George Sand
L'HISTOIRE DU RÊVEUR

Pr�sence de George Sand, n� 17, 1983; pp.4-39; �d. de Thierry Bodin

{MsLov f° D, PGS17 p.9 col.1} 2de NUIT 1

Tricket comme vous voyez est s�rieux quand je veux a. Il est aussi gai quand je suis dispos�e � l'�tre. Je lui reproche souvent d'�tre fantasque. — Point, r�pond-il, c'est vous qui l'�tes. Qu'est-ce que d'�tre grave ou plaisant, � mes yeux b? Pour placer votre esprit dans ces diverses situations, il faut un concours de circonstances ext�rieures qui n'existent pas pour moi. Quand j'ai voltig� sur la brise du soir, quand j'ai sommeill� dans le calice d'une fleur, ou quand j'ai dans� sur une nu�e, je ne sais gu�res ce que c'est que de r�fl�chir tout se borne pour moi � la sensation d'exister.

{PGS17 p.9 col.2} — Oh que cette situation est douce pour toi en effet, Tricket c. Si je pouvais comme toi chevaucher la brise et la nu�e, que de plaisirs m'offrirait la nature.

— Que demain cette facult� vous soit accord�e, et je ne vous donne pas huit jours pour en �tre rassasi�e. O� est l'homme qui place son bonheur dans la possession, n'est-il pas toujours � r�ver quelque bien au del�, et son plaisir d n'est-il pas comme la flamme qui s'�teint d�s qu'elle a d�vor�?

— Et toi Tricket tu n'es donc pas tourment� de ce mal sans nom qui fait que l'homme appelle toujours une destin�e inconnue, dont le d�sir le rend insensible aux biens qu'il poss�de? Tu es donc moins qu'un homme? si ton imagination glac�e se contente du pr�sent, si comme tu le dis, tu ignores l'avenir, s'il est vrai que demain tu peux cesser d'�tre et qu'aujourdhui e tu ne sois pas d�vor� d'impatience et d'inqui�tude, non tu n'es pas �gal � moi, tu v�g�tes comme la plante, tu subsistes comme la masse inerte...

f Je fus interrompue dans cette sublime d�clamation par un �clat de rire de Tricket si bruyant et si prolong� que je craignis qu'il m'�veill�t g tout le voisinage. Mais par un prodige attach� � sa nature fantastique, il est pr�sumable que mes oreilles furent seules frapp�es de ce bruit car mes bengalis qui dormaient sur la chemin�e de mon cabinet, ne relev�rent pas m�me leurs petites t�tes pourpr�es cach�es sous le duvet de leurs ailes. Je vis bien � son air qu'il allait me r�futer h victorieusement. Arr�te, arr�te, Tricket i, lui dis-je, et ne foudroye pas la pauvre humanit�. Tu sais comme je l'estime peu au fond du cœur, et j'ai plut�t besoin que tu la d�fendes pour m'emp�cher de la ha�r.

j— Je veux te raconter, me dit Tricket, l'histoire d'une maligne f�e de mes amies qui se divertit aux d�pens d'un fou qui te ressemblait.

k— Quoique la comparaison puisse �tre peu flatteuse, r�pondis-je, je n'aime rien tant que les {MsBNF f° 10 r°} histoire l o� il entre du merveilleux et je te promets bien que je ne me soucie pas du tout de les comprendre. Raconte donc, mon bon g�nie, raconte longuement m.

n Je suspendis alors mon hamac, aux anneaux o destin�s � bercer mes songes dor�s. J'allumai ma lampe de porcelaine dont la transparente blancheur r�pand comme une clart� de lune dans ma cellule, et p grimpant � mon lit a�rien q, je m'y endormis profond�ment, tandis que Tricket perch� sur les tresses r de fil qui forment l'araign�e de mon hamac, me raconta l'histoire suivante dont je ne perdis pas un mot car personne ne poss�de au plus haut degr� s que moi, toutes les douceurs du sommeil magn�tique qu'on appelle somnambulisme t, bien que ce mot {PGS17 p.10 col.1} n'exprime qu'une de ses qualit�s. Cet �tat de l'�me et du corps a �t� jusquici u fort peu observ� et je me propose de faire v chaque jour l'analyse des accidens de mon sommeil afin de vous amener peutetre w mes chers amis, � d'importantes d�couvertes sur la nature et le si�ge de l'�me. Quoiqu'il x en soit, Tricket parla ainsi —


Variantes

  1. quand [on veut ray�] je veux {MsLov}
  2. plaisant, [pour moi? ray�] � mes yeux {MsLov}
  3. pour toi en effet Tricket {PGS} (la virgule para�t s'imposer)
  4. son [imagination ray�] plaisir {MsLov}
  5. quaujourdhui {MsLov}, {PGS}
  6. pas de retrait avant le tiret dans {PGS}
  7. quil m'�veillat {MsLov}, {PGS}
  8. refuter {MsLov}, {PGS}
  9. Arr�te arr�te Tricket {MsLov}, {PGS}
  10. pas de retrait avant le tiret dans {PGS}
  11. double interligne avant le tiret dans {PGS}
  12. C'est sur le mot histoires que commence le f° 10 r° de {MsBNF} dont les premi�res pages ont �t� arrach�es; c'est d�sormais cette version que suit {PGS}. {PGS} supprime le mot comme de la version {MsLov}, afin de r�tablir la coh�sion de la phrase dont voici le texte dans {MsLov}: Quoique la comparaison puisse �tre peu flatteuse r�pondis-je, comme je n'aime rien tant que les histoires [merveilleuses que tu ray�] o� il entre du merveilleux, raconte je te prie mon petit Tricket et fais ton histoire aussi longue que dici � demain. (note adapt�e de {PGS})
  13. Raconte donc mon bon g�nie raconte longuement {MsLov}, {MsBNF}, {PGS}
  14. double interligne avant le tiret dans {PGS}
  15. anneaux [de fer ray�]: anneaux de fer {MsLov}
  16. J'allumai ma lampe de porcelaine [blanche ray�] dont [...], et {MsBNF} ♦ Je placai une blanche flamme dans une tourelle gothique de porcelaine peinte et {MsLov}
  17. lit [tremblant ray� ] a�rien {MsLov}
  18. les [nattes ray�] tresses {MsLov}
  19. d�gr� {MsBNF} ♦ point {MsLov}
  20. somnambulisme et qui est une des plus d�licieuses situations o� puissent se trouver l'ame et le corps. {MsLov} Ici se termine le f° D de ce Ms; {PGS} suit d�sormais {MsBNF}
  21. jusquici {MsBNF}
  22. de [vous donner ray�] faire {MsBNF}
  23. peutetre {MsBNF}
  24. Quoiquil {PGS}

Notes

  1. Le d�but de ce r�cit, qui manque dans le {MsBNF}, jusqu'� “ histoires “, est emprunt� � {MsLov}, f° D r° et v° (note de {PGS}). Ce d�but appara�t pour la premi�re fois dans {PGS}.