Où sont passés les héros de la télé jeunesse ?

Pourquoi, aujourd’hui, les émissions jeunesse ne sont-elles plus incarnées ?

Dans Ça Commence Aujourd’hui : Inoubliables années 90 !, Faustine Bollaert a lancé une question qui remue les souvenirs : pourquoi, aujourd’hui, les émissions jeunesse ne sont-elles plus incarnées ? Avec des invités comme Jacques Jakubowicz (Jacky) et Patrick Puydebat (Nicolas d’Hélène et les Garçons), l’émission ressuscite le fantôme du Club Dorothée, ce totem des années 80-90 porté par l’inoubliable Dorothée. Mais ce constat dépasse la simple nostalgie : il interroge un vide. Que s’est-il passé pour que les programmes jeunesse perdent leurs figures humaines ? Entre révolutions technologiques, choix économiques et transformations sociales, voici une plongée sans détour – et une lueur d’espoir pour demain.

Dorothée, étoile d’un âge d’or

Le Club Dorothée (TF1, 1987-1997) était un OVNI télévisuel : un mélange de dessins animés (Dragon Ball Z, Les Minipouss), de sitcoms (Le Miel et les Abeilles), de chansons et d’échanges avec les téléspectateurs, orchestré par Dorothée et sa bande – Jacky, Ariane, Corbier. Plus qu’une animatrice, elle était une présence, une complice qui parlait aux enfants avec une chaleur brute. Des émissions comme Récré A2 ou Les Minikeums suivaient le même credo : des animateurs donnaient une âme aux programmes. Ces visages étaient des repères, des héros du quotidien. Alors, pourquoi ont-ils disparu ?

Une audience éclatée, un lien brisé

La télévision des années 90 était un monolithe. Avec six chaînes, le Club Dorothée fédérait jusqu’à 40 % des téléspectateurs, un exploit d’un autre temps. Aujourd’hui, elle s’effrite face à YouTube, Netflix ou TikTok. Selon une étude Médiamétrie de 2023, les 6-12 ans passent en moyenne 2h30 par jour sur des écrans numériques, dont 60 % sur des plateformes de streaming ou réseaux sociaux, contre 1h devant la télé traditionnelle. Ce public dispersé consomme à la carte, guidé par des algorithmes froids plutôt que par des animateurs. Les chaînes jeunesse (Gulli, Disney Channel) diffusent en continu, sans figures pour tisser un lien. Dans cet éclatement, une Dorothée moderne n’a plus de scène où briller.

L’humain évincé par le contenu brut

Le Club Dorothée était une expérience : les animateurs y jouaient, chantaient, répondaient aux lettres des enfants. Les dessins animés n’étaient qu’un ingrédient parmi d’autres. Aujourd’hui, les émissions jeunesse se réduisent à leur essence : du contenu, rien que du contenu. Exit les sketches, les interactions – trop coûteux, trop risqués. Une grille de programmes préenregistrés coûte moins cher qu’un plateau vivant. Mais ce choix économique a un prix : la perte de cette étincelle humaine qui transformait un écran en compagnon.

Méfiance sociale et enfants autonomes

Le contexte sociétal a aussi changé. Dorothée était une figure de confiance, un pont entre parents et enfants dans une époque plus insouciante. Aujourd’hui, la société scrute les écrans avec suspicion. Scandales médiatiques, peur des contenus inappropriés : les chaînes optent pour des programmes aseptisés, sans animateurs susceptibles de déraper. Et les enfants, natifs du numérique, sont laissés à leur autonomie. On leur sert des dessins animés calibrés, mais sans guide pour les accompagner. Le lien affectif s’efface au profit d’une consommation solitaire.

Ailleurs, des exceptions inspirantes

Ce désert n’est pas universel. Au Japon, des émissions comme Okaasan to Issho (depuis 1959) continuent d’offrir des animateurs chaleureux aux tout-petits. Aux États-Unis, le regretté Fred Rogers (Mister Rogers’ Neighborhood) reste une icône, tandis qu’en Australie, Bluey s’appuie sur une narration incarnée qui séduit enfants et parents. Ces exemples montrent qu’un autre modèle est possible : une télévision jeunesse qui ose encore miser sur l’humain, même à l’ère numérique.

Réinventer l’incarnation

Faut-il céder à la nostalgie et pleurer un passé révolu ? Non. Le Club Dorothée était unique, mais son esprit peut renaître. Sur YouTube, des créateurs comme Squeezie ou Inoxtag captivent les jeunes par leur authenticité. Ils ne remplacent pas Dorothée, mais ils prouvent que les enfants cherchent encore des voix qui leur parlent. Les chaînes pourraient s’en inspirer, mêlant présence humaine et codes digitaux pour recréer une communauté.

Un visage pour demain

Pourquoi les émissions jeunesse ne sont-elles plus incarnées ? Parce que la télé s’est fragmentée, que l’économie a primé sur l’humain, que la société s’est repliée. Mais ce vide crie une vérité : les enfants ont besoin de repères. Et si France Télévisions testait un format hybride sur TikTok, avec une présentatrice ou un animateur fédérateur, mêlant vidéos courtes et proximité ? Comme le disait Dorothée : « Les enfants, c’est le public le plus sincère. Ils ont besoin qu’on leur parle avec le cœur. »

À nous de réinventer ces voix qui manquent tant.

Article publié le et actualisé le .


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