Des prisons en kit pour une justice en ruine
Le 14 avril 2025, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, brandissait fièrement son nouveau jouet : des prisons préfabriquées, vantées comme une réponse « pragmatique et économique » à la surpopulation carcérale. Trois mille places modulaires promises d’ici 2027, construites en dix-huit mois à peine, pour un coût soi-disant divisé par deux. Une solution miracle, vraiment ? À peine quelques heures plus tard, dans la nuit du 14 au 15 avril, la prison de Toulon-La Farlède était mitraillée à l’arme lourde, tandis que des véhicules brûlaient devant d’autres établissements, d’Aix-en-Provence à Nanterre. Des « attaques coordonnées », selon le ministère, comme un pied de nez cinglant à cette belle annonce. Quelle ironie mordante ! Alors que Darmanin parade avec ses cellules en kit, la réalité explose : la République, défiée, vacille sous le poids de ses propres incohérences.
Une façade en béton pour cacher la misère
Officiellement, ces prisons préfabriquées doivent désengorger un système à l’agonie. Avec 82 152 détenus pour 62 539 places au 1er mars 2025, soit un taux d’occupation de 131,7 %, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans les maisons d’arrêt, on frôle les 160 %, et plus de 4 850 prisonniers dorment sur des matelas au sol. Face à ce scandale, Darmanin propose 1 500 places pour les courtes peines et 1 500 autres pour des structures de semi-liberté, avec un premier site à Troyes-Lavau dès 2026. Sur le papier, c’est séduisant : des cellules en béton armé, durables 60 ans, inspirées des modèles anglais et allemands, construites à la vitesse de l’éclair. Mais grattez le vernis, et l’illusion s’effondre.
Ces 3 000 places ne sont qu’un pansement sur une plaie béante. Le déficit réel dépasse les 20 000 places, et le plan de 15 000 places promis par Macron d’ici 2027 patine lamentablement – à peine 4 521 livrées à ce jour, avec un horizon repoussé à 2029. Les préfabriqués, loin de révolutionner, remplacent des projets classiques abandonnés, comme si l’État, à court d’idées, misait sur des mobil-homes sécurisés pour sauver la face. Et que dire des conditions ? Si les syndicats, comme FO Justice, admettent que le béton répond aux normes, personne ne garantit une vie digne pour les détenus ni des conditions de travail décentes pour les surveillants. La surpopulation engendre déjà violences, suicides et burn-out. Rajouter des cellules sans réformer, c’est entasser plus de chaos dans des boîtes en béton.
Une mascarade politique à 600 millions d’euros
Derrière ce projet, l’amateurisme des hauts sommets de l’État saute aux yeux. Darmanin, en quête de coups d’éclat, transforme la crise carcérale en opération de communication. Six cents millions d’euros pour 3 000 places, c’est cher payé pour une solution qui ne résout rien. Pire, des soupçons de favoritisme planent : Bouygues, géant du BTP, est pressenti pour décrocher le contrat, et les visites ministérielles en Allemagne, comme celle du 11 avril 2025 à Weiterstadt, laissent craindre que des technologies étrangères soient privilégiées au détriment de l’industrie française, selon un rapport du Figaro (15/04/2025). Où est la transparence ? Où est la concurrence loyale ? Sur X, les critiques fusent : « Encore un marché pour les copains ! » lance un internaute, pendant qu’un autre raille : « Des prisons en kit, comme si la justice était un meuble IKEA. »
Le gouvernement, lui, défend bec et ongles son projet. Éric Dupond-Moretti, ex-garde des Sceaux, affirmait en 2024 que « les modulaires sont une réponse rapide et moderne » (Le Monde, 10/12/2024). Rapide, peut-être, mais moderne ? Rien n’indique que ces structures résoudront les tensions quotidiennes. À l’inverse, des voix comme celle de Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, démontent l’illusion : « Construire plus sans réformer, c’est condamner les détenus et les surveillants à une impasse. » Darmanin peut bien multiplier les effets d’annonce, les faits sont têtus : sans personnel ni vision, ses préfabriqués ne sont qu’un décor en carton-pâte.
Et puis, il y a Toulon. À peine l’encre des communiqués sèche-t-elle que des kalachnikovs crépitent sur la porte de la prison varoise, laissant 15 impacts et une vitre blindée percée (Le Monde, 15/04/2025). À Marseille, Valence, Nîmes, des voitures flambent, certaines taguées « DDPF » – un sigle mystérieux, peut-être « Droit des prisonniers français », mais aucune revendication officielle n’a encore éclairci sa signification. Le parquet antiterroriste s’empare de l’affaire, mais Darmanin préfère pointer le narcotrafic, comme pour détourner l’attention. Quelle coïncidence ! Quelques heures après avoir vendu ses prisons miracles, voilà que la réalité lui explose au visage. S’il voulait une preuve que ses préfabriqués ne font peur à personne, la voici, servie sur un plateau de douilles.
Une justice à la dérive, une République défiée
Quid de notre République ? Elle se noie dans ses contradictions. La surpopulation carcérale n’est pas un accident, mais le fruit d’un sous-financement chronique et d’une dépendance aveugle à l’incarcération. Les peines s’allongent – 10,8 mois en moyenne en 2019 contre 5,8 en 1982 –, les magistrats manquent, les surveillants craquent, et les détenus récidivent faute de réinsertion. Construire plus de prisons, c’est admettre qu’on a renoncé à penser la justice autrement. Où sont les peines alternatives, les bracelets électroniques, les programmes de formation ? Joaquim Pueyo, ex-directeur de prison, le martèle : « Les préfabriqués ne sont qu’un sparadrap. Il faut investir dans la réinsertion. » Mais l’État préfère le béton à l’innovation.
Ces attaques, de Toulon à Villepinte, sont un miroir tendu à notre faillite collective. Que veulent-elles dire ? Une vengeance des narcotrafiquants, comme le suggère Darmanin ? Une révolte anarchiste, comme l’évoquent certains ? Ou simplement un cri de désespoir face à un système qui broie tout le monde – détenus, surveillants, société ? Une chose est sûre : les préfabriqués ne répondront à rien. Ils sont l’aveu d’une République qui, faute de courage, maquille son impuissance en modules de béton. Pendant ce temps, les balles sifflent, les pneus brûlent, et la justice française, elle, s’effrite.
Repenser, ou sombrer
Il est temps de regarder la vérité en face : la prison, telle qu’elle existe, est une machine à fabriquer de la récidive et du désespoir. Les préfabriqués de Darmanin ne sont pas une solution, mais un symbole – celui d’un État qui préfère les rustines aux réformes. Briser le cycle de la surpopulation, c’est investir dans la prévention, la réinsertion, les alternatives à l’enfermement. C’est redonner du sens à la justice, pas entasser des hommes dans des boîtes en béton. Sinon, les prochaines attaques ne seront qu’un prélude. Et la République, déjà défiée, risque de ne plus savoir répondre.