GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.4 [147]; Lub T.2 [171]} CINQUIÈME PARTIE
Vie litt�raire et intime
1832-1850

{Presse 14/8/1855 1; CL T.4 [425]; Lub T.2 [408]} XII a

Mort d'Armand Carrel. — M. Émile de Girardin. — R�sum� sur Éverard. — D�part pour Majorque. — Fr�d�ric Chopin. — La Chartreuse de Valdemosa. — Les pr�ludes. — Jour de pluie. — Marseille. — Le docteur Cauvi�res. — Course en mer jusqu'� G�nes. — Retour � Nohant. — Maurice malade et gu�ri. b — Le 12 mai 1839. — Armand Barb�s. — Son erreur et sa sublimit�.



Deux circonstances c portent ma pens�e, en cet endroit de mon r�cit, sur deux des hommes d les plus remarquables de notre temps. Ces deux �-propos sont la mort de Carrel, qui eut lieu presque le m�me jour que mon proc�s � Bourges, en 1836, et la question du mariage, que je viens d'effleurer � propos de ma propre histoire. C'est de M. Émile de Girardin qu'il s'agit. M. de Girardin journaliste, M. de Girardin l�gislateur, dirai-je M. de Girardin politique et philosophique? Le titre de journaliste embrasse peut-�tre tous les autres.

Jusqu'� ce jour, le dix-neuvi�me si�cle a eu deux grands journalistes, Armand Carrel, Émile de Girardin. Par une myst�rieuse et poignante fatalit�, l'un a tu� l'autre, et, chose plus frappante encore, le vainqueur de ce d�plorable combat, jeune alors et en apparence inf�rieur au vaincu sous le rapport de l'�tendue du talent, est arriv� � le d�passer de toute l'�tendue du progr�s qui s'est accompli dans les id�es g�n�rales et qui s'est fait en lui-m�me. Si Carrel e�t v�cu, e�t-il subi la loi de ce progr�s? Esp�rons-le; mais soyons sans pr�vention, et avouons que, f�t-il rest� ce qu'il {CL 426} �tait � la veille de sa mort, il nous para�trait, je parle � ceux qui voient comme moi, singuli�rement arri�r�.

Émile de Girardin ne s'est pas arr�t� dans sa marche, {Lub 409} bien qu'il ait paru, qu'il ait peut-�tre �t� emport� par des courants contraires en de certains �lans de sa ligne ascendante.

Si bien que, sans dire une �normit�, ni chercher un paradoxe, on pourrait entrevoir un incompr�hensible dessein de la providence, non pas dans ce fait douloureux et � jamais regrettable de la mort de Carrel, mais dans cet h�ritage de son g�nie recueilli pr�cis�ment par son adversaire constern�.

Quel e�t �t� le r�le de Carrel en 1848? Cette question s'est souvent pos�e dans nos esprits � cette �poque. Mes souvenirs me le repr�sentaient comme l'ennemi-n� du socialisme. Les souvenirs de mes amis combattaient le mien, et la fin de nos commentaires �tait qu'ayant un grand cœur, il aurait pu �tre illumin� de quelque grande lumi�re.

Mais il est certain qu'en 1847 Émile de Girardin �tait, relativement au mouvement accompli dans les esprits et dans le sien propre depuis dix ans, ce qu'�tait Armand Carrel dix ans auparavant.

Il l'a d�pass� depuis, relativement e et r�ellement: il l'a immens�ment d�pass�.

Ce n'est pas un vain parall�le que je veux �tablir ici entre deux caract�res tr�s-oppos�s dans leurs instincts et deux talents tr�s-diff�rents dans leurs mani�res. C'est un rapprochement qui me frappe, qui m'a frapp�e souvent, et qui me semble amen� par la fatalit� des situations.

Carrel, sous la r�publique, se f�t prononc� pour la pr�sidence, � moins que Carrel n'e�t bien chang�! Carrel e�t peut-�tre �t� pr�sident de la R�publique. M. de Girardin e�t probablement soutenu un autre candidat; mais ce n'est pas la question de l'institution qui les e�t divis�s.

{CL 427} Jusque-l�, sans s'en apercevoir, M. de Girardin n'avait donc pas �t� plus loin que Carrel; mais personne dans nos rangs ne s'apercevait que Carrel n'avait pas �t� plus loin que M. de Girardin.

Je n'ai pas connu particuli�rement Carrel. Je ne lui ai jamais parl�, bien que je l'aie rencontr� souvent; mais je me rappellerai toute ma vie une heure de conversation entre Éverard et lui, � laquelle j'assistai sans qu'il me v�t. Je lisais dans l'embrasure d'une fen�tre, {Lub 410} le rideau �tait tomb� de lui-m�me sur moi lorsqu'il entra. Ils parl�rent du peuple. Je fus abasourdie. Carrel n'avait pas la notion du progr�s! Ils ne furent pas d'accord. Éverard l'influen�a, puis, � son tour, il fut influenc� par lui. Le plus faible entra�na le plus fort, cela se voit souvent.

Apr�s avoir parcouru bien des horizons depuis ce jour-l�, Éverard, en 1847, �tait revenu s'enfermer dans l'horizon limit� de Carrel.

En voyant ces fluctuations des grands esprits, les partisans s'alarment, s'�tonnent ou s'indignent. Les plus impatients crient � la d�fection, � la trahison. Les derniers jours de Carrel furent empoisonn�s par ces injustices. Éverard r�agit et lutta jusqu'� sa fin contre des soup�ons amers. M. de Girardin, plus accus�, plus insult�, plus ha� encore par toutes les nuances des partis, est seul rest� debout. Il est aujourd'hui, en France, le champion des th�ories les plus audacieuses et les plus g�n�reuses sur la libert�. Ainsi le voulait la destin�e en le douant d'une force sup�rieure � celle de ses adversaires.

Il faudrait pouvoir retrancher de nos mœurs politiques la pr�vention l'impatience et la col�re. Les id�es que nous poursuivons ne trouveront leur triomphe que dans des consciences �quitables et g�n�reuses. Qu'un homme comme Carrel ait �t� outrag� et navr� par des lettres de reproches et de menaces impies, que tant d'autres, �galement purs, {CL 428} aient �t� accus�s d'ambition cupide ou de l�chet� de caract�re, c'est, dit-on, l'in�vitable �cume qui court sur le flot d�bord� des passions. On ajoute qu'il faut en prendre son parti, et que toute r�volution est � ce prix amer.

Eh bien, non, n'en prenons plus notre parti. Excusons ces �garements in�vitables dans le pass�, ne les acceptons plus pour l'avenir. Disons-nous une bonne fois qu'aucun parti, m�me le n�tre, ne gouvernera longtemps par la haine, la violence et l'insulte. N'admettons plus que les r�publiques doivent �tre ombrageuses et les dictatures vindicatives. Ne r�vons plus le progr�s � la condition d'y marcher en nous soup�onnant, en nous flagellant les uns les autres. Laissons au pass� ses t�n�bres, ses emportements, ses grossi�ret�s. Admettons que les hommes qui ont fait de grandes choses, ou qui ont eu {Lub 411} seulement de grandes id�es ou de grands sentiments, ne doivent pas �tre accus�s � la l�g�re et qu'ils doivent toujours l'�tre avec mesure. Soyons assez intelligents pour appr�cier ces hommes au point de vue de l'ensemble de l'histoire; voyons leur puissance et ses limites naturelles, fatales. Vouloir qu'� toutes les heures de sa vie un homme sup�rieur r�ponde � l'id�al qu'il nous a fait entrevoir, c'est faire le proc�s � Dieu m�me, qui a cr�� l'homme incertain et limit�. Que nos suffrages, dans un �tat libre, ne se portent pas sur celui dont � une certaine heure l'esprit d�faille, h�site ou s'�gare, c'est notre droit. Mais, en l'�loignant pour un instant de notre route, rendons-lui encore hommage en songeant que demain peut-�tre nos destins auront besoin de l'homme qui s'est repos� dans le scrupule ou dans la prudence*.

* C'est ainsi qu'il faut juger M. de Lamartine. f

Quand nos mœurs politiques auront fait ce progr�s, quand les luttes de la popularit� n'auront plus pour armes l'injure, l'ingratitude et la calomnie, nous ne verrons plus {CL 429} de d�fections importantes, soyez-en certains. Les d�fections sont presque toujours des r�actions de l'orgueil bless�, des actes de d�pit. Ah! Je l'ai vu cent fois! Tel homme qui, respect� et m�nag� dans son caract�re, e�t march� dans le droit chemin, s'est violemment s�par� de ses coreligionnaires � cause d'une parole blessante, et les plus grands caract�res ne sont pas � l'abri de la cuisante blessure d'une attaque contre l'honneur, ou seulement d'une critique brutale contre leur sagesse. Je ne peux pas citer les exemples trop rapproch�s de nous, mais vous en avez certainement vu vous-m�mes, quel que soit votre milieu. De funestes d�terminations ont d� �tre prises devant vous, qui tenaient � un fil bien d�li�!

Et cela n'est-il pas dans la nature humaine? On devient insensiblement l'ennemi de l'homme qui s'est d�clar� votre ennemi. S'il s'acharne, quelle que soit votre patience, vous arrivez peu � peu � le croire aveugle en toutes choses, du moment qu'il est injuste et aveugle envers vous. Ses id�es m�mes vous deviennent antipathiques en m�me temps que son langage. Vous diff�riez sur quelques points au d�but, et voil� que les {Lub 412} croyances m�mes qui vous �taient communes vous apparaissent douteuses, du moment qu'il leur a donn� des formules qui semblent �tre la critique ou la n�gation des v�tres. Vous partez d'un jeu de mots et vous finissez par du sang. Les duels n'ont souvent pas d'autre cause, et il y a des duels de parti � parti qui ensanglantent la place publique.

Quel est le plus grand coupable dans ces funestes embrasements de l'histoire? Le premier qui dit � son fr�re Raca. Si Abel e�t dit le premier cette parole � Ca�n, c'est lui que Dieu e�t puni comme le premier meurtrier de la race humaine.

Ces r�flexions qui m'entra�nent ne sont pas hors de propos quand je me rappelle la mort de Carrel, la douleur {CL 430} d'Éverard et la haine de notre parti contre M. de Girardin. Si nous eussions �t� justes, si nous eussions reconnu que M. de Girardin ne pouvait pas refuser de se battre s�rieusement avec Carrel, comme il �tait pourtant bien facile de s'en convaincre en examinant les faits; si, apr�s avoir trait� Carrel d'esprit l�che et poltron, on n'e�t pas trait� son adversaire de spadassin et d'assassin, il ne nous e�t pas fallu vingt ans pour nous emparer de notre bien l�gitime, c'est-�-dire du secours de cette grande puissance et de cette grande lumi�re qu'Émile de Girardin portait en lui, et devait porter tout seul sur le chemin qui conduit � notre but commun.

Que de m�fiances et de pr�ventions contre lui! Je les ai subies, moi aussi; non pas pour ce fait du duel, d'o�, dangereusement bless� lui-m�me, il remporta la blessure plus profonde encore d'une irr�parable douleur: quand des voix ardentes s'�levaient autour de moi pour s'�crier: « Quoi qu'il y ait, on ne tue pas Carrel! On ne doit pas tuer Carrel! » Je me rappelais que M. de Girardin, ayant essuy� le feu de M. Degouve-Denunques, avait refus� de le viser, et que cet acte, digne de Carrel parce qu'il �tait chevaleresque, avait �t� consid�r� comme une injure parce qu'il venait d'un ennemi politique. Quant � la cause du duel, il est impossible que les t�moins eussent pu la trouver suffisante, si Carrel ne les y e�t contraints par son obstination. Sans aucun doute, Carrel �tait aigri et voulait arracher une humiliation plut�t qu'une r�paration. Encore �tait-ce la r�paration d'un tort peut-�tre imaginaire. — Quant {Lub 413} aux suites du duel, elles furent navrantes et honorables pour M. de Girardin. Il fut insult� par les amis de Carrel, et pour toute vengeance il porta le deuil de Carrel.

Ce n'�tait donc pas l� le motif de notre antipathie, et Éverard lui-m�me, en pleurant Carrel qu'il ch�rissait, rendait justice � la loyaut� de l'adversaire, quand il �tait de {CL 431} sang-froid. Mais il nous semblait voir, dans ce g�nie pratique qui commen�ait � se r�v�ler, l'ennemi-n� de nos utopies. Nous ne nous trompions pas. Un ab�me nous s�parait alors. Nous s�pare-t-il encore? Oui, sur des questions de sentiment, sur des r�ves d'id�al; et, quant � moi, sur la question du mariage, apr�s m�re r�flexion, je n'h�site pas � le dire: M. de Girardin socialiste, c'est-�-dire touchant aux questions vitales de la famille dans un livre admirable quant � la politique et � l'esprit des l�gislations, laisse dans l'ombre ou jette dans de t�m�raires aper�us ce grand dogme de l'amour et de la maternit�. Il n'admet qu'une m�re et des enfants dans la constitution de la famille. J'ai dit plus haut, je dirai encore ailleurs, toujours et partout, qu'il faut un p�re et une m�re.

Mais une discussion nous m�nerait trop loin, et tout ceci est une digression � mon histoire. Je ne la regrette pas, et je ne la retranche pas; mais il faut que, remettant encore � un autre cadre l'appr�ciation de cette nouvelle figure historique, apparue un instant dans mon r�cit, je r�sume ce peu de pages.

Carrel disparut, g emport� par la destin�e, et non pas immol� par un ennemi. Un grand journaliste, c'est-�-dire un de ces hommes de synth�se qui font, au jour le jour, l'histoire de leur �poque en la rattachant au pass� et � l'avenir, � travers les inspirations ou les lassitudes du g�nie, laissa tomber le flambeau qu'il portait dans le sang de son adversaire et dans le sien propre. L'adversaire lava ce sang de ses larmes et ramassa le flambeau. Le tenir �lev� n'�tait pas chose facile apr�s une telle catastrophe. La lumi�re vacilla longtemps dans ses mains �perdues. Le souffle des passions a pu l'obscurcir ou la faire d�vier; mais elle devait vivre, et nous eussions d� la saluer plus t�t. Nous ne l'avons pas fait, et elle a v�cu quand m�me. La mission de l'h�ritier de Carrel s'est ennoblie dans la temp�te. {CL 432} Au jour des catastrophes elle a �t� chevaleresque et g�n�reuse. {Lub 414} Un moment est venu o� lui seul a pu montrer, en France, le courage et la foi que Carrel e�t sans doute �t� forc� de refouler au fond de son cœur, puisque Carrel n'e�t pu se d�fendre du devoir de saisir, � un moment donn�, le pouvoir pour son compte. M. de Girardin a eu le rare bonheur de n'y pas �tre contraint. C'est quelquefois un grand honneur aussi*.

* Au moment o� je corrige ces �preuves, une douloureuse nouvelle vient me frapper: Madame de Girardin est morte, elle que je laissais malade il y a un mois, mais encore rayonnante de beaut�, d'intelligence, de gr�ce et de bont�, car elle �tait bonne, bien vraiment bonne! Tout le monde sait qu'elle avait du g�nie; mais cette tendresse d�licate, cette fibre d'exquise maternit� que ses ouvrages dramatiques venaient de r�v�ler, ses amis seuls la connaissaient d�j�. Pour moi, j'ai �t� � m�me de l'appr�cier profond�ment. Elle a pleur� avec nous la plus douloureuse des pertes, celle d'un enfant ador�, et pleur� si na�vement, si ardemment! Elle n'avait pourtant pas �t� m�re, et ce n'est pas l'intelligence toute seule qui r�v�le � une femme ce que les m�res doivent souffrir. C'est le cœur, c'est le g�nie de la tendresse, et madame de Girardin avait ce g�nie-l� pour couronnement d'une admirable organisation. h

Revenons i � Éverard. Trois ans s'�taient �coul�s depuis qu'Éverard avait pris une grande influence morale sur mon esprit. Il la perdit pour des causes que je n'ai pas attendu jusqu'� ce jour pour oublier. Oublier est bien le mot, car la nettet� des souvenirs est quelquefois encore du ressentiment. Je sais en gros que ces causes furent de diverse nature: d'une part, ses vell�it�s d'ambition, il se servait toujours de ce mot-l� pour exprimer ses violents et fugitifs besoins d'activit�; de l'autre, les emportements trop r�it�r�s de son caract�re, aigri souvent par l'inaction ou les d�ceptions.

Quant � l'innocente ambition de si�ger � la Chambre des d�put�s et d'y prendre de l'influence, je ne la d�sapprouvais nullement; mais j'avoue qu'elle me g�tait un peu {CL 433} mon vieux Éverard, car c'est comme vieillard, aux heures o� sa figure alt�r�e marquait soixante ans, que je le ch�rissais d'une affection presque filiale, parce que, dans ces moments-l�, il �tait doux, vrai, simple, candide et tout rempli d'id�al divin. Était-ce alors qu'il �tait lui-m�me? C'est ce que je n'ai jamais pu savoir. Il �tait sinc�re � coup s�r dans tous ses aspects; mais quelle {Lub 413} e�t �t� sa vraie nature si son organisation e�t �t� r�guli�re, c'est-�-dire si un mal chronique ne l'e�t pas fait passer par de continuelles alternatives de fi�vre et de langueur? L'exaltation maladive me le rendait, je ne dirai pas antipathique, mais comme �tranger. C'est lorsqu'il redevenait jeune, actif, ardent au petit combat de la politique d'actualit� que j'�prouvais l'invincible besoin de ne pas trop m'int�resser � lui.

C'est cette indiff�rence � ce qu'il regardait alors comme l'int�r�t puissant de sa vie qu'il ne me pardonnait qu'apr�s des bouderies ou des reproches. Pour �viter le retour de ces querelles, je ne provoquais ni ses lettres, ni ses visites. Elles devinrent de plus en plus rares. Il fut nomm� d�put�. Son d�but � la Chambre le posa, dans une question de propri�t� particuli�re que je ne me rappelle pas bien, comme raisonneur habile plus que comme orateur politique. Son r�le y fut effac�, selon moi. Je ne voulais pas le tourmenter. D'un homme comme lui on pouvait attendre le r�veil sans inqui�tude. Nous f�mes des mois entiers sans nous voir et sans nous �crire. J'�tais fix�e � Nohant. Il y apparut toujours de loin en loin jusque vers la r�volution de f�vrier. Dans les derni�res entrevues, nous n'�tions plus d'accord sur le fond des choses. J'avais un peu �tudi� et m�dit� mon id�al; il semblait avoir �cart� le sien pour revenir � un si�cle en arri�re de la r�volution. Il ne fallait pas lui rappeler le pont des Saints-P�res. Il e�t affirm� par serment et de bonne foi que j'avais r�v�, ainsi que Planet. Il s'irritait quand je voulais lui prouver que j'avais gard� {CL 434} et am�lior� mes sentiments, et qu'il avait laiss� reculer et obscurcir les siens. Il raillait mon socialisme avec un peu d'amertume, et cependant il redevenait ais�ment tendre et paternel. Alors je lui pr�disais qu'un jour il redeviendrait socialiste, et qu'outrepassant le but il me reprocherait ma mod�ration. Cela f�t arriv� certainement s'il e�t v�cu.

L'absence ni la mort ne d�truisent les grandes amiti�s; la mienne lui resta et lui reste en d�pit de tout. Je ne fus jamais brouill�e avec lui, et il le fut pourtant avec moi dans les derni�res ann�es de sa vie. Je dirai pourquoi.

Il voulait �tre commissaire � Bourges sous le gouvernement provisoire. Il ne le fut pas et s'en prit � moi. Il me supposait aupr�s du ministre de l'int�rieur {Lub 416} une influence que j'�tais loin d'avoir. M. Ledru-Rollin n'avait pas coutume de me consulter sur ses d�cisions politiques. Quelques personnes l'ont dit: ce fut une mauvaise plaisanterie. Éverard eut la simplicit� de le croire sur des commentaires de province.

Mais, pour �tre dans la v�rit� et dans la sinc�rit� absolue, je dus ne pas lui cacher que si j'avais eu cette influence et si j'avais �t� consult�e, ou, pour mieux dire, si j'avais �t� le ministre en personne, je n'eusse pas raisonn� ni agi autrement que n'avait fait le ministre. Je poussai la loyaut� jusqu'� lui �crire que, M. Ledru-Rollin ayant pris cette d�termination et la d�clarant apr�s coup dans une conversation � laquelle j'�tais j pr�sente, j'avais trouv� s�rieux et justes les motifs qu'il en avait donn�s. — Éverard, je l'ai dit d�j�, et je le lui disais � lui-m�me, avait �t� surpris par la R�publique dans une phase d'antipathie marqu�e pour les id�es qui devaient, qui eussent d� faire vivre la R�publique. Il e�t pu redevenir l'homme du lendemain; mobile et sinc�re comme il l'�tait, on ne devait gu�re �tre en peine de son retour, et, dans tous les cas, on pouvait bien l'attendre sans compromettre l'avenir d'une puissance {CL 435} comme la sienne. Mais, � coup s�r, il n'�tait pas l'homme de ce jour-l�, du jour o� nous �tions, jour de foi enti�re et d'aspiration illimit�e vers des principes rejet�s la veille par Éverard.

Je ne m'�tais pas tromp�e. Sous la pression des circonstances, Éverard �tait � un des fa�tes de la montagne, lorsque la violence des �v�nements l'en fit descendre sans espoir d'y jamais remonter: la cruelle mort l'attendait. On m'a dit qu'il ne m'avait jamais pardonn� ma sinc�rit�. Eh bien, je crois le contraire. Je crois que son cœur a �t� juste et sa raison lucide � un moment donn� connu de lui seul. Aujourd'hui que je vois son �me face � face, je suis bien tranquille.

Il est une autre �me, non moins belle et pure dans son essence, non moins malade et troubl�e dans ce monde, que je retrouve avec autant de placidit� dans mes entretiens avec les morts, et dans mon attente de ce monde meilleur o� nous devons nous reconna�tre tous au rayon d'une lumi�re plus vive et plus divine que celle de la terre.

Je parle de Fr�d�ric Chopin, qui fut l'h�te k des huit {Lub 417} derni�res ann�es de ma vie de retraite � Nohant sous la Monarchie.

En 1838, d�s que Maurice m'eut �t� d�finitivement confi�, je me d�cidai � chercher pour lui un hiver plus doux que le n�tre. J'esp�rais le pr�server ainsi du retour des rhumatismes cruels de l'ann�e pr�c�dente. Je voulais trouver, en m�me temps, un lieu tranquille o� je pusse le faire travailler un peu, ainsi que sa sœur, et travailler moi-m�me sans exc�s. On gagne {Presse 14/8/1855 2} bien du temps quand on ne voit personne, on est forc� de veiller beaucoup moins.

Comme je faisais mes projets et mes pr�paratifs de d�part, Chopin, que je voyais tous les jours et dont j'aimais tendrement le g�nie et le caract�re, me dit � plusieurs reprises que, s'il �tait � la place de Maurice, il {CL 436} serait bient�t gu�ri lui-m�me. Je le crus, et je me trompai. Je ne le mis pas dans le voyage � la place de Maurice, mais � c�t� de Maurice. Ses amis le pressaient depuis longtemps d'aller passer quelque temps dans le midi de l'Europe. On le croyait phthisique. Gaubert l'examina et me jura qu'il ne l'�tait pas. « vous le sauverez, en effet, me dit-il, si vous lui donnez de l'air, de la promenade et du repos. » les autres, sachant bien que jamais Chopin ne se d�ciderait � quitter le monde et la vie de Paris sans qu'une personne aim�e de lui et d�vou�e � lui ne l'y entra�n�t, me press�rent vivement de ne pas repousser le d�sir qu'il manifestait si � propos et d'une fa�on tout inesp�r�e.

J'eus tort, par le fait, de c�der � leur esp�rance et � ma propre sollicitude. C'�tait bien assez de m'en aller seule � l'�tranger avec deux enfants, l'un d�j� malade, l'autre exub�rant de sant� et de turbulence, sans prendre encore un tourment de cœur et une responsabilit� de m�decin.

Mais Chopin �tait dans un moment de sant� qui rassurait tout le monde. Except� Grzymala, qui ne s'y trompait pas trop, nous avions tous confiance. Je priai cependant Chopin de bien consulter ses forces morales, car il n'avait jamais envisag� sans effroi, depuis plusieurs ann�es, l'id�e de quitter Paris, son m�decin, ses relations, son appartement m�me et son piano. C'�tait l'homme des habitudes imp�rieuses, et tout changement, si petit qu'il f�t, �tait un �v�nement terrible dans sa vie.

Je partis avec mes enfants en lui disant que je passerais {Lub 418} quelques jours � Perpignan, si je ne l'y trouvais pas; et que s'il n'y venait pas au bout d'un certain d�lai, je passerais en Espagne. J'avais choisi Majorque sur la foi de personnes qui croyaient bien conna�tre le climat et les ressources du pays, et qui ne les connaissaient pas du tout.

Mendizabal, notre ami commun, un homme excellent {CL 437} autant que c�l�bre, devait se rendre � Madrid et accompagner Chopin jusqu'� la fronti�re, au cas o� il donnerait suite � son r�ve de voyage.

Je m'en allai donc avec mes enfants et une femme de chambre dans le courant de novembre. Je m'arr�tai le premier soir au Plessis, o� j'embrassai avec joie ma m�re Ang�le et toute cette bonne et ch�re famille qui m'avait ouvert les bras quinze ans auparavant. Je trouvai les fillettes grandes, belles et mari�es. Tonine, ma pr�f�r�e, �tait � la fois superbe et charmante. Mon pauvre p�re James �tait goutteux et marchait sur des b�quilles. J'embrassai le p�re et la fille pour la derni�re fois! Tonine devait mourir � la suite de sa premi�re maternit�, son p�re � peu pr�s dans le m�me temps.

Nous f�mes un grand d�tour, voyageant pour voyager. Nous rev�mes � Lyon notre amie l'�minente artiste madame Montgoffier, Th�odore de Seynes, etc., et descend�mes le Rh�ne jusqu'� Avignon, d'o� nous cour�mes � Vaucluse, une des plus belles choses du monde, et qui m�rite bien l'amour de P�trarque et l'immortalit� de ses vers. De l�, traversant le Midi, saluant le pont du Gard, nous arr�tant quelques jours � N�mes pour embrasser notre cher pr�cepteur et ami Boucoiran et pour faire connaissance avec madame d'Oribeau, une femme charmante que je devais conserver pour amie, nous gagn�mes Perpignan, o� d�s le lendemain nous v�mes arriver Chopin. Il avait tr�s-bien support� le voyage. Il ne souffrit pas trop de la navigation jusqu'� Barcelone, ni de Barcelone jusqu'� Palma. Le temps �tait calme, la mer excellente; nous sentions la chaleur augmenter d'heure en heure. Maurice supportait la mer presque aussi bien que moi, Solange moins bien; mais, � la vue des c�tes escarp�es de l'�le, dentel�es au soleil du matin par les alo�s et les palmiers, elle se mit � courir sur le pont, joyeuse et fra�che comme le matin m�me.

{CL 438; Lub 419} J'ai peu � dire ici sur Majorque, ayant �crit un gros volume sur ce voyage. J'y ai racont� mes angoisses relativement au malade que j'accompagnais. D�s que l'hiver se fit, et il se d�clara tout � coup par des pluies torrentielles, Chopin pr�senta, subitement aussi, tous les caract�res de l'affection pulmonaire. Je ne sais ce que je serais devenue si les rhumatismes se fussent empar�s de Maurice; nous n'avions aucun m�decin qui nous inspir�t confiance, et les plus simples rem�des �taient presque impossibles � se procurer. Le sucre m�me �tait souvent de mauvaise qualit� et rendait malade.

Gr�ce au ciel, Maurice, affrontant du matin au soir la pluie et le vent, avec sa sœur, recouvra une sant� parfaite. Ni Solange ni moi ne redoutions les chemins inond�s et les averses. Nous avions trouv� dans une chartreuse abandonn�e et ruin�e en partie un logement sain et des plus pittoresques. Je donnais des le�ons aux enfants dans la matin�e. Ils couraient tout le reste du jour, pendant que je travaillais; le soir, nous courions ensemble dans les clo�tres au clair de la lune, ou nous lisions dans les cellules. Notre existence e�t �t� fort agr�able dans cette solitude romantique, en d�pit de la sauvagerie du pays et de la chiperie des habitants, si ce triste spectacle des souffrances de notre compagnon et certains jours d'inqui�tude s�rieuse pour sa vie ne m'eussent �t� forc�ment tout le plaisir et tout le b�n�fice du voyage.

Le pauvre grand artiste �tait un malade d�testable. Ce que j'avais redout�, pas assez, malheureusement, arriva. Il se d�moralisa d'une mani�re compl�te. Supportant la souffrance avec assez de courage, il ne pouvait vaincre l'inqui�tude de son imagination. Le clo�tre �tait pour lui plein de terreurs et de fant�mes, m�me quand il se portait bien. Il ne le disait pas, et il me fallut le deviner. Au retour de mes explorations nocturnes dans les ruines avec {CL 439} mes enfants, je le trouvais, � dix heures du soir, p�le devant son piano, les yeux hagards et les cheveux comme dress�s sur la t�te. Il lui fallait l quelques instants pour nous reconna�tre.

Il faisait ensuite un effort pour rire, et il nous jouait des choses sublimes qu'il venait de composer, ou, pour mieux dire, des id�es terribles ou d�chirantes qui {Lub 420} venaient de s'emparer de lui, comme � son insu, dans cette heure de solitude, de tristesse et d'effroi.

C'est l� qu'il a compos� les plus belles de ces courtes pages qu'il intitulait modestement des pr�ludes. Ce sont des chefs-d'œuvre. Plusieurs pr�sentent � la pens�e des visions de moines tr�pass�s et l'audition des chants fun�bres qui l'assi�geaient; d'autres sont m�lancoliques m et suaves; ils lui venaient aux heures de soleil et de sant�, au bruit du rire des enfants sous la fen�tre, au son lointain des guitares, au chant des oiseaux sous la feuill�e humide, � la vue des petites roses p�les �panouies sur la neige n.

D'autres encore sont d'une tristesse morne et, en vous charmant l'oreille, vous navrent le cœur. Il y en a un qui lui vint par une soir�e de pluie lugubre et qui jette o dans l'�me un abattement effroyable. Nous l'avions laiss� bien portant ce jour-l�, Maurice et moi, pour aller � Palma acheter des objets n�cessaires � notre campement. La pluie �tait venue, les torrents avaient d�bord�; nous avions fait trois lieues en six heures pour revenir au milieu de l'inondation, et nous arrivions en pleine nuit, sans chaussures, abandonn�s de notre voiturin, � travers des dangers inou�s*. Nous nous h�tions en vue de l'inqui�tude de notre malade. Elle avait �t� vive en effet, mais elle s'�tait comme fig�e en une sorte de d�sesp�rance tranquille, et il jouait son admirable pr�lude en pleurant. En nous voyant entrer, il se leva en jetant un grand cri, puis {CL 440} il nous dit d'un air �gar� et d'un ton �trange: « Ah! je le savais bien, que vous �tiez morts! »

* [{CL 439}] Voyez un Hiver dans le midi de l'Europe.

Quand il eut repris ses esprits et qu'il vit l'�tat o� nous �tions, il fut malade du spectacle r�trospectif de nos dangers; mais il m'avoua ensuite qu'en nous attendant il avait vu tout cela dans un r�ve, et que, ne distinguant plus ce r�ve de la r�alit�, il s'�tait calm� et comme assoupi en jouant du piano, persuad� qu'il �tait mort lui-m�me. Il se voyait noy� dans un lac; des gouttes d'eau pesantes et glac�es lui tombaient en mesure sur la poitrine et quand je lui fis �couter le bruit de ces gouttes d'eau, qui tombaient en effet en mesure sur le toit, il nia les avoir entendues. Il se f�cha m�me de ce que je traduisais par le mot d'harmonie imitative. {Lub 421} Il protestait de toutes ses forces, et il avait raison, contre la pu�rilit� de ces imitations pour l'oreille. Son g�nie �tait plein de myst�rieuses p harmonies de la nature, traduites par des �quivalents sublimes dans sa pens�e musicale et non par une r�p�tition servile des sons ext�rieurs*. Sa composition de ce soir-l� �tait bien pleine des gouttes de pluie qui r�sonnaient sur les tuiles sonores de la Chartreuse, mais elles s'�taient traduites dans son imagination et dans son chant par des larmes tombant du ciel sur son cœur.

* J'ai donn�, dans Consuelo, une d�finition de cette distinction musicale qui l'a pleinement satisfait, et qui, par cons�quent, doit �tre claire.

Le g�nie de Chopin est le plus profond et le plus plein de sentiments et d'�motions qui ait exist�. Il a fait parler � un seul instrument la langue de l'infini; il a pu souvent r�sumer, en dix lignes qu'un enfant pourrait jouer, des po�mes d'une �l�vation immense, des drames d'une �nergie sans �gale. Il n'a jamais eu besoin des grands moyens mat�riels pour donner le mot de son g�nie. Il ne lui a fallu ni saxophones ni ophicl�ides pour remplir l'�me {CL 441} de terreur; ni orgues d'�glise, ni voix humaine pour la remplir de foi et d'enthousiasme. Il n'a pas �t� connu et il ne l'est pas encore de la foule. Il faut de grands progr�s dans le go�t et l'intelligence de l'art pour que ses œuvres deviennent populaires. Un jour viendra o� l'on orchestrera sa musique sans rien changer � sa partition de piano, et o� tout le monde saura que ce g�nie aussi vaste, aussi complet, aussi savant que celui des plus {Presse 14/8/1855 3} grands ma�tres qu'il s'�tait assimil�s, a gard� une individualit� encore plus exquise que celle de S�bastien Bach, encore plus puissante que celle de Beethoven, encore plus dramatique que celle de Weber. Il est tous les trois ensemble, et il est encore lui-m�me, c'est-�-dire plus d�li� dans le go�t, plus aust�re dans le grand, plus d�chirant dans la douleur. Mozart seul lui est sup�rieur, parce que Mozart a en plus le calme de la sant�, par cons�quent la pl�nitude de la vie.

Chopin sentait sa puissance et sa faiblesse. Sa faiblesse �tait dans l'exc�s m�me de cette puissance qu'il ne pouvait r�gler. Il ne pouvait pas faire comme Mozart (au reste Mozart seul a pu le faire), un chef-d'œuvre {Lub 422} avec une teinte plate. Sa musique �tait pleine de nuances et d'impr�vu. Quelquefois, rarement, elle �tait bizarre, myst�rieuse et tourment�e. Quoiqu'il e�t horreur de ce que l'on ne comprend pas, ses �motions excessives l'emportaient � son insu dans des r�gions connues de lui seul. J'�tais q peut-�tre pour lui un mauvais arbitre (car il me consultait comme Moli�re sa servante), parce que, � force de le conna�tre, j'en �tais venue � pouvoir m'identifier � toutes les fibres de son organisation.

Pendant huit ans, en m'initiant chaque jour au secret de son inspiration ou de sa m�ditation musicale, son piano me r�v�lait les entra�nements, les embarras, les victoires ou les tortures de sa pens�e. Je le comprenais donc comme il {CL 442} se comprenait lui-m�me, et un juge plus �tranger � lui-m�me l'e�t forc� � �tre plus intelligible pour tous.

Il avait eu quelquefois des id�es riantes et toutes rondes dans sa jeunesse. Il a fait des chansons polonaises et des romances in�dites d'une charmante bonhomie et d'une adorable r douceur. Quelques-unes de ses compositions ult�rieures sont encore comme des sources de cristal o� se mire un clair soleil. Mais qu'elles sont rares et courtes ces tranquilles extases de sa contemplation! Le chant de l'alouette dans le ciel et le moelleux flottement du cygne sur les eaux immobiles sont pour lui comme des �clairs de la beaut� dans la s�r�nit�. Le cri de l'aigle plaintif et affam� sur les rochers de Majorque, le sifflement amer de la bise et la morne d�solation des ifs couverts de neige l'attristaient bien plus longtemps et bien plus vivement que ne le r�jouissaient le parfum des orangers, la gr�ce des pampres et la cantil�ne mauresque des laboureurs.

Il en �tait ainsi de son caract�re en toutes choses. Sensible un instant aux douceurs de l'affection et aux sourires de la destin�e, il �tait froiss� des jours, des semaines enti�res par la maladresse d'un indiff�rent ou par les menues contrari�t�s de la vie r�elle. Et, chose �trange, une v�ritable douleur ne le brisait pas autant qu'une petite. Il semblait qu'il n'e�t pas la force de la comprendre d'abord et de la ressentir ensuite. La profondeur de ses �motions n'�tait donc nullement en rapport avec leurs causes. Quant � sa d�plorable sant�, il l'acceptait h�ro�quement dans les dangers r�els, et il {Lub 423} s'en tourmentait mis�rablement dans les alt�rations insignifiantes. Ceci est l'histoire et le destin de tous les �tres en qui le syst�me nerveux est d�velopp� avec exc�s.

Avec le sentiment exag�r� des d�tails, l'horreur de la mis�re et les besoins d'un bien-�tre raffin�, il prit naturellement Majorque en horreur au bout de peu de jours de {CL 443} maladie. Il n'y avait pas moyen de se remettre en route, il �tait trop faible. Quand il fut mieux, les vents contraires r�gn�rent sur la c�te, et pendant trois semaines le bateau � vapeur ne put sortir du port. C'�tait l'unique embarcation possible, et encore ne l'�tait-elle gu�re.

Notre s�jour � la Chartreuse de Valdemosa fut donc un supplice pour lui et un tourment pour moi. Doux, enjou�, charmant dans le monde, Chopin malade �tait d�sesp�rant s dans l'intimit� exclusive. Nulle �me n'�tait plus noble, plus d�licate, plus d�sint�ress�e; nul commerce plus fid�le et plus loyal, nul esprit plus brillant dans la gaiet�, nulle intelligence plus s�rieuse et plus compl�te dans ce qui �tait de son domaine; mais en revanche, h�las! Nulle humeur n'�tait plus in�gale, nulle imagination plus ombrageuse et plus d�lirante, nulle susceptibilit� plus impossible � ne pas irriter, nulle exigence de cœur plus impossible � satisfaire. Et rien de tout cela n'�tait sa faute, � lui. C'�tait celle de son mal. Son esprit �tait �corch� vif; le pli d'une feuille de rose, l'ombre d'une mouche le faisaient saigner. Except� moi et mes enfants, tout lui �tait antipathique et r�voltant sous le ciel de l'Espagne. Il mourait de l'impatience du d�part, bien plus que des inconv�nients du s�jour.

Nous p�mes enfin nous rendre � Barcelone et de l�, par mer encore, � Marseille, � la fin de l'hiver. Je quittai la chartreuse avec un m�lange de joie et de douleur. J'y aurais bien pass� deux ou trois ans seule avec mes enfants. Nous avions une malle de bons livres �l�mentaires que j'avais le temps de leur expliquer. Le ciel devenait magnifique et l'�le un lieu enchant�. Notre installation romantique nous charmait; Maurice se fortifiait � vue d'œil, et nous ne faisions que rire des privations pour notre compte. J'aurais eu de bonnes heures de travail sans distraction; je lisais de beaux ouvrages de philosophie et d'histoire quand je n'�tais pas garde-malade, et le malade lui-m�me e�t �t� {Lub 424} adorablement {CL 444} bon s'il e�t pu gu�rir. De quelle po�sie sa musique remplissait ce sanctuaire, m�me au milieu de ses plus douloureuses agitations! Et la chartreuse �tait si belle sous ses festons de lierre, la floraison si splendide dans la vall�e, l'air si pur sur notre montagne, la mer si bleue � l'horizon! C'est le plus bel endroit que j'aie jamais habit�, et un des plus beaux que j'aie jamais vus. Et j'en avais � peine joui! N'osant quitter le malade, je ne pouvais sortir avec mes enfants qu'un instant chaque jour, et souvent pas du tout. J'�tais tr�s-malade moi-m�me de fatigue et de s�questration.

À Marseille il fallut nous arr�ter. Je soumis Chopin � l'examen du c�l�bre docteur Cauvi�res, qui le trouva gravement compromis d'abord, et qui pourtant reprit bon espoir en le voyant se r�tablir rapidement. Il augura qu'il pouvait vivre longtemps avec de grands soins, et il lui prodigua les siens. Ce digne et aimable homme, un des premiers m�decins de France, le plus charmant, le plus s�r, le plus d�vou� des amis, est, � Marseille, la providence des heureux et des malheureux. Homme de conviction et de progr�s, il a conserv� dans un �ge tr�s-avanc� la beaut� de l'�me et celle du visage. Sa physionomie douce et vive en m�me temps, toujours �clair�e d'un tendre sourire et d'un brillant regard, commande le respect et l'amiti� � dose �gale. C'est encore une des plus belles organisations qui existent, exempte d'infirmit�s, pleine de feu, jeune de cœur et d'esprit, bonne autant que brillante, et toujours en possession des hautes facult�s d'une intelligence d'�lite.

Il fut pour nous comme un p�re. Sans cesse occup� � nous rendre l'existence charmante, il soignait le malade, il promenait et g�tait les enfants, il remplissait mes heures, sinon de repos, du moins d'espoir, de confiance et de bien-�tre intellectuel. Je l'ai retrouv� cette {CL 445} ann�e � Marseille*, c'est-�-dire quinze ans apr�s, plus jeune et plus aimable encore, s'il est possible, que je ne l'avais laiss�, venant de traverser et de vaincre le chol�ra comme un jeune homme, aimant comme au premier jour les �lus de son cœur, croyant � la France, � l'avenir, � la v�rit�, comme n'y croient plus les enfants de ce si�cle: admirable vieillesse, digne d'une admirable vie!

* 1855.

{Lub 425} En voyant Chopin rena�tre avec le printemps et s'accommoder d'une m�dication fort douce, il approuva notre projet d'aller passer quelques jours � G�nes. Ce fut t un plaisir pour moi de revoir avec Maurice tous les beaux u �difices et tous les beaux tableaux que poss�de cette charmante ville.

Au retour, nous e�mes en mer un rude coup de vent. Chopin en fut assez malade, et nous pr�mes quelques jours de repos � Marseille chez l'excellent docteur.

Marseille est une ville magnifique qui froisse et d�pla�t au premier abord par la rudesse de son climat et de ses habitants. On s'y fait pourtant, car le fond de ce climat est sain et le fond de ces habitants est bon. On comprend qu'on puisse s'habituer � la brutalit� du mistral, aux col�res de la mer, et aux ardeurs d'un implacable soleil, quand on trouve l�, dans une cit� opulente, toutes les ressources de la civilisation � tous les degr�s o� l'on peut se les procurer, et quand on parcourt, sur un rayon de quelque �tendue, cette Provence aussi �trange et aussi belle en bien des endroits que beaucoup d'endroits un peu trop vant�s de l'Italie.

J'amenai � Nohant, sans encombre, Maurice gu�ri, et Chopin en train de l'�tre. Au bout de quelques jours, ce fut le tour de Maurice d'�tre le plus malade des deux. Le cœur reprenait trop de pl�nitude. Mon ami Papet, qui est {CL 446} excellent m�decin et qui, en raison de sa fortune, exerce la m�decine gratis pour ses amis et pour les pauvres, prit sur lui de changer radicalement son r�gime. Depuis deux ans on le tenait aux viandes blanches et � l'eau rougie. Il jugea qu'une rapide croissance exigeait des toniques, et apr�s l'avoir saign�, il le fortifia par un r�gime tout oppos�. Bien m'en prit d'avoir confiance en lui, car depuis ce moment Maurice fut radicalement gu�ri et devint d'une forte et solide sant�.

Quant � Chopin v, Papet ne lui trouva plus aucun sympt�me d'affection pulmonaire, mais seulement une petite affection chronique du larynx qu'il n'esp�ra pas gu�rir et dont il ne vit pas lieu � s'alarmer s�rieusement*. w

* C'est � cette �poque que je perdis mon ang�lique ami Gaubert. J'avais d�j� perdu, en 1837, mon noble et tendre papa, M. Duris-Dufresne, d'une mani�re tragique et douloureuse. Il avait d�n� la veille avec mon mari. « Il fut rencontr� le 29 octobre, � onze heures [{Lub 426}] du matin, par une personne de Ch�teauroux. Il �tait joyeux, il allait devenir grand-p�re, il venait d'acheter les drag�es. Depuis lors on a perdu sa trace. Son corps a �t� retrouv� dans la Seine. A-t-il �t� assassin�? Rien ne le prouve; on ne l'avait pas vol�; ses boucles d'oreilles en or �taient intactes. » (Lettre du Malgache 1837).

Cette d�plorable fin est rest�e myst�rieuse. Mon fr�re, qui l'avait vu deux jours auparavant, lui avait entendu dire, en parlant de la marche des �v�nements politiques: « Tout est fini, tout est perdu! » Il paraissait tr�s-affect�. Mais, mobile, �nergique et enthousiaste, il avait repris sa ga�t� au bout d'un instant.

{Lub 426} Avant d'aller plus avant, je dois parler d'un �v�nement politique qui avait eu lieu en France le 12 mai 1839, pendant que j'�tais � G�nes, et d'un des hommes que je place aux premiers rangs parmi mes contemporains, bien que je ne l'aie connu que beaucoup plus tard: Armand Barb�s.

Ses premiers �lans furent pourtant ceux d'un h�ro�sme irr�fl�chi, et je n'h�site pas � bl�mer, avec Louis Blanc, la {CL 447} tentative du 12 mai. J'oserai ajouter que ce triste dicton, le succ�s justifie tout, a quelque chose de plus s�rieux qu'un aphorisme fataliste ne semble le comporter. Il a m�me un sens tr�s-vrai, si l'on consid�re que la vie d'un certain nombre d'hommes peut �tre sacrifi�e � un principe bienfaisant pour l'humanit�, mais � la condition d'avancer r�ellement le r�gne de ce principe dans le monde. Si l'effort de vaillance et de d�vouement doit rester st�rile; si m�me, dans de certaines conditions et sous l'empire de certaines circonstances, il doit, en �chouant, retarder l'heure du salut, il a beau �tre pur dans l'intention, il devient coupable dans le fait. Il donne des forces au parti vainqueur, il �branle la foi chez les vaincus. Il verse le sang innocent et le propre sang des conjur�s, qui est pr�cieux, au profit de la mauvaise cause. Il met le vulgaire en d�fiance, ou il le frappe d'une terreur stupide, qui le rend presque impossible � ramener et � convaincre.

Je sais bien que le succ�s est le secret de Dieu, et que si l'on ne marchait, comme les anciens, qu'apr�s avoir consult� des oracles r�put�s infaillibles, on n'aurait gu�re de m�rite � risquer sa fortune, sa libert� et sa vie. D'ailleurs, l'oracle des temps modernes, c'est le peuple: Vox populi, vox Dei; et c'est un oracle myst�rieux et {Lub 427} trompeur, qui ignore souvent lui-m�me d'o� lui viennent ses transports et ses r�v�lations. Mais, quelque difficile qu'il soit � p�n�trer, le g�nie du conspirateur consiste � s'assurer de cet oracle.

Le conspirateur n'est donc pas � la hauteur de sa mission quand il manque de sagesse, de clairvoyance et de ce g�nie particulier qui devine l'issue n�cessaire des �v�nements. C'est une chose si grave de jeter un peuple, et m�me une petite fraction du peuple dans l'ar�ne sanglante des r�volutions, qu'il n'est pas permis de c�der � l'instinct du sacrifice, � l'enthousiasme du martyre, aux illusions de {CL 448} la foi la plus pure et la plus sublime. La foi sert dans le domaine de la foi; les miracles qu'elle produit ne sortent pas de ce domaine, et quand l'homme veut la porter dans celui des faits, elle ne suffit plus si elle reste � l'�tat de foi mystique. Il faut qu'elle soit �clair�e des vives lumi�res, des lumi�res sp�ciales qu'exigent la connaissance et l'appr�ciation du fait m�me; il faut qu'elle devienne la science, et une science aussi exacte que celle que Napol�on portait dans le destin des batailles.

Telle fut l'erreur des chefs de la Soci�t� des saisons. Ils compt�rent sur le miracle de la foi, sans tenir compte de la double lumi�re qui est n�cessaire dans ces sortes d'entreprises. Ils m�connurent l'�tat des esprits, les moyens de r�sistance; ils se pr�cipitaient dans l'ab�me, comme Curtius, sans songer que le peuple �tait dans un de ces moments de lassitude et d'incr�dulit�, o�, par amour pour lui, par respect de son avenir, de son lendemain peut-�tre, il ne faut pas l'exposer � faire acte d'ath�isme et de l�chet�.

Le succ�s ne justifie pas tout, mais il sanctionne les grandes causes et impose jusqu'� un certain point les mauvaises � la raison humaine, l'adh�sion d'un peuple �tant dans ce cas un obstacle contre lequel il faut savoir se tenir debout et attendre. La fi�vre g�n�reuse des nobles �mes indign�es doit savoir se contenir � de certains moments de l'histoire et se m�nager pour l'heure o� elle pourra faire de l'�tincelle sacr�e un vaste incendie. Alors qu'un parti se risque avec un peuple et m�me � la t�te d'un peuple pour changer ses destin�es, s'il �choue en d�pit des plus sages pr�visions et des plus savants efforts, s'il est en situation de rendre au moins {Lub 428} sa d�faite d�sastreuse � l'ennemi, si, en un mot, il exprime par ses actes une immense et ardente protestation, ses efforts ne sont pas perdus, et ceux qui survivront en recueilleront le fruit plus tard. C'est dans ce cas que l'on b�nit encore les {CL 449} vaincus de la bonne cause; c'est alors qu'on les absout des malheurs attach�s � la crise, en reconnaissant qu'ils n'ont pas agi au hasard, et la foi qui survit au d�sastre est proportionn�e aux chances de succ�s qu'ils ont su mettre dans leur plan. C'est ainsi qu'on pardonne � un habile g�n�ral vaincu dans une bataille d'avoir perdu des colonnes enti�res dans la vue d'une victoire probable, tandis qu'on bl�me le h�ros isol� qui s'en va faire �charper une petite escorte sans aucune chance d'utilit�.

À Dieu ne plaise que j'accuse Barb�s, Martin Bernard et les autres g�n�reux martyrs x de cette s�rie d'avoir aveugl�ment sacrifi� � leur audace naturelle, � leur m�pris de la vie, � un �go�ste besoin de gloire! Non! C'�taient des esprits r�fl�chis, studieux, modestes; mais ils �taient jeunes, ils �taient exalt�s par la religion du devoir, ils esp�raient que leur mort serait f�conde. Ils croyaient trop � l'excellence soutenue de la nature humaine; ils la jugeaient d'apr�s eux-m�mes. Ah!Mes amis, que votre vie est belle, puisque, pour y trouver une faute, il faut faire, au nom de la roide raison, le proc�s aux plus nobles sentiments dont l'�me de l'homme soit capable!

Mais la v�ritable grandeur de Barb�s se manifesta dans son attitude devant ses juges et se compl�ta dans le long martyre de la prison. C'est l� que son �me s'�leva jusqu'� la saintet�. C'est du silence de cette �me profond�ment humble et pieusement r�sign�e qu'est sorti le plus �loquent et le plus pur enseignement � la vertu qu'il ait �t� donn� � ce si�cle de comprendre. L�, jamais une erreur, jamais une d�faillance dans cette abn�gation absolue, dans ce courage calme et doux, dans ces tendres consolations donn�es par lui-m�me aux cœurs bris�s par la souffrance y. Les lettres de Barb�s � ses amis sont dignes des plus beaux temps de la foi. M�ri par la r�flexion, il s'est �lev� � l'appr�ciation des plus hautes philosophies; mais, sup�rieur � {CL 450} la plupart de ceux qui instruisent et qui pr�chent, il s'est assimil� la force du sto�que unie � l'humble douceur du vrai chr�tien. C'est {Lub 429} par l� que, sans �tre cr�ateur dans la sph�re des id�es, il s'est �gal� sans le savoir aux plus grands penseurs de son �poque. Chez lui la parole et la pens�e des autres ont �t� f�condes; elles ont germ� et grandi dans un cœur si pur et si fervent que ce cœur est devenu un miroir de la v�rit�, une pierre de touche pour les consciences d�licates, un rare et v�ritable sujet de consolation pour tous ceux qui s'�pouvantent de la corruption des temps, de l'injustice des partis et de l'abattement des esprits dans les jours d'�preuve et de pers�cution.


Variantes

  1. Chapitre 5. Sommaire {Ms}Chapitre sixi�me {Presse} ♦ Chapitre douzi�me {Lecou}, {LP} ♦ XII {CL}
  2. {Presse} (Le sommaire s'arr�te apr�s la rubrique Maurice malade et gu�ri)
  3. Interruption de {Presse} avant ces mots
  4. en ce moment de mon r�cit sur un des hommes {Ms} ♦ en cet endroit de mon r�cit, sur deux des hommes {Lecou} et sq.
  5. depuis [Il est aujourd'hui socialiste ray�], relativement {Ms}
  6. Cette note n'est pas dans {Ms}
  7. Carrel disparut, {Ms}Reprise de {Presse}À cette �poque eut lieu la mort de Carrel, presque le m�me jour que mon proc�s � Bourges en 1836. Carrel disparut, {Presse} ♦ Carrel disparut, {Lecou} et sq.
  8. Cette note n'est pas dans {Ms}
  9. aussi. [De 1838 � 1848 ma vie devint absolument uniforme, le seul �v�nement domestique qui la modifia fut le mariage de ma fille et c'est vers cette �poque que mon r�cit doit s'arr�ter. La r�volution de F�vrier ouvre pour moi une nouvelle s�rie d'�motions que je ne puis aborder maintenant. ray�] Revenons {Ms}
  10. conversation [o� se trouvaient quelques-uns de nos amis ray�] � laquelle je me trouvais {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ conversation � laquelle j'�tais {CL}
  11. qui fut [l'ami ray�] l'h�te {Ms}
  12. t�te. [Notre arriv�e l'effrayait, il se levait en criant ray�] Il lui fallait {Ms}
  13. d'autres sont [charmants et doux, pleins de tendresse et de suavit� ray�] m�lancoliques {Ms}
  14. sur [le berceau encore charg� de la neige de la veille ray�] la neige {Ms}
  15. lugubre [o� il comptait nonchalamment les gouttes d'eau tombant lourdement sans interruption sur le toit sonore de la Chartreuse ray�] et qui jette {Ms}
  16. plein des myst�rieuses {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ plein de myst�rieuses {CL}
  17. lui seul[, insaisissables pour quiconque ne savait pas le suivre ray�]. J'�tais {Ms}
  18. ou d'une adorable {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ et d'une adorable {CL}
  19. �tait [terribleray�] d�sesp�rant {Ms}
  20. G�nes. [Cette belle ville me plut autant que la premi�re fois et je viens de la revoir deux fois encore avec [le m�me ray�] plus de charme encore puisque j'y ai retrouv� d'excellents amis, Etienne Arago, mon bon Rebizzo... ami de Venise, et le noble digne marquis de Negro etc. Au retour de G�nes en 1839 comme en 18 ray�] Ce fut {Ms}
  21. avec Maurice et avec Chopin tous les beaux {Ms}avec Maurice tous les beaux {Presse} et sq.
  22. sante. [Chopin mieux portant redevint un ami parfait et un h�te aimable ray�] Quant � Chopin {Ms}
  23. Interruption de {Presse} apr�s la note
  24. g�n�reux martyrs {Ms}, {Lecou} ♦ g�n�raux martyrs {LP} ♦ g�n�reux
  25. bris�s par sa souffrance {Ms}, {Lecou} ♦ bris�s par la souffrance {LP} et sq.

Notes