George Sand
INDIANA

George Sand; "Indiana" / Nouvelle �dition; Paris; Michel L�vy fr.; 1861; nombreuses r��d. Michel L�vy puis Calmann L�vy

{RoDu t.I n.p.; Perr [13]; ML61 [17]} PREMIÈRE PARTIE

{RoDu [114 bl.], [115]; Perr [71]} VII.

Le lendemain, Raymon a re�ut � son r�veil une seconde lettre de Noun. Celle-l�, il b ne la rejeta point avec d�dain; il l'ouvrit, au contraire, avec empressement : elle c pouvait lui parler de madame Delmare. Il en �tait question en effet; mais d dans quel embarras {RoDu 116} cette complication d'intrigues jetait Raymon! Le secret de la jeune fille devenait impossible � cacher. D�j� la souffrance et l'effroi avaient maigri ses joues; madame Delmare s'apercevait de cet �tat maladif sans en p�n�trer la cause. Noun craignait la s�v�rit� du colonel, mais plus encore la douceur de sa ma�tresse. Elle savait bien qu'elle obtiendrait son pardon; mais e elle se mourait de honte et de douleur d'�tre forc�e � cet aveu. Qu'allait-elle devenir si f Raymon ne prenait soin de la soustraire aux humiliations qui devaient l'accabler! Il g fallait qu'il s'occup�t h d'elle enfin, ou elle allait se jeter aux pieds de madame Delmare et lui tout d�clarer.

Cette crainte agit puissamment sur M. de Rami�re. Son premier soin fut d'�loigner Noun de sa ma�tresse.

— Gardez-vous de parler sans mon aveu, lui r�pondit-il. T�chez d'�tre au Lagny ce soir; j'y serai.

En s'y rendant, il r�fl�chit � la conduite {RoDu 117} qu'il devait tenir. Noun avait assez de bon sens pour ne pas compter {Perr 71} sur une r�paration impossible. Elle n'avait jamais os� prononcer le mot de mariage, et, parce qu'elle �tait discr�te et g�n�reuse, Raymon se croyait moins coupable. Il se disait qu'il ne l'avait point tromp�e, et que Noun avait d� pr�voir son sort plus d'une fois. Ce qui causait l'embarras de Raymon, ce n'�tait pas d'offrir la moiti� de sa fortune � la pauvre fille; il i �tait pr�t � l'enrichir, � prendre d'elle tous les soins que la d�licatesse lui sugg�rait. Ce qui rendait sa situation si p�nible, c'�tait d'�tre forc� de lui dire qu'il ne l'aimait plus; car j il ne savait pas tromper. Si sa conduite, en k ce moment, paraissait double et perfide, son cœur �tait sinc�re comme il l'avait toujours �t�. Il avait aim� Noun avec les sens; il l aimait madame Delmare de toute son �me. Il n'avait menti jusque-l� ni � l'une ni � l'autre. Il s'agissait de ne pas commencer � mentir, et Raymon se sentait �galement incapable {RoDu 118} d'abuser la pauvre Noun et de lui porter le coup du d�sespoir. Il fallait choisir entre une l�chet� et une barbarie. Raymon �tait bien malheureux. Il arriva � la porte du parc du Lagny sans avoir rien d�cid�.

De son c�t�, Noun, qui n'esp�rait peut-�tre pas une si prompte r�ponse, avait repris un peu d'espoir.

— Il m m'aime encore, se disait-elle, il n ne veut pas m'abandonner. Il m'avait un peu oubli�e, c'est tout simple : � o Paris, au milieu des f�tes, aim� de toutes les femmes, comme il doit l'�tre, il s'est laiss� entra�ner quelques instants loin de la pauvre Indienne. H�las! qui suis-je pour p qu'il me sacrifie tant de grandes dames plus belles et plus riches que moi? Qui sait? se disait-elle na�vement, peut-�tre que la reine de France est amoureuse de lui.

À force de penser aux s�ductions que le luxe devait {Perr 72} exercer sur son amant, Noun s'avisa d'un moyen pour lui plaire davantage. Elle se para des atours de sa ma�tresse, {RoDu 119} alluma un grand feu dans la chambre que madame Delmare occupait au Lagny, para la chemin�e des plus belles fleurs qu'elle put trouver dans la serre chaude q, pr�para une collation de fruits et de vins fins, appr�ta en un mot toutes les recherches du boudoir auxquelles elle n'avait jamais song�; et, quand r elle se regarda dans un grand panneau de glace, elle se rendit justice en se trouvant plus jolie que les fleurs dont elle avait cherch� � s'embellir.

— Il m'a souvent r�p�t�, se disait-elle, que je n'avais pas besoin de parure pour �tre belle, et qu'aucune femme de la cour, dans tout l'�clat de ses diamants, ne valait un de mes sourires. Pourtant s ces femmes qu'il d�daignait l'occupent maintenant. Voyons, soyons gaie, ayons l'air vif et joyeux; peut-�tre que je ressaisirai cette nuit tout l'amour que je lui avais inspir�.

Raymon, ayant laiss� son cheval � une petite maison de charbonnier dans la for�t, {RoDu 120} p�n�tra dans le parc, dont t il avait une clef. Cette fois, il u ne courait plus le risque d'�tre pris pour un voleur; presque v tous les domestiques avaient suivi leurs ma�tres; il avait mis le jardinier dans sa confidence w, et il connaissait tous les abords du Lagny comme ceux de sa propre demeure.

La nuit �tait froide; un x brouillard �pais enveloppait les arbres du parc, et Raymon avait peine � distinguer leurs tiges noires dans la brume blanche, qui y les rev�tait de robes diaphanes.

Il erra quelque temps dans les all�es sinueuses avant de trouver la porte du kiosque o� Noun l'attendait. Elle vint � lui envelopp�e d'une pelisse dont le capuchon �tait relev� sur sa t�te.

{Perr 73} — Nous ne pouvons rester ici, lui dit-elle, il y fait trop froid. Suivez-moi z, et ne parlez pas.

Raymon se sentit une extr�me r�pugnance � entrer dans la maison de madame Delmare {RoDu 121} comme amant de sa femme de chambre. Cependant, il aa fallut c�der; Noun marchait l�g�rement devant lui, et cette entrevue devait �tre d�cisive.

Elle lui fit traverser la cour, apaisa les chiens, ouvrit les portes sans bruit, et, le prenant par la main, elle le guida en silence dans les corridors sombres; enfin, elle ab l'entra�na dans une chambre circulaire, �l�gante et simple, o� des orangers en fleurs r�pandaient leurs suaves �manations; des ac bougies diaphanes br�laient dans les cand�labres.

Noun avait effeuill� des roses du Bengale sur le parquet, le divan �tait sem� de violettes, une douce chaleur p�n�trait tous les pores, et les cristaux �tincelaient sur la table parmi les fruits, qui ad pr�sentaient coquettement leurs flancs vermeils, m�l�s � la ae mousse verte des corbeilles.

Ébloui par la transition brusque de l'obscurit� � une vive lumi�re, Raymon resta quelques instants �tourdi; mais il ne lui fallut pas {RoDu 122} longtemps pour comprendre o� il �tait. Le go�t exquis et la simplicit� chaste qui pr�sidaient � l'ameublement; ces livres d'amour et de voyages, �pars sur les planches d'acajou; ce m�tier charg� d'un travail si joli et si frais, œuvre de patience et de m�lancolie; cette harpe dont les cordes semblaient encore vibrer des chants d'attente et de tristesse; ces gravures qui repr�sentaient les pastorales amours de Paul et de Virginie, les cimes de l'�le Bourbon et les rivages bleus de Saint-Paul; mais surtout af ce petit lit � demi cach� sous les rideaux de mousseline, ce lit blanc et {Perr 74} pudique comme celui d'une vierge, orn� au chevet, en guise de rameau b�nit ag, d'une palme enlev�e peut-�tre, le jour du d�part ah, � quelque arbre de la patrie; tout ai r�v�lait madame Delmare, et Raymon fut saisi d'un �trange frisson en songeant que cette femme envelopp�e d'un manteau, qui l'avait conduit jusque-l�, �tait peut-�tre Indiana elle-m�me. Cette extravagante id�e {RoDu 123} sembla se confirmer lorsqu'il vit appara�tre dans la glace en face de lui une forme blanche et par�e, le fant�me d'une femme qui entre au bal et qui jette son manteau pour se montrer radieuse et demi-nue aux lumi�res �tincelantes. Mais ce ne fut que l'erreur d'un instant : Indiana aj e�t �t� plus cach�e... son ak sein modeste ne se f�t trahi que sous la triple gaze de son corsage; elle e�t peut-�tre orn� ses cheveux de camelias al naturels, mais ce n'est pas dans ce d�sordre excitant qu'ils se fussent jou�s sur sa t�te, elle am e�t pu emprisonner ses pieds dans des souliers de satin, mais sa chaste robe n'e�t pas ainsi trahi les myst�res de sa jambe mignonne.

Plus grande et plus forte que sa ma�tresse, Noun �tait habill�e et non pas v�tue avec ses parures. Elle avait de la gr�ce, mais de la gr�ce sans noblesse; elle �tait belle comme une femme et non comme une f�e, elle an appelait le plaisir et ne promettait pas la volupt�.

{RoDu 124} Raymon, apr�s l'avoir examin�e dans la glace sans tourner la t�te, reporta ses regards sur tout ce qui pouvait lui rendre un reflet plus pur d'Indiana, sur les instruments de musique, sur les peintures, sur le lit, �troit ao et virginal. Il s'enivra du vague parfum que sa pr�sence avait laiss� dans ce sanctuaire; il ap frissonna de d�sir en pensant au jour o� Indiana elle-m�me lui en ouvrirait les d�lices; et Noun, les aq bras crois�s, debout derri�re lui, le contemplait avec extase, s'imaginant qu'il �tait {Perr 75} absorb� par le ravissement, � la vue ar de tous les soins qu'elle s'�tait donn�s pour lui plaire.

Mais lui, rompant enfin le silence :

— Je vous remercie, lui dit-il, de tous les appr�ts que vous avez faits pour moi; je vous remercie surtout de m'avoir fait entrer ici, mais j'ai assez joui de cette surprise gracieuse. Sortons de cette chambre, nous n'y sommes pas � notre place; et as je dois respecter madame Delmare, m�me en son absence.

{RoDu 125} — Cela est bien cruel, dit Noun, qui at ne l'avait pas compris, mais qui voyait son air froid et m�content; cela est cruel d'avoir au esp�r� que je vous plairais et de voir que vous me repoussez.

— Non, ch�re Noun, je ne vous repousserai jamais; je av suis venu ici pour causer s�rieusement avec vous et vous t�moigner l'affection que je vous dois. Je suis reconnaissant de votre d�sir de me plaire; mais aw je vous aimais mieux par�e de votre jeunesse et de vos gr�ces naturelles qu'avec ces ax ornements emprunt�s.

Noun comprit � demi et pleura.

— Je suis une malheureuse, lui dit-elle; je ay me hais puisque je ne vous plais plus... J'aurais az d� pr�voir que vous ne m'aimeriez pas longtemps, moi, pauvre fille sans �ducation. Je ne vous reproche rien. Je savais bien que vous ne m'�pouseriez pas; mais, si ba vous m'eussiez aim�e toujours, j'eusse tout sacrifi� sans regret, tout support� sans me {RoDu 126} plaindre. H�las! je suis perdue, je suis d�shonor�e!... Je serai chass�e peut-�tre. Je bb vais donner la vie � un �tre qui sera encore plus infortun� que moi, et nul ne me plaindra... Chacun se croira le droit de me fouler aux pieds... Eh bien, tout bc cela, je m'y r�signerais avec joie, si vous m'aimiez encore.

{Perr 76} Noun parla longtemps ainsi. Elle ne se servit peut-�tre pas des m�mes mots, mais elle dit les m�mes choses, bien mieux cent fois que je ne pourrais vous les redire. O� trouver le secret de cette �loquence qui se r�v�le tout � coup bd � un esprit ignorant et vierge dans la crise d'une passion vraie et d'une douleur profonde?... C'est be alors que les mots ont une autre valeur que dans toutes les autres sc�nes de la vie; c'est bf alors que des paroles triviales deviennent sublimes par le sentiment qui les dicte et l'accent qui les accompagne bg. Alors la femme du dernier rang devient, en se livrant � tout le d�lire de ses �motions bh, plus path�tique et plus convaincante {RoDu 127} que celle � qui l'�ducation a enseign� la mod�ration et la r�serve bi.

Raymon se sentit flatt� d'inspirer un attachement si g�n�reux, et la reconnaissance, la compassion, un peu de vanit� peut-�tre, lui bj rendirent un moment d'amour.

Noun �tait suffoqu�e de larmes; elle bk avait arrach� les fleurs de son front, ses longs cheveux tombaient �pars sur ses �paules larges et �blouissantes. Si madame Delmare n'e�t eu, pour l'embellir, son esclavage bl et ses souffrances, Noun l'e�t infiniment surpass�e en beaut� dans cet instant; elle �tait splendide bm de douleur et d'amour. Raymon, vaincu, l'attira bn dans ses bras, la fit asseoir pr�s de lui sur le sofa, et approcha le gu�ridon charg� de carafes pour bo lui verser quelques gouttes d'eau de fleur d'oranger bp dans une coupe de vermeil. Soulag�e de cette marque d'int�r�t plus que du breuvage calmant, Noun essuya ses pleurs, et, se jetant aux pieds de Raymon :

{RoDu 128} — Aime-moi donc encore, lui dit-elle en embrassant ses genoux avec passion; dis-moi encore que tu m'aimes, et je serai gu�rie 2, je serai sauv�e. Embrasse-moi bq comme {Perr 77} autrefois, et je ne regretterai pas de m'�tre perdue pour te donner quelques jours de plaisir.

Elle l'entourait de ses bras frais et bruns, elle le couvrait de ses longs cheveux 3; ses grands yeux noirs lui jetaient une langueur br�lante, et cette ardeur du sang, cette volupt� tout orientale br qui sait triompher de tous les efforts de la volont�, de toutes les d�licatesses de la pens�e. Raymon oublia tout, et ses r�solutions, et son nouvel amour, et le lieu o� il �tait. Il rendit � Noun ses caresses d�lirantes. Il trempa ses l�vres dans la m�me coupe, et les vins capiteux qui se trouvaient sous leur main achev�rent d'�garer leur raison.

Peu � peu le souvenir vague et flottant d'Indiana vint se m�ler � l'ivresse de Raymon. Les deux panneaux de glace qui se {RoDu 129} renvoyaient l'un � l'autre l'image de Noun jusqu'� l'infini semblaient bs se peupler de mille fant�mes. Il �piait dans la profondeur de cette double r�verb�ration une forme plus d�li�e, et il lui semblait saisir, dans la derni�re ombre vaporeuse et confuse que Noun y refl�tait, la taille fine et souple de madame Delmare. 4

Noun, �tourdie elle-m�me par les boissons excitantes dont elle ignorait l'usage, ne saisissait plus les bizarres discours de son amant. Si elle n'e�t pas �t� ivre comme lui, elle e�t compris qu'au plus fort de son d�lire Raymon songeait � une autre. Elle l'e�t vu baiser l'�charpe et les rubans qu'avait port�s Indiana, respirer les essences qui la lui rappelaient, froisser dans ses mains ardentes l'�toffe qui avait prot�g� son sein; mais Noun prenait tous ces transports pour elle-m�me, lorsque bt 5 Raymon ne voyait d'elle que la robe d'Indiana. S'il baisait ses cheveux noirs, il croyait baiser les cheveux noirs {RoDu 130} d'Indiana. C'�tait Indiana qu'il voyait dans le nuage du punch que la main de Noun venait d'allumer; c'�tait bu elle {Perr 78} qui l'appelait et qui lui souriait derri�re ces blancs rideaux de mousseline; ce fut elle encore qu'il r�va sur cette couche modeste et sans tache, lorsque, succombant sous l'amour et le vin, il y entra�na bv sa cr�ole �chevel�e.

Quand Raymon bw s'�veilla, un demi-jour p�n�trait par les fentes du volet, et il resta longtemps plong� dans une vague surprise, immobile, et contemplant comme une vision du sommeil le lieu o� il se trouvait, et bx le lit o� il avait repos�. Tout avait �t� remis en ordre dans la chambre de madame Delmare. D�s le matin, Noun, qui s'�tait endormie souveraine en ce lieu, s'�tait by r�veill�e femme de chambre. Elle avait emport� les fleurs et fait dispara�tre les restes de la collation; les meubles �taient � leur place, rien ne trahissait l'orgie amoureuse de la nuit, et la chambre {RoDu 131} d'Indiana avait repris son air de candeur et de d�cence.

Accabl� de honte, il se leva et voulut sortir, mais il �tait enferm�; la fen�tre dominait trente pieds bz de profondeur, et il fallut rester attach� dans cette chambre pleine de remords, comme ca Ixion sur sa roue.

Alors il se jeta � genoux, la face tourn�e contre ce lit foul� et meurtri qui le faisait rougir.

— O Indiana cb! s'�cria-t-il en se tordant les mains, t'ai-je assez outrag�e? Pourrais-tu me pardonner une telle infamie? 6 Quand tu le ferais, moi, je ne me la pardonnerais pas. R�siste-moi maintenant, douce et confiante Indiana; car cc tu ne sais pas � quel homme vil et brutal tu veux livrer les tr�sors de ton innocence! Repousse-moi, foule-moi aux pieds, moi qui n'ai pas respect� l'asile de ta pudeur sacr�e; moi cd qui me suis enivr� de tes vins comme un laquais, c�te � c�te avec ta suivante; moi ce qui ai souill� ta robe de mon {RoDu 132} haleine maudite et ta ceinture {Perr 79} pudique de mes inf�mes baisers sur le sein d'une autre; moi qui n'ai pas craint d'empoisonner le repos de tes nuits solitaires, et de verser jusque sur ce lit que respectait ton �poux lui-m�me les influences de la s�duction et de l'adult�re! Quelle s�curit� trouveras-tu d�sormais derri�re ces rideaux dont je n'ai pas craint de profaner le myst�re? Quels songes impurs, quelles pens�es �cres et d�vorantes ne viendront pas s'attacher � ton cerveau pour le dess�cher? Quels fant�mes de vice et d'insolence ne viendront pas ramper sur le lin virginal de ta couche? Et ton sommeil, pur cf comme celui d'un enfant, quelle divinit� chaste voudra le prot�ger maintenant? N'ai-je pas mis en fuite l'ange qui gardait ton chevet? N'ai-je pas ouvert au d�mon de la luxure l'entr�e de ton alc�ve? Ne lui ai-je pas vendu ton �me? et l'ardeur insens�e qui consume les flancs de cette cr�ole lascive ne viendra-t-elle cg pas, comme la robe de D�janire, s'attacher {RoDu 133} aux tiens pour les ronger? Oh! malheureux! coupable et malheureux que je suis! que ne puis-je ch laver de mon sang la honte ci que j'ai laiss�e sur cette couche! cj 7

Et Raymon l'arrosait de ses larmes. 8

Alors Noun rentra, avec ck son madras et son tablier; elle cl crut, � voir Raymon ainsi agenouill�, qu'il faisait sa pri�re. Elle ignorait que les gens du monde n'en font pas. Elle attendit donc, debout et silencieuse, qu'il daign�t s'apercevoir de sa pr�sence.

Raymon, en la voyant, se sentit confus et irrit�, sans courage pour la gronder, sans force pour lui adresser une parole amie.

— Pourquoi m'avez-vous enferm� ici? lui dit-il enfin. Songez-vous qu'il fait grand jour et que je ne puis sortir sans vous compromettre ouvertement?

— Aussi vous ne sortirez pas, lui dit Noun d'un {Perr 80} air caressant. La maison est d�serte, personne ne peut vous d�couvrir; le jardinier {RoDu 134} ne vient jamais dans cette partie du b�timent, dont cm seule je garde les clefs. Vous resterez avec moi cette journ�e encore; vous cn �tes mon prisonnier.

Cet arrangement mettait Raymon au d�sespoir; il ne sentait plus pour sa ma�tresse qu'une sorte d'aversion. Cependant il fallut se r�signer, et peut-�tre que, malgr� ce qu'il souffrait dans cette chambre, un invincible attrait l'y retenait encore.

Lorsque Noun le quitta pour aller lui chercher � d�jeuner, il se mit � examiner au grand jour tous ces muets t�moins de la solitude d'Indiana. Il ouvrit ses livres, feuilleta ses albums, puis il les ferma pr�cipitamment; car co il craignit encore de commettre une profanation et de violer des myst�res de femme. Enfin il se mit � marcher, et il remarqua, sur le panneau bois� qui faisait face au lit de madame Delmare, un grand tableau cp richement encadr�, recouvert d'une double gaze.

C'�tait peut-�tre le portrait d'Indiana. {RoDu 135} Raymon, avide de le contempler, oublia ses scrupules, monta sur une chaise, d�tacha les �pingles, et d�couvrit avec surprise le portrait en pied d'un beau jeune homme.


Variantes

  1. Le lendemain Raymon {RoDu} ♦ Le lendemain, Raymon ??? et sq.
  2. Celle-l�; il {RoDu} ♦ Celle-l�, il ??? et sq.
  3. avec d�dain : il l'ouvrit au contraire avec empressement; elle {RoDu} ♦ avec d�dain; il l'ouvrit, au contraire, avec empressement : elle ??? et sq.
  4. en effet, mais {RoDu} ♦ en effet; mais ??? et sq.
  5. son pardon, mais {RoDu} ♦ son pardon; mais ??? et sq.
  6. devenir, si {RoDu} ♦ devenir si ??? et sq.
  7. l'accabler? Il {RoDu} ♦ l'accabler! Il ??? et sq.
  8. s'occup�t {RoDu} ♦ s'occup�t {Goss} et sq.
  9. pauvre fille, il {RoDu} ♦ pauvre fille; il ??? et sq.
  10. l'aimait plus, car {RoDu} ♦ l'aimait plus; car ??? et sq.
  11. Si sa conduite en {RoDu} ♦ Si sa conduite, en ??? et sq.
  12. les sens, il {RoDu} ♦ les sens; il ??? et sq.
  13. un peu d'espoir.— Il {RoDu} ♦ un peu d'espoir. / — Il ??? et sq.
  14. se disait-elle; il {RoDu} ♦ se disait-elle, il ??? et sq.
  15. tout simple; � {RoDu} ♦ tout simple : � ??? et sq.
  16. qui suis-je, pour {RoDu} ♦ qui suis-je pour ??? et sq.
  17. la serre-chaude {RoDu} ♦ la serre chaude ??? et sq.
  18. jamais song�, et quand {RoDu} ♦ jamais song�; et, quand ??? et sq.
  19. sourires : pourtant {RoDu} ♦ sourires. Pourtant ??? et sq.
  20. le parc dont {RoDu} ♦ le parc, dont ??? et sq.
  21. Cette fois il {RoDu} ♦ Cette fois, il ??? et sq.
  22. un voleur. Presque {RoDu} ♦ un voleur; presque ??? et sq.
  23. ma�tres. Le jardinier �tait dans sa confidence {RoDu} {Hetz} ♦ ma�tres; il avait mis le jardinier dans sa confidence {MLevy} et sq.
  24. froide, un {RoDu} ♦ froide; un ??? et sq.
  25. blanche qui {RoDu} ♦ blanche, qui ??? et sq.
  26. trop froid, suivez-moi {RoDu} ♦ trop froid. Suivez-moi ??? et sq.
  27. Cependant il {RoDu} ♦ Cependant, il ??? et sq.
  28. sombres. Enfin elle {RoDu} ♦ sombres; enfin, elle ??? et sq.
  29. �manations. Des {RoDu} ♦ �manations; des ??? et sq.
  30. les fruits qui {RoDu} ♦ les fruits, qui ??? et sq.
  31. vermeils parmi la {RoDu} ♦ vermeils, m�l�s � la ??? et sq.
  32. l'ameublement, ces livres [...] de voyages �pars [...] planches d'acajou, ce m�tier charg� [...] m�lancolie, cette harpe [...] tristesse, ces gravures [...] Saint-Paul, mais surtout {RoDu} ♦ l'ameublement; ces livres [...] de voyages, �pars [...] planches d'acajou; ce m�tier charg� [...] m�lancolie; cette harpe [...] tristesse; ces gravures [...] Saint-Paul; mais surtout ??? et sq.
  33. rameau b�ni {RoDu}, {Goss} ♦ rameau b�nit {Perr} et sq.
  34. peut-�tre le jour du d�part {RoDu} ♦ ♦ peut-�tre, le jour du d�part ??? et sq.
  35. � quelque arbre de la patrie : tout {RoDu} ♦ � quelques arbres de la patrie : tout {Goss} ♦ � quelque arbre de la patrie; tout {Perr} et sq.
  36. instant. Indiana {RoDu} ♦ instant : Indiana ??? et sq.
  37. plus cach�e...... Son {RoDu} ♦ plus cach�e... son ??? et sq.
  38. cam�lias {RoDu}, {Goss} ♦ camelias {Perr} et sq.
  39. sur sa t�te; elle {RoDu} ♦ sur sa t�te, elle ??? et sq.
  40. une f�e; elle {RoDu} ♦ une f�e, elle ??? et sq.
  41. sur le lit �troit {RoDu} ♦ sur le lit, �troit ??? et sq.
  42. ce sanctuaire, il {RoDu} ♦ ce sanctuaire; il ??? et sq.
  43. les d�lices, et Noun les {RoDu} ♦ les d�lices; et Noun, les ??? et sq.
  44. absorb� de ravissement � la vue {RoDu} ♦ absorb� par le ravissement, � la vue {Goss} et sq.
  45. notre place, et {RoDu} ♦ notre place; et ??? et sq.
  46. dit Noun qui {RoDu} ♦ dit Noun, qui ??? et sq.
  47. cruel, d'avoir {RoDu} ♦ cruel d'avoir ??? et sq.
  48. jamais, je {RoDu} ♦ jamais; je ??? et sq.
  49. de me plaire, mais {RoDu} ♦ de me plaire; mais ??? et sq.
  50. naturelles, que de ces {RoDu} ♦ naturelles qu'avec ces ??? et sq.
  51. lui dit-elle, je {RoDu} ♦ lui dit-elle; je ??? et sq.
  52. plais plus...... J'aurais {RoDu} ♦ plais plus... J'aurais ??? et sq.
  53. m'�pouseriez pas, mais si {RoDu} ♦ m'�pouseriez pas; mais, si ??? et sq.
  54. d�shonor�e...... Je serai chass�e peut-�tre.... Je {RoDu} ♦ d�shonor�e!... Je serai chass�e peut-�tre. Je ??? et sq.
  55. aux pieds...... Eh bien! tout {RoDu} ♦ aux pieds... Eh bien, tout ??? et sq.
  56. tout-�-coup {RoDu} ♦ tout � coup ??? et sq. (nous ne rel�verons plus cette variante)
  57. profonde?..... C'est {RoDu} ♦ profonde?... C'est ??? et sq.
  58. les autres acceptions de la vie. C'est {RoDu} ♦ les autres sc�nes de la vie; c'est {Goss} et sq.
  59. qui les exhale {RoDu} ♦ qui les accompagne {Goss} et sq.
  60. le d�lire de ses sensations {RoDu}, {Goss} ♦ le d�lire de ses �motions {Perr} et sq.
  61. la r�serve et la mod�ration {RoDu}, {Goss} ♦ la mod�ration et la r�serve {Perr} et sq.
  62. peut-�tre lui {RoDu} ♦ peut-�tre, lui ??? et sq.
  63. de larmes, elle {RoDu} ♦ de larmes; elle ??? et sq.
  64. n'e�t eu pour l'embellir son esclavage {RoDu} ♦ n'e�t eu, pour l'embellir, son esclavage ??? et sq.
  65. superbe {RoDu} ♦ splendide {Goss} et sq.
  66. Raymon vaincu l'attira {RoDu} ♦ Raymon, vaincu, l'attira ??? et sq.
  67. de carafes, pour {RoDu} ♦ de carafes pour ??? et sq.
  68. fleur d'orange {RoDu} {Hetz} ♦ fleur d'oranger {MLevy} et sq.
  69. sauv�e; embrasse-moi {RoDu} ♦ sauv�e. Embrasse-moi ??? et sq.
  70. toute orientale {RoDu}, {Goss}, {Perr} ♦ tout orientale {Hetz} et sq.
  71. jusqu'� l'infini, semblaient {RoDu} ♦ jusqu'� l'infini semblaient ??? et sq.
  72. pour elle, lorsque {RoDu} ♦ pour elle-m�me, lorsque {Goss} et sq.
  73. d'allumer. C'�tait {RoDu} ♦ d'allumer; c'�tait ??? et sq.
  74. il y roula {RoDu}, {Goss} ♦ il y entra�na {Perr} et sq.
  75. Lorsque Raymon {RoDu} ♦ Quand Raymon {Goss} et sq.
  76. se trouvait et {RoDu} ♦ se trouvait, et ??? et sq.
  77. Noun qui [...] en ce lieu s'�tait {RoDu} ♦ Noun, qui [...] en ce lieu, s'�tait ??? et sq.
  78. cinquante pieds {RoDu}, {Goss} ♦ trente pieds {Perr} et sq.
  79. remords comme {RoDu} ♦ remords, comme ??? et sq.
  80. O Indiana {RoDu} ♦ — Ô Indiana ??? et sq.
  81. Indiana, car {RoDu} ♦ Indiana; car ??? et sq.
  82. sacr�e, moi {RoDu} ♦ sacr�e; moi ??? et sq.
  83. suivante, moi {RoDu} ♦ suivante; moi ??? et sq.
  84. sommeil pur {RoDu} ♦ sommeil, pur ??? et sq.
  85. lascive, ne viendra-t-elle {RoDu} ♦ lascive ne viendra-t-elle ??? et sq.
  86. malheureux, coupable [...] que je suis, que ne puis-je {RoDu} ♦ malheureux! coupable [...] que je suis! que ne puis-je ??? et sq.
  87. la tache honteuse {RoDu}, {Goss} ♦ la honte {Perr} et sq.
  88. cette couche? {RoDu} ♦ cette couche! ??? et sq.
  89. Noun rentra, Noun la cr�ole, avec {RoDu} ♦ Noun rentra, avec {Goss} et sq.
  90. tablier. Elle {RoDu} ♦ tablier; elle ??? et sq.
  91. b�timent dont {RoDu} ♦ b�timent, dont ??? et sq.
  92. encore, vous {RoDu} ♦ encore; vous ??? et sq.
  93. pr�cipitamment, car {RoDu} ♦ pr�cipitamment; car ??? et sq.
  94. remarqua sur le panneau [...] madame Delmare un grand tableau {RoDu} ♦ remarqua, sur le panneau [...] madame Delmare, un grand tableau ??? et sq.

Notes

  1. On a ici un curieux encha�nement de cause � effet qui surprend de la part de George Sand : les termes – repris dans l'ordre inverse – de volupt�, f�e, noblesse, v�tue s'opposent ou sont sym�triques aux termes plaisir, femme, gr�ce, habill�e. Cette dichtomie des id�es port�es par cette �num�ration, trouve sa source dans le premier membre de la phrase : plus grande et plus forte que sa ma�tresse. Or la force, et peut-�tre la taille, proviennent de l'assu�tude au travail que vit Noun de par sa nature de domestique. Ainsi l'auteur semble porter un jugement de valeur, peut-�tre inconscient, sur la hi�rarchie sociale qui repose sur la naissance, par essence in�galitaire. On peut donc avoir l'impression que certains pr�jug�s d�teignent sur la pens�e de George Sand. Mais on peut aussi croire que c'est une concession au romanesque; ce qui ferait de ce paragraphe, situ� entre deux belles descriptions presque lyriques, un retour brutal � la r�alit�, � l'instar de certains contes de f�e : « Attention, point de baguette magique! » semble vouloir dire George Sand.
  2. Dis-moi encore que tu m'aimes, et je serai gu�rie. C'est une �vocation des paroles dites par le communiant pendant la messe: sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea (dis seulement une parole et mon �me sera gu�rie).
  3. Elle le couvrait de ses longs cheveux. Souvenir du geste d'une femme aupr�s de J�sus qu'elle venait d'oindre de parfum : « elle lui essuya les pieds avec ses cheveux » (Jean XII, 3, qui d�signe Marie, sœur de Marthe et de Lazare — parall�les dans Mathieu XXVI, 7 et Marc XIV, 3 mais sans l'image des cheveux; et Luc XXXVII, 38 — les trois synoptiques parlent d'« une femme » ou d'« une femme p�cheresse, » ce qui correspond peut-�tre mieux � l'�tat d'esprit de Noun).
  4. Remarquons le bel effet de ce mirage sans fin, de cette illusion romantique.
  5. La le�on de {RoDu} a une plus grande force: Noun s'accapare follement ces transports.
  6. George Sand d�marque ici, non sans ironie, deux c�l�bre vers du Cid de Corneille: « Ô rage! Ô d�sespoir! Ô vieillesse ennemie! / N'ai-je donc tant v�cu que pour cette infamie? » (Acte I, sc�ne iV vers 237-238). Elle renverse le contexte puisqu'Indiana est la jeunesse et que Raymon commet l'infamie.
  7. Le d�lire imb�cile — mais joliment tourn�! — de Raymon, en dehors de son outrance romantique, est � la fois un exutoire et une absolution ... de soi-m�me: les cris et les larmes d�chargent la tension et agissent comme une flagellation; � l'inverse « l'ardeur insens�e qui consume les flancs de cette cr�ole lascive » reporte la faute sur Noun; ainsi Raymon se pardonne lui-m�me en accusant perfidement celle qui s'est donn�e � lui par amour.
  8. Ce vers de neuf pieds fait de trois anapestes cloture avec brio ce monologue: Raymon s'�tait tourn� « contre ce lit foul� et meurtri qui le faisait rougir »; il se lamente; et tout est emball� dans cette petite phrase. George Sand a peut-�tre trouv� cette chute sans la chercher: elle peut lui �tre venue � l'esprit, para�tre s'imposer, en opposition avec l'extravagance du monologue. Mais a-t-elle pens� que le mot anapeste a justement le sens d'opposition: frapp� � rebours?