George Sand
INDIANA

George Sand; "Indiana" / Nouvelle �dition; Paris; Michel L�vy fr.; 1861; nombreuses r��d. Michel L�vy puis Calmann L�vy

{RoDu t.I [163]; Perr [95]} DEUXIÈME PARTIE

{RoDu [259]; Perr [144]} XIV.

Lorsque les limiers furent lanc�s, Raymon s'�tonna de ce qui semblait se passer dans l'�me d'Indiana. Ses yeux et ses joues s'anim�rent; le gonflement de ses narines trahit je ne sais quel sentiment de terreur ou de plaisir, et tout � coup, quittant son c�t� et {RoDu 260} pressant avec ardeur les flancs de son cheval, elle s'�lan�a sur les traces de Ralph. Raymon ignorait que la chasse �tait la seule passion que Ralph et Indiana eussent en commun. Il ne se doutait pas non plus que, dans cette femme si fr�le et en apparence si timide, r�sid�t un courage a plus que masculin, cette sorte d'intr�pidit� d�lirante qui se manifeste parfois comme une crise nerveuse chez les �tres les plus faibles. Les femmes ont rarement le courage physique qui consiste � lutter d'inertie contre la douleur ou le danger; mais elles ont souvent le courage moral qui s'exalte avec le p�ril ou la souffrance. Les fibres d�licates d'Indiana appelaient surtout b les bruits, le mouvement rapide et l'�motion de la chasse, cette image abr�g�e de la guerre avec ses fatigues, ses ruses, ses calculs, ses combats et ses chances. Sa vie morne et rong�e d'ennuis avait besoin de ces excitations; alors elle semblait {RoDu 261} se r�veiller d'une l�thargie et d�penser en {Perr 145} un jour toute l'�nergie inutile qu'elle avait, depuis un an c, laiss�e fermenter dans son sang.

Raymon fut effray� de la voir courir ainsi, se livrant sans peur � la fougue de ce cheval qu'elle connaissait � peine, le lancer hardiment dans le taillis, �viter avec une adresse �tonnante d les branches dont la vigueur �lastique fouettait son visage, franchir les foss�s sans h�sitation, se hasarder avec confiance dans les terrains glaiseux et mouvants, ne s'inqui�tant pas de briser ses membres fluets, mais jalouse d'arriver la premi�re sur la piste fumante du sanglier. Tant de r�solution l'effraya et faillit le d�go�ter de madame Delmare. Les hommes, et les amants surtout, ont la fatuit� innocente de vouloir prot�ger la faiblesse plut�t que d'admirer le courage {RoDu 262} chez les femmes. L'avouerai-je? Raymon e se sentit �pouvant� de tout ce qu'un esprit si intr�pide promettait de hardiesse et de t�nacit� en amour. Ce n'�tait pas f dans le cœur r�sign� de la pauvre Noun, qui aimait mieux se noyer que de lutter contre son malheur.

— Qu'il y ait autant de fougue et d'emportement dans sa tendresse qu'il y en a dans ses go�ts, pensa-t-il, que sa volont� s'attache � moi, �pre et palpitante, comme son caprice aux flancs de ce sanglier, et, pour elle, la soci�t� n'aura point d'entraves, les lois, pas de force; il faudra que ma destin�e succombe, et que je sacrifie mon avenir � son pr�sent.

Des cris d'�pouvante et de d�tresse, parmi {RoDu 263} lesquels on pouvait distinguer la voix de madame Delmare, arrach�rent Raymon � ces r�flexions. Il poussa son cheval avec inqui�tude, et fut rejoint aussit�t par Ralph g, qui lui demanda s'il avait entendu ces cris d'alarme.

Aussit�t des piqueurs effar�s arriv�rent � eux en criant confus�ment que le sanglier avait fait t�te et renvers� {Perr 146} madame Delmare. D'autres chasseurs, plus �pouvant�s encore, arriv�rent en appelant sir Ralph, dont les secours �taient n�cessaires � la personne bless�e.

— C'est inutile, dit un dernier arrivant. Il n'y a plus d'esp�rance, vos soins viendraient trop tard.

{RoDu 264} Dans cet instant h d'effroi, les yeux de Raymon rencontr�rent le visage p�le et morne de M. Brown. Il ne criait pas, il n'�cumait point, il ne se tordait pas les mains; seulement, il prit son couteau de chasse, et, avec un sang-froid vraiment britannique, il s'appr�tait � se couper la gorge, lorsque Raymon lui arracha son arme et l'entra�na i vers le lieu d'o� partaient les cris.

Ralph parut sortir d'un r�ve en voyant madame Delmare s'�lancer vers lui et l'aider � voler au secours du colonel, qui �tait �tendu par terre et semblait priv� de vie. Il s'empressa de le saigner; car il se fut bient�t assur� qu'il n'�tait point mort; mais il avait la cuisse cass�e, et on le transporta au ch�teau.

Quant � madame Delmare, c'�tait par erreur qu'on l'avait nomm�e � la place de son {RoDu 265} mari dans le d�sordre de l'�v�nement, ou plut�t Ralph et Raymon avaient cru entendre le nom qui les int�ressait le plus.

Indiana n'avait �prouv� aucun accident, mais son effroi et sa consternation lui �taient presque la force de marcher. Raymon la soutint dans ses bras, et se r�concilia avec son cœur de femme en la voyant si profond�ment affect�e du malheur de ce mari � qui elle avait beaucoup � pardonner avant de le plaindre.

Sir Ralph avait d�j� repris son calme accoutum�; seulement, une r�leur extraordinaire r�v�lait la forte commotion qu'il avait �prouv�e; il avait failli perdre une des deux seules personnes qu'il aim�t.

Raymon, qui, dans cet instant de trouble et de d�lire, {Perr 147} avait seul conserv� assez de raison pour comprendre ce qu'il voyait, avait {RoDu 266} pu juger quelle �tait l'affection de Ralph pour sa cousine, et combien peu elle �tait balanc�e par celle qu'il �prouvait pour le colonel. Cette remarque, qui d�mentait positivement l'opinion d'Indiana, n'�chappa point � la m�moire de Raymon comme � celle des autres t�moins de cette sc�ne.

Pourtant Raymon ne parla jamais � madame Delmare de la tentative de suicide dont il avait �t� t�moin. Il y eut j dans cette discr�tion k quelque chose d'�go�ste et de haineux que vous pardonnerez peut-�tre au sentiment de jalousie amoureuse qui l'inspira.

Ce fut avec beaucoup de peine qu'on transporta le colonel au Lagny au bout de six semaines; mais plus de six mois s'�coul�rent ensuite sans qu'il p�t marcher; car � la rupture � peine ressoud�e l du f�mur vint se joindre {RoDu 267} un rhumatisme aigu dans la partie malade, qui le condamna � d'atroces douleurs et � une immobilit� compl�te. Sa femme lui prodigua les soins les plus doux; elle ne quitta pas son chevet, et sans supporta sans se plaindre son humeur �cre et chagrine m, ses col�res de soldat et ses injustices de malade.

Malgr� les ennuis d'une si triste existence, sa sant� refleurit fra�che et brillante, et le bonheur vint habiter son cœur. Raymon l'aimait, il l'aimait r�ellement. Il venait tous les jours; il ne se rebutait d'aucune difficult� pour la voir, il supportait les infirmit�s du mari, la froideur du cousin, la contrainte des entrevues. Un regard de lui mettait de la joie pour tout un jour dans le cœur d'Indiana. Elle ne songeait plus � se plaindre de la vie; son �me �tait remplie, sa jeunesse �tait occup�e, sa force morale avait un aliment.

{RoDu 268} Insensiblement le colonel prit de l'amiti� pour Raymon. {Perr 148} Il eut la simplicit� de croire que cette assiduit� �tait une preuve de l'int�r�t que son voisin prenait � sa sant�. Madame de Rami�re vint aussi quelquefois sanctionner cette liaison par sa pr�sence, et Indiana s'attacha � la m�re de Raymon avec enthousiasme et passion. Enfin l'amant de la femme devint l'ami du mari.

Dans ce rapprochement n continuel, Raymon et Ralph arriv�rent forc�ment � une sorte d'intimit�; ils s'appelaient « mon cher ami ». Ils se donnaient la main soir et matin. Avaient-ils un l�ger service � se demander r�ciproquement, leur phrase accoutum�e �tait celle-ci : « Je compte assez sur votre bonne amiti�, etc. »

{RoDu 269} Enfin, lorsqu'ils parlaient l'un de l'autre, ils disaient : « C'est mon ami. »

Et, quoique ce fussent deux hommes aussi francs qu'il soit possible de l'�tre dans le monde, ils ne s'aimaient pas du tout. Ils diff�raient essentiellement d'avis sur tout; aucune sympathie ne leur �tait commune; et si tous deux aimaient madame Delmare, c'�tait d'une mani�re si diff�rente, que ce sentiment les divisait au lieu de les rapprocher, Ils go�taient un singulier plaisir � se contredire, et � troubler autant que possible l'humeur l'un de l'autre par des reproches qui, pour �tre lanc�s comme des g�n�ralit�s dans la conversation, n'en avaient pas moins d'aigreur et d'amertume.

Leurs principales contestations et les plus fr�quentes commen�aient par la politique et {RoDu 270} finissaient par la morale. C'�tait le soir, lorsqu'ils se r�unissaient autour du fauteuil de M. Delmare, que la dispute s'�levait sur le plus mince pr�texte. On gardait o toujours les �gards apparents que la philosophie imposait � l'un, que l'usage du monde inspirait � l'autre; mais on se disait p pourtant, {Perr 149} sous le voile de l'allusion, des choses dures qui amusaient le colonel; car il �tait de nature guerri�re et querelleuse, et, � d�faut de batailles, il aimait les disputes.

Moi, je crois que l'opinion politique d'un homme, c'est l'homme tout entier. Dites-moi votre cœur et votre t�te, et je vous dirai vos opinions politiques. Dans quelque rang ou quelque parti que le hasard nous ait fait na�tre, notre caract�re l'emporte t�t ou tard sur les pr�jug�s ou les croyances de l'�ducation. Vous me trouverez peut-�tre absolu; mais comment pourrais-je me d�cider � {RoDu 273} augurer bien d'un esprit qui s'attache � de certains syst�mes que la g�n�rosit� repousse? Montrez-moi un homme qui soutienne l'utilit� de la peine de mort, et, quelque consciencieux et �clair� qu'il soit, je vous d�fie d'�tablir jamais aucune sympathie entre lui et moi. Si cet homme veut m'enseigner des v�rit�s que j'ignore, il n'y r�ussira point; car il ne d�pendra pas de moi de lui accorder ma confiance.

Ralph et Raymon diff�raient sur tous les points, et pourtant ils n'avaient pas, avant de se conna�tre, d'opinions exclusivement arr�t�es. Mais, du moment qu'ils furent aux prises, chacun saisissant le contre-pied de ce qu'avan�ait l'autre, ils se firent chacun une conviction compl�te, in�branlable. Raymon fut en toute occasion le champion de la soci�t� existante, Ralph en attaqua l'�difice sur tous les points.

{RoDu 274} Cela �tait simple : Raymon �tait heureux et parfaitement trait�, Ralph n'avait connu de la vie que ses maux et ses d�go�ts; l'un trouvait tout fort bien, l'autre �tait m�content de tout. Les hommes et les choses avaient maltrait� Ralph et combl� Raymon ; et, comme deux enfants, Ralph et Raymon rapportaient tout � eux-m�mes, s'�tablissant juges en dernier ressort des grandes {Perr 150} questions de l'ordre social, eux qui n'�taient comp�tents ni l'un ni l'autre.

Ralph allait donc toujours soutenant son r�ve de r�publique d'o� il voulait exclure tous les abus, tous les pr�jug�s, toutes les injustices; projet fond� tout entier sur l'espoir d'une nouvelle race d'hommes. Raymon soutenait sa doctrine de monarchie h�r�ditaire, aimant mieux, disait-il, supporter les abus, les pr�jug�s et les injustices, que de voir relever les �chafauds et couler le sang innocent.

{RoDu 275} Le colonel �tait presque toujours du parti de Ralph en commen�ant la discussion. Il ha�ssait les Bourbons et mettait dans ses opinions toute l'animosit� de ses sentiments. Mais bient�t Raymon le rattachait avec adresse � son parti en lui prouvant que la monarchie �tait, comme principe, bien plus pr�s de l'Empire que de la R�publique. Ralph avait si peu le talent de la persuasion, il �tait si candide, si maladroit, le pauvre baronnet! sa franchise �tait si raboteuse, sa logique si aride, ses principes si absolus! Il ne m�nageait personne, il n'adoucissait aucune v�rit�.

— Parbleu! disait-il au colonel lorsque celui-ci maudissait l'intervention de l'Angleterre, que vous a donc fait � vous, homme de bon sens et de raisonnement, je suppose, toute une nation qui a combattu loyalement contre vous?

{RoDu 276} — Loyalement? r�p�tait Delmare en serrant les dents et en brandissant sa b�quille.

— Laissons les questions de cabinet se r�soudre de puissance � puissance, reprenait sir Ralph, puisque nous avons adopt� un mode de gouvernement qui nous interdit de discuter nous-m�mes nos int�r�ts. Si une nation {Perr 151} est responsable des fautes de sa l�gislature, laquelle trouverez-vous plus coupable que la v�tre?

— Aussi, monsieur, s'�criait le colonel, honte � la France, qui a abandonn� Napol�on, et qui a subi un roi proclam� par les ba�onnettes �trang�res!

— Moi, je ne dis pas honte � la France, reprenait Ralph; je dis malheur � elle! Je la plains de s'�tre trouv�e si faible et si malade, le jour ou elle fut purg�e de son tyran, qu'elle fut oblig�e d'accepter votre lambeau {RoDu 277} de Charte constitutionnelle, haillon r de libert� que vous commencez � respecter, aujourd'hui qu'il faudrait le jeter s et reconqu�rir votre libert� tout enti�re... t

Alors Raymon relevait le gant que lui jetait sir Ralph. Chevalier de la Charte, il voulait �tre aussi celui de la libert�, et il prouvait merveilleusement � Ralph que l'une �tait l'expression de l'autre; que, s'il brisait la Charte, il renversait lui-m�me son idole. En vain le baronnet se d�battait dans les arguments vicieux dont l'enla�ait M. de Rami�re; celui-ci d�montrait admirablement qu'un syst�me plus large de franchises menait infailliblement aux exc�s de 93, et que la nation n'�tait pas encore mure pour la libert�, qui n'�tait pas la licence. Et, lorsque sir Ralph pr�tendait qu'il �tait absurde de vouloir emprisonner une constitution dans un nombre donn� d'articles, que ce qui suffisait d'abord {RoDu 278} devenait insuffisant plus tard, s'appuyant de l'exemple du convalescent, dont les besoins augmentent chaque jour, � tous ces lieux communs que ressassait lourdement M. Brown, Raymon r�pondait que la Charte n'�tait pas un cercle inflexible, qu'il s'�tendrait avec les besoins de la France, lui donnant une �lasticit� qui, disait-il, se pr�terait plus tard aux exigences nationales, mais qui ne se pr�tait r�ellement qu'� celles de la couronne.

{Perr 152} Pour Delmare, il n'avait pas u fait un pas depuis 1815. C'�tait un stationnaire aussi encro�t�, aussi opini�tre que les �migr�s de Coblentz, �ternelles victimes de son ironie haineuse. Vieil enfant v, il n'avait rien compris dans le grand drame de la chute de Napol�on. Il n'avait vu qu'une chance de la guerre l� o� la puissance de l'opinion w avait triomph�. Il parlait toujours de trahison et de patrie vendue, comme si une nation {RoDu 279} enti�re pouvait trahir un seul homme x comme si la France se f�t laiss� y vendre par quelques g�n�raux. Il accusait les Bourbons de tyrannie et regrettait les beaux jours de l'Empire, o� les bras manquaient � la terre et le pain aux familles z. Il d�clamait contre la police de Franchet, et vantait celle de Fouch�. Cet homme �tait toujours au lendemain de aa Waterloo.

C'�tait vraiment chose curieuse que d'entendre les niaiseries sentimentales ab de Delmare et de M. de Rami�re, tous les deux philanthropes r�veurs, l'un sous l'�p�e de Napol�on, l'autre sous le sceptre de saint Louis; M. Delmare, plant� au pied des Pyramides; Raymon, assis sous le monarchique ombrage du ch�ne de Vincennes. Leurs utopies, qui se heurtaient d'abord, finissaient par se comprendre : Raymon engluait le colonel avec ses phrases {RoDu 280} chevaleresques; pour une concession, il en exigeait dix et il l'habituait insensiblement � voir vingt-cinq ans de victoires monter en spirale sous les plis du drapeau blanc. Si Ralph n'avait pas jet� sans cesse sa brusquerie et sa rudesse ab dans la rh�torique fleurie de M. de Rami�re, celui-ci e�t infailliblement conquis Delmare au tr�ne de 1815; mais Ralph froissait son amour-propre, et la maladroite franchise qu'il mettait � �branler son opinion ne faisait que l'ancrer dans ses convictions imp�riales. Alors tous les efforts de M. de {Perr 153} Rami�re �taient perdus; Ralph marchait lourdement sur les fleurs de son �loquence, et le colonel revenait avec acharnement � ses trois couleurs. Il jurait d'en secouer un beau jour la poussi�re, il crachait sur les lis, il ramenait le duc de Reichstadt sur le tr�ne de ses p�res; il recommen�ait la {RoDu 281} conqu�te du monde, et finissait toujours par se plaindre de la honte qui pesait sur la France, des rhumatismes qui le clouaient sur son fauteuil, et de l'ingratitude des Bourbons pour les vieilles moustaches qu'avait br�l�es le soleil du d�sert, et qui s'�taient h�riss�es des gla�ons de la Moscova.

— Mon pauvre ami! ad disait Ralph, soyez donc juste ae : vous trouvez mauvais que la Restauration n'ait pas pay� les services rendus � l'Empire et qu'elle salarie af ses �migr�s. Dites-moi, si Napol�on pouvait revivre demain dans toute sa puissance ag, trouveriez-vous bon qu'il vous repouss�t ah de sa faveur et qu'il en fit jouir les partisans de la l�gitimit�? Chacun pour soi et pour les siens; ce sont l� des discussions d'affaires, des d�bats d'int�r�t personnel, qui int�ressent fort peu la France, aujourd'hui que vous �tes presque aussi invalide ai que les voltigeurs de l'�migration, {RoDu 282} et que tous, goutteux, mari�s ou boudeurs, vous lui �tes �galement inutiles. Cependant, il faut qu'elle vous nourrisse tous, et c'est � qui de vous se plaindra d'elle. Quand viendra le jour de la R�publique, elle s'affranchira de toutes vos exigences, et ce sera justice.

Ces choses communes, mais �videntes, offensaient le colonel comme autant d'injures personnelles, et Ralph, qui, avec tout son bon sens, ne comprenait pas que la petitesse d'esprit d'un homme qu'il estimait p�t aller aussi loin, s'habituait � le choquer sans m�nagement aj.

Avant l'arriv�e de Raymon, entre ces deux hommes {Perr 154} il y avait une convention ak tacite d'�viter tout sujet de contestation d�licate, o� des int�r�ts irritables eussent pu se froisser mutuellement. Mais Raymon apporta al dans leur solitude toutes les subtilit�s de langage, {RoDu 283} toutes les petitesses perfides de la civilisation. Il leur apprit am qu'on peut tout se dire, tout se reprocher, et se retrancher toujours derri�re le pr�texte de la discussion an. Il introduisit chez eux l'usage de disputer ao, alors tol�r� dans les salons, parce que les passions haineuses des Cent-Jours avaient fini par s'amortir et se fondre ap en nuances diverses. Mais le colonel avait conserv� toute la verdeur des siennes, et Ralph tomba dans une grande erreur en pensant qu'il pourrait entendre le langage de la raison. M. Delmare s'aigrit de jour en jour contre lui, et se rapprocha de Raymon, qui, sans faire de concessions trop larges, savait prendre des formes gracieuses pour m�nager son amour-propre aq.

C'est une grande imprudence d'introduire ar la politique comme passe-temps dans l'int�rieur des familles. S'il en existe encore {RoDu 284} aujourd'hui de paisibles et d'heureuses, je leur conseille de ne s'abonner � aucun journal, de ne pas lire le plus petit article du budget, de se retrancher au fond de leurs terres comme dans une oasis as, et de tracer une ligne infranchissable entre elles et le reste de la soci�t�; car, si elles at laissent le bruit de nos contestations arriver jusqu'� elles, c'en est fait de leur union et de leur repos. On n'imagine pas ce que les divisions d'opinions apportent d'aigreur et de fiel entre les proches; ce n'est la plupart du temps qu'une occasion de se reprocher au les d�fauts du caract�re, les travers de l'esprit et les vices av du cœur. aw

On n'e�t pas os� se traiter de fourbe, d'imb�cile, d'ambitieux et de poltron. On enferme les m�mes id�es {Perr 155} sous le nom ax de j�suite, de royaliste, de r�volutionnaire et de juste-milieu. Ce sont d'autres mots mais ce sont les m�mes injures, d'autant plus {RoDu 285} poignantes qu'on s'est permis r�ciproquement de se poursuivre, sans retenue. Alors plus de tol�rance pour les fautes mutuelles, plus d'esprit de charit�, plus de r�serve g�n�reuse et d�licate; on ne se passe plus rien, on rapporte tout � un sentiment politique, et sous ce masque, on exhale sa haine et sa vengeance. Heureux habitants des campagnes, s'il est encore des campagnes en France, fuyez, fuyez la politique, et lisez Peau d'�ne en famille!... Mais telle est la contagion, qu'il n'est plus de retraite assez obscure, de solitude assez profonde pour cacher et prot�ger l'homme qui veut soustraire son cœur d�bonnaire aux orages de nos discordes civiles.

Le petit ch�teau de la Brie s'�tait en vain d�fendu quelques ann�es contre cet envahissement funeste; il perdit enfin son insouciance, {RoDu 286} sa vie int�rieure et active, ses longues soir�es de silence et de m�ditation. Des disputes bruyantes r�veill�rent ses �chos endormis, des paroles d'amertume et de menace effray�rent les ch�rubins fan�s qui souriaient depuis cent ans dans la poussi�re des lambris. Les �motions de la vie actuelle p�n�tr�rent dans cette vieille demeure, et toutes ces recherches surann�es, tous ces d�bris d'une �poque de plaisir et de l�g�ret�, virent, avec terreur, passer notre �poque de doutes et de d�clamations, repr�sent�e par trois personnes qui s'enfermaient ensemble chaque jour pour se quereller du matin au soir.


Variantes

  1. ce courage {RoDu} ♦ un courage {Goss} et sq.
  2. d'Indiana �taient impr�ssionn�s surtout par {RoDu} ♦ d'Indiana appelaient surtout {Goss} et sq.
  3. depuis un mois {RoDu}, {Goss} ♦ depuis un an {Perr} et sq.
  4. avec une admirable adresse, une sagacit� �tonnante {RoDu}, {Goss} ♦ avec une adresse �tonnante {Perr} et sq.
  5. chez les femmes. Et puis le cœur humain a des secrets qu'un romancier ne devrait peut-�tre pas p�n�trer pour la beaut� de ses caract�res et la po�sie de ses portraits. Pour moi, qui ai promis de vous dire tout, je vous avouerai que Raymon {RoDu} ♦ chez les femmes. L'avouerai-je? Raymon {Goss} et sq.
  6. Ce n'�tait pas l� {RoDu}{Perr} ♦ Ce n'�tait pas {Hetz}et sq.
  7. par sir Ralph {RoDu} ♦ par Ralph {Goss} et sq.
  8. trop tard; emmenez sir Ralph. / Et ces amis officieux, sans respect pour ses anxi�t�s mortelles, voulurent le retenir et firent autour de Raymon et de lui une r�sistance d�sesp�rante. / Dans cet instant {RoDu}, {Goss} ♦ trop tard. / Dans cet instant {Perr} et sq.
  9. son arme, dispersa en jurant les importuns, et l'entra�na {RoDu} ♦ son arme, dispersant en jurant les importuns, et l'entra�na {Goss} ♦ son arme et l'entra�na {Perr} et sq.
  10. de suicide qui s'�tait empar� tout-�-coup de M. Brown. Il y eut {RoDu} ♦ de suicide dont il avait �t� t�moin. Il y eut {Goss} et sq.
  11. cette restriction {RoDu} ♦ cette discr�tion {Goss} et sq.
  12. {CL} donne resoud�; Pierre Salomon a relev� cette erreur.
  13. ses humeurs �cres et chagrines {RoDu} ♦ son humeur �cre et chagrine {Goss} et sq.
  14. du mari. Vous voyez que je vous raconte une histoire extr�mement vraisemblable et que je confirme l'exp�rience de tous les jours. / Dans ce rapprochement {RoDu} ♦ du mari. / Dans ce rapprochement {Goss} et sq.
  15. On y gardait {RoDu} ♦ On gardait {Goss} et sq.
  16. on s'y disait {RoDu} ♦ on se disait {Goss} et sq.
  17. ou dans quelque parti {RoDu} ♦ ou quelque parti {Goss} et sq.
  18. Ici commence le fragment de manuscrit — deux pages num�rot�es 121 et 122 — retrouv� par Pierre Reboul (voir l'�dition de Pierre Salomon, classiques Garnier).
  19. haillon que vous commencez � respecter aujourd'hui qu'il faudrait le jetter ce haillon de libert� {Ms} 1�re r�daction ♦ haillon de libert� que vous commencez � respecter, aujourd'hui qu'il faudrait le jeter {RoDu} et sq.
  20. votre libert� enti�re! {Ms} 1�re r�daction ♦ votre libert� tout enti�re... {RoDu} et sq.
  21. votre libert� tout enti�re... / Mais Delmare n'avait pas {Ms} Pierre Salomon supposait que le paragraphe : Alors Raymon [...] de la couronne a �t� ajout� sur �preuves. ♦ votre libert� tout enti�re... / Alors Raymon [...] de la couronne. / Mais Delmare n'avait pas {RoDu} ♦ votre libert� [... comme {RoDu}] de la couronne. / Pour Delmare, il n'avait pas {Goss} et sq.
  22. Vieux enfant {Ms}, {RoDu} ♦ Vieil enfant {Goss} et sq.
  23. une puissance d'opinion {Ms} 1�re r�daction ♦ la puissance d'opinion {RoDu} ♦ la puissance de l'opinion {Goss} et sq.
  24. une nation enti�re avait p�ri en abandonnant son chef {Ms} 1�re r�daction ♦ une nation enti�re avait �t� coupable de l'abandon de Napol�on {Ms} 2�me r�daction ♦ une nation enti�re pouvait trahir un seul homme ♦ une nation enti�re pouvait trahir un seul homme {Goss} et sq.
  25. laiss�e {Ms} 1�re r�daction ♦ laiss� {RoDu} et sq.
  26. aux familles priv�es d'appui {Ms} 1�re r�daction ♦ aux famille {RoDu} et sq.
  27. Cet homme n'avait pas vieilli s'un jour de {Ms} 1�re r�daction incompl�te ♦ Cet homme en �tait toujours au lendemain de {Ms} 2�me r�daction ♦ Cet homme �tait toujours au lendemain de {RoDu} et sq.
  28. niaiseries politico-sentimentales {RoDu} ♦ niaiseries sentimentales {Goss} et sq.
  29. sa rudesse et sa brusquerie {RoDu} ♦ sa brusquerie et sa rudesse {Goss} et sq.
  30. au lendemain de Waterloo / — Mon pauvre ami! {Ms} Pierre Salomon supposait que le paragraphe C'�tait vraiment [..] de la Moscova fut ajout� sur �preuves ♦ au lendemain de Waterloo / C'�tait vraiment [..] de la Moscova / — Mon pauvre ami! {RoDu} et sq.
  31. disait Ralph, rendez-vous donc justice, vous voil� vieux, malade, [accabl� de rhum ray�] go�teux {Ms} 1�re r�daction ♦ disait Ralph, soyez donc juste {RoDu} et sq.
  32. [paye ray�] salarie {Ms} 1�re r�daction ♦ salarie {RoDu} et sq.
  33. dans [toute ray�] sa puissance {Ms} 1�re r�daction ♦ dans sa puissance {RoDu} et sq.
  34. [chass�t ray�] repouss�t {Ms} ♦ repouss�t {RoDu} et sq.
  35. presqu'aussi invalides {Ms} 1�re r�daction ♦ presque aussi invalide {RoDu} et sq.
  36. sans remords et sans m�nagement {Ms} 1�re r�daction ♦ sans m�nagement {RoDu} et sq.
  37. Avant l'arriv�e de Raymon dans cette famille une paix profonde r�gnait entre ces deux hommes. Il y avait entre eux une convention {Ms} 1�re r�daction ♦ Avant l'arriv�e de Raymon il y avait entre ces deux hommes une convention {Ms} 2�me r�daction ♦ Avant l'arriv�e de Raymon, entre ces deux hommes il y avait une convention {RoDu} et sq.
  38. Raymon avait apport� {Ms} 1�re r�daction ♦ Raymon apporta {RoDu} et sq.
  39. Il leur avait appris {Ms} 1�re r�daction ♦ Il leur apprit {RoDu} et sq.
  40. le pr�texte des g�n�ralit�s {Ms} 1�re r�daction ♦ le pr�texte de la discussion {RoDu} et sq.
  41. Il avait introduit l'usage de la dispute {Ms} 1�re r�daction ♦ Il introduisit chez eux l'usage de disputer {RoDu} et sq.
  42. des Cent-Jours commen�aient � s'amortir et � se fondre {Ms} 1�re r�daction ♦ des Cent-Jours avaient fini par s'amortir et se fondre {RoDu} et sq.
  43. m�nager l'amour-propre {Ms} 1�re r�daction ♦ m�nager son amour-propre {RoDu} et sq.
  44. que d'introduire {Ms} d'introduire ♦ {RoDu} et sq.
  45. un oasis {Ms} ♦ une oasis {RoDu} et sq.
  46. mais, si elles {Ms} 1�re r�daction ♦ car, si elles {RoDu} et sq.
  47. une occasion de se quereller, un prestexte pour se reprocher {Ms} 1�re r�daction ♦ une occasion de se reprocher {RoDu} et sq. (sauf {MLevy} et sq. qui ont pour le�on : une occasion de se reprocher?)
  48. l'esprit ou les vices {Ms}, {RoDu}, {Goss} ♦ l'esprit et les vices {Perr} et sq.
  49. ici se termine la p.122 de {Ms}.
  50. sous les noms {RoDu}, {Goss} ♦ sous le nom {Perr} et sq.

Notes