de r�f�rence.

Le texte qui pr�c�de l'histoire proprement dite situe les circonstances qui firent germer l'id�e: « Un soir d'automne, � Gen�ve, un ami de Liszt fumait son cigare dans l'obscurit�, tandis que l'artiste r�p�tait ce morceau [le rondo fantastique*] r�cemment achev�: l'auditeur, �mu par la musique, un peu enivr� par la fum�e du Canaster, [...] se laissa emporter au gr� de sa propre fantaisie jusqu'� rev�tir les sons des formes humaines, jusqu'� dramatiser dans son cerveau toute une sc�ne de roman*. Il en parla le soir � souper et t�cha de raconter la vision qu'il avait eue; on le mit au d�fi de formuler la musique en paroles et en action. Il se r�cusa d'abord [...]; mais le compositeur lui ayant permis de s'abandonner � son imagination, il prit la plume en riant et traduisit son r�ve dans une forme qu'il appela lyrico-fantastique [...]. »

* Au sujet des effets du cigare sur George Sand, Adolphe Pictet pr�te � son personnage George les paroles suivantes: « Mais ce sont des po�mes que ces cigares, s'�cria-t-il; on cr�erait des chefs d'œuvre en les fumant. » (Adolphe Pictet, Une course � Chamounix, conte fantastique; Paris, Librairie de Benjamin Duprat, 1838; p.21).

On aura compris que « l'ami fuma[n]t son cigare dans l'obscurit� », de m�me que le George du major Pictet, est George Sand elle-m�me. Elle avait en effet retrouv� Liszt et Marie d'Agoult � Chamonix le 8 septembre 1836. Ils revinrent � Gen�ve, George Sand quitta ses amis vers le 1er octobre. Il est pensable que le Contrebandier fut �crit (ou que son �criture fut commenc�e), une nuit vers le 20 septembre (voir Corr.III p.550 n.1)**. L'histoire �tait achev�e avant le 1er octobre, d�but du voyage de retour � Nohant via Lyon, qui s'acheva le 13 octobre***. Il est plus que probable que George, en quittant Gen�ve, laissa le manuscrit du Contrebandier entre les mains de Franz Liszt, lequel, bien introduit aupr�s de Maurice Schl�singer, le directeur de la Revue et Gazette musicale de Paris, se serait charg� de faire publier cette histoire dans la dite revue. Ni la correspondance ni l'Histoire de ma vie ne nous aident � en dire plus.

* Le Rondo fantastique sur un th�me espagnol: “ El Contrabandista ”, de Franz Liszt, opus 5 n° 3 (S.252), cr�� en janvier 1837. Ce rondo est d�di� � George Sand (voir Corr.III p.550 n.1). Le th�me espagnol est un extrait (n° 5) de l'op�ra El poeta calculista (1805, musique de Manuel Garcia p�re, le librettiste est anonyme); son titre exact est Yo que soy contrabandista (voir sur ce sujet www.harmonicorde.com).
Voici le texte de cet air d'op�ra:

You soy el contrabandista
y campo por mi respeto,
a todos los desafío
pues a nadie tengo miedo.
¡Ay, ay, ay, jaleo, muchachas!
¿Qui�n me merca algún hilo negro?

Mi caballo está cansado,
y yo me marcho corriendo.
¡Ay, ay! que viene la ronda,
y se movió el tiroteo;
¡Ay, ay, caballito mío,
caballo mío careto!
¡Ay, jaleo, que nos cogen!
¡Ay, sácame de este aprieto!

** « Having retired to her apartment, she [George Sand] wrote all night, as was her custom at Nohant, and the next day read to the Countess [d'Agoult] and to Liszt a lyrical story, under the title of “ Le Contrabandier,” into which she had worked up the images which Liszt's music had awakened in her » (Rapha�l Ledos de Beaufort, Franz Liszt, The Story Of His Life Lyon, New York, ...; Ditson and Co.; 1887; p.178).
Siehe auch: Lina Ramann, Franz Liszt – Leipzig, Breitkopf u. H�rtel, 1880 (Bd.1) –, 2. Buch, Kap. XIX, in Bd.1 (lesbar auf www.zeno.org). U.�.: “ Es ist seltsam: George Sand 's Muse hatte nach dieser Seite hin keinen Einfluß auf Liszt. Trotz ihres tiefen musikalischen Sinnes ber�hrte sie nicht sein Stimmungsleben und nur die Dedikation des »Kontrabandisten-Rondos« ist ein Erinnerungszeichen dieser Beziehungen �berhaupt ”; traduction partielle de ces phrases: « Il est singulier que cette page [Le contrebandier] que la muse inspira � George Sand n'eut aucune influence en retour sur Liszt. [...] La d�dicace du Contrebandier est avant tout une marque de souvenir de ces [circonstances] ». On trouvera un d�veloppement sur ce sujet dans Wladimir Kar�nine, George Sand, sa vie et ses œuvres, 2�me �d. (Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1899), t.II pp.340-344.

*** Georges Lubin, n.1 de la p.390 du t.II des Oeuvres autobiographiques de George Sand – Gallimard, collection de la Pl�iade.

Le Contrebandier fait partie de ces quelques œuvres de George Sand dont la forme est dialogu�e – th��trale ou, comme ici, lyrique – mais qui tiennent cependant au genre narratif. Le contrebandier est donn� par son auteur comme histoire et apparait dans la table des mati�res de {RGM} dans la rubrique CONTES ET NOUVELLES � c�t�, par exemple de Gambara de Balzac.

Dans le num�ro 9 de la m�me revue, le 26 f�vrier, Jules Janin faisait un bref �loge du Contrebandier: « Georges Sand nous arrive! Pr�tez l'oreille! il revient des montagnes avec Liszt, son compagnon! Ils reviennent bras dessus, bras dessous, le musicien et le po�te, et cette fois, par une r�volution inattendue, ce n'est plus le musicien qui fait la musique sur les paroles du po�te, c'est le po�te qui fait les paroles de la musique. Quoi de plus magnifique que cet hymne entonn� par Georges Sand sur la chanson du Contrebandier! Aussi musiciens et po�tes ont-ils �galement battu des mains � cette interpr�tation toute po�tique dont nous n'avions pas d'exemples parmi nous » (p.71).

Nous donnons le texte de {CL} avec les variantes de {RGM}. Nous indiquons la pagination de ces deux �ditions – sans toutefois couper les mots – sous la forme {RGM x/y} et {CL x} ou 'x' est le num�ro de page et 'y' le num�ro de colonne.






{RGM 1/1; CL 261} La chanson du Contrebandier est populaire en Espagne; cependant, bien qu'elle ait la forme tranch�e, la simplicit� laconique et le parfum national de toutes les tiranas espagnoles, elle n'est pas, comme les autres, d'origine ancienne et inconnue. Cette chanson que l'auteur de Bug-Jargal a po�tiquement jet�e � travers son roman, fut compos�e par Garcia dans sa jeunesse. La Malibran fit conna�tre � tous les salons de l'Europe la gr�ce �nergique et tendre des boleros a et des tiranillas. Parmi les plus go�t�es, le Contrabandista fut b celle que chantait avec le plus d'amour la c grande {RGM 1/2; CL 262} artiste; elle y puisait, avec tant de force, les souvenirs de l'enfance et les �motions de la patrie, que son attendrissement l'emp�cha plus d'une fois d'aller jusqu'au bout; un jour m�me elle s'�vanouit apr�s l'avoir achev�e. Les paroles de cette chansonnette sont admirablement port�es par le chant, mais elles sont insignifiantes s�par�es de la musique, et il serait impossible de les traduire mot � mot d.

L'air se termine par cette sorte de cadence qui se trouve � la fin de toutes les tiranas e, et qui, ordinairement m�lancolique et lente, s'exhale comme un soupir ou comme un g�missement. La cadence finale du Contrebandier est un v�ritable sonsonete; il se perd sous son mouvement rapide, dans f les tons �lev�s, comme une fuite railleuse, comme le vol � tire-d'aile de l'oiseau qui s'�chappe, comme le galop du cheval qui fuit � travers la plaine; mais, malgr� cette expression de gaiet� insouciante, quand, d'une cime des Pyr�n�es, dans les muettes solitudes ou sous la basse continue des cataractes, vous entendez ce trille {CL 263} lointain voltiger sur les sentiers inaccessibles dont le ravin vous s�pare, vous trouvez dans l'adieu moqueur du bandit quelque chose d'�trangement triste, car un douanier va peut-�tre sortir des buissons et braquer son fusil sur votre �paule; et peut-�tre en m�me temps le hardi chanteur va-t-il rouler et achever sa coplita dans l'abime.

Garcia conserva toujours une pr�dilection paternelle {RGM 2/1} pour sa chanson du Contrebandier g. Il pr�tendait, dans ses jours de verve po�tique, que le mouvement, le caract�re et le sens de cette perle musicale �taient le r�sum� de la vie d'artiste, de laquelle, � son dire, la vie de contrebandier est l'id�al. Le aye, jaleo, ce aye h intraduisible qui embrase les narines des chevaux et fait hurler les chiens � la chasse, semblait � Garcia plus �nergique, plus profond et plus propre � enterrer le chagrin, que toutes les maximes de la philosophie.

Il i disait sans cesse qu'il voulait pour toute �pitaphe sur sa tombe: Yo que soy el Contrabandista, tant Othello et don Juan s'�taient identifi�s avec le personnage imaginaire du Contrebandier j.

{CL 264} Liszt a compos� pour le piano, sur ce th�me r�pandu et immortalis� chez nous par les derni�res ann�es de la Malibran, un rondo fantastique qui est une de ses plus brillantes et plus suaves productions. Apr�s une introduction pleine d'�clat et de largeur, l'air national, d'abord rendu avec toute la simplicit� du texte, passe, et par une suite de caract�res k admirablement gradu�s, de la gr�ce enfantine � la rudesse guerri�re, de la m�lancolie pastorale � la fureur sombre, de la douleur d�chirante au d�lire po�tique. Soudain l, au milieu de toute cette agitation f�brile, une noble pri�re admirablement encadr�e dans de savantes modulations, vous �l�ve vers une sph�re sublime; mais, m�me m dans cette atmosph�re �th�r�e, les bruits lointains de la vie, les chants, les pleurs, les menaces, les cris de d�tresse ou de triomphe, cris de la terre! vous poursuivent. Arrach� � l'extase contemplative, vous redescendez dans la f�te, dans le combat, dans les voix d'amour et de guerre; puis la po�sie vous en retire encore; la voix myst�rieuse et toute-puissante n {CL 265} vous rappelle sur la montagne, o� vous �tes rafra�chi par la ros�e des larmes saintes; enfin la montagne dispara�t et o les flambeaux du banquet effacent les cieux �toil�s. Mille voix �pres de joie, d'orgueil ou de col�re, reprennent p le th�me, et les chœurs foudroyants terminent ce vaste po�me q, cr�ation bizarre et magnifique qui fait passer toute une vie, tout un monde de sensations et de visions sur les touches br�lantes du clavier.

Un soir d'automne, � Gen�ve, un ami de Liszt fumait son cigare dans l'obscurit�, tandis que l'artiste r�p�tait ce morceau r�cemment achev�: l'auditeur, �mu r par la musique, un peu enivr� par la fum�e du Canaster, par le murmure du L�man expirant sur ses gr�ves, se laissa emporter au gr� de sa propre fantaisie jusqu'� rev�tir les sons des formes humaines, jusqu'� dramatiser dans son cerveau toute une sc�ne de roman 1. Il en parla le soir � souper et t�cha de raconter la vision qu'il avait eue; on le mit au d�fi de formuler la musique en paroles et en action. Il se r�cusa d'abord, parce que la musique instrumentale {CL 266} ne peut jamais avoir un sens arbitraire; mais le compositeur lui ayant permis {RGM 2/2} de s'abandonner � son imagination, il prit la plume en riant et traduisit son r�ve dans une forme qu'il appela lyrico-fantastique, faute d'un autre nom, et qui apr�s tout n'est s pas plus neuve que tout ce qu'on invente aujourd'hui.

YO QUE SOY CONTRABANDISTA. — Paraphrase fantastique, sur un rondo fantastique de Franz Liszt u.

INTRODUCTION

Un Banquet en plein air dans un jardin. v

LES AMIS. {Chœur.)

Heurtons les coupes de la joie. Que leurs flancs vermeils se pressent jusqu'� se briser. Souffle, vent du couchant, et s�me sur nos t�tes {CL 267} les fleurs de l'oranger! C�l�brons ce jour qui nous rassemble � la m�me table dans la maison de nos p�res. Heurtons les coupes de la joie!

LE CHATELAIN. (Air.)

Viens, serviteur qui m'a berc�, verse-moi le vin g�n�reux de mes collines. Tout � l'heure, les mains qui guid�rent les pas d�biles de mon enfance soutiendront mes jambes avin�es, et quand l'ivresse me fera b�gayer, tu oublieras que je suis ton seigneur, et tu me diras encore une fois, comme jadis: « Il faut aller dormir, mon enfant. »

LES AMIS. (Chœur.)

Que la coupe de la joie s'emplisse pour le serviteur fid�le. Que son front aust�re se d�ride et qu'il soit vaincu par l'esprit joyeux qui rit dans les amphores. L'esprit w de l'ivresse, c'est Bacchus enfant, non moins beau, plus aimable et plus �ternel que le maussade Cupidon. Bois, vieillard, afin que lu te sentes jeune comme le petit page que tu gourmandes, afin que ton {CL 268} ma�tre, priv� de guide, ne puisse retrouver sa couche et x reste � table avec nous jusqu'au jour.

UN CONVIVE. (Air.)

O toi, ma belle fianc�e, pourquoi refuses-tu de remplir ta coupe? pourquoi la poses-tu, en souriant, sur la table apr�s avoir mouill� tes l�vres? Si y tu ne bois pas autant que moi, je croirai que d�j� s'en va ton amour, et que tu crains de me l'avouer dans l'ivresse.

LES AMIS. (Chœur.)

Buvez, nos femmes, nos sœurs, buvez et chantez! le vin ne trahit que les tra�tres. Il est comme la trompette du jugement dernier qui z forcera les menteurs � se d�voiler, et qui proclamera la gloire des v�ridiques. Vous qui n'avez ni mauvaise pens�e ni aa secret coupable, laissez tomber des paroles confiantes de vos bouches discr�tes, comme, dans les jours d'avril, l'onde {RGM 3/1} s'�chappe abondante et limpide des flancs glac�s de la montagne.

{CL 269} LES FEMMES. (Chœur.)

Nous boirons et nous chanterons avec vous, car nous n'avons rien dans l'�me qui ne puisse arriver jusqu'� nos l�vres. Et, d'ailleurs, si nous disions quelque chose de trop ce soir, nous savons que vous ne vous en souviendriez plus demain.

TOUS.

Heurtons les coupes de la joie. Que leurs flancs vermeils se pressent jusqu'� se briser. Souffle, vent du couchant, et s�me sur nos t�tes les fleurs de l'oranger. Ce jour nous rassemble � la m�me table, dans la maison de nos p�res. Heurtons les coupes de la joie!

UN CONVIVE. (R�citatif.)

Craignons que le bruit de nos voix r�unies ne nous enivre plus vite que le vin. Laissons l'esprit joyeux de l'ivresse s'emparer de nous lentement et ab verser peu � peu dans nos veines sa chaleur bienfaisante. Que le plus jeune d'entre {CL 270} nous chante seul un air populaire de ces contr�es, et nous dirons seulement le refrain avec lui.

L'ENFANT. (R�citatif.)

Voici un air des montagnes que vous devez tous conna�tre et qui fait verser des larmes � ceux qui l'entendent sous des cieux �trangers.

LE CHŒUR.

Chante, jeune gar�on, chante, et qu'en te r�pondant chacun de nous se f�licite d'avoir revu le toit de ses p�res. Heurtons les coupes de la joie.

L'ENFANT. {Air.) — La chanson espagnole Yo ac que soy contrabandista.

« Moi qui suis un contrebandier, je m�ne une noble vie. J'erre nuit et jour dans la montagne, je descends dans les villages et je courtise les jolies filles, et quand la ronde vient � passer, je pique des deux mon petit cheval noir, et je me sauve dans la montagne, aye, aye ad mon bon {CL 271} petit cheval, voici la ronde, aye, aye. Adieu, les ae jolies filles. »

LE CHŒUR.

Aye, aye, mon brave petit cheval noir, voici le guet. Adieu, les jolies filles. Aye, aye. Heurtons les coupes de la joie, que leurs flancs vermeils....

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Quel est ce p�lerin qui sort de la for�t suivi d'un maigre chien, noir comme la nuit? af Il s'avance vers nous d'un pas mal assur�. Il semble harass� de fatigue; qu'on ag {RGM 3/2} remplisse une large coupe, et qu'il boive � sa patrie lointaine, � ses amis absents!

LE CHŒUR.

P�lerin fatigu�, heurte et vide avec nous la coupe de la joie. Bois � ta patrie lointaine, � tes amis absents! ah

LE VOYAGEUR. (Air.)

Patrie insensible, amis ingrats, je ne boirai point � vous. Soyez maudits, vous qui accueillez {CL 272} un fr�re comme un mendiant; soyez oubli�s, vous qui ne reconnaissez point un ancien ami. Je veux briser cette coupe offerte au premier passant comme une aum�ne banale, je ai veux me laver les pieds dans le vin qui ne doit pas s'�chauffer par le cœur. Mauvais vin, mauvais amis. — Mauvaise fortune, mauvais accueil.

LE CHŒUR.

Qui es-tu, toi, qui seul oses nous braver tous sous le toit de nos p�res, toi qui te vantes d'�trc un des n�tres, qui renverses dans la poussi�re la coupe de la joie et le vin de l'hospitalit�?

LE VOYAGEUR. {R�citatif.)

Ce que je suis, je vais vous le dire. Je suis un malheureux, et � cause de cela personne ne me reconna�t. Si j'�tais arriv� � vous dans l'�clat de ma splendeur pass�e, vous fussiez tous accourus � ma rencontre, et la plus belle de vos femmes m'e�t vers� le vin de l'�trier dans une coupe d'or. Mais je marche seul, sans cort�ge, sans chevaux, {CL 273} sans valets et sans chiens; l'or de mon v�tement est terni par la pluie et le soleil; mes joues sont creus�es par la fatigue, et mon front s'affaisse sous le poids des longs ennuis comme celui du vieil Atlas sous le fardeau du monde. Qn'avez-vous � me regarder d'un air stup�fait? N'avez-vous pas de honte d'�tre surpris dans l'orgie par celui qui se croyait pleur� de vous � cette heure?

Allons aj, qu'on se l�ve, et que le plus fier d'entre vous me pr�sente son si�ge, aupr�s de la plus belle d'entre vos femmes.

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Passant, tu prends avec nous des libert�s que nous ne souffririons pas si ce n'�tait aujourd'hui grande f�te en ces lieux. Mais comme aux f�tes de Saturne il �tait permis aux valets de braver leurs ma�tres, de m�me en ce jour consacr� � l'hospitalit� nous consentons � entendre gaiement ak les fac�ties d'un p�lerin en haillons qui se dit notre cousin et notre �gal.

{CL 274} LE VOYAGEUR. {EM;Chant al.)

Le p�lerin qui vous parle n'est plus votre �gal, � mes gracieux h�tes. Il fut votre �gal autrefois, � vous qui heurtez les coupes de la joie.

{RGM 4/1} LE CHŒUR.

Et quel est-il maintenant? Parle, � bizarre �tranger, et am porte � tes l�vres avides la coupe de la joie.

LE VOYAGEUR. {R�citatif.)

Toute coupe est remplie de fiel pour celui qui n'a plus ni amis ni patrie, et puisque vous voulez savoir qui je suis, maintenant, � enfants de la joie, apprenez que je suis plus grand que vous, moi qui ai bu en entier le calice de la vie, car la douleur m'a fait plus grand et plus fort que le plus fort et le plus grand d'entre vous.

LE CHATELAIN. {R�citatif.)

Étranger, ta pr�somption m'amuse; si je ne me trompe, tu es un po�te an de carrefour, un improvisateur aux riantes forfanteries, un bouffon du {CL 275} genre emphatique; continue, et, puisque ao ta fantaisie est de ne point boire, amuse-nous, � jeun, de tes d�clamations, tandis que nous allons vider les coupes de la joie.

UNE FEMME. (R�citatif.)

O mon cher fianc�! � mes amis! � monseigneur le ch�telain! Cet homme dit qu'il est le plus grand d'entre vous, et son impudence m�rite votre pardon, car il a dit, en m�me temps, qu'il �tait le plus malheureux des hommes. Je vous supplie de ne point l'affliger par vos railleries, mais de l'engager � nous raconter son histoire.

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Allons p�lerin, puisque la Hermosa te prend sous son aile de colombe, raconte-nous tes malheurs, et notre joie les �coutera avec piti� pour l'amour d'elle.

LE PÈLERIN. {R�citatif.)

Ch�telain, j'ai autre chose � penser qu'� te divertir. Je ne suis ni un improvisateur, ni un {CL 276} trouv�re, ni un bouffon. Je ris souvent, mais je ris en moi-m�me d'un rire lugubre et d�sesp�r� en ap voyant les turpitudes et les mis�res de l'homme. Jeune femme, je n'ai rien � raconter. Toute l'histoire de mes malheurs est contenue dans ce mot: Je suis homme! aq

LA HERMOSA. {R�citatif.)

Infortun�, je sens pour toi une compassion inexprimable. Regardez-le donc, � mes amis! ne vous semble-t-il pas reconna�tre ces traits alt�r�s par le chagrin? O mon cher Diego ar, regarde-le; ou bien j'ai vu cet homme en r�ve, ou bien c'est le spectre de quelqu'un que nous avons aim�.

DIÉGO as. {R�citatif.)

Hermosa, votre piti� est obligeante; je veux �tre le cousin du diable, si j'ai jamais rencontr� cette face {RGM 4/2} chagrine sur mon chemin. Si elle vous apparut en r�ve, ce fut � coup s�r un r�ve sinistre � la suite d'un m�chant souper. N'importe, s'il veut raconter son histoire, je le tiens quitte de ma col�re, car le regard qu'il attache sur vos {CL 277} belles mains commence � me faire trouver le bragance amer.

TOUS. (Chœur.)

S'il veut raconter ses aventures, qu'il emplisse et vide avec nous les coupes de la joie; mais s'il ne veut ni parler ni boire, qu'il aille chez son cousin le diable, et qu'il vide avec lui le fiel de la haine dans une coupe de fer rouge. Heurtons les coupes de la joie! at

L'ENFANT. (R�citatif.)

D'une voix timide, la t�te nue et un genou en terre, devant monseigneur j'ose ouvrir un avis. Cet homme a �t� attir� vers nous par le refrain de ma chanson. Quand j'ai commenc� � chanter, il suivait la lisi�re du bois et se dirigeait pr�cipitamment vers la plaine. Mais tout d'un coup son oreille a sembl� frapp�e de sons agr�ables, il est revenu sur ses pas; deux ou trois fois il s'est arr�t� pour �couter, et quand j'ai fini de chanter il �tait pr�s de nous. Il dit qu'il est des {CL 278} v�tres, que vous l'avez connu, qu'il est ici dans sa patrie. Eh bien! au qu'il chante ma chanson, et s'il la dit tout enti�re sans se tromper, nous ne pourrons pas douter qu'il soit n� dans nos montagnes.

LE CHATELAIN. {R�citatif.)

Soit. Tu as bien parl�, jeune page, et je t'approuve parce que la Hermosa sourit.

LE CHŒUR.

Tu as bien parl�, jeune page, parce que la Hermosa sourit et que le ch�telain t'approuve. Que l'�tranger chante ta chanson, et qu'il heurte avec nous la coupe de la joie!

LE VOYAGEUR. (R�citatif.)

Eh bien, j'y consens. Écoutez-moi, et que nul ne m'interrompe ou je brise la coupe de la joie.

av{Il chante.) Moi., moi... moi!......

LE CHŒUR.

Bravo, il sait parfaitement la premi�re syllabe.

{CL 279} LE VOYAGEUR.

Silence! {Il chante.) — Moi aw qui suis un jeune chevrier. ax

LE CHŒUR.

Fi donc! fi donc! ce n'est pas cela.

LA HERMOSA.

Laissez-le continuer, il a la voix belle.

{RGM 5/1} LE VOYAGEUR. {Air.)

Moi qui suis un jeune chevrier, un enfant de la montagne, je m�ne une douce vie. Je vis loin des villes et je n'ai jamais vu que de loin le clocher d'or de la cath�drale. J'aime toutes les belles filles de la vall�e, mais ma sœur Dolorie entre toutes. Ma sœur plus belle que toutes les belles, plus sainte que toutes les saintes. Ma sœur qui repose l� haut sous les vieux c�dres, sous le jeune gazon, ma pauvre sœur! Ah! ma vie s'est �coul�e dans les larmes.

DIEGO. (R�citatif.)

Que dit-il? et quel �trange confusion dans ce chant inconnu? Sa sœur qu'il aime vivante et {CL 280} qu'il pleure morte tout ensemble? Sa douce vie sur la montagne et ay sa vie pleine de larmes tout aussit�t? Hermosa, sa voix est pure, mais sa cervelle est bien troubl�e.

LA HERMOSA. (R�citatif.)

O mon Dieu! j'ai ou� parler d'une certaine Dolorie dont le fr�re...

DIEGO.

Hermosa, ta piti� est trop obligeante. Que cet aventurier chante la chanson du pays, ou qu'il aille en enfer vider la coupe des larmes avec Satan, son cousin.

LE CHŒUR.

Qu'il aille vider en enfer la coupe des larmes, s'il ne veut dire la chanson du pays et vider avec nous la coupe de la joie.

LE VOYAGEUR.

Laissez-moi, laissez-moi. La m�moire m'est revenue. J'avais m�l� deux couplets de la chanson. Voici le premier.

{Il chante.) az {CL 281} Moi qui suis un jeune chevrier, je vis � l'aise sur la montagne, je n'ai jamais vu les clochers d'or que dans la brume lointaine. J'aime les gracieuses filles de la vall�e, et je cueille la gentiane bleue pour leur faire des bouquets moins beaux que leurs yeux d'azur. Et quand le soir approche, quand l'Angelus sonne, quand la nuit descend, j'appelle mon grand bouc noir, je rassemble mon troupeau et je remonte sur mes montagnes! A moi, � moi, mon grand bouc noir, voici la nuit, aye, aye. Adieu, les jolies filles.

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Bien chant�, p�lerin; mais ceci n'est pas la chanson, ce n'est pas m�me une variation. Tu as chang� le th�me. Allons, essaie bb encore, car ta voix est belle, et {RGM 5/2} ton imagination est plus f�conde que ta m�moire n'est fid�le.

LE CHŒUR.

Qu'il chante et qu'il mouille ses l�vres pour reprendre haleine, mais qu'il dise la chanson du pays, s'il veut vider en entier la coupe de la joie.

{CL 282} LE VOYAGEUR.

Moi... moi... bc attendez! oui, m'y voil�. (Il chante). Moi, qui suis un joyeux �colier, je m�ne une folle vie. Je bats nuit et jour le docte pav� de Salamanque. Je passe souvent par-dessus les remparts pour courir apr�s les lutins femelles qui passent comme des ombres dans la nuit orageuse, dans la nuit perfide, m�re des erreurs et des d�ceptions; dans la nuit infernale, m�re des crimes et des remords!.. bd Ah bah! je me trompe, ce n'est pas cela...

DIEGO. (R�citatif.)

Eh! de be par Dieu, il est temps de s'en apercevoir. D'un bout � l'autre, il invente, il ne se souvient pas.

LE CHŒUR.

Silence, silence, �coutez; il a la voix belle.

LE VOYAGEUR.

{Il chante). Et quand un docteur de l'universit� vient � se croiser avec moi dans une ruelle, sous {CL 283} la jalousie de mon amante, je casse avec joie le manche de ma guitare sur le dos de mon pauvre p�dant noir, et je me sauve vers mes montagnes. Aye, aye, mon p�dant noir, voici la r�compense de ton aubade; aye, aye, dis adieu aux jolies filles.

LE CHŒUR.

Bravo! la chanson m'amuse, chantons et r�p�tons avec lui son refrain capricieux. Aye aye, mon pauvre p�dant noir, aye, aye, dis adieu aux jolies filles.

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Continue, mon brave improvisateur, tu n'as pas dit la chanson du pays, et j'en suis fort aise, car la tienne me pla�t; mais tu sais notre march�. Il faut en venir � ton honneur si tu veux vider avec nous la coupe de la joie.

LE CHŒUR.

Courage, p�lerin. Mouille tes l�vres encore une fois, mais dis la chanson du pays si tu veux vider avec nous la coupe de la joie.

{CL 284} LE VOYAGEUR.

Laissez-moi, laissez moi, mes souvenirs m'oppressent et m'accablent, voici ma m�moire qui s'�veille, �coutez. Moi... moi!.. J'y suis...

{RGM 6/1} {Il chante.) Moi qui suis un amant infortun�, je pleure et je chante nuit et jour dans les montagnes; je rentre quelquefois la nuit dans la ville maudite, pour aller m'asseoir sous la jalousie de mon infid�le, mais quand mon rival vient � passer, je bf plonge mon stylet dans son sang noir, car c'est de l'encre qui coule dans les veines d'un p�dant. O monstre! meurs bg, toi d'abord, rebut de la nature, et toi aussi fourbe ma�tresse, tu ne tromperas plus personne... Mais je m'�gare, j'ai perdu la mesure... toujours le second couplet se m�le au premier et dans mon impatience... Attendez, attendez, voici!... (Il chante). Mais la sainte Hermandad vient de ce c�t�; rentre bh dans ta ga�ne, poignard teint d'un sang noir, voici les alguazils, aye, aye, mon poignard noir, aye, aye, adieu! adieu... la trompeuse fille.

{CL 285} LE CHŒUR.

Aye aye, mon poignard noir; aye aye, adieu, la trompeuse fille.

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Encore, encore, p�lerin, tu t'�gares avec tant d'adresse qu'il est impossible que tu ne te retrouves pas de m�me. Cherche encore.

LE CHŒUR.

Cherche encore, mouille tes l�vres et dis la chanson du pays, si tu veux vider la coupe de la joie.

LE VOYAGEUR. (R�citatif.)

Si je voulais vous dire la chanson telle qu'elle est grav�e dans ma m�moire, le vin de vos coupes se changerait en larmes, et puis en fiel, et puis en un sang noir...

LE CHATELAIN.

Poursuis, poursuis, chanteur bizarre. Nous aimons tes chants et nous saurons, par nos libations, conjurer les esprits de t�n�bres.

{CL 286} LE CHŒUR.

Poursuis, poursuis, chanteur inspir�! Bravons les esprits infernaux; remplissons bi les coupes de la joie!

LE VOYAGEUR.

{Il chante.) Moi qui suis un vil meurtrier, je m�ne une affreuse vie, je me cache la nuit dans les cavernes inaccessibles et le jour je me hasarde � la lisi�re des for�ts bj pour cueillir quelque fruit amer et saisir quelques sons lointains de la voix humaine; mes pieds sont d�chir�s; mon front est sillonn� comme celui de Ca�n; ma voix est rauque et terrible comme celle des torrents qui sont mes h�tes; mon �me est d�chir�e comme les flancs des monts qui sont mes fr�res, et quand l'heure fatale est marqu�e � l'horloge c�leste par le lever de l'�toile {RGM 6/2} sanglante... oh, alors bk... le spectre noir me fait signe de le suivre, et l� jusqu'au coucher de l'�toile, je marche, je cours � travers les rochers, � travers les �pines, � travers les pr�cipices � la suite du fant�me... Marche, {CL 287} marche, spectre noir, me voici; marche bl � travers la temp�te...

{R�citatif.) Eh bien! vous autres, vous ne r�p�tez pas le refrain? Vous �loignez vos coupes de la mienne? Poltrons et visionnaires, � qui en avez-vous?

LE CHATELAIN.

P�lerin, si c'est l� le dernier couplet de ta chanson et si c'est le dernier chapitre de ton histoire, si tes paroles, ton aspect et ton humeur ne mentent pas si tu es un meurtrier...

LE VOYAGEUR.

Eh bien! tu as peur?

LA HERMOSA, bas, regardant le p�lerin.

Il est beau ainsi!..

LE VOYAGEUR �clatant de rire.

Ah! ah! en v�rit�, vous me feriez mourir de rire; ah! ah! ah! tous ces braves champions, tous ces buveurs intr�pides, les voil� plus p�les que leurs coupes d'agate; gare, gare, place au spectre! bm {CL 288} Eh bien! le voyez-vous, ah! ah! mais non c'est une autre ombre, elle m'appara�t � moi, je la vois... je l'entends, �coutez et qu'il chante.

{Il chante.) Moi qui suis un vaillant guerrier, je m�ne un superbe vie, je tiens l'ennemi bloqu� dans la montagne, je le serre, je l'�puise, je le presse, je l'�gare, je l'enferme dans les gorges inexorables, j'an�antis ses phalanges effar�es, je d�chire ses banni�res sanglantes, je foule aux pieds de mon cheval et la force, et l'audace, et la gloire, et quand le clairon sonne, en avant, mon panache noir! victoire, victoire! Voici bn mon noir cimier qui flotte au vent � demi bris� par les balles.

LE CHŒUR.

En avant, mon noir cimier, victoire � mon panache bris� par les balles! bo

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Il a bien chant�, ses yeux �tincellent, sa main br�lante fait bouillonner son vin dans sa coupe. Vide-la donc, mon brave chanteur, tu l'as gagn�e; mais bp si tu veux t'asseoir parmi nous et boire {CL 289} jusqu'� la nuit et de la nuit jusqu'au matin, il faut dire la chanson du pays.

LE CHŒUR.

Il faut dire la chanson du pays, si tu veux vider jusqu'� l'aube nouvelle les coupes de la joie.

{RGM 7/1} LE VOYAGEUR.

Soit, je la dirai quand il me plaira, et comme il me plaira. Écoutez ce couplet.

{Il chante.) Moi qui suis un aventurier, je m�ne une vie p�rilleuse, j'erre de la ville � la montagne et j'enl�ve les jolies filles pour les emmener dans mon beau palais, dans mes bois de myrtes et de grenadiers; et quand l'ennui, sous bq la forme d'un hibou noir vient � passer sur ma t�te..., je remplis ma coupe jusqu'aux bords et j'y noie l'oiseau de malheur..... Bois, bois, vilain oiseau noir; meurs br, meurs, oiseau des fun�railles...; retourne � ton nid sur l'if du cimeti�re, sur la tombe de la victime, sur l'�paule du spectre...

{R�citatif.) Eh bien! vous n'aimez pas celui-ci? Je me suis encore tromp� peut-�tre: en bs voulez-vous un autre?

{CL 290} {Il chante.) Moi qui suis un pauvre ermite, je veille et je prie nuit et jour sur la montagne; je bt donne l'hospitalit� aux p�lerins, je les console, et j'expie leurs p�ch�s et les miens par la p�nitence... Et quand la lune bu se l�ve, quand le chamois brame, quand les astres p�lissent, je tombe � genoux sur la bruy�re d�serte et j'�l�ve ma voix suppliante....

{Pri�re.) Je crie vers toi dans la solitude, je pleure prostern� dans le silence du d�sert. Splendeurs de la nuit �toil�e, soyez t�moins de ma douleur et de mon amour. Anges gardiens, messagers de pri�re et de pardon, vous qui nagez dans l'or des sph�res c�lestes, vous qui descendez dans les rayons de la lune, vous qui passez sur nous avec le rideau bleu de la nuit, avec les cercles �tincelants des constellations, pleurez, pleurez, sur moi; r�p�tez mes pri�res; recueillez mes larmes dans les vases sacr�s de la mis�ricorde; portez bv aux cieux mon calice, et fl�chissez le Dieu puissant, le Dieu fort, le Dieu bon!...

Eh bien bw, eh bien! j'ai chang�, le mode vous pla�t-il bx ainsi? Allons, le refrain, et ensemble! A {CL 291} moi qui by suis un p�nitent noir, merci, merci, voici l'ange du pardon, merci dans le ciel et paix sur la terre.

LE CHŒUR.

A toi, � toi, p�nitent noir, merci dans le ciel et paix sur la terre.

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Si Dieu t'absout, p�lerin, la justice des hommes ne doit pas �tre plus s�v�re que celle du Ciel bz 2; assieds-toi, et sois lav� de tes crimes par les larmes du repentir, sois consol� de tes maux par les libations de la joie.

LE VOYAGEUR.

Mes crimes! mon repentir! votre piti�! Non pas, {RGM 7/2} non pas, mes bons amis; la chanson ne finit pas ainsi: �coutez, �coutez encore ca ce couplet.

{Il chante.) Moi qui suis un po�te 3 couronn�, je me raille de Dieu et des hommes; j'ai des chants pour la douleur et des chants pour la folie, j'ai des strophes pour le ciel et des strophes pour l'enfer, un rhythme pour le meurtre, un autre pour le combat; et puis un pour l'amour, et puis un {CL 292} autre pour la p�nitence. Et que m'importe l'univers, pourvu que je tienne la rime? Et quand l'id�e vient � manquer, je fais vibrer les grosses cordes de la lyre, les cordes noires qui font de l'effet sur les sots. R�sonne, r�sonne, bonne cb corde noire, voici le sens qui manque aux paroles; r�sonne, r�sonne: au diable la raison, vive la rime!

LE CHATELAIN. (R�citatif.)

Te moques-tu de l'hospitalit�, barde audacieux? N'as-tu pas un chant facile, une m�lodie compl�te? Depuis une heure nous t'�coutons na�vement, soumis cc � toutes les �motions que tu nous commandes, et � peine as-tu �lev� vers les cieux un pieux cantique, tu reprends la voix de l'enfer pour te moquer de Dieu, des hommes et de toi-m�me. Chante donc au moins la chanson du pays, ou nous arracherons de tes mains la coupe de la joie.

LE CHŒUR.

Dis enfin l'air du pays ou nous t'arrachons la coupe de la joie.

{CL 293} LE VOYAGEUR, chantant sur le mode de la pri�re de l'Ermite.

Dieu des pasteurs, et toi, Marie, amie des �mes simples; Dieu des jeunes cœurs, et toi, Marie, foyer d'amour! Dieu des arm�es, et toi, Marie, appui des braves! Dieu des anachor�tes, et toi, Marie, source de larmes saintes! Dieu des po�tes, et toi, Marie, m�lodie du ciel! �coutez-moi, exaucez-moi. Soutenez le p�lerin, conduisez le voyageur, pr�servez le soldat, visitez l'ermite, souriez au po�te, et comme un parfum m�l� de toutes les fleurs que vous faites �clore pour lui sur la terre, recevez l'encens de son cœur, recevez l'hymne de son amour...

Eh bien cd, le refrain vous embarrasse? Vous ne savez comment rentrer dans le ton et dans la mesure? Du courage, �coutez comment je module et comment je me r�sume.

{Il chante.) Moi qui suis un chevrier, je donnerais toutes les ch�vres de la sierra ce pour un regard de ma belle. Moi qui suis un �colier, je br�lerais tous les livres de la Facult� pour un baiser � travers la jalousie. Moi qui suis un amant heureux, {CL 294} je donnerais tous les baisers de ma belle pour un soufflet appliqu� � un p�dant. Moi qui suis un amant tromp�, je vendrais mon �me pour un coup d'�p�c dans la poitrine de mon rival. {RGM 8/1} Moi qui suis un meurtrier et un proscrit, je donnerais tous les amours et toutes les vengeances de la terre pour un instant de gloire. Moi qui suis un guerrier vainqueur, je donnerais toutes les palmes du triomphe pour un instant de repos avec ma conscience. Moi qui suis un p�nitent absous, je donnerais toutes les indulgences du pape pour une heure de fi�vre po�tique. Et moi enfin, qui suis un po�te, je donnerais toute la guirlande d'or des prix Floraux cf pour l'�clair de l'inspiration divine... Mais quand mon chant ouvre ses ailes, quand mon pied repousse la terre, quand je crois entendre les concerts divins passer au loin, comme un voile de deuil s'�tend sur ma t�te maudite, sur mon �me fl�trie; l'ange cg de la mort m'enveloppe d'un nuage sinistre; �perdu, haletant, fatigu�, je flotte entre la lumi�re et les t�n�bres, entre la foi et le doute, entre la {CL 295} pri�re et le blasph�me, et je retombe dans la fange en criant: H�las! h�las! le voile noir! H�las! h�las! o� sont mes ailes? ch

LE CHŒUR.

H�las! h�las! le voile noir? ci h�las! h�las! o� sont mes ailes?

LE CHATELAIN. {R�citatif.)

Assieds-toi, assieds-toi, noble chanteur, tu nous as vaincus!

DIEGO.

Il n'a pas dit la chanson du pays... Il n'en a pas dit un seul vers.

LA HERMOSA.

Il a mieux chant� qu'aucun de nous. P�lerin, accepte cette branche de sauge �carlate, trempe-la dans ta coupe et chante pour moi.

LE VOYAGEUR.

Je ne chante pour personne, je chante pour me satisfaire quand la fantaisie me vient. Adieu, jeune femme, j'emporte ta fleur couleur de sang; le spectre m'attend � la lisi�re du bois; adieu ch�telain cr�dule, adieu vous tous, grossiers buveurs, qui demandez au barde de vous verser le {CL 296} vin du cru cj, quand il vous apporte l'ambroisie du ciel; chantez-la votre chanson du pays; moi, le pays me fait mal au cœur, et le vin du pays encore plus. (Il chante.)

Allons ck, debout! mon compagnon, mon pauvre chien noir; partons cl, partons; adieu les jolies filles.

(Il s'�loigne.) cm

LE CHATELAIN. {R�citatif.)

Voila un homme �trange.

DIEGO.

C'est un bandit, courons apr�s lui, jetons-le en prison.

{RGM 8/2} LA HERMOSA.

Il chantera et les murs des cachots crouleront, et cn les anges descendront du ciel pour d�tacher ses fers.

L'ENFANT.

Écoutez, monseigneur co! vous lui avez fait une promesse, c'est de le croire ami et compatriote, s'il chante l'air du pays; �coutez sa voix qui tonne du haut de la colline.

LE VOYAGEUR {sur la colline).

(Il chante.) Moi qui suis un contrebandier, je m�ne une noble vie, j'erre nuit et jour dans la {CL 297} montagne; je descends dans les villages et je courtise les jolies filles, et quand la ronde vient � passer, je pique des deux mon petit cheval, et je me sauve dans la montage. Aye, aye, mon bon petit cheval noir, voici la ronde, adieu les jolies filles. {Le chœur r�p�le le refrain: Aye, aye, mon cheval noir, etc.)

DIEGO. (R�citatif.)

Par le diable! je le reconnais, maintenant qu'il s'enveloppe dans son manteau rouge, maintenant qu'il saute sur son cheval, maintenant qu'il �te sa fausse barbe et qu'il ne d�guise plus sa voix; c'est Jos�, c'est le fameux contrebandier, c'est le damn� bandit; et moi capitaine des rondes, qui �tais charg� de l'arr�ter!... Courons, mes amis, courons...

LE CHATELAIN.

Non pas, vraiment, c'est un noble enfant des montagnes, qui fut bachelier, amoureux et po�te; et qui, dit-on, s'est fait chef de bandes par esprit de parti.

DIEGO.

Ou par suite d'une histoire de meurtre.

HERMOSA.

Ou par suite d'une histoire d'amour.

{CL 298} LE CHATELAIN.

N'importe, il s'est bravement moqu� de toi, Di�go cp; mais en nous raillant tous, il a su et nous �mouvoir, et nous charmer. Que Dieu le conduise et que rien ne trouble ce jour de f�te, ce jour consacr� � remplir et � vider les coupes de la joie!

LE CHŒUR.

Que rien ne trouble ce jour de f�te, et vidons les coupes de la joie! {Ils chantent cq en chœur la chanson du Contrebandier.)

CHŒUR FINAL.

Heurtons les coupes de la joie, que leurs flancs vermeils se pressent jusqu'� se briser. Souffle, vent du soir, {RGM 9/1} et s�me sur nos t�tes les fleurs de l'oranger. cr C�l�brons ce jour de f�te, heurtons les coupes de la joie!

LE VOYAGEUR {dans le lointain.)

Amen. cs

TOUS ENSEMBLE.

Vive la joie! Amen.

GEORGE SAND. ct


Variantes

  1. bol�ros {RGM} ♦ boleros {CL}
  2. El Contrabandista, fut {RGM} ♦ le Contrabandista fut {CL}
  3. d'amour, la {RGM} ♦ d'amour la {CL}
  4. les traduire, comme dit le latin, mot � mot {RGM} ♦ les traduire mot � mot {CL}
  5. toutes les tiranas {RGM} ♦ toutes les tiranas {CL}
  6. rapide dans {RGM} ♦ rapide, dans {CL}
  7. du contrebandier {RGM} ♦ du Contrebandier {CL}
  8. ce aye {RGM} ♦ ce aye {CL}
  9. philosophie. Il {RGM} ♦ philosophie. / Il {CL}
  10. du contrebandier {RGM} ♦ du Contrebandier {CL}
  11. une suite d'intonations et de caract�res {RGM} ♦ une suite de caract�res {CL}
  12. po�tique; soudain {RGM} ♦ po�tique. Soudain {CL}
  13. mais m�me {RGM} ♦ mais, m�me {CL}
  14. toute puissante {RGM} ♦ toute-puissante {CL}
  15. dispara�t, et {RGM} ♦ dispara�t et {CL}
  16. de col�re reprennent {RGM} ♦ de col�re, reprennent {CL}
  17. po�me {RGM} ♦ po�me {CL} (Nous ne rel�verons plus cette variante).
  18. l'auditeur �mu {RGM} ♦ l'auditeur, �mu {CL}
  19. et qui, apr�s tout, n'est {RGM} ♦ et qui apr�s tout n'est {CL}
  20. fantastique, sur {RGM} ♦ fantastique sur {CL}
  21. Franz Listz {RGM} (Coquille?) ♦ FRANZ LISZT {CL}
  22. En petites capitales dans {CL}.
  23. amphores, l'esprit {RGM} ♦ amphores. L'esprit {CL}
  24. sa couche, et {RGM} ♦ sa couche et {CL}
  25. si {RGM} ♦ Si {CL}
  26. dernier, qui {RGM} ♦ dernier qui {CL}
  27. pens�e, ni {RGM} ♦ pens�e ni {CL}
  28. lentement, et {RGM} ♦ lentement et {CL}
  29. La chanson espagnole Yo {RGM} ♦ La chanson espagnole: Yo {CL}
  30. aye, aye {RGM}aye, aye {CL} (De m�me � la fin de la phrase et plus loin).
  31. Adieu les {RGM} ♦ Adieu, les {CL} (De m�me par la suite).
  32. nuit! {RGM} ♦ nuit? {CL}
  33. fatigue, qu'on {RGM} ♦ fatigue; qu'on {CL}
  34. absents. {RGM} ♦ absents! {CL}
  35. banale, je {RGM} ♦ banale; je {CL}
  36. heure? Allons {RGM} ♦ heure? / Allons {CL}
  37. ga�ment {RGM} ♦ gaiement {CL}
  38. Chante {RGM} ♦ Chant {CL}
  39. �tranger; et {RGM} ♦ �tranger, et {CL}
  40. po�te {RGM} ♦ po�te {CL} (De m�me par la suite sauf une fois, qui sera relev�e).
  41. et, puisque {RGM} ♦ et puisque {CL} (Nous r�tablissons la le�on de {RGM}, qui para�t pr�f�rable).
  42. d�sesp�r�, en {RGM} ♦ d�sesp�r� en {CL}
  43. pas d'italiques dans {RGM}.
  44. Di�go {RGM} ♦ Diego (de m�me par la suite sauf une fois qui sera relev�e).
  45. EGO {CL} (ereur probable du prote).
  46. joie! {RGM} joie. (Nous r�tablissons la le�on de {RGM}, qui para�t pr�f�rable).
  47. patrie. Eh bien! {RGM} ♦ patrie, eh bien! {CL}
  48. pas d'alinea dans {CL}.
  49. — {Il chante.) Moi {RGM} ♦ {Il chante.)— Moi {CL}
  50. chevrier... {RGM} ♦ chevreir. {CL}
  51. montagne, et {RGM} ♦ montagne et {CL}
  52. {CL} place la didascalie avant l'alinea; nous r�tablissons la le�on de {RGM}).
  53. p�lerin, mais {RGM} ♦ p�lerin; mais {CL}
  54. Allons essaie {RGM} ♦ Allons, essaie {CL}
  55. moi!... {RGM} ♦ moi... {CL}
  56. remords!.. {RGM} ♦ remords! {CL}
  57. Eh de {RGM} ♦ Eh! de {CL}
  58. passer je {RGM} ♦ passer, je {CL}
  59. O monstre! mœurs {RGM} (Cette inadvertance est corrig�e dans {CL}).
  60. c�t�, rentre {RGM} ♦ c�t�; rentre �eCL
  61. infernaux, remplissons {RGM} ♦ infernaux; remplissons {CL}
  62. f�rets {RGM} ♦ for�ts {CL}
  63. oh, alors {RGM} ♦ oh! alors {CL}
  64. me voici, marche {RGM} ♦ me voici; marche {CL}
  65. spectre!.. {RGM} ♦ spectre! {CL}
  66. voici {RGM} ♦ Voici {CL}
  67. les balles. {RGM} ♦ les balles! {CL}
  68. gagn�e, mais {RGM} ♦ gagn�e; mais {CL}
  69. l'ennui sous {RGM} ♦ l'ennui, sous {CL}
  70. oiseau noir, meurs {RGM} ♦ oiseau noir; meurs {CL}
  71. peut-�tre. En {RGM} ♦ peut-�tre: en {CL}
  72. la montagne; je {RGM} ♦ la montagne, je {CL}
  73. la lun {RGM} (Cette coqulle disparait dans {CL}).
  74. mis�ricorde, portez {RGM} ♦ mis�ricorde; portez {CL}
  75. le Dieu bon!... Eh bien {RGM} ♦ le Dieu bon!... / Eh bien {CL}
  76. le mode, vous pla�t-il {RGM} ♦ le mode vous pla�t-il {CL}
  77. moi, qui {RGM} ♦ moi qui {CL}
  78. ciel {RGM} ♦ Ciel {CL}
  79. �coutez, �coutez encore {RGM} ♦ �coutez encore {CL}
  80. r�sonne bonne {RGM} ♦ r�sonne, bonne {CL}
  81. na�vement soumis {RGM} ♦ na�vement, soumis {CL}
  82. son amour. » Eh bien {RGM} ♦ son amour... / Eh bien {CL}
  83. Sierra {RGM} ♦ sierra {CL}
  84. floraux {RGM} ♦ Floraux {CL}
  85. fl�trie, l'ange {RGM} ♦ fl�trie; l'ange {CL}
  86. ou sont mes ailes? » {RGM} ( ou est une coquille. On ne sait o� ces guillemets se sont ouverts!) ♦ o� sont mes ailes? {CL}
  87. voile noir! {RGM} ♦ voile noir? {CL}
  88. cr� {RGM} ♦ cru {CL}
  89. encore plus. (Il chante.) Allons {RGM} ♦ encore plus. (Il chante.) Allons {CL}
  90. chien noir, partons {RGM} ♦ chien noir; partons {CL}
  91. jolies filles. (Il s'�loigne.) {RGM} ♦ jolies filles. / (Il s'�loigne.) {CL}
  92. crouleront; et {RGM} ♦ crouleront, et {CL}
  93. monseigneur {RGM} ♦ Monseigneur {CL}
  94. Di�go {RGM}, {CL}
  95. la joie! / (Ils chantent {RGM} ♦ la joie! (Ils chantent {CL}
  96. l'oranger. {RGM} ♦ l'oranger! {CL}
  97. amer {RGM} (erreur du prote ou coquille).
  98. Signature seulement dans {RGM}.

Notes

  1. Voil� un comportement qui caract�riserait fort bien Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. On verra d'ailleurs que, comme dans l'Histoire du r�veur, George Sand se laisse inspirer par la mani�re du c�l�bre conteur.
  2. Dans {CL}, on passe de cielCiel d'une r�plique � l'autre. Voil� un changement de sens qui, si le texte est r�cit� ou chant�, passe inaper�u.
  3. po�te: seule occurence de cette orthographe dans {RGM}.