Sansal emprisonné : la France détourne le regard

Boualem Sansal, écrivain franco-algérien de 75 ans, est emprisonné en Algérie depuis plus de 170 jours. Atteint d’un cancer et très affaibli, ce géant de la littérature, connu pour son courage face à l’oppression, paie aujourd’hui le prix de sa liberté de parole. Comme l’a souligné Sonia Mabrouk, Sansal est « un homme amoureux de la France et de la langue française… avec une voix douce mais un verbe courageux, là où d’autres ont la voix forte et le verbe soumis ». Son incarcération, loin d’être un simple scandale algérien, révèle une lâcheté troublante des élites françaises. Entre silence coupable et instrumentalisation politique, la France trahit les valeurs qu’elle prétend défendre, en laissant un de ses citoyens à son sort.

Un prophète ignoré

Sansal a vu l’islamisme gangrener l’Algérie durant la guerre civile des années 1990, qui a fait plus de 200 000 morts. Fort de cette expérience, il a tenté d’alerter la France sur les mêmes dérives. Ayant rencontré Chirac, Sarkozy, Macron et de nombreux ministres, il confiait : « J’ai expliqué, presque année après année, comment l’islamisme s’implanterait en France, comme je l’ai vu faire en Algérie. Aucun ne m’a écouté. » Ces mots, partagés sur X, traduisent l’amertume d’un homme dont les avertissements ont été ignorés par des dirigeants trop complaisants ou trop craintifs.

Ses livres, du Serment des barbares à 2084 : la fin du monde, analysent avec une lucidité implacable les dynamiques de l’oppression, qu’elle soit religieuse, politique ou culturelle. Dans L’Allemand du djihad, il ose comparer l’islamisme au totalitarisme nazi — une audace qui lui vaut critiques, mais aussi reconnaissance internationale. Pourtant, en France, ses mises en garde ont souvent été accueillies par un silence gêné : les élites préférant les discours lénifiants sur le « vivre-ensemble » à une confrontation avec les vérités qu’il expose.

La répression d’un régime autoritaire

Le 16 novembre 2024, Sansal est arrêté à l’aéroport d’Alger, accusé d’« atteinte à l’intégrité territoriale nationale ». Son tort ? Avoir évoqué, dans une interview accordée au média français Frontières — un site en ligne aux analyses géopolitiques parfois controversées —, la revendication historique du Maroc sur certaines régions de l’ouest algérien, vestiges des découpages coloniaux français. Cette prise de position, certes provocatrice, ne justifie en rien une détention arbitraire. Sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune, l’Algérie instrumentalise cette affaire pour museler un intellectuel qui dérange, par ses critiques du régime et de l’islamisme.

L’article 87 bis du code pénal algérien, invoqué contre Sansal, assimile toute critique de l’État à du « terrorisme », avec des peines pouvant aller jusqu’à la perpétuité, voire à la peine de mort. Cette répression touche d’autres voix dissidentes : Kamel Daoud, lauréat du Goncourt 2024 pour Houris, fait l’objet de deux mandats d’arrêt internationaux pour avoir exploré les blessures de la « décennie noire ». Contrairement à Sansal, Daoud, résident en France, échappe encore à l’arrestation — une différence qui souligne l’acharnement particulier dont Sansal, resté citoyen algérien malgré sa naturalisation française, est victime.

La France face à ses contradictions

La réponse française à la détention de Sansal est d’une faiblesse consternante. Emmanuel Macron, qui l’a naturalisé en 2024, s’est contenté de déclarations symboliques. En janvier 2025, il dénonçait une Algérie qui « se déshonore » en détenant un homme « gravement malade ». Mais où sont les actes ? Pas de sanctions. Aucune pression diplomatique sérieuse. Cette frilosité s’explique par la volonté de préserver une relation déjà tendue avec Alger, jugée stratégique sur les questions migratoires et énergétiques.

À cela s’ajoute une instrumentalisation politicienne. Le 6 mai 2025, l’Assemblée nationale vote une résolution en faveur de la libération de Sansal — un geste salué mais entaché d’arrière-pensées. Certains macronistes, accusés de vouloir détourner l’attention de leurs échecs domestiques, utilisent l’affaire pour attiser les tensions avec l’Algérie et séduire un électorat conservateur. Ce cynisme alimente le malaise des Français d’origine algérienne, des binationaux et des Algériens résidant en France, qui se sentent stigmatisés par un débat où ils sont trop souvent caricaturés.

Pendant ce temps, la réception prévue du président syrien à l’Élysée, malgré les liens de son régime avec des milices islamistes, révèle une incohérence criante. Comment condamner la répression algérienne tout en courtisant un dirigeant accusé de crimes contre les minorités ? Cette duplicité discrédite la posture morale de la France.

Le faux pas de LFI

La France Insoumise (LFI) aggrave la confusion en s’opposant à la résolution pour la libération de Sansal. Vingt-huit députés, dont Rima Hassan, invoquent le risque d’une « instrumentalisation » par la droite et d’une escalade diplomatique. Cette position, déjà défendue par Hassan au Parlement européen en janvier 2025, est intenable. La détention de Sansal n’est pas un jeu géopolitique : c’est une violation manifeste des droits humains. En refusant de le soutenir, LFI trahit les valeurs universalistes qu’elle prétend incarner, en abandonnant un intellectuel dont le combat contre l’islamisme devrait résonner avec ses idéaux laïques.

Des voix dans l’ombre

Malgré ce tableau sombre, quelques lueurs subsistent. Des intellectuels comme Kamel Daoud, dans des tribunes vibrantes, appellent à la mobilisation. Des médias — Le Monde, Le Point, entre autres — relaient son sort. Des écrivains, artistes, et citoyens, via pétitions et prises de parole sur X, tentent de briser le silence. Ces initiatives, encore trop timides, rappellent que la société civile française n’a pas entièrement abdiqué. Le vote de l’Assemblée, bien que teinté d’ambiguïtés, témoigne d’une volonté, même imparfaite, de défendre un principe fondamental : nul ne devrait être emprisonné pour ses mots.

Un sursaut nécessaire

L’emprisonnement de Boualem Sansal est un test pour la France. Il ne s’agit pas seulement d’un écrivain ni d’un citoyen : il incarne la lutte pour la liberté d’expression face à l’autoritarisme. Son sort, comme celui de Kamel Daoud, expose la peur d’un régime algérien qui préfère bâillonner les idées plutôt que d’affronter ses propres échecs. Mais il révèle aussi les failles d’une France qui, par calcul ou par faiblesse, hésite à défendre ses propres principes.

Plutôt que de se contenter de postures, la France doit exiger la libération immédiate de Sansal, envisager des sanctions ciblées contre les responsables algériens, et mobiliser ses alliés internationaux. Intellectuels, médias, citoyens : tous doivent amplifier sa voix, bien trop étouffée jusqu’ici. Car ignorer Sansal, c’est accepter que la liberté soit reléguée au second plan. Comme il l’écrivait : « Le déclin de l’Algérie l’a livrée aux islamistes et aux oligarques. »

Si la France persiste dans son inaction, elle risque, elle aussi, de se perdre dans un renoncement tout aussi tragique.

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