GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.4 [147]; Lub T.2 [171]} CINQUIÈME PARTIE
Vie litt�raire et intime
1832-1850

{Presse 8/8/1855 1; CL T.4 [375]; Lub T.2 [365]} X a

Irr�solution b. — Je ne vais pas � La Ch�naie. — Lettre de mon fr�re. — Je vais � Nohant. — Grande r�solution. — Le Bois de Vavray. — Course � Ch�teauroux et � Bourges. — La prison de Bourges. — La Br�che. — Un quart c d'heure de cachot. — Consultation, d�termination et retour. — Enlevons Hermione! — La famille Duteil. — L'auberge de la Boutaille et les boh�miens. — Premier jugement. — La maison d�serte � Nohant. — Second jugement. — R�flexions sur la s�paration de corps. — La maison d�serte � La Ch�tre. — Bourges. — La famille Tourangin. — Plaidoiries. — Transaction. — Retour d�finitif et prise de possession de Nohant.



Je ne savais trop que devenir. Retourner � Paris m'�tait odieux, rester loin de mes enfants m'�tait devenu impossible. Depuis que j'avais renonc� au projet de les quitter pour un grand voyage d, chose �trange, je n'aurais plus voulu les quitter d'un jour. Mes entrailles, engourdies par le chagrin, s'�taient r�veill�es en m�me temps que mon esprit s'�tait ouvert aux id�es sociales. Je sentais revenir ma sant� morale et j'avais la perception des vrais besoins de mon cœur.

Mais � Paris je ne pouvais plus travailler, j'�tais malade. Les ouvriers avaient repris possession du rez-de-chauss�e, les importuns et les curieux venaient disputer mes heures � mes amis et � mes devoirs. La politique, tendue de nouveau par l'attentat Fieschi, devenait une source am�re pour la r�flexion. On exploitait l'assassinat, on arr�tait Armand Carrel, un des hommes les plus purs de notre temps; on marchait � grands pas vers les lois de septembre. Le peuple laissait faire.

{CL 376} Je n'avais pas con�u de grandes esp�rances pendant le proc�s d'avril; mais, si raisonnable ou si pessimiste que l'on f�t, � ce moment-l�, il y avait dans l'air je ne {Lub 366} sais quel souffle de vie qui retombait soudainement glac� sous un souffle de mort. La r�publique fuyait � l'horizon pour une nouvelle e p�riode d'ann�es. f

M. Lamennais m'avait invit�e � aller passer quelques jours � La Ch�naie; je partis et m'arr�tai en route, en me demandant ce que j'allais faire l�, moi si gauche, si muette, si ennuyeuse!Oser lui demander une heure de son temps pr�cieux, c'�tait d�j� beaucoup, et � Paris il m'en avait accord� quelques-unes; mais aller lui prendre des jours entiers, c'est ce que je n'osai pas accepter. J'eus tort, je ne le connaissais pas dans toute sa bont�, dans toute sa bonhomie, comme je l'ai connu plus tard. Je craignais la tension soutenue d'un grand esprit que je n'aurais pas pu suivre, et le moindre de ses disciples e�t �t� plus fort que moi pour soutenir un dialogue s�rieux. Je ne savais pas qu'il aimait � se reposer, dans l'intimit�, des travaux ardus de l'intelligence. Personne ne causait avec autant d'abandon et d'entrain de tout ce qui est � la port�e de tous. Il n'�tait pas difficile d'ailleurs, l'excellent homme, sur l'esprit de ses interlocuteurs. On l'amusait avec un rien. Une niaiserie, un enfantillage le faisaient rire. Et comme il riait! Il riait comme Éverard, jusqu'� en �tre malade, mais plus souvent et plus facilement que lui. Il a �crit quelque part que les pleurs sont le lot des anges et le rire celui de Satan. L'id�e est belle l� o� elle est, mais dans la vie humaine le rire d'un homme de bien est comme le chant de sa conscience. Les personnes vraiment gaies sont toujours bonnes, et il en �tait justement la preuve.

Je n'allai g donc pas � La Ch�naie. Je revins sur mes pas, je rentrai � Paris, et j'y re�us une lettre de mon fr�re qui me disait d'aller � Nohant. Il prenait alors mon parti et {CL 377} se faisait fort de d�cider mon mari � m'abandonner sans regret l'habitation et le revenu de ma terre. « Casimir, disait-il, est d�go�t� des ennuis de la propri�t� et des d�penses que celle-l� exige. Il n'y sait pas suffire. Toi, avec ton travail, tu pourrais t'en tirer. Il veut aller vivre � Paris ou chez sa belle-m�re dans le midi; il se trouvera plus riche avec la moiti� de vos revenus et la vie de gar�on, qu'il ne l'est dans ton ch�teau,... » etc. Mon fr�re, qui prit plus tard le parti de mon mari contre moi, s'exprimait l� avec {Lub 367} beaucoup de libert� et de s�v�rit� sur la situation de Nohant en mon absence. « Tu ne dois pas abandonner ainsi tes int�r�ts, ajoutait-il, c'est un tort envers tes enfants, » etc.

À cette �poque, mon fr�re n'habitait plus Nohant, mais il faisait de fr�quents voyages au pays.

Je crus devoir suivre son conseil, et je trouvai en effet M. Dudevant dispos� � quitter le Berry et � me laisser les charges et les profits de la r�sidence. En m�me temps qu'il prenait cette r�solution, il me t�moignait tant de d�pit, que je n'insistai pas et m'en allai encore une fois, n'ayant pas le courage d'entamer une lutte pour de l'argent. Cette lutte devint n�cessaire, in�vitable quelques semaines plus tard. Elle eut des motifs plus s�rieux, elle devint un devoir envers mes enfants h d'abord, ensuite envers mes amis et mon entourage, et peut-�tre aussi envers la m�moire de ma grand'm�re, dont l'�ternelle pr�occupation et les derni�res volont�s se trouvaient trop ouvertement viol�es aux lieux m�mes qu'elle m'avait transmis pour abriter et prot�ger ma vie.

Le 19 octobre 1835, j'avais �t� passer � Nohant la fin des vacances de Maurice. À la suite d'un orage que rien n'avait provoqu�, rien absolument, pas m�me une parole ou un sourire de ma part, j'allai m'enfermer dans ma petite chambre. Maurice m'y suivit en pleurant. Je le {CL 378} calmai en lui disant que cela ne recommencerait pas. Il se paya des consolations que l'on donne aux enfants en paroles vagues; mais, dans ma pens�e, les miennes avaient un sens arr�t� et d�finitif. Je ne voulais i pas que mes enfants vissent jamais se renouveler la preuve de dissentiments qu'ils avaient ignor�s jusque-l�. Je ne voulais pas que ces dissentiments eussent pour cons�quence de leur faire oublier ce qu'ils devaient de respect � leur p�re ou � moi j.

Quelques jours auparavant, mon mari avait sign� un acte sous seing priv� ex�cutable � la date du 11 novembre suivant, par lequel je lui abandonnais k plus de la moiti� de mes revenus. Cet acte, qui me laissait l'habitation de Nohant et la gouverne de ma fille, ne me garantissait en rien contre le revirement de sa volont�. Sa mani�re d'�tre et ses paroles sans d�tour me prouvaient qu'il consid�rait comme nulles les promesses {Lub 368} deux fois faites et deux fois sign�es. C'�tait son droit, le mariage le veut ainsi; dans notre l�gislation, l'�poux �tant le ma�tre, le ma�tre n'est jamais engag� envers celui qui n'est ma�tre de rien.

Quand Maurice fut couch� et endormi, Duteil vint pr�s de moi s'enqu�rir de la disposition de mon esprit. Il bl�mait ouvertement celle qui s'�tait trahie chez mon mari. Il voulait amener une r�conciliation � laquelle tous deux se refus�rent. Je le remerciai de son intervention, mais je ne lui fis point part de la r�solution que je venais de prendre. Il me fallait l'avis de Rollinat.

Je passai la nuit � r�fl�chir. En ce moment o� je sentais la pl�nitude de mes droits, mes devoirs m'apparaissaient dans toute leur rigueur. J'avais tard� bien longtemps, j'avais �t� bien faible et bien insoucieuse de mon propre sort. Tant que ce n'avait �t� qu'une question personnelle dont mes enfants ne pouvaient souffrir dans leur �ducation morale, j'avais cru pouvoir me sacrifier et me permettre la satisfaction int�rieure de laisser tranquille un {CL 379} homme que je n'�tais pas n�e pour rendre heureux selon ses go�ts. Pendant treize ans il avait joui du bien-�tre qui m'appartenait et dont je m'�tais abstenue pour lui complaire. J'aurais voulu le lui laisser toute sa vie; il aurait pu le conserver. La veille encore, le voyant soucieux, je lui avais dit: « Vous regrettez Nohant, je le vois bien, malgr� le d�go�t que vous avez pris de votre gestion. Eh bien, tout n'est-il pas pour le mieux, puisque je vous en d�barrasse? Croyez-vous que la porte du logis vous sera jamais ferm�e? » Il m'avait r�pondu: « Je ne remettrai jamais les pieds dans une maison dont je ne serai pas le seul ma�tre. » Et d�s le lendemain il avait voulu �tre pour jamais le seul ma�tre.

Il ne pouvait plus, il ne devait plus m'inspirer de s�curit�. J'�tais sans ressentiment contre lui, je le voyais emport� par une fatalit� d'organisation, je devais s�parer ma destin�e de la sienne, ou sacrifier plus que je n'avais encore fait, c'est-�-dire ma dignit� vis-�-vis de mes enfants, ou ma vie, � laquelle je ne tenais pas beaucoup, mais que je leur devais �galement.

D�s le matin, M. Dudevant alla � La Ch�tre. Il n'�tait plus s�dentaire comme il avait �t� longtemps. Il s'absentait {Lub 369} des journ�es, des semaines enti�res. Il n'aurait pas d� trouver mauvais qu'au moins, pendant les vacances de Maurice, je fusse l� pour garder la maison et les enfants. Je sus par les domestiques que rien n'�tait chang� dans ses projets; il devait partir le jour suivant, le 21, pour Paris et reconduire Maurice au coll�ge, Solange � sa pension l. Cela avait �t� convenu; je devais les rejoindre au bout de quelques jours; mais les nouvelles circonstances me firent changer de r�solution. Je d�cidai que je ne reverrais m mon mari ni � Paris ni � Nohant, et que je ne l'y reverrais pas m�me avant son d�part. Je serais sortie de la maison tout � fait si je n'eusse pas voulu passer avec Maurice le {CL 380} dernier jour de ses vacances. Je pris un petit cheval et un mauvais cabriolet: il n'y avait pas de domestique � mes ordres; je mis mes deux enfants dans ce modeste v�hicule et je les menai dans le bois de Vavray, un endroit charmant alors, d'o�, assis sur la mousse, � l'ombre des vieux ch�nes, on embrassait de l'œil les horizons m�lancoliques et profonds de la vall�e Noire.

Il faisait un temps superbe. Maurice m'avait aid�e � d�teler le petit cheval qui paissait � c�t� de nous. Un doux soleil d'automne faisait resplendir les bruy�res. Arm�s de couteaux et de paniers, nous faisions une r�colte de mousse et de jungermannes que le Malgache m'avait demand� de prendre l�, au hasard, pour sa collection, n'ayant pas, lui, m'�crivait-il, le temps d'aller si loin pour explorer la localit�.

Nous prenions donc de tout n sans choisir, et mes enfants, l'un qui n'avait pas vu passer la temp�te domestique de la veille, l'autre qui, gr�ce � l'insouciance de son �ge, l'avait d�j� oubli�e, couraient, criaient et riaient � travers le taillis. C'�tait une gaiet�, une joie, une ardeur de recherches qui me rappelaient le temps heureux o� j'avais couru ainsi � c�t� de ma m�re pour l'embellissement de nos petites grottes. H�las!Vingt ans plus tard, j'ai eu � mes c�t�s un autre enfant rayonnant de force, de bonheur et de beaut�, bondissant sur la mousse des bois et la ramassant dans les plis de sa robe comme avait fait sa m�re, comme j'avais fait moi-m�me, dans les m�mes lieux, dans les m�mes jeux, dans les m�mes r�ves d'or et de f�es! Et cet enfant-l� repose � pr�sent entre ma grand'm�re et mon p�re! {Lub 370} Aussi j'ai peine � �crire en cet instant, et le souvenir de ce triple pass� sans lendemain m'oppresse et m'�touffe*!

* Juin 1855.

{CL 381} Nous avions emport� un petit panier pour go�ter sous l'ombrage. Nous ne rentr�mes qu'� la nuit. Le lendemain, les enfants partirent avec M. Dudevant, qui avait pass� la nuit � La Ch�tre et qui ne demanda o pas � me voir.

J'�tais d�cid�e � n'avoir plus aucune explication avec lui; mais je ne savais pas encore par quel moyen j'�viterais cette in�vitable n�cessit� domestique. Mon ami d'enfance Gustave Papet vint me voir; je lui racontai l'aventure, et nous part�mes ensemble pour Ch�teauroux.

« Je ne vois de rem�de absolu � cette situation, me dit Rollinat, qu'une s�paration par jugement. L'issue ne m'en para�t pas douteuse; reste � savoir si tu en auras le courage. Les formes judiciaires sont brutales, et, faible comme je te connais, tu reculeras devant la n�cessit� de blesser et d'offenser ton adversaire. » Je lui demandai s'il n'y avait pas moyen d'�viter le scandale des d�bats; je me fis expliquer la marche � suivre, et quand il l'eut fait, nous reconn�mes que, mon mari laissant prendre un jugement par d�faut, sans plaidoiries et sans publicit�, la position qu'il avait r�gl�e lui-m�me, par contrat volontaire, resterait la m�me pour lui, puisque telle �tait mon intention, avec cet avantage essentiel pour moi de rendre la convention l�gale, c'est-�-dire r�elle.

Mais sur tout cela Rollinat voulait consulter Éverard. Nous retourn�mes avec lui � Nohant le jour m�me, et, prenant seulement l� le temps de d�ner, nous repart�mes dans le m�me cabriolet, en poste, pour Bourges.

Éverard payait sa dette � la pairie. Il �tait en prison. La prison de ville est l'antique ch�teau des ducs de Bourgogne. Dans les ombres de la nuit, elle avait un grand caract�re de force et de d�solation. Nous gagn�mes un des ge�liers, qui nous fit passer par une br�che et nous conduisit dans les t�n�bres, � travers des galeries et des escaliers fantastiques. Il y eut un moment o�, entendant le {CL 382} pas d'un surveillant, il me poussa dans une porte ouverte qu'il referma sur moi, tandis qu'il fourrait {Lub 371} Rollinat je ne sais o� et se pr�sentait seul au passage de son sup�rieur.

Je tirai de ma poche une des allumettes qui me servaient pour mes cigarettes, et je regardai o� j'�tais. Je me trouvais dans un cachot fort lugubre, situ� au pied d'une tourelle. À deux pas de moi, un escalier souterrain � fleur de terre descendait dans les profondeurs des ge�les. J'�teignis vite mon allumette, qui pouvait me trahir, et restai immobile, sachant le danger d'une promenade � t�tons dans cette retraite de mauvaise mine.

On m'y laissa bien un quart d'heure, qui me parut fort long. Enfin mon homme revint me d�livrer, et nous p�mes gagner l'appartement o� Éverard, averti par Gustave, nous attendait pour me donner consultation vers deux heures du matin.

Il nous approuva d'avoir fait cette d�marche rapidement et avec myst�re. Ceux de mes amis qui �taient dans de bons termes avec M. Dudevant devaient l'ignorer, si elle ne devait pas aboutir. Il �couta le r�cit de toute ma vie conjugale, et, apprenant toutes les �volutions de volont� que j'avais d� subir, il se pronon�a, comme Rollinat, pour la s�paration judiciaire. Mon plan de conduite me fut trac� apr�s m�re d�lib�ration. Je devais surprendre mon adversaire par une requ�te au pr�sident du tribunal, afin que, ce fait accompli, il p�t en accepter les cons�quences dans un moment o� il devait mieux en sentir la n�cessit�. On ne mettait pas en doute qu'il ne les accept�t sans discussion pour �viter d'�bruiter les causes de ma d�termination. Nous comptions sans les mauvais conseillers que M. Dudevant crut devoir �couter dans la suite du proc�s.

Je devais, pour conserver mes droits de plaignante, ne pas rentrer au domicile conjugal, et jusqu'� ce que le pr�sident du tribunal e�t statu� sur mon domicile temporaire, {CL 383} aller chez un de mes amis de La Ch�tre. Le plus �g� �tait Duteil; mais Duteil, ami de mon mari, voudrait-il me recevoir dans la circonstance? Quant � sa femme et � sa sœur, cela n'�tait pas douteux pour moi; quant � lui, c'�tait une chose � tenter.

Le ge�lier vint nous avertir que le jour allait poindre et qu'il fallait sortir comme nous �tions entr�s, sans �tre vus; le r�glement de la prison s'opposant � ces {Lub 372} consultations nocturnes. La sortie se passa sans encombre. Nous repr�mes la poste et nous all�mes surprendre Duteil � La Ch�tre. En trente heures nous avions fait cinquante-quatre lieues dans un d�bris de cabriolet tombant en ruines, et nous n'avions pas pris un moment de repos moral.

« Me voil�, dis-je � Duteil; je viens demeurer chez toi, � moins que tu ne me chasses. Je ne te demande ni conseil ni consultation contre M. Dudevant, qui est ton ami. Je ne t'appellerai pas en t�moignage contre lui. Je t'autoriserai, d�s que j'aurai obtenu un jugement, � devenir le conciliateur entre nous, c'est-�-dire � lui assurer de ma part les meilleures conditions d'existence possibles, celles qu'il avait r�gl�es. Ton r�le, que tu peux d�s � pr�sent lui faire conna�tre, est donc honorable et facile.

» — Vous resterez chez moi, dit Duteil avec cette spontan�it� de cœur qui le caract�risait dans les grandes occasions. Je suis si reconnaissant de la pr�f�rence que vous m'accordez sur vos autres amis, que vous pouvez compter � jamais sur moi, quoi qu'il arrive. Quant au proc�s que vous voulez entamer, laissez-moi en causer avec vous.

» — Donne-moi d'abord � d�ner, car je meurs de faim, lui r�pondis-je, et ensuite j'irai chercher � Nohant mes pantoufles et mes paperasses.

» — Je vous y accompagnerai, dit-il, et nous causerons chemin faisant. »

Le d�ner m'ayant un peu remise, je repris avec lui le {CL 384} v�n�rable cabriolet, et deux heures apr�s nous revenions chez lui. Il m'avait �cout�e en silence, se bornant � des questions d'un ordre plus �lev� que celle des hasards de la proc�dure, et ne me disant pas trop son avis. Enfin, dans l'all�e de peupliers qui touche � l'arriv�e de la petite ville, il se r�suma ainsi: « J'ai �t� le compagnon et l'h�te joyeux de votre mari et de votre fr�re, mais je n'ai jamais oubli�, quand vous �tiez l�, que j'�tais chez vous et que je devais � votre caract�re de m�re de famille un respect sans bornes. Je vous ai cependant quelquefois assomm�e de mon bavardage apr�s d�ner et de mon tapage aux heures de votre travail. Vous savez bien que c'�tait comme malgr� moi et qu'une parole de reproche de vous me d�grisait quelquefois comme par miracle. Votre tort est de m'avoir g�t� par {Lub 373} trop de douceur. Aussi qu'est-il arriv�? C'est que, tout en me sentant le camarade de votre mari pendant douze heures de gaiet�, j'avais chaque soir une treizi�me heure de tristesse o� je me sentais votre ami. Apr�s ma femme et mes enfants vous �tes ce que j'aime le mieux sur la terre, et si j'h�site depuis deux heures � vous donner raison, c'est que je redoute pour vous les fatigues et les chagrins de la lutte que vous entamez. Pourtant je crois qu'elle peut �tre douce et se renfermer dans le petit horizon de notre petite ville, si Casimir �coute mes conseils. Je vois ceux qu'il faut lui donner dans son int�r�t, et je pense maintenant pouvoir me faire fort de le persuader. Voil�. » — Et comme nous escaladions le petit pont en dos d'�ne qui entre en ville, il allongea un coup de fouet au cheval en disant avec sa gaiet� ranim�e: « Allons! enlevons Hermione! »

Je m'installai donc chez lui p pour quelques semaines, sentant qu'il fallait vivre l� comme dans une maison de verre, au cœur du comm�rage de La Ch�tre, et faire tomber toutes les histoires que l'on y b�tissait depuis que j'existe {CL 385} sur l'excentricit� de mon caract�re. Ces histoires merveilleuses avaient pris un bien plus bel essor depuis que j'avais�t� tenter � Paris la destin�e de l'artiste. Comme je n'avais absolument rien � cacher, et que je n'ai jamais rien pos�, il m'�tait bien facile de me faire conna�tre. Quelques rancunes � propos de la fameuse chanson persist�rent bien un peu, quelques fanatiques de l'autorit� maritale se raidirent bien encore contre ma cause; mais, en g�n�ral, je vis tomber toutes les pr�ventions, et si j'avais eu mes pauvres enfants avec moi, ce temps que je passai � La Ch�tre e�t �t� un des plus agr�ables de ma vie. Je luttais pour eux, je pris donc patience. La famille de Duteil devint vite la mienne. Sa femme, la belle et charmante Agasta, sa belle-sœur, l'excellente F�licie, toutes deux pleines d'intelligence et de cœur, furent comme mes sœurs, � moi aussi. M. et madame Desages (cette derni�re �tait la propre sœur de Duteil) demeuraient dans la m�me maison, au rez-de-chauss�e. Nous �tions r�unis tous les soirs quatorze, dont sept enfants*. Charles et Eug�nie {Lub 374} Duvernet, Alphonse et Laure Fleury, Planet, d�sormais fix� � La Ch�tre, Gustave Papet quand il quittait Paris, et quelques autres personnes de la famille Duteil, venaient se joindre � nous fort souvent, et nous organisions pour les enfants des charades en action, des travestissements, des danses et des jeux bien v�ritablement innocents, qui leur mettaient l'�me en joie. C'est si bon le rire inextinguible de ces heureuses cr�atures! Ils mettent tant d'ardeur et de bonne foi dans les �motions du jeu! Je redevenais encore une fois enfant moi-m�me, tra�nant tous les cœurs apr�s moi. Ah! Oui, c'�tait l� mon empire et ma vocation, j'aurais d� �tre bonne d'enfants ou ma�tresse d'�cole.

* [{Lub 373}] Un de ces enfans, Luc Desages est devenu le disciple et le gendre de Pierre Leroux.

{CL 386} À dix heures, la marmaille allait se coucher; � onze heures, le reste de la famille se s�parait. F�licie, bonne pour moi comme un ange, me pr�parait ma table de travail et mon petit souper; elle couchait sa sœur Agasta, qui �tait atteinte d'une maladie de nerfs fort grave et qui, apr�s s'�tre ranim�e � la gaiet� des enfants, retombait souvent accabl�e et comme mourante. Nous causions un peu avec elle pour l'endormir, ou, quand elle s'endormait d'elle-m�me, avec Duteil et Planet, qui aimaient � babiller et qu'il nous fallait renvoyer pour les emp�cher de me prendre ma veill�e. À minuit, je me mettais enfin � �crire jusqu'au jour, berc�e quelquefois par d'�tranges rugissements.

Vis-�-vis de mes fen�tres, dans la rue �troite, montueuse et malpropre, flottait de temps imm�morial l'enseigne classique: À la Boutaille. Duteil, qui pr�tendait avoir appris � lire sur cette enseigne, disait que le jour o� cette faute d'orthographe serait corrig�e, il n'aurait plus qu'� mourir, parce que toute la physionomie du Berry serait chang�e.

L'auberge de la Boutaille �tait tenue par une vieille sibylle qui logeait � la nuit, et ce taudis �tait principalement affect� aux bateleurs ambulants, aux petits colporteurs suspects et aux montreurs d'animaux savants. Les marmottes, les chiens chor�graphes, les singes pel�s et surtout les ours musel�s tenaient cour pl�ni�re dans des caves dont les soupiraux donnaient sur la rue. Ces pauvres b�tes, harass�es de la fatigue du voyage et rou�es des coups ins�parables de toute �ducation classique, vivaient l� en bonne intelligence une partie de {Lub 375} la nuit; mais, aux approches du jour, la faim ou l'ennui se faisant sentir, on commen�ait � s'agiter, � s'injurier et � grimper aux barreaux du soupirail pour g�mir, grimacer ou maugr�er de la fa�on la plus lugubre.

C'�tait le pr�lude de sc�nes tr�s-curieuses et que je me suis souvent divertie � surveiller � travers la fente de mes jalousies. L'h�tesse de la Boutaille, madame Gaudron, {CL 387} sachant q tr�s-bien � quelles gens elle avait affaire, se levait la premi�re et tr�s-myst�rieusement pour surveiller le d�part de ses h�tes. De leur c�t�, ceux-ci, pr�m�ditant de partir sans payer, faisaient leurs pr�paratifs � t�tons, et l'un d'eux, descendant aupr�s des b�tes, les excitait pour les faire gronder afin de couvrir le bruit furtif de la fuite des camarades.

L'adresse et la ruse de ces boh�miens �taient merveilleuses; je ne sais par quels trous de la serrure ils s'�vadaient, mais, en d�pit de l'œil attentif et de l'oreille fine de la vieille, elle se trouvait tr�s-souvent en pr�sence d'un gamin pleurard qui se disait abandonn� avec les animaux par ses compagnons d�natur�s et dans l'impossibilit� de payer la d�pense. Que faire? Mettre ce b�tail en fourri�re et le nourrir jusqu'� ce que la police e�t rattrap� les d�linquants? C'�tait l� une mauvaise cr�ance, et il fallait bien laisser partir la feinte victime avec les quadrup�des affam�s et mena�ants, qui paraissaient peu dispos�s � se laisser appr�hender au corps.

Quand la bande payait honn�tement son �cot, la vieille avait un autre souci. Elle redoutait surtout ceux qui se conduisaient en gentilshommes et d�daignaient de marchander. Elle furetait alors autour de leurs paquets avec angoisse, comptait et recomptait ses couverts d'�tain et ses guenilles. Le b�t de l'�ne, quand il y avait un �ne, �tait surtout l'objet de son anxi�t�. Elle trouvait mille pr�textes pour retenir cet �ne, et au dernier moment elle passait adroitement ses mains sous le b�t pour lui palper l'�chine. Mais, en d�pit de toutes ces pr�cautions et de toutes ces alarmes, il se passait peu de jours sans qu'on l'entend�t geindre sur ses pertes et maudire sa client�le.

Quels beaux Descamps, quels fantastiques Callot j'ai vus l�, aux rayons blafards de la lune ou aux p�les lueurs de l'aube d'hiver, quand la bise faisait claqueter l'enseigne {CL 388} s�culaire, et que les boh�miens, bl�mes {Lub 376} comme des spectres, se mettaient en marche sur le pav� couvert de neige! Tant�t c'�tait une femme bronz�e, pittoresque sous ses guenilles sombres, portant dans ses bras un pauvre bel enfant rose, vol� ou achet� sur les chemins; tant�t c'�tait le petit savoyard beaucoup plus laid que son singe, et tant�t l'hercule du carrefour tra�nant dans une esp�ce de brouette sa femme et sa nombreuse prog�niture r. Il y avait de ces �tres effrayants ou hideux, et pourtant, par hasard, il s'y d�tachait quelquefois des figures plus int�ressantes, des paillasses tristes et r�sign�s comme celui qu'a id�alis� Fr�d�rick-Lema�tre, de vieux artistes mendiants raclant du violon avec une sorte de maestria d�sordonn�e, des petites filles gymnastes ext�nu�es et livides, riant et chantant le printemps et l'amour au bras de leurs amoureux de quinze ans. Que de mis�re, que d'insouciance, que de larmes ou de chansons sur ces chemins poudreux ou glac�s qui ne m�nent pas m�me � l'h�pital!

Le 16 f�vrier s 1836, le tribunal rendit un jugement de s�paration en ma faveur. M. Dudevant y fit d�faut, ce qui nous fit croire � tous qu'il acceptait cette condition. Je pus aller prendre possession de mon domicile l�gal � Nohant. Le jugement me confiait la garde et l'�ducation de mon fils et de ma fille.

Je me croyais t dispens�e de pousser plus loin les choses. Mon mari �crivait � Duteil de mani�re � me le faire esp�rer. Je passai quelques semaines � Nohant dans l'attente de son arriv�e au pays pour notre liquidation et nos arrangements. Duteil se chargeait pour moi de faire toutes les concessions possibles, et je devais, pour �viter toute rencontre irritante, me rendre � Paris d�s que M. Dudevant viendrait � La Ch�tre.

J'eus donc � Nohant quelques beaux jours d'hiver, o� je savourai pour la premi�re fois depuis la mort de ma {CL 389} grand'm�re les douceurs d'un recueillement que ne troublait plus aucune note discordante. J'avais, autant par �conomie que par justice, fait maison nette de tous les domestiques habitu�s � commander � ma place. Je ne gardai que le vieux jardinier de ma grand'm�re, �tabli avec sa femme dans un pavillon au fond de la cour. J'�tais donc absolument seule dans cette grande maison silencieuse. Je ne recevais m�me pas mes amis de La Ch�tre, afin de ne donner lieu � aucune amertume. {Lub 377} Il ne m'e�t pas sembl� de bon go�t de pendre sit�t la cr�maill�re, comme on dit chez nous, et de para�tre f�ter bruyamment ma victoire.

Ce fut donc une solitude absolue, et, une fois dans ma vie, j'ai habit� Nohant � l'�tat de maison d�serte. La maison d�serte a �t� longtemps un de mes r�ves. Jusqu'au jour u o� j'ai pu go�ter sans alarmes les douceurs de la vie de famille, je me suis berc�e de l'espoir de poss�der dans quelque endroit ignor� une maison, f�t-ce une ruine ou {Presse 8/8/1855 2} une chaumi�re, o� je pourrais de temps en temps dispara�tre et travailler sans �tre distraite par le son de la voix humaine.

Nohant fut donc en ce temps-l�, c'est-�-dire en ce moment-l�, car il fut court comme tous les pauvres petits repos de ma vie, un id�al pour ma fantaisie. Je m'amusai � le ranger, c'est-�-dire � le d�ranger moi-m�me. Je faisais dispara�tre tout ce qui me rappelait des souvenirs p�nibles, et je disposais les vieux meubles comme je les avais vus plac�s dans mon enfance. La femme du jardinier n'entrait dans la maison que pour faire ma chambre et m'apporter mon d�ner. Quand il �tait enlev�, je fermais toutes les portes donnant dehors et j'ouvrais toutes celles de l'int�rieur. J'allumais beaucoup de bougies, et je me promenais dans l'enfilade des grandes pi�ces du rez-de-chauss�e, depuis le petit boudoir o� je couchais toujours, jusqu'au grand salon illumin� en outre par un grand feu. Puis j'�teignais tout, et marchant v � la seule lueur du feu mourant de l'�tre, w je {CL 390} savourais l'�motion de cette obscurit� myst�rieuse et pleine x .de pens�es m�lancoliques, apr�s avoir ressaisi les riants et doux souvenirs de mes jeunes ann�es. Je m'amusais � me faire un peu peur en passant comme un fant�me devant les glaces ternies par le temps, et le bruit de mes pas dans ces pi�ces vides et sonores me faisait quelquefois tressaillir, comme si l'ombre de Deschartres se f�t gliss�e derri�re moi.

J'allai � Paris au mois de mars, � ce que je crois me rappeler. M. Dudevant vint � La Ch�tre et accepta une transaction qui lui faisait des conditions infiniment meilleures que le jugement prononc� contre lui. Mais � peine e�t-il sign�, qu'il crut devoir n'en tenir compte et former opposition. Il s'y prit fort mal, il �tait aigri par les conseils de mon pauvre fr�re, qui, mobile comme {Lub 378} l'onde, ou plut�t comme le vin, s'�tait tourn� contre ma victoire apr�s m'avoir fourni toutes les armes possibles pour le combat. La belle-m�re de mon mari, madame Dudevant, faisait pour ainsi dire � celui-ci une n�cessit� de poursuivre la lutte. Il se trouvait qu'elle me d�testait affreusement sans que j'aie jamais su pourquoi. Peut-�tre �prouvait-elle, � la veille de sa mort, ce besoin de d�tester quelqu'un qui, le jour de sa mort, devint un besoin de d�tester tout le monde, mon mari tout le premier. Quoi qu'il en soit, elle mettait alors, m'a-t-on dit, pour condition � son h�ritage, la r�sistance de son beau-fils � toute conciliation avec moi. y

Mon mari, je le r�p�te, s'y prit mal. Voulant repousser la s�paration, il imagina de pr�senter au tribunal une requ�te dict�e, on e�t pu dire r�dig�e par deux servantes que j'avais chass�es, et qu'un c�l�bre avocat ne le d�tourna z pas de prendre pour auxiliaires. Les conseils de cet avocat aa sont quelquefois funestes. Un fait r�cent, qui a pour jamais d�chir� mon �me sans profit pour sa gloire, � lui, me l'a cruellement prouv�.

{CL 391} Quant � son intervention dans mes affaires conjugales, elle ne servit ab qu'� rendre am�re une solution qui e�t pu �tre calme. Elle �claira ac plus qu'il n'�tait besoin la conscience des juges. Ils ne comprirent pas qu'en me supposant de si �tranges torts envers lui et envers moi-m�me, mon mari voul�t renouer notre union. Ils trouv�rent l'injure suffisante, et, annulant les motifs de leur premier jugement pour vice de forme dans la proc�dure, ils le renouvel�rent le 11 mai 1836, absolument dans les m�mes termes ad.

J'�tais revenue ae � La Ch�tre, chez Duteil; j'avais fait toute la nuit des projets et des pr�paratifs de d�part. Je m'�tais assur� par emprunt une somme de dix mille francs avec laquelle j'�tais r�solue � enlever mes enfants et � fuir en Am�rique si la d�plorable requ�te �tait prise en consid�ration. J'avoue maintenant, sans scrupule, cette intention formelle que j'avais de r�sister � l'effet de la loi, et j'ose dire tr�s-ouvertement que celle qui r�gle les s�parations judiciaires est une loi contre laquelle la conscience du pr�sent proteste, et une des premi�res sur lesquelles la sagesse de l'avenir reviendra.

Le principal vice de cette loi, c'est la publicit� qu'elle donne aux d�bats. Elle force l'un des �poux, le plus {Lub 379} m�content, le plus bless� des deux, � subir une existence impossible ou � mettre au jour les plaies de son �me. Ne suffirait-il pas de r�v�ler ces plaies � des magistrats int�gres, qui en garderaient le secret, sans �tre forc� de publier l'�garement de celui qui les a faites? On exige des t�moins, on fait une enqu�te. On r�dige et on affiche les fautes signal�es. Pour soustraire les enfants � des influences qui ne sont peut-�tre que passag�rement funestes, il faut qu'un des �poux laisse dans les annales d'un greffe un monument de bl�me contre l'autre. Et ce n'est encore l� que la partie douce et voil�e de semblables luttes. Si l'adversaire fait r�sistance, il faut arriver � l'�clat des plaidoiries et au {CL 392} scandale des journaux. Ainsi une femme timide ou g�n�reuse devra renoncer � respecter son mari ou � pr�server ses enfants. Un de ses devoirs sera en opposition avec l'autre. Dira-t-on que, si l'amour maternel ne l'emporte pas, elle aura sacrifi� l'avenir des enfants � la morale publique, � la saintet� de la famille? Ce serait un sophisme difficile � admettre, et si l'on veut que le devoir de la m�re ne soit pas plus imp�rieux que celui de l'�pouse, on accordera au moins qu'il l'est tout autant.

Et si c'est l'�poux qui demande la s�paration, son devoir n'est-il pas plus effroyable encore? Une femme peut articuler des causes d'incompatibilit� suffisantes pour rompre le lien sans �tre d�shonorantes pour l'homme dont elle porte le nom. Ainsi qu'elle all�gue la vie bruyante, les emportements et les amours de son mari dans le domicile conjugal, c'est trop exiger d'elle sans doute pour la d�livrer des malheurs qu'entra�nent ces infractions � la r�gle; mais enfin ce ne sont pas l� des souillures dont un homme ne puisse se laver dans l'opinion. Il y a plus; dans notre soci�t�, dans nos pr�jug�s et dans nos mœurs, plus un homme est signal� pour avoir eu des bonnes fortunes, plus le sourire des assistants le complimente. En province surtout, quiconque a beaucoup f�t� la table et l'amour passe pour un joyeux comp�re, et tout est dit. On le bl�me un peu de n'avoir pas m�nag� la fiert� de sa femme l�gitime, on convient qu'il a eu tort de s'emporter contre elle, mais enfin faire acte d'autorit� absolue dans la maison est le droit du mari, et pour peu qu'il y e�t mis des formes, tout son sexe lui e�t donn� raison plus ou moins; {Lub 380} et, en fait, il peut avoir subi les entra�nements de certaines intemp�rances, et n'en �tre pas moins un galant homme � tous autres �gards.

Telle n'est pas la position de la femme accus�e d'adult�re. On n'attribue � la femme qu'un seul genre d'honneur. {CL 393} Infid�le � son mari, elle est fl�trie et avilie, elle est d�shonor�e aux yeux de ses enfants, elle est passible d'une peine infamante, la prison. Voil� ce qu'un mari outrag� qui veut soustraire ses enfants � de mauvais exemples, est forc� de faire quand il demande la s�paration judiciaire. Il ne peut se plaindre ni d'injures ni de mauvais traitements. Il est le plus fort, il en a les droits, on lui rirait au nez s'il se plaignait d'avoir �t� battu. Il faut donc qu'il invoque l'adult�re et qu'il tue moralement la femme qui porte son nom. C'est peut-�tre pour lui �viter la n�cessit� de ce meurtre moral que la loi lui conc�de le droit de meurtre r�el sur sa personne.

Quelles solutions aux malheurs domestiques! Cela est sauvage, cela peut tuer l'�me de l'enfant condamn� � contempler la dur�e du d�saccord de ses parents ou � en conna�tre l'issue.

Mais ceci n'est rien encore, et l'homme est investi de bien d'autres droits. Il peut d�shonorer sa femme, la faire mettre en prison, et la condamner ensuite � rentrer sous sa d�pendance, � subir son pardon et ses caresses! S'il lui �pargne ce dernier outrage, le pire de tous, il peut lui faire une vie de fiel et d'amertume, lui reprocher sa faute � toutes les heures de sa vie, la tenir �ternellement sous l'humiliation de la servitude, sous la terreur des menaces.

Imaginez le r�le d'une m�re de famille sous le coup de l'outrage d'une pareille mis�ricorde! Voyez l'attitude de ses enfants condamn�s � rougir d'elle, ou � l'absoudre en d�testant l'auteur de son ch�timent! Voyez celle de ses parents, de ses amis, de ses serviteurs! Supposez un �poux implacable, une femme vindicative, vous aurez un int�rieur tragique. Supposez un mari incons�quent et d�bonnaire � ses heures, une femme sans m�moire et sans dignit�, vous aurez un int�rieur ridicule. Mais ne supposez jamais un �poux vraiment g�n�reux et moral, capable de punir au {CL 394} nom de l'honneur et de pardonner au nom de la religion. Un tel homme peut exercer sa rigueur et sa cl�mence dans le secret du {Lub 381} m�nage, il ne peut jamais invoquer le b�n�fice de la loi pour infliger publiquement une honte qu'il n'est pas en son pouvoir d'effacer.

Cette doctrine judiciaire fut pourtant admise par les conseils de mon mari, et plaid�e plus tard par un brave homme, avocat de province, qui n'�tait peut-�tre pas sans talent, mais qui fut forc� d'�tre absurde sous le poids d'un syst�me immoral et r�voltant. Je me souviens que, plaidant au nom de la religion, de l'autorit�, de l'orthodoxie des principes, et voulant invoquer le type de la charit� �vang�lique dans l'image du Christ, il le traita de philosophe et de proph�te, son mouvement oratoire ne pouvant s'�lever jusqu'� en faire un dieu. Je le crois bien: appeler la sanction d'un dieu sur la vengeance pr�c�dant le pardon, c'e�t �t� un sacril�ge.

Ajoutons que cette vengeance pr�tendue l�gitime peut reposer sur d'atroces calomnies, accueillies dans un moment d'irritation maladive; le ressentiment de certaine valetaille sait orner de faits monstrueux la faute pr�sum�e. Un �poux autoris� � admettre des infamies jusqu'� essayer d'en fournir la preuve y risquerait son honneur et sa raison.

Non, le lien conjugal bris� dans les cœurs ne peut �tre renou� par la main des hommes. L'amour et la foi, l'estime et le pardon sont choses trop intimes et trop saintes pour qu'il n'y faille pas Dieu seul pour t�moin et le myst�re pour caution. Le lien conjugal est rompu d�s qu'il est devenu odieux � l'un des �poux. Il faudrait qu'un conseil de famille et de magistrature f�t appel� � conna�tre, je ne dis pas des motifs de plainte, mais de la r�alit�, de la force et de la persistance du m�contentement. Que des �preuves de temps fussent impos�es, qu'une sage lenteur se t�nt en garde {CL 395} contre les caprices coupables ou les d�pits passagers, certes, on ne saurait mettre trop de prudence � prononcer sur les destin�es d'une famille; mais il faudrait que la sentence ne f�t motiv�e que sur des incompatibilit�s certaines dans l'esprit des juges, vagues dans la formule judiciaire, inconnues au public. On ne plaiderait plus pour la haine et pour la vengeance, et on plaiderait beaucoup moins af.

Plus on aplanira les voies de la d�livrance, plus les naufrag�s du mariage feront d'efforts pour sauver le navire avant de l'abandonner. Si c'est une arche sainte, {Lub 382} comme l'esprit de la loi le proclame, faites qu'elle ne sombre pas dans les temp�tes, faites que ses porteurs fatigu�s ne la laissent pas tomber dans la boue; faites que deux �poux forc�s par un devoir de dignit� bien entendue � se s�parer puissent respecter le lien qu'ils brisent et enseigner � leurs enfants � les respecter l'un et l'autre.

Voil� les r�flexions qui se pressaient dans mon esprit la veille du jour qui devait d�cider de mon sort. Mon mari, irrit� des motifs �nonc�s au jugement, et s'en prenant � moi et � mes conseils judiciaires de ce que les formes l�gales ont de dur et d'ind�licat, ne songeait plus qu'� en tirer vengeance. Aveugl�, il ne savait pas que la soci�t� �tait l� son seul ennemi. Il ne se disait pas que je n'avais articul� que les faits absolument n�cessaires, et fourni que les preuves strictement exig�es par la loi. Il connaissait pourtant le code mieux que moi, il avait �t� re�u avocat; mais jamais sa pens�e, �prise d'immobilit� dans l'autorit�, n'avait voulu s'�lever � la critique morale des lois, et par cons�quent pr�voir leurs funestes cons�quences.

Il r�pondait donc � une enqu�te o� l'on n'avait trahi que des faits dont il aimait � se vanter, par des imputations ag dont j'aurais fr�mi de m�riter la cent-milli�me partie. Son avou� se refusa � lire un libelle. Les juges se seraient refus�s � l'entendre.

{CL 396} Il allait donc au del� de l'esprit de la loi, qui permet � l'�poux offens� par des reproches de motiver les proc�d�s acerbes dont on l'accuse par de violents sujets de plainte. Mais la loi, qui admet ah {Presse 8/8/1855 3} ce moyen de d�fense dans un proc�s o� l'�poux demande la s�paration � son profit ne saurait l'admettre comme acte de vengeance dans une lutte o� il repousse la s�paration. Elle la prononce d'autant plus en faveur de la femme qui s'est d�clar�e offens�e, que ce moyen est la pire des offenses: c'est ce qui arriva.

Je n'�tais pourtant pas tranquille sur l'issue de ce d�bat. J'aurais voulu, moi, dans un premier moment d'indignation, que mon mari f�t autoris� � faire la preuve des griefs qu'il articulait. Éverard, qui devait plaider pour moi, repoussait l'id�e d'un pareil d�bat. Il avait raison, mais ma fiert� souffrait, je l'avoue, de la possibilit� d'un soup�on dans l'esprit des juges. « Ce {Lub 383} soup�on, disais-je, prendra peut-�tre assez de consistance dans leur pens�e pour qu'en pronon�ant la s�paration, ils me retirent le soin d'�lever mon fils. »

Pourtant, quand j'eus r�fl�chi, je reconnus l'absence de danger de ma situation, de quelque fa�on qu'elle v�nt � aboutir. Le soup�on ne pouvait m�me pas effleurer l'esprit de mes juges: les accusations portaient trop le cachet de la d�mence.

Je m'endormis alors profond�ment. J'�tais fatigu�e de mes propres pens�es, qui pour la premi�re fois avaient embrass� la question du mariage d'une mani�re g�n�rale assez lucide. Jamais, je le jure, je n'avais senti aussi vivement la saintet� du pacte conjugal et les causes de sa fragilit� dans nos mœurs que dans cette crise o� je me voyais en cause moi-m�me. J'�prouvais enfin un calme souverain, j'�tais s�re de la droiture de ma conscience et de la puret� de mon id�al. Je remerciai Dieu de ce qu'au milieu de mes souffrances personnelles il m'avait permis {CL 397} de conserver sans alt�ration la notion et l'amour de la v�rit�.

À une heure de l'apr�s-midi, F�licie entra dans ma chambre. « Comment! Vous pouvez dormir! Me dit-elle. Sachez donc que l'on sort de l'audience, vous avez gagn� votre proc�s, vous avez Maurice et Solange. Levez-vous vite pour remercier Éverard qui arrive et qui a fait pleurer toute la ville. »

Il y eut encore tentative de transaction avec M. Dudevant pendant que je retournai � Paris; mais ses conseils ne lui laissaient pas le loisir d'entendre raison. Il forma appel ai devant la cour de Bourges. Je revins habiter La Ch�tre.

Quoique je fusse choy�e et heureuse autant que possible dans la famille de Duteil, j'y souffrais un peu du bruit des enfants, qui se levaient � l'heure o� je commen�ais � m'endormir, et de la chaleur, que l'�troitesse de la rue et la petitesse de la maison rendaient accablante. Passer l'�t� dans une ville, c'est pour moi chose cruelle. Je n'avais pas seulement une pauvre petite branche de verdure � regarder. Rozane Bourgoing m'offrit une chambre chez elle, et il fut convenu que les deux familles se r�uniraient tous les soirs.

M. et madame Bourgoing, avec une jeune sœur de Rozane qu'ils traitaient comme leur enfant et qui aj �tait {Lub 384} presque aussi belle que Rozane, occupaient une jolie maison avec un jardinet perch� en terrasse sur un pr�cipice. C'�tait l'ancien rempart de la ville, et par l� on voyait la campagne, on y �tait. L'Indre coulait, sombre et paisible, sous des rideaux d'arbres magnifiques et s'en allait, le long d'une vall�e charmante, se perdre dans la verdure. Devant moi, sur l'autre rive, s'�levait la Rochaille, une colline sem�e de blocs diluviens et ombrag�e de noyers s�culaires. La maisonnette blanche et les ajoupas de roseaux du Malgache s'apercevaient un peu plus loin, et � c�t� de nous {CL 398} la grande tour carr�e de l'ancien ch�teau des Lombault dominait le paysage. ak

Notre jardinet, tout rempli de fleurs, nous r�galait de senteurs d�licieuses; le bruit de la ville n'�tait pas trop pr�s. Nous d�nions dehors, le longd'un grand pignon couvert de ch�vrefeuille, les pieds sur les dalles d'un petit p�ristyle o� les violettes trouvaient moyen de se fourrer. Nos amis venaient prendre le caf� sur la balustrade de la terrasse, au chant des rossignols et au bruit des moulins de la rivi�re. Mes nuits �taient d�licieuses. J'avais une grande chambre au rez-de-chauss�e, meubl�e d'un petit lit de fer, d'une chaise et d'une table. Quand les amis �taient partis et les portes ferm�es, je pouvais, sans troubler le sommeil de personne, me promener dans le jardin escarp� comme une citadelle, travailler une heure, sortir et rentrer, compter les �toiles qui se couchent, saluer le soleil qui se l�ve, embrasser � la fois un large horizon et une vaste campagne, n'entendre que le chant des oiseaux ou le cri des chouettes, me croire enfin dans la maison d�serte de mes r�ves. C'est l� que je refis la derni�re partie de L�lia et que je l'augmentai d'un volume. C'est peut-�tre l'endroit o� je me suis crue, � tort ou � raison, le plus po�te.

J'allais al de temps en temps � Bourges, ou bien Éverard venait de temps en temps � La Ch�tre. C'�tait toujours en vue de nous consulter sur le proc�s, mais le proc�s �tait la chose dont nous pouvions le moins parler. J'avais la t�te pleine d'art, Éverard avait la t�te pleine de politique, Planet l'avait toujours de socialisme. Duteil et le Malgache faisaient de tout cela un pot pourri d'imagination, d'esprit, de divagation et de gaiet�. Fleury discutait avec ce m�lange de bon sens et {Lub 385} d'enthousiasme qui se disputent sa cervelle � la fois positive et romanesque. Nous nous ch�rissions trop les uns les autres pour ne pas nous quereller avec violence. Quelles bonnes violences! Entrecoup�es de tendres {CL 399} �lans de cœur et de rires hom�riques! Nous ne pouvions nous s�parer, on oubliait de dormir, et ces pr�tendus jours de repos nous laissaient harass�s de fatigue, mais d�barrass�s du trop-plein d'imagination et de ferveur r�publicaine qui s'entassait en nous dans les heures de la solitude.

Enfin mon insupportable proc�s fut appel� � Bourges. Je m'y rendis, au commencement de juillet, apr�s avoir �t� chercher Solange � Paris. Je voulais �tre encore une fois en mesure de l'emporter en cas d'�chec. Quant � Maurice, mes pr�cautions �taient prises pour l'enlever un peu plus tard. J'�tais toujours secr�tement en r�volte contre la loi que j'invoquais ouvertement. C'�tait fort illogique, mais la loi l'�tait plus que moi, elle qui, pour m'�ter ou me rendre mes droits de m�re, me for�ait � vaincre tout souvenir d'amiti� conjugale, ou � voir ces souvenirs outrag�s et m�connus dans le cœur de mon mari. Ces droits maternels, la soci�t� peut les annuler, et en th�se g�n�rale, elle les fait primer par ceux du mari. La nature n'accepte pas de tels arr�ts, et jamais on ne persuadera � une m�re que ses enfants ne sont pas � elle plus qu'� leur p�re. Les enfants ne s'y trompent pas non plus.

Je savais les juges de Bourges pr�venus contre moi et circonvenus par un syst�me de propos fantastiques sur mon compte. Ainsi, le jour o� je me montrai habill�e comme tout le monde dans la ville, ceux des bourgeois qui ne m'y rencontr�rent pas demand�rent aux autres s'il �tait vrai que j'avais des pantalons rouges, et des pistolets � ma ceinture.

M. Dudevant voyait bien qu'avec sa requ�te il avait fait fausse route. On lui conseilla de se poser en mari �gar� par l'amour et la jalousie. C'�tait un peu tard, et je pense qu'il joua fort mal un r�le que d�mentait sa loyaut� naturelle. On le poussa � venir le soir sous mes fen�tres et {CL 400} jusqu'� ma porte, comme pour solliciter une entrevue myst�rieuse; mais sa conscience se r�volta contre pareille am com�die, et apr�s s'�tre promen� de long en large quelques instants dans la rue, je le vis qui s'en {Lub 386} allait en riant et en haussant les �paules. Il avait bien raison.

J'avais re�u l'hospitalit� dans la famille Tourangin, une des plus honorables de la ville. F�lix Tourangin, riche industriel et proche parent de la famille Duteil, avait deux filles, l'une mari�e, l'autre d�j� majeure, et quatre fils, dont les derniers �taient des enfants. Agasta et son mari m'avaient accompagn�e. Rollinat, Planet et Papet nous avaient suivis. Les autres nous rejoignirent bient�t; j'avais donc tout mon cher Berry autour de moi, car d�s ce moment je m'attachai � la famille Tourangin comme si j'y avais pass� ma vie. Le p�re F�lix m'appelait sa fille; �lisa, un ange de bont� et une femme du plus grand m�rite et de la plus adorable vertu, m'appelait sa sœur. Je me faisais avec elle la m�re des petits fr�res. Leurs autres parents venaient nous voir souvent et me t�moignaient le plus affectueux int�r�t, m�me M. Mater, le premier pr�sident, quand mon proc�s fut termin�. Je vis arriver aussi, le jour des d�bats, Émile Regnault, un sancerrois que j'avais aim� comme un fr�re et qui avait �pous� contre moi je ne sais plus quelle mauvaise querelle. Il vint me faire amende honorable de torts que j'avais oubli�s.

L'avocat de mon mari, donnant dans le syst�me adopt�, plaida, comme je l'ai d�j� dit d'avance, l'amour de mon mari, et, tout en offrant de faire hautement la preuve de mes crimes, il m'offrit g�n�reusement le pardon apr�s l'outrage. Éverard fit ressortir avec une merveilleuse �loquence l'incons�quence odieuse d'une pareille philosophie conjugale. Si j'�tais coupable, il fallait commencer par me r�pudier, et si je ne l'�tais pas, il ne fallait pas faire le g�n�reux. Dans tous les cas, la g�n�rosit� �tait difficile � {CL 401} accepter apr�s la vengeance. Tout l'�difice de l'amour tomba d'ailleurs devant des preuves. Il lut une lettre de 1831 o� M. Dudevant me disait: « J'irai � Paris; je ne descendrai pas chez vous, parce que je ne veux pas vous g�ner, pas plus que je ne veux que vous me g�niez. » L'avocat g�n�ral en lut d'autres o� la an satisfaction de mon absence �tait si clairement exprim�e, qu'il n'y avait pas � compter beaucoup sur cette tendresse posthume qui m'�tait offerte. Et pourquoi M. Dudevant se d�fendait-il de ne pas m'avoir aim�e? Plus il disait de mal de moi, plus on �tait port� � l'absoudre. Mais {Lub 387} proclamer � la fois cette affection et les pr�tendues causes qui m'en rendaient indigne, c'�tait jeter dans les esprits le soup�on d'un calcul int�ress� qu'il n'e�t ao sans doute pas voulu m�riter.

Il le sentit, car, sans attendre le jugement, il se d�sista de son appel, et la cour donnant acte de ce d�sistement, le jugement de La Ch�tre eut son plein effet sur le reste de ma vie.

Nous repr�mes alors l'ancien trait� qu'il m'avait offert � Nohant et que ses malheureuses irr�solutions m'avaient forc�e � rendre valide par une ann�e de luttes am�res, inutiles s'il e�t consenti � ne pas varier.

Cet ancien trait�, qui fit base pour le nouveau, lui attribuait le soin de payer et surveiller l'�ducation de Maurice au coll�ge. Sur ce point, du moment que nous retombions d'accord, je ne craignais plus d'�tre s�par�e de mon fils. Mais l'aversion de Maurice pour le coll�ge pouvait revenir, et ce n'est pas sans peine que je me d�cidai � ne pas faire de r�serves. Éverard, Duteil et Rollinat me remontr�rent que tout pacte devait entra�ner r�conciliation de cœur et d'esprit; qu'il y allait de l'honneur de mon mari d'employer une part du revenu que je lui faisais � payer l'�ducation de son fils; que Maurice �tait bien portant, travaillait passablement et paraissait habitu� au r�gime {CL 402} universitaire; qu'il avait d�j� douze ans, et que dans bien peu d'ann�es la direction de ses id�es et le choix de sa carri�re appartiendraient fort peu � ses parents et beaucoup � lui-m�me; que, dans tous les cas, sa passion pour moi ne devait gu�re m'inspirer d'inqui�tude, et que madame Dudevant, la baronne, n'aurait pas beau jeu � vouloir m'enlever son cœur et sa confiance. C'�taient de tr�s-bonnes raisons auxquelles je c�dai pourtant � regret. J'avais le pressentiment d'une nouvelle lutte. On me disait en vain que l'�ducation en commun �tait n�cessaire, fortifiante pour le corps et pour l'esprit; il ne me semblait pas qu'elle conv�nt � Maurice, et je ne me trompais pas. Je c�dai, craignant de prendre pour la science de l'instinct maternel une faiblesse de cœur dangereuse � l'objet de ma sollicitude. M. Dudevant ne paraissait vouloir �lever aucune contestation sur l'emploi des vacances. Il promettait de m'envoyer Maurice aussit�t qu'elles seraient ouvertes, et il tint parole.

{Lub 388} J'embrassai l'excellente Élisa et sa famille, qui m'avaient si bien aim�e � premi�re vue; Agasta, qui, le matin de mon proc�s, avait �t� entendre la messe � mon intention, les beaux enfants de la maison et les braves amis qui m'avaient entour�e d'une sollicitude fraternelle. Je partis pour Nohant, o� je rentrai d�finitivement avec Solange le jour de Sainte-Anne ap, patronne du village. On dansait sous les grands ormes, et le son rauque et criard de la cornemuse, si cher aux oreilles qu'il a berc�es d�s l'enfance, e�t pu me para�tre d'un heureux augure.


Variantes

  1. Chapitre 3. Sommaire. {Ms}Chapitre quatri�me. {Presse} ♦ Chapitre dixi�me. {Lecou}, {LP} ♦ X. {CL}
  2. [Incertitude ray�] Irr�solution {Ms}Irr�solution {Presse} et sq.
  3. La br�che [ou le cachot ray�]. — Un quart {Ms}La br�che. — Un quart {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ La Br�che. — Un quart {CL} $diams La br�che. — Un quart {Lub} (restaurant la le�on originale; nous le suivons)
  4. pour un [an ray�] grand voyage {Ms}Dans {Presse}, une note de la r�daction: « L'auteur de l'Histoire de ma vie, ne voulant pas scinder par feuilletons certaines parties de son r�cit, a fait � ce chapitre plusieurs coupures que la Presse a d� respecter.
  5. � l'horizon pour [treize ans encore ray�] une nouvelle {Ms}
  6. Interruption de {Presse}
  7. bonnes. Je n'allai {Ms} ♦ bonnes, et il en etait justement la preuve. / Je n'allai {Lecou} et sq.
  8. devoir[. Je ne ferai pas l'histoire du proc�s en s�paration. Cela est trop long, trop aride et trop triste. J'aurais trop d'ennui et de chagrin � me rappeler et � mettre en ordre les incidents du mien, autrement qu'en quelques lignes de style de proc�dure ray�] envers mes enfans {Ms}
  9. jusque-l� [Le 11 9bre pr�c�dent, c'est-�-dire huit ray�]. Je ne voulais {Ms}
  10. � leur p�re. {Ms} ♦ � leur p�re ou � moi {Lecou} et sq.
  11. � la date du 11 9bre suivant par lequel je lui [assurais 8 800 f. de pension. C'�tait plusray�] abandonnais {Ms}
  12. coll�ge, [je devais partir avec eux pour reconduire Solange � sa pension ray�] Solange � sa pension {Ms}
  13. que je [ne voyagerais pas avec mon mari et ray�] ne reverrais {Ms}
  14. Nous prenions donc de tout {Ms}, {Lecou}, {LP} ♦ Nous prenions donc tout {CL} ♦ Nous prenions donc de tout {Lub} (restaurant la le�on originale; nous le suivons)
  15. � la Ch�tre [et qui m'avait dispens� par l� de l'�viter dans la maison ray�] et qui ne demanda {Ms}
  16. Je m'installai donc chez lui {Ms} Je m'installai donc chez Duteil {Presse} (qui reprend ici) ♦ Je m'installai donc chez lui {Lecou} et sq.
  17. la fente de ma persienne. L'h�tesse de la Boutaille, sachant {Ms} ♦ la fente de ma jalousie. L'h�tesse de la Boutaille, Madame Gaudron sachant {Presse}, {Lecou} ♦ la fente de mes jalousies. l'h�tesse de la Boutaille, Madame Gaudron, sachant {LP} et sq.
  18. et sa prog�niture $sMs ♦ et sa nombreuse prog�niture {Presse} et sq.
  19. hopital! [quelquefois nous en faisions monter Duteil et moi pour leur faire raconter leurs aventures � leur mani�re et il y avait l� quelquefois une candeur de cynisme dont nous �tions stup�faits... dans la plus compl�te ignorance du bien et du mal, il y avait comme de l'innocence dans leur perversit� ray�] Le 16 f�vrier {Ms}
  20. ma lille. [Il paraissait certain qu'en offrant � mon mari les m�mes avantages qu'il avait r�gl�s lui-m�me � l'amiable et qu'il paraissait vouloir accepter, j'�tais ray�] Je me croyais {Ms}
  21. r�ves, [jusqu'� ces derni�res ann�es o�, navr�e par des chagrins dont la source �tait dans mes entrailles, j'ai senti [l'effroi de la solitude absolue ray�] plus vivement que jamais le besoin de la famille ray�] jusqu'au jour {Ms}
  22. �teignais tout, [hormis une [petite lampe ray�] bougie de chambre en chambre ray�] et marchant {Ms}
  23. feu mourant dans l'�tre {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ feu mourant de l'�tre {CL}
  24. myst�rieuse pleine {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ myst�rieuse et pleine {LP} et sq.
  25. Interruption de {Presse}
  26. avocat [Mr Bethmont ray�] ne le d�tourna {Ms}
  27. Les conseils de [Mr Bethmont ray�] cet avocat {Ms}
  28. conjugales, elle [me fut tr�s favorable. Il a toujours cru que j'avais du ressentiment contre lui. Non certes, puisque c'est � son conseil que je dus de pouvoir �lever mes deux enfans. Il est vrai qu'il m'a fait expier ce bonheur. Un autre enfant vient de payer h�las ray�] ne servit {Ms}
  29. calme. [La requ�te r�volta ray�] Elle �claira {Ms}
  30. 1836, [me confiant pour la seconde fois la garde et l'entretien de mes deux en fans ray�] absolument dans les m�mes termes {Ms}
  31. Reprise de {Presse}
  32. beaucoup moins. [Et pourquoi donc des enqu�tes officielles rendues publiques quand tous les gouvernements modernes tiennent dans leurs mains le r�seau d'une police si experte � d�couvrir les crimes et les d�lits qui compromettent la s�ret� publique? Pourquoi ne pas �lever la mission de la police � la surveillance des familles et � la connaissance secr�te de la conduite des �poux quand l'un des �poux le r�clamerait? ray�] {Ms}
  33. se vanter [par un libelle qu'il n'avait pas lu � jeun, j'en suis certaine ray�] par des imputations {Ms}
  34. Mais la loi qui admet {Presse} ♦ Mais la loi, qui admet {CL}
  35. Il forma un second appel {Ms} ♦ Il forma appel {Presse} et sq.
  36. leur enfant et qui {CL} ♦ leur enfant, et qui {Presse} et sq.
  37. Interruption de {Presse}
  38. Reprise de {Presse}
  39. mais sa conscience se r�volta contre une pareille {Ms}mais ma conscience se r�volta contre une pareille {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ mais sa conscience se r�volta contre pareille {CL}
  40. d'autres [que mon mari avait maladroitement remis lui�m�me durant une s�ance ray�] o� la {Ms}
  41. int�ress� [ou d'un besoin de vengeance perfide que mon mari ray�] qu'il n'e�t {Ms}
  42. avec Solange le [28 juillet ray�] jour de Sainte-Anne {Ms}

Notes