GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.3 [189]; Lub T.1 [957]} QUATRIÈME PARTIE
Du mysticisme � l'ind�pendance
1819-1832 a

{Presse 3/5/1855 1; CL T.3 [315]; Lub T.1 [1063]} V b

Le fils de madame d'Épinay et de mon grand-p�re. — Étrange syst�me de pros�lytisme. — Attitude admirable de ma grand'm�re. — Elle exige que j'entende sa confession. — Elle re�oit les sacrements. — Mes r�flexions et les sermons de l'archev�que. — Querelle s�rieuse avec mon confesseur. — Le vieux cur� et sa servante. — Conduite d�raisonnable d'un squelette. — Bont� et simplicit� de Deschartres. — Esprit et charit� des gens de La Ch�tre. — La f�te du village. — Causeries avec mon p�dagogue, r�flexions sur le scandale. — D�finition de l'opinion.



Aux plus beaux jours de l'�t�, ma grand'm�re �prouva un mieux tr�s-sensible et s'occupa m�me de reprendre ses correspondances, ses relations de famille et d'amiti�. J'�crivais sous sa dict�e des lettres aussi charmantes et aussi judicieuses qu'elle les e�t jamais faites. Elle re�ut ses amis, qui ne comprirent pas qu'elle e�t subi l'alt�ration de facult�s dont nous �tions tant afflig�s et dont nous nous affligions encore, Deschartres et moi. Elle avait des heures o� elle causait si bien, qu'elle semblait �tre redevenue elle-m�me, et m�me plus brillante et plus gracieuse encore que par le pass�.

Mais quand la nuit arrivait, peu � peu la lumi�re faiblissait dans cette lampe �puis�e. Un grand trouble se faisait sentir dans les id�es, ou une apathie plus effrayante encore, et les nuits n'�taient pas toutes sans d�lire, un d�lire inquiet, m�lancolique et enfantin. Je ne pensais plus du tout � lui demander de faire acte de religion, bien que ma bonne Alicia me conseill�t de profiter de ce moment de sant� pour l'amener sans effroi � mes fins. Ses lettres {CL 316} me troublaient et me ramenaient quelques scrupules de conscience; mais elles n'eurent jamais le pouvoir de me d�cider � rompre la glace.

{Lub 1064} Pourtant la glace fut rompue d'une mani�re d tout � fait impr�vue. L'archev�que d'Arles en �crivit � ma grand'm�re, lui annon�a sa visite et arriva.

M. Leblanc de Beaulieu e, longtemps �v�que de Soissons f et nomm� r�cemment alors archev�que d'Arles g in partibus, ce qui �quivalait � une belle sin�cure de retraite, �tait mon oncle par b�tardise. Il �tait n� des amours tr�s-passionn�es et tr�s-divulgu�es de mon grand-p�re Francueil et de la c�l�bre madame d'Épinay. Ce roman a �t� trahi par la publication, bien indiscr�te et bien inconvenante, d'une correspondante charmante, mais trop peu voil�e, entre les deux amants.

Le b�tard, n� au Blanc h, nourri et �lev� au village ou � la ferme de Beaulieu i re�ut ces deux noms et fut mis dans les ordres d�s sa jeunesse. Ma grand'm�re le connut tout jeune encore, lorsqu'elle �pousa M. de Francueil, et veilla sur lui maternellement. Il n'�tait rien moins que d�vot � cette �poque; mais il le devint � la suite d'une maladie grave o� les terreurs de l'enfer boulevers�rent son esprit j faible.

Il �tait �trange que le fils de deux �tres remarquablement intelligents f�t � peu pr�s stupide. Tel �tait cet excellent homme, qui, par compensation, n'avait pas un grain de malice dans sa balourdise. Comme il y a beaucoup de b�tes fort m�chantes, il faut tenir compte de la bont�, qu'elle soit priv�e ou accompagn�e d'intelligence.

Ce bon archev�que �tait le portrait frappant de sa m�re, qui, comme Jean-Jacques a pris soin de nous le dire, et comme elle le proclame elle-m�me avec beaucoup de coquetterie, �tait positivement laide; mais elle �tait fort bien faite. J'ai encore un des portraits qu'elle donna � mon {CL 317} grand-p�re. Ma bonne maman k en a donn� un autre � mon cousin Villeneuve, o� elle �tait repr�sent�e en costume de na�ade, c'est-�-dire avec aussi peu de costume que possible.

Mais elle avait beaucoup de physionomie, dit-on, et fit toutes les conqu�tes qu'elle put souhaiter. L'archev�que avait sa laideur toute crue et pas plus d'expression qu'une grenouille qui dig�re. Il �tait, avec cela, ridiculement gras, gourmand ou plut�t goinfre, car la gourmandise exige un certain discernement qu'il n'avait pas; tr�s-vif, tr�s-rond de mani�res, insupportablement gai, quelque chagrin qu'on e�t autour de lui; intol�rant en {Lub 1065} paroles, d�bonnaire en actions; grand diseur de calembours et de calembredaines monacales; vaniteux comme une femme de ses toilettes d'apparat, de son rang et de ses privil�ges; cynique dans son besoin de bien-�tre; bruyant, col�re, �vapor�, bonnasse, ayant toujours faim ou soif, ou envie de sommeiller, ou envie de rire pour se d�sennuyer, enfin le chr�tien le plus sinc�re � coup s�r, mais le plus impropre au pros�lytisme que l'on puisse imaginer.

C'�tait l justement le seul pr�tre qui p�t amener ma grand'm�re � remplir les formalit�s catholiques, parce qu'il �tait incapable de soutenir aucune discussion contre elle et ne l'essaya m�me pas.

« Ch�re maman, lui dit-il m, r�sumant sa lettre, sans pr�ambule, d�s la premi�re heure qu'il passa aupr�s d'elle, vous savez pourquoi je suis venu; je ne vous ai pas prise en tra�tre et n'irai pas par quatre chemins n. Je veux sauver votre �me. Je sais bien que cela vous fait rire; vous ne croyez pas que vous serez damn�e parce que vous n'aurez pas fait ce que je vous demande; mais moi je le crois, et comme, gr�ce � Dieu, vous voil� gu�rie, vous pouvez bien me faire ce plaisir-l�, sans qu'il vous en co�te la plus petite frayeur d'esprit. Je vous prie donc, vous qui m'avez {CL 318} toujours trait� comme votre fils, d'�tre bien gentille et bien complaisante pour votre gros enfant. Vous savez que je vous crains trop pour discuter contre vous et vos beaux esprits reli�s en veau. Vous en savez beaucoup trop long pour moi; mais il ne s'agit pas de �a; il s'agit de me donner une grande marque d'amiti�, et me voil� tout pr�t � vous la demander � genoux. Seulement comme mon ventre me g�nerait fort, voil� votre petite-fille qui va s'y mettre � ma place. »

Je restai stup�faite d'un pareil discours, et ma grand'm�re se prit � rire. L'archev�que me poussa � ses pieds: « Allons donc, dit-il, je crois que tu te fais prier pour m'aider, toi! »

Alors, ma grand'm�re me regardant agenouill�e passa du rire � une �motion subite. Ses yeux se remplirent de larmes, et elle me dit en m'embrassant: « Eh bien, tu me croiras donc damn�e si je te refuse? — Non! m'�criai-je imp�tueusement, emport�e par l'�lan d'une v�rit� o int�rieure plus forte que tous les pr�jug�s religieux; non, {Lub 1066} non! Je suis � genoux pour vous b�nir et non pas pour vous pr�cher.

— En voil� une petite sotte! » s'�cria l'archev�que, et, me prenant par le bras, il voulut me mettre � la porte; mais ma grand'm�re me retint contre son cœur. « Laissez-la, mon gros Jean le Blanc, lui dit-elle. Elle pr�che mieux que vous. Je te remercie, ma fille, je suis contente de toi, et pour te le prouver, comme je sais qu'au fond du cœur tu d�sires que je te dise oui, je dis oui. Êtes-vous content, monseigneur? »

Monseigneur lui baisa la main en pleurant d'aise. Il �tait v�ritablement touch� de tant de douceur et de tendresse. Puis il frotta ses mains et se frappa sur la bedaine en disant: « Allons, voil� qui est enlev�! Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Demain matin, votre vieux {CL 319} cur� viendra vous confesser et vous administrer. Je me suis permis de l'inviter � d�jeuner avec nous. Ce sera une affaire faite, et demain soir vous n'y penserez plus.

— C'est probable, » dit ma grand'm�re avec malice.

Elle fut gaie tout le reste de la journ�e. L'archev�que encore plus, riant, batifolant en paroles, jouant avec les gros chiens, r�p�tant � sati�t� le proverbe qu'un chien peut bien regarder un �v�que, me grondait un peu de l'avoir si mal aid�, d'avoir failli tout faire manquer, et nous mettre dans de beaux draps par ma niaiserie; me reprochant de n'avoir pas pour deux sous de courage, et disant que si l'on m'e�t laiss�e faire, nous �tions frais.

J'�tais navr�e de voir aller ainsi les choses. Il me semblait que fourrer ainsi les sacrements � une personne qui n'y croyait pas et qui n'y voyait qu'une condescendance envers moi, c'�tait nous charger d'un sacril�ge. J'�tais d�cid�e � m'en expliquer avec ma grand'm�re, car de raisonner avec monseigneur, cela faisait piti�.

Mais tout changea d'aspect en un instant, gr�ce au grand esprit et au tendre cœur de cette pauvre infirme, qui, le lendemain, �tait mourante par le corps et comme ressuscit�e au moral.

Elle passa une tr�s-mauvaise nuit, pendant laquelle il me fut impossible de songer � autre chose qu'� la soigner. Le lendemain matin, la raison �tait nette et la volont� arr�t�e. « Laisse-moi faire, dit-elle d�s les premiers mots que je lui adressai: je crois que en effet je vais mourir. Eh bien, je devine tes scrupules. Je sais que si je meurs {Lub 1067} sans faire ma paix avec ces gens-l�, ou tu te le reprocheras, ou ils te le reprocheront. Je ne veux pas mettre ton cœur aux prises avec ta conscience, ou te laisser aux prises avec tes amis. J'ai la certitude de ne faire ni une l�chet� ni un mensonge en adh�rant � des pratiques qui, � l'heure de quitter ceux qu'on aime, ne sont pas d'un {CL 320} mauvais exemple. Aie l'esprit tranquille, je sais ce que je fais. »

Pour la premi�re fois depuis sa maladie je la sentais redevenue la grand'm�re, le chef de famille capable de diriger les autres, et par cons�quent elle-m�me. Je me renfermai dans l'ob�issance passive.

Deschartres lui trouva beaucoup de fi�vre et entra en fureur contre l'archev�que. Il voulait le mettre � la porte et lui attribuait, probablement avec raison, la nouvelle crise qui se produisait dans cette existence p chancelante.

Ma grand'm�re l'apaisa et lui dit m�me: « Je veux que vous vous teniez tranquille, Deschartres. »

Le cur� arriva, toujours ce m�me vieux dont q j'ai parl� et qu'elle avait trouv� trop rustique pour �tre mon confesseur. Elle n'en voulut pas d'autres, r sentant combien elle le dominerait.

Je voulus sortir avec tout le monde pour les laisser ensemble. Elle m'ordonna de rester; puis, s'adressant au cur�:

« Asseyez-vous l�, mon vieux ami, lui dit-elle. Vous voyez que je suis trop malade pour sortir de mon lit, et je veux que ma fille assiste � ma confession.

— C'est bien, c'est bien, ma ch�re dame, r�pondit le cur� tout troubl� et tout tremblant.

— Mets-toi � genoux pour moi, ma fille, reprit {Presse 3/5/1855 2} ma grand'm�re, et prie pour moi, tes mains dans les miennes. Je vais faire ma confession. Ce n'est pas une plaisanterie. J'y ai pens�. Il n'est pas mauvais de se r�sumer en quittant ce monde, et si je n'avais craint de froisser quelque usage, j'aurais voulu que tous mes amis et tous mes serviteurs fussent pr�sents � cette r�capitulation publique de ma conscience. Mais, apr�s tout, la pr�sence de ma fille me suffit. Dites-moi les formules, cur�; je ne les connais pas ou je les ai oubli�es. Quand ce sera fait, je m'accuserai. »

{CL 321} Elle se conforma aux formules et dit ensuite: « Je n'ai jamais ni fait ni souhait� aucun mal � personne. J'ai fait tout le bien que j'ai pu faire. Je n'ai � confesser ni {Lub 1068} mensonge, ni duret�, ni impi�t� d'aucune sorte. J'ai toujours cru en Dieu. — Mais �coute ceci, ma fille: je ne l'ai pas assez aim�. J'ai manqu� de courage, voil� ma faute, et, depuis le jour o� j'ai perdu mon fils, je n'ai pu prendre sur moi de le b�nir et de l'invoquer en aucune chose. Il m'a sembl� trop cruel de m'avoir frapp�e d'un coup au-dessus de mes forces. Aujourd'hui qu'il m'appelle, je le remercie et le prie de me pardonner ma faiblesse. C'est lui qui me l'avait donn�, cet enfant, c'est lui qui me l'a �t�, mais qu'il me r�unisse � lui, et je vais l'aimer et le prier de toute mon �me. »

Elle parlait d'une voix si douce et avec un tel accent de tendresse et de r�signation, que je fus suffoqu�e de larmes et retrouvai toute ma ferveur des meilleurs jours pour prier avec elle.

Le vieux cur� attendri profond�ment, se leva et lui dit, avec une grande onction et dans son parler paysan, qui augmentait avec l'�ge: « Ma ch�re sœur, je serons tous pardonn�s, parce que le bon Dieu nous aime et sait bien que quand je nous repentons, c'est que je l'aimons. Je l'ai bien pleur� aussi, moi, votre cher enfant, allez! Et je vous r�ponds ben qu'il est � la droite de Dieu, et que vous y serez avecques lui. s Dites avec moi votre acte de contrition, et je vas vous donner l'absolution. »

Quand il eut prononc� l'absolution, elle lui ordonna de faire rentrer tout le monde et me dit dans l'intervalle: « Je ne crois pas que ce brave homme ait eu le pouvoir de me pardonner quoi que ce soit, mais je reconnais que Dieu a ce pouvoir, et j'esp�re qu'il a exauc� nos bonnes intentions � tous trois. »

L'archev�que, Deschartres, tous les domestiques de la {CL 322} maison et les ouvriers de la ferme assist�rent � son viatique; elle dirigea elle-m�me la c�r�monie, me fit passer � c�t� d'elle et disposa les autres personnes � son gr�, suivant l'amiti� qu'elle leur portait. Elle interrompit plusieurs fois le cur� pour lui dire � demi-voix, car elle entendait fort bien le latin, je crois � cela, ou il importe peu. Elle �tait attentive � toutes choses et, conservant l'admirable nettet� de son esprit et la haute droiture de son caract�re, elle ne voulait pas acheter sa r�conciliation officielle au prix de la moindre hypocrisie. Ces d�tails ne furent pas compris de la plupart des assistants. L'archev�que feignit de ne pas y prendre garde, le cur� n'y tenait nullement. {Lub 1069} Il �tait l� avec son cœur et avait mis d'avance son jugement de pr�tre � la porte. Deschartres �tait fort troubl� et irrit�, craignant de voir la malade succomber � la suite d'un si grand effort moral. Moi seule j'�tais attentive � toutes choses autant que ma grand'm�re, et, ne perdant aucune de ses paroles, aucune de ses expressions de visage, je la vis avec admiration r�soudre le probl�me de se soumettre � la religion de son temps et de son pays sans abandonner un instant ses convictions intimes, et sans mentir en rien � sa dignit� personnelle.

Avant de recevoir l'hostie, elle prit encore la parole et dit tr�s-haut: « Je veux mourir en paix ici avec tout le monde. Si j'ai fait du tort � quelqu'un, qu'il le dise, pour que je le r�pare. Si je lui ai fait de la peine, qu'il me le pardonne, car je le regrette. »

Un sanglot d'affection et de b�n�diction lui r�pondit de toutes parts. Elle fut administr�e, puis demanda du repos et resta seule avec moi.

Elle �tait �puis�e et dormit jusqu'au soir. Quelques jours d'accablement f�brile succ�d�rent t � cette �motion. Puis les apparences de la sant� revinrent, et nous retrouv�mes encore quelques semaines d'une sorte de s�curit�.

{CL 323} Cet �v�nement de famille me fit et me laissa une forte impression. Ma grand'm�re, bien qu'elle f�t retomb�e dans un demi-engourdissement de ses facult�s, avait, par ce jour de courage et de pleine raison, repris � mes yeux toute l'importance de son r�le vis-�-vis de moi, et je ne m'attribuais plus aucun droit de juger sa conscience et sa conduite. J'�tais frapp�e d'un grand respect en m�me temps que d'une tendre gratitude pour l'intention qu'elle avait eue de me complaire, et il m'�tait impossible de ne pas accepter de tous points sa mani�re de se repentir et de se r�concilier avec le ciel, comme digne, m�ritoire et agr�able � Dieu. Je r�capitulais toute la phase de sa vie dont j'avais �t� le t�moin et le but; j'y trouvais, � l'�gard de ma m�re, de ma sœur et de moi, quelques injustices irr�fl�chies ou involontaires, toujours r�par�es par de grands efforts sur elle-m�me et par de v�ritables sacrifices; dans tout le reste, une longanimit� sage, une douceur g�n�reuse, une droiture parfaite, un d�sint�ressement, un m�pris du mensonge, une horreur du mal, une bienfaisance, une assistance de cœur pour tous, {Lub 1070} vraiment in�puisables, enfin les plus admirables qualit�s, les vertus chr�tiennes u les plus r�elles.

Et ce qui couronnait cette noble carri�re, c'�tait pr�cis�ment cette faute dont elle avait voulu s'accuser avant de mourir. C'�tait cette douleur immense, inconsolable, qu'elle n'avait pu offrir � Dieu comme un hommage de soumission, mais qui ne l'avait pas emp�ch�e de rester grande et g�n�reuse avec tous ses semblables. Ah! Qu'elles me semblaient v�nielles et pardonnables maintenant, ces crises d'amertume, ces paroles d'injustice, ces larmes de jalousie qui m'avaient tant fait souffrir dans mon plus jeune �ge! Comme je me sentais petite et personnelle, moi qui ne les avais pas pardonn�es sur l'heure! Avide de bonheur, indign�e de souffrir, l�che dans mes muettes rancunes d'enfant, {CL 324} je n'avais pas compris ce que souffrait cette m�re d�sesp�r�e, et je m'�tais compt�e pour quelque chose, quand v j'aurais d� deviner les profondes racines de son mal et l'adoucir par un complet abandon de moi-m�me!

Mon cœur gagna beaucoup dans ces repentirs. J'y noyai dans des larmes abondantes l'orgueil de mes r�sistances, et toute intol�rance d�vote s'y dissipa pour jamais. Ce cœur qui n'avait encore connu que la passion dans l'amour filial et dans l'amour divin, s'ouvrit � des tendresses inconnues; et, faisant sur moi-m�me un retour aussi s�rieux que celui que j'avais fait au couvent lors de ma conversion, je sentis toutes les puissances du sentiment et de la raison w me commander l'humilit�, non plus seulement comme une vertu chr�tienne, mais comme une cons�quence forc�e de l'�quit� naturelle.

Tout cela me faisait sentir d'autant plus vivement que la v�rit� absolue n'�tait pas plus dans l'Église que dans toute autre forme religieuse; qu'il y e�t plus de v�rit� relative, voil� tout ce que je pouvais lui accorder x, et voil� pourquoi je ne songeais pas encore � me s�parer d'elle.

Les sacrements accept�s par ma grand'm�re n'avaient �t� qu'un compromis de conscience de la part de l'archev�que, puisque l'archev�que, faute de ces sacrements, l'e�t damn�e en pleurant, mais sans appel. Que l'on observe et sache bien qu'il n'�tait pas hypocrite, ce bon pr�lat. Il ne s'agissait pas pour lui de faire triompher l'Église devant des provinciaux �bahis; il �tait �tranger {Lub 1071} � la politique et croyait dur comme fer, c'�tait son expression, � l'infaillibilit� des papes et � la lettre des conciles. Il aimait r�ellement ma grand'm�re; n'ayant pas connu d'autre m�re, il la regardait comme la sienne; il s'en allait y disant: « Qu'elle meure maintenant, �a m'est �gal. Je ne suis pas jeune et je la rejoindrai bient�t. La vie n'est pas une si grosse affaire! Mais je ne me serais jamais consol� {CL 325} de sa perte, si elle e�t persist� dans l'imp�nitence finale. »

Je me permettais de le contredire. « Je vous jure, monseigneur, lui disais-je, qu'elle ne croit pas plus aujourd'hui qu'hier � l'infaillibilit�. Ce qu'elle a fait est tr�s-chr�tien. Avec ou sans cela, elle e�t �t� sauv�e, mais c n'est pas catholique, ou bien l'Église admet deux catholicismes, l'un qui s'abandonne � toutes ses prescriptions, l'autre qui fait ses r�serves et proteste contre la lettre.

— Ah ��, mais tu deviens tr�s-ergoteuse! s'�criait monseigneur marchant � grands pas, ou plut�t roulant comme une toupie � travers le jardin. Est-ce que, par hasard, tu donnes aussi dans le Voltaire? Cette ch�re maman est capable de t'avoir empest�e de ces bavards-l�! Voyons, que fais-tu? Comment vis-tu ici? Qu'est-ce que tu lis?

— En ce moment, monseigneur, je lis les P�res de l'Église, et j'y trouve beaucoup de points de vue contradictoires.

— Il n'y en a pas!

— Pardon, cher monseigneur! Les avez-vous lus?

— Qu'elle est b�te! Ah ��, pourquoi lis-tu les P�res de l'Église? Il y a z beaucoup de choses qu'une jeune personne peut lire; mais je suis s�r que tu fais l'esprit fort et que tu te m�les de juger. C'est un ridicule, � ton �ge!

— Il est pour moi seul, aa puisque je ne fais part � personne de mes r�flexions.

— Oui, mais �a viendra. Prends-y garde. Tu �tais dans le bon chemin quand tu as quitt� le couvent; � pr�sent tu bats la breloque. Tu montes � cheval, tu chantes de l'italien, tu tires le pistolet, � ce qu'on m'a dit! Il faut que je te confesse. Fais ton examen de conscience pour demain. Je parie que j'aurai � te laver la t�te!

— Pardon, monseigneur, mais je ne me confesserai point � vous.

— Pourquoi donc �a?

{CL 326; Lub 1072} — Parce que nous ne nous entendrions pas. Vous me passeriez tout ce que je ne me passe point, et me gronderiez ab de ce que je consid�re comme innocent. Ou je ne suis plus catholique, ou je le suis autrement ac que vous.

— Qu'est-ce � dire, oison brid�?

— Je m'entends; mais ce n'est pas vous qui r�soudrez la question.

— Allons, allons, il faut que je te gronde..... sache donc, malheureuse enfant..... Mais ad voil� l'heure du d�ner, je te dirai cela apr�s. J'ai une faim de chien. D�p�chons-nous de rentrer. »

Et, apr�s le d�ner, il avait oubli� de me pr�cher. Il l'oublia jusqu'� la fin, et partit me laissant tr�s-attach�e � sa bont�, mais tr�s-peu �difi�e de son genre de pi�t�, qui ne pouvait pas �tre le mien.

La veille de son d�part, il fit une chose des plus b�tes. Il entra dans la biblioth�que et proc�da � l'incendie de quelques livres et � la mutilation de plusieurs autres. Deschartres le trouva br�lant, coupant, rognant et se r�jouissant fort de son œuvre. Il l'arr�ta avant que le dommage f�t consid�rable, le mena�a d'aller avertir ma grand'm�re de ce d�g�t, et ne put lui arracher des mains le fer et le feu qu'en lui remontrant que cette biblioth�que �tait une propri�t� confi�e � sa garde, qu'il en �tait responsable, et que, comme maire de la commune, il �tait d'ailleurs autoris� � verbaliser m�me contre un archev�que dilapidateur. J'arrivai pour mettre la paix; la sc�ne �tait vive et des plus grotesques.

{Presse 4/5/1855 1} Quelques jours apr�s, j'allai � confesse � mon cur� de La Ch�tre, qui �tait un homme de belles mani�res, assez instruit et en apparence intelligent. Il me fit des questions qui ne blessaient en rien la chastet�, mais qui, selon moi, blessaient toute convenance et toute d�licatesse. Je ne sais � quel cancan de petite ville il avait ouvert l'oreille. Il pensait que {CL 327} j'avais un commencement d'amour pour quelqu'un et voulait savoir de moi si la chose �tait vraie. « Il n'en est rien, lui r�pondis-je, je n'y ai m�me pas song�. — Cependant, reprit-il, on assure..... ae »

Je me levai du confessionnal sans en �couter davantage et saisie d'une indignation irr�sistible af. « Monsieur le cur�, lui dis-je, comme personne ne me force � venir me confesser tous les mois, pas m�me l'Église, qui ne me prescrit que les sacrements annuels, je ne comprends {Lub 1073} pas que vous doutiez de ma sinc�rit�. Je vous ai dit que je ne connaissais pas seulement par la pens�e le sentiment que vous m'attribuez. C'�tait trop r�pondre d�j�. J'eusse d� vous dire que cela ne vous regardait pas.

— pardonnez-moi, reprit-il d'un ton hautain, le confesseur doit interroger les pens�es, car il en est de confuses qui peuvent s'ignorer elles-m�mes et nous �garer!

— Non! Monsieur le cur�, les pens�es qu'on ignore n'existent pas. Celles qui sont confuses existent d�j� et peuvent �tre cependant si pures qu'elles n'exigent pas qu'on s'en confesse ag. Vous devez croire ou que je n'ai pas de pens�es confuses, ou qu'elles ne causent aucun trouble � ma conscience, puisque avant votre interrogatoire je vous avais dit la formule qui termine la confession.

— Je suis fort aise, r�pliqua-t-il, qu'il en soit ainsi. J'ai toujours �t� �difi� de vos confessions; mais vous venez d'avoir un mouvement de vivacit� qui prend sa source dans l'orgueil, et je vous engage � vous en repentir et � vous en accuser ici-m�me, si vous voulez que je vous donne l'absolution.

— Non! Monsieur, lui r�pondis-je. Vous �tes dans votre tort et vous avez caus� le mien, dont je vous avoue n'�tre pas dispos�e � me repentir dans ce moment-ci. »

Il se leva � son tour et me parla avec beaucoup de s�cheresse et de col�re. Je ne r�pondis rien. Je le saluai et ne {CL 328} le revis jamais. Je n'allai m�me plus � la messe � sa paroisse.

À l'heure qu'il est, je ne sais pas encore si j'eus tort ou raison de rompre ainsi avec un tr�s-honn�te homme et un tr�s-bon pr�tre. Puisque j'�tais chr�tienne et croyais devoir pratiquer encore le catholicisme, j'aurais d� peut-�tre accepter avec l'esprit d'humilit� le soup�on qu'il m'exprimait. Cela ne me fut point possible et je ne sentis aucun remords de ma fiert�. Toute la puret� de mon �tre ah se r�voltait contre une question indiscr�te, imprudente, et, selon moi, �trang�re � la religion. J'aurais tout au plus compris les questions de l'amiti�, hors du confessionnal, dans l'abandon de la vie priv�e; mais cet abandon n'existait pas entre lui et moi. Je le connaissais fort peu, il n'�tait pas tr�s-vieux, et, en outre, il ne m'�tait {Lub 1074} pas sympathique. Si j'avais eu quelque chaste confidence � faire, je ne voyais pas de raison pour m'adresser � lui, qui n'�tait pas mon directeur et mon p�re spirituel. Il me semblait donc vouloir usurper sur moi une autorit� morale que je ne lui avais pas donn�e, et cet essai maladroit, au beau milieu d'un sacrement o� je portais tant d'aust�rit� d'esprit, me r�volta comme un sacril�ge. Je trouvai qu'il avait confondu la curiosit� de l'homme avec la fonction du pr�tre. D'ailleurs l'abb� de Pr�mord, scrupuleux gardien de la sainte ignorance des filles, m'avait dit: On ne doit point faire de questions, je n'en fais jamais, et je ne pouvais, je ne devais jamais avoir foi en un autre pr�tre que celui-l� ai.

Il m'�tait impossible de songer � me confesser � mon vieux cur� de Saint-Chartier. J'�tais trop intime, trop famili�re avec lui. J'avais trop jou� avec lui dans mon enfance. Je lui avais fait trop de niches, et je le sentais aussi incapable de me diriger que je l'�tais de m'accuser � lui s�rieusement. J'allais � sa messe, en sortant je d�jeunais avec lui, il essuyait lui-m�me, bon gr�, mal gr�, mes {CL 329} souliers crott�s. J'�tais oblig�e de lui retenir le bras pour l'emp�cher de boire, parce qu'il me ramenait en croupe sur sa jument aj. Il me racontait ses peines de m�nage, les col�res de sa gouvernante; je les grondais ak tous deux, tour � tour, de leurs mauvais caract�res. Il n'y avait pas moyen de changer de pareilles relations, ne f�t-ce qu'une heure par mois, au tribunal de la p�nitence. Je savais, par mon fr�re, et par mes petites amies de campagne, comment il �coutait la confession. Il n'en entendait pas un mot, et comme ces enfants espi�gles s'accusaient, par moquerie, des plus grandes �normit�s, � toutes choses il r�pondait: « Tr�s-bien, tr�s-bien. Allons! Est-ce bient�t fini. »

Je n'aurais pu me d�barrasser de ces souvenirs, et comme je sentais bien la d�votion catholique me quitter jour par jour, je ne voulais pas m'exposer � la voir partir tout d'un coup, malgr� moi, sans me sentir fond�e par quelque raison vraiment s�rieuse � l'abjurer volontairement.

Je n'avais jamais fait maigre les vendredis et samedis chez ma grand'm�re. Elle ne le voulait pas. L'abb� de Pr�mord m'avait recommand� d'avance de me soumettre � cette infraction � la r�gle. Ainsi peu � peu j'arrivai � ne {Lub 1075} pratiquer que la pri�re, et encore �tait-elle presque toujours r�dig�e � ma guise.

Chose �trange ou naturelle, jamais je ne fus plus religieuse, plus enthousiaste, plus absorb�e en Dieu qu'au milieu de ce rel�chement absolu de ma ferveur pour le culte. Des horizons nouveaux s'ouvraient devant moi. Ce que Leibniz m'avait annonc�, l'amour divin redoubl� et ranim� par la foi mieux �clair�e, Jean-Jacques me l'avait fait comprendre, et ma libert� d'esprit, recouvr�e par ma rupture avec le pr�tre, me le faisait sentir. J'�prouvai une grande s�curit�, et de ce jour les bases essentielles de la foi furent in�branlablement pos�es dans mon �me. Mes sympathies politiques al, ou plut�t mes aspirations fraternelles, {CL 330} me firent admettre, sans h�sitation et sans scrupule, que l'esprit de l'Église �tait d�vi� de la bonne route et que je ne devais pas le suivre sur la mauvaise. Enfin, je m'arr�tai � ceci, que nulle Église chr�tienne n'avait le droit de dire: Hors de moi, point de salut.

J'ai entendu depuis des catholiques am soutenir, ce que je voulais encore me persuader alors, � savoir: que cette sentence ne ressortait pas absolument des arr�ts de l'Église papale. Je pense qu'ils se trompaient, comme j'avais essay� de me tromper moi-m�me an. Mais, en supposant qu'ils eussent raison, il faudrait conclure qu'il n'y a pas, qu'il n'y a jamais eu, qu'il ne pourra jamais y avoir d'orthodoxie, ni l�, ni ailleurs. Du moment que Dieu ne repousse les fid�les d'aucune Église, le catholicisme n'existe plus. Qu'il paraisse encore excellent � un assez grand nombre d'esprits religieux, et qu'il soit d�cr�t� culte de la majorit� des Fran�ais, je n'y fais aucune opposition de conscience; mais s'il admet lui-m�me qu'il ne damne pas les dissidents, il doit admettre la discussion, et nul pouvoir humain ne peut l�gitimement l'entraver, pourvu qu'elle soit s�rieuse, tol�rante, sinc�re et digne; car toute calomnie est une pers�cution, toute injure est un attentat contre lesquels les lois de tout pays doivent une protection ao impartiale � chacun et � tous.

Le jeune homme pour qui on m'avait suppos� ap de l'inclination �tait un des ***. Je l'appellerai Claudius, du premier nom qui me tombe sous la main et que ne porte aucune personne � moi connue. Sa famille �tait une des plus nobles du pays et avait eu de la fortune aq. L'�ducation de dix enfants avait achev� de ruiner les parents de {Lub 1076} Claudius. Quelques-uns avaient entach� leur blason par de grands d�sordres et une fin tragique. Trois fils restaient. Des deux a�n�s, je n'ai rien � dire qui ait rapport � cette phase de mon existence philosophique et religieuse. Le seul {CL 331} qui s'y soit trouv� m�l� indirectement, comme on l'a d�j� vu, �tait le plus jeune.

Il �tait d'une belle figure et ne manquait ni de savoir, ni d'intelligence, ni d'esprit. Il se destinait aux sciences, o� il a eu depuis une certaine notori�t�. Pauvre � cette �poque, encore plus par le fait de l'avarice sordide de sa m�re que par sa situation, il se destinait � �tre m�decin. De grandes privations et beaucoup d'ardeur au travail avaient �branl� sa sant�. On le croyait phthisique. Il en a rappel�: mais il est mort de maladie dans la force de l'�ge.

Deschartres, qui avait �t� li� avec son p�re et qui s'int�ressait � un gentilhomme �tudiant, me l'avait pr�sent� et l'avait m�me engag� � me donner quelques le�ons de physique. Je m'occupais aussi d'ost�ologie, voulant apprendre un peu de chirurgie, et d'anatomie par cons�quent, pour seconder Deschartres, au besoin, dans les op�rations o� je pouvais �tre initi�e, pour le remplacer m�me dans le cas de blessures peu graves. Il avait coup� des bras, amput� des doigts, remis des poignets, rafistol� des t�tes fendues en ma pr�sence et avec mon aide. Il me trouvait tr�s-adroite, tr�s-prompte et sachant vaincre la douleur et le d�go�t quand il le fallait. De tr�s-bonne heure il m'avait habitu�e � retenir mes larmes et � surmonter mes d�faillances. C'�tait un tr�s-grand service qu'il m'avait rendu que de me rendre capable de rendre service aux autres.

Ce Claudius apporta des t�tes, des bras, des jambes dont Deschartres avait besoin pour me d�montrer le point de d�part. Il me les ar faisait dessiner d'apr�s nature (le temps nous manqua pour aller plus loin que la th�orie de la charpente osseuse). Un m�decin de La Ch�tre nous pr�ta m�me un squelette de petite fille tout entier, qui resta longtemps �tendu sur ma commode; et, � ce propos, je dois me {CL 332} rappeler et constater un effet de l'imagination qui prouve que toute femmelette peut se vaincre.

Une nuit, je r�vai que mon squelette se levait et venait tirer les rideaux de mon lit. Je m'�veillai, et le voyant {Lub 1077} fort tranquille � la place o� je l'avais mis, je me rendormis tranquillement.

Mais le r�ve s'obstina, et cette petite fille dess�ch�e se livra � tant d'extravagances qu'elle me {Presse 4/5/1855 2} devint insupportable. Je me levai et la mis � la porte, apr�s quoi je dormis fort bien. Le lendemain elle recommen�a ses sottises; mais cette fois je me moquai d'elle, et elle prit le parti de rester sage, pendant tout le reste de l'hiver, sur ma commode.

Je reviens � Claudius. Il �tait moins fac�tieux que mon squelette, et je n'eus jamais avec lui, � cette �poque, que des conversations toutes p�dagogiques. Il retourna � Paris, et, charg� par moi de m'envoyer une centaine de volumes, il m'�crivit plusieurs fois pour me donner des renseignements et me demander mon go�t sur le choix des �ditions. Je voulais avoir � moi plusieurs ouvrages qui m'avaient �t� pr�t�s, une s�rie de po�tes que je ne connaissais pas, et divers trait�s �l�mentaires, je ne sais plus lesquels, dont Deschartres lui avait donn� la liste.

Je ne sais pas s'il chercha des pr�textes pour m'�crire plus souvent que de besoin; il n'y parut point jusqu'� une lettre tr�s-s�rieuse, un peu p�dante as et pourtant assez belle, qui, je m'en souviens, commen�ait ainsi: « Âme vraiment philosophique, vous avez bien raison, mais vous �tes la v�rit� qui tue. »

Je ne me souviens pas du reste, mais je sais que j'en fus �tonn�e et que je la montrai � Deschartres en lui demandant, avec une na�vet� compl�te, pourquoi ces grands �loges sur ma logique �taient m�l�s d'une sorte de reproche d�sesp�r�.

Deschartres n'�tait pas beaucoup plus expert que moi sur {CL 333} ces mati�res. Il fut �tonn� aussi, lut, relut et me dit avec candeur: « Je crois bien que cela veut �tre une d�claration d'amour. Qu'est-ce que vous avez donc �crit � ce gar�on?

— Je ne m'en souviens d�j� plus, lui dis-je. Peut-�tre quelques lignes sur La Bruy�re, dont je suis coiff�e pour le moment. Cela lui sert de pr�texte pour revenir, comme vous voyez, sur la conversation que nous avons eue tous les trois � sa derni�re visite.

— Oui, oui, j'y suis, dit Deschartres. Vous avez prononc�, de par vos moralistes chagrins, de si beaux {Lub 1078} anath�mes contre la soci�t�, que je vous ai dit: “ Quand on voit les choses si en noir, il n'y a qu'un parti � prendre, c'est de se faire religieuse! Vous voyez � quelles cons�quences stupides cela m�nerait un esprit aussi absolu que le v�tre. ” Claudius s'est r�cri�. Vous avez parl� de la vie de retraite et de renoncement d'une mani�re assez sp�cieuse, et � pr�sent ce jeune homme vous dit que vous n'avez d'amour que pour les choses abstraites et qu'il en mourra de chagrin.

— Esp�rons que non, r�pondis-je, mais je crois que vous vous trompez. Il me dit plut�t que mon d�tachement des choses du monde est contagieux, et qu'il tourne lui-m�me au scepticisme � cet endroit-l�. »

La lettre relue, nous nous convainqu�mes que ce n'�tait pas une d�claration, mais au contraire une adh�sion � ma mani�re de voir, un peu trop solennelle, et du ton d'un homme qui se pose en philosophe vainqueur des illusions de la vie.

En effet, Claudius m'�crivit d'autres lettres o� il s'expliqua nettement sur la r�solution qui s'�tait faite en lui depuis qu'il me connaissait. J'�tais � ses yeux un �tre sup�rieur qui avait d'un mot tranch� toutes ses irr�solutions. Il n'y avait de but que la science; la m�decine n'�tait qu'une {CL 334} branche secondaire; il voulait s'�lever aux id�es transcendantes, n'avoir pas d'autre passion, et demander aux sciences exactes le but de la cr�ation.

Ne cherchant plus de pr�textes pour m'�crire, il m'�crivit souvent at. Ses lettres avaient quelque valeur par leur sinc�rit� froide et tranchante. Deschartres trouva que ce commerce d'esprit ne m'�tait pas inutile, et rien ne lui sembla plus naturel qu'une correspondance s�rieuse entre deux jeunes gens qui eussent pu fort bien �tre �pris l'un de l'autre, tout en se parlant de Malebranche et consorts.

Il n'en fut pourtant rien. Claudius �tait trop p�dant pour ne pas trouver une sorte de satisfaction � ne pas �tre amoureux en d�pit de l'occasion. J'�tais trop �trang�re � tout sentiment de coquetterie, et encore trop �loign�e de la moindre notion d'amour, pour voir en lui autre chose qu'un professeur.

Ma vie s'arrangeait en cela et en plusieurs autres points pour une marche ind�pendante de tous les usages re�us dans le monde, et Deschartres, loin de me retenir, me {Lub 1079} poussait � ce que l'on appelle l'excentricit�, sans que ni lui ni moi en eussions le moindre soup�on. Un jour, il m'avait dit: « Je viens de rendre une visite au comte de V***, au et j'ai eu une belle surprise. Il chassait avec un jeune gar�on qu'� sa blouse et � sa casquette j'allais traiter peu c�r�monieusement, quand il m'a dit: “ C'est ma fille. Je la fais habiller ainsi en gamin pour qu'elle puisse courir avec moi, grimper et sauter sans �tre g�n�e par des v�tements qui rendent les femmes impotentes � l'�ge o� elles ont le plus besoin de d�velopper leurs forces. ” »

Ce comte de V*** s'occupait, je crois, d'id�es m�dicales, av et, � ses yeux, ce travestissement �tait une mesure d'hygi�ne excellente. Deschartres abondait dans son sens. N'ayant jamais �lev� que des gar�ons, je crois qu'il �tait press� de me voir en homme, afin de pouvoir se persuader {CL 335} que j'en �tais un. Mes jupes g�naient sa gravit� de cuistre; et il est certain que quand j'eus suivi son conseil et adopt� le sarrau masculin, la casquette et les gu�tres, il devint dix fois plus magister et m'�crasa sous son latin, s'imaginant que je le comprenais bien mieux.

Je trouvai, pour mon compte, mon nouveau costume bien plus agr�able, pour courir, que mes jupons brod�s qui restaient en morceaux accroch�s � tous les buissons. J'�tais devenue maigre et alerte, et il n'y avait pas si longtemps que je ne portais plus mon uniforme d'aide de camp de Murat, pour ne plus m'en souvenir.

Il faut se souvenir aussi qu'� cette �poque les jupes sans plis �taient si �troites, qu'une femme �tait litt�ralement comme dans un �tui et ne pouvait franchir d�cemment un ruisseau sans y laisser sa chaussure.

Deschartres avait la passion de la chasse, et il m'y emmenait quelquefois � force d'obsessions. Cela m'ennuyait, justement � cause de la difficult� de traverser les buissons qui sont multipli�s � l'infini et garnis d'�pines meurtri�res dans nos campagnes. J'aimais seulement la chasse aux cailles, avec le hallier et l'appeau, dans les bl�s verts. Il me faisait lever avant le jour aw. Couch�e dans un sillon, j'appelais, tandis qu'� l'autre extr�mit� du champ il rabattait le gibier. Nous rapportions tous les matins huit ou dix cailles vivantes � ma grand'm�re, qui les admirait et les plaignait beaucoup, mais qui, ne se nourrissant ax que de menu gibier, m'emp�chait de trop regretter le destin de ces pauvres cr�atures si jolies et si douces.

{Lub 1080} Deschartres, tr�s-affectueux pour moi et tr�s-pr�occup� de ma sant�, ne songeait plus � rien quand il entendait glousser ay la caille aupr�s de son filet. Je me laissais aussi emporter un peu � cet amusement sauvage de guetter et de saisir une proie. Aussi mon r�le d'appeleur, consistant � �tre couch�e dans les bl�s inond�s de la ros�e du matin, {CL 336} me ramena les douleurs aigu�s dans tous les membres que j'avais ressenties au couvent. Deschartres vit qu'un jour je ne pouvais monter sur mon cheval et qu'il fallait m'y porter. Les premiers pas de ma monture m'arrachaient des cris, et ce n'�tait qu'apr�s de vigoureux temps de galop aux premi�res ardeurs du soleil que je me sentais gu�rie. Il s'�tonna un peu et constata enfin que j'�tais couverte de rhumatismes. Ce lui fut une raison de plus pour me prescrire les exercices violents et l'habit masculin qui me permettait de m'y livrer.

Ma grand'm�re me vit ainsi et pleura. « Tu ressembles trop � ton p�re, me dit-elle. Habille-toi comme cela pour courir, mais rhabille-toi en femme en rentrant, pour que je ne m'y trompe pas, car cela me fait un mal affreux, et il y a des moments o� j'embrouille si bien le pass� avec le pr�sent, que je ne sais plus � quelle �poque j'en suis de ma vie. »

Ma mani�re d'�tre ressortait si naturellement de la position exceptionnelle o� je me trouvais, qu'il me paraissait tout simple de ne pas vivre comme la plupart des autres jeunes filles. On me jugea tr�s-bizarre, et pourtant je l'�tais infiniment moins que j'aurais pu az l'�tre si j'y eusse port� le go�t de l'affectation et de la singularit�. Abandonn�e � moi-m�me en toutes choses, ne trouvant plus de contr�le chez ma grand'm�re, oubli�e en quelque sorte de ma m�re, pouss�e � l'ind�pendance absolue par Deschartres, ne sentant en moi aucun trouble de l'�me ou des sens, et pensant toujours, malgr� la modification qui s'�tait faite dans mes id�es religieuses, � me retirer ba dans un couvent, avec ou sans voeux monastiques, ce qu'on appelait autour de moi l'opinion n'avait pour moi aucun sens, aucune valeur et ne me paraissait d'aucun usage.

Deschartres n'avait jamais vu bb le monde � un point de vue pratique. Dans son amour pour la domination, il {CL 337} n'acceptait aucune entrave � ses jugements, rapportant {Lub 1081} tout � sa sagesse, � son omnicomp�tence, infaillible � ses propres yeux,


Et comme du fumier regardait tout le monde, bc

except� ma grand'm�re, lui et moi; il ne riait pourtant pas comme moi de la critique. Elle le mettait en col�re; il s'indignait jusqu'� l'invective furibonde contre les sottes gens qui se permettaient de bl�mer mon peu d'�gards bd pour leurs coutumes.

Il faut dire aussi qu'il s'ennuyait. Il avait une vie be extraordinairement active, dont il lui fallait retrancher beaucoup depuis la maladie de ma grand'm�re. Il avait achet�, avec ses �conomies, un petit domaine � dix ou douze lieues de chez nous, o� il allait autrefois passer des semaines enti�res. N'osant plus d�coucher, dans la crainte de retrouver sa malade plus compromise, il commen�ait � �touffer dans son embonpoint bilieux. Et puis, surtout, il �tait priv� de la soci�t� de cette amie qui lui avait bf tenu lieu de tout ce qu'il avait ignor� dans la vie. Il avait besoin de s'attacher exclusivement � quelqu'un et de lui reporter l'admiration et l'engouement qu'il n'accordait � personne autre. J'�tais donc devenue son dieu, et peut-�tre plus encore que ma grand'm�re ne l'avait jamais �t�, puisqu'il me regardait comme son ouvrage et croyait pouvoir s'aimer en moi, comme dans un reflet de ses perfections intellectuelles bg.

Bien qu'il m'assomm�t souvent, je consentais � satisfaire son besoin de discuter et de disserter, en lui sacrifiant des heures que j'aurais pr�f�r� donner � mes propres recherches. Il croyait tout savoir et il se trompait. Mais comme il savait beaucoup de choses et poss�dait une m�moire admirable, il n'�tait pas ennuyeux � l'intelligence: seulement, il �tait fatigant pour le caract�re, � cause de l'exub�rance de vanit� du sien. Avec la figure la plus renfrogn�e bh et le langage le plus {CL 338} absolu qui se puissent imaginer, il avait soif bi de quelques moments de gaiet� et d'abandon. Il plaisantait lourdement, mais il riait de bon cœur quand je le plaisantais. Enfin il souffrait tout de moi, et, tandis qu'il prenait en aversion violente quiconque ne l'admirait pas, il ne pouvait se passer de mes contradictions et de mes taquineries bj. Ce dogue hargneux �tait un chien fid�le, et, mordant tout le monde, se laissait tirer les oreilles par l'enfant de la maison.

{Presse 5/5/1855 1; Lub 1082} Voil� par quel concours de circonstances toutes naturelles j'arrivai � scandaliser effroyablement les comm�res m�les et femelles de la ville de La Ch�tre. À cette �poque, aucune femme du pays ne se permettait de monter � cheval, si ce n'est en croupe de son valet des champs. Le costume, non pas seulement de gar�on pour les courses � pied, mais encore l'amazone et le chapeau rond �taient une abomination; l'�tude des os de mort, une profanation; la chasse bk, une destruction; l'�tude, une aberration, et mes relations bl enjou�es et tranquilles avec des jeunes gens, fils des amis de mon p�re, que je n'avais pas cess� de traiter comme des camarades d'enfance, et que je voyais, du reste, fort rarement, mais � qui je donnais une poign�e de main sans rougir et me troubler comme une dinde amoureuse, c'�tait de l'effronterie, de la d�pravation, que sais-je? Ma religion m�me fut un sujet de glose et de calomnie bm stupide. Était-il convenable d'�tre pieuse, quand on se permettait des choses si �tonnantes? Cela n'�tait pas possible. Il y avait l�-dessous quelque diablerie. Je me livrais aux sciences occultes. J'avais fait semblant une fois de communier, mais j'avais emport� l'hostie sainte dans mon mouchoir, on l'avait bien vu! J'avais donn� rendez-vous � Claudius et � ses fr�res, et nous en avions fait une cible; nous l'avions travers�e � coups de pistolet. Une autre fois j'�tais entr�e � cheval dans l'�glise, et le cur� m'avait chass�e au moment o� je caracolais {CL 339} autour bn du ma�tre-autel. C'�tait depuis ce jour-l� qu'on ne me voyait plus � la messe et que je n'approchais plus des sacrements. Andr�, mon pauvre page rustique, n'�tait pas bien net dans tout cela. C'�tait ou mon amant, ou une esp�ce d'appariteur, dont je me servais dans mes conjurations. On ne pouvait rien lui faire avouer de mes pratiques secr�tes; mais j'allais la nuit dans le cimeti�re d�terrer les cadavres avec Deschartres; je ne dormais jamais, je ne m'�tais pas mise au lit depuis un an. Les pistolets charg�s qu'Andr� avait toujours dans les fontes de sa selle en m'accompagnant bo � cheval, et les deux grands chiens qui nous suivaient n'�taient pas non plus une chose bien naturelle. Nous avions tir� sur des paysans, et des enfants avaient �t� �trangl�s par ma chienne Vell�da. Pourquoi non? Ma f�rocit� �tait bien connue. J'avais du plaisir � voir des bras cass�s bp et des t�tes fendues, et chaque fois qu'il y avait du sang � faire {Lub 1083} couler, Deschartres m'appelait pour m'en donner le divertissement.

Cela peut para�tre exag�r�. Je ne l'aurais pas cru moi-m�me, si, par la suite, je ne l'avais vu �crit. Il n'y a rien de plus b�tement m�chant que l'habitant des petites villes. Il en est m�me divertissant, et quand ces folies m'�taient rapport�es, j'en riais de bon cœur, ne me doutant gu�re qu'elles me causeraient plus tard de grands chagrins.

J'avais d�j� subi, de la part de ces imb�ciles, une petite pers�cution dont j'avais triomph�. Au milieu de l'�t�, � l'�poque o� ma grand'm�re �tait le mieux portante, j'avais dans� la bourr�e sans encombre � la f�te du village, en d�pit de menaces qui avaient �t� faites contre moi � mon insu. Voici � quelle occasion.

Je voyais souvent une bonne vieille fille qui demeurait � un quart de lieue de chez moi, dans la campagne. C'�tait encore Deschartres qui m'y avait men�e et qui la jugeait la plus honn�te personne du monde. Je crois encore qu'il {CL 340} ne s'�tait pas tromp�, car j'ai toujours vu cette bonne fille ou occup�e de son vieux oncle, qui mourait d'une maladie de langueur et qu'elle soignait avec une pi�t� vraiment filiale, ou vaquant aux soins de la campagne et du m�nage avec une activit� et une bonhomie touchantes. J'aimais son petit int�rieur demi-rustique tenu avec une propret� hollandaise bq, ses poules, son verger, ses galettes qu'elle tirait du four elle-m�me pour me les servir toutes chaudes. J'aimais surtout sa droiture, son bon sens, son d�vouement pour l'oncle, et le r�alisme de ses pr�occupations domestiques, qui me faisait descendre de mes nuages et se pr�sentait � moi avec un charme tr�s-pur et tr�s-bienfaisant.

Il lui vint une sœur qui me parut aussi tr�s-bonne femme br, mais dont il plut aux moralistes de la ville de penser et de dire beaucoup de mal; j'ai toujours ignor� pourquoi, et je crois encore qu'il n'y avait pas d'autre raison � cela que la fantaisie de diffamation qui d�vore les esprits provinciaux.

Il y avait une quinzaine de jours que cette sœur �tait au pays et je l'avais vue plusieurs fois. Elle me dit qu'elle viendrait � la f�te de notre village; elle y vint et je lui parlai comme � une personne que l'on conna�t sous de bons rapports.

Ce fut une indignation g�n�rale, et on d�cr�ta que je {Lub 1084} foulais aux pieds, avec affectation, toutes les convenances. C'�tait une insulte � l'opinion des messieurs et dames de la ville. Je ne me doutais de rien. Quelqu'un de charitable vint m'avertir, et comme, en somme, on ne me disait contre cette femme rien qui e�t le sens commun, je trouvai l�che de lui tourner le dos et continuai � lui parler chaque fois que je me trouvai aupr�s d'elle dans le mouvement de la f�te.

Plusieurs gar�ons judicieux, artisans et bourgeois, pr�tendirent que je le faisais � l'expr�s pour narguer le {CL 341} monde, et s'entendirent pour me faire ce qu'ils appelaient un affront, c'est-�-dire qu'ils ne me feraient pas danser. Je ne m'en aper�us pas du tout, car tous les paysans de chez nous m'invit�rent, et, comme de coutume, je ne savais � qui entendre.

Mais il para�t que je risquais bien de n'avoir pas l'honneur d'�tre invit�e par les gens de la ville, s'ils eussent �t� tous aussi b�tes les uns que les autres. Il se trouva que les premiers n'�taient pas en nombre, et que j'avais l� des amis inconnus qui s'entendirent pour conjurer l'orage: entre autres un tanneur � qui j'ai su toujours gr� bs de s'�tre pos� pour moi en chevalier dans cette belle affaire, quoique je ne lui eusse jamais parl�. Il se fit donc autour de lui un groupe toujours grossissant de mes d�fenseurs, et je dansai avec eux jusqu'� en �tre lasse, un peu �tonn�e de les voir si empress�s autour de moi qui ne les connaissais pas du tout, tandis que Deschartres se promenait � mes c�t�s d'un air terrible.

Il m'expliqua ensuite ce qui s'�tait pass�. Je lui reprochai de ne pas m'avoir avertie. J'aurais quitt� la f�te plut�t que de servir bt de pr�texte � quelque rixe. Mais ce n'�tait pas la mani�re de voir de Deschartres. « Je l'aurais bien voulu, s'�cria-t-il tout malade de n'avoir pas trouv� l'occasion d'�clater; j'aurais voulu qu'un de ces �nes d�t un mot qui me perm�t de lui casser bras et jambes! — Bah! lui dis-je, cela vous aurait forc� � les leur remettre, et vous avez bien assez de besogne sans cela. » Deschartres, exer�ant gratis, avait une grosse client�le.

Ce petit fait nous occupa fort peu l'un et l'autre, mais nous donna lieu de parler de l'opinion, et je pensai, pour la premi�re fois, � me demander quelle importance on devait y attacher.

{Lub 1085} Deschartres, qui �tait toujours en contradiction ouverte avec lui-m�me, ne s'en �tait jamais pr�occup� dans sa {CL 342} conduite et s'imaginait devoir la respecter en principe. Quant � moi, j'avais encore dans l'oreille toutes les paroles sacr�es, et celle-ci entre autres: « Malheur � celui par qui le scandale arrive! »

Mais il s'agissait de d�finir ce que c'est que le scandale. « Commen�ons par l�, disais-je � mon p�dagogue. Nous verrons ensuite � d�finir ce que c'est que l'opinion. — L'opinion, c'est tr�s-vague, disait Deschartres. Il y en a de toutes sortes. Il y a l'opinion des sages de l'antiquit�, qui n'est pas celle des modernes; celle des th�ologiens, qui n'est que controverse �ternelle; celle des gens du monde, qui varie encore selon les cultes bu. Il y a l'opinion des ignorants, qu'on doit nommer pr�jug�s; enfin, il y a celle des sots, qu'on doit m�priser profond�ment. Quant au scandale bv, c'est bien clair! C'est l'impudeur dans le mal, dans le vice bw, dans toutes les actions mauvaises.

— Vous dites l'impudeur dans le mal: il peut donc y avoir de la pudeur dans le vice, dans toutes les mauvaises actions?

— Non, c'est une mani�re de dire; mais enfin, une certaine honte des �garements o� l'on tombe est encore un hommage rendu � la morale publique.

— Oui et non, grand homme! Celui qui fait le mal par l�g�ret�, par entra�nement, par passion, enfin sans en avoir bien conscience, ne songe pas � s'en cacher. S'il peut oublier le jugement de Dieu, il n'est gu�re �tonnant qu'il oublie celui des hommes. Je plains sa folie. Mais celui qui se cache habilement et sait se pr�server du bl�me me para�t beaucoup plus odieux. Il p�che donc bien sciemment contre Dieu, celui-l�, puisqu'il y porte assez de r�flexion pour ne pas se laisser juger par les hommes. Je le m�prise!

{Presse 5/5/1855 2} — C'est tr�s-juste. Donc il ne faut avoir rien de mauvais � cacher.

{CL 343} — Croyez-vous que vous et moi, par exemple, nous ayons � rougir de quelque vice, de quelque penchant au mal?

— Non certainement.

— Alors, pourquoi crie-t-on au scandale autour de nous?

— Le fait de certaines imb�cillit�s ne prouve rien. {Lub 1086} Mais cependant il ne faudrait pas pousser � l'extr�me l'esprit d'ind�pendance que, dans cette occasion-ci, je partage avec vous. Vous �tes appel�e � vivre dans le monde; si telle ou telle chose innocente en soi-m�me, et que je juge sans inconv�nient, venait � blesser les id�es de votre entourage, il faudrait bien y renoncer.

— Cela d�pend, grand homme! Les choses indiff�rentes en elles-m�mes doivent �tre sacrifi�es au savoir-vivre, comme disait toujours ma pauvre bonne maman quand elle m'enseignait, et par le savoir-vivre elle entendait l'affection, l'obligeance, l'esprit de famille ou de charit�. Mais les choses qui sont essentiellement bonnes, peut-on et doit-on s'en abstenir parce qu'elles sont m�connues et mal interpr�t�es? Pour sauver l'honneur d'un parent ou d'un ami, on peut �tre forc� d'exposer le sien � des soup�ons. Pour lui sauver la vie, on peut �tre condamn� � mentir. Pour avoir assist� un malheureux �cras� � tort ou � raison sous le bl�me public, il arrive que l'intol�rance vous rend solidaire de la r�probation qui p�se sur lui. Je vois dans l'exercice de la charit� chr�tienne, qui est la premi�re de toutes les vertus, mille devoirs qui doivent scandaliser le monde. Donc, quand J�sus a dit: “ Si l'un de vous scandalise un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui avoir une pierre au cou et �tre jet� dans le fond de la mer, ” il a voulu parler de ce qui est le mal, et il l'a entendu d'une mani�re absolue toute conforme � sa doctrine. Il a dit de la p�cheresse: Que celui {CL 344} de vous qui est sans p�ch� lui jette la premi�re pierre, et ses enseignements aux disciples se r�sument ainsi: “ Supportez les injures, le bl�me, la calomnie bx, tous les genres de pers�cution de la part de ceux qui ne croient point en ma parole. ” — Or, ce que le monde appelle scandale n'est pas toujours le scandale, et ce qu'il appelle l'opinion n'est qu'une convention arbitraire qui change selon les temps, les lieux et les hommes.

— Sans doute, sans doute, disait Deschartres. V�rit� en de��, erreur au del�; mais le bon citoyen respecte les croyances du milieu o� il se trouve. Ce milieu se compose de sages et de fous, de gens capables et d'�tres stupides. Le choix n'est pas difficile � faire.

— Il y a donc deux opinions?

— Oui, la vraie et la fausse, m�res de toutes les autres nuances.

{Lub 1087} — S'il y en a deux, il n'y en a pas.

— Voyez le paradoxe!

— C'est comme pour l'Église orthodoxe, grand homme! Il n'y en a qu'une ou il n'y en a pas. Vous me dites que j'aurai � respecter le milieu o� la destin�e me jettera. C'est l� le paradoxe! Si ce milieu est mauvais, je ne le respecterai pas; je vous en avertis.

— Vous voil� encore avec votre fausse logique! Je vous ai enseign� la logique, mais vous allez � l'extr�me et rendez faux, par l'abus des cons�quences, ce qui est vrai au point de d�part. Le monde n'est pas infaillible, mais il a l'autorit�. Il faut, dans tous les doutes, s'en remettre � l'autorit�. Telle chose excellente en soi peut scandaliser.

Il faut s'en abstenir. by

— Non! Il faut la faire, mais avec prudence quelquefois. Il faut quelquefois se cacher pour faire le bien, malgr� le proverbe: tu te caches, donc tu fais mal.

— À la bonne heure, grand homme! Vous avez dit le {CL 345} mot: Prudence. C'est tout autre chose, cela. Il ne s'agit plus ni du bien, ni du mal, ni du scandale, ni de l'opinion � d�finir. Tout cela est vague dans l'ordre des choses humaines. Il faut avoir de la prudence! Eh bien! Je vous dis, moi, que la prudence est un agr�ment et un avantage personnels, mais que la conscience intime �tant le seul juge, � d�faut de juges absolument comp�tents dans la soci�t�, je me crois compl�tement libre de manquer de prudence, s'il me pla�t de supporter tout le bl�me et toutes les pers�cutions qui s'attachent aux devoirs p�rilleux et difficiles.

— C'est trop pr�sumer de vos forces. Vous ne trouverez pas la chose si ais�e que vous croyez, ou bien vous vous exposerez � de grands malheurs.

— Je ne me crois pas des forces extraordinaires. Je sais que je prendrai l� une t�che tr�s-rude; aussi je m'arrange � l'avance pour me la faire aussi l�g�re que possible. Pour cela, il y a un moyen tr�s-simple.

— Voyons!

— C'est de rompre d�s � pr�sent, d�s ce premier jour o� mes yeux s'ouvrent � l'incons�quence des choses humaines, avec le commerce de ce qu'on appelle le monde. Vivre dans la retraite en faisant le bien, soit dans un couvent, soit ici, ne qu�tant l'approbation de personne, {Lub 1088} n'ayant aucun besoin de la soci�t� banale des indiff�rents, me souciant de Dieu, de quelques amis et de moi-m�me, voil� tout. Qu'y a-t-il de si difficile! Ma grand'm�re n'a-t-elle pas arrang� ainsi toute la derni�re moiti� de sa vie? »

Quand je me laissais aller � la pens�e de reculer le plus possible le choix d'un �tat dans la vie; quand je parlais d'attendre l'�ge de vingt-cinq ou trente ans pour me d�cider au mariage ou � la profession religieuse, et de m'adonner, jusque-l�, � la science avec Deschartres, dans notre tranquille solitude de Nohant, il n'avait plus d'arguments {CL 346} pour me combattre, tant ce r�ve lui souriait aussi. Malgr� son peu d'imagination, il m'aidait � faire des ch�teaux en Espagne et finissait par croire qu'� force de m'inculquer la sagesse il m'avait rendue sup�rieure � lui-m�me.

Dans nos entretiens, je l'amenais donc presque toujours � mes conclusions, et m�me dans les choses d'enthousiasme o� il n'�tait certainement pas inf�rieur � moi. Tout en raillant son amour-propre et ses contradictions, je sentais fort bien qu'il �tait tout au moins mon �gal pour le cœur. Seulement, le mien, plus jeune et plus excit�, avait des �lans plus soutenus, et le sien, engourdi par l'�ge et l'habitude des soins mat�riels, avait besoin d'�tre r�veill� de temps en temps. Il affectait de pr�f�rer la sagesse � la vertu, et la raison � l'enthousiasme; mais, au fond, il avait bien r�ellement dans l'�me des vertus bz dont je n'avais encore que l'ambition, et une conscience du devoir qui lui faisait fouler aux pieds, � chaque instant, tous ses int�r�ts personnels.

Le r�sum� que je viens de faire de nos entretiens d'une semaine ou deux n'a pas �t� arrang� ca apr�s coup. J'ai chang� de point de vue plusieurs fois dans ma vie, sur la marche et le d�tail des choses en voie d'�claircissement et de progr�s; mais tout ce qui a �t� conclusion de philosophie � mon usage dans les choses essentielles a �t� r�gl� une fois pour toutes, la premi�re fois que mon esprit a �t� conduit par un fait d'exp�rience, frivole ou s�rieux, � se poser nettement la question du devoir. Quand j'avais, au couvent, des scrupules de d�votion, c'est-�-dire des incertitudes de jugement, je crois que j'�tais plus logique que l'abb� de Pr�mord et madame Alicia. Catholique, je ne voulais pas l'�tre � moiti� et {Lub 1089} croyais n'avoir pas touch� le but tant qu'un grain de sable m'avait fait tr�bucher. J'entreprenais l'impossible, parce que rien ne semble impossible aux enfants. Je croyais � quelque chose d'absolu qui {CL 347} n'existe pas pour l'humanit�, et dont la supr�me sagesse lui a refus� le secret. Aussit�t que je me crus fond�e � raisonner ma croyance et � l'�purer en lui cherchant l'appui et la sanction de mes meilleurs instincts, je n'eus plus de doute et je n'eus plus � revenir sur mes d�cisions. Ce ne fut pas force de caract�re. Les doutes ne reparurent pas, voil� tout.

Beaucoup de points importants furent ainsi tranch�s d�s lors en moi, avec ou sans Deschartres, avec et sans l'abb� cb de Pr�mord. Beaucoup d'autres rest�rent encore lettres closes cc, entre autres tout ce qui �tait relatif � l'amour ou au mariage. Le temps n'�tait pas venu pour moi d'y songer puisque aucune de ces fibres n'avait encore vibr� en moi.

Quand je me souviens de ces contentions d'esprit et de la joie que me donnaient tout � coup mes certitudes, il me semble bien que j'avais le ridicule des �coliers qui croient avoir d�couvert eux-m�mes la sagesse des si�cles; mais quand je me demande aujourd'hui, fort tranquillement et apr�s longue exp�rience de la vie, si j'avais raison de m�priser si hardiment les id�es fausses et les vains devoirs qui tuent la foi aux devoirs s�rieux, je trouve que je n'avais pas tort, et je sens que si c'�tait � recommencer, je ne ferais pas mieux.


Variantes

  1. 1810-1832 {CL} (cette inadvertance de l'�diteur est corrig�e dans la table des mati�res du T.3) ♦ 1819-1822 {Lub} (cette indavertance de l'�diteur est r�p�t�e dans la table des mati�res du T.1. Nous corrigeons)
  2. Chapitre 3. Sommaire {Ms}Chapitre dix-huiti�me {Presse}, {Lecou} ♦ Chapitre Cinqui�me {LP} ♦ V {CL}
  3. des gens de La Ch�tre {CL} ♦ des gens de La Ch�tre {Lub}
  4. la glace. / Ce r�sultat fut amen� d'une mani�re {Ms} ♦ la glace. / Pourtant la glace fut rompue d'une mani�re {Presse} et sq.
  5. M. Leblanc de Beaulieu {Ms} ♦ M. L*** de B*** {Presse} et sq. ♦ M. Leblanc de Beaulieu {Lub} (nous le suivons)
  6. �v�que de Soissons {Ms} ♦ �v�que de S*** {Presse} et sq. ♦ �v�que de Soissons {Lub} (nous le suivons)
  7. archev�que d'Arles {Ms} ♦ archev�que d'A*** {Presse} et sq. ♦ archev�que d'Arles {Lub} (nous le suivons)
  8. n� au Blanc {Ms} ♦ n� au B*** {Presse} et sq. ♦ n� au Blanc {Lub} (nous le suivons)
  9. � la ferme de Beaulieu {Ms} ♦ � la ferme de B*** {Presse} et sq. ♦ � la ferme de Beaulieu {Lub} (nous le suivons)
  10. boulevers�rent son esprit {Ms}, {Presse} ♦ bouleversaient son esprit {Lecou}, {LP} ♦ boulevers�rent son esprit {CL}
  11. laide. J'ai encore un des portraits tr�s flatt�s qu'elle donna � mon grand-p�re. Ma bonne maman {Ms}laide. J'ai encore un des portraits qu'elle donna � mon grand-p�re; mais elle �tait fort bien faite. Ma bonne maman {Presse} ♦ laide; mais elle �tait fort bien faite. J'ai encore un des portraits qu'elle donna � mon grand-p�re. Ma bonne maman {Lecou} et sq.
  12. imaginer. [Je ne le connaiss ... ray�] C'�tait {Ms}
  13. Ch�re maman, lui dit-il {Ms}Ch�re maman, lui dit-il {Presse} et sq.
  14. prise en tra�tre et n'irai pas par quatre chemins {Ms} ♦ prise en tra�tre et n'irai pas par quatre chemins {Presse} et sq.
  15. par un �lan de v�rit� {Ms} ♦ par l'�lan d'une v�rit� {Presse} et sq.
  16. cette [convalescence ray�] existence {Ms}
  17. m�me vieux cur� dont {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ m�me vieux dont {CL}
  18. voulut pas d'autre, {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ voulut pas d'autres, {CL}
  19. serez [avec lui ray�] anvecques lui {Ms}serez avecques lui {Presse} (La le�on de {Ms} �tait plus « correcte »: le paysan berrichon disant « anvec » ou « anc », pour « avec » – note de {Lub})
  20. [Plusieurs ray�] Quelques jours d'accablement f�brile succ�d�rent {Ms}Quelques jours d'accablement succ�d�rent {Presse} ♦ Quelques jours d'accablement f�brile succ�d�rent {Lecou} et sq.
  21. qualit�s [d'abn�gation, et de d�vouement ray�] [toutes ray�] les vertus chr�tiennes {Ms}
  22. quelque chose, [dans sa vie ray�] quand {Ms}
  23. du cœur et de [la pi�t� naturelle ray�] la raison {Ms} ♦ du sentiment et de la raison {Presse} et sq.
  24. pouvais d�sormais lui accorder {Ms} ♦ pouvais lui accorder {Presse} et sq.
  25. d'autre m�re [qu'elle ray�], il la regardait comme sienne. Et il s'en allait, {Ms} ♦ d'autre m�re, il la regardait comme la sienne; il s'en allait {Presse} et sq.
  26. de l'Église? [Crois-tu que �a te rende meilleure chr�tienne? ray�]. Il y a {Ms}
  27. pour moi seule, {Ms}pour moi seul, {Presse} et sq. pour moi seule, {Lub} r�tablissant la le�on originale, l'autre �tant fautive; nous le suivons
  28. et me gronderez {Ms} ♦ et me gronderiez {Presse} et sq.
  29. je le suis [encore plus ray�] autrement {Ms}
  30. je te gronde..... [...] enfant..... Mais {CL} ♦ je te gronde... [...] enfant... Mais {Lub}
  31. on assure..... {CL} ♦ on assure... {Lub}
  32. indignation [exag�r�e ray�] irr�sistible {Ms}
  33. n'exigent pas [l'aveu de la confession ray�] qu'on s'en confesse {Ms}
  34. puret� de mon [�me ray�] �tre {Ms}
  35. foi � un autre pr�tre qu'� celui-l� {Ms} ♦ foi en un autre pr�tre que celui-l� {Presse} et sq.
  36. jument [et qu'il nous aurait vers�s ray�] {Ms}
  37. gouvernante; [j'appr�tais, je faisais la cuisine avec eux, cueilllant les pommes ou cassant les œufs, et ray�] je les grondais {Ms}
  38. Mes [tendances ray�] sympathies {Ms}
  39. des [chr�tiens ray�] catholiques {Ms}
  40. trompaient [compl�tement ray�] comme j'essayai de me tromper moi-m�me {Ms} ♦ trompaient, comme j'avais essay� de me tromper moi-m�me {Presse} et sq.
  41. doivent [protection � la libert� morale ray�] une protection {Ms}
  42. [La personne ray�] Le jeune homme pour qui on [me supposait ray�] m'avait suppos� {Ms}
  43. et avait [occup� ray�] eu de la fortune. {Ms}
  44. point de d�part, l'ost�ologie. Il me les {Ms} ♦ point de d�part. Il me les {Presse} et sq.
  45. tr�s s�rieuse [et tr�s belle ray�], un peu p�dante {Ms}
  46. m'�crivit [beaucoup ray�] souvent {Ms}
  47. visite au comte de V..., {Ms}visite au comte de..., {Presse} ♦ visite au comte de ***, {Lecou} et sq. ♦ au comte de V***, {Lub} (que nous suivons, il en va de m�me au paragraphe suivant)
  48. Ce comte de V... s'est toujours occup� d'id�es m�dicales {Ms}Ce comte de *** s'occupait, je crois, d'id�es m�dicales {Presse} et sq.
  49. lever avec le jour {Ms} ♦ lever avant le jour {Presse} et sq.
  50. Mais qui [n'aimant que ray�] ne se nourrissant {Ms}
  51. entendait [r�ler ray�] glousser {Ms}
  52. moins que je n'aurais pu {Ms} ♦ moins que j'aurais pu {Presse} et sq.
  53. religieuses, [� prendre le voile ou ray�] � me retirer {Ms}
  54. Deschartres [n'e�t pas compt� ray�] n'avait jamais vu {Ms}
  55. regardant tout le monde, {Ms}, {Presse} ♦ regardait tout le monde, {Lecou} et sq.
  56. bl�mer [ma rupture avec ray�] mon peu d'�gards {Ms}
  57. Il avait eu une vie {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ Il avait une vie {CL} ♦ Il avait eu une vie {Lub} r�tablissant la le�on originale, l'autre faisant contresens; nous le suivons
  58. amie [� laquelle il avait consacr� toute son existence ray�] qui lui avait {Ms}
  59. intellectuelles. [Il avait donc grand besoin de moi et ray�] {Ms} ♦ intellectuelles {Presse} et sq.
  60. la figure la plus [rude ray�] refrogn�e {Ms}
  61. il avait [besoin de la ga�t� d'un autre ray�] soif {Ms}
  62. il [avait besoin d'�tre contredit et taquin� par moi ray�] ne pouvait se passer de mes contradctions et de mes taquineries {Ms}
  63. la [musique ray�] chasse {Ms}
  64. et [cette sorte de camaraderie s�rieuse ray�] mes relations {Ms}
  65. de glose et [d'�tonnement ray�] de calomnie {Ms}
  66. o� je [piaffais ray�] caracolais autour {Ms} ♦ o� je caracolais autour {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ o� je caracolais auteur {CL} (comme {Lub} nous corrigeons cette coquille de {CL})
  67. de sa selle [et j'�tais suivie de deux ray�] en m'accompagnant {Ms}
  68. du plaisir � voir [couper ray�] des bras [coup�s ray�] cass�s {Ms}
  69. propret� [flamande ray�] hollandaise {Ms}
  70. parut [tr�s brave aussi ray�] aussi une tr�s bonne femme {Ms} ♦ parut aussi tr�s bonne femme {Presse} et sq.
  71. � qui j'ai toujours su gr� {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ � qui j'ai su toujours gr� {CL}
  72. plut�t que de risquer de servir {Ms} ♦ plut�t que de servir {Presse} et sq.
  73. selon les castes {Ms} ♦ selon les cultes {Presse} et sq.
  74. profond�ment. [Il y a encore celle des gens de La Ch�tre � classer — Celle-l�? c'est quelque chose de tellement ignare, de tellement b�te brute... — Assez, assez, grand homme, je connais ce vocabulaire. Deschartres, si vous ne voulez pas rire des gens de La Ch�tre, n'en parlons pas, soyons s�rieux. Parlons du scandale ray�]. Quant au scandale {Ms}
  75. clair! C'est [le mal, c'est le vice, c'est l'impudeur dans le vice, ray�] l'impudeur dans le mal, dans le vice {Ms}
  76. le bl�me, [les coups, ray�], la calomnie {Ms}
  77. Il faut s'en abstenir? {Ms}, {Presse} ♦ Il faut s'en abstenir. {Lecou} et sq.{Lub} r�tablissant la le�on originale, l'absence de point d'interrogation faussant le sens; nous le suivons
  78. dans l'�me [toutes les ray�] des vertus {Ms}
  79. point �t� [r�v� ray�] arrang� {Ms} ♦ pas �t� arrang� {Presse} et sq.
  80. avec ou sans l'abb� {Ms}avec et sans l'abb� {Presse} et sq.{Lub} r�tablissant la le�on originale; nous le suivons
  81. rest�rent lettres closes {Ms} ♦ rest�rent encore lettres closes {Presse} et sq.

Notes