George Sand
INDIANA

George Sand; "Indiana" / Nouvelle �dition; Paris; Michel L�vy fr.; 1861; nombreuses r��d. Michel L�vy puis Calmann L�vy

{RoDu t.I n.p.; Perr [13]; ML61 [17]} PREMIÈRE PARTIE

{RoDu [90 bl.], [91]; Perr [58]} VI.

Raymon ne s'�tait pas attendu � ce salon silencieux, parsem� de figures rares et discr�tes. Impossible de placer une parole qui ne f�t entendue dans tous les coins de l'appartement a. Les douairi�res qui jouaient aux cartes semblaient n'�tre l� {RoDu 92} que pour g�ner les propos des jeunes gens, et, sur leurs traits rigides, Raymon b croyait lire la secr�te satisfaction de la vieillesse, qui c se venge en r�primant les plaisirs d des autres. Il avait compt� sur une entrevue plus facile, sur un entretien plus tendre que celui du bal, et c'�tait le contraire. Cette difficult� impr�vue donna plus d'intensit� � ses d�sirs, plus de feu � ses regards, plus d'animation e et de vie aux interpellations d�tourn�es qu'il adressait � madame Delmare. La pauvre enfant �tait tout � fait novice � ce genre d'attaque. Elle n'avait pas de d�fense possible, parce qu'on ne lui demandait rien; mais f elle �tait forc�e d'�couter l'offre d'un cœur ardent, d'apprendre combien elle �tait aim�e, et de se laisser entourer par tous les dangers de la s�duction sans faire de r�sistance. Son embarras croissait avec la hardiesse de Raymon. Madame de Carvajal, qui g avait des pr�tentions fond�es � l'esprit, et � qui l'on avait vant� celui de M. de Rami�re, quitta le jeu pour engager {RoDu 93} avec {Perr 59} lui une �l�gante discussion sur l'amour, o� elle fit entrer beaucoup de passion espagnole et de m�taphysique allemande. Raymon accepta le d�fi avec empressement, et, sous h le pr�texte de r�pondre � la tante, il dit � la ni�ce tout ce que celle-ci e�t i refus� d'entendre. La pauvre jeune femme, d�nu�e de protection j, expos�e de tous c�t�s � une attaque si vive et si habile, ne put trouver la force de se m�ler � cet entretien �pineux. En vain la tante, jalouse de la faire briller, l'appela en t�moignage de certaines subtilit�s de sentiment th�orique; elle avoua en rougissant qu'elle k ne savait rien de tout cela, et Raymon, ivre de joie en voyant ses joues se colorer et son sein se gonfler, jura qu'il le lui apprendrait.

Indiana dormit encore moins cette nuit-l� que les pr�c�dentes; nous l'avons dit, elle n'avait pas encore aim�, et son cœur �tait depuis longtemps m�r pour un sentiment que n'avait pu lui inspirer aucun des hommes {RoDu 94} qu'elle avait rencontr�s. Élev�e par un p�re bizarre et violent, elle n'avait jamais connu le bonheur que donne l'affection d'autrui. M. de Carvajal, enivr� l de passions politiques, bourrel� de regrets ambitieux, �tait devenu aux colonies le planteur le plus rude et le voisin le plus f�cheux; sa fille avait cruellement souffert de son humeur chagrine. Mais, en voyant m le continuel tableau des maux de la servitude, en supportant les ennuis de l'isolement et de la d�pendance, elle avait acquis une patience ext�rieure � toute �preuve, une indulgence et une bont� adorables n avec ses inf�rieurs, mais o aussi une volont� de fer, une force de r�sistance incalculable contre tout ce qui tendait � l'opprimer. En �pousant Delmare, elle p ne fit que changer de ma�tre; en venant habiter le Lagny q, que changer de prison et de solitude. Elle n'aima pas son mari, par la seule raison peut-�tre qu'on lui {Perr 60} faisait un devoir de l'aimer, et que r�sister mentalement � toute esp�ce de contrainte morale {RoDu 95} �tait devenu chez elle une seconde nature, un principe de conduite, une loi de conscience r. On n'avait point cherch� � lui en prescrire d'autre que celle s de l'ob�issance aveugle.

Élev�e au d�sert, n�glig�e de son p�re, vivant au milieu des esclaves, pour qui elle n'avait d'autre secours, d'autre consolation que sa compassion et ses larmes, elle s'�tait habitu�e � dire : « Un jour t viendra o� tout sera chang� dans ma vie, o� je ferai du bien aux autres, un jour o� l'on m'aimera, o� je donnerai tout mon cœur � celui qui me donnera le sien; en attendant, souffrons; taisons-nous u, et gardons notre amour pour r�compense � qui me d�livrera. » Ce lib�rateur, ce messie n'�tait pas venu; Indiana l'attendait encore. Elle n'osait plus, il est vrai, s'avouer toute sa pens�e. Elle avait compris sous les charmilles taill�es du Lagny que la pens�e m�me devait avoir l� plus d'entraves que sous les palmistes v sauvages de l'�le Bourbon; et, lorsqu'elle w se surprenait � dire encore par l'habitude x : {RoDu 96} « Un jour viendra... un homme viendra... », elle y refoulait ce vœu t�m�raire au fond de son �me, et se disait : « Il faudra donc mourir! » z

Aussi elle se mourait aa. Un mal inconnu d�vorait sa jeunesse. Elle �tait sans force et sans sommeil. Les m�decins lui cherchaient en vain une d�sorganisation apparente, il ab n'en existait pas; toutes ac ses facult�s s'appauvrissaient �galement, tous ses organes se l�saient avec lenteur; son cœur br�lait � petit feu, ses yeux s'�teignaient, son sang ne circulait plus que par crise et par fi�vre; encore quelque temps, et la pauvre captive allait mourir. Mais, quelle que f�t ad sa r�signation ou son d�couragement, le besoin restait le m�me. Ce cœur silencieux et bris� appelait toujours � son insu un cœur jeune {Perr 61} et g�n�reux pour le ranimer ae. L'�tre qu'elle avait le plus aim� jusque-l�, c'�tait Noun, la compagne enjou�e et courageuse de ses ennuis; et l'homme qui lui avait t�moign� le plus de pr�dilection, c'�tait son flegmatique {RoDu 97} cousin sir Ralph. Quels aliments pour la d�vorante activit� de ses pens�es, qu'une pauvre fille ignorante et d�laiss�e comme elle, et un Anglais passionn� seulement pour la chasse du renard!

Madame Delmare �tait vraiment malheureuse af, et, la ag premi�re fois qu'elle sentit dans son atmosph�re glac�e p�n�trer le souffle embras� d'un homme jeune et ardent, la premi�re fois qu'une parole tendre et caressante enivra son oreille, et qu'une bouche fr�missante vint comme un fer rouge marquer sa main, elle ne pensa ni aux devoirs qu'on lui avait impos�s, ni � la prudence qu'on lui avait recommand�e, ni � l'avenir qu'on lui avait pr�dit; elle ne se rappela que le pass� odieux, ses longues souffrances, ses ma�tres despotiques. Elle ne pensa pas non plus que cet homme pouvait �tre menteur ou frivole. Elle le vit comme elle le d�sirait, comme elle l'avait r�v�, et Raymon e�t pu la tromper, s'il n'e�t pas �t� sinc�re.

{RoDu 98} Mais comment ne l'e�t-il pas �t� aupr�s d'une femme si belle et si aimante? Quelle autre s'�tait jamais montr�e � lui avec autant de candeur et d'innocence? Chez qui avait-il trouv� � placer un avenir si riant et si s�r? N'�tait-elle pas n�e pour l'aimer, cette femme esclave qui n'attendait qu'un signe pour briser sa cha�ne, qu'un mot pour le suivre? Le ciel, sans doute, l'avait ah form�e pour Raymon, cette triste enfant de l'�le Bourbon, que personne n'avait aim�e, et qui sans lui devait ai mourir.

N�anmoins un sentiment d'effroi succ�da, dans le cœur de madame Delmare, � ce bonheur fi�vreux qui {Perr 62} venait de l'envahir. Elle songea � son �poux si ombrageux, si clairvoyant, si vindicatif, et elle eut peur, non pour elle qui �tait aguerrie aux menaces, mais pour l'homme qui allait entreprendre une guerre � mort avec son tyran. Elle connaissait si peu la soci�t�, qu'elle se faisait de la vie un roman tragique; timide cr�ature {RoDu 99} qui n'osait aimer, dans la crainte d'exposer son amant � p�rir, elle ne songeait nullement au danger de se perdre.

Ce fut donc l� le secret de sa r�sistance, le motif aj de sa vertu. Elle prit le lendemain la r�solution d'�viter M. de Rami�re. Il y avait, le soir m�me, bal chez ak un des premiers banquiers de Paris. Madame de Carvajal, qui aimait le monde comme une vieille femme sans affections, voulait y conduire Indiana; mais Raymon devait y �tre al, et Indiana se promit de n'y pas aller. Pour �viter les pers�cutions de sa tante, madame Delmare, qui ne savait r�sister que de fait, feignit d'accepter la proposition; elle laissa pr�parer sa toilette, et am elle attendit que madame de Carvajal e�t fait la sienne; alors an elle passa une robe de chambre, s'installa au coin du feu, et l'attendit de pied ferme. Quand la vieille Espagnole, roide ao et par�e comme un portrait de Van Dyck ap, vint pour la prendre, Indiana d�clara qu'elle se trouvait {RoDu 100} malade et ne se sentait pas la force de sortir. En vain la tante insista pour qu'elle fit un effort.

— Je le voudrais de tout mon cœur, r�pondit-elle; vous aq voyez que je ne puis me soutenir. Je ne vous serais qu'embarrassante aujourd'hui. Allez au bal sans moi, ma bonne tante, je me r�jouirai de votre plaisir.

— Aller sans toi! dit madame de Carvajal, qui mourrait d'envie de n'avoir pas fait une toilette inutile, et qui reculait devant l'effroi d'une soir�e solitaire. Mais qu'irai-je {Perr 63} faire dans le monde, moi, vieille femme, que l'on ne recherche que pour t'approcher? Que deviendrai-je sans les beaux yeux de ma ni�ce pour me faire valoir?

— Votre esprit y suppl�era, ma bonne tante, dit Indiana.

La marquise de Carvajal, qui ar ne demandait qu'� se laisser persuader, partit enfin. Alors Indiana cacha sa t�te dans ses deux mains, et se mit � pleurer; car as elle avait fait {RoDu 101} un grand sacrifice, et croyait avoir d�j� ruin� le riant �difice de la veille.

Mais il n'en pouvait �tre ainsi pour Raymon. La premi�re chose qu'il vit au bal, ce fut l'orgueilleuse aigrette de la vieille marquise. En vain il chercha autour d'elle la robe blanche et les cheveux noirs d'Indiana. Il approcha; il entendit qu'elle disait � demi-voix � une autre femme :

— Ma ni�ce est malade, ou plut�t, ajouta-t-elle pour autoriser sa pr�sence au bal, c'est un caprice de jeune femme. Elle a voulu rester seule, un livre � la main dans at le salon, comme une belle sentimentale au.

— Me fuirait-elle? pensa Raymon.

Aussit�t il quitte le bal. Il arrive chez la marquise, passe av sans rien dire au concierge, et demande madame Delmare au premier domestique qu'il trouve � demi endormi dans l'antichambre.

— Madame Delmare est malade.

{RoDu 102} — Je le sais. Je viens chercher de ses nouvelles de la part de madame de Carvajal.

— Je vais pr�venir madame...

— C'est inutile; madame aw Delmare me recevra.

Et Raymon entre sans se faire annoncer. Tous les autres domestiques �taient couch�s. Un triste silence r�gnait dans ces appartements d�serts. Une seule lampe, {Perr 64} couverte ax de son chapiteau de taffetas vert, �clairait ay faiblement le grand salon. Indiana avait le dos tourn� � la porte; cach�e tout enti�re dans un large fauteuil, elle regardait tristement br�ler les tisons, comme le soir o� Raymon �tait entr� au Lagny par-dessus les murs; plus az triste maintenant, car � une souffrance vague, � des d�sirs sans but, avaient ba succ�d� une joie fugitive, un rayon de bonheur perdu.

Raymon, chauss� pour le bal, approcha sans bruit sur le tapis sourd et moelleux. Il la vit pleurer, et, lorsqu'elle tourna la t�te, {RoDu 103} elle le trouva � ses pieds, s'emparant bb avec force de ses mains, qu'elle s'effor�ait en vain de lui retirer. Alors, j'en conviens, elle vit avec une ineffable joie �chouer son plan de r�sistance. Elle sentit qu'elle aimait avec passion cet homme qui ne s'inqui�tait point des obstacles, et qui venait lui donner du bonheur malgr� elle. Elle b�nit le ciel qui rejetait son sacrifice, et, au lieu de gronder Raymon, elle bc faillit le remercier.

Pour lui, il savait d�j� qu'il �tait aim�. Il n'avait pas besoin de voir la joie qui brillait au travers de ses larmes pour comprendre qu'il �tait le ma�tre et qu'il pouvait oser. Il bd ne lui donna pas le temps de l'interroger, et, changeant be de r�le avec elle, sans lui expliquer sa pr�sence inattendue, sans chercher � se rendre moins coupable qu'il ne l'�tait :

— Indiana, lui dit-il, vous pleurez... Pourquoi pleurez-vous?... Je veux le savoir. bf

{RoDu 104} Elle tressaillit de s'entendre appeler par son nom; mais il y eut encore du bonheur dans la surprise que lui causa cette audace.

— Pourquoi le demandez-vous? lui dit-elle. Je ne dois pas vous le dire...

{Perr 65} — Eh bien, moi, je bg le sais, Indiana. Je sais toute votre histoire, toute votre vie. Rien de ce qui vous concerne ne m'est �tranger, parce que rien de ce qui vous concerne ne m'est indiff�rent. J'ai voulu tout conna�tre de vous, et je n'ai rien appris que ne m'e�t r�v�l� un instant pass� chez vous, lorsqu'on m'apporta tout sanglant, tout bris� � vos pieds, et que votre mari s'irrita de vous voir, si bh belle et si bonne, me faire un appui de vos bras moelleux, un baume de votre douce haleine. Lui, jaloux! oh! je le con�ois bien; � sa place, je bi le serais, Indiana; ou plut�t, � sa place, je me tuerais; car, �tre bj votre �poux, madame, vous bk poss�der, vous tenir dans ses bras, et ne pas vous m�riter, n'avoir pas {RoDu 105} votre cœur, c'est �tre le plus mis�rable ou le plus l�che des hommes.

— Ô ciel! taisez-vous, s'�cria-t-elle en lui fermant la bouche avec ses mains, taisez-vous, car vous me rendez coupable. Pourquoi me parlez-vous de lui? pourquoi bl voulez-vous m'enseigner � le maudire? bm... S'il vous entendait!... Mais bn je n'ai pas dit de mal de lui; ce bo n'est pas moi qui vous autorise � ce crime! moi bp, je ne le hais pas, je l'estime je l'aime!... bq

— Dites que vous le craignez horriblement; car br le despote a bris� votre �me, et la peur s'est assise � votre chevet depuis que vous �tes devenue la proie bs de cet homme. Vous, Indiana, profan�e � ce rustre dont la main de fer a courb� votre t�te et fl�tri votre vie! Pauvre enfant! si jeune et si belle, avoir d�j� tant souffert!... car ce n'est pas moi que vous tromperiez, Indiana; moi bt qui vous regarde avec d'autres yeux que ceux de la foule, je sais tous les secrets de votre destin�e, {RoDu 106} et vous ne pouvez pas esp�rer vous cacher de moi. Que ceux qui vous regardent parce que vous �tes belle disent bu {Perr 66} en remarquant votre p�leur et votre m�lancolie : « Elle est malade... » � bv la bonne heure; mais, moi bw qui vous suis avec mon cœur, moi dont l'�me tout enti�re vous entoure de sollicitude et d'amour, je connais bien votre mal. Je sais bien que, si bx le ciel l'e�t voulu, s'il vous e�t donn�e � moi, � moi malheureux qui devrais me briser la t�te d'�tre venu si tard, vous ne seriez pas malade. Indiana, moi, j'en jure sur ma vie by, je vous aurais tant aim�e, que bz vous m'auriez aim� ca aussi, et que vous auriez b�ni votre cha�ne. Je vous aurais port�e dans mes bras pour emp�cher vos pieds de se blesser; je les aurais r�chauff�s de mon haleine. Je vous aurais appuy�e contre mon cœur pour vous pr�server de souffrir. J'aurais donn� tout mon sang pour r�parer le v�tre, et, si cb vous aviez perdu le sommeil avec moi, j'aurais pass� la nuit � vous dire de {RoDu 107} douces paroles, � vous sourire pour vous rendre le courage, tout en pleurant de vous voir souffrir. Quand le sommeil serait venu se glisser sur vos paupi�res de soie, je les aurais effleur�es de mes l�vres pour les clore plus doucement, et, � genoux pr�s de votre lit, j'aurais cc veill� sur vous. J'aurais forc� l'air � vous caresser l�g�rement, les cd songes dor�s � vous jeter des fleurs. J'aurais bais� sans bruit les tresses de vos cheveux, j'aurais compt� avec volupt� les palpitations de votre sein, et ce, � votre r�veil, Indiana, vous m'eussiez trouv� l�, � vos pieds, vous gardant en ma�tre jaloux, vous servant en esclave, �piant votre premier sourire, m'emparant de votre premi�re pens�e, de votre premier regard, de votre premier baiser...

— Assez, assez! dit cf Indiana tout �perdue, toute palpitante; vous me faites mal cg.

Et pourtant, si l'on mourait de bonheur, Indiana serait morte en ce moment.

{RoDu 108; Perr 67} — Ne me parlez pas ainsi, lui dit-elle, � moi qui ne dois pas �tre heureuse; ne me montrez pas le ciel sur la terre, � ch moi qui suis marqu�e pour mourir.

— Pour mourir! s'�cria Raymon avec force en la saisissant dans ses bras; toi ci, mourir! Indiana! mourir avant d'avoir v�cu, avant d'avoir aim�!... Non, tu ne mourras pas; ce n'est pas moi qui te laisserai mourir; car cj ma vie maintenant est li�e � la tienne. Tu es la femme que j'avais r�v�e, la puret� que j'adorais; la ck chim�re qui m'avait toujours fui, l'�toile brillante qui luisait devant moi pour me dire : « Marche encore dans cette vie de mis�re, et le ciel t'enverra un de ses anges pour t'accompagner. » De cl tout temps, tu m'�tais destin�e, ton �me �tait fianc�e � la mienne, Indiana! Les hommes et leurs lois de fer cm ont dispos� de toi; ils m'ont arrach� la compagne que Dieu m'e�t choisie, si Dieu cn n'oubliait parfois ses promesses. Mais que nous importent les hommes et {RoDu 109} les lois, si co je t'aime encore aux bras d'un autre, si tu peux encore m'aimer, maudit et malheureux comme je suis de t'avoir perdue! Vois-tu, Indiana, tu m'appartiens, tu es la moiti� de mon �me, qui cp cherchait depuis longtemps � rejoindre l'autre. Quand tu r�vais d'un ami � l'�le Bourbon, c'�tait de moi que tu r�vais; quand, au nom d'�poux, un cq doux frisson de crainte et d'espoir passait dans ton �me, c'est que je devais �tre ton �poux. Ne me reconnais-tu pas? ne te semble-t-il pas qu'il y a cr vingt ans que nous ne nous sommes vus? Ne t'ai-je pas reconnu, ange cs, lorsque tu �tanchais mon sang avec ton voile ct, lorsque tu pla�ais ta main sur mon cœur �teint pour y ramener la chaleur et la vie? Ah! je m'en souviens bien, moi. Quand j'ouvris les yeux, je me dis : « cu La voil�! c'est ainsi qu'elle �tait dans tous mes r�ves, blanche, m�lancolique {Perr 68} et bienfaisante. C'est mon bien, � moi, c'est cv elle qui doit m'abreuver de f�licit�s inconnues. » Et cw d�j� la vie physique que je venais de retrouver {RoDu 110} �tait ton ouvrage. Car ce ne sont pas des circonstances vulgaires qui nous ont r�unis, vois-tu; ce cx n'est ni le hasard ni le caprice, c'est la fatalit�, c'est la mort, qui m'ont ouvert cy les portes de cette vie nouvelle. C'est ton mari, c'est ton ma�tre qui, ob�issant � son destin, m'a apport� tout sanglant dans sa main, et cz qui m'a jet� � tes pieds en te disant : « Voil� pour vous. » Et da maintenant, rien ne peut nous d�sunir...

— Lui, peut nous d�sunir! interrompit vivement madame Delmare, qui db, s'abandonnant aux transports de son amant, l'�coutait avec d�lices. H�las! h�las! vous ne le connaissez pas; c'est un homme qui ne pratique pas le pardon, un homme qu'on ne trompe pas. Raymon, il vous tuera!...

Elle se cacha dans son sein en pleurant. Raymon, l'�treignant avec passion : dc

— Qu'il vienne, s'�cria-t-il, qu'il vienne m'arracher cet instant de bonheur! Je le d�fie! Reste dd l�, Indiana, reste contre mon cœur, {RoDu 111} c'est l� ton refuge et ton abri. Aime-moi, et je serai invuln�rable. Tu sais bien qu'il n'est pas au pouvoir de cet homme de me tuer; j'ai d�j� �t� sans d�fense expos� de � ses coups. Mais toi, mon bon ange, tu planais sur moi, et df tes ailes m'ont prot�g�. Va, ne crains rien; nous saurons bien d�tourner sa col�re; et maintenant, je dg n'ai pas m�me peur pour toi, car je serai l�. Moi aussi, quand ce ma�tre voudra t'opprimer, je te prot�gerai contre lui. Je t'arracherai, s'il le faut, � sa loi cruelle. Veux-tu que je le tue? Dis-moi que tu m'aimes, et je serai son meurtrier, si tu le condamnes � mourir...

{Perr 69} — Vous me faites fr�mir; taisez-vous! Si dh vous voulez tuer quelqu'un, tuez-moi; car j'ai v�cu tout un jour, et di je ne d�sire plus rien...

— Meurs donc, mais que ce soit de bonheur, s'�cria Raymon en imprimant ses l�vres sur celles d'Indiana.

Mais c'�tait un trop rude orage pour une {RoDu 112} plante si faible; elle p�lit, et, portant dj la main � son cœur, elle perdit connaissance.

D'abord Raymon crut que ses caresses rappelleraient le sang dans ses veines glac�es; mais il couvrit en vain ses mains de baisers, il l'appela en vain des plus doux noms. Ce n'�tait pas un �vanouissement volontaire comme on en voit tant. Madame Delmare, s�rieusement malade depuis longtemps, �tait sujette � des spasmes nerveux qui duraient des heures enti�res. Raymon, d�sesp�r�, fut r�duit � appeler du secours. Il sonne; une femme de chambre para�t; mais le flacon qu'elle apportait s'�chappe de ses mains et dk un cri de sa poitrine, en reconnaissant Raymon. Celui-ci, retrouvant aussit�t toute sa pr�sence d'esprit, s'approche de son oreille : dl

— Silence, Noun! je savais que tu �tais ici, j'y venais pour toi; je ne m'attendais pas � y trouver ta ma�tresse, que je croyais dm au bal. En p�n�trant ici, je l'ai effray�e, elle s'est �vanouie; sois prudente dn, je me retire.

{RoDu 113} Raymon s'enfuit do, laissant chacune de ces deux femmes d�positaire d'un secret qui devait porter le d�sespoir dans l'�me de l'autre.


Variantes

  1. l'appartement vide et sonore {RoDu} ♦ l'appartement {Goss} et sq.
  2. et sur leurs traits rigides Raymon {RoDu} ♦ et, sur leurs traits rigides, Raymon ??? et sq.
  3. la vieillesse qui {RoDu} ♦ la vieillesse, qui ??? et sq.
  4. le plaisir {RoDu} ♦ les plaisirs ??? et sq.
  5. regards, plus de nerf {RoDu} ♦ regards, plus d'animation {Goss} et sq.
  6. rien. Mais {RoDu} ♦ rien; mais ??? et sq.
  7. Carvajal qui {RoDu} ♦ Carvajal, qui ??? et sq.
  8. et sous {RoDu} ♦ et, sous ??? et sq.
  9. tout ce qu'elle e�t {RoDu}, {Goss}, {Perr}, {Hetz} ♦ tout ce que celle-ci e�t MLevy et sq.
  10. de protections {RoDu} ♦ de protection ??? et sq.
  11. sentiment th�orique. Elle avoua, en rougissant, qu'elle {RoDu} ♦ sentiment th�orique; elle avoua en rougissant qu'elle ??? et sq.
  12. Carvajal, satur� {RoDu}, {Goss} ♦ Carvajal, enivr� {Perr} et sq.
  13. Mais en voyant {RoDu} ♦ Mais, en voyant ??? et sq.
  14. adorable {RoDu} ♦ adorables ??? et sq.
  15. inf�rieurs; mais {RoDu} ♦ inf�rieurs, mais ??? et sq.
  16. Delmare elle {RoDu} ♦ Delmare, elle ??? et sq.
  17. habiter le Lagny {RoDu} ♦ habiter Lagny {Goss} ♦ habiter le Lagny {Perr} et sq.
  18. de conduite, un sentiment intime {RoDu} ♦ de conduite, une loi de conscience {Goss} et sq.
  19. lui en donner d'autre que celui {RoDu} ♦ lui en prescrire d'autre que celle {Goss} et sq.
  20. — Un jour {RoDu} ♦ « Un jour ??? et sq. (m�me variante plus loin devant Ce lib�rateur)
  21. souffrons. Taisons-nous {RoDu} ♦ souffrons; taisons-nous ??? et sq.
  22. sous les palmistes {RoDu} ♦ sous les palmiers ??? (variante relev�e par {Gar83} pour {RoDu}, ce qui est faux)♦ sous les palmistes {Goss} (???) et sq.
  23. et lorsqu'elle {RoDu} ♦ et, lorsqu'elle ??? et sq.
  24. par habitude {RoDu}, {Goss}, {Perr} ♦ par l'habitude {Hetz} et sq.
  25. Un jour viendra... un homme viendra... elle {RoDu} ♦ « Un jour viendra... un homme viendra... », elle ??? et sq.
  26. Il faudra donc mourir! {RoDu} ♦ « Il faudra donc mourir! » ??? et sq.
  27. elle se mourait, la pauvre Indiana {RoDu} ♦ elle se mourait {Goss} et sq.
  28. apparente. Il {RoDu} ♦ apparente, il ??? et sq.
  29. pas, toutes {RoDu} ♦ pas; toutes ??? et sq.
  30. Mais quelque f�t {RoDu} ({Gar83} rel�ve incorrectment cette variante: "Mais, [...]") ♦ Mais, quelle que f�t {Goss} et sq.
  31. pour le r�chauffer {RoDu}, {Goss} ♦ pour le ranimer {Perr}et sq.
  32. �tait en v�rit� malheureuse {RoDu} ♦ �tait vraiment malheureuse {Goss} et sq.
  33. et la {RoDu} ♦ et, la ??? et sq.
  34. Le ciel sans doute l'avait {RoDu} ♦ Le ciel, sans doute, l'avait ??? et sq.
  35. et qui, sans lui, devait {RoDu} ♦ et qui sans lui devait ??? et sq.
  36. tout le secret de sa r�sistance, tout le motif {RoDu} ♦ le secret de sa r�sistance, le motif {Goss} et sq.
  37. Il y avait le soir m�me bal chez {RoDu} ♦ Il y avait, le soir m�me, bal chez ??? et sq.
  38. y devait �tre {RoDu}, {Goss}, {Perr} ♦ devait y �tre {Hetz} et sq.
  39. sa toilette et {RoDu} ♦ sa toilette, et ??? et sq.
  40. la sienne : alors {RoDu} ♦ la sienne; alors ??? et sq.
  41. raide {RoDu}, {Goss} ♦ roide {Perr} et sq.
  42. Vandick {RoDu} ♦ Van Dyck {Goss} et sq.
  43. r�pondit-elle; mais vous {RoDu} ♦ r�pondit-elle; vous {Goss} et sq.
  44. Et la marquise de Carvajal qui {RoDu} ♦ La marquise de Carvajal, qui {Goss} et sq.
  45. � pleurer, car {RoDu} ♦ � pleurer; car ??? et sq.
  46. un livre � la main, dans {RoDu} ♦ un livre � la main dans ??? et sq.
  47. comme une belle sentimentale qu'elle est {RoDu} ♦ comme une belle sentimentale {Goss} et sq.
  48. chez la marquise; passe {RoDu} ♦ chez la marquise, passe ??? et sq.
  49. inutile, madame {RoDu} ♦ inutile; madame ??? et sq.
  50. seule lampe couverte {RoDu} ♦ seule lampe, couverte ??? et sq.
  51. taffetas vert �clairait {RoDu} ♦ taffetas vert, �clairait ??? et sq.
  52. les murs : plus {RoDu} ♦ les murs; plus ??? et sq.
  53. sans but avaient {RoDu} ♦ sans but, avaient ??? et sq.
  54. tourna la t�te elle le trouva � ses pieds s'emparant {RoDu} ♦ tourna la t�te, elle le trouva � ses pieds, s'emparant ??? et sq.
  55. et au lieu de gronder Raymon elle {RoDu} ♦ et, au lieu de gronder Raymon, elle ??? et sq.
  56. oser.... Il {RoDu} ♦ oser. Il ??? et sq.
  57. et changeant {RoDu} ♦ et, changeant ??? et sq.
  58. le savoir.... {RoDu} ♦ le savoir. ??? et sq. (nous ne relevons pas les variantes sur le nombre de points de suspension, qui rel�ve plut�t de la typographie)
  59. Eh bien! moi je {RoDu} ♦ Eh bien, moi, je ??? et sq.
  60. vous voir si {RoDu} ♦ vous voir, si ??? et sq.
  61. bien, car � sa place je {RoDu} ♦ bien; � sa place, je {Goss} et sq.
  62. plut�t � sa place je me tuerais, car �tre {RoDu} ♦ plut�t, � sa place, je me tuerais; car, �tre ??? et sq.
  63. Madame; vous {RoDu} ♦ madame, vous ??? et sq.
  64. de lui; pourquoi {RoDu} ♦ de lui? pourquoi ??? et sq.
  65. le maudire! {RoDu} ♦ le maudire? ??? et sq.
  66. entendait.... mais {RoDu} ♦ entendait!... Mais ??? et sq.
  67. de lui, ce {RoDu} ♦ de lui; ce ??? et sq.
  68. ce crime; moi {RoDu} ♦ ce crime! moi ??? et sq.
  69. je l'aime.... {RoDu} ♦ je l'aime!... ??? et sq.
  70. horriblement, car {RoDu} ♦ horriblement; car ??? et sq.
  71. depuis que vous �tes entr�e dans la couche {RoDu} ♦ chevet depuis que vous �tes devenue la proie {Goss} et sq.
  72. Indiana, moi {RoDu} ♦ Indiana; moi ??? et sq.
  73. �tes belle, disent {RoDu} ♦ �tes belle disent ??? et sq.
  74. Elle est malade... A {RoDu} ♦ « Elle est malade... » � ??? et sq.
  75. mais moi {RoDu} ♦ mais, moi ??? et sq.
  76. que si {RoDu} ♦ que, si ??? et sq.
  77. Indiana! non, j'en jure par ma vie {RoDu} ♦ Indiana, moi, j'en jure sur ma vie {Goss} et sq.
  78. tant aim�e que {RoDu} ♦ tant aim�e, que ??? et sq.
  79. aim� {RoDu} et sq. sauf {CL} qui est fautive et donne aim�e
  80. le v�tre; et si {RoDu} ♦ le v�tre, et, si ??? et sq.
  81. et � genoux pr�s de votre lit j'aurais {RoDu} ♦ et, � genoux pr�s de votre lit, j'aurais
  82. l�g�rement; les {RoDu} ♦ l�g�rement, les ??? et sq.
  83. votre sein; et {RoDu} ♦ votre sein, et ??? et sq.
  84. assez, dit {RoDu} ♦ assez! dit ??? et sq.
  85. palpitante, vous me faites du mal {RoDu} ♦ palpitante; vous me faites mal ??? et sq.
  86. la terre � {RoDu} ♦ la terre, � ??? et sq.
  87. ses bras. Toi {RoDu} ♦ ses bras; toi ??? et sq.
  88. ne mourras pas, ce n'est [...] mourir, car {RoDu} ♦ ne mourras pas; ce n'est [...] mourir; car ??? et sq.
  89. r�v�e; la puret� que j'adorais, la {RoDu} ♦ r�v�e, la puret� que j'adorais; la ??? et sq.
  90. dire : Marche [...] t'accompagner. De {RoDu} ♦ dire : « Marche [...] t'accompagner. » De ??? et sq.
  91. leurs lois de fer {RoDu} ♦ leur loi de fer {Goss} ♦ leurs lois de fer {Perr} et sq.
  92. de toi, ils [...] choisie si Dieu {RoDu} ♦ de toi; ils [...] choisie, si Dieu ??? et sq.
  93. les lois si {RoDu} ♦ les lois, si ??? et sq.
  94. mon �me qui {RoDu} ♦ mon �me, qui ??? et sq.
  95. r�vais. Quand au nom d'�poux un {RoDu} ♦ r�vais; quand, au nom d'�poux, un ??? et sq.
  96. qu'il y ait {RoDu} ♦ qu'il y a {Goss} et sq.
  97. reconnue, ange {RoDu} ♦ reconnu, ange ??? et sq.
  98. mon sang avec ta robe {RoDu}, {Goss} ♦ mon sang avec ton voile {Perr} et sq.
  99. {RoDu}: pas de guillemets entourant voil�! [...] f�licit�s inconnues
  100. � moi; c'est {RoDu} ♦ � moi, c'est ??? et sq.
  101. inconnues; et {RoDu} ♦ inconnues. » Et ??? et sq.
  102. vois-tu! ce {RoDu} ♦ vois-tu; ce ??? et sq.
  103. la mort qui m'a ouvert {RoDu}, {Goss} ♦ la mort, qui m'ont ouvert {Perr} et sq.
  104. dans sa maison et {RoDu} ♦ dans sa main, et {Goss} et sq. (P.Salomon maintient cette le�on tout en remarquant sa bizarrerie. On peut supposer qu'il y a ici une erreur de {Goss}, que l'auteur ne remarqua point)
  105. disant : Voil� pour vous. Et {RoDu} ♦ disant : « Voil� pour vous. » Et ??? et sq.
  106. madame Delmare qui {RoDu} ♦ madame Delmare qui ??? et sq.
  107. passion. {RoDu} ♦ passion : ??? et sq.
  108. bonheur, je le d�fie. Reste {RoDu} ♦ bonheur! Je le d�fie! Reste ??? et sq.
  109. sans d�fense, expos� {RoDu} ♦ sans d�fense expos� ??? et sq.
  110. sur moi et {RoDu} ♦ sur moi, et ??? et sq.
  111. col�re, et maintenant je {RoDu} ♦ col�re; et maintenant, je ??? et sq.
  112. taisez-vous. Si {RoDu} ♦ taisez-vous! Si ??? et sq.
  113. tuez-moi; car [...] un jour et {RoDu} ♦ tuez-moi, car [...] un jour, et ??? et sq.
  114. si faible. Elle p�lit, et portant {RoDu} ♦ si faible; elle p�lit, et, portant ??? et sq.
  115. ses mains, et {RoDu} ♦ ses mains et ??? et sq.
  116. s'approcha de son oreille. {RoDu}, {Goss} ♦ s'approche de son oreille : {Perr} et sq.
  117. Noun; je savais [...] ici; j'y venais pour toi, je ne m'attendais [...] ma�tresse que je croyais {RoDu} ♦ Noun! je savais [...] ici, j'y venais pour toi; je ne m'attendais [...] ma�tresse, que je croyais ??? et sq.
  118. bal. J'ai �t� oblig� de feindre; sois prudente {RoDu} ♦ bal. J'ai �t� oblig� de feindre. Sois prudente {Goss} ♦ bal. En p�n�trant ici, je l'ai effray�e, elle s'est �vanouie; sois prudente {Perr} et sq.
  119. Et Raymon s'enfuit {RoDu} ♦ Raymon s'enfuit {Goss} et sq.

Notes