GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.4 [147]; Lub T.2 [171]} CINQUIÈME PARTIE
Vie litt�raire et intime
1832-1850

{Presse 21/6/1855 1; CL T.4 [157]; Lub T.2 [181]} II a

Ce que je gagnai � devenir artiste. — La mendicit� organis�e. — Les filous de Paris. — La mendicit� des emplois, celle de la gloire. — Les lettres anonymes et celles qui devraient l'�tre. — Les visites. Les Anglais, les curieux, les fl�neurs, les donneurs de conseils. — Le boulet. — R�flexions sur l'aum�ne, sur l'emploi des biens. — Le devoir religieux et le devoir social en opposition flagrante. — Les probl�mes de l'avenir et la loi du temps. — L'h�ritage mat�riel et intellectuel. — Les devoirs de la famille, de la justice, de la probit� s'opposant � l'immolation �vang�lique dans la soci�t� actuelle. — Contradiction in�vitable avec soi-m�me. — Ce que j'ai cru devoir conclure pour ma gouverne particuli�re. — Doute et douleur. — R�flexions sur la destin�e humaine et sur l'action de la Providence. — L�lia. — La critique. — Les chagrins qui passent, celui qui reste. — Le mal g�n�ral. — Balzac. — D�part pour l'Italie.



Cette ann�e 1833 ouvrit pour moi la s�rie des chagrins r�els et profonds que je croyais avoir �puis�e et qui ne faisait que de commencer. J'avais voulu �tre artiste, je l'�tais enfin. Je m'imaginai �tre arriv�e au but poursuivi depuis longtemps, � l'ind�pendance ext�rieure et � la possession de ma propre existence: je venais de river � mon pied une cha�ne que je n'avais pas pr�vue.

Être artiste! oui, je l'avais voulu, non-seulement pour sortir de la ge�le mat�rielle o� la propri�t�, grande ou petite, nous enferme dans un cercle d'odieuses petites pr�occupations; pour m'isoler du contr�le de l'opinion en ce qu'elle a d'�troit, de b�te, d'�go�ste, de l�che, de provincial; pour vivre en dehors des pr�jug�s du monde, en ce qu'ils ont de faux, de surann�, d'orgueilleux, de cruel, {CL 158} d'impie et de stupide; mais encore, et avant tout, pour me r�concilier avec moi-m�me, que je ne pouvais souffrir oisive et inutile, pesant, � l'�tat de ma�tre, sur {Lub 182} les �paules des travailleurs. Si j'avais pu piocher la terre, je m'y serais mise avec eux plut�t que d'entendre ces mots que, dans mon enfance, on avait grond�s autour de moi quand Deschartres avait le dos tourn�: « Il veut que l'on s'�chauffe, lui qui a le ventre plein et les mains derri�re son dos! » Je voyais bien que les gens � mon service �taient souvent plus paresseux que fatigu�s, mais leur apathie ne me justifiait pas de mon inaction. Il ne me semblait pas avoir le droit d'exiger d'eux le moindre labeur, moi qui ne faisais rien du tout, car c'est ne rien faire que de s'occuper pour son plaisir.

Par go�t, je n'aurais pas choisi la profession litt�raire, et encore moins la c�l�brit�. J'aurais voulu vivre du travail de mes mains, assez fructueusement pour pouvoir faire consacrer mon droit au travail par un petit r�sultat sensible, mon revenu patrimonial �tant trop mince pour me permettre de vivre ailleurs que sous le toit conjugal, o� r�gnaient des conditions inacceptables. Comme la seule objection � la libert� qu'on me laissait d'en sortir �tait le manque d'un peu d'argent � me donner, il me fallait ce peu d'argent. Je l'avais enfin. Il n'y avait plus de reproches ni de m�contentement de ce c�t�-l�.

J'aurais souhait� vivre obscure, et comme, depuis la publication d'Indiana jusqu'� celle de Valentine, b j'avais r�ussi � garder assez bien l'incognito pour que les journaux m'accordassent toujours le titre de monsieur, je me flattais que ce petit succ�s ne changerait rien � mes habitudes s�dentaires et � une intimit� compos�e de gens aussi inconnus que moi-m�me. Depuis que je m'�tais install�e au quai Saint-Michel avec ma petite, j'avais v�cu si retir�e et si tranquille que je ne d�sirais d'autre am�lioration � mon {CL 159} sort qu'un peu moins de marches d'escalier � monter et un peu plus de b�ches � mettre au feu.

En m'�tablissant au quai Malaquais je me crus dans un palais, tant la mansarde de Delatouche �tait confortable au prix de celle que je quittais. Elle �tait un peu sombre quoique en plein midi; on n'avait pas encore b�ti � port�e de la vue, et les grands arbres des jardins environnants faisaient un �pais rideau de verdure o� chantaient les merles et o� babillaient les moineaux avec autant de laisser-aller qu'en pleine campagne. Je me {Lub 183} croyais donc en possession d'une retraite et d'une vie conformes � mes go�ts et � mes besoins. H�las! bient�t je devais soupirer l� comme partout, apr�s le repos, et bient�t courir en vain, comme Jean-Jacques Rousseau, � la recherche d'une solitude.

Je ne sus pas garder ma libert�, d�fendre ma porte aux curieux, aux d�sœuvr�s, aux mendiants de toute esp�ce, et bient�t je vis que ni mon temps ni mon argent de l'ann�e ne suffiraient � un jour de cette obsession. Je m'enfermai alors, mais ce fut une lutte incessante, abominable, entre la sonnette, les pourparlers de la servante et le travail dix fois interrompu.

Il y a, � Paris, autour des artistes, une mendicit� organis�e dont on est longtemps dupe, et dont on continue � �tre victime ensuite par scrupule de conscience. Ce sont de pr�tendus vieux artistes dans la mis�re qui vont de porte en porte avec des souscriptions couvertes de signatures fabriqu�es; ou bien des artisans sans ouvrage c, des m�res qui viennent de mettre leur derni�re nippe au mont-de-pi�t� pour donner le pain de la journ�e � leurs enfants; ce sont des com�diens infirmes, des po�tes sans �diteurs, de fausses dames de charit�. Il y a m�me de pr�tendus missionnaires, de soi-disant cur�s. Tout cela est un ramassis d'inf�mes vagabonds �chapp�s du bagne ou {CL 160} dignes d'y entrer. Les meilleurs sont de vieilles b�tes que la vanit�, l'absence du talent et finalement l'ivrognerie ont r�duites � une mis�re v�ritable.

Quand on a eu la simplicit� de se laisser prendre � la premi�re histoire, � la premi�re figure, la bande vous signale comme une proie � exploiter, vous entoure, vous surveille, conna�t vos heures de sortie et jusqu'� vos jours de recette. Elle approche d'abord avec discr�tion, puis ce sont de nouvelles figures et de nouvelles histoires, des visites plus fr�quentes, des lettres o� l'on vous avertit que, dans deux heures, si le secours demand� n'arrive pas, on ne trouvera plus au logis d�sign� qu'un cadavre. Le sort d'Élisa Mercœur et d'H�g�sippe Moreau sert d�sormais de th�me et de menace � tous les po�tes qui ne rougissent pas de mendier, et qui se disent trop grands hommes pour faire un autre �tat que de r�ver aux �toiles.

Je ne suis pas tellement simple que je sois la dupe {Lub 184} de toutes ces mis�res int�ressantes; mais il en est tant de r�elles et d'imm�rit�es que, parmi celles qui demandent, c'est un travail � perdre la t�te que de reconna�tre les vraies d'avec les fausses. En th�se g�n�rale, et l'on peut dire quatre-vingt-dix fois sur cent d, ceux qui mendient sont de faux pauvres ou des pauvres inf�mes. Ceux qui souffrent r�ellement, en d�pit du courage et de la moralit�, aiment mieux mourir que de mendier. Il faut chercher ceux-ci, les d�couvrir, les tromper souvent pour leur faire accepter l'assistance. Les autres vous assi�gent, vous obs�dent, vous menacent.

Mais il est aussi des malheureux sans grandes vertus et sans grands vices, priv�s de l'h�ro�sme du silence (h�ro�sme qu'il est vraiment cruel d'exiger de la pauvre esp�ce humaine); il est des courages �puis�s, des volont�s us�es par l'insucc�s ou rebut�es par l'impuissance. Il est aussi des femmes qui, par un autre genre d'h�ro�sme que {CL 161} celui de la r�signation, boivent le calice de l'humilit� et tendent la main pour sauver leur mari, leur amant, leurs enfants surtout. Il suffit qu'on risque d'abandonner e � la faim, au d�sespoir, au suicide, une de ces victimes innocentes sur quatre-vingt-dix-neuf filous effront�s, pour qu'on ne dorme pas tranquille; et voil� le boulet qui s'attacha � ma vie d�s que mon petit avoir de chaque journ�e eut d�pass� le strict n�cessaire.

N'ayant pas le temps de courir aux informations pour saisir la v�rit�, puisque j'�tais riv�e au travail, je c�dai longtemps � cette consid�ration toute simple en apparence qu'il valait mieux donner cent sous � un gredin que de risquer de les refuser � un honn�te homme. Mais le syst�me d'exploitation grossit avec une telle rapidit� et dans de telles proportions autour de moi, que je dus regretter d'avoir donn� aux uns pour arriver � �tre forc�e de refuser aux autres. Puis je remarquai, dans les discours path�tiques que l'on me tenait, des contradictions, des mensonges. Il fut un temps o�, e se g�nant plus du tout, tous ces visages patibulaires arrivaient le m�me jour de la semaine. J'essayai de refuser le premier, le second vint et insista. Je tins bon, le troisi�me ne vint pas. Je vis d�s lors que c'�tait une bande. J'aurais d� avertir la police. J'y r�pugnai, ne me croyant pas assez s�re de mon fait.

Mais d'autres mendiants arriv�rent, soit une autre {Lub 185} bande, soit l'arri�re-garde de la premi�re. Je pris sur moi ce dont je ne m'�tais pas encore senti le courage, dans la crainte d'humilier la mis�re: j'exigeai des preuves. Quelques maladroits s'�clips�rent subitement devant cette m�fiance, me laissant voir assez na�vement qu'elle �tait fond�e. D'autres feignirent d'en �tre bless�s, d'autres enfin me fournirent des moyens apparents de constater leur d�n�ment. Ils donn�rent leurs noms, leurs adresses; c'�taient de faux noms, de fausses adresses. Je montai {CL 162} dans des mansardes hideuses. Je vis des enfants dess�ch�s de faim, rong�s de plaies, et quand j'eus port� l� des secours, je d�couvris, un beau matin, que ces mansardes et ces enfants �taient lou�s pour une exhibition de guenilles et de maladies, qu'ils n'appartenaient pas � la femme qui pleurait sur eux devant moi et qui les mettait � la porte � grands coups de balai quand j'�tais partie.

J'envoyai une fois chez un po�te malheureux, qui devait �tre trouv� asphyxi�, comme Escousse, si, � telle heure, il ne recevait pas ma r�ponse. On frappa en vain, il faisait le mort. On enfon�a la porte: on le trouva mangeant des saucisses.

Pourtant, comme au milieu de cette vermine qui s'attache aux gens consciencieux il m'arrivait de mettre la main sur de v�ritables infortun�s, je ne pus jamais me d�cider � repousser d'une mani�re absolue la mendicit�. Pendant quelques ann�es, je fis une petite rente � des personnes charg�es d'aller aux informations pendant quelques heures de la matin�e. Elles furent tromp�es un peu moins que moi, voil� tout, et depuis que je n'habite plus Paris, la correspondance ruineuse de centaines de mendiants continue � m'arriver de tous les points de la France.

Il y a une s�rie de po�tes et d'auteurs qui veulent des protections, comme si la protection pouvait suppl�er, je ne dis pas seulement au talent, mais � la plus simple notion de la langue que l'on pr�tend �crire. Il y a une s�rie de femmes incomprises qui veulent entrer au th��tre. Elles n'ont {Presse 16/6/1855 2} jamais essay�, il est vrai, de jouer la com�die, mais elles se sentent la vocation de jouer les premiers r�les: une s�rie de jeunes gens sans emploi qui demandent le premier emploi venu dans les arts, dans l'agriculture, dans la comptabilit�; ils sont propres {Lub 186} � tout apparemment, et bien qu'on ne les connaisse pas, on doit les recommander et r�pondre d'eux comme de soi-m�me. De plus modestes {CL 163} avouent qu'ils sont sans �ducation aucune, qu'ils ne sont propres � rien, mais que, sous peine de manquer d'humanit�, il faut leur trouver quelque chose � faire. Il y a aussi une s�rie d'ouvriers d�mocrates qui ont r�solu le probl�me social et qui feront dispara�tre la mis�re de notre soci�t�, si on leur donne de quoi publier leur syst�me. Ceux-l� sont infaillibles. Quiconque en doute est vendu � l'orgueil, � l'avarice et � l'�go�sme. Il y a encore une s�rie de petits commer�ants ruin�s qui ont besoin de cinq ou six mille francs pour racheter un fonds de boutique. « Cela est une mis�re pour vous! disent-ils; vous �tes bonne, vous ne me refuserez pas. » Il y a enfin des peintres, des musiciens, qui n'ont pas de succ�s parce qu'ils ont trop de g�nie et que la jalousie des ma�tres les repousse; ilp y a des soldats engag�s qui voudraient se racheter, des juifs qui demandent des autographes pour les vendre, des demoiselles qui veulent entrer chez moi comme femmes de chambre pour �tre mes �l�ves en litt�rature. J'ai chez moi des armoires pleines de lettres saugrenues, de manuscrits fabuleux, de romances ou d'op�ras de l'autre monde, et des th�ories sociales � sauver tous les habitants du syst�me plan�taire. Tout cela avec un post-scriptum portant demande d'un petit secours en attendant, et en double ou triple r�cidive, avec injures � la seconde sommation et menaces � la troisi�me.

Et pourtant j'ai la patience de lire toutes les lettres quand elles ne sont pas impossibles � d�chiffrer, quand elles ne sont pas de seize pages en caract�res microscopiques. J'ai la conscience de commencer toutes les �lucubrations philosophiques, musicales et litt�raires, et de les continuer quand je ne suis pas r�volt�e � la premi�re page par des fautes trop grossi�res ou des aberrations trop r�voltantes.

Quand je vois une ombre de talent, je mets � part et je r�ponds. Quand j'en vois beaucoup, je m'en occupe tout � fait. Ces derniers ne me donnent pas grande besogne; mais {CL 164} la m�diocrit� honn�te est encore assez abondante pour me prendre bien du temps et me causer bien de la fatigue. Le vrai talent ne demande jamais rien; il offre et donne un pur t�moignage de sympathie. La {Lub 187} m�diocrit� honn�te ne demande pas d'argent, mais des compliments sous forme d'encouragement. La m�diocrit� plate, � un degr� au-dessous, commence � demander des �diteurs ou des articles de journaux. La stupidit� demande, que dis-je, elle exige imp�rieusement l'argent et la gloire!

Ajoutez � cette pers�cution les lettres anonymes remplies d'injures grossi�res; les entreprises, souvent tout aussi cyniques, des saints et des saintes qui veulent me faire rentrer dans le giron de l'Église les cur�s qui m'offrent de racheter mon �me en leur envoyant de quoi r�parer une chapelle ou habiller une statue de la Vierge; les visites �tranges, les trappistes, les instituteurs destitu�s en 1848, les mouchards volontaires, esp�ces d'agents provocateurs imb�ciles qui viennent crier contre tous les gouvernements et qui se trompent, faisant du l�gitimisme chez les r�publicains et vice vers�; les artistes boh�miens, les colonels et capitaines espagnols r�fugi�s de tous les partis, successivement battus dans ce pays des vicissitudes, officiers sup�rieurs � la quinzaine, chamarr�s de d�corations, qui demandent vingt francs et se rabattent sur vingt sous: enfin la mis�re fausse ou vraie, humble ou arrogante, la vanit� confiante ou haineuse, l'ignoble rage de parti, l'indiscr�tion, la folie, la bassesse ou la stupidit� sous toutes les formes: voil� la l�pre qui s'attache � toute c�l�brit�, qui d�range, qui trouble, qui lasse, qui ruine, qui tue � la longue, � moins qu'on n'adopte ce farouche principe, toute mis�re est m�rit�e, qu'on n'�crive sur sa porte, je ne donne rien, et qu'on dorme tranquille en se disant: « J'ai �t� exploit� par des fripons, que ce soit tant pis d�sormais pour les honn�tes gens qui ont faim! »

{CL 165} Et encore n'ai-je pas parl� des simples curieux, race tr�s-m�lang�e o� l'on risque de tourner le dos � quelques honorables sympathies pour se d�livrer d'une foule d'oisifs importuns. Dans cette derni�re cat�gorie, il y a des Anglais en voyage qui veulent simplement mettre sur leur livre de notes qu'ils vous ont vue; et comme j'ai trop oubli� l'anglais pour faire l'effort de le parler avec eux, ceux qui ne savent pas trois mots de fran�ais me parlent dans leur langue, je leur r�ponds dans la mienne. Ils ne comprennent pas, ils font oh! Et s'en vont satisfaits. Comme je sais que quelques-uns ont un carnet {Lub 188} et un crayon tout taill� pour �crire les r�ponses, m�me avant de remonter en voiture, de crainte de les oublier, je me suis amus�e quelquefois � leur r�pondre aussi par oh! ou � leur dire des choses si inintelligibles, quand leur figure m'ennuyait, que je les d�fie bien d'en avoir retenu quelque chose. Il est vrai qu'il y a le curieux trop intelligent qui vous fait parler et vous pr�te des mots. f

Il y a aussi le curieux malveillant, qui vient avec l'intention de vous confesser, et qui s'en va tout � fait ennemi quand il n'a pu vous arracher que des r�flexions sur la pluie et le beau temps.

Il y a encore les poseurs, qui entrent chez vous pour vous faire savoir qu'ils vous valent bien et que vous n'avez pas de temps � perdre si vous voulez corroborer un peu votre futile talent � l'aide de leur exp�rience et de leur puissante raison. Ils vous donnent des sujets de roman, des types, des situations de th��tre. Enfin, ce sont des riches prodigues qui ont de la bienveillance pour vous et qui viennent vous faire l'aum�ne d'une id�e.

On ne peut pas se figurer les excentricit�s, les inconvenances, les ridicules, les vanit�s, les folies et les b�tises de toutes sortes qui viennent se faire passer en revue par les malheureux artistes afflig�s de quelque renomm�e. Cette {CL 166} importunit� d�lirante n'a qu'un bon r�sultat, qui est de vous inspirer un vif int�r�t et une joyeuse sollicitude pour le talent modeste et vrai qui veut bien se r�v�ler � vous. On est press� alors de reporter sur lui le bon vouloir que tant d'aberrations et de pr�tentions vous ont forc� de refouler.

Ainsi, � peine arriv�e au r�sultat que j'avais poursuivi, une double d�ception m'apparut. Ind�pendance sous ces deux formes, l'emploi du temps et l'emploi des ressources, voil� ce que je croyais tenir, voil� ce qui se transforma en un esclavage irritant et continuel. En voyant combien mon travail �tait loin de suffire aux exigences de la mis�re environnante, je doublai, je triplai, je quadruplai la dose du travail. Il y eut des moments o� elle fut excessive et o� je me reprochai les heures de repos et de distraction n�cessaires, comme une mollesse de l'�me, comme une satisfaction de l'�go�sme. Naturellement absolue dans mes convictions, je fus longtemps {Lub 189} gouvern�e par la loi de ce travail forc� et de cette aum�ne sans bornes, comme je l'avais �t� par l'id�e catholique, au temps o� je m'interdisais les jeux et la gaiet� de l'adolescence pour m'absorber dans la pri�re et dans la contemplation.

Ce ne fut qu'en ouvrant ma pens�e au r�ve d'une grande r�forme sociale que je me consolai, par la suite, de l'�troitesse et de l'impuissance de mon d�vouement. Je m'�tais dit, avec tant d'autres, que certaines bases sociales �taient indestructibles, et que le seul rem�de contre les exc�s de l'in�galit� �tait dans le sacrifice individuel, volontaire. Mais c'est la porte ouverte aux �go�stes aussi bien qu'aux d�vou�s, cette th�orie de l'aum�ne particuli�re. On y entre tout entier ou on fait semblant d'y entrer. Personne n'est l� pour constater que vous �tes dedans ou dehors. Il y a bien une loi religieuse qui vous prescrit de donner, non pas votre superflu, mais jusqu'au n�cessaire; il y a bien une opinion qui vous conseille la charit�: mais il n'est {CL 167} pas de pouvoir constitu� qui vous contraigne et qui contr�le l'�tendue et la r�alit� de vos dons.* D�s lors, vous �tes libre de tricher l'opinion, d'�tre ath�e devant Dieu et hypocrite devant les hommes. La mis�re est � la merci de la conscience de chaque individu; et tandis que des courages na�fs s'immolent avec exc�s, des esprits froids et positifs s'abstiennent de les seconder et leur laissent porter un fardeau impossible.

* En signalant ce fait, je n'entends pas dire que l'aum�ne forc�e f�t une solution sociale. On le verra tout � l'heure.

Oui, impossible! Car s'il en �tait autrement, si une poign�e de bons serviteurs pouvait sauver le monde et suffire, par un travail forc� et une abn�gation sans limites, � d�truire la mis�re et tous les vices qu'elle engendre, ceux-l� devraient s'estimer heureux et fiers de leur mission, et l'espoir du succ�s en attirerait un plus grand nombre � la gloire et � la joie du sacrifice. Mais cet ab�me de la mis�re n'est pas de ceux que les dieux consentent � fermer quand il a englouti quelque holocauste. Il est sans fond, et il faut qu'une soci�t� enti�re y pr�cipite ses offrandes pour le combler un instant. Dans l'�tat des choses, il semble m�me que les d�vouements partiels le creusent et l'agrandissent, {Lub 190} puisque l'aum�ne avilit, en condamnant celui qui compte sur elle � l'abandon de soi-m�me.

On a retir� au clerg�, aux communaut�s religieuses les immenses biens qu'ils poss�daient; on a tent�, dans une grande r�volution sociale, de cr�er une caste de petits propri�taires actifs et laborieux � la place d'une caste de mendiants inertes et nuisibles. Donc l'aum�ne ne sauvait pas la soci�t�, m�me exerc�e en grand par un corps constitu� et consid�rable; donc les richesses consacr�es � l'aum�ne �taient loin de suffire, puisque ces richesses, mobilis�es et distribu�es sous une autre forme, ont laiss� {CL 168} l'ab�me b�ant et la mis�re pullulante. Et l'on voit qu'en me servant de cet exemple, je suppose que tout a �t� pour le mieux, que le clerg� et les couvents n'ont jamais employ� leurs biens qu'� faire l'aum�ne et que la vente des biens nationaux n'a enrichi que des pauvres, ce qui n'est pas absolument vrai, on le sait de reste.

Oui, oui, h�las! La charit� est impuissante, l'aum�ne inutile. Il est arriv�, il arrivera encore, que des crises violentes forceront les dictatures, qu'elles soient populaires ou monarchiques, � tailler dans le vif et � exiger de la part des classes riches des sacrifices consid�rables. Ce sera le droit du moment, mais jamais un droit absolu, selon les hommes, si un principe nouveau ne vient le consacrer d'une mani�re �ternelle dans la libre croyance de tous les hommes.

Les gouvernements, quels qu'ils soient, n'y peuvent gu�re encore. Ne les accusez pas trop. À supposer qu'ils voulussent inaugurer � tout prix ce principe de salut universel sous une forme quelconque, ils le voudraient en vain. La r�sistance des masses brisera toujours la volont� des individus, quelque ardente, quelque miraculeuse qu'elle puisse �tre. Toute dictature est un r�ve, si ce n'est celle du temps.

Et cependant, que faire, nous autres individus de bonne intention? Nous abstenir ou nous immoler!

{Presse 22/6/1855 1} Je me suis mille fois pos� ce probl�me, et je ne l'ai pas r�solu. La loi du Christ: Vendez tout, donnez l'argent aux pauvres et suivez-moi, est interdite aujourd'hui par les lois humaines. Je n'ai pas le droit de vendre mes biens et de les donner aux pauvres. Quand m�me des constitutions particuli�res de propri�t� ne s'y opposeraient {Lub 191} pas, la loi morale g de l'h�r�dit� des biens, qui entra�ne celle de l'h�r�dit� d'�ducation, de dignit� et d'ind�pendance, nous l'interdit absolument, sous peine d'infraction aux devoirs de la famille. Nous ne sommes pas libres d'imposer le {CL 169} bapt�me de la mis�re aux enfants n�s de nous. Ils ne sont pas plus notre propri�t� morale que les serfs n'�taient la propri�t� l�gitime d'un seigneur. La mis�re est d�gradante, il n'y a pas � dire, puisque l� o� elle est compl�te il faut s'humilier, et puisqu'on n'y �chappe, dans ce cas, que par la mort. Personne ne pourrait donc l�gitimement jeter ses enfants dans l'ab�me pour en retirer ceux des autres. Si tous appartiennent � Dieu au m�me titre, nous nous devons plus sp�cialement � ceux qu'il nous a donn�s. Or, tout ce qui encha�ne la libert� future d'un enfant est un acte de tyrannie, quand m�me c'est un acte d'enthousiasme et de vertu.

Si quelque jour, dans l'avenir, la soci�t� nous demande le sacrifice de l'h�ritage, sans doute elle pourvoira � l'existence de nos enfants; elle les fera honn�tes et libres au sein d'un monde o� le travail constituera le droit de vivre. La soci�t� ne peut prendre l�gitimement � chacun que pour rendre � tous. En attendant le r�gne de cette id�e, qui est encore � l'�tat d'utopie, forc�s de nous d�battre entre les liens de la famille qui seront toujours sacr�s, et les effroyables difficult�s de l'existence par le travail; contraints de nous conformer aux lois constitu�es, c'est-�-dire de respecter la propri�t� d'autrui et de faire respecter la n�tre, sous peine de finir par le bagne ou l'h�pital, quel est donc le devoir, pour ceux qui voient, de bonne foi, l'ab�me de la souffrance et de la mis�re?

Voil� un probl�me insoluble si l'on ne se r�sout � vivre au sein d'une contradiction flagrante entre les principes de l'avenir et les n�cessit�s du pr�sent. Ceux qui nous crient que nous devrions pr�cher d'exemple, ne rien poss�der et vivre � la mani�re des chr�tiens primitifs, semblent avoir raison contre nous; seulement, en nous prescrivant avec ironie de donner tout et de vivre d'aum�nes, ils ne sont gu�re logiques non plus, puisqu'ils nous engagent � consacrer, {CL 170} par notre exemple, le principe de la mendicit� que nous repoussons � l'�tat de th�orie sociale.

{Lub 192} Quelques socialistes abordent plus franchement la question, et j'en sais qui m'ont dit: « Ne faites pas l'aum�ne. En donnant � ceux qui demandent, vous consacrez le principe de leur servitude. »

Eh bien, ceux-l� m�mes qui me parlaient ainsi dans des moments de conviction passionn�e faisaient l'aum�ne le moment d'apr�s, incapables de r�sister � la piti� qui commande aux entrailles et qui �chappe au raisonnement; et comme, en faisant l'aum�ne, on est encore plus humain et plus utile qu'en se r�duisant soi-m�me � la n�cessit� de la recevoir, je crois qu'ils avaient raison d'enfreindre leur propre logique et de se r�signer, comme moi, � n'�tre pas d'accord avec eux-m�mes.

La v�rit� n'en reste pas moins une chose absolue, en ce sens qu'on ne peut ni ne doit admettre la justice des lois qui r�gissent aujourd'hui la propri�t�. Je ne crois pas qu'elles puissent �tre an�anties d'une mani�re durable et utile, par un bouleversement subit et violent. Il est assez d�montr� que le partage des biens constituerait un �tat de lutte effroyable et sans issue, si ce n'est l'�tablissement d'une nouvelle caste de gros propri�taires d�vorant les petits, ou une stagnation d'�go�smes compl�tement barbares.

Ma raison ne peut admettre autre chose qu'une s�rie de modifications successives amenant les hommes, sans contrainte et par la d�monstration de leurs propres int�r�ts, � une solidarit� g�n�rale dont la forme absolue est encore impossible � d�finir. Durant le cours de ces transformations progressives, il y aura encore bien des contradictions entre le but � poursuivre et les n�cessit�s du moment. Toutes les �coles socialistes de ces derniers temps ont entrevu la v�rit� et l'ont m�me saisie par quelque point essentiel; mais aucune n'a pu tracer bien sagement le code {CL 171} des lois qui doivent sortir de l'inspiration g�n�rale � un moment donn� de l'histoire. C'est tout simple: l'homme ne peut que proposer; c'est l'avenir qui dispose. Tel croit �tre le philosophe le plus avanc� de son si�cle, qui sera tout � coup d�pass� par des �v�nements et des situations tout � fait myst�rieux dans les desseins de la Providence, de m�me que certains obstacles qui paraissent l�gers aux plus prudents r�sisteront longtemps � l'action des efforts humains.

Pour ma part, je n'ai pas eu tout � fait la libert� du {Lub 193} choix dans ma conduite priv�e, eu �gard � l'emploi des biens qui me sont �chus. Plac�e, par contrat, sous la loi du r�gime dotal, qui est une sorte de substitution de la propri�t�, j'ai d� regarder Nohant comme un petit majorat dont je n'�tais que le d�positaire, et je n'aurais pu �luder cette loi qu'en faisant l'office de d�positaire infid�le envers mes enfants. Je me suis fait un cas de conscience de leur transmettre intact le mince h�ritage que j'avais re�u pour eux, et j'ai cru concilier, autant que possible, la religion de la famille et la religion de l'humanit� en ne disposant pour les pauvres que des revenus de mon travail. Je ne sais pas si je suis dans le faux. J'ai cru �tre dans le vrai. J'ai la certitude de m'�tre abstenue, depuis bien des ann�es, de toute satisfaction purement personnelle, de n'avoir rien donn� � la vanit�, au luxe, � la mollesse, � l'avarice, aux passions que je n'avais pas et que le moyen de les satisfaire n'a pas fait na�tre en moi. Mince m�rite � coup s�r! Le seul sacrifice qui m'ait un peu co�t�, c'est de renoncer aux voyages, que j'aurais aim�s de passion et qui m'eussent d�velopp�e comme artiste, mais dont j'ai d� m'abstenir, � moins de n�cessit� pour les autres. Renoncer au s�jour de Paris m'a �t� personnellement nuisible aussi � beaucoup d'�gards; mais j'ai cru ne devoir pas h�siter, et ce sacrifice a port� avec {CL 172} soi sa r�compense, puisque l'amour de la campagne et de la vie intime m'a d�dommag�e de mon isolement social.

Je n'ai donc rien fait de grand et je n'ai vu r�ellement rien de grand � faire, qui n'entam�t pas, par quelque point, la s�curit� de ma conscience. Lancer mes enfants, malgr� eux, dans le fanatisme de convictions ardentes, m'e�t sembl� un attentat contre leur libert� morale. J'ai cru devoir leur dire ma foi et les laisser ma�tres de la partager ou de la rejeter. J'ai cru devoir, dans la pr�vision des crises de l'avenir, travailler � amoindrir en eux la confiance aveugle et dangereuse que l'h�ritage inspire � la jeunesse, et leur pr�cher la n�cessit� du travail. J'ai cru devoir faire de mon fils un artiste, ne pas l'�lever pour n'�tre qu'un propri�taire, et cependant ne pas le forcer � n'�tre qu'artiste en le d�pouillant de sa propri�t�. J'ai cru devoir remplir avec une fid�lit� scrupuleuse toutes les obligations que, sous peine de d�shonneur et de manque de parole, les contrats relatifs {Lub 194} � l'argent imposent � tout le monde. Quant � l'argent, je n'ai pas su en gagner � tout prix; je n'ai m�me pas su en gagner beaucoup, tout en travaillant avec une pers�v�rance soutenue. J'ai su en perdre, par cons�quent en refuser � ceux qui m'en demandaient, plut�t que d'en arracher rigoureusement � ceux qui m'en devaient et que j'aurais r�duits � la g�ne. Les relations p�cuniaires sont �tablies de telle sorte que l'assistance envers les uns pourrait bien, si l'on n'y prenait garde, �tre le d�pouillement cruel des autres. Que faire de mieux? Je ne sais pas. Si je le savais, je l'aurais fait, car mon intention est tr�s-droite. Mais je ne vois pas, et je n'ai pas trouv� le moyen de rendre mon d�vouement utile � mes semblables dans de grandes proportions, et je ne peux pas attribuer cette impossibilit� � l'insuffisance de mes ressources. Qu'elles s'�tendissent � des sommes beaucoup plus consid�rables, le nombre des infortun�s � ma charge n'e�t {CL 173} fait que s'accro�tre, et des millions de louis dans mes mains eussent amen� des millions de pauvres autour de moi. O� serait la limite? MM. de Rothschild donnant leur fortune aux indigents d�truiraient-ils la mis�re? On sait bien que non. Donc la charit� individuelle n'est pas le rem�de, ce n'est m�me pas un palliatif. Ce n'est pas autre chose qu'un besoin moral qu'on subit, une �motion qui se manifeste et qui n'est jamais satisfaite.

J'ai donc des raisons d'exp�rience, des raisons puis�es dans mes propres entrailles, pour ne pas accepter le fait social comme une v�rit� bonne et durable, et pour protester contre ce fait jusqu'� ma derni�re heure. On a dit que j'avais pris cet esprit de r�volte dans mon orgueil. Qu'est-ce que mon orgueil avait � faire dans tout cela? J'ai commenc� par accepter sans r�flexion et sans combat les choses �tablies. J'ai pratiqu� la charit�, et je l'ai pratiqu�e longtemps avec beaucoup de myst�re, croyant na�vement que c'�tait l� un m�rite dont il fallait se cacher. J'�tais dans la lettre de l'Évangile: « Que votre main gauche ne sache pas ce que donne la main droite. » H�las! en voyant l'�tendue et l'horreur de la mis�re, j'ai reconnu que la piti� �tait une obligation si pressante, qu'il n'y avait aucune esp�ce de m�rite � en subir les tiraillements, et que d'ailleurs, dans une soci�t� si oppos�e � la loi du Christ, {Lub 195} garder le silence sur de telles plaies ne pouvait �tre que l�chet� ou hypocrisie.

Voil� � quelles certitudes m'amenait le commencement de ma vie d'artiste, et ce n'�tait que le commencement! Mais � peine eus-je abord� ce probl�me du malheur g�n�ral que l'effroi me saisit jusqu'au vertige. J'avais fait bien des r�flexions, j'avais subi bien des tristesses dans la solitude de Nohant, mais j'avais �t� absorb�e et comme engourdie par des pr�occupations personnelles. J'avais probablement c�d� au go�t du si�cle, qui �tait alors de {CL 174} s'enfermer dans une douleur �go�ste, de se croire Ren� ou Obermann et de s'attribuer une sensibilit� exceptionnelle, par cons�quent des souffrances inconnues au vulgaire. Le milieu dans lequel je m'�tais isol�e alors �tait fait pour me persuader que tout le monde ne pensait pas et ne souffrait pas � ma mani�re, puisque je ne voyais autour de moi que pr�occupations des int�r�ts mat�riels, aussit�t noy�es dans la satisfaction de ces m�mes int�r�ts.

{Presse 27/5/1855 1} Quand mon horizon se fut �largi, quand m'apparurent toutes les tristesses, tous les besoins, tous les d�sespoirs, tous les vices du grand milieu social, quand mes r�flexions n'eurent plus pour objet ma propre destin�e, mais celle du monde o� je n'�tais qu'un atome, ma d�sesp�rance personnelle s'�tendit � tous les �tres, et la loi de la fatalit� se dressa devant moi si terrible que ma raison en fut �branl�e.

Qu'on se figure une personne arriv�e jusqu'� l'�ge de trente ans sans avoir ouvert les yeux sur la r�alit�, et dou�e pourtant de tr�s-bons yeux pour tout voir; une personne aust�re et s�rieuse au fond de l'�me, qui s'est laiss� bercer et endormir si longtemps par des r�ves po�tiques, par une foi enthousiaste aux choses divines, par l'illusion d'un renoncement absolu � tous les int�r�ts de la vie g�n�rale, et qui, tout � coup frapp�e du spectacle �trange de cette vie g�n�rale, l'embrasse et le p�n�tre avec toute la lucidit� que donne la force d'une jeunesse pure et d'une conscience saine!

Et ce moment o� j'ouvrais les yeux �tait solennel dans l'histoire. La R�publique r�v�e en juillet aboutissait aux massacres de Varsovie et � l'holocauste du clo�tre Saint-Merry. Le chol�ra venait de d�cimer le monde. Le saint-simonisme, qui avait donn� aux {Lub 196} imaginations un moment d'�lan, �tait frapp� de pers�cution et avortait, sans avoir tranch� la grande question de l'amour, et m�me, selon {CL 175} moi, apr�s l'avoir un peu souill�e. L'art aussi avait souill�, par des aberrations d�plorables, le berceau de sa r�forme romantique. Le temps �tait � l'�pouvante et � l'ironie, � la consternation et � l'impudence, les uns pleurant sur la ruine de leurs g�n�reuses illusions, les autres riant sur les premiers �chelons d'un triomphe impur; personne ne croyant plus � rien, les uns par d�couragement, les autres par ath�isme.

Rien dans mes anciennes croyances ne s'�tait assez nettement formul� en moi, au point de vue social, pour m'aider � lutter contre ce cataclysme o� s'inaugurait le r�gne de la mati�re h, et je ne trouvais pas dans les id�es r�publicaines et socialistes du moment une lumi�re suffisante pour combattre les t�n�bres que Mammon soufflait ouvertement sur le monde. Je restais donc seule avec mon r�ve de la Divinit� toute-puissante, mais non plus tout amour i, puisqu'elle abandonnait la race humaine � sa propre perversit� ou � sa propre d�mence.

C'est sous le coup de cet abattement profond que j'�crivis L�lia, � b�tons rompus et sans projet d'en faire un ouvrage ni de le publier. Cependant quand j'eus li� ensemble, au hasard d'une donn�e de roman, un assez grand nombre de fragments �pars, je les lus � Sainte-Beuve, qui m'encouragea � continuer et qui conseilla � Buloz de m'en demander un chapitre pour la Revue des Deux-Mondes. Malgr� ce pr�c�dent, je n'�tais pas encore d�cid�e � faire de cette fantaisie un livre pour le public. Il portait trop le caract�re du r�ve, il �tait trop de l'�cole de Coramb� pour �tre go�t� par de nombreux lecteurs. Je ne me pressais donc pas, et j'�loignais de moi, � dessein, la pr�occupation du public, �prouvant une sorte de soulagement triste � c�der � l'impr�vu de ma r�verie, et m'isolant m�me de la r�alit� du monde actuel, pour tracer la synth�se du doute et de la souffrance, � mesure qu'elle se pr�sentait � moi sous une forme quelconque.

{CL 176} Ce manuscrit tra�na un an sous ma plume, quitt� souvent avec d�dain et souvent repris avec ardeur. C'est, je crois, un livre qui n'a pas le sens commun au {Lub 197} point de vue de l'art, mais qui n'en a �t� que plus remarqu� par les artistes, comme une chose d'inspiration spontan�e dans le d�tail. J'ai �crit deux pr�faces � ce livre et j'ai dit l� tout ce que j'avais � en dire. Je n'y reviendrai donc pas inutilement. Le succ�s de la forme fut tr�s-grand. Le fond fut critiqu� avec une amertume extr�me. On voulut voir des portraits dans tous les personnages, des r�v�lations personnelles dans toutes les situations; on alla jusqu'� interpr�ter dans un sens vicieux et obsc�ne des passages �crits avec la plus grande candeur, et je me souviens que, pour comprendre ce que l'on m'accusait d'avoir voulu dire, je fus forc�e de me faire expliquer des choses que je ne savais pas.

Je ne fus pas tr�s-sensible � ce d�cha�nement de la critique et aux ignobles calomnies qu'il souleva. Ce que l'on sait compl�tement faux n'inqui�te gu�re. On sent que cela tombera de soi-m�me dans les bons esprits, si tant est que les bons esprits puissent se tromper sur l'intention et sur les tendances d'un livre.

Je m'�tonnai seulement, et maintenant encore je m'�tonne des inimiti�s personnelles que soul�ve l'�mission des id�es. Je n'ai jamais compris qu'on f�t l'ennemi d'un artiste qui pense et cr�e dans un sens oppos� � celui que l'on a ou que l'on aurait choisi. Que l'on discute et combatte le but de son œuvre, je le con�ois; mais que l'on alt�re, de propos d�lib�r�, cette pens�e pour la rendre condamnable; que l'on d�nature le texte m�me par de fausses citations ou des comptes rendus infid�les; que l'on calomnie la vie de l'auteur pour injurier sa personne; qu'on le ha�sse � travers son livre: voil� encore une des �nigmes de la vie que je n'ai pas r�solues et que je ne r�soudrai probablement {CL 177} jamais. Je vois bien le fait, je le vois dans tous les temps et � propos de toutes les id�es; mais je m'�tonne que l'horreur de l'inquisition, g�n�ralement sentie aujourd'hui, n'ait pas suffi � gu�rir les hommes de cette rage de pers�cution r�ciproque, o� il semble que la critique regrette parfois de n'avoir pas le bourreau � sa droite et le b�cher � sa gauche, en proc�dant � ses r�quisitoires j.

Je vis ces fureurs avec tristesse, mais avec une certaine tranquillit�. Je n'avais pas pour rien amass� dans la solitude un grand d�dain pour tout ce qui n'�tait pas le vrai. Si j'eusse aim� et cherch� le monde, je me serais {Lub 198} tourment�e probablement de la calomnie qui pouvait momentan�ment m'en fermer l'acc�s; mais, ne cherchant que l'amiti� s�rieuse et sachant que rien ne pouvait �branler celles qui m'entouraient, je ne m'aper�us r�ellement jamais des effets de la m�chancet�, et ma t�che fut si facile sous ce rapport que je ne saurais mettre la pers�cution au nombre des malheurs de ma vie.

D'ailleurs, en toutes choses, les chagrins qui n'ont eu leur effet que sur ma propre existence, je les compte aujourd'hui pour rien. Ce n'est pas que je les aie tous port�s avec courage. Non! J'�tais, je suis peut-�tre encore d'une sensibilit� excessive que la raison ne gouverne pas du tout dans le moment de la crise. Mais j'appr�cie les souffrances morales comme je crois que la raison doit les appr�cier sit�t qu'elle reprend son empire. Je vois dans mon pass�, comme dans celui de tous les �tres aimants que j'ai connus, des d�chirements terribles, des d�ceptions accablantes, des heures d'agonie v�ritable; mais je fais la part de la personnalit�, qui est violente dans la jeunesse. C'est le propre de la jeunesse de vouloir saisir et fixer le r�ve du bonheur. Si elle y renon�ait facilement, si elle ne le poursuivait avec �pret�, si, au lendemain d'une catastrophe, elle ne se relevait du d�sespoir avec une assurance {CL 178} nouvelle, si elle ne vivait de chim�res, de croyances ardentes, de d�vouements enthousiastes, d'amers d�dains, de chaudes indignations, en un mot de tous les abattements et de tous les renouvellements de la volont�, elle ne serait pas la jeunesse, et cette fatalit� qui la pousse � d�couvrir le monde de son imagination et l'id�al de son cœur � travers l'imminence des naufrages, c'est presque un droit qu'elle exerce, puisque c'est une loi qu'elle subit.

Mais tout cela, vu � distance, rentre dans le monde des songes �vanouis. Nul de nous ne regrette d'�tre d�livr� de ses maux, et nul de nous cependant ne regrette de les avoir �prouv�s. Tous, nous savons qu'il faut vivre quand on est dans la force des �motions, parce qu'il faut avoir v�cu quand on est dans la force de la r�flexion. Il ne faut regretter des �preuves de la vie que celles qui nous ont fait un mal r�el et durable.

Quel est ce mal? Je vais vous le dire. Toute douleur lente ou rapide qui nous �te des forces et nous laisse amoindris est une infortune v�ritable et dont il n'est {Lub 199} gu�re facile de se consoler jamais. Un vice, un crime moral, une l�chet�, voil� de ces malheurs qui vieillissent tout � coup et qui m�ritent la piti� qu'on peut avoir envers soi-m�me et demander aux autres. Il est, dans l'ordre moral, des maladies analogues � celles de la vie physique, en ce qu'elles nous laissent infirmes et � jamais bris�s.

Votre corps est-il sans infirmit�s contract�es {Presse 27/6/1855 2} avant l'�ge? Quelque souffreteux que vous puissiez �tre, ne vous plaignez pas; vous vous portez aussi bien qu'une cr�ature humaine peut l'esp�rer. Ainsi de votre �me. Vous sentez-vous en possession de l'exercice de vos facult�s pour le vrai et pour le juste? Quelles que soient vos crises passag�res de d�couragement ou d'excitation, ne reprochez pas � la destin�e de vous avoir �prouv�s trop rudement: vous �tes aussi heureux que l'homme peut aspirer � l'�tre k.

{CL 179} Cette philosophie me para�t bien facile � pr�sent. Se laisser souffrir, puisque la souffrance est in�vitable, et ne pas la maudire quand elle s'apaise, puisqu'elle ne nous a pas rendus pires: toute �me honn�te peut pratiquer cette humble sagesse pour son compte.

Mais il est une douleur plus difficile � supporter que toutes celles qui nous frappent � l'�tat d'individu. Elle a pris tant de place dans mes r�flexions, elle a eu tant d'empire sur ma vie, jusqu'� venir empoisonner mes phases de pur bonheur personnel, que je dois bien la dire aussi!

Cette douleur, c'est le mal g�n�ral: c'est la souffrance de la race enti�re, c'est la vue, la connaissance, la m�ditation du destin de l'homme ici-bas. On se fatigue vite de se contempler soi-m�me. Nous sommes de petits �tres sit�t �puis�s, et le roman de chacun de nous est si vite repass� dans sa propre m�moire! À moins de se croire sublime, peut-on n'examiner et ne contempler que son moi? D'ailleurs, qui est-ce qui se trouve sublime de bien bonne foi? Le pauvre fou qui se prend pour le soleil et qui, de sa triste loge, crie aux passants: prenez garde � l'�clat de mes rayons!

Nous n'arrivons � nous comprendre et � nous sentir vraiment nous-m�mes qu'en nous oubliant, pour ainsi dire, et en nous perdant dans la grande conscience de l'humanit�. C'est alors qu'� c�t� de certaines joies et {Lub 200} de certaines gloires dont le reflet nous grandit et nous transfigure, nous sommes tous saisis tout � coup d'un invincible effroi et de poignants remords en regardant les maux, les crimes, les folies, les injustices, les stupidit�s, les hontes de cette nation qui couvre le globe et qui s'appelle l'homme. Il n'y a pas d'orgueil, il n'y a pas d'�go�sme qui nous console quand nous nous absorbons dans cette id�e!

Tu te diras en vain: « Je suis un �tre raisonnable parmi {CL 180} ces millions d'�tres qui ne le sont pas; je ne souffre pas de ces maux que leur sottise leur attire. » H�las! Tu n'en seras pas plus fier, puisque tu ne peux pas faire que tes semblables soient semblables � toi. Ton isolement t'�pouvantera d'autant plus que tu te croiras meilleur et te sentiras plus heureux l que les autres.

Ton innocence m�me, la conscience de ta douceur et de ta probit�, la s�r�nit� de ton propre cœur, ne te seront pas un refuge contre la tristesse profonde qui t'enveloppe, si tu te sens vivre dans un milieu impur, sur une terre souill�e, parmi des �tres sans foi ni loi qui se d�vorent les uns les autres, et chez qui le vice est bien autrement contagieux que la vertu.

Tu as une heureuse famille, je suppose, d'excellents amis, un entourage de bonnes �mes comme la tienne. Tu as r�ussi � fuir le contact de l'humanit� malade. H�las! Pauvre homme de bien, tu n'en es que plus seul!

Tu es doux, g�n�reux, sensible: tu ne peux lire l'histoire sans fr�mir � chaque page, et le sort des victimes innombrables que le temps d�vore t'arrache de saintes larmes: h�las! Pauvre bon cœur, � quoi servent les pleurs de ta piti�? Elles mouillent la page que tu lis et ne font pas revivre un seul homme immol� par la haine!

Tu es d�vou�, actif, ardent; tu parles, tu �cris, tu agis de toutes tes forces sur les esprits qui veulent bien t'�couter. On te jette des pierres et de la boue: n'importe, tu es courageux, tu pers�v�res! H�las! Pauvre martyr, tu mourras � la peine, et ta derni�re pri�re sera encore pour des hommes que d'autres hommes font souffrir!

Eh bien, il n'est pas n�cessaire d'�tre un saint pour vivre ainsi de la vie des autres et pour sentir que le mal g�n�ral empoisonne et fl�trit le bonheur personnel. {Lub 201} Tous, oui tous, nous subissons cette douleur commune � tous, et que ceux qui semblent s'en pr�occuper le moins {CL 181} s'en pr�occupent encore assez pour en redouter le contrecoup sur l'�difice fragile de leur s�curit�. Cette pr�occupation augmente de jour en jour, d'heure en heure, � mesure que le monde s'�claire, se communique sa vie et se sent vibrer d'un bout � l'autre comme une cha�ne magn�tique. Deux personnes ne se rencontrent pas, trois hommes ne se trouvent pas r�unis, sans que, du chapitre des int�r�ts particuliers, on ne passe vite � celui des int�r�ts g�n�raux pour s'interroger, se r�pondre et se passionner. Le paysan lui-m�me, ce type d'insouciance et de d�dain pour tout ce qui est au del� de son champ, veut savoir aujourd'hui si, de l'autre c�t� de sa colline, les �tres humains sont plus tranquilles et plus satisfaits que lui.

C'est la loi de la vie; mais, de toutes les lois de la vie, c'est la plus cruelle; et quand ce devient une loi de la conscience, c'est le tourment du devoir de tous aux prises avec l'impuissance de chacun.

Ceci n'est pas une r�crimination politique. La politique d'actualit�, si int�ressante qu'elle puisse �tre, n'est jamais qu'un horizon. La loi de douleur qui plane sur notre monde et le cri de plainte qui s'en exhale partent des intimes convulsions de son essence m�me, et nulle r�volution actuellement possible ne saurait ni l'�touffer ni en d�truire les causes profondes. Quand on s'ab�me dans cette recherche, on arrive � constater l'action du bien et du mal dans l'humanit�, � saisir le m�canisme des effets et des r�sistances, � savoir enfin comment s'op�re cet �ternel combat. Rien de plus! Le pourquoi, c'est Dieu seul qui pourrait nous le dire, lui qui a fait l'homme si lentement progressif, et qui e�t pu le faire plus intelligent et plus puissant pour le bien que pour le mal.

Devant cette question que l'�me peut adresser � la supr�me sagesse, j'avoue que le terrible mutisme de la divinit� consterne l'entendement. L�, nous sentons notre {CL 182} volont� se briser contre la porte d'airain des imp�n�trables myst�res; car nous ne pouvons pas admettre le souverain bien, type de toute lumi�re et de toute perfection, r�pondant � la terre suppliante et g�missante par la loi brutale de son bon plaisir.

{Lub 202} Devenir ath�e et supposer une loi inintelligente pr�sidant � la r�gle des destin�es de l'univers, c'est admettre quelque chose de bien plus extraordinaire et de bien plus incroyable que de s'avouer, soi, raison born�e, d�pass� par les motifs de la raison infinie. La foi triomphe donc de ses propres doutes; mais l'�me navr�e sent les bornes de sa puissance se resserrer �troitement sur elle et encha�ner son d�vouement dans un si petit espace, que l'orgueil s'en va pour jamais et que la tristesse demeure.

Voil� sous l'empire de quelles pr�occupations secr�tes j'avais �crit L�lia. Je n'en parlais � personne, sachant bien que personne autour de moi ne pouvait me r�pondre, et ch�rissant peut-�tre aussi, d'une certaine fa�on, le secret de ma r�verie. J'avais toujours �t�, et j'ai �t� toujours ainsi, aimant � me nourrir seule d'une id�e lentement savour�e, quelque rongeuse et d�vorante qu'elle puisse �tre. Le seul �go�sme permis, c'est celui du d�couragement qui ne veut se communiquer � personne et qui, en s'�puisant dans la contemplation de ses propres causes, finit par c�der au besoin de vivre, � la gr�ce int�rieure peut-�tre!

Il est vrai qu'en me taisant ainsi devant mes amis, j'exhalais, en publiant mon livre, une plainte qui devait avoir un plus grand retentissement. Je n'y songeai pas d'abord. Faisant bon march� de moi-m�me et de ma propre douleur, je me dis que mon livre serait peu lu et ferait rire � mes d�pens comme un ramassis de songes creux, plut�t qu'il ne ferait r�ver aux durs probl�mes du doute et de la croyance. Quand je vis qu'il faisait soupirer aussi quelques �mes inqui�tes, je me persuadai et je me {CL 183} persuade encore que l'effet de ces sortes de livres est plut�t bon que mauvais, et que, dans un si�cle mat�rialiste, ces ouvrages-l� valent mieux que les Contes drolatiques m 1, bien qu'ils amusent beaucoup moins la masse des lecteurs.

À propos des Contes drolatiques, qui parurent vers la m�me �poque, j'eus une assez vive discussion avec Balzac, et comme il voulait m'en lire, malgr� moi, des fragments, je lui jetai presque son livre au nez. Je me souviens que, comme je le traitais de gros ind�cent, il me traita de prude et sortit en me criant sur l'escalier: « Vous n'�tes qu'une b�te! » Mais nous n'en f�mes {Lub 203} que meilleurs amis, tant Balzac �tait v�ritablement na�f et bon.

Apr�s quelques jours pass�s dans la for�t de Fontainebleau, je d�sirai voir l'Italie, dont j'avais soif comme tous les artistes et qui me satisfit dans un sens oppos� � celui que j'attendais. Je fus vite fatigu�e de voir des tableaux et des monuments. Le froid m'y donna la fi�vre, puis la chaleur m'�crasa et le beau ciel finit par me lasser. Mais la solitude se fit pour moi dans un coin de Venise et m'e�t encha�n�e l� longtemps si j'avais eu mes enfants avec moi. Je ne referai ici, qu'on se rassure, aucune des descriptions que j'ai publi�es soit dans les Lettres d'un voyageur, soit dans divers romans dont j'ai plac� la sc�ne en Italie, et � Venise particuli�rement. Je donnerai seulement sur moi-m�me quelques d�tails qui ont naturellement leur place dans ce r�cit.


Variantes

  1. Sommaire du 1er chapitre du 10e [v. du 9e ray�] volume {Ms} que nous retrouvons icichapitre trenti�me {Presse} ♦ chapitre deuxi�me {Lecou}, {LP} ♦ II {CL}
  2. jusqu'apr�s celle de Valentine, {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ jusqu'� celle de Valentine, {CL}
  3. des artisans sans ouvrage {Ms} {Presse}, {Lecou} ♦ : des artistes sans ouvrage {LP}, {CL} ♦ des artisans sans ouvrage {Lub} r�tablissant la le�on originale; nous le suivons, non sans h�sitation
  4. 99 fois sur cent {Ms}quatre-vingt-dix fois sur cent {Presse} et sq.
  5. il suffit qu'on puisse abandonner {Ms}il suffit qu'on risque d'abandonner {Presse} et sq.
  6. quelque chose. Fin du paragraphe dans {Ms}quelque chose. Il est vrai qu'il y a le curieux trop intelligent qui vous fait parler et vous pr�te des mots. {Presse} et sq.
  7. ne s'y opposeraient pas [je suis dans ce cas particulier les devoirs de la famille ray�] la loi morale {Ms}
  8. le r�gne de la [bourgeoisie ray�] mati�re {Ms}
  9. non plus tout amour {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ non plus son amour {CL} (non-sens �vident) ♦ non plus tout amour {Lub} r�tablissant la le�on originale; nous le suivons
  10. � ses r�quisitoires {Ms}, {Presse} ♦ � ses r�quisitions {Lecou} � ses r�quisitoires {Lub} r�tablissant la le�on originale, seule acceptable; nous le suivons
  11. � l'�tre [si vous ne trouvez en vous-m�me aucun obstacle pour aimer le devoir et pour l'accomplir. ray�] {Ms}
  12. te sentiras plus heureux {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ te sentiras meilleur {CL} (visiblement une foule d'impression) ♦ te sentiras plus heureux {Lub} (que nous suivons)
  13. Contes dr�latiques {CL} ♦ Contes drolatiques {Lub} que nous suivons parce que c'est l'orthographe de l'�dition Gosselin (1832) du titre des ditz contes

Notes

  1. dr�latique: le Dictionnaire de L'Acad�mie Fran�aise ne retient le mot que depuis l'�dition 1932-1935 o� l'orthographe est drolatique. Littr� remarquait qu'« on a pris l'habitude d'�crire ce mot sans accent circonflexe, bien que dr�le en ait un » (art. drolatique). On trouve n�anmoins dr�latique encore au d�but du XXe si�cle.