George Sand
INDIANA

George Sand; "Indiana" / Nouvelle �dition; Paris; Michel L�vy fr.; 1861; nombreuses r��d. Michel L�vy puis Calmann L�vy

TROISIÈME PARTIE

{Perr [228]} XXII a.

Raymon, c�dant � la fatigue, s'�tait endormi profond�ment, apr�s avoir re�u fort s�chement sir Ralph, qui �tait venu prendre des informations chez lui. Lorsqu'il s'�veilla, un sentiment de bien-�tre inonda son �me; il songea b que la crise principale de cette aventure �tait enfin pass�e. Depuis longtemps, il avait pr�vu qu'un instant viendrait le mettre aux prises avec cet amour de femme, qu'il faudrait d�fendre sa libert� c contre les exigences d'une passion romanesque, et il s'encourageait d'avance � combattre de telles pr�tentions. Il avait donc franchi, enfin, ce pas difficile : il avait dit non, il n'aurait d plus besoin d'y revenir, car les choses s'�taient pass�es pour le mieux. Indiana n'avait pas trop pleur�, pas trop insist�. Elle s'�tait montr�e raisonnable, elle avait compris au premier mot, elle avait pris son parti vite et fi�rement.

Raymon �tait fort content de sa providence; car il en avait une � lui, � laquelle il croyait en bon fils, et sur laquelle il comptait pour arranger toutes choses au d�triment des autres plut�t qu'au sien propre. Elle l'avait si bien trait� jusque-l�, qu'il ne voulait pas douter d'elle. {Perr 229} Pr�voir le r�sultat de ses fautes et s'en inqui�ter, c'e�t �t� � ses yeux commettre le crime d'ingratitude envers le Dieu bon qui veillait sur lui.

Il se leva tr�s fatigu� encore des efforts d'imagination auxquels l'avaient contraint les circonstances de cette sc�ne p�nible. Sa m�re rentra; elle venait de s'informer aupr�s de madame de Carvajal de la sant� et de la disposition d'esprit de madame Delmare. La marquise ne s'en �tait point inqui�t�e; elle �tait pourtant dans un tr�s grand chagrin quand madame de Rami�re l'interrogea adroitement. Mais la seule chose qui l'e�t frapp�e dans la disparition de madame Delmare, c'�tait le scandale qui allait en r�sulter. Elle se plaignit tr�s am�rement de sa ni�ce, que, la veille, elle �levait aux nues; et madame de Rami�re comprit que, par cette d�marche, la malheureuse Indiana s'�tait ali�n�e � jamais sa parente et perdait le seul appui e naturel qui lui rest�t.

Pour qui e�t connu le fond de l'�me de la marquise, ce n'e�t pas �t� une grande perte; mais madame de Carvajal passait, m�me aux yeux de madame de Rami�re, pour une vertu irr�prochable. Sa jeunesse avait �t� envelopp�e des myst�res de la prudence ou perdue dans le tourbillon f des r�volutions. La m�re de Raymon pleura sur le sort d'Indiana et chercha � l'excuser; madame g de Carvajal lui dit avec aigreur qu'elle n'�tait peut-�tre pas assez d�sint�ress�e dans cette affaire pour en juger.

— Mais que deviendra donc cette malheureuse jeune femme? dit madame de Rami�re. Si son mari l'opprime, qui la prot�gera?

— Elle deviendra ce qu'il plaira � Dieu, r�pondit la marquise; pour moi, je ne m'en m�le plus, et je ne veux jamais la revoir.

{Perr 230} Madame de Rami�re, inqui�te et bonne, r�solut de savoir � tout prix des nouvelles de madame Delmare. Elle se fit conduire au bout de la rue qu'elle habitait, et envoya un domestique questionner le concierge, en lui recommandant de t�cher de voir sir Ralph s'il �tait dans la maison. Elle attendit dans sa voiture h le r�sultat de cette tentative, et bient�t Ralph lui-m�me vint l'y trouver.

La seule personne, peut-�tre, qui juge�t bien Ralph, c'�tait madame de Rami�re; quelques mots suffirent entre eux pour comprendre la part mutuelle d'int�r�t sinc�re et pur qu'ils avaient dans cette affaire. Ralph raconta ce qui s'�tait pass� dans la matin�e; et, comme il n'avait que des soup�ons sur les circonstances de la nuit, il ne chercha pas � les confirmer. Mais madame de Rami�re crut devoir l'informer de ce qu'elle en savait, le mettant de moiti� dans son d�sir de rompre cette liaison funeste et impossible. Ralph, qui se sentait plus � l'aise devant elle qu'il ne l'�tait vis-�-vis de personne, laissa para�tre sur ses traits une alt�ration profonde en recevant cette confidence.

— Vous dites, madame, murmura-t-il en r�primant comme un frisson nerveux qui parcourut ses veines, qu'elle a pass� la nuit dans votre h�tel?

— Une nuit solitaire et douloureuse, sans doute. Raymon, qui n'�tait certes pas coupable de complicit�, n'est rentr� qu'� six heures, et, � sept, il est venu me trouver pour m'engager � calmer l'esprit de cette malheureuse enfant.

— Elle voulait quitter son mari! elle voulait se perdre d'honneur! reprit Ralph les yeux fixes, et dans une �trange pr�occupation de cœur. Elle l'aime donc bien cet homme indigne d'elle!...

{Perr 231} Ralph oubliait qu'il parlait � la m�re de Raymon.

— Je m'en doutais bien depuis longtemps, continua-t-il; pourquoi n'ai-je pas pr�vu le jour o� elle consommerait sa perte! Je l'aurais tu�e auparavant.

Ce langage dans la bouche de Ralph surprit �trangement madame de Rami�re; elle croyait parler � un homme calme et indulgent, elle se repentit d'avoir cru aux apparences i.

— Mon Dieu! dit-elle avec effroi, la jugerez-vous donc aussi sans mis�ricorde? l'abandonnerez-vous comme sa tante? Etes-vous donc tous sans piti� et sans pardon? Ne lui restera-t-il pas un ami apr�s une faute dont elle a d�j� tant souffert?

— Ne craignez rien de pareil de ma part, madame, r�pondit Ralph; il y a six mois que je n'ai rien dit. J'ai surpris leur premier baiser, et je n'ai point jet� M. de Rami�re � bas de son cheval; j'ai crois� souvent dans les bois leurs messages d'amour, et je ne les ai point d�chir�s � coups de fouet. J'ai rencontr� M. de Rami�re sur le pont qu'il traversait pour aller la trouver; c'�tait la nuit, nous �tions seuls, et je suis fort quatre fois comme lui; pourtant je n'ai pas jet� cet homme dans la rivi�re; et quand, apr�s l'avoir laiss� fuir, j'ai d�couvert qu'il avait tromp� ma vigilance, qu'il s'�tait introduit chez elle, au lieu d'enfoncer les portes et de le lancer par la fen�tre, j'ai �t� paisiblement les avertir de l'approche du mari, et sauver la vie de l'un afin de sauver l'honneur de l'autre. Vous voyez bien, madame, que je suis cl�ment et mis�ricordieux. Ce matin, je tenais cet homme sous ma main ; je savais bien qu'il �tait la cause de tous nos maux, et, si je n'avais pas le droit de l'accuser sans preuves, j'avais au moins le pouvoir de lui chercher dispute pour son air arrogant {Perr 232} et railleur. Eh bien, j'ai support� des d�dains j insultants, parce que je savais que sa mort tuerait Indiana; je l'ai laiss� se rendormir sur l'autre flanc, tandis qu'Indiana, mourante et folle, �tait au bord de la Seine k, pr�te � rejoindre l'autre victime... Vous voyez, madame, que je pratique la patience avec les gens que je hais et l'indulgence avec ceux que j'aime.

Madame de Rami�re, assise dans sa voiture vis-�-vis de Ralph, le contemplait avec une surprise m�l�e de frayeur. Il �tait si diff�rent de ce qu'elle l'avait toujours vu, qu'elle pensa presque � la possibilit� d'une subite ali�nation mentale. L'allusion qu'il venait de faire � la mort de Noun la confirmait dans cette id�e; car elle ignorait absolument cette histoire, et prenait les mots �chapp�s � l'indignation de Ralph pour un fragment de pens�e �trang�re � son sujet. Il �tait, en effet, dans une de ces situations violentes qui se pr�sentent au moins une fois dans la vie des hommes les plus raisonnables, et qui tiennent de si pr�s � la folie, qu'un degr� de plus les porterait � la fureur. Sa col�re �tait cependant p�le et concentr�e comme celle des temp�raments froids; mais elle �tait profonde comme celle des �mes nobles, et l'�tranget� de cette disposition, prodigieuse chez lui l en rendait l'aspect terrible.

Madame de Rami�re prit sa main et lui dit avec douceur :

— Vous souffrez beaucoup, mon cher Ralph; car vous me faites du mal sans remords : vous oubliez que l'homme dont vous parlez m est mon fils, et que ses torts, s'il en a, doivent d�chirer mon cœur encore plus que le v�tre.

Ralph revint aussit�t � lui-m�me, et, baisant la main de madame de Rami�re avec une effusion d'amiti� dont {Perr 233} le t�moignage �tait presque aussi rare que celui de sa col�re :

— Pardonnez-moi, madame, lui dit-il; vous avez raison, je souffre beaucoup, et j'oublie ce que je devrais respecter. Oubliez vous-m�me l'amertume que je viens de laisser para�tre; mon cœur saura la renfermer encore.

Madame de Rami�re, quoique rassur�e par cette r�ponse gardait une secr�te inqui�tude en voyant la haine profonde que Ralph nourrissait pour son fils. Elle essaya de l'excuser aux yeux de son ennemi; il n l'arr�ta.

— Je devine vos pens�es, madame, lui dit-il; mais rassurez-vous, nous ne sommes pas destin�s � nous revoir de sit�t, M. de Rami�re et moi. Quant � ma cousine, ne vous repentez pas de m'avoir �clair�. Si tout le monde l'abandonne, je jure qu'au moins un ami lui restera.

Madame de Rami�re, en rentrant chez elle vers le soir, trouva Raymon, qui chauffait voluptueusement ses pieds envelopp�s de pantoufles de cachemire, et qui prenait du th� pour achever de dissiper les agitations nerveuses de la matin�e. Il �tait encore abattu par ces pr�tendues �motions; mais de douces pens�es d'avenir ravivaient son �me : il se sentait enfin redevenu libre, et il se livrait enti�rement � de b�ates m�ditations sur ce pr�cieux �tat qu'il avait l'habitude de garder si mal.

— Pourquoi suis-je destin�, se disait-il, � m'ennuyer sit�t dans cette ineffable libert� p d'esprit qu'il me faut toujours racheter si ch�rement? Quand je me sens pris aux pi�ges d'une femme, il me tarde de les rompre, afin de reconqu�rir mon repos et ma tranquillit� d'�me. Que je sois maudit si j'en fais le sacrifice de sit�t! Les chagrins que m'ont suscit�s ces deux cr�oles me serviront {Perr 234} d'avertissement, et je ne veux plus avoir affaire qu'� de l�g�res et moqueuses Parisiennes... � de v�ritables femmes du monde. Peut-�tre ferais-je bien de me marier pour faire une fin, comme on dit...

Il �tait plong� dans ces bourgeoises et commodes pens�es, quand sa m�re entra �mue et fatigu�e.

— Elle se porte mieux, lui dit-elle; tout s'est bien pass�, j'esp�re qu'elle se calmera...

— Qui? demanda Raymon, r�veill� en sursaut dans ses ch�teaux en Espagne.

Cependant il songea q, le lendemain, qu'il lui restait encore une t�che � remplir : c'�tait de regagner l'estime, sinon l'amour de cette femme. Il ne voulait pas qu'elle p�t se vanter de l'avoir quitt�; il voulait qu'elle se persuad�t avoir c�d� � l'ascendant de sa raison et de sa g�n�rosit�. Il voulait la dominer encore apr�s l'avoir repouss�e; et il lui �crivit :

« Je ne viens pas vous demander pardon, mon amie, de quelques paroles cruelles ou audacieuses �chapp�es au d�lire de mes sens. Ce n'est pas dans le d�sordre de la fi�vre qu'on peut former une id�e compl�te et l'exprimer d'une mani�re convenable. Ce n'est pas ma faute si je ne suis pas un dieu, si je ne puis ma�triser aupr�s de vous l'ardeur de mon sang qui bouillonne, si ma t�te s'�gare, si je deviens fou. Peut-�tre aurais-je le droit de me plaindre du f�roce sang-froid avec lequel vous m avez condamn� � d'affreuses tortures sans jamais en prendre aucune piti� r; mais ce n'est pas votre faute non plus. Vous �tiez trop parfaite pour jouer en ce monde le m�me r�le que nous, cr�atures vulgaires soumises aux passions humaines, esclaves de notre organisation grossi�re. Je vous l'ai dit souvent, Indiana, vous n'�tes pas femme, et, quand j'y songe dans le calme de mes {Perr 235} pens�es, vous �tes un ange. Je vous adore dans mon cœur comme une divinit�. Mais, h�las! Aupr�s de vous, souvent le vieil homme a repris ses droits. Souvent, sous le souffle embaum� de vos l�vres, un feu cuisant est venu d�vorer les miennes; souvent, quand, me penchant vers vous, mes cheveux ont effleur� les v�tres, un frisson d'indicible volupt� a parcouru toutes mes veines, et alors j'ai oubli� que vous �tiez une �manation du ciel, un r�ve des f�licit�s �ternelles, un ange d�tach� du sein de Dieu pour guider mes pas en cette vie et pour me raconter les joies d'une autre existence. Pourquoi, pur esprit, avais-tu pris la forme tentatrice d'une femme? Pourquoi, ange de lumi�re, avais-tu rev�tu les s�ductions de l'enfer? Souvent j'ai cru tenir le bonheur dans mes bras, et tu n'�tais que la vertu.

» Pardonnez-moi ces regrets coupables, mon amie; je n'�tais point digne de vous, et peut-�tre, si vous eussiez consenti � descendre jusqu'� moi, eussions-nous �t� plus heureux l'un et l'autre. Mais mon inf�riorit� vous a fait continuellement souffrir, et vous m'avez fait des crimes des vertus que vous aviez.

» Maintenant s, que vous m'absolvez, j'en suis certain, car la perfection implique la mis�ricorde, laissez-moi �lever encore la voix pour vous remercier t et vous b�nir. Vous remercier!... Oh! non, ma vie, ce n'est pas le mot : car mon �me est plus d�chir�e que la v�tre du courage qui vous arrache de mes bras. Mais je vous admire; et, tout en pleurant, je vous f�licite. Oui, mon Indiana, ce sacrifice h�ro�que, vous avez trouv� la force de l'accomplir. Il m'arrache le cœur et la vie, il d�sole mon avenir, il ruine mon existence. Eh bien, je vous aime encore assez pour le supporter sans me plaindre; car mon honneur n'est rien, c'est le v�tre qui est tout. {Perr 236} Mon honneur, je vous le sacrifierais mille fois; mais le v�tre m'est plus cher que toutes les joies que vous m'auriez donn�es. Oh! non! je n'eusse pas joui d'un tel sacrifice. En vain j'aurais essay� de m'�tourdir � force d'ivresse et de transports, en vain vous m'eussiez ouvert vos bras pour m'enivrer de volupt�s c�lestes u, le remords serait venu m'y chercher; il aurait empoisonn� tous mes jours, et j'aurais �t� plus humili� que vous du m�pris des hommes. Ô Dieu! vous voir abaiss�e et fl�trie par moi! vous voir d�chue de cette v�n�ration qui vous entoure! vous voir insult�e dans mes bras, et ne pouvoir laver cette offense! car en vain j'eusse vers� tout mon sang pour vous; je vous eusse veng�e peut-�tre, mais jamais justifi�e. Mon ardeur � vous d�fendre e�t �t� contre vous une accusation de plus; ma mort, une preuve irr�cusable de votre crime. Pauvre Indiana, je vous aurais perdue! Oh! que je serais malheureux!

» Partez donc, ma bien-aim�e; allez sous un autre ciel recueillir les fruits de la vertu et de la religion. Dieu nous r�compensera d'un tel effort; car Dieu est bon. Il nous r�unira dans une vie plus heureuse, et peut-�tre m�me... mais cette pens�e est encore un crime; pourtant je ne peux pas me d�fendre d'esp�rer!... Adieu, Indiana, adieu; vous voyez bien que notre amour est un forfait!... H�las! mon �me est bris�e. O� trouverais-je la force de vous dire adieu! »

Raymon porta lui-m�me cette lettre chez madame Delmare; mais elle se renferma dans sa chambre et refusa de le voir. Il quitta donc cette maison apr�s avoir gliss� sa lettre � la femme de service, et embrass� cordialement le mari. En laissant derri�re lui la derni�re marche de l'escalier, il se sentit plus l�ger qua l'ordinaire; le temps �tait plus doux, les femmes �taient plus belles v, {Perr 237} les boutiques plus �tincelantes : ce fut un beau jour dans la vie de Raymon.

Madame Delmare serra la lettre toute cachet�e dans un coffre qu'elle ne devait ouvrir qu'aux colonies. Elle voulut aller dire adieu � sa tante; sir Ralph s'y opposa avec une obstination absolue. Il avait vu madame de Carvajal; il savait qu'elle voulait accabler Indiana de reproches et de m�pris; il s'indignait de cette hypocrite s�v�rit�, et ne supportait pas l'id�e que madame Delmare all�t s'y exposer.

Le jour suivant, au moment o� Delmare et sa femme allaient monter en diligence, sir Ralph leur dit avec son aplomb accoutum� :

— Je vous ai souvent fait entendre, mes amis, que je d�sirais vous suivre; mais vous avez refus� de me comprendre ou de me r�pondre. Voulez-vous me permettre de partir avec vous?

— Pour Bordeaux? dit M. Delmare.

— Pour Bourbon, r�pondit M. Ralph.

— Vous n'y songez pas, reprit, M. Delmare; vous ne pouvez ainsi transporter votre �tablissement au gr� d'un m�nage dont l'avenir est incertain et la situation pr�caire; ce serait abuser l�chement de votre amiti� que d'accepter le sacrifice de toute votre vie et l'abn�gation de votre position sociale. Vous �tes riche, jeune, libre; il faut vous remarier, vous cr�er une famille...

— Il ne s'agit pas de cela, r�pondit froidement sir Ralph. Comme je ne sais pas envelopper mes id�es dans des mots qui en alt�rent le sens, je vous dirai franchement ce que je pense. Il m'a sembl� que, depuis six mois, votre amiti� � tous deux s'�tait refroidie � mon �gard. Peut-�tre ai-je eu des torts que l'�paisseur de mon jugement m'a emp�ch� d'apercevoir. Si je me trompe, un {Perr 238} mot de vous suffira pour me rassurer; permettez-moi de vous suivre. Si j'ai d�m�rit� aupr�s de vous, il est temps de me le dire; vous ne devez pas, en m'abandonnant, me laisser le remords de n'avoir pas r�par� mes fautes.

Le colonel fut si �mu de cette na�ve et g�n�reuse ouverture, qu'il oublia toutes les susceptibilit�s d'amour-propre qui l'avaient �loign� de son ami. Il lui tendit la main, lui jura que son amiti� �tait plus sinc�re que jamais, et qu'il ne refusait ses offres que par discr�tion.

Madame Delmare gardait le silence. Ralph fit un effort pour obtenir un mot de sa bouche.

— Et vous, Indiana, lui dit-il d'une voix �touff�e, avez-vous encore de l'amiti� pour moi?

Ce mot r�veilla toute l'affection filiale, tous les souvenirs d'enfance, toutes les habitudes w d'intimit� qui unissaient leurs cœurs. Ils se jet�rent en pleurant dans les bras l'un de l'autre, et Ralph faillit s'�vanouir; car, dans ce corps robuste, dans ce temp�rament calme et r�serv�, fermentaient des �motions puissantes x. Il s'assit pour ne pas tomber, resta quelques instants silencieux et p�le; puis il saisit la main du colonel dans une des siennes, et celle de sa femme dans l'autre.

— À cette heure de s�paration peut-�tre �ternelle, leur dit-il, soyez francs avec moi. Vous refusez ma proposition de vous accompagner � cause de moi et non � cause de vous.

— Je vous jure sur l'honneur, dit Delmare, qu'en vous refusant je sacrifie mon bonheur y au v�tre.

— Pour moi, dit Indiana, vous savez que je voudrais ne jamais vous quitter.

— À Dieu ne plaise que je doute de votre sinc�rit� {Perr 239} dans un pareil moment! r�pondit Ralph; votre parole me suffit, je suis content de vous deux.

Et il disparut.

Six semaines apr�s, le brick la Coraly mettait � la voile dans le port de Bordeaux. Ralph avait �crit � ses amis qu'il serait dans cette ville vers les derniers jours de leur station, mais, selon sa coutume, dans un style si laconique, qu'il �tait impossible de savoir s'il avait l'intention de leur dire un dernier adieu ou celle de les accompagner. Ils l'attendirent vainement jusqu'� la derni�re heure, et le capitaine z donna le signal du d�part que Ralph e�t paru. Quelques aa pressentiments sinistres vinrent ajouter � la douleur morne qui pesait sur l'�me d'Indiana, lorsque les derni�res maisons du port s'effac�rent dans la verdure de la c�te. Elle fr�mit de songer qu'elle �tait d�sormais seule dans l'univers avec ce mari qu'elle ha�ssait, qu'il faudrait vivre et mourir avec lui sans un ami pour la consoler, sans un parent pour la prot�ger contre sa domination violente...

Mais, en se retournant, elle vit sur le point, derri�re elle, la paisible et bienveillante figure de Ralph qui lui souriait.

— Tu ne m'abandonnes donc pas, toi? lui dit elle en se jetant � son cou toute baign�e de larmes.

— Jamais! r�pondit Ralph en la pressant sur sa poitrine.


Variantes

  1. VI {RoDu}{Goss} ♦ XXII {Perr} et sq.
  2. son �me en songeant {RoDu} ♦ son �me; il songea {Goss} et sq.
  3. batailler sa libert� {RoDu} ♦ d�fendre sa libert� {Goss} et sq.
  4. non, il ne serrait {RoDu} ♦ non, il n'aurait {Goss} et sq.
  5. parente et priv�e du seul appui {RoDu} ♦ parente et perdait le seul appui {Goss} et sq.
  6. le tourbillon favorable {RoDu} ♦ le tourbillon {Goss} et sq.
  7. mais madame {RoDu} ♦ madame {Goss} et sq.
  8. Elle attendit le r�sultat de cette tentative dans sa voiture {RoDu}{Hetz} ♦ Elle attendit dans sa voiture {MLevy} et sq.
  9. elle se repentit d'avoir cru les apparences {RoDu} ♦ elle se repentit d'avoir cru aux apparences {Goss} et sq.
  10. ses d�dains {RoDu} ♦ des d�dains {Goss} et sq.
  11. au bord de l'eau {RoDu} ♦ au bord de la Seine {Goss} et sq.
  12. de cette disposition ph�nom�nale chez lui {RoDu} ♦ de cette disposition, prodigieuse chez lui {Goss} et sq.
  13. dont vous me parlez {RoDu}, {Goss} ♦ dont vous parlez {Perr} et sq.
  14. mais il {RoDu} ♦ il {Goss} et sq.
  15. abattu de {RoDu} ♦ abattu par {Goss} et sq.
  16. de cette ineffable libert� {RoDu} ♦ dans cette ineffable libert� {Goss} et sq.
  17. il r�fl�chit {RoDu} ♦ il songea {Goss} et sq.
  18. sans jamais en prendre m�me piti� {RoDu} sans jamais en prendre aucune piti� {Goss}{Perr} et sq.
  19. Et maintenant {RoDu} ♦ Maintenant {Goss} et sq.
  20. �lever encore la voix vers vous pour vous remercier {RoDu}, {Goss} ♦ �lever encore la voix pour vous remercier {Perr} et sq.
  21. des volupt�s c�lestes {RoDu}{Perr} ♦ de volupt�s c�lestes {Hetz} et sq.
  22. les femmes plus belles {RoDu}{Hetz} ♦ les femmes �taient plus belles {MLevy} et sq.
  23. toutes l'habitude {RoDu} ♦ toutes les habitudes {Goss} et sq.
  24. des sensations puissantes {RoDu}, {Goss} ♦ des �motions puissantes {Perr} et sq.
  25. mon bien-�tre {RoDu}, {Goss} ♦ mon bonheur {Perr} et sq.
  26. station, mais ils l'attendirent vainement, et le canon {RoDu} ♦ station, mais ils attendirent vainement, et le capitaine {Goss} ♦ station, mais, selon sa coutume, dans un style si laconique, qu'il �tait impossible de savoir s'il avait l'intention de leur dire un dernier adieu ou celle de les accompagner. Ils l'attendirent vainement jusqu'� la derni�re heure, et le capitaine {Perr} et sq.
  27. paru. Un sentiment p�nible et quelques{RoDu} ♦ paru. Quelques {Goss} et sq.

Notes