le Cte Th�obald Walsh
George Sand

A PARIS, / CHEZ HIVERT, LIBRAIRE EDITEUR, / QUAI DES AUGUSTINS, 55 / ET CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES DE LA CAPITALE, / DE LA FRANCE ET DE L'ÉTRANGER. / 1837.



GEORGE SAND
PAR LE Cte
THÉOBALD WALSH,
AUTEUR
DE VOYAGE EN SUISSE.



« Ne collapsa ruant subductis templa columnis. 1 »
JUVÉNAL.

{Hi [V]} A George Sand.










Vous aimez le spontan� et l'impr�vu; j'esp�re donc que vous ne repousserez pas cette D�dicace, quelque �trange qu'elle puisse sembler � d'autres.

Votre pens�e m'a pr�occup� long-temps; j'ai �crit ces pages dont vous �tes le sujet. Si j'ai r�ussi � y d�velopper mon id�e telle que je la con�ois, � faire {Hi VI} ressortir, compl�tement et avec nettet�, l'intention qui a conduit ma plume, peut-�tre me tendrez-vous une main amie.

Adepte de la foi sociale, j'ai relev� votre gant; je me propose de vous combattre, mais c'est � armes courtoises. Loin de moi le poignard, qui d�shonorerait et le champion et sa cause! Je ne chercherai pas � soulever la visi�re qui vous cache: de George Sand je ne connais que ses livres; je ne sais, de sa vie, que ce qu'il nous en a appris lui-m�me. D'ailleurs, mon œuvre est une œuvre de d�vouement et non de col�re; les personnalit�s la tueraient. Je saurai, j'esp�re, tenir le milieu entre deux �cueils �galement � craindre: l'odieux d'une satire personnelle, et le ridicule d'une capucinade.

Voici mon plan; il est clair et pr�cis:

Auteur de Jacques et de L�lia, je veux mettre � nu le scandale et la d�gradante immoralit� de vos doctrines d�solantes, et de vos n�gations sauvages.

Auteur du Dieu inconnu, aspiration sublime, o� vous semblez avoir d�pos� le secret de votre pass�, et peut-�tre celui de votre avenir, je veux vous montrer reprenant votre vol vers ces hautes et pures r�gions, d'o� {Hi VII} vous vous �tes laiss� d�choir, et o� vous vous replacerez un jour. Il ne sera pas dit que le g�nie est semblable � ces flambeaux qui jettent au loin d'�blouissantes clart�s, et ne laissent dans les t�n�bres que celui qui les porte. Je ne sais si l'enthousiasme m'abuse, mais je ne puis me r�soudre � ne voir, dans George Sand, rien de plus qu'un incomparable artiste.

Entre nous deux la lutte est in�gale, je le sais, in�gale � me faire reculer, si je ne prenais conseil que de ma faiblesse; mais ma cause est belle et sainte, et, � d�faut de talent, la conscience d'un homme de bien est peut-�tre aussi une puissance.

Touchons-nous la main, George Sand! j'ai recommand� mon ame � Dieu, et je suis r�solu � ne vous point m�nager.



        Autun, D�cembre 1836.



{Hi [VIII blanche, IX]}






CET ouvrage �tait termin� depuis plusieurs semaines, et d�j� imprim� aux deux tiers, lorsque j'ai eu connaissance d'un fait important, qui ne m'y a pas fait ajouter, retrancher ou modifier une seule ligne, mais qui me fournit l'occasion d'aller au-devant de quelques objections, que sans doute on m'adressera. Je veux parler de l'alliance officielle de George Sand avec un �crivain d'un �blouissant g�nie, plusieurs fois cit� dans les pages qu'on va lire. Ce fait, joint � la publication des morceaux si �minemment remarquables, �crits par Georges Sand, pour un {Hi X} nouveau journal (*), m'a fait un moment h�siter quant � l'opportunit� de mon travail. Apr�s avoir longuement et m�rement r�fl�chi � la donn�e premi�re de l'ouvrage; � ses deux buts bien distincts, dont l'un est tout d'int�r�t g�n�ral, tandis que l'autre se rattache � George Sand plus sp�cialement; � la nature des moyens employ�s par moi, pour arriver � l'accomplissement de ma double t�che; au sentiment de conviction profonde qui a dict� chacune de mes pages, j'ai pens� que le fait en question, qui au reste r�alise toutes mes pr�visions et renforce tous mes argumens, n'avait rien qui p�t m'emp�cher, en conscience, de passer outre (**).

(*) Le Monde.
(**) Une circonstance d�cisive a achev� de lever mes scrupules: c'est la r�impression des œuvres compl�tes de Georges Sand, parmi lesquelles le roman de L�lia est seul annonc� comme devant para�tre refondu; d�s-lors je n'avais plus � balancer. (Voyez pi�ces justificatives N.° 2.)

En effet, si je ne m'abuse compl�tement sur le caract�re de cette œuvre de bonne foi, je persiste � ne pas la croire inutile. La premi�re partie, il est vrai, n'a plus d'actualit�, en ce {Hi XI} qui touche personnellement George Sand, mais elle me semble en avoir, et beaucoup, envisag�e sous le point de vue social. La disposition morale de l'�crivain a chang�, mais ses �crits demeurent, et avec eux les affreux principes qu'il a formul�s. Le scandale et le mal produits par eux, quelques articles d'un journal, tout excellens qu'ils sont d'ailleurs, ne pourraient suffire � les effacer compl�tement. La soci�t� est en droit d'exiger une r�paration plus �clatante et plus explicite encore; il �tait bon qu'elle ne rest�t pas muette, en pr�sence des �normit�s qui salissent les pages de L�lia et de Jacques, et qu'elle protest�t, ne fut-ce que par un de ses plus faibles, de ses plus obscurs organes.

J'ai lieu d'esp�rer en outre que les d�veloppemens, dans lesquels j'ai d� entrer, profiteront peut-�tre � quelques-uns des nombreux lecteurs, que George Sand a contribu� � jeter, ou � retenir dans des voies mauvaises. C'est un frappant et salutaire exemple � mettre sous leurs yeux, que celui de cet �crivain se ralliant enfin aux v�rit�s �ternelles qu'il a ni�es, aux grands {Hi XII} principes qu'il a foul�s aux pieds, � la morale qu'il a outrag�e, � l'�vangile qu'il a m�connu. George Sand se vouant, dans une vue d'int�r�t g�n�ral, � une mission quelconque, � une œuvre de r�paration et d'utilit� commune, a fourni la r�futation des d�sastreuses doctrines de l'individualisme, dont nagu�res il �tait le champion le plus audacieux et le plus infatigable; de l'individualisme, ce fl�au de notre si�cle, contre lequel j'ai principalement dirig� mes efforts; car c'est lui qu'avant tout j'ai attaqu�, dans l'auteur de L�lia. L'honorable d�fection de George Sand l'a affaibli, mais ne l'a pas tu�.

De la question g�n�rale, je passe � la question personnelle, qui, bien que secondaire, n'en a pas moins une haute importance � mes yeux.

Le retour de George Sand au bien, aux principes sociaux, qui pour moi est un fait hors de doute, est loin d'appara�tre � tous, avec ce m�me caract�re d'�vidence. C'est une de ces v�rit�s entrevues, ou pour mieux dire pressenties par les esprits �lev�s, par les cœurs droits et confians. Si je suis bien inform�; si, dans l'�loignement {Hi XIII} habituel o� je vis de Paris, il arrive jusqu'� moi un �cho fid�le de ce qui se dit dans cette haute sph�re, o� se rencontrent les plus fortes intelligences, les plus grands talens et les plus nobles caract�res dont s'honore notre �poque, on s'y accorderait assez g�n�ralement � croire que George Sand commence � se trouver d�place, au milieu des turpitudes intellectuelles qu'il a accumul�es; qu'il est mal � l'aise dans cette pestilentielle atmosph�re qu'il a cr��e autour de lui; qu'il se sent, par son g�nie, au-dessus du r�le d�plorable que jusqu'ici il a jou�, et qu'il tend enfin � revenir � l'honn�te. Beaucoup d'hommes graves et consciencieux ne verraient point encore de signes bien certains de ce retour, mais d'autres, qui connaissent George Sand., affirmeraient qu'il est r�el.

Or, c'est ce fait soup�onn� jusqu'ici, plut�t que constat�, que la seconde partie de mon travail est destin�e � faire ressortir, et � mettre compl�tement en lumi�re. Je trouverai, sur ce point, bien des lecteurs incr�dules, je le sais; les justes pr�ventions, que les �crits de George {Hi XIV} Sand ont soulev�es contre lui, sont g�n�rales, profondes, passionn�es : l'animosit� politique s'y m�le. Mais l'auteur du Dieu inconnu et des Lettres � Marcie saura en triompher, et je m'estimerais heureux si j'avais pu contribuer, en quelque chose, � les affaiblir, � h�ter pour lui le jour de la justice. Il ne tardera pas � luire, j'en ai la ferme persuasion. Les intelligences de cet ordre vont vite et loin, dans le bien comme dans le mal, et le g�nie, lorsqu'il s'�l�ve, laisse apr�s lui une trace lumineuse, qui ne permet pas qu on se m�prenne long-temps sur sa tendance nouvelle.

        Autun, 24 Mars 1837.


Notes

  1. Ne collapsa ...: citation partielle de deux vers de la satire VIII de Juv�nal: « [...] Miserum est aliorum incumvere famæ, / Ne collapsa ruant subductis texta columnis. » En voici la traduction par Jules Lacroix (1846): « Sur la gloire d'un autre est bien fou qui s'appuie! / C'est un pauvre soutien. Que la colonne fuie, / Tout l'�difice croule! [...] » (nous soulignons). Th�obald Walsh ayant remplac� tecta par templa, il faut dans la traduction remplacer �difice par temple.