Identité numérique : vers un futur sous surveillance ?

Récemment, j’ai suivi un webinaire intitulé « KYB : Optimisez la sécurité et la conformité de vos relations d’affaires ». En surface, une plongée technique dans la vérification des entreprises (le “Know Your Business” ou KYB), la lutte contre le blanchiment d’argent, et l’émergence d’une identité numérique européenne. On nous a parlé de bases de données comme Infogreffe ou VIES, de réglementations strictes, et d’un « Portefeuille Européen d’Identité Numérique » promis par Ursula von der Leyen pour simplifier nos vies – des impôts à la location d’un vélo. Derrière ces promesses, un doute : la sécurité peut-elle étouffer la liberté ? Plus j’écoutais, plus je me demandais si ces outils, présentés comme des remparts contre le crime, ne risquaient pas de devenir des chaînes invisibles pour nous tous.

Derrière les acronymes, une machine en marche

Le KYB, c’est l’idée de vérifier avec qui une entreprise fait affaire pour éviter fraudes et activités illicites, une obligation dictée par le GAFI et reprise en France dans le Code monétaire et financier. Jusque-là, ça semble logique : qui voudrait collaborer avec des escrocs ? Mais dans la pratique, cela va bien au-delà d’une simple vérification. On parle de bases de données centralisées comme Infogreffe ou VIES, d’une surveillance continue des relations d’affaires, et d’un archivage systématique de chaque contrôle effectué. Ce n’est plus une formalité administrative, c’est un système qui enregistre tout, accumulant des données sensibles – noms, transactions, liens professionnels – dans des serveurs dont on ignore souvent qui tient les clés. Le webinaire mentionnait des consortiums comme WeBuild, censés sécuriser ces processus, mais sans jamais préciser qui supervise ces gardiens autoproclamés. La sécurité devient une excuse commode, presque un mantra, mais l’opacité qui entoure ces mécanismes soulève une question lancinante : à quel prix protège-t-on vraiment l’économie ?

Une identité numérique pour tout régir

Et puis il y a le “Portefeuille Européen d’Identité Numérique”, un projet phare porté par Ursula von der Leyen, qui l’a présenté ainsi : “Nous ignorons ce que deviennent nos données avec les grandes plateformes. Nous proposons une identité électronique sécurisée, utilisable partout en Europe.” L’idée ? Une clé unique pour tout faire : déclarer ses revenus, louer un vélo, prouver son existence – un sésame numérique censé simplifier la vie. Sur le papier, c’est séduisant, mais cette centralisation a un revers glaçant : elle signe la fin de l’anonymat. Chaque action, même la plus banale, devient une trace indélébile dans un registre global, accessible à des entités qu’on peine à identifier. On nous assure qu’on pourra choisir quelles données partager, mais que vaut ce choix si une administration ou une entreprise privée exige ce portefeuille pour accéder à un service ? Remplacer les GAFAM par un système européen, est-ce une vraie libération ou juste un transfert de pouvoir vers un maître plus discret ? Le doute s’installe : cette technologie, vendue comme un progrès, ne risque-t-elle pas de nous enfermer dans une cage dorée ?

eIDAS : quand la facture devient une porte

Le webinaire a aussi abordé eIDAS v2, une réglementation qui standardise l’identité numérique à l’échelle européenne. Même les factures électroniques, ces documents anodins du quotidien, s’inscrivent dans ce calendrier ambitieux. Imaginez : demain, payer un artisan pourrait vous obliger à lier votre facture à votre identité numérique, enregistrée et vérifiée par un système centralisé. Ce n’est plus une question de simplification, mais une toile qui relie tout – des transactions aux identités – dans un réseau tentaculaire. Officiellement, il s’agit de fluidité, de modernité, mais pourquoi une simple facture devrait-elle alimenter une telle machinerie ? Les réponses restent floues, et ce flou nourrit le soupçon : derrière la promesse d’efficacité, ne se cache-t-il pas un prétexte pour étendre la surveillance à chaque recoin de nos vies ?

Les architectes savent-ils où ils nous mènent ?

Ceux qui conçoivent ces systèmes, retranchés dans leurs bureaux à Bruxelles ou ailleurs, semblent convaincus d’œuvrer pour le bien commun. Ils empilent lois, outils et acronymes – KYB, eIDAS, LCB-FT – avec une assurance qui frôle la foi aveugle. Mais ont-ils vraiment mesuré les risques d’un dérapage ? Un dispositif anti-fraude peut vite changer de cible : pendant la Seconde Guerre mondiale, les fichiers administratifs néerlandais, créés pour recenser la population, ont été détournés pour traquer les Juifs sous l’occupation nazie. Aujourd’hui, avec des technologies bien plus puissantes, ce potentiel de dérive est décuplé. Ce n’est pas de la paranoïa, c’est une leçon de l’histoire : les outils pensés pour l’ordre peuvent devenir des armes entre de mauvaises mains. Sous couvert de conformité et de sécurité, ne sommes-nous pas en train de forger un instrument que d’autres pourraient un jour retourner contre nous ?

Vers un horizon sans ombre ?

KYB, eIDAS, identité numérique : tout converge vers un monde où rien n’échappe au radar. On nous offre du confort – un clic pour tout gérer, des impôts aux petits gestes du quotidien – mais le prix est exorbitant : une vie sous l’œil d’un système implacable, où l’individu se réduit à un numéro dans une base de données. Ces projets avancent à grands pas, portés par des instances lointaines et des discours bien rodés, souvent lissés par des termes comme “innovation” ou “protection”. Pourtant, nous, citoyens ou entreprises, sommes à peine consultés. On nous rassure avec des promesses de contrôle sur nos données, mais on ne nous donne pas vraiment le droit de dire non. Cette absence de débat, ce silence collectif, laisse ces évolutions se déployer sans résistance, comme si la modernité justifiait tout.

Un appel à ouvrir les yeux

Cet article ne prétend pas tout décortiquer – les subtilités techniques, je les laisse aux experts qui jonglent avec les acronymes. Mon but est ailleurs : secouer les consciences, mettre en lumière les risques d’un contrôle qui s’installe sournoisement sous des mots doux comme “sécurité” ou “simplicité”. Si nous fermons les yeux aujourd’hui, demain, on pourrait nous interdire de les ouvrir. Edward Snowden, qui a révélé les dérives de la surveillance massive, le dit mieux que moi : « Dire que vous n’avez rien à cacher parce que vous n’avez rien à craindre, c’est comme dire que vous n’avez pas besoin de liberté d’expression parce que vous n’avez rien à dire. » L’absence de débat est la pire des validations, un blanc-seing donné à un futur où la liberté devient un luxe oublié.

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