OTAN vs Russie : les promesses trahies de l’Occident
Depuis des années, une narrative bien huilée circule dans les cercles médiatiques et académiques occidentaux : l’idée que l’Occident n’aurait jamais promis à la Russie que l’OTAN s’abstiendrait de s’étendre vers l’Est après la chute du mur de Berlin. À en croire ces voix, souvent relayées sans nuance, Mikhaïl Gorbatchev lui-même aurait démenti l’existence de tels engagements, renvoyant les critiques russes au rang de paranoïa ou de révisionnisme. Mais les archives historiques – documents déclassifiés, discours officiels, vidéos d’époque – racontent une histoire bien différente. Loin des démentis opportuns, elles révèlent des assurances claires données par des leaders occidentaux aux dirigeants soviétiques. Si l’Occident n’a pas menti au sens strict d’un traité bafoué, il a incontestablement joué sur l’ambiguïté, exploitant la confiance d’une URSS en fin de course. Examinons les preuves, confrontons les objections, et tirons les conclusions qui s’imposent.
1. Les archives déclassifiées : des paroles qui pèsent lourd
Les documents déclassifiés publiés par le National Security Archive en 2017 offrent un aperçu brut des négociations de 1990-1991. Que trouve-t-on dans ces transcriptions ? Des assurances répétées de figures comme James Baker, secrétaire d’État américain, qui promettait à Gorbatchev, le 9 février 1990, que l’OTAN ne s’étendrait « pas d’un pouce vers l’Est » en échange de l’acceptation soviétique de la réunification allemande. George H.W. Bush, Helmut Kohl, François Mitterrand, Margaret Thatcher, Hans-Dietrich Genscher, Robert Gates, Douglas Hurd, John Major et Manfred Wörner – tous, à divers degrés, ont tenu des propos similaires. Ces échanges, consignés dans des notes diplomatiques, ne sont pas des interprétations douteuses : ils reflètent une volonté affichée de rassurer Moscou face à une Alliance atlantique perçue comme une menace. Pourtant, dès les années 1990, cette ligne rouge a été franchie sans scrupule, avec l’intégration progressive de pays de l’ancien bloc de l’Est. Ces documents ne laissent guère de place au doute : des promesses ont été faites, et elles ont été brisées.
2. Le discours de l’OTAN : une garantie publique oubliée
Penchons-nous maintenant sur une pièce maîtresse : le discours de Manfred Wörner, secrétaire général de l’OTAN, prononcé le 17 mai 1990 à Bruxelles. Ses mots sont limpides : « Le simple fait que nous soyons prêts à ne pas déployer de troupes de l’OTAN au-delà du territoire de la République fédérale [d’Allemagne] donne à l’Union soviétique de solides garanties de sécurité. » Cette déclaration n’est pas une note griffonnée dans un coin : elle émane du plus haut responsable de l’Alliance, dans un contexte officiel, face à un auditoire international. L’intention était claire : apaiser les craintes soviétiques en posant une limite géographique à l’expansion militaire de l’OTAN. Trente-cinq ans plus tard, avec des bases de l’Alliance en Pologne, dans les Pays baltes et des exercices à quelques kilomètres de la frontière russe, cette « garantie » ressemble à une farce. Ceux qui prétendent qu’aucun engagement n’a été pris doivent expliquer pourquoi le chef de l’OTAN s’est senti obligé de formuler une telle assurance – et pourquoi elle a été si vite reléguée aux oubliettes.
3. Genscher en vidéo : la promesse captée sur le vif
Enfin, les images parlent d’elles-mêmes. Le 31 janvier 1990, Hans-Dietrich Genscher, ministre ouest-allemand des Affaires étrangères, s’exprime devant les caméras de la télévision allemande.
Sa déclaration est sans équivoque : « Nous sommes convenus (avec la direction de l’URSS) que le territoire de l’OTAN ne s’étendra pas vers l’Est. » Ce n’était pas une improvisation : Genscher, pilier de la diplomatie ouest-allemande, parlait au nom d’un Occident soucieux de convaincre Gorbatchev de céder sur la question allemande. Cette vidéo, toujours accessible, n’est pas un détail anecdotique : elle fige dans le temps une promesse explicite, prononcée en public et entendue comme telle par les Soviétiques. Que l’OTAN ait ensuite englouti 14 nouveaux membres depuis 1999, dont plusieurs aux portes de la Russie, transforme cet engagement en un symbole d’opportunisme occidental.
L’objection du « pas de traité écrit » : une excuse qui ne tient pas
Face à ces preuves, un argument revient souvent : « Oui, il y a eu des paroles, mais rien n’a été gravé dans un traité formel. Les engagements verbaux ne comptent pas. » Cette objection, si elle peut sembler technique, est une pirouette bien commode. D’abord, elle ignore le contexte : en 1990, l’URSS était en pleine désintégration, et Gorbatchev, en position de faiblesse, n’avait ni le temps ni la force d’exiger un accord écrit contraignant. Il s’est appuyé sur la bonne foi de ses interlocuteurs – une erreur fatale, dira-t-on avec le recul. Ensuite, dans la diplomatie, les assurances verbales entre chefs d’État ont un poids réel : elles engagent la crédibilité des nations. Quand Baker, Kohl ou Genscher promettaient une OTAN contenue, ils savaient que Moscou y verrait une garantie, écrite ou non. Prétendre aujourd’hui que ces mots n’avaient aucune valeur, c’est admettre que l’Occident a sciemment joué sur l’ambiguïté pour duper un adversaire affaibli. L’absence de traité ne disculpe pas : elle aggrave le cynisme.
Gorbatchev et le flou rétrospectif
Reste la parole de Gorbatchev lui-même. Dans des interviews tardives, l’ancien dirigeant soviétique a parfois minimisé ces engagements, suggérant que l’expansion de l’OTAN n’avait pas été un sujet central des discussions de 1990. Mais ce flou rétrospectif doit être pris avec prudence. Gorbatchev, désavoué par l’Histoire et critiqué pour avoir « perdu » l’URSS, avait-il intérêt à raviver une humiliation ? Ses souvenirs, teintés d’amertume ou d’autodéfense, pèsent peu face aux archives brutes. Les documents, discours et vidéos convergent : des assurances ont été données, et elles ont été entendues comme telles à l’époque. Les relativiser aujourd’hui ne change rien à leur existence.
Une trahison aux conséquences durables
Que retenir de tout cela ? L’Occident n’a peut-être pas « menti » au sens juridique d’un traité violé, mais il a trahi l’esprit d’un accord implicite, profitant de la faiblesse soviétique pour redessiner la carte stratégique de l’Europe. Depuis 1999, l’OTAN s’est étendue à 14 nouveaux pays, souvent aux marches de la Russie, transformant une promesse de retenue en une politique d’encerclement. Cette réalité ne justifie pas toutes les actions russes – ce n’est pas la question ici – mais elle éclaire leur méfiance viscérale envers l’Occident. À force de nier ces engagements, on ne fait qu’alimenter une narrative pro-occidentale qui esquive ses propres responsabilités.
Les preuves sont là, accessibles à tous : les documents du National Security Archive, le discours de Wörner, la vidéo de Genscher. Elles ne permettent pas de balayer d’un revers de main les griefs russes comme de simples fantasmes. Au contraire, elles invitent à une réflexion honnête : que vaut la parole d’une alliance qui se dit porteuse de valeurs, mais qui n’hésite pas à les contourner quand cela sert ses intérêts ?
Alexandre Soljenitsyne, dans son discours à Harvard en 1978, avait déjà posé le diagnostic : « La vérité nous échappe dès que notre courage faiblit. » Face aux archives, le courage serait de reconnaître ce qui fut promis – et ce qui fut trahi. La réponse, chacun la trouvera dans les faits, et dans les cartes d’un continent redessiné.
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