GEORGE SAND
La Biblioth�que utile.

Le Si�cle, 16 f�vrier 1859 (24e ann�e, N� 8715)



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INTRODUCTION

La Biblioth�que utile a paru sans titre dans le journal Le Si�cle du 16 f�vrier 1859, un mois environ avant l'annonce de la parution du premier volume de la Biblioth�que utile chez Dubuisson et Cie.

Cet article a �t� repris dans le recueil posthume intitul� Souvenirs de 1848 (Paris; Calman L�vy;, 1880).

Nous donnons le texte du Si�cle — rep�r� {Siecle} — avec indication de la pagination originale, sous la forme {p.x col.y} o� 'x' est le num�ro de page et 'y' le num�ro de colonne.






La Biblioth�que utile. a


{p.2 col.6} Les lecteurs de ce journal apprendront certainement avec une vive satisfaction que, sous le nom modeste de Biblioth�que utile, les hommes les plus honorables de la d�mocratie vont publier une collection de livres � tr�s bas prix, destin�s � l'instruction nationale*.

* Collaborateurs: MM. Babault-Laribi�re, — T. Bastide, — P.-J.-B. Buchez, — H. Carnot, — F.-C. Chev�, — A. Corbon, — L. Cruveilher, — Maxime Du Camp, — Garnier Pag�s, — Aristide Guilbert, — E. Jay, — Leneveux, — Henri Martin, — J. Morand, — Fr�d�ric Morin, — A. Ott, — E. Pelletan, — Laurent Pichat, — F. Sain, — Jules Simon, — Louis Ulbach, — Vacherot, — Hubert-Valleroux, — Bureau central de la publication: rue Coq-H�ron, n°5.

Il est utile assur�ment, d'assainir les cit�s et de distribuer partout l'air et la lumi�re. Mais il est non moins utile et plus glorieux de distribuer � tous le pain de l'intelligence. Si la monarchie a b�ti Versailles, et si l'empire veut faire de Paris une des merveilles du monde {p.3 col.1} architectural, d'autres doivent, de leur c�t� pr�parer la nation � ses futures destin�es, et �lever son intelligence au niveau des devoirs qui lui sont impos�s, d�s � pr�sent, par l'�galit� politique que nos p�res ont conquise au prix de tant d'efforts.

Nous avons l'habitude de d�clarer � tout propos que la France est la premi�re des nations par la science, la litt�rature et les arts, comme elle est la premi�re par le d�vo�ment et le courage. Il serait plus modeste et plus vrai de dire que nous poss�dons une sorte d'aristocratie de l'intelligence, laquelle donne souvent le ton � l'Europe, brille au premier rang par le g�nie des d�couvertes, et cherche avec une infatigable activit� � faire progresser toutes les branches du savoir humain. Mais, ici comme au bord du fleuve jaune, nous avons nos mandarins: la science est un monopole d'une classe peu nombreuse, et ses docteurs n'ont pas tous, il s'en faut, le d�sir et la facult� de r�pandre sur la foule, comme le pratiquait si bien notre regrettable 1 F. Arago, les bienfaits de leur enseignement. Ceux qui le pourraient ne le veulent peut-�tre pas; ceux qui le voudraient ne le peuvent pas toujours. Aussi la diffusion et la vulgarisation des sciences sont-elles beaucoup plus en arri�re chez nous que dans certaines contr�es, et la moyenne intellectuelle du peuple fran�ais tr�s inf�rieure � celle des cantons suisses, des Etats-Unis d'Am�rique, et m�me d'une partie de l'Allemagne.

Or, il est impossible de diriger une soci�t� vers cet �tat de perfection qu'on nomme la d�mocratie, sans l'y pr�parer en r�pandant partout l'instruction, cette puissante armure au moyen de laquelle le faible et le pauvre peuvent, sans trop de d�savantages, lutter pour conqu�rir leur place au soleil. Les hommes ne pourront devenir � peu pr�s �gaux, libres et fr�res, que lorsque leur d�veloppement intellectuel leur donnera la force et le pouvoir d'y arriver, avec la sagesse et la volont� de s'y maintenir. Une nation instruite et polic�e � tous les degr�s de l'�chelle sociale n'est plus un r�ve impossible: les ouvriers de nos grandes cit�s ont donn� en ces derni�res ann�es la preuve (surabondante pour tout homme de cœur et de raison), que le savoir n'est pas et ne peut �tre le privil�ge d'une caste, et que la naissance, pas plus que la fortune, n'�largissent le cerveau humain. Notre nation est comme une terre f�conde: il ne s'agit que de la labourer, et c'est l'œuvre de nos instituteurs primaires, puis d'y jeter de bonnes semences, et c'est ce que se proposent de faire les auteurs de la Biblioth�que utile.

Rendons en passant justice � la monarchie constitutionnelle, c'est elle qui a le plus fait pour cette pr�paration intellectuelle du peuple. Elle a ex�cut�, sans le vouloir peut-�tre, ou du moins sans en pr�voir toutes les cons�quences sociales, le grand programme �labor� par la r�volution: Les lois d'instruction primaire ont h�t� et facilit� le travail d'enfantement de la d�mocratie. Mais ce n'�tait pas tout que d'ouvrir des �coles; c'�tait le d�but. Ce qu'on y enseigne, c'est le moyen d'apprendre; ce qu'on y donne, c'est l'instrument du savoir, et non la science elle-m�me. C'est donc � compl�ter l'œuvre qu'il faut s'attacher.

Cette foule immense qui maintenant sait lire, n'a rien ou presque rien � lire de s�rieux et de profitable. Les livres de science ne sont pas � sa port�e: � peine les tire-t-on � quelques centaines d'exemplaires. Les livres d'histoire, un peu plus r�pandus, sont tr�s chers. Il ne reste donc pour le public des industriels, des commer�ans, des employ�s, des ouvriers, c'est-�-dire pour le gros de la nation, que les journaux politiques et les publications de romans illustr�s, aliment intellectuel des oisifs et des grands enfans. Les exceptions sont rares, et quand on a nomm� le Magasin pittoresque et deux ou trois autres feuilles qui rendent de v�ritables services, on est conduit � reconna�tre que la lecture, ce puissant moyen de civilisation, reste au mains du grand nombre un simple instrument de distraction. Le lecteur d'aujourd'hui s'amuse, il ne s'instruit pas. Quelquefois il se corrompt, et alors on pourrait dire, avec Jean-Jacques Rousseau, qu'il aurait mieux valu ne pas apprendre � lire.

Des ouvrages compr�hensibles pour tous, et � bas prix, tel est donc le besoin imp�rieux du moment, et il nous a sembl� tout naturel qu'il y f�t r�pondu par d'anciens ministres et repr�sentans du peuple. En fondant la Biblioth�que utile, ils n'ont pas voulu faire une �troite manifestation de parti: la politique du moment n'a rien � voir dans cette œuvre, dont le but et la port�e ont un bien plus haut caract�re. Ces hommes ont servi la France aux momens de la tourmente: ils veulent la servir encore, et ils ne peuvent mieux choisir le temps et saisir l'occasion, dussent-ils, comme Mo�se, ne jamais voir la terre promise vers laquelle ils ont � diriger les g�n�rations actuelles.

Il nous reste � dire quelques mots du plan et des moyens d'ex�cution de cette excellente pens�e. La Biblioth�que utile r�sumera ce que chacun doit savoir sur les principales branches des connaissances humaines, et dans son d�veloppement elle suivra l'ordre naturel qu'indique la raison. Elle mettra ses lecteurs au courant de ce que la science la plus avanc�e a d�couvert jusqu'ici touchant le monde ext�rieur; elle leur fera conna�tre les lois magnifiques qui pr�sident aux grands mouvemens de l'univers, les mondes qui le peuplent, les �l�mens qui le constituent. Puis, revenant � ce grain de sable qui nous porte, elle le d�crira sous tous ses aspects, dira quelles formes multipli�es y rev�t la vie, depuis le plus humble v�g�tal jusqu'� l'animal le plus savamment perfectionn�. Apr�s les sciences physiques et naturelles viendront les sciences morales, et notamment l'histoire des soci�t�s humaines. Notre France sera surtout l'objet d'une pr�dilection facile � comprendre, et son histoire prendra, sous la plume des plus �minens de nos historiens et hommes politiques, une forme neuve et saisissante.

Tous les grands faits de notre pass�: la formation laborieuse de notre nationalit�, la f�odalit�, les communes, le tiers �tat et ses luttes, les �tats g�n�raux, les croisades, les guerres des Anglais, les guerres de religion, la monarchie despotique; la philosophie du dix huiti�me si�cle, la r�volutionn seront l'objet de travaux distincts, reli�s entre eux par une bonne chronologie de notre histoire. Chacun des �crivains y mettra sa pens�e propre avec la plus enti�re libert�. D'autres raconteront aussi l'histoire de notre pays sous d'autres aspects: finances, commenrce, industrie, corporations ouvri�res, litt�rature, po�sie, beaux-arts.

Puis viendra l'histoire g�n�rale. Les modifications successives des soci�t�s humaines se d�rouleront dans le r�cit des faits du pass�: les conqu�tes pacifiques de la science; la civilisation et ses divers instrumens, depuis le sabre jusqu'� la presse et au crayon; les diverses lois {p.3 col.2} religieuses, sociales, politiques; les brillantes individualit�s qui se sont �lev�es de temps � autre au sein de l'humanit� pour lui tracer sa route, tout cela sera embrass� dans sa g�n�ralit� et d�velopp� dans ses d�tails, avec simplicit� et concision.

Quelques chiffres diront �loquemment quelle pens�e �lev�e est due � la cr�ation de la Biblioth�que utile. Les volumes dont elle se composera, �l�gans, portatifs, contenant plus de 7,000 lignes et pr�s de 300,000 lettres, co�teront 50 centimes! 2

GEORGE SAND.


Variantes

  1. pas de titre dans {Siecle}.

Notes

  1. regrettable: dans le sens, seul connu du Dict. de l'Ac.Fr. de 1835, de « Qui m�rite d'�tre regrett�. Une personne regrettable, tr�s-regrettable. Un bien regrettable, peu regrettable. »
  2. C'est l'�diteur Dubuisson et Cie. qui publia les premiers volumes. De format in-16 et faisant environ 192 pages — les cr�ateurs de la collection Que Sais-je? se souviendront plus tard de ce nombre de pages —, les premiers volumes parurent en 1859. Leur prix de vente �tait de cinquante centimes; il passa � soixante centimes. Le titre complet de la collection �tait: “Biblioth�que utile, r�sumant ce que chacun doit savoir sur les principales branches des connaissances humaines”. Voici la liste des trente premiers titres parus:
    I. Morand (J.); Introduction � l'�tude des sciences physiques [1859]; 194 pp.; BF 19/3/1859 (p.135 #2569)
    II. Cruveilhier (Dr. L.); Hygi�ne g�n�rale; s.d. (c. 1859); 192 pp.
    III. Corbon; De l'Enseignement professionnel
    IV. Pichat (Laurent); L'Art et les artistes en France; s.d. (c.1859); 188 pp.
    V. Buchez; Les M�rovingiens
    VI. Buchez; Les Carlovingiens
    VII. Morin (Fr�d�ric); La France au Moyen Age; 1859, 192 pp.
    VIII. Bastide; Luttes religieuses des premiers si�cles
    IX. Bastide; Les guerres de la R�forme
    X. Pelletan (Eug�ne); D�cadence de la monarchie fran�aise; s.d. (c.1860); 191 pp.
    XI. Brothier; Histoire de la Terre
    XII. Sanson; Principaux faits de la chimie
    XIII. Turck (Dr. L.); M�decine populaire ou premiers soins � donner aux malades et aux bless�s en l'absence du m�decin; s.d., 191 pp.
    XIV. Morin; La Loi civile en France
    XV. Zaborowski; L'Homme pr�historique
    XVI. Ott; L'Inde et la Chine
    XVII. Catalan (Eug�ne); Notions d'astronomie; s.d.; 192 pp.
    XVIII. Cristal; Les D�lassements du travail
    XIX. Meunier (V.); Philosophie zoologique
    XX. Jourdan G.; La justice criminelle en France
    XXI. Rolland (Charles); Histoire de la Maison d'Autriche; s.d. (c. 1860); 192 pp.
    XXII. Despois (Eug�ne); R�volution d'Angleterre
    XXIII. Gastineau (B.); Les G�nies de la science et de l'industrie
    XXIV. Leneveux; Le Budget du foyer. Économie domestique
    XXV. Combes (Louis); La Gr�ce ancienne; 1861; 188 pp.
    XXVI. Lock (Fr�d�ric); Histoire de la Restauration - 1814-1830; s.d. (c.1861); 192 pp.
    XXVII. Brothier; Histoire populaire de la philosophie
    XXVIII. Margoll� (Élie); Les Ph�nom�nes de la mer
    XXIX. Collas (L.); Histoire de l'empire ottoman
    XXX. Zurcher (F.); Les Ph�nom�nes de l'atmosph�re