George Sand
INDIANA

George Sand; "Indiana" / Nouvelle �dition; Paris; Michel L�vy fr.; 1861; nombreuses r��d. Michel L�vy puis Calmann L�vy

TROISIÈME PARTIE

{Perr [215]} XXI a.

Il la trouva �veill�e; elle avait coutume de se lever de bonne heure, par suite des habitudes d'activit� laborieuse qu'elle avait contract�es dans l'�migration, et qu'elle n'avait point perdues en recouvrant son opulence.

En voyant Raymon p�le, agit�, entrer si tard chez elle en costume de bal, elle comprit qu'il se d�battait contre une des crises fr�quentes de sa vie orageuse. Elle avait toujours �t� sa ressource et son salut dans ces agitations, dont la trace n'�tait rest�e douloureuse et profonde que dans son cœur de m�re. Sa vie s'�tait fl�trie et us�e de tout ce que la vie de Raymon avait acquis et recouvr�. Le caract�re de ce fils imp�tueux et froid, raisonneur et passionn�, �tait une cons�quence de son in�puisable amour et de sa tendresse g�n�reuse pour lui. Il e�t �t� meilleur avec une m�re moins bonne; mais elle l'avait habitu� � profiter de tous les sacrifices qu'elle consentait � lui faire; elle lui avait appris � �tablir et � vouloir son propre bien-�tre aussi ardemment, aussi fortement qu'elle le voulait. Parce qu'elle se croyait faite pour le pr�server de tout chagrin et pour lui immoler tous ses int�r�ts, il s'�tait accoutum� � croire que le monde entier �tait fait pour lui, et devait venir se placer {Perr 216} dans sa main � un mot de sa m�re. À force de g�n�rosit�, elle n'avait r�ussi qu'� former un cœur �go�ste.

Elle p�lit, cette pauvre m�re, et, se soulevant sur son lit, elle le regarda avec anxi�t�. Son regard lui disait d�j� : « Que puis-je faire pour toi? o� faut-il que je coure? »

— Ma m�re, lui dit-il en saisissant la main s�che et diaphane qu'elle lui tendait, je suis horriblement malheureux, j'ai besoin de vous. D�livrez-moi des maux qui m'assi�gent. J'aime madame Delmare, vous le savez...

— Je ne le savais pas, dit madame de Rami�re d'un ton de tendre reproche.

— Ne cherchez pas � le nier, ma bonne m�re, dit Raymon, qui n'avait pas de temps � perdre; vous le saviez, et votre admirable d�licatesse vous emp�chait de m'en parler la premi�re. Eh bien, cette femme me met au d�sespoir, et ma t�te se perd.

— Parle donc, dit madame de Rami�re avec la vivacit� juv�nile que lui donnait l'ardeur de son amour maternel.

Je ne veux rien vous cacher, d'autant plus que cette fois, je ne suis pas coupable. Depuis plusieurs mois, je cherche � calmer sa t�te romanesque et � la ramener � ses devoirs; mais tous mes soins ne servent qu'� irriter cette soif de dangers, ce besoin d'aventures qui fermente dans le cerveau des femmes de son pays b. À l'heure o� je vous parle, elle est ici, dans ma chambre, malgr� moi, et je ne sais comment la d�cider � en sortir.

— Malheureuse enfant! dit madame de Rami�re en s'habillant � la h�te. Elle est si timide et si douce! je vais la voir, lui parler! c'est bien cela que tu viens me demander, n'est-ce pas?

{Perr 217} — Oui! Oui c! dit Raymon, que la tendresse de sa m�re attendrissait d lui-m�me; allez lui faire entendre le langage de la raison et de la bont�. Elle aimera sans doute la vertu dans votre bouche; elle se rendra peut-�tre � vos caresses; elle reprendra de l'empire sur elle-m�me, l'infortun�e! elle souffre tant!

Raymon se jeta dans un fauteuil et se mit � pleurer, tant les �motions diverses de cette matin�e avaient agit� ses nerfs. Sa m�re pleura avec lui, et ne se d�cida � descendre qu'apr�s l'avoir forc� de prendre quelques gouttes d'�ther.

Elle trouva Indiana qui ne pleurait pas, et qui se leva d'un air calme et digne en la reconnaissant. Elle s'attendait si peu � cette contenance noble et forte, qu'elle se sentit embarrass�e devant cette jeune femme, comme si elle lui e�t manqu� d'�gards en venant la surprendre dans la chambre de son fils.

Alors elle c�da � la sensibilit� profonde et vraie de son cœur, et elle lui tendit les bras avec effusion. Madame Delmare s'y jeta; son d�sespoir se brisa en sanglots amers, et ces deux femmes pleur�rent longtemps dans le sein l'une de l'autre.

Mais, quand madame de Rami�re voulut parler, Indiana l'arr�ta.

— Ne me dites rien, madame, lui dit-elle en essuyant ses larmes; vous ne trouveriez aucune parole qui ne me f�t du mal. Votre int�r�t et vos caresses suffisent � me prouver votre g�n�reuse affection ; mon cœur est soulag� autant e qu'il peut l'�tre. Maintenant, je me retire; je n'ai pas besoin de vos instances pour comprendre ce que j'ai � faire.

— Aussi ne suis-je pas venue pour vous renvoyer, mais pour vous consoler, dit madame de Rami�re.

{Perr 218} — Je ne puis �tre consol�e, r�pondit-elle en l'embrassant; aimez-moi, cela me fera un peu de bien ; mais ne me parlez pas. Adieu, madame; vous croyez en Dieu, priez-le pour moi.

— Vous ne vous en irez pas seule! s'�cria madame de Rami�re : je veux vous reconduire moi-m�me chez votre mari, vous justifier, vous d�fendre et vous prot�ger.

— G�n�reuse femme! dit Indiana en la pressant sur son cœur, vous ne le pouvez pas. Vous ignorez f seule le secret de Raymon ; tout Paris en parlera ce soir, et vous joueriez un r�le d�plac� dans cette histoire. Laissez-moi en supporter seule le scandale; je n'en souffrirai pas longtemps.

— Que voulez-vous dire? Commettriez-vous le crime d'attenter � votre vie? Ch�re enfant! vous aussi, vous croyez en Dieu.

— Aussi, madame, je pars pour l'�le Bourbon dans trois jours.

— Viens dans mes bras, ma fille ch�rie, viens, que je te b�nisse. Dieu r�compensera ton courage...

— Je l'esp�re, dit Indiana en regardant le ciel.

Madame de Rami�re voulut au moins envoyer chercher une voiture; mais Indiana s'y opposa. Elle voulait rentrer seule et sans bruit. En vain la m�re de Raymon s'effraya de la voir, si affaiblie et si boulevers�e, entreprendre � pied cette longue course.

— J'ai de la force, lui r�pondit-elle; une parole de Raymon a suffi pour m'en donner.

Elle s'enveloppa dans son manteau, baissa son voile de dentelle noire, et sortit de l'h�tel par une issue d�rob�e dont madame de Rami�re lui montra le chemin. Aux premiers pas qu'elle fit dans la rue, elle sentit ses {Perr 219} jambes tremblantes pr�tes � lui refuser le service; il lui semblait � chaque instant sentir la rude main de son mari furieux la saisir, la renverser et la tra�ner dans le ruisseau. Bient�t g le bruit du dehors, l'insouciance des figures qui se croisaient autour d'elle, et le froid p�n�trant du matin, lui rendirent la force et la tranquillit�, mais une force douloureuse, et une tranquillit� morne, semblable � celle qui s'�tend sur les eaux de la mer, et dont le matelot clairvoyant s'effraye plus que des soul�vements de la temp�te. Elle descendit le quai depuis l'Institut jusqu'au Corps L�gislatif; mais elle oublia de traverser le pont, et continua � longer la rivi�re, absorb�e dans une r�verie stupide, dans une m�ditation sans id�es, et poursuivant l'action sans but de marcher devant elle.

Insensiblement elle se trouva au bord de l'eau, qui charriait des gla�ons � ses pieds et les brisait avec un bruit sec et froid sur les pierres de la rive h. Cette eau verd�tre i exer�ait une force attractive sur les sens d'Indiana. On s'accoutume aux id�es terribles; � force de les admettre, on s'y pla�t. Il y avait si longtemps que l'exemple du suicide de Noun apaisait les heures de son d�sespoir, qu'elle s'�tait fait du suicide une sorte de volupt� tentatrice. Une seule pens�e, une pens�e religieuse, l'avait emp�ch�e de s'y arr�ter d�finitivement; mais dans cet instant aucune pens�e compl�te ne gouvernait plus son cerveau �puis�. Elle se rappelait � peine que Dieu exist�t, que Raymon e�t exist�, et elle marchait, se rapprochant toujours de la rive, ob�issant a l'instinct du malheur et au magn�tisme de la souffrance.

Quand elle sentit le froid cuisant de l'eau qui baignait d�j� sa chaussure, elle s'�veilla comme d'un �tat de somnambulisme j, et, cherchant des yeux o� elle �tait, elle {Perr 220} vit Paris derri�re elle, et la Seine qui fuyait sous ses pieds, emportant dans sa masse huileuse le reflet blanc des maisons et le bleu gris�tre du ciel. Ce mouvement continu de l'eau et l'immobilit� du sol se confondirent dans ses perceptions troubl�es, et il lui sembla que l'eau dormait et que la terre fuyait. Dans ce moment de vertige, elle s'appuya contre un mur, et se pencha, fascin�e, vers ce qu'elle prenait pour une masse solide... Mais les aboiements d'un chien qui bondissait autour d'elle vinrent la distraire et apporter quelques instants de retard � l'accomplissement de son dessein. Alors un homme qui accourait, guid� par la voix du chien, la saisit par le corps, l'entra�na, et la d�posa sur les d�bris d'un bateau abandonn� � la rive. Elle le regarda en face et ne le reconnut pas. Il se mit � ses pieds, d�tacha son manteau dont il l'enveloppa, prit ses mains dans les siennes pour les r�chauffer, et l'appela par son nom. Mais son cerveau �tait trop faible pour faire un effort : depuis quarante-huit heures, elle avait oubli� de manger.

Cependant, lorsque la chaleur revint un peu dans ses membres engourdis, elle vit Ralph � genoux devant elle, qui tenait ses mains et �piait le retour k de sa raison

— Avez-vous rencontr� Noun? lui dit-elle.

Puis elle ajouta, �gar�e par son id�e fixe :

— Je l'ai vue passer sur ce chemin (et elle montrait la rivi�re). J'ai voulu la suivre, mais elle allait trop vite, et je n'ai pas la force de marcher. C'�tait comme un cauchemar.

Ralph la regardait avec douleur. Lui aussi sentait l sa t�te se briser et son cerveau se fendre.

— Allons-nous-en, lui dit-il. m

— Allons-nous-en, r�pondit-elle; mais, auparavant, {Perr 221} cherchez mes pieds, que j'ai �gar�s l� sur ces cailloux.

Ralph s'aper�ut qu'elle avait les pieds mouill�s et paralys�s par le froid. Il l'emporta dans ses bras jusqu'� une maison hospitali�re, o� les soins d'une bonne femme lui rendirent la connaissance. Pendant ce temps, Ralph envoya pr�venir M. Delmare que sa femme �tait retrouv�e; mais le colonel n'�tait point rentr� chez lui lorsque cette nouvelle y arriva. Il continuait ses recherches avec une rage d'inqui�tude et de col�re. Ralph, mieux avis�, s'�tait rendu d�j� chez M de Rami�re; mais il avait trouv� Raymon, ironique et froid, qui venait de se mettre au lit. Alors il avait pens� � Noun, et il avait suivi la rivi�re dans un sens, tandis que son domestique l'explorait dans l'autre. Oph�lia avait saisi aussit�t la trace de sa ma�tresse, et elle avait guid� rapidement sir Ralph au lieu o� il l'avait trouv�e.

Lorsque Indiana n ressaisit la m�moire de ce qui s'�tait pass� pendant cette nuit mis�rable, elle chercha vainement � retrouver celle des instants de son d�lire. Elle n'aurait donc pu expliquer � son cousin quelles pens�es la dominaient une heure auparavant; mais il les devina, et comprit l'�tat de son cœur sans l'interroger. Seulement, il lui prit la main et lui dit d'un ton doux, mais solennel :

— Ma cousine, j'exige de vous une promesse : c'est le dernier t�moignage d'amiti� dont je vous importunerai.

— Parlez, r�pondit-elle; vous obliger est le dernier bonheur qui me reste.

— Eh bien, jurez-moi, reprit Ralph, de ne plus avoir recours au suicide sans m'en pr�venir. Je vous jure o sur l'honneur de ne m'y opposer en aucune mani�re. Je ne tiens qu'� �tre averti; quant au reste, je {Perr 222} m'en soucie aussi peu que vous, et vous savez que j'ai eu souvent la m�me id�e...

— Pourquoi me parlez-vous de suicide? dit madame Delmare. Je n'ai jamais voulu attenter � ma vie. Je crains Dieu; sans cela!...

Tout � l'heure, Indiana, quand je vous ai saisie dans mes bras, quand cette pauvre b�te (et il caressait Oph�lia) vous a retenue par votre robe, vous aviez oubli� Dieu et tout l'univers p, votre cousin Ralph comme les autres...

Une larme vint au bord de la paupi�re d'Indiana. Elle pressa la main de sir Ralph q.

— Pourquoi m'avez-vous arr�t�e? lui dit-elle tristement; je serais r maintenant dans le sein de Dieu, car je n'�tais pas coupable, je n'avais pas la conscience de ce que je faisais...

— Je l'ai bien vu, et j'ai pens� qu'il valait mieux se donner la mort avec r�flexion. Nous en reparlerons si vous voulez...

Indiana tressaillit. La voiture qui les conduisait s'arr�ta devant la maison o� elle devait retrouver son mari. Elle n'eut pas la force de monter les escaliers; Ralph la porta jusque dans sa chambre. Tout leur domestique �tait r�duit � une femme de service, qui �tait all�e commenter la fuite de madame Delmare dans le voisinage, et � Leli�vre, qui, en d�sespoir de cause, avait �t� s'informer � la Morgue des cadavres apport�s dans la matin�e. Ralph resta donc aupr�s de madame Delmare pour la soigner. Elle �tait en proie � de vives souffrances lorsque la sonnette, rudement �branl�e, annon�a le retour du colonel. Un frisson de terreur et de haine parcourut tout son sang. Elle prit brusquement le bras de son cousin :

{Perr 223} — Écoutez, Ralph, lui dit-elle, si vous avez un peu d'attachement pour moi, vous m'�pargnerez la vue de cet homme dans l'�tat o� je suis. Je ne veux pas lui faire piti�, j'aime mieux sa col�re que sa compassion... N'ouvrez pas, ou renvoyez-le; dites-lui que l'on ne m'a pas retrouv�e...

Ses l�vres tremblaient, ses bras se contractaient avec une �nergie convulsive pour retenir Ralph. Partag� entre deux sentiments contraires, le pauvre baronnet ne savait quel parti prendre. Delmare secouait la sonnette � la briser, et sa femme �tait mourante sur son fauteuil.

— Vous ne songez qu'� sa col�re, dit enfin Ralph, vous ne songez pas � ses tourments, � son inqui�tude; vous croyez toujours qu'il vous hait... Si vous aviez vu sa douleur ce matin!...

Indiana laissa retomber son bras avec accablement, et Ralph alla ouvrir.

— Elle est ici? cria le colonel en entrant. Mille sabords de Dieu! j'ai assez couru pour la retrouver : je lui suis fort oblig� du joli m�tier qu'elle me fait faire! Le ciel la confonde! Je ne veux pas la voir, car je la tuerais.

— Vous ne songez pas qu'elle vous entend, r�pondit Ralph � voix basse. Elle est dans un �tat � ne pouvoir supporter aucune �motion p�nible. Mod�rez-vous.

— Vingt-cinq mille mal�dictions! hurla le colonel, j'en ai bien support� d'autres, moi, depuis ce matin. Bien m'a pris d'avoir les nerfs comme des c�bles. O� est, s'il vous pla�t, le plus froiss�, le plus fatigu�, le plus justement malade d'elle ou de moi? Et o� l'avez-vous trouv�e? que faisait-elle? Elle est cause que j'ai outrageusement trait� cette vieille folle de Carvajal, qui me faisait des r�ponses ambigu�s et s'en prenait � moi {Perr 224} de cette belle �quip�e... Malheur! je suis �reint�!

En parlant ainsi de sa voix rauque et dure, Delmare s'�tait jet� sur une chaise dans l'antichambre; il essuyait son front baign� de sueur malgr� le froid rigoureux de la saison ; il racontait en jurant ses fatigues, ses anxi�t�s, ses souffrances; il faisait mille questions, et, heureusement, il n'�coutait pas les r�ponses s, car le pauvre Ralph ne savait pas mentir, et il ne voyait rien dans ce qu'il avait � raconter qui p�t apaiser le colonel. Il restait assis sur une table, impassible et muet comme s'il e�t �t� absolument �tranger aux angoisses de ces deux personnes, et cependant plus malheureux de leurs chagrins qu'elles-m�mes.

Madame Delmare, en entendant les impr�cations de son mari, se sentit plus forte qu'elle ne s'y attendait. Elle aimait mieux ce courroux qui la r�conciliait avec elle-m�me, qu'une g�n�rosit� qui e�t excit� ses remords. Elle essuya la derni�re trace de ses larmes, et rassembla un reste de force qu'elle ne s'inqui�tait pas d'�puiser en un jour, tant la vie lui pesait. Quand son mari l'aborda d'un air imp�rieux et dur, il changea tout d'un coup de visage et de ton, et se trouva contraint devant elle, mat� t par la sup�riorit� de son caract�re. Il essaya alors d'�tre digne et froid comme elle; mais il n'en put jamais venir � bout.

— Daignerez-vous m'apprendre, madame, lui dit-il, o� vous avez pass� la matin�e et peut-�tre la nuit?

Ce peut-�tre apprit � madame Delmare que son absence avait �t� signal�e assez tard. Son courage s'en augmenta.

— Non, monsieur, r�pondit-elle, mon intention n'est pas de vous le dire.

Delmare verdit de col�re et de surprise.

{Perr 225} — En v�rit�, dit-il d'une voix chevrotante, vous esp�rez me le cacher?

— J'y tiens fort peu, r�pondit-elle d'un ton glacial. Si je refuse de vous r�pondre, c'est absolument pour la forme. Je veux vous convaincre que vous n'avez pas le droit de m'adresser cette question.

— Je n'en ai pas le droit, mille couleuvres! Qui donc est le ma�tre ici, de vous ou de moi? qui donc porte une jupe et doit filer une quenouille? Pr�tendez-vous m'�ter la barbe du menton? Cela vous sied bien, femmelette!

— Je sais que je suis l'esclave et vous le seigneur. La loi de ce pays vous a fait mon ma�tre. Vous pouvez lier mon corps, garrotter mes mains, gouverner mes actions. Vous avez le droit du plus fort, et la soci�t� vous le confirme; mais sur ma volont�, monsieur, vous ne pouvez rien u, Dieu seul peut la courber et la r�duire. Cherchez donc une loi, un cachot, un instrument de supplice qui vous donne prise sur elle! c'est comme si vouliez manier l'air et saisir le vide!

— Taisez-vous, sotte et impertinente cr�ature; vos phrases de roman nous ennuient.

— Vous pouvez m'imposer silence, mais non m'emp�cher de penser.

— Orgueil imb�cile, morgue de vermisseau! vous abusez de la piti� qu'on a de vous! Mais vous verrez bien qu'on peut dompter ce grand caract�re sans se donner beaucoup de peine.

— Je ne vous conseille pas de le tenter, votre repos en souffrirait, votre dignit� n'y gagnerait rien.

— Vous croyez? dit-il en lui meurtrissant la main entre son index et son pouce.

— Je le crois, dit-elle sans changer de visage.

{Perr 226} Ralph fit deux pas, prit le bras du colonel dans sa main de fer, et le fit ployer comme un roseau en lui disant d'un ton pacifique :

— Je vous prie de ne pas toucher � un cheveu de cette femme.

Delmare eut envie de se jeter sur lui v; mais il sentit qu'il avait tort, et il ne craignait rien tant au monde que de rougir de lui-m�me. Il le repoussa en se contentant de lui dire :

— M�lez-vous de vos affaires.

Puis, revenant � sa femme :

— Ainsi, madame, lui dit-il en serrant ses bras contre sa poitrine pour r�sister � la tentation de la frapper, vous entrez en r�volte ouverte contre moi, vous refusez de me suivre � l'�le Bourbon, vous voulez vous s�parer? Eh bien, mordieu! moi aussi...

— Je ne le veux plus, r�pondit-elle. Je le voulais hier, c'�tait ma volont�; ce ne l'est plus ce matin. Vous avez us� de violence en m'enfermant dans ma chambre : j'en suis sortie par la fen�tre pour vous prouver que ne pas r�gner sur la volont� d'une femme, c'est exercer un empire d�risoire. J'ai pass� quelques heures hors de votre domination ; j'ai �t� respirer l'air de la libert� pour vous montrer que vous n'�tes pas moralement mon ma�tre et que je ne d�pends que de moi sur la terre. En me promenant, j'ai r�fl�chi que je devais � mon devoir et � ma conscience de revenir me placer sous votre patronage; je l'ai fait de mon plein gr�. Mon cousin m'a accompagn�e ici, et non pas ramen�e. Si je n'eusse pas voulu le suivre, il n'aurait pas su m'y contraindre, vous l'imaginez bien. Ainsi, monsieur, ne perdez pas votre temps � discuter avec ma conviction ; vous ne l'influencerez jamais, vous en avez perdu le droit d�s que vous {Perr 227} avez voulu y pr�tendre par la force. Occupez-vous w du d�part; je suis pr�te � vous aider et � vous suivre, non pas parce que telle est votre volont�, mais parce que telle est mon intention. Vous pouvez me condamner x, mais je n'ob�irai jamais qu'� moi-m�me.

— J'ai piti� du d�rangement de votre esprit, dit le colonel en haussant les �paules.

Et il se retira dans sa chambre pour mettre en ordre ses papiers, fort satisfait, au dedans de lui, de la r�solution de madame Delmare, et ne redoutant plus d'obstacles; car il respectait la parole de cette femme autant qu'il m�prisait ses id�es.


Variantes

  1. V {RoDu}{Goss} ♦ XXI {Perr} et sq.
  2. des femmes de son climat {RoDu}, {Goss} ♦ des femmes de son pays {Perr} et sq.
  3. Oh! oui {RoDu}{Perr} ♦ Oui! Oui {Hetz} et sq.
  4. attendrissait sur {RoDu} ♦ attendrissait {Goss} et sq.
  5. affection et � soulager mon cœur autant ♦ affection ; mon cœur est soulag� autant {Goss} et sq.
  6. Vous ignoriez {RoDu}, {Goss} ♦ Vous ignorez {Perr} et sq.
  7. Mais bient�t {RoDu} ♦ Bient�t {Goss} et sq.
  8. sur les pierres taill�es de ses rives {RoDu}, {Goss} ♦ sur les pierres de la rive {Perr} et sq.
  9. Cette eau verd�tre et fr�missante {RoDu}, {Goss} ♦ Cette eau verd�tre {Perr} et sq.
  10. comme d'un somnambulisme {RoDu} ♦ comme un somnambule {Goss} ♦ comme d'un �tat de somnambulisme {Perr} et sq.
  11. �piait dans ses yeux le retour {RoDu}, {Goss} ♦ �piait le retour {Perr} et sq.
  12. avec une douleur stupide. Lui aussi il sentait {RoDu}, {Goss} ♦ avec douleur. Lui aussi sentait {Perr} et sq.
  13. Cette phrase est manquante dans {CL} mais le contexte indique, comme Pierre Reboul l'avait remarqu�, q'il faut la r�tablir.
  14. Lorsqu'Indiana {RoDu}{Perr} ♦ Lorsque Indiana {Hetz} et sq.
  15. Je vous jure, moi {RoDu} ♦ Je vous jure {Goss} et sq.
  16. et par cons�quent tout l'univers {RoDu} ♦ et tout l'univers {Goss} et sq.
  17. Elle lui pressa la main {RoDu} ♦ Elle pressa la main de sir Ralph {Goss} et sq.
  18. lui dit-elle; je serais {RoDu} ♦ lui dit-elle tristement; je serais {Goss} et sq.
  19. la r�ponse {RoDu}, {Goss} ♦ les r�ponses {Perr} et sq.
  20. m�t� {RoDu}{Perr} ♦ mat� {Hetz} et sq.
  21. mais ma volont�, monsieur, vous n'y pouvez rien {RoDu} ♦ mais sur ma volont�, monsieur, vous ne pouvez rien {Goss} et sq.
  22. de le souffleter {RoDu}, {Goss} ♦ de se jeter sur lui {Perr} et sq.
  23. y pr�tendre. Occupez-vous {RoDu} ♦ y pr�tendre par la force. Occupez-vous {Goss} et sq.
  24. commander {RoDu}{Perr} ♦ condamner {Hetz} et sq.

Notes