George Sand
INDIANA

George Sand; "Indiana" / Nouvelle �dition; Paris; Michel L�vy fr.; 1861; nombreuses r��d. Michel L�vy puis Calmann L�vy

{ML61 [1]} NOTICE a

J'ai �crit Indiana durant l'automne de 1831. C'est mon premier roman ; je l'ai fait sans aucun plan, sans aucune th�orie d'art ou de philosophie dans l'esprit. J'�tais dans l'�ge o� l'on �crit avec ses instincts et o� la r�flexion ne nous sert qu'� nous confirmer dans nos tendances naturelles. On voulut y voir un plidoyer bien pr�m�dit� contre le mariage. Je n'en cherchais pas si long, et je fus �tonn� au dernier point de toutes les belles choses que la critique trouva � dire sur mes intentions subversives. La critique a beaucoup trop d'esprit, c'est ce qui la fera mourir. Elle ne juge jamais na�vement ce qui a �t� fait na�vement. Elle cherche, comme disent les bonnes gens, midi � quatorze heures, et a d� faire beaucoup de {ML61 2} mal aux artistes qui se sont pr�occup�s de ses arr�ts plus que de raison.

Sous tous les r�gimes et dans tous les temps, il y a eu, d'ailleurs, une race de critiques qui, au m�pris de leur propre talent, se sont imagin� devoir faire le m�tier de d�nonciateurs, de pouvoyeurs du minist�re public; singuli�re fonction pour des gens de lettres vis-�-vis de leurs confr�res! Les rigueurs des gouvernements contre la presse n'ont jamais suffi � ces critiques farouches. Ils voudraient qu'elles portassent non-seulement b sur les œuvres, mais encore sur les personnes, et, si on les �coutait, il serait d�fendu � certains d'entre nous d'�crire quoi que ce soit. Du temps que je fis Indiana, on criait au saint-simonisme � propos de tout. Plus tard, on cria � toutes sortes d'autres choses. Il est encore d�fendu � certains �crivains d'ouvrir la bouche, sous peine de voir les sergents de ville de certains feuilletons s'�lancer sur leur œuvre pour les traduire devant la police des pouvoirs constitu�s. Si cet �crivain fait parler noblement un ouvrier, c'est une attaque contre la bourgeoisie; si une fille �gar�e est r�habilit�e apr�s l'expiation, c'est une attaque contre les femmes honn�tes; si un escroc prend des titrres de noblesse, c'est une attaque contre le patriciat; si un bravache fait le matamore, c'est une insulte contre l'arm�e; si une femme est maltrait�e par son mari, c'est la promiscuit� qui est pr�ch�e. Et de tout ainsi. Bons confr�res, saintes et g�n�reuses �mes de critique! Quel malheur qu'on ne songe point un petit {ML61 3} tribunal d'inquisition litt�raire dont vous seriez les tourmenteurs! Vous suffirait-il de d�pecer et de br�ler les livres � petit feu, et ne pourrait-on, sur vos instances, vous permettre de faire t�ter un peu de torture aux �crivains qui se permettent d'avoir d'autres dieux que les v�tres?

Dieu merci, j'ai oubli� jusqu'au nom de ceux qui, d�s mon premier d�but, tentaient de me d�courager, et qui, ne pouvant dire que cet humble d�but f�t une platitude compl�te, essay�rent d'en faire une proclamation incendiaire contre le repos des soci�t�s. Je ne m'attendais pas � tant d'honneur, et je pense que je dois � ces critiques le remerciement que le li�vre adressa aux grenouilles, en s'imaginant, � leurs terreurs, qu'il avait droit de se croire un foudre de guerre.

GEORGE SAND.

Nohant, mai 1852


Variantes

  1. {Hetz} et sq. : Cette Notice a �t� r�dig�e pour l'edition Hetzel, Blanchard, Marescq (“ Œuvres illustr�es de George Sand / Pr�faces et notices nouvelles par l'auteur. Dessins de Tony Johannot [et Maurice Sand] ” (1852-1856, 9 vol. in-8°). Elle sera incluse dans les �ditions ult�rieures.
  2. non seulement {Gar83} (modernise l'orthographe; nous gardons celle de {ML61}. Nous ne reviendrons plus l�-dessus, relevant seulement les premi�res variantes-types)