GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.4 [147]; Lub T.2 [171]} CINQUIÈME PARTIE
Vie litt�raire et intime
1832-1850

{Presse 16/8/1855 1; CL T.4 [451]; Lub T.2 [430]} XIII a

J'essaye le professorat et j'y �choue. — Irr�solution. — Retour de mon fr�re. — Les pavillons de la rue Pigalle. — Ma fille en pension. — Le square d'Orl�ans et mes relations. — Une grande m�ditation dans le petit bois de Nohant. — Caract�re de Chopin d�velopp�. — Le prince Karol. — Causes de souffrance. — Mon fils me console de tout. — Mon cœur pardonne tout. — Mort de mon fr�re. — Quelques mots sur les absents. — Le ciel. — Les douleurs qu'on ne raconte pas. — L'avenir du si�cle. — Conclusion. b



Apr�s le voyage de Majorque, je songeai � arranger ma vie de mani�re � r�soudre le difficile probl�me de faire travailler Maurice sans le priver d'air et de mouvement. À Nohant, cela �tait possible, et nos lectures pouvaient suffire � remplacer par des notions d'histoire, de philosophie et de litt�rature le grec et le latin du coll�ge.

Mais Maurice aimait la peinture, et je ne pouvais la lui enseigner. D'ailleurs, je ne me fiais pas assez � moi-m�me quant au reste pour mener un peu loin les �tudes que nous faisions ensemble, moi apprenant et pr�parant la veille ce que je lui d�montrais le lendemain; car je ne savais rien avec m�thode et j'�tais oblig�e d'inventer une m�thode � son usage en m�me temps que je m'initiais aux connaissances que cette m�thode devait d�velopper. Il me fallait, en m�me temps encore, trouver une autre m�thode pour Solange, dont l'esprit avait besoin d'un tout autre proc�d� d'enseignement, relativement aux �tudes appropri�es � son �ge.

{CL 452} Cela �tait au-dessus de mes forces � moins de renoncer � �crire. J'y songeai s�rieusement. En me renfermant � la campagne toute l'ann�e, j'esp�rais vivre de Nohant, et vivre fort satisfaite en consacrant ce que je pouvais {Lub 431} avoir de lumi�re dans l'�me � instruire mes enfants; mais je m'aper�us bien vite que le professorat ne me convenait pas du tout, ou, pour mieux dire, que je ne convenais pas du tout � la t�che toute sp�ciale du professorat. Dieu ne m'a pas donn� la parole; je ne m'exprimais pas d'une mani�re assez pr�cise et assez nette, outre que la voix me manquait au bout d'un quart d'heure. D'ailleurs, je n'avais pas assez de patience avec mes enfants, j'aurais mieux enseign� ceux des autres. Il ne faut peut-�tre pas s'int�resser passionn�ment � ses �l�ves. Je m'�puisais en efforts de volont�, et je trouvais souvent dans la leur une r�sistance qui me d�sesp�rait. Une jeune m�re n'a pas assez d'exp�rience des langueurs et des pr�occupations de l'enfance. Je me rappelais les miennes cependant; mais, me rappelant aussi que si on ne les avait pas vaincues malgr� moi, je serais rest�e inerte ou devenue folle, je me tuais � lasser la r�sistance, ne sachant pas la briser.

Plus tard j'ai appris � lire � ma petite-fille, et j'ai eu de la patience, quoique je l'aimasse passionn�ment aussi; mais j'avais beaucoup d'ann�es de plus! c

Dans l'irr�solution o� je fus quelque temps relativement � l'arrangement de ma vie, en vue du mieux possible pour ces chers enfants, une question s�rieuse fut d�battue dans ma conscience. Je me demandais si je devais accepter l'id�e que Chopin s'�tait faite de fixer son existence aupr�s de la mienne. Je n'eusse pas h�sit� � dire non si j'eusse pu savoir d alors combien peu de temps la vie retir�e et la solennit� de la campagne convenaient � sa sant� morale et physique. J'attribuais encore son d�sespoir et son horreur de Majorque � l'exaltation de la fi�vre et � {CL 453} l'exc�s de caract�re de cette r�sidence. Nohant offrait des conditions plus douces, une retraite moins aust�re, un entourage sympathique et des ressources en cas de maladie. Papet e �tait pour lui un m�decin �clair� et affectueux. Fleury, Duteil, Duvernet et leurs familles, Planet, Rollinat surtout, lui furent chers � premi�re vue. Tous l'aim�rent aussi et se sentirent dispos�s � le g�ter avec moi.

Mon fr�re �tait venu habiter le Berry. Il �tait fix� dans la terre de Montgivray, dont sa femme avait h�rit�, � une demi-lieue de nous. Mon pauvre Hippolyte s'�tait si �trangement et si follement conduit envers moi que {Lub 432} le bouder un peu n'e�t pas �t� trop s�v�re; mais je ne pouvais bouder sa femme qui avait toujours �t� parfaite pour moi, et sa fille, que je ch�rissais comme si elle e�t �t� mienne, l'ayant �lev�e en partie avec les m�mes soins que j'avais eus pour Maurice. D'ailleurs mon fr�re, quand il reconnaissait ses torts, s'accusait si enti�rement, si dr�lement, si �nergiquement, disant mille na�vet�s spirituelles tout en jurant et pleurant avec effusion, que mon ressentiment �tait tomb� au bout d'une heure. D'un autre que lui, le pass� e�t �t� inexcusable, et avec lui l'avenir ne devait pas tarder � redevenir intol�rable; mais qu'y faire? C'�tait lui! C'�tait le compagnon de mes premi�res ann�es; c'�tait le b�tard n� heureux, c'est-�-dire l'enfant g�t� de chez nous. Hippolyte e�t eu bien mauvaise gr�ce � se poser en Antony. Antony est vrai relativement aux pr�jug�s de certaines familles; d'ailleurs ce qui est beau est toujours assez vrai; mais on pourrait bien faire la contre-partie d'Antony, et l'auteur de ce po�me tragique pourrait la faire lui-m�me aussi vraie et aussi belle. Dans certains milieux, l'enfant f de l'amour inspire un tel int�r�t qu'il arrive � �tre, sinon le roi de la famille, du moins le membre le plus entreprenant et le plus ind�pendant de la famille, celui qui ose tout et � qui l'on passe tout, parce que les {CL 454} entrailles ont besoin de le d�dommager de l'abandon de la soci�t�. Par le fait, n'�tant rien officiellement, et ne pouvant pr�tendre � rien l�galement dans mon int�rieur, Hippolyte y avait toujours fait dominer son caract�re turbulent, son bon cœur et sa mauvaise t�te. Il m'en avait chass�e, par la seule raison que je ne voulais pas l'en chasser; il avait aigri et prolong� la lutte qui m'y ramenait, et il y rentrait lui-m�me, pardonn� et embrass� pour quelques larmes qu'il versait au seuil de la maison paternelle. Ce n'�tait que la reprise d'une nouvelle s�rie de repentirs de sa part et d'absolutions de la mienne.

Son entrain, sa gaiet� intarissable, l'originalit� de ses saillies, ses effusions enthousiastes et na�ves pour le g�nie de Chopin, sa d�f�rence constamment respectueuse envers lui seul, m�me dans l'in�vitable et terrible apr�s-boire, trouv�rent gr�ce aupr�s de l'artiste �minemment aristocratique. Tout alla donc fort bien au commencement, et j'admis �ventuellement l'id�e que Chopin pourrait se reposer et refaire sa sant� parmi nous pendant {Lub 433} quelques �t�s, son travail devant n�cessairement le rappeler l'hiver � Paris.

Cependant g la perspective de cette sorte d'alliance de famille avec un ami nouveau dans ma vie me donna � r�fl�chir. Je fus effray�e de la t�che que j'allais accepter et que j'avais crue devoir se borner au voyage en Espagne. Si Maurice venait � retomber dans l'�tat de langueur qui m'avait absorb�e, adieu � la fatigue des le�ons, il est vrai, mais adieu aussi aux joies de mon travail; et quelles heures de ma vie sereines et vivifiantes pourrais-je consacrer � un second malade, beaucoup plus difficile � soigner et � consoler que Maurice?

Une sorte d'effroi s'empara donc de mon cœur en pr�sence d'un devoir nouveau � contracter. Je n'�tais pas illusionn�e par une passion. J'avais pour l'artiste une sorte d'adoration maternelle tr�s-vive, tr�s-vraie, mais qui ne {CL 455} pouvait pas un instant lutter contre l'amour des entrailles, le seul sentiment chaste qui puisse �tre passionn�.

J'�tais encore assez jeune pour avoir peut-�tre � lutter contre l'amour, contre la passion proprement dite. Cette �ventualit� de mon �ge, de ma situation et de la destin�e des femmes artistes, surtout quand elles ont horreur des distractions passag�res, m'effrayait beaucoup, et, r�solue � ne jamais subir d'influence qui p�t me distraire de mes enfants, je voyais un danger moindre, mais encore possible, m�me dans la tendre amiti� que m'inspirait Chopin.

Eh bien, apr�s r�flexion, ce danger disparut � mes yeux et prit m�me un caract�re oppos�, celui d'un pr�servatif contre des �motions que je ne voulais plus conna�tre. Un devoir de plus dans ma vie, d�j� si remplie et si accabl�e de fatigue, me parut une chance de plus pour l'aust�rit� vers laquelle je me sentais attir�e avec une sorte d'enthousiasme religieux.

Si j'eusse donn� suite � mon projet de m'enfermer � Nohant toute l'ann�e, de renoncer aux arts et de me faire l'institutrice de mes enfants, Chopin e�t �t� sauv� du danger qui le mena�ait, lui, � mon insu: celui de s'attacher � moi d'une mani�re trop absolue. Il ne m'aimait pas encore au point de ne pouvoir s'en distraire, son affection n'�tait pas encore exclusive. Il m'entretenait d'un amour romanesque qu'il avait eu en Pologne, de doux entra�nements qu'il avait subis ensuite {Lub 434} � Paris et qu'il y pouvait retrouver, et surtout de sa m�re, qui �tait la seule passion de sa vie, et loin de laquelle pourtant il s'�tait habitu� � vivre. Forc� de me quitter pour sa profession, h qui �tait son honneur m�me, puisqu'il ne vivait que de son travail, six mois de Paris l'eussent rendu, apr�s quelques jours de malaise et de larmes, � ses habitudes d'�l�gance, de succ�s exquis et de {Presse 16/8/1855 2} coquetterie intellectuelle. Je n'en pouvais pas douter, je n'en doutais pas.

{CL 456} Mais la destin�e nous poussait dans les liens i d'une longue association, et nous y arriv�mes tous deux sans nous en apercevoir.

Forc�e d'�chouer dans mon entreprise de professorat, je pris le parti de le remettre en meilleures mains, et de faire, dans ce but, un �tablissement annuel � Paris. Je louai, rue Pigalle, un appartement compos� de deux pavillons au fond d'un jardin. Chopin s'installa rue Tronchet; mais son logement fut humide et froid. Il recommen�a � tousser s�rieusement, et je me vis forc�e de donner ma d�mission de garde-malade, ou de passer ma vie en all�es et venues impossibles. Lui, pour me les �pargner, venait chaque jour me dire avec une figure d�compos�e et une voix �teinte qu'il se portait � merveille. Il demandait � d�ner avec nous, et il s'en allait le soir, grelottant dans son fiacre. Voyant combien il s'affectait du d�rangement de notre vie de famille, je lui offris de lui louer un des pavillons dont je pouvais lui c�der une partie. Il accepta avec joie. Il eut l� son appartement, y re�ut ses amis et y donna ses le�ons sans me g�ner. Maurice avait l'appartement au-dessus du sien; j'occupais l'autre pavillon avec ma fille. Le jardin �tait joli et assez vaste pour permettre de grands jeux et de belles gaiet�s. Nous avions des professeurs des deux sexes qui faisaient de leur mieux. Je voyais le moins de monde possible, m'en tenant toujours � mes amis. Ma jeune et charmante parente Augustine, Oscar, le fils de ma sœur, dont je m'�tais charg�e et que j'avais mis en pension, les deux beaux enfants de madame d'Oribeau, qui �tait venue se fixer � Paris dans le m�me but que moi, c'�tait l� un jeune monde bien-aim� qui se r�unissait de temps en temps � mes enfants, mettant, � ma grande satisfaction, la maison sens dessus dessous.

Nous pass�mes ainsi pr�s d'un an, � t�ter ce mode {Lub 435} d'�ducation � domicile. Maurice s'en trouva assez bien. Il ne {CL 457} mordit jamais plus que mon p�re ne l'avait fait aux �tudes j classiques; mais il prit avec M. Eug�ne Pelletan, M. Loyson et M. Zirardini le go�t de lire et de comprendre, et il fut bient�t en �tat de s'instruire lui-m�me et de d�couvrir tout seul les horizons vers lesquels sa nature d'esprit le poussait. Il put aussi commencer � recevoir des notions de dessin, qu'il n'avait re�ues jusque-l� que de son instinct.

Il en fut autrement de ma fille. Malgr� l'excellent enseignement qui lui fut donn� chez moi par mademoiselle Suez, une Genevoise de grand savoir et d'une admirable douceur, son esprit impatient ne pouvait se fixer � rien, et cela �tait d�sesp�rant, car l'intelligence, la m�moire et la compr�hension �taient magnifiques chez elle. Il fallut en revenir � l'�ducation en commun, qui la stimulait davantage, et � la vie de pension, qui, restreignant les sujets de distraction, les rend plus faciles � vaincre. Elle ne se plut pourtant pas dans la premi�re pension o� je la mis. Je l'en retirai aussit�t pour la conduire � Chaillot, chez madame Bascans, o� elle convint qu'elle �tait r�ellement mieux que chez moi. Install�e dans une maison charmante et dans un lieu magnifique, objet des plus doux soins et favoris�e des le�ons particuli�res de M. Bascans, un homme de vrai m�rite, elle daigna enfin s'apercevoir que la culture de l'intelligence pouvait bien �tre autre chose qu'une vexation gratuite. Car tel �tait le th�me de cette raisonneuse; elle avait pr�tendu jusque-l� qu'on avait invent� les connaissances humaines dans l'unique but de contrarier les petites filles.

Ce parti de me s�parer d'elle de nouveau �tant pris (avec plus d'effort et de regret que je ne voulus lui en montrer), je v�cus alternativement � Nohant l'�t�, et � Paris l'hiver, sans me s�parer de Maurice, qui savait s'occuper partout et toujours. Chopin venait passer trois ou quatre mois chaque ann�e � Nohant. J'y prolongeais mon s�jour assez avant dans l'hiver, et je retrouvais � Paris mon malade ordinaire, {CL 458} c'est ainsi qu'il s'intitulait, d�sirant mon retour, mais ne regrettant pas la campagne, qu'il n'aimait pas au del� d'une quinzaine et qu'il ne supportait davantage que par attachement pour moi. Nous avions quitt� les pavillons de la rue Pigalle k, {Lub 436} qui lui d�plaisaient, pour nous �tablir au square d'orl�ans, o� la bonne et active Marliani nous avait arrang� une vie de famille. Elle occupait un bel appartement entre les deux n�tres. Nous n'avions qu'une grande cour, plant�e et sabl�e, toujours propre, � traverser pour nous r�unir, tant�t chez elle, tant�t chez moi, tant�t chez Chopin, quand il �tait dispos� � nous faire de la musique. Nous d�nions chez elle tous ensemble � frais communs. C'�tait une tr�s-bonne association, �conomique comme toutes les associations, et qui me permettait de voir du monde chez madame Marliani, mes amis plus intimement chez moi, et de prendre mon travail � l'heure o� il me convenait de me retirer. Chopin se r�jouissait aussi d'avoir un beau salon isol�, o� il pouvait aller composer ou r�ver. Mais il aimait le monde et ne profitait gu�re de son sanctuaire que pour y donner des le�ons. Ce n'est qu'� Nohant qu'il cr�ait et �crivait. Maurice avait son appartement et son atelier au-dessus de moi. Solange avait pr�s de moi une jolie chambrette o� elle aimait � faire la dame vis-�-vis d'Augustine les jours de sortie, et d'o� elle chassait son fr�re et Oscar imp�rieusement, pr�tendant que les gamins avaient mauvais ton et sentaient le cigare; ce qui ne l'emp�chait pas de grimper � l'atelier un moment apr�s pour les faire enrager, si bien qu'ils passaient leur temps � se renvoyer outrageusement de leurs domiciles respectifs et � revenir frapper � la porte pour recommencer. Un autre enfant, d'abord timide et raill�, bient�t taquin et railleur, venait ajouter aux all�es et venues, aux algarades et aux �clats de rire qui d�sesp�raient le voisinage. C'�tait Eug�ne Lambert, camarade de Maurice � l'atelier de peinture de Delacroix, {CL 459} un gar�on plein d'esprit, de cœur et de dispositions, qui devint mon enfant presque autant que les miens propres, et qui, appel� � Nohant pour un mois, y a pass� jusqu'� pr�sent une douzaine d'�t�s, sans compter plusieurs hivers.

Plus tard, je pris Augustine tout � fait avec nous, la vie de famille et d'int�rieur me devenant chaque jour plus ch�re et plus n�cessaire*.

* Cette l enfant, belle et douce, fut toujours un ange de consolation pour moi. Mais, en d�pit de ses vertus et de sa tendresse, elle fut pour moi la cause de bien grands chagrins. Ses tuteurs [{Lub 437}] me la disputaient m, et j'avais de fortes raisons pour accepter le devoir de la prot�ger exclusivement. Devenue majeure, elle ne voulait n pas s'�loigner de moi. Ce fut la cause d'une lutte ignoble et d'un chantage inf�me de la part de gens que je ne nommerai pas. On me mena�a de libelles atroces si je ne donnais pas quarante mille francs. Je laissai para�tre les libelles, immonde ramassis de mensonges ridicules que la police se chargea d'interdire. Ce ne fut pas l� le point douloureux du martyre que je subissais pour cette noble et pure enfant: la calomnie s'acharna apr�s elle o par contre-coup, et, pour la prot�ger envers et contre tous, je dus plus d'une fois briser mon propre cœur et mes plus ch�res affections.

{Lub 437} S'il me fallait parler ici avec d�tail des illustres et chers amis qui m'entour�rent pendant ces huit ann�es, je recommencerais un volume. Mais ne suffit-il pas de nommer, outre ceux dont j'ai parl� d�j�, Louis Blanc, Godefroy Cavaignac, Henri Martin, et le plus beau g�nie de femme de notre �poque, uni � un noble cœur, Pauline Garcia, fille d'un artiste de g�nie, sœur de la Malibran, et mari�e � mon ami Louis Viardot, savant modeste, homme de go�t et surtout homme de bien!

Parmi ceux que j'ai vus avec autant d'estime et moins d'intimit�, je citerai Mickiewicz, Lablache, Alkan a�n�, Soliva, E. Quinet, le g�n�ral Pepe, etc.! et, sans faire de cat�gories de talent ou de c�l�brit�, j'aime � me rappeler l'amiti� fid�le de Bocage, le grand artiste, et la touchante amiti� d'Agricol Perdiguier, le noble artisan; celle de {CL 460} Ferdinand Fran�ois, �me sto�que et pure, et celle de Gilland, �crivain prol�taire d'un grand talent et d'une grande foi; celle d'Étienne Arago, si vraie et si charmante, et celle d'Anselme P�t�tin, si m�lancolique et si sinc�re; celle de M. de Bonnechose, le meilleur des hommes et le plus aimable, l'inappr�ciable ami de madame Marliani; et celle de M. de Rancogne, charmant po�te in�dit, sensible et gai vieillard qui avait toujours des roses dans l'esprit et jamais d'�pines dans le cœur; celle de Mendizabal, le p�re enjou� et affectueux de toute notre ch�re jeunesse et celle de Dessa�er, artiste �minent, caract�re pur et digne*; enfin celle d'Hetzel, qui, pour arriver sur le tard de ma vie, ne m'en fut pas moins pr�cieuse, et celle du docteur Varennes, une des plus anciennes et des plus regrett�es.

* Henri Heine m'a pr�t� contre lui des sentiments inou�s. Le g�nie a ses r�ves de malade.

{Lub 438} H�las! La mort ou l'absence ont d�nou� la plupart de ces relations, sans refroidir mes souvenirs et mes sympathies. Parmi celles que j'ai pu ne pas perdre de vue, j'aime � nommer le capitaine d'Arpentigny, un des esprits les plus frais, les plus originaux et les plus �tendus qui existent, et madame Hortense Allart, �crivain d'un sentiment tr�s-�lev� et d'une forme tr�s-po�tique, femme savante toute jolie et toute rose, disait Delatouche; esprit courageux, ind�pendant; femme brillante et s�rieuse, vivant � l'ombre avec autant de recueillement et de s�r�nit� qu'elle saurait porter de gr�ce et d'�clat dans le monde; m�re tendre et forte, entrailles de femme, fermet� d'homme.

Je voyais aussi cette t�te exalt�e et g�n�reuse, cette femme qui avait les illusions d'un enfant et le caract�re d'un h�ros, cette folle, cette martyre, cette sainte, Pauline Roland.

J'ai nomm� p Mickiewicz, g�nie �gal � celui de Byron, {CL 461} �me conduite aux vertiges de l'extase par l'enthousiasme de la patrie et la saintet� des mœurs. J'ai nomm� Lablache, le plus grand acteur comique et le plus parfait chanteur de notre �poque: dans la vie priv�e, c'est un adorable esprit et un p�re de famille respectable. J'ai nomm� Soliva, compositeur lyrique d'un vrai talent, professeur admirable, caract�re noble et digne, artiste enjou�, enthousiaste, s�rieux. Enfin, j'ai nomm� Alkan, pianiste c�l�bre, plein d'id�es fra�ches et originales, musicien savant, homme de cœur. Quant � Edgar Quinet, tous le connaissent en le lisant: un grand cœur dans une vaste intelligence; ses amis connaissent en plus sa modestie candide et la douceur de son commerce. Enfin, j'ai nomm� le g�n�ral Pepe, �me h�ro�que et pure, un de ces caract�res qui rappellent les hommes de Plutarque. Je n'ai nomm� ni Mazzini, ni les autres amis que j'ai gard�s dans le monde politique et dans la vie intime, ne les ayant connus r�ellement que plus tard.

D�j�, dans ce temps-l�, je touchais, par mes relations vari�es, aux extr�mes de la soci�t�, � l'opulence, � la mis�re, aux croyances les plus absolutistes, aux principes les plus r�volutionnaires. J'aimais � conna�tre et � comprendre les divers ressorts qui font mouvoir l'humanit� et qui d�cident de ses vicissitudes. Je regardais {Lub 439} avec attention, je me trompais souvent, je voyais clair quelquefois.

Apr�s les d�sesp�rances de ma jeunesse, trop d'illusions me gouvern�rent. Au scepticisme maladifsucc�da trop de bienveillance et d'ing�nuit�. Je fus mille fois dupe d'un r�ve de fusion archang�lique dans les forces oppos�es du grand combat des id�es. Je suis bien encore quelquefois capable de cette simplicit�, r�sultat d'une pl�nitude de cœur; pourtant j'en devrais �tre bien gu�rie, car mon cœur a beaucoup saign�.

La vie que je raconte ici �tait aussi bonne que possible � la surface. Il y avait pour moi du beau soleil sur mes {CL 462} enfants, sur mes amis, sur mon travail; mais la vie que je ne raconte pas �tait voil�e d'amertumes effroyables.

{Presse 17/8/1855 1} Je me souviens d'un jour o�, r�volt�e d'injustices sans nom qui, dans ma vie intime, m'arrivaient tout � coup de plusieurs c�t�s � la fois, je m'en allai pleurer dans le petit bois de mon jardin de Nohant, � l'endroit o� jadis ma m�re faisait pour moi et avec moi ses jolies petites rocailles. J'avais alors environ quarante ans, et, quoique sujette � des n�vralgies terribles, je me sentais physiquement beaucoup plus forte que dans ma jeunesse. Il me prit fantaisie, je ne sais au milieu de quelles id�es noires, de soulever une grosse pierre, peut-�tre une de celles que j'avais vu autrefois porter par ma robuste petite m�re. Je la soulevai sans effort, et je la laissai retomber avec d�sespoir, disant en moi-m�me: « Ah! Mon Dieu, j'ai peut-�tre encore quarante ans � vivre! »

L'horreur de la vie, la soif du repos, que je repoussais depuis longtemps, me revinrent cette fois-l� d'une mani�re bien terrible. Je m'assis sur cette pierre et j'�puisai mon chagrin dans des flots de larmes. Mais il se fit l� en moi une grande r�volution: � ces deux heures d'an�antissement succ�d�rent deux ou trois heures de m�ditation et de rass�r�nement dont le souvenir est rest� net en moi comme une chose d�cisive dans ma vie.

La r�signation n'est pas dans ma nature. C'est l� un �tat de tristesse morne, m�l�e � de lointaines esp�rances, que je ne connais pas. J'ai vu cette disposition chez les autres, je n'ai jamais pu l'�prouver. Apparemment mon organisation s'y refuse. Il me faut d�sesp�rer absolument pour avoir du courage. Il faut que je sois arriv�e {Lub 440} � me dire « Tout est perdu! » pour que je me d�cide � tout accepter. J'avoue m�me que ce mot de r�signation m'irrite. Dans l'id�e que je m'en fais, � tort ou � raison, c'est une sotte paresse qui veut se soustraire � l'inexorable logique {CL 463} du malheur; c'est une mollesse de l'�me qui nous pousse � faire notre salut en �go�stes, � tendre un dos endurci aux coups de l'iniquit�, � devenir inertes, sans horreur du mal que nous subissons, sans piti� par cons�quent pour ceux qui nous affligent. q Il me semble que les gens compl�tement r�sign�s sont pleins de d�go�t et de m�pris pour la race humaine. Ne s'effor�ant plus de soulever les rochers qui les �crasent, ils se disent que tout est rocher, et qu'eux seuls sont les enfants de Dieu*.

* C'�tait aussi le sentiment de M. Lamennais. Silvio Pellico �tait pour lui le type de la r�signation, et cette r�signation-l� l'indignait.

Une autre solution s'ouvrit devant moi. Tout subir sans haine et sans ressentiment, mais tout combattre par la foi; aucune ambition, aucun r�ve de bonheur personnel pour moi-m�me en ce monde, mais beaucoup d'espoir et d'efforts pour le bonheur des autres.

Ceci me parut une conclusion souveraine de la logique applicable � ma nature. Je pouvais vivre sans bonheur personnel, n'ayant pas de passions personnelles.

Mais j'avais de la tendresse et le besoin imp�rieux d'exercer cet instinct-l�. Il me fallait ch�rir ou mourir. Ch�rir en �tant peu ou mal ch�ri soi-m�me, c'est �tre malheureux; mais on peut vivre malheureux. Ce qui emp�che de vivre, c'est de ne pas faire usage de sa propre vie, ou d'en faire un usage contraire aux conditions de sa propre vie.

En face de cette r�solution, je me demandai si j'aurais la force de la suivre; je n'avais pas une assez haute id�e de moi-m�me pour m'�lever au r�ve de la vertu. D'ailleurs, voyez-vous, dans le temps de septicisme o� nous vivons, une grande lumi�re s'est d�gag�e; c'est que la vertu n'est qu'une lumi�re elle-m�me, une lumi�re qui se fait dans l'�me. Moi, j'y ajoute, dans ma croyance, l'aide de Dieu. Mais qu'on accepte ou qu'on rejette le secours divin, la raison nous {CL 464} d�montre que la vertu est un r�sultat brillant de l'apparition de la v�rit� dans la {Lub 441} conscience, une certitude, par cons�quent, qui commande au cœur et � la volont�.

Écartant donc de mon vocabulaire int�rieur ce mot orgueilleux de vertu qui me paraissait trop drap� � l'antique, et me contentant de contempler une certitude en moi-m�me, je pus me dire, assez sagement, je crois, qu'on ne revient pas sur une certitude acquise, et que, pour pers�v�rer dans un parti pris en vue de cette certitude, il ne s'agit que de regarder en soi chaque fois que l'�go�sme vient s'efforcer d'�teindre le flambeau.

Que je dusse �tre agit�e, troubl�e et tiraill�e par cette imb�cile personnalit� humaine, cela n'�tait pas douteux, car l'�me ne veille pas toujours; elle s'endort et elle r�ve; mais que, connaissant la r�alit�, c'est-�-dire l'impossibilit� d'�tre heureuse par l'�go�sme, je n'eusse pas le pouvoir de secouer et de r�veiller mon �me, c'est ce qui me parut �galement hors de doute.

Apr�s avoir calcul� ainsi mes chances avec une grande ardeur religieuse et un v�ritable �lan de cœur vers Dieu, je me sentis tr�s-tranquille, et je gardai cette tranquillit� int�rieure tout le reste de ma vie; je la gardai non pas sans �branlement, sans interruption et sans d�faillance, mon �quilibre physique succombant parfois sous cette rigueur de ma volont�; mais je la retrouvai toujours sans incertitude et sans contestation au fond de ma pens�e et dans l'habitude de ma vie.

Je la retrouvai surtout par la pri�re. Je n'appelle pas pri�re un choix et un arrangement de paroles lanc�es vers le ciel, mais un entretien de la pens�e avec l'id�al de lumi�re r et de perfections infinies.

De toutes les amertumes que j'avais non plus � subir, mais � combattre, les souffrances de mon malade ordinaire n'�taient pas la moindre.

{CL 465} Chopin voulait s toujours Nohant et ne supportait jamais Nohant. Il �tait l'homme du monde par excellence, non pas du monde trop officiel t et trop nombreux, mais du monde intime, des salons de vingt personnes, de l'heure o� la foule s'en va et o� les habitu�s se pressent autour de l'artiste pour lui arracher par d'aimables importunit�s le plus pur de son inspiration. C'est alors seulement qu'il donnait tout son g�nie et tout son talent. C'est alors aussi qu'apr�s avoir plong� son auditoire dans un recueillement profond ou dans une tristesse {Lub 442} douloureuse, car sa musique vous mettait parfois dans l'�me des d�couragements atroces, surtout quand il improvisait; tout � coup, comme pour enlever l'impression et le souvenir de sa douleur aux autres et � lui-m�me, il se tournait vers une glace, � la d�rob�e, arrangeait ses cheveux et sa cravate, et se montrait subitement transform� en Anglais flegmatique, en vieillard impertinent, en Anglaise sentimentale et ridicule, en juif sordide. C'�taient toujours des types tristes, quelque comiques qu'ils fussent, mais parfaitement compris et si d�licatement traduits qu'on ne pouvait se lasser de les admirer.

Toutes ces choses sublimes, charmantes ou bizarres qu'il savait tirer de lui-m�me faisaient de lui l'�me des soci�t�s choisies, et on se l'arrachait bien litt�ralement, son noble caract�re, son d�sint�ressement, sa fiert�, son orgueil bien entendu, ennemi de toute vanit� de mauvais go�t et de toute insolente r�clame, la s�ret� de son commerce et les exquises d�licatesses de son savoir-vivre faisant de lui un ami aussi s�rieux qu'agr�able.

Arracher Chopin � tant de g�teries, l'associer � une vie simple, uniforme et constamment studieuse, lui qui avait �t� �lev� sur les genoux des princesses, c'�tait le priver de ce qui le faisait vivre, d'une vie factice il est vrai, car, ainsi qu'une femme fard�e, il d�posait le soir, en rentrant {CL 466} chez lui, sa verve et sa puissance, pour donner la nuit � la fi�vre et � l'insomnie; mais d'une vie qui e�t �t� plus courte et plus anim�e que celle de la retraite et de l'intimit� restreinte au cercle uniforme d'une seule famille. À Paris, il en traversait plusieurs chaque jour, ou il en choisissait au moins chaque soir une diff�rente pour milieu. Il avait ainsi tour � tour vingt ou trente salons � enivrer ou � charmer de sa pr�sence.

Chopin n'�tait pas n� exclusif dans ses affections; il ne l'�tait que par rapport � celles qu'il exigeait; son �me impressionnable � toute beaut�, � toute gr�ce, � tout sourire, se livrait avec une facilit� et une spontan�it� inou�es. Il est vrai qu'elle se reprenait de m�me, un mot maladroit, un sourire �quivoque le d�senchantant avec exc�s. Il aimait passionn�ment trois femmes dans la m�me soir�e de f�te, et s'en allait tout seul, ne songeant � aucune d'elles, les laissant toutes trois convaincues de l'avoir exclusivement charm�.

{Lub 443} Il �tait de m�me en amiti�, s'enthousiasmant � premi�re vue, se d�go�tant, se reprenant sans cesse, vivant d'engouements pleins de charmes pour ceux qui en �taient l'objet, et de m�contentements secrets qui empoisonnaient ses plus ch�res affections.

Un trait qu'il m'a racont� lui-m�me prouve combien peu il mesurait ce qu'il accordait de son cœur � ce qu'il exigeait de celui des autres.

Il s'�tait vivement �pris de la petite-fille d'un ma�tre c�l�bre; il songea � la demander en mariage, dans le m�me temps o� il poursuivait la pens�e d'un autre mariage d'amour en Pologne, sa loyaut� n'�tant engag�e nulle part, mais son �me mobile flottant u d'une passion � l'autre. La jeune parisienne lui faisait bon accueil, et tout allait au mieux, lorsqu'un jour qu'il entrait chez elle avec un autre musicien plus c�l�bre � Paris qu'il ne l'�tait encore, {CL 467} elle s'avisa de pr�senter une chaise � ce dernier avant de songer � faire asseoir Chopin. Il ne la revit jamais et l'oublia tout de suite.

Ce n'est pas que son �me f�t impuissante ou froide. Loin de l�, elle �tait ardente et d�vou�e, mais non pas exclusivement et continuellement envers telle ou telle personne. Elle se livrait alternativement � cinq ou six affections qui se combattaient en lui et dont une primait tour � tour toutes les autres.

Il n'�tait certainement pas fait pour vivre longtemps en ce monde, ce type extr�me de l'artiste. Il y �tait d�vor� par un r�ve d'id�al que ne combattait aucune tol�rance de philosophie ou de mis�ricorde � l'usage de ce monde. Il ne voulut jamais v transiger avec la nature humaine. {Presse 17/8/1855 2} Il n'acceptait rien de la r�alit�. C'�tait l� son vice et sa vertu, sa grandeur et sa mis�re. Implacable envers la moindre tache, il avait un enthousiasme immense pour la moindre lumi�re, son imagination exalt�e faisant tous les frais possibles pour y voir un soleil.

Il �tait donc � la fois doux et cruel d'�tre l'objet de sa pr�f�rence, car il vous tenait compte avec usure de la moindre clart�, et vous accablait de son d�senchantement au passage de la plus petite ombre.

On a pr�tendu que, dans un de mes romans, j'avais peint son caract�re avec une grande exactitude d'analyse. On s'est tromp�, parce que l'on a cru reconna�tre quelques-uns de ses traits, et, proc�dant par ce syst�me, {Lub 444} trop commode pour �tre s�r, Liszt lui-m�me, dans une Vie de Chopin, un peu exub�rante de style, mais remplie cependant de tr�s-bonnes choses et de tr�s-belles pages, s'est fourvoy� de bonne foi.

J'ai trac�, dans le prince Karol, le caract�re d'un homme d�termin� dans sa nature, exclusif dans ses sentiments, exclusif dans ses exigences.

{CL 468} Tel n'�tait pas Chopin. La nature ne dessine pas comme l'art, quelque r�aliste qu'il se fasse. Elle a des caprices, des incons�quences, non pas r�elles probablement, mais tr�s-myst�rieuses. L'art ne rectifie ces incons�quences que parce qu'il est trop born� pour les rendre.

Chopin �tait un r�sum� de ces incons�quences magnifiques que Dieu seul peut se permettre de cr�er et qui ont leur logique particuli�re. Il �tait w modeste par principes et doux par habitude, mais il �tait imp�rieux par instinct et plein d'un orgueil l�gitime qui s'ignorait lui-m�me. De l� des souffrances qu'il ne raisonnait pas et qui ne se fixaient pas sur un objet d�termin�.

D'ailleurs le prince Karol n'est pas artiste. C'est un r�veur, et rien de plus; n'ayant pas de g�nie, il n'a pas les droits du g�nie. C'est donc un personnage plus vrai qu'aimable, et c'est si peu le portrait d'un grand artiste que Chopin, en lisant le manuscrit chaque jour sur mon bureau, n'avait pas eu la moindre vell�it� de s'y tromper, lui si soup�onneux pourtant!

Et cependant plus tard, par r�action, il se l'imagina, m'a-t-on dit. Des ennemis (j'en avais aupr�s de lui qui se disaient ses amis, comme si aigrir un cœur souffrant n'�tait pas un meurtre), des ennemis lui firent croire que ce roman �tait une r�v�lation de son caract�re. Sans doute, en ce moment-l�, sa m�moire �tait affaiblie: il avait oubli� le livre, que ne l'a-t-il relu!

Cette histoire x �tait si peu la n�tre! Elle en �tait tout l'inverse. Il n'y avait entre nous ni les m�mes enivrements, ni les m�mes souffrances. Notre histoire, � nous, n'avait rien d'un roman; le fond en �tait trop simple et trop s�rieux pour que nous eussions jamais eu l'occasion d'une querelle l'un contre l'autre, � propos l'un de l'autre. J'acceptais toute la vie de Chopin telle qu'elle se continuait en dehors de la mienne. N'ayant ni ses go�ts, ni ses id�es en {CL 469} dehors de l'art, ni ses principes politiques, ni son appr�ciation des choses de fait, je {Lub 445} n'entreprenais aucune modification de son �tre. Je respectais son individualit�, comme je respectais celle de Delacroix et de mes autres amis engag�s dans un chemin diff�rent du mien.

D'un autre c�t�, Chopin m'accordait, et je peux dire m'honorait d'un genre d'amiti� qui faisait exception dans sa vie. Il �tait toujours le m�me pour moi. Il avait sans doute peu d'illusions sur mon compte, puisqu'il ne me faisait jamais redescendre dans son estime. C'est ce qui fit durer longtemps notre bonne harmonie.

Étranger � mes �tudes, � mes recherches, et, par suite, � mes convictions, enferm� qu'il �tait dans le dogme catholique, il disait de moi, comme la m�re Alicia dans les derniers jours de sa vie*: « Bah! Bah! Je suis bien s�re qu'elle aime Dieu! »

* Cette �me bien-aim�e est retourn�e � Dieu le 20 janvier 1855.

Nous ne nous sommes donc jamais adress� un reproche mutuel, sinon une seule fois qui fut, h�las! La premi�re et la derni�re. Une affection si �lev�e devait se briser, et non s'user dans des combats indignes d'elle.

Mais si Chopin �tait avec moi le d�vouement, la pr�venance, la gr�ce, l'obligeance et la d�f�rence en personne, il n'avait pas, pour cela, abjur� les asp�rit�s de son caract�re envers ceux qui m'entouraient. Avec eux, l'in�galit� de son �me, tour � tour g�n�reuse et fantasque, se donnait carri�re, passant toujours de l'engouement � l'aversion, et r�ciproquement. Rien ne paraissait, rien n'a jamais paru de sa vie int�rieure dont ses chefs-d'œuvre d'art �taient l'expression myst�rieuse et vague, mais dont ses l�vres ne trahissaient jamais la souffrance. Du moins telle fut sa r�serve pendant sept ans, que moi seule pus les deviner, les adoucir et en retarder l'explosion.

{CL 470} Pourquoi une combinaison d'�v�nements en dehors de nous ne nous �loigna-t-elle pas l'un de l'autre avant la huiti�me ann�e!

Mon attachement n'avait pu faire ce miracle de le rendre un peu calme et heureux que parce que Dieu y avait consenti en lui conservant un peu de sant�. Cependant il d�clinait visiblement, et je ne savais plus quels rem�des employer pour combattre l'irritation croissante des nerfs. La mort de son ami le docteur {Lub 446} Mathuzinski et ensuite celle de son propre p�re lui port�rent deux coups terribles. Le dogme catholique jette sur la mort des terreurs atroces. Chopin, au lieu de r�ver pour ces �mes pures un meilleur monde, n'eut que des visions effrayantes, et je fus oblig�e de passer bien des nuits dans une chambre voisine de la sienne, toujours pr�te � me lever cent fois de mon travail pour chasser les spectres de son sommeil et de son insomnie. L'id�e de sa propre mort lui apparaissait escort�e de toutes les imaginations superstitieuses de la po�sie slave. Polonais, il vivait dans le cauchemar des l�gendes. Les fant�mes l'appelaient, l'enla�aient, et, au lieu de voir son p�re et son ami lui sourire dans le rayon de la foi, il repoussait leurs faces d�charn�es de la sienne et se d�battait sous l'�treinte de leurs mains glac�es.

Nohant lui �tait devenu antipathique. Son retour, au printemps, l'enivrait encore quelques instants. Mais d�s qu'il se mettait au travail, tout s'assombrissait autour de lui. Sa cr�ation �tait spontan�e, miraculeuse. Il la trouvait sans la chercher, sans la pr�voir. Elle venait sur son pianosoudaine, compl�te, sublime, ou elle se chantait dans sa t�te pendant une promenade, et il avait h�te de se la faire entendre � lui-m�me en la jetant sur l'instrument. Mais alors commen�ait le labeur le plus navrant auquel j'aie jamais assist�. C'�tait une suite d'efforts, d'irr�solutions et d'impatiences pour ressaisir certains d�tails du th�me de {CL 471} son audition: ce qu'il avait con�u tout d'une pi�ce, il l'analysait trop en voulant l'�crire, et son regret de ne pas le retrouver net, y selon lui, le jetait dans une sorte de d�sespoir. Il s'enfermait dans sa chambre des journ�es enti�res, pleurant, marchant, brisant ses plumes, r�p�tant et changeant cent fois une mesure, l'�crivant et l'effa�ant autant de fois, et recommen�ant le lendemain avec une pers�v�rance minutieuse et d�sesp�r�e. Il passait six semaines sur une page pour en revenir � l'�crire telle qu'il l'avait trac�e du premier jet.

J'avais eu longtemps l'influence de le faire consentir � se fier � ce premier jet de l'inspiration. Mais quand il n'�tait plus dispos� � me croire, il me reprochait doucement de l'avoir g�t� et de n'�tre pas assez s�v�re pour lui. J'essayais de le distraire, de le promener. Quelquefois emmenant toute ma couv�e dans un char � bancs de {Lub 447} campagne, je l'arrachais malgr� lui � cette agonie; je le menais aux bords de la Creuse, et, pendant deux ou trois jours, perdus au soleil et � la pluie dans des chemins affreux, nous arrivions, riants et affam�s, � quelque site magnifique o� il semblait rena�tre. Ces fatigues le brisaient le premier jour, mais il dormait! Le dernier jour, il �tait tout ranim�, tout rajeuni en revenant � Nohant, et il trouvait la solution de son travail sans trop d'efforts; mais il n'�tait pas toujours possible de le d�terminer � quitter ce piano qui �tait bien plus souvent son tourment que sa joie, et peu � peu il t�moigna de l'humeur quand je le d�rangeais. Je n'osais pas insister. Chopin f�ch� �tait effrayant, et comme, avec moi, il se contenait toujours, il semblait pr�s de suffoquer et de mourir.

Ma vie, toujours active et rieuse � la surface, �tait devenue int�rieurement plus douloureuse que jamais. Je me d�sesp�rais de ne pouvoir donner aux autres ce bonheur auquel j'avais renonc� pour mon compte; car j'avais plus {CL 472} d'un sujet de profond chagrin contre lequel je m'effor�ais de r�agir. L'amiti� de Chopin n'avait jamais �t� un refuge pour moi dans la tristesse. Il avait bien assez de ses propres maux � supporter. Les miens l'eussent �cras�, aussi ne les connaissait-il que vaguement et ne les comprenait-il pas du tout. Il e�t appr�ci� toutes choses � un point de vue tr�s-diff�rent du mien. Ma v�ritable force me venait de mon fils, qui �tait en �ge de partager avec moi les int�r�ts les plus s�rieux de la vie et qui me soutenait par son �galit� d'�me, sa raison pr�coce et son inalt�rable enjouement. Nous n'avons pas, lui et moi, les m�mes id�es sur toutes choses, mais nous avons ensemble de grandes ressemblances d'organisation, beaucoup des m�mes go�ts et des m�mes besoins; en outre, un lien d'affection naturelle si �troit qu'un d�saccord quelconque entre nous ne peut durer un jour et ne peut tenir � un moment d'explication t�te � t�te. Si nous n'habitons pas le m�me enclos d'id�es et de sentiments, il y a, du moins, une grande porte toujours ouverte au mur mitoyen, celle d'une affection immense et d'une confiance absolue.

À la suite des derni�res rechutes du malade, son esprit s'�tait assombri extr�mement, et Maurice, qui l'avait tendrement aim� jusque-l�, fut bless� tout � coup par lui d'une mani�re impr�vue pour un sujet futile. Ils {Lub 448} s'embrass�rent un moment apr�s, mais le grain de sable �tait tomb� dans le lac tranquille, et peu � peu les cailloux y tomb�rent un � un. Chopin fut irrit� souvent sans aucun motif et quelquefois irrit� injustement contre de bonnes intentions. Je vis le mal s'aggraver et s'�tendre � mes autres enfants, rarement � Solange, que Chopin pr�f�rait, par la raison qu'elle seule ne l'avait pas g�t�, mais � Augustine avec une amertume effrayante, et � Lambert m�me, qui n'a jamais pu deviner pourquoi. Augustine, la plus douce, la plus inoffensive de nous tous � coup s�r, en �tait constern�e. {CL 473} Il avait �t� d'abord si bon pour elle! Tout cela fut support�; mais enfin, un jour, Maurice, lass� de coups d'�pingle, parla de quitter la partie. Cela ne pouvait pas et ne devait pas �tre. Chopin ne supporta pas mon intervention l�gitime et n�cessaire. Il baissa la t�te et pronon�a que je ne l'aimais plus.

Quel blasph�me apr�s ces huit ann�es de d�vouement maternel! Mais le pauvre cœur froiss� n'avait pas conscience de son d�lire. Je pensais que quelques mois pass�s dans l'�loignement et le silence gu�riraient cette plaie et rendraient l'amiti� calme, la m�moire �quitable. Mais la r�volution de f�vrier arriva et Paris devint momentan�ment odieux � cet esprit incapable de se plier � un �branlement quelconque dans les formes sociales. Libre de retourner en Pologne, ou certain d'y �tre tol�r�, il avait pr�f�r� languir dix ans loin de sa famille qu'il adorait, � la douleur de voir son pays transform� et d�natur�. Il avait {Presse 17/8/1855 3} fui la tyrannie, comme maintenant il fuyait la libert�!

Je le revis un instant en mars 1848. Je serrai sa main tremblante et glac�e. Je voulus lui parler, il s'�chappa. C'�tait � mon tour de dire qu'il ne m'aimait plus. Je lui �pargnai cette souffrance, et je remis tout aux mains de la Providence et de l'avenir.

Je ne devais plus le revoir. Il y avait de mauvais cœurs entre nous. Il y en eut de bons aussi, qui ne surent pas s'y prendre. Il y en eut de frivoles qui aim�rent mieux ne pas se m�ler d'affaires d�licates; Gutmann n'�tait pas l�*. z

* Gutmann, son plus parfait �l�ve, aujourd'hui un v�ritable ma�tre lui-m�me, un noble cœur toujours. Il fut forc� de s'absenter durant la derni�re maladie de Chopin, et ne revint que pour recevoir son dernier soupir. aa

{Lub 449} On m'a dit qu'il m'avait appel�e, regrett�e, aim�e filialement jusqu'� la fin. On a cru devoir me le cacher {CL 474} jusque-l�. On a cru devoir lui cacher aussi que j'�tais pr�te � courir vers lui. On a bien fait si cette �motion de me revoir e�t d� abr�ger sa vie d'un jour ou seulement d'une heure. Je ne suis pas de ceux qui croient que les choses se r�solvent en ce monde. Elles ne font peut-�tre qu'y commencer, et, � coup s�r, elles n'y finissent point. Cette vie d'ici-bas est un voile que la souffrance et la maladie rendent plus �pais � certaines �mes, qui ne se soul�vent que par moments pour les organisations les plus solides, et que la mort d�chire pour tous.

Garde-malade, puisque telle fut ma mission pendant une notable portion de ma vie, j'ai d� accepter sans trop d'�tonnement et surtout sans d�pit les transports et les accablements de l'�me aux prises avec la fi�vre. J'ai appris au chevet des malades � respecter ce qui est v�ritablement leur volont� saine et libre, et � pardonner ce qui est le trouble et le d�lire de leur fatalit�.

J'ai �t� pay�e de mes ann�es de veille, d'angoisse et d'absorption par des ann�es de tendresse, de confiance et de gratitude qu'une heure d'injustice ou d'�garement n'a point annul�es devant Dieu. Dieu n'a pas puni, Dieu n'a pas seulement aper�u cette heure mauvaise dont je ne veux pas me rappeler la souffrance. Je l'ai support�e, non pas avec un froid sto�cisme, mais avec des larmes de douleur et d'enthousiasme, dans le secret de ma pri�re. Et c'est parce que j'ai dit aux absents, dans la vie ou dans la mort: « Soyez b�nis! » que j'esp�re trouver dans le cœur de ceux qui me fermeront les yeux la m�me b�n�diction � ma derni�re heure. ab

Vers l'�poque o� je perdis Chopin, je perdis aussi mon fr�re plus tristement encore: sa raison s'�tait �teinte depuis quelque temps d�j�; l'ivresse avait ravag� et d�truit cette belle organisation et la faisait flotter d�sormais entre l'idiotisme et la folie. Il avait pass� ses derni�res ann�es � {CL 475} se brouiller et � se r�concilier tour � tour avec moi, avec mes enfants, avec sa propre famille et tous ses amis. Tant qu'il continua � venir me voir, je prolongeai sa vie en mettant � son insu de l'eau dans le vin qu'on lui servait, il avait le go�t si blas� qu'il ne {Lub 450} s'en apercevait pas, et s'il suppl�ait � la qualit� par la quantit�, du moins son ivresse �tait moins lourde ou moins irrit�e. Mais je ne faisais que retarder l'instant fatal o�, la nature n'ayant plus la force de r�agir, il ne pourrait plus, m�me � jeun, retrouver sa lucidit�. Il passa ses derniers mois � me bouder et � m'�crire des lettres inimaginables. La r�volution de F�vrier, qu'il ne pouvait plus comprendre, � quelque point de vue qu'il se pla��t, avait port� un dernier coup � ses facult�s chancelantes. D'abord r�publicain passionn�, il fit comme tant d'autres qui n'avaient pas, comme lui, des acc�s d'ali�nation pour excuse; il en eut peur et il se mit � r�ver que le peuple en voulait � sa vie. Le peuple! Le peuple dont il sortait comme moi par sa m�re, et avec lequel il vivait au cabaret plus qu'il n'�tait besoin pour fraterniser avec lui, devint son �pouvantail; il m'�crivit qu'il savait de source certaine que mes amis politiques voulaient l'assassiner. Pauvre fr�re! Cette hallucination pass�e, il en eut d'autres qui se succ�d�rent sans interruption jusqu'� ce que l'imagination d�r�gl�e s'�teignit � son tour et fit place � la stupeur d'une agonie qui n'avait plus conscience d'elle-m�me. Son gendre lui surv�cut de peu d'ann�es. Sa fille, m�re de trois beaux enfants, encore jeune et jolie, vit pr�s de moi � La Ch�tre. C'est une �me douce et courageuse qui a d�j� bien souffert et qui ne faillira pas � ses devoirs. Ma belle-sœur Émilie vit encore pr�s de moi, � la campagne. Longtemps victime des �garements d'un �tre aim�, elle se repose de ses longues fatigues. C'est une amie s�v�re et parfaite, une �me droite et un esprit nourri de bonnes lectures.

{CL 476} Ma bonne Ursule est toujours l� aussi dans cette petite ville o� j'ai cultiv� si longtemps tant de douces et durables affections. Mais, h�las! La mort ou l'exil ont fauch� autour de nous! Duteil, Planet et N�raud ne sont plus. Fleury a �t� expuls� comme tant d'autres pour cause d'opinions, bien qu'il n'e�t pas m�me �t� en situation d'agir contre le gouvernement actuel. Je ne parle pas de tous mes amis de Paris et du reste de la France. On a fait jusqu'� un certain point la solitude autour de moi, et ceux qui ont �chapp�, par hasard ou par miracle, � ce syst�me de proscriptions d�cr�t�es souvent par la r�action passionn�e et les rancunes {Lub 451} personnelles des provinces, vivent comme moi de regrets et d'aspirations.

Pour asseoir, en terminant ce r�cit, la situation de ceux de mes amis d'enfance qui y ont figur�, je dirai que la famille Duvernet habite toujours la charmante campagne o� d�s mon enfance je l'ai vue. Mon excellente maman, madame Decerfz est aussi � La Ch�tre pleurant ses enfants exil�s. Rollinat est toujours � Ch�teauroux, accourant chez nous d�s qu'il a un jour de loisir.

Il est assez naturel qu'apr�s avoir v�cu un demi-si�cle on se voie priv� d'une partie de ceux avec qui on a v�cu par le cœur; mais nous traversons un temps o� de violentes secousses morales ont s�vi contre tous et mis en deuil toutes les familles. Depuis quelques ann�es surtout, les r�volutions qui entra�nent d'affreux jours de guerre civile, qui �branlent les int�r�ts et irritent les passions, qui semblent appeler fatalement les grandes maladies end�miques apr�s les crises de col�re et de douleur, apr�s les proscriptions des uns, les larmes ou la terreur des autres, les r�volutions qui rendent les grandes guerres imminentes, et qui, en se succ�dant, d�truisent l'�me de ceux-ci et moissonnent la vie de ceux-l�, ont mis la moiti� de la France en deuil de l'autre.

{CL 477} Pour ma part, ce n'est plus par douze, c'est par cent que je compte les pertes am�res que j'ai faites dans ces derni�res ann�es. Mon cœur est un cimeti�re, et si je ne me sens pas entra�n�e dans la tombe qui a englouti la moiti� de ma vie, par une sorte de vertige contagieux, c'est parce que l'autre vie se peuple pour moi de tant d'�tres aim�s qu'elle se confond parfois avec ma vie pr�sente jusqu'� me faire illusion. Cette illusion n'est pas sans un certain charme aust�re, et ma pens�e s'entretient d�sormais aussi souvent avec les morts qu'avec les vivants.

Saintes ac promesses des cieux o� l'on se retrouve et o� l'on se reconna�t, vous n'�tes pas un vain r�ve!Si nous ne devons pas aspirer � la b�atitude des purs esprits du pays des chim�res, si nous devons entrevoir toujours au del� de cette vie un travail, un devoir, des �preuves, et une organisation limit�e dans ses facult�s vis-�-vis de l'infini, du moins il nous est permis par la raison, et il nous est command� par le cœur de compter sur une suite d'existences progressives en raison de nos bons d�sirs. Les saints de toutes les religions qui nous {Lub 452} crient du fond de l'antiquit� de nous d�gager de la mati�re pour nous �lever dans la hi�rarchie c�leste des esprits ne nous ont pas tromp�s quant au fond de la croyance admissible � la raison moderne. Nous pensons aujourd'hui que, si nous sommes immortels, c'est � la condition de rev�tir sans cesse des organes nouveaux pour compl�ter notre �tre qui n'a probablement pas le droit de devenir un pur esprit; mais nous pouvons regarder cette terre comme un lieu de passage et compter sur un r�veil plus doux dans le berceau qui nous attend ailleurs. De mondes en mondes, nous pouvons, en nous d�gageant de l'animalit� qui combat ici-bas notre spiritualisme, nous rendre propres � rev�tir un corps plus pur, plus appropri� aux besoins de l'�me, moins combattu {CL 478} et moins entrav� par les infirmit�s de la vie humaine telle que nous la subissons ici-bas. Et certes la premi�re de nos aspirations l�gitimes, puisqu'elle est noble, est de retrouver dans cette vie future la facult� de nous rem�morer jusqu'� un certain point nos existences pr�c�dentes. Il ne serait pas tr�s-doux de nous en retracer tout le d�tail, tous les ennuis, toutes les douleurs. D�s cette vie, le souvenir est souvent un cauchemar; mais les points lumineux et culminants des salutaires �preuves dont nous avons triomph� seraient une r�compense, et la couronne c�leste serait l'embrassement de nos amis reconnus par nous et nous reconnaissant � leur tour. Ô heures de supr�me joie et d'ineffables �motions quand la m�re retrouvera son enfant, et les amis les dignes objets de leur amour! Aimons-nous en ce monde, nous qui y sommes encore, aimons-nous assez saintement pour qu'il nous soit permis de nous retrouver sur tous les rivages de l'�ternit� avec l'ivresse d'une famille r�unie apr�s de longues p�r�grinations. ad

Durant les ann�es dont je viens d'esquisser les principales �motions, j'avais renferm� dans mon sein d'autres douleurs encore plus poignantes dont, � supposer que je pusse parler, la r�v�lation ne serait d'aucune utilit� dans ce livre. Ce furent des malheurs pour ainsi dire �trangers � ma vie, puisque nulle influence de ma part ne put les d�tourner et qu'ils n'entr�rent pas dans ma destin�e, attir�s par le magn�tisme de mon individualit�. Nous faisons notre propre vie � certains �gards: � d'autres �gards, nous subissons celle que nous font {Lub 453} les autres. J'ai racont� ou fait pressentir de mon existence tout ce qui y est entr� par ma volont�, ou tout ce qui s'y est trouv� attir� par mes instincts. J'ai dit comment j'avais travers� et subi les diverses fatalit�s de ma propre organisation. C'est tout ce que je voulais et devais dire. Quant aux mortels chagrins que la fatalit� des autres organisations fit peser sur moi, {CL 479} ceci est l'histoire du secret martyre que nous subissons tous, soit dans la vie publique, soit dans la vie priv�e, et que nous devons subir en silence.

Les choses que je ne dis pas sont donc celles que je ne puis excuser, parce que je ne peux pas encore me les expliquer � moi-m�me. Dans toute affection o� j'ai eu quelques torts, si l�gers qu'ils puissent para�tre � mon amour-propre, ils me suffisent pour comprendre et pardonner ceux qu'on a eus envers moi. Mais l� o� mon d�vouement sans bornes et sans efforts s'est trouv� tout � coup pay� d'ingratitude et d'aversion, l� o� mes plus tendres sollicitudes se sont bris�es impuissantes devant une implacable fatalit�, ne comprenant rien � ces redoutables accidents de la vie, ne voulant pas en accuser Dieu, et sentant que l'�garement du si�cle et le scepticisme social en sont les premi�res causes, je retombe dans cette soumission aux arr�ts du ciel, sans laquelle il nous faudrait le m�conna�tre et le maudire.

C'est que l� revient toujours la terrible question: pourquoi Dieu, faisant l'homme perfectible et capable de comprendre le beau et le bien, l'a-t-il fait si lentement perfectible, si difficilement attach� au bien et au beau?

L'arr�t supr�me de la sagesse nous r�pond par la bouche de tous les philosophes: « Cette lenteur dont vous souffrez n'est pas perceptible ae dans l'immense dur�e des lois de l'ensemble. Celui qui vit dans l'�ternit� ne compte pas le temps, et vous qui avez une faible notion de l'�ternit�, vous vous laissez �craser par la sensation poignante du temps. » af

Oui sans doute, la succession de nos jours amers et variables nous opprime et d�tourne malgr� nous notre esprit de la contemplation sereine de l'�ternit�. Ne rougissons ag pas trop de cette faiblesse. Elle puise sa source dans les entrailles de notre sensibilit�. L'�tat douloureux de nos {CL 480} soci�t�s troubl�es et de notre {Lub 454} civilisation en travail fait que cette sensibilit�, cette faiblesse, est peut-�tre la meilleure de nos forces. Elle est le d�chirement de nos cœurs et la morale de notre vie. Celui qui, parfaitement calme et fort, recevrait sans souffrir les coups qui le frappent ne serait pas dans la vraie sagesse, car il n'aurait pas de raison pour ne pas regarder avec le m�me sto�cisme brutal et cruel les blessures qui font crier et saigner ses semblables. Souffrons donc et plaignons-nous quand notre plainte peut �tre utile: quand elle ne l'est pas, taisons-nous, mais pleurons en secret. Dieu, qui voit nos larmes � notre insu, et qui, dans son immuable s�r�nit�, nous semble n'en pas tenir compte, a mis lui-m�me en nous cette facult� de souffrir pour nous enseigner � ne pas vouloir faire souffrir les autres.

Comme le monde physique que nous habitons s'est form� et fertilis�, sous les influences des volcans et des pluies, jusqu'� devenir appropri� aux besoins de l'homme physique, de m�me le monde moral o� nous souffrons se forme et se fertilise, sous les influences des br�lantes aspirations et des larmes saintes, jusqu'� m�riter de devenir appropri� aux besoins de l'homme moral. Nos jours se consument et s'�vanouissent au sein de ces tourmentes. Priv�s d'espoir et de confiance, ils sont horribles et st�riles; mais, �clair�s par la foi en Dieu et r�chauff�s par l'amour de l'humanit�, ils sont humblement acceptables et pour ainsi dire doucement amers.

Soutenue par ces notions si simples et pourtant si lentement acquises � l'�tat de conviction, tant l'exc�s de ma sensibilit� int�rieure dans la jeunesse obscurcissait l'effort de ma justice, je traversai la fin de cette p�riode de mon r�cit sans trop me d�partir de l'immolation que j'avais faite de ma personnalit�. Si je la retrouvais grondeuse en moi-m�me, inqui�te des petites choses et trop avide de repos, {CL 481} je savais du moins la sacrifier sans grands efforts d�s qu'une occasion nette de la sacrifier utilement me rendait l'emploi lucide de mes forces int�rieures. Si je n'�tais pas en possession de la vertu, du moins j'�tais et je suis encore, j'esp�re, dans le chemin qui y m�ne. N'�tant pas une nature de diamant, je n'�cris pas pour les saints. Mais ceux qui, faibles comme moi, et comme moi �pris d'un doux id�al, veulent traverser les ronces de la vie sans y laisser toute leur toison, s'aideront de mon humble {Lub 455} exp�rience et trouveront quelque consolation � voir que leurs peines sont celles de quelqu'un qui les sent, qui les r�sume, qui les raconte et qui leur crie: « Aidons-nous les uns les autres � ne pas d�sesp�rer. »

Et pourtant ce si�cle, ce triste et grand si�cle o� nous vivons s'en va, ce nous semble, � la d�rive; il glisse sur la pente des ab�mes, et j'en entends qui me disent: « O� allons-nous? Vous qui regardez souvent l'horizon, qu'y d�couvrez-vous? Sommes-nous dans le flot qui monte ou qui descend? Allons-nous �chouer sur la terre promise ou dans les gouffres du chaos? »

Je ne puis r�pondre � ces cris de d�tresse. Je ne suis pas illumin�e du rayon proph�tique, et les plus habiles raisonnements, ceux qui s'appuient math�matiquement sur les chances politiques, �conomiques et commerciales, se trouvent toujours d�jou�s par l'impr�vu, parce que l'impr�vu c'est le g�nie bienfaisant ou destructeur de l'humanit� qui tant�t sacrifie ses int�r�ts mat�riels � sa grandeur morale, et tant�t sa grandeur morale � ses int�r�ts mat�riels.

Il est bien vrai que le soin jaloux et inquiet des int�r�ts mat�riels domine la situation pr�sente. Apr�s les grandes crises, ces pr�occupations sont naturelles, et ce sauve qui peut de l'individualit� menac�e est, sinon glorieux, du moins l�gitime. Ne nous en irritons pas trop, car toute {CL 482} chose qui n'a pas pour but un sentiment de providence collective rentre malgr� soi dans les desseins de cette providence. Il est �vident que l'ouvrier qui dit: « du travail avant tout et malgr� tout, » subit les n�cessit�s du moment et ne regarde que le moment o� il vit; mais par l'�pret� du travail il marche � la notion de la dignit� et � la conqu�te de l'ind�pendance. Il en est ainsi de tous les ouvriers plac�s sur tous les �chelons de la soci�t�. L'industrialisme tend � se d�gager de toute esp�ce de servage et � se constituer en puissance active, sauf � se moraliser plus tard et � se constituer en puissance l�gitime par l'association fraternelle.

C'est � ce moment que nos pr�visions l'attendent et que nous nous demandons si, apr�s l'�clat �ph�m�re des derniers tr�nes, les civilisations de l'Europe se constitueront en r�publiques aristocratiques ou d�mocratiques. L� appara�t l'ab�me...., une conflagration g�n�rale ou des luttes partielles sur tous les points. {Lub 456} Quand on a respir� seulement pendant une heure l'atmosph�re de Rome, on voit cette clefde vo�te du grand �difice du vieux monde si pr�te � se d�tacher qu'on croit sentir trembler la terre des volcans, la terre des hommes!

Mais quelle sera l'issue? Sur quelles laves ardentes ou sur quels impurs limons nous faudra-t-il passer? De quoi vous tourmentez-vous l�? L'humanit� tend � se niveler, elle le veut, elle le doit, elle le fera. Dieu l'aide et l'aidera toujours par une action invisible toujours r�sultant des propri�t�s de la force humaine et de l'id�al divin qu'il lui est permis d'entrevoir. Que des accidents formidables entravent ses efforts, h�las! Ceci est � pr�voir, � accepter d'avance. Pourquoi ne pas envisager la vie g�n�rale comme nous envisageons notre vie individuelle? Beaucoup de fatigues et de douleurs, un peu d'espoir et de bien: la vie d'un si�cle ne r�sume-t-elle pas la vie d'un homme? {CL 483} Auquel d'entre nous est-il arriv� d'entrer, une fois pour toutes, dans la r�alisation de ses bons ou mauvais d�sirs?

Ne cherchons pas, comme d'impuissants augures, la clef des destin�es humaines dans un ordre de faits quelconque. Ces inqui�tudes sont vaines, nos commentaires sont inutiles. Je ne pense pas que la divination soit le but de l'homme sage de notre �poque. Ce qu'il doit chercher, c'est d'�clairer sa raison, d'�tudier le probl�me social et de se vivifier par cette �tude en la faisant dominer par quelque sentiment pieux et sublime. Ô Louis Blanc, c'est le travail de votre vie que nous devrions avoir souvent sous les yeux! Au milieu des jours de crise qui font de vous un proscrit et un martyr, vous cherchez dans l'histoire des hommes de notre �poque l'esprit et la volont� de la Providence. Habile entre tous � expliquer les causes des r�volutions, vous �tes plus habile encore � en saisir, � en indiquer le but. C'est l� le secret de votre �loquence c'est l� le feu sacr� de votre art. Vos �crits sont de ceux qu'on lit pour savoir les faits et qui vous forcent � dominer ces faits par l'inspiration de la justice et l'enthousiasme du vrai �ternel.

Et vous aussi, Henri Martin, Edgard Quinet, Michelet, vous �levez nos cœurs, d�s que vous placez les faits de l'histoire sous nos yeux. Vous ne touchez point au pass� {Lub 457} sans nous faire embrasser les pens�es qui doivent nous guider dans l'avenir.

Et vous aussi, Lamartine, bien que, selon nous, vous soyez trop attach� aux civilisations qui ont fait leur temps, vous r�pandez, par le charme et l'abondance de votre g�nie, des fleurs de civilisation sur notre avenir.

Se pr�parer chacun pour l'avenir, c'est donc l'œuvre des hommes que le pr�sent emp�che de se pr�parer en commun. Sans nul doute, elle est plus prompte et plus anim�e, cette initiation de la vie publique, sous le r�gime {CL 484} de la libert�; les ardentes ou paisibles discussions des clubs et l'�change inoffensif ou agressif des �motions du forum �clairent rapidement les masses, sauf � les �garer quelquefois; mais les nations ne sont pas perdues parce qu'elles se recueillent et m�ditent, et l'�ducation des soci�t�s se continue sous quelque forme que rev�te la politique des temps.

En somme, le si�cle est grand, bien qu'il soit malade, et les hommes d'aujourd'hui, s'ils ne font pas les grandes choses de la fin du si�cle dernier, en con�oivent, en r�vent et peuvent en pr�parer de plus grandes encore. Ils sentent d�j� profond�ment qu'ils le doivent.

Et nous aussi, nous avons nos moments d'abattement et de d�sespoir, o� il nous semble que le monde marche follement vers le culte des dieux de la d�cadence romaine. Mais si nous t�tons notre cœur, nous le trouverons �pris d'innocence et de charit� comme aux premiers jours de notre enfance. Eh bien, faisons tous ce retour sur nous-m�mes, et disons-nous les uns aux autres que notre affaire n'est pas de surprendre les secrets du ciel au calendrier des �ges, mais de les emp�cher de mourir inf�conds dans nos �mes.

1847-1855. ah


Variantes

  1. Chapitre 6. Sommaire {Ms}Chapitre septi�me et dernier {Presse} (qui reprend ici) ♦ Chapitre treizi�me {Lecou}, {LP} ♦ XIII {CL}
  2. pardonne tout. — Conclusion {Ms}pardonne tout. — Mort de mon fr�re. — Quelques mots sur les absens. — Le ciel. — Les douleurs qu'on ne raconte pas. — L'avenir du si�cle — Conclusion {Presse} et sq.
  3. de plus! [Je pris le parti de faire un �tablissement annuel � Paris, je louai rue Pigale deux pavillons au fond d'un jardin. Chopin me rendit cette d�pense possible en louant pour lui une partie de ce logement ray�] {Ms}
  4. h�site si j'eusse pu savoir {Ms}h�sit� � dire non si j'eusse pu savoir {Presse} et sq.
  5. maladie [et en somme la maladie �tait un accident qui pouvait ne plus repara�tre, ou ne pas repara�tre fr�quemment ray�]. Papet {Ms}
  6. milieux [m�me avant nos r�volutions ray�], l'enfant {Ms}
  7. � Paris. [Mais l'idee de cette s�paration annuelle le d�sesp�ra. Il s'�tait fait de mes soins un besoin de cœur, et son esprit n'admettait pas que je pusse les lui retirer. Mon h�sitation ramena la fi�vre et les sympt�mes inqui�tants ray�] Cependant {Ms}
  8. par sa profession, {Ms}pour la profession, {Presse} ♦ pour sa profession, {Lecou} et sq.
  9. poussait [vers l'abime ray�] dans les liens {Ms}
  10. ne l'avait fait[, et moi aussi ray�] aux etudes {Ms}
  11. rue Pigale {CL} ♦ rue Pigalle {Lub} qui corrige cette seule occurence; nous le suivons.
  12. Cette note n'est pas dans {Ms} ni dans {Presse}. Elle a �t� rajout�e sur �preuves ({Epr}, i.e. Lov E804)
  13. ses [parents ray�] tuteurs me la disput�rent {Epr} ♦ ses tuteurs me la disputaient {Lecou} et sq.
  14. elle ne voulut {Epr} ♦ elle ne voulait {Lecou} et sq.
  15. contre elle {Epr} ♦ apr�s elle {Lecou} et sq.
  16. Les listes de ces deux paragraphes ont �t� plusieurs fois modifi�es sur le manuscrit avant d'arriver � leur forme d�finitive. Nous Nous bornons � indiquer les noms qui en ont disparu, George Sand s'�tant aper�u qu'elle avait d�j� parl� d'eux: Pierre Leroux, E. Delacroix, Lamennais, Delatouche, Calamatta. Y figurait aussi avant, son mari, la femme de Perdiguier, Élise. Le g�n�ral Pepe qui ne figure pas sur {Ms} a �t� rajout� sur �preuve ({Epr} i.e. Lov. E804) — Georges Lubin.
    Une note ainsi con�ue avec renvoi � Henri Martin:
    Certes je reparlerai beaucoup de ceux-l� dans la suite de mon histoire figure sur {Epr} mais dispara�t dans l'�dition {Lecou} et les suivantes — Georges Lubin.
  17. qui nous l'infligent {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ qui nous affligent {CL} ♦ qui nous l'infligent {Lub} (restaurant la le�on originale et renvoyant aux notes pour la justification; nous le suivons)
  18. avec l'ideal [de perfection, avec l'ombre de Dieu en nous. Perception si confuse � notre esprit qu'on peut l'appeler une ombre par rapport � la lumi�re infinie dont elle est le refletray�] de lumi�re {Ms}
  19. moindre. [Avec une susceptibilit� et une fiert� excessives Chopin etait l'organisation la plus exceptionnelle que j'eusse rencontr�e. C'�tait bien les alternatives de vie et de mort qui se disputaient l'�me d'Everard, mais chez Everard, si la vie �tait tumultueuse et emport�e, l'abattement �tait plein de tendresse et de sagesse: au lieu que chez Chopin la vie �tait douce et melancolique ou persiffleuse, l'abattement sombre et d�sesp�r�. Son enjouement apparent avait �t� ... il n'avait jamais �t� gai. Sa mimique extraordinaire, merveilleuse, ses persifflages spirituels, ses charges d'un fantastique, d'une exquisit�, d'un humour extraordinaire ne montraient pas le plus petit rayon de gait� en lui-m�me. II faisait p�mer de rire tout un salon sans qu'un sourire �clair�t son visage. Puis il finissait par des ... douloureux � voir et � entendreray�] Chopin voulait {Ms}
  20. par excellence [et sachant s'ennuyer sans en avoir l'air pour ray�], non pas du monde [guind� ray�] trop officiel {Ms}
  21. mobile flottant {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ mobile flottait {CL} ♦ mobile flottant{Lub} (restaurant la le�on originale; nous le suivons)
  22. ne voulait jamais {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ ne voulut jamais {LP} et sq.
  23. particuli�re. [Il aimait immensement, non ce qu'il portait en lui-m�me et qu'il croyait ... saisir par ... Cet amour �tait si grand, cerre aspiration si tendre, que n�cessairement, elle le laissait �perdu, bris� ou irrit� quand l'illusion se dissipait. Ce cœur embras� comme celui d'un archange �tait � certaines heures d�senchant�, froid, comme celui d'un po�te. À force d'aimer son r�ve, il n'aimait personne r�ellement si aimer r�ellement c'est accepter un �tre de son esp�ce surtout, et plus qu'on ne s'accepte soi-m�me. C'�tait son droit puisque c'�tait sa nature, et une belle nature, mais si on e�t pu le marier avec un ange, e�t-il accord� � cet ange le culte qu'il r�vait d'obtenir, et n'acceptant rien de fini et de d�termin�, elle e�t demand� un plus bel ange et apr�s celui-l� un autre encore. Le prince Karol se f�t content� d'une Sylphide ray�] Il �tait {Ms}
  24. relu. [Par une autre incons�quence, logique avec sa nature exceptionnelle, Chopin �pris des formes du catholicisme et m�content de la plus petite discussion contre l'orthodoxie, ne croyait � aucune religion. D'ailleurs cette histoire de Lucrezia Floriani ray�] Cette histoire {Ms}
  25. retrouver assez net {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦, il ♦ retrouver net {CL}
  26. d�licates. Gutman son premier �l�ve et son veritable ami n'�tait pas l�! {Ms}d�licates; Gutmann n'�tait pas l�$*! {Presse} ♦ d�licates; Gutmann n'�tait pas l�$*. {Lecou} et sq.
  27. Cette note a �t� rajout�e sur {Epr}, mais elle est dans {Presse}
  28. Interruption de {Ms} et de {Presse}. À la suite de ces mots George Sand �crit, sur {Epr}: C'est ici qu'il faut placer les 16 pages de copie que j'ai envoy�es. G. Sand.
  29. Reprise de {Presse}
  30. Interruption de {Presse}
  31. V1 pas perceptible {Lecou}, {LP} ♦ pas perfectible eCL ♦ pas perceptible {Lub} (restaurant la le�on originale; nous le suivons)
  32. les guillemets font d�faut dans {CL}
  33. Ne rougissons pas {Lecou}, {LP} ♦ Ne rougissant pas {CL} ♦ Ne rougissons pas {Lub} (restaurant la le�on originale; nous le suivons)
  34. Manque dans {Lub}

Notes