GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.3 [189]; Lub T.1 [957]} QUATRIÈME PARTIE
Du mysticisme � l'ind�pendance
1819-1832 a

{Presse 23/4/1855 1; CL T.3 [279]; Lub T.1 [1033]} IV b

Tristesses; promenades et r�veries. — Luttes contre le sommeil. — Premi�re lectures s�rieuses. — Le G�nie du christianisme et l'Imitation de J�sus-Christ. — La v�rit� absolue, la v�rit� relative. — Scrupules de conscience. — H�sitation entre le d�veloppement et l'abrutissement de l'esprit. — Solution. — L'abb� de Pr�mord. c — Mon opinion sur l'esprit des j�suites. — Lectures m�taphysiques. — La guerre des Grecs. — Deschartres prend parti pour le Grand Turc. — Leibniz. — Grande impuissance de mon cerveau: victoire de mon cœur. — Rel�chement dans les pratiques de la d�votion, avec un redoublement de foi. — Les �glises de campagne et de province. — Jean-Jacques Rousseau, le Contrat social.



Si ma destin�e m'e�t fait passer imm�diatement de la domination de ma grand'm�re � celle d'un mari ou � celle du couvent, il est possible que, soumise toujours � des influences accept�es, je n'eusse jamais �t� moi-m�me. Il n'y a gu�re d'initiative dans une nature endormie comme la mienne, et la d�votion sans examen, qui allait si bien � ma langueur d'esprit, m'e�t interdit de demander � ma raison la sanction de ma foi. Les petits efforts, insensibles en apparence, mais continuels, de ma grand'm�re pour m'ouvrir les yeux ne produisaient qu'une sorte de r�action int�rieure. Un mari voltairien comme elle e�t fait pis encore. Ce n'�tait pas par l'esprit que je pouvais �tre modifi�e; n'ayant pas d'esprit du tout, j'�tais insensible � la raillerie, que, d'ailleurs, je ne comprenais pas toujours.

Mais il �tait d�cid� par le sort que d�s l'�ge de dix-sept ans il y aurait pour moi un temps d'arr�t dans les influences ext�rieures, et que je m'appartiendrais enti�rement pendant {CL 280} pr�s d'une ann�e, pour devenir, en bien ou en mal, ce que je devais �tre � peu pr�s tout le reste de ma vie.

{Lub 1034} Il est rare qu'un enfant de famille, un enfant de mon sexe surtout, se trouve abandonn� si jeune � sa propre gouverne. Ma grand'm�re paralys�e n'eut plus, m�me dans ses moments les plus lucides, la moindre pens�e de direction morale ou intellectuelle � mon �gard. Toujours tendre et caressante, elle s'inqui�tait encore quelquefois de ma sant�; mais toute autre d pr�occupation, m�me celle de mon mariage, qu'elle ne pouvait plus traiter par lettres, sembla �cart�e de son souvenir.

Ma m�re ne vint pas, malgr� ma pri�re, disant que l'�tat de ma grand'm�re pouvait se prolonger ind�finiment, et qu'elle ne devait e pas quitter Caroline. Je dus me rendre � cette bonne raison et accepter la solitude.

Deschartres, abattu d'abord, puis r�sign�, sembla changer enti�rement de caract�re avec moi. Il me remit, bon gr�, mal gr�, tous ses pouvoirs, exigea que je tinsse la comptabilit� de la maison, que tous les ordres vinssent de moi, et me traita comme une personne m�re, capable de diriger les autres et soi-m�me.

C'�tait beaucoup pr�sumer de ma capacit�, et cependant bien lui en prit, comme on le verra par la suite.

Je n'eus pas de grandes peines � me donner pour maintenir l'ordre �tabli dans la maison. Tous les domestiques �taient fid�les. Comme fermier, Deschartres continuait � diriger les travaux de la campagne, auxquels il m'e�t �t� impossible de rien entendre, malgr� tous ses efforts ant�rieurs pour m'y faire prendre go�t. J'�tais n�e amateur, et rien de plus.

Ce pauvre Deschartres, voyant que l'�tat de ma grand'm�re, en me privant de mon unique et de ma plus douce soci�t� intellectuelle, me jetait dans un ennui et dans un d�couragement profonds, que je maigrissais � vue d'œil {CL 281} et que ma sant� s'alt�rait sensiblement, fit tout son possible pour me distraire et me secouer. Il me donna Colette en toute propri�t�, et m�me, pour me rendre le go�t de l'�quitation, que je perdais avec mon activit�, il m'amena toutes les pouliches et tous les poulains de ses domaines, me priant, apr�s les avoir essay�s, de m'en servir pour varier mes plaisirs. Ces essais lui co�t�rent plus d'une chute sur le pr�, et il fut forc� de convenir que, sans rien savoir, j'�tais plus solide que lui, qui se piquait de th�orie. Il �tait si roide et si compass� � cheval, qu'il s'y fatiguait vite, et j'allais trop vite aussi pour lui. Il me donna {Lub 1035} donc pour �cuyer, ou plut�t pour page le petit Andr�, qui �tait solide comme un singe attach� � un poney; et, me suppliant de ne point passer un jour sans promenade, il nous laissa courir les champs de compagnie.

Revenant toujours � Colette, � l'adresse et � l'esprit de laquelle rien ne pouvait �tre compar�, je pris donc l'habitude de faire tous les matins huit ou dix lieues en quatre heures, m'arr�tant quelquefois dans une ferme pour prendre une jatte de lait, marchant � l'aventure, explorant le pays au hasard, passant partout, m�me dans les endroits r�put�s impossibles, et me laissant aller � des r�veries sans fin, qu'Andr�, tr�s-bien styl� par Deschartres, ne se permettait pas d'interrompre par la moindre r�flexion. Il ne retrouvait son esprit naturel que lorsque je m'arr�tais pour manger, parce que j'exigeais qu'il s'ass�t alors comme par le pass�, � la m�me table que moi chez les paysans; et l�, r�sumant les impressions de la promenade, il m'�gayait de ses remarques na�ves et de son parler berrichon. À peine remis en selle, il redevenait muet, consigne que je n'aurais pas song� � lui imposer, mais que je trouvais fort agr�able, car cette r�verie au galop, ou cet oubli de toutes choses que le spectacle de la nature nous procure, pendant que le cheval au pas, abandonn� � lui-m�me, s'arr�te pour {CL 282} brouter les buissons sans qu'on s'en aper�oive; cette succession lente ou rapide de paysages, tant�t mornes, tant�t d�licieux; cette absence de but, ce laisser passer du temps qui s'envole; ces rencontres pittoresques de troupeaux ou d'oiseaux voyageurs; le doux bruit de l'eau qui clapote sous les pieds des chevaux; tout ce qui est repos ou mouvement, spectacle des yeux ou sommeil de l'�me dans la promenade solitaire, s'emparait de moi et suspendait absolument le cours de mes r�flexions et le souvenir de mes tristesses.

Je devins donc tout � fait po�te, et po�te exclusivement par les go�ts et le caract�re, sans m'en apercevoir et sans le savoir. O� je ne cherchais qu'un d�lassement tout physique, je trouvai une intarissable source de jouissances morales que j'aurais �t� bien embarrass�e de d�finir, mais qui me ranimait et me renouvelait chaque jour davantage.

Si l'inqui�tude ne m'e�t ramen�e aupr�s de ma pauvre malade, je me serais oubli�e, je crois, des jours entiers {Lub 1036} dans ces courses; mais comme je sortais de grand'matin, presque toujours � la premi�re aube, aussit�t que le soleil commen�ait � me frapper sur la t�te, je reprenais au galop le chemin de la maison. Je m'apercevais souvent alors que le pauvre Andr� �tait accabl� de fatigue; je m'en �tonnais toujours, car je n'ai jamais vu la fin de mes forces � cheval, o� je crois que les femmes, par leur position en selle et la souplesse de leurs membres, peuvent, en effet, tenir beaucoup plus longtemps que les hommes.

Je c�dais cependant quelquefois Colette � mon petit page, afin de le reposer par la douceur de son allure, et je montais ou la vieille jument normande qui avait sauv� la vie � mon p�re dans plus d'une bataille par son intelligence et la fid�lit� de ses mouvements, ou le terrible g�n�ral P�p� qui avait des coups de reins formidables; mais {CL 283} je n'en �tais pas plus lasse au retour, et je rentrais beaucoup plus �veill�e et active que je n'�tais partie.

C'est gr�ce � ce mouvement salutaire que je sentis tout � coup ma r�solution de m'instruire cesser d'�tre un devoir p�nible et devenir un attrait tout-puissant par lui-m�me. D'abord, sous le coup du chagrin et de l'inqui�tude, j'avais essay� de tromper les longues heures que je passais aupr�s de ma malade, en lisant des romans de Florian, de madame de Genlis et de Van der Welde f. Ces derniers me parurent charmants; mais ces lectures, entrecoup�es par les soins et les anxi�t�s que m'imposait ma situation de garde-malade, ne laiss�rent presque rien dans mon esprit, et, � mesure que la crainte g de la mort s'�loignait pour faire place en moi � une m�lancolique et tendre habitude de soins quasi maternels, je revins � des lectures plus s�rieuses, qui bient�t m'attach�rent passionn�ment.

J'avais eu d'abord � lutter contre le sommeil, et je puisais sans cesse dans la tabati�re de ma bonne maman pour ne pas succomber � l'atmosph�re sombre et ti�de de sa chambre. Je pris aussi beaucoup de caf� noir sans sucre, et m�me de l'eau-de-vie quelquefois, pour ne pas m'endormir quand elle voulait causer toute la nuit; car il lui arrivait de temps en temps de prendre la nuit pour le jour, et de se f�cher de l'obscurit� et du silence o� nous voulions, disait-elle, la tenir. Julie et Deschartres essay�rent quelquefois d'ouvrir les fen�tres, pour lui montrer qu'il faisait nuit en effet. Alors elle s'affligeait {Lub 1037} profond�ment, disant qu'elle �tait bien s�re que nous �tions en plein midi, et qu'elle devenait aveugle, puisqu'elle ne voyait pas le soleil.

Nous pens�mes qu'il valait mieux lui c�der en toute chose et d�tourner surtout la tristesse. Nous allumions donc beaucoup de bougies derri�re son lit et lui laissions croire qu'elle voyait la clart� du jour. Nous nous tenions �veill�s autour d'elle, et pr�ts � lui r�pondre quand, � {CL 284} tout moment, elle sortait de sa somnolence pour nous parler.

{Presse 24/4/1855 1} Les commencements de cette existence bizarre me furent tr�s-p�nibles. J'avais un imp�rieux besoin du peu de sommeil que je m'�tais accord� pr�c�demment. Je grandissais encore. Mon d�veloppement, contrari� par ce genre de vie, devenait une angoisse nerveuse indicible. Les excitants, que j'abhorrais comme antipathiques � ma tendance calme, me causaient des maux d'estomac et ne me r�veillaient pas.

Mais la reprise de l'�quitation impos�e par Deschartres m'ayant fait en peu de jours une sant� et une force nouvelles, je pus m'�veiller et travailler sans stimulants comme sans fatigue, et c'est alors seulement que, sentant changer en moi mon organisation physique, je trouvai dans l'�tude un plaisir et une facilit� que je ne connaissais pas.

C'�tait mon confesseur, le cur� de La Ch�tre, qui m'avait pr�t� le G�nie du christianisme. Depuis six semaines je n'avais pu me d�cider � le rouvrir, l'ayant ferm� sur une page qui marquait une si vive douleur dans ma vie. Il me le redemanda. Je le priai d'attendre encore un peu et me r�solus � le recommencer pour le lire en entier avec r�flexion, ainsi qu'il me le recommandait.

Chose �trange, cette lecture destin�e par mon confesseur � river mon esprit au catholicisme, produisit en moi l'effet tout contraire de m'en d�tacher pour jamais. Je d�vorai le livre, je l'aimai passionn�ment, fond et forme, d�fauts et qualit�s. Je le fermai, persuad�e que mon �me avait grandi de cent coud�es; que cette lecture avait �t� pour moi un second effet du Tolle, lege de saint Augustin; que d�sormais j'avais acquis une force de persuasion � toute �preuve, et que non-seulement je pouvais tout lire, mais encore que je devais �tudier tous les philosophes, tous les profanes, tous les h�r�tiques, avec la douce {Lub 1038} certitude de trouver dans leurs erreurs la confirmation et la garantie de ma foi.

{CL 285} Un instant renouvel�e dans mon ardeur religieuse, que l'isolement h et la tristesse de ma situation avaient beaucoup refroidie, je sentis ma d�votion se redorer de tout le prestige de la po�sie romantique. La foi ne se fit plus sentir comme une passion aveugle, mais comme une lumi�re �clatante. Jean Gerson m'avait tenue longtemps sous la cloche, doucement pesante, de l'humilit� d'esprit, de l'an�antissement de toute r�flexion, de l'absorption en Dieu et du m�pris pour la science humaine, avec un salutaire m�lange de crainte de ma propre faiblesse. L'Imitation de J�sus-Christ n'�tait plus mon guide. Le saint des anciens jours perdait son influence; Chateaubriand, l'homme de sentiment et d'enthousiasme, devenait mon pr�tre et mon initiateur. Je ne voyais pas le po�te sceptique, l'homme de la gloire mondaine, sous ce catholique d�g�n�r� des temps i modernes.

Ceci ne fut point ma faute et je ne songeai pas � m'en confesser. Le confesseur lui-m�me avait mis le poison dans mes mains. Je m'en �tais nourrie de confiance. L'ab�me de l'examen �tait ouvert, et je devais y descendre, non, comme Dante j, sur le tard de la vie, mais � la fleur de mes ans et dans toute la clart� de mon premier r�veil k.

H�las! Toi seul es logique, toi seul es r�ellement catholique, p�cheur converti, assassin de Jean Huss l, coupable et repentant Gerson! C'est toi qui as dit:

« Mon fils, ne vous laissez point toucher par la beaut� et la finesse des discours des hommes. Ne lisez jamais ma parole dans l'intetion d'�tre plus habile ou plus sage. Vous profiterez plus � approfondir le mal en vous-m�me qu'� approfondir des questions difficiles.

» Apr�s beaucoup de lectures et de connaissances, il en faut toujours revenir � un seul principe: C'est moi qui donne la science aux hommes, et j'accorde aux petits une intelligence plus claire que les hommes n'en peuvent communiquer.

{CL 286} » Un temps viendra o� J�sus-Christ, le ma�tre des ma�tres, le seigneur des anges, para�tra pour entendre les le�ons de tous les hommes, c'est-�-dire pour examiner la conscience de chacun. Alors, la lampe � la main, il visitera les recoins de J�rusalem, et ce qui �tait cach� dans les {Lub 1039} t�n�bres sera mis au jour, et les raisonnements des hommes n'auront point de lieu.

» C'est moi qui �l�ve un esprit humble, au point qu'il p�n�tre en un moment plus de secrets de la v�rit� �ternelle qu'un autre n'en apprendrait dans les �coles en dix ann�es d'�tude. — J'instruis sans bruit de paroles, sans m�lange d'opinions, sans faste d'honneur et sans agitation d'arguments...

» Mon fils, ne sois point curieux, et ne te charges point de soins inutiles.

» Qu'est-ce que ceci ou cela vous regarde ? Pour vous, suivez-moi!

» En effet, que vous importe que celui-ci soit de telle ou telle humeur? que celui-l� agisse ou parle de telle ou telle mani�re?

» Vous n'avez point � r�pondre pour les autres. Vous rendrez compte pour vous-m�me. De quoi vous embarrassez-vous donc?

» Je connais tous les hommes; je vois tout ce qui se passe sous le soleil, et je sais l'�tat de chacun en particulier, ce qu'il pense, ce qu'il d�sire, � quoi tendent ses desseins...

» Ne vous mettez point en peine de choses qui sont une source de distractions et de grands obscurcissements du cœur. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Apprenez � ob�ir, poussi�re que vous �tes! apprenez, terre et boue, � vous abaisser sous les pieds de tout le monde. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Demeure ferme et esp�re en moi, car, que sont des paroles, {CL 287} sinon des paroles? Elles frappent l'air, mais elles ne blessent point la pierre. . . . . . . . . . . . . . . . .

» L'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison, et il ne faut point ajouter foi � ceux qui diront: Le Christ est ici, ou: Il est l�!. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Ne te r�jouis en aucune chose, mais dans le m�pris de toi-m�me et dans l'accomplissement de ma seule volont�. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Quitte-toi toi-m�me, et tu me trouveras. Demeure sans choix et sans propri�t� d'aucune chose, et tu gagneras ainsi beaucoup.

» Tu t'abandonneras ainsi toujours, � toute heure, dans les petites choses comme dans les grandes. Je n'excepte rien. Je veux, en tout, te trouver d�gag� de tout.

{Lub 1040} » Quitte-toi, r�signe-toi. Donne tout pour tout. Ne cherche rien, ne reprends rien, et tu me poss�deras. Tu auras la libert� du cœur, et les t�n�bres ne t'offusqueront plus.

» Que tes efforts, et tes pri�res, et tes d�sirs aient pour but de te d�pouiller de toute propri�t�, et de suivre, nu, J�sus-Christ nu, de mourir � toi-m�me et de vivre �ternellement � moi. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Rougissez, Sidon, dit la mer!... Rougissez donc, serviteurs paresseux et plaintifs, de voir que les gens du monde sont plus ardents pour leur perte que vous ne l'�tes pour votre salut ! »

Voil�, non pas le v�ritable m esprit de l'Évangile, mais la v�ritable loi du pr�tre, la vraie prescription de l'Église orthodoxe n: « Quitte-toi, ab�me-toi, m�prise-toi; d�truis ta raison, confonds ton jugement; fuis le bruit des paroles humaines. Rampe, et fais-toi poussi�re sous la loi du myst�re divin; n'aime rien, n'�tudie rien, ne sache rien, ne poss�de rien, ni dans tes mains ni dans ton �me. Deviens une abstraction fondue et prostern�e dans l'abstraction o {CL 288} divine; m�prise l'humanit�, d�truis la nature; fais de toi une poign�e p de cendres, et tu seras heureux. Pour avoir tout, il faut tout quitter. » Ainsi se r�sume ce livre � la fois sublime et stupide, qui peut faire des saints, mais qui ne fera jamais un homme.

{Presse 27/4/1855 1} J'ai dit sans aigreur et sans d�dain, j'esp�re, les d�lices de la d�votion contemplative. Je n'ai point combattu en moi le souvenir tendre et reconnaissant de l'�ducation monastique. J'ai jug� le pass� de mon cœur avec mon cœur. Je ch�ris et b�nis encore les �tres qui m'ont plong�e dans ces extases par le doux magn�tisme de leur ang�lique simplicit�. On me pardonnera bien, par la suite, � quelque croyance qu'on appartienne, de me juger moi-m�me et d'analyser l'essence des choses dont on m'a nourrie q.

Si on ne me le pardonnait pas, je n'en serais pas moins sinc�re. Ce livre n'est pas une protestation syst�matique. Dieu me garde d'alt�rer pour moi, par un parti pris d'avance, le charme de mes propres souvenirs; mais c'est l'histoire de ma vie, et, dans tout ce que j'en veux dire, je veux �tre vraie r.

Je n'h�siterai donc pas � le dire: le catholicisme de Jean Gerson est anti-�vang�lique, et, pris au pied de la lettre, c'est une doctrine d'abominable �go�sme. Je m'en {Lub 1041} aper�us le jour o� je le comparai, non avec le G�nie du christianisme, qui est un livre d'art, et nullement un livre de doctrine, mais avec toutes les pens�es que ce livre d'art me sugg�ra. Je sentis qu'il y avait une lutte ouverte en moi, et compl�te, entre l'esprit et le r�sultat de ces deux lectures. D'un c�t�, l'annihilation absolue de l'intelligence et du cœur en vue du salut personnel; de l'autre, le d�veloppement de l'esprit et du sentiment, en vue de la religion commune.

Je relus alors l'Imitation dans l'exemplaire que m'avait {CL 289} donn� Marie Alicia*, et qui est encore l� sous mes yeux, avec le nom, �crit de cette main ch�rie et v�n�r�e. — Je savais par cœur ce chef-d'œuvre de forme et d'�loquente concision. Il m'avait charm�e et persuad�e de tout point s; mais la logique est puissante dans le cœur des enfants. Ils ne connaissent pas le sophisme et les capitulations de conscience. L'Imitation est le livre du clo�tre par excellence, c'est le code du tonsur�. Il est mortel � l'�me de quiconque n'a pas rompu avec la soci�t� des hommes et les devoirs de la vie humaine. Aussi avais-je rompu, dans mon �me et dans ma volont�, avec les devoirs de fille, de sœur, d'�pouse et de m�re; je m'�tais d�vou�e � l'�ternelle solitude en buvant � cette source de b�ate personnalit�.

* Traduction du j�suite Gonnelieu, 17....

En le relisant apr�s le G�nie du christianisme, il me sembla enti�rement nouveau, et je vis toutes les cons�quences terribles de son application dans la pratique de la vie. Il me commandait d'oublier toute affection terrestre, d'�teindre toute piti� dans mon sein, de briser tous les liens t de la famille, de n'avoir en vue que moi-m�me et de laisser tous les autres au jugement de Dieu. Je commen�ai � �tre effray�e et � me repentir s�rieusement d'avoir march� entre la famille et le clo�tre sans prendre un parti d�cisif. Trop sensible au chagrin de mes parents ou au besoin qu'ils pouvaient avoir de moi, j'avais �t� irr�solue, craintive. J'avais laiss� mon z�le se refroidir, ma r�solution vaciller et se changer en un vague d�sir m�l� d'impuissants regrets u. J'avais fait de nombreuses concessions � ma grand'm�re, qui voulait me voir instruite et lettr�e. J'�tais le serviteur paresseux et plaintif, qui ne se veut point d�gager de toute affection charnelle et de {Lub 1042} toute condescendance particuli�re. J'avais donc r�pudi� la doctrine, � partir du jour v o�, c�dant aux ordres de mon directeur, j'�tais devenue {CL 290} gaie, affectueuse, obligeante avec mes compagnes, soumise et d�vou�e envers mes parents. Tout �tait coupable en moi, m�me mon admiration pour sœur H�l�ne, m�me mon amiti� pour Marie Alicia w, m�me ma sollicitude pour ma grand'm�re infirme... Tout �tait criminel dans ma conscience et dans ma conduite, — Ou bien le livre, le divin livre avait menti.

Pourquoi donc alors le docte et savant abb� de Pr�mord, qui me voulait aimante et charitable, pourquoi ma douce m�re Alicia, qui repoussait l'id�e de ma vocation religieuse, m'avaient-ils donn� et recommand� ce livre? Il y avait l� une incons�quence �norme x; car, sans m'amener � la pratique v�ritable de l'insensibilit� pour les autres, le livre m'avait fait du mal. Il m'avait tenue dans un juste milieu entre l'inspiration y c�leste et les sollicitudes terrestres. Il m'avait emp�ch�e d'embrasser avec franchise les go�ts de la vie domestique et les aptitudes de la famille. Il m'avait amen�e � une morne r�volte z int�rieure, dont ma soumission passive �tait la manifestation, trop cruelle si elle e�t �t� comprise! J'avais tromp� ma grand'm�re par le silence aa, quand elle croyait m'avoir convaincue. Et qui sait si ses chagrins, ses susceptibilit�s, ses injustices n'avaient pas rencontr� ab en moi une cause secr�te qui les l�gitimait, encore qu'elle l'ignor�t? Elle avait souvent trouv� mes caresses froides et mes promesses ac �vasives. Peut-�tre avait-elle senti en moi, sans pouvoir s'en rendre compte, un obstacle � la s�curit� de sa tendresse.

De plus en plus �pouvant�e par mes r�flexions, je m'affligeai profond�ment de la faiblesse de mon caract�re et de l'obscurcissement de mon esprit, qui ne m'avaient pas permis de suivre une route �vidente et droite. J'�tais d'autant plus d�sol�e que je m'avisais de cela alors qu'il �tait trop tard pour le r�parer, et au lendemain du malheureux jour o� ma grand'm�re avait perdu la facult� de comprendre {CL 291} mon retour � ses id�es sur mon pr�sent et mon avenir ad.

Tout �tait consomm� maintenant, qu'elle v�c�t infirme de corps et d'�me pendant un an ou dix, ma place assidue �tait bien marqu�e � ses c�t�s; mais pour la suite {Lub 1043} de mon existence, il me fallait faire un choix entre le ciel et la terre; ou la manne d'asc�tisme dont je m'�tais � moiti� nourrie �tait un aliment pernicieux dont il fallait � tout jamais me d�barrasser, ou bien le livre avait raison, je devais repousser l'art et la science ae, et la po�sie, et le raisonnement, et l'amiti� et la famille; passer les jours et les nuits en extase et en pri�res aupr�s de ma moribonde, et, de l�, divorcer avec toutes choses et m'envoler vers les lieux saints pour ne jamais redescendre dans le commerce de l'humanit�.

Voici ce que Chateaubriand r�pondait � ma logique exalt�e:

« Les d�fenseurs des chr�tiens tomb�rent (au dix-huiti�me si�cle) af dans une faute qui les avait d�j� perdus. Ils ne s'aper�urent pas qu'il ne s'agissait plus de discuter tel ou tel dogme, puisqu'on rejetait absolument les bases. En partant de la mission de J�sus-Christ, et remontant de cons�quence en cons�quence, ils �tablissaient sans doute fort solidement les v�rit�s de la foi ; mais cette mani�re d'argumenter, bonne au dix-septi�me si�cle, lorsque le fond n'�tait point contest�, ne valait plus rien de nos jours. Il fallait prendre la route contraire, passer de l'effet � la cause, ne pas prouver que le christianisme est excellent parce qu'il vient de Dieu, mais qu'il vient de Dieu parce qu'il est excellent ag. . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

» Il fallait prouver que, de toutes les religions qui ont jamais exist�, la religion chr�tienne est la plus po�tique, la plus humaine, la plus favorable � la libert�, aux arts et aux lettres.... On devait montrer qu'il n'y a rien de {CL 292} plus divin que sa morale; rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte. On devait dire qu'elle favorise le g�nie, �pure le go�t, d�veloppe les passions vertueuses, donne de la vigueur � la pens�e,.... qu'il n'y a point de honte � croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine; enfin, il fallait appeler tous les enchantements de l'imagination et tous les int�r�ts du cœur au secours de cette m�me religion contre laquelle on les avait arm�s. . . . . . . . . . . . .

» Mais n'y a-t-il pas de danger � envisager la religion sous un jour parfaitement humain? Et pourquoi? Notre religion craint-elle la lumi�re? Une grande preuve de sa c�leste origine, c'est qu'elle souffre l'examen le plus {Lub 1044} s�v�re et le plus minutieux de la raison. Veut-on qu'on nous fasse �ternellement le reproche de cacher nos dogmes dans une nuit sainte, de peur qu'on n'en d�couvre la fausset�? Le christianisme sera-t-il moins vrai parce qu'il para�tra plus beau? Bannissons une frayeur pusillanime. Par exc�s de religion, ne laissons pas la religion p�rir. Nous ne sommes plus dans le temps o� il �tait bon de dire: Croyez, et n'examinez pas. On examinera malgr� nous, et notre silence timide, aug mentant le triomphe des incr�dules, diminuera le nombre des fid�les. »

On voit que la question �tait bien nettement pos�e devant mes yeux. D'une part, abrutir en soi-m�me tout ce qui n'est pas la contemplation imm�diate de Dieu seul; de l'autre, chercher autour de soi et s'assimiler tout ce qui peut donner � l'�me des �l�ments de force et de vie pour rendre gloire � Dieu. L'alpha et l'om�ga de la doctrine. « Soyons boue et poussi�re. — Soyons flamme ah et lumi�re. — N'examinez rien si vous voulez croire. — Pour tout croire, il faut tout examiner. » À qui entendre?

{CL 293} L'un de ces livres �tait-il compl�tement h�r�tique? Lequel? Tous deux m'avaient �t� donn�s par les directeurs de ma conscience. Il y avait donc deux v�rit�s contradictoires dans le sein de l'Église ai? Chateaubriand proclamait la v�rit� relative. Gerson la d�clarait absolue.

J'�tais dans de grandes perplexit�s aj. Au galop de Colette, j'�tais tout Chateaubriand. À la clart� de ma lampe, j'�tais tout Gerson et me reprochais le soir mes pens�es du matin.

Une consid�ration ext�rieure donna la victoire au n�o-chr�tien. Ma grand'm�re avait �t� de nouveau, pendant ak quelques jours, en danger de mort. Je m'�tais cruellement tourment�e de l'id�e qu'elle {Presse 27/4/1855 2} ne se r�concilierait pas avec la religion et mourrait sans sacrements; mais, bien qu'elle e�t �t� parfois en �tat de m'entendre, je n'avais pas os� lui dire un mot qui p�t l'�clairer sur son �tat et la faire condescendre � mes d�sirs. Ma foi m'ordonnait cependant imp�rieusement cette tentative: mon cœur me l'interdisait avec plus d'�nergie encore.

J'eus d'affreuses angoisses � ce sujet, et tous mes scrupules et cas de conscience du couvent me revinrent. Apr�s des nuits d'�pouvante et des jours de d�tresse, j'�crivis � l'abb� de Pr�mord pour lui demander de {Lub 1045} dicter al :ma conduite et lui avouer toutes les faiblesses de mon affection filiale. Loin de les condamner, l'excellent homme les approuva: « Vous avez mille fois bien agi, ma pauvre enfant, en gardant le silence, m'�crivait-il dans une longue lettre pleine de tol�rance et de suavit�. Dire � votre grand'm�re qu'elle �tait en danger, c'e�t �t� la tuer. Prendre l'initiative dans l'affaire d�licate de sa conversion, cela serait contraire au respect que vous lui devez. Une telle inconvenance e�t �t� vivement sentie par elle et l'e�t peut-�tre �loign�e sans retour des sacrements. Vous avez �t� bien inspir�e de vous taire {CL 294} et de prier Dieu de l'assister directement. N'ayez jamais d'effroi quand c'est votre cœur qui vous conseille: le cœur ne peut pas tromper. Priez toujours, esp�rez, et, quelle que soit la fin de votre pauvre grand'm�re, comptez sur la sagesse et la mis�ricorde infinies. Tout votre devoir aupr�s d'elle est de continuer � l'entourer des plus tendres soins. En voyant votre amour, votre modestie, l'humilit�, et, si je puis parler ainsi, la discr�tion de votre foi am, elle voudra peut-�tre, pour vous r�compenser, r�pondre � votre secret d�sir et faire acte de foi elle-m�me. Croyez � ce que je vous ai toujours dit: Faites aimer en vous la gr�ce divine. C'est la meilleure exhortation qui puisse sortir de nous. »

Ainsi l'aimable et vertueux vieillard transigeait aussi avec les affections humaines. Il laissait percer l'espoir du salut de ma grand'm�re, d�t-elle mourir sans r�conciliation officielle avec l'�glise, d�t-elle mourir m�me sans y avoir song�! Cet homme �tait un saint, un vrai chr�tien, dirai-je quoique j�suite, ou parce que j�suite?

Soyons �quitables an. Au point de vue politique, en tant que r�publicains, nous ha�ssons ou redoutons cette secte �prise de pouvoir et jalouse de domination. Je dis secte en parlant des disciples de Loyola, car c'est une secte, je le soutiens. C'est une importante modification � l'orthodoxie romaine. C'est une h�r�sie bien conditionn�e. Elle ne s'est jamais d�clar�e telle, voil� tout. Elle a sap� et conquis la papaut� sans lui faire une guerre apparente; mais elle s'est ri de son infaillibilit�, tout en la d�clarant souveraine. Bien plus habile en cela que toutes les autres h�r�sies, et, partant, plus puissante et plus durable.

Oui, l'abb� de Pr�mord �tait plus chr�tien ao que l'�glise intol�rante, et il �tait h�r�tique parce qu'il �tait j�suite. {Lub 1046} La doctrine de Loyola est la bo�te de Pandore. Elle contient tous les maux et tous les biens. Elle est une assise {CL 295} de progr�s et un ab�me de destruction, une loi de vie et de mort. Doctrine ap officielle, elle tue; doctrine cach�e, elle ressuscite ce qu'elle a tu�.

Je l'appelle doctrine, qu'on ne me chicane pas sur les mots, je dirai esprit de corps, tendance d'institution, si l'on veut; son esprit dominant et agissant consiste surtout � ouvrir � chacun la voie qui lui est propre. C'est pour elle que la v�rit� est souverainement relative, et, ce principe une fois admis dans le secret des consciences, l'Église catholique est renvers�e.

Cette doctrine aq tant discut�e, tant d�cri�e, tant signal�e � l'horreur des hommes de progr�s, est encore dans l'Église la derni�re arche de la foi chr�tienne. Derri�re elle, il n'y a que l'absolutisme aveugle de la papaut� ar. Elle est la seule religion praticable pour ceux qui ne veulent pas rompre avec J�sus-Christ Dieu. L'Église romaine est un grand clo�tre o� les devoirs de l'homme en soci�t� sont inconciliables avec la loi du salut. Qu'on supprime l'amour et le mariage, l'h�ritage et la famille, la loi du renoncement catholique est parfaite. Son code est l'œuvre du g�nie de la destruction; mais as d�s qu'elle admet une autre soci�t� que la communaut� monastique, elle est un labyrinthe de contradictions et d'incons�quences. Elle est forc�e de se mentir � elle-m�me et de permettre � chacun ce qu'elle d�fend � tous.

Alors, pour quiconque r�fl�chit, la foi est �branl�e. Mais arrive at le j�suite qui dit � l'�me troubl�e et incertaine: « Va comme tu peux et selon tes forces au. La parole de J�sus est �ternellement accessible � l'interpr�tation de la conscience �clair�e av. Entre l'Église et toi, il nous a envoy�s pour lier ou d�lier. Crois en nous, donne-toi � nous qui sommes une nouvelle �glise dans l'Église, une �glise tol�r�e et tol�rante, une planche aw de salut entre la r�gle et le fait. Nous avons d�couvert le seul moyen d'asseoir {CL 296} sur une base quelconque la diffusion et l'incertitude des croyances humaines ax. Ayant bien reconnu l'impossibilit� d'une v�rit� absolue dans la pratique, nous avons d�couvert la v�rit� applicable � tous les cas, � tous les fid�les. Cette v�rit�, cette base, c'est l'intention. L'intention est tout, le fait n'est rien. Ce qui est mal peut �tre bien, et r�ciproquement, selon le but qu'on se propose ay. »

{Lub 1047} Ainsi J�sus avait parl� � ses disciples dans la sinc�rit� de son cœur tout divin, quand il leur avait dit: « L'esprit vivifie, la lettre tue. Ne faites pas comme ces hypocrites et ces stupides qui font consister toute la religion dans les pratiques du je�ne et de la p�nitence ext�rieure. Lavez vos mains et repentez-vous dans vos cœurs. »

Mais J�sus n'avait eu que des paroles de vie d'une extension az immense. Le jour o� la papaut� et les conciles s'�taient d�clar�s infaillibles dans l'interpr�tation de cette parole, ils l'avaient tu�e, ils s'�taient substitu�s � J�sus-Christ. Ils s'�taient octroy� la divinit�. Aussi, forc�ment entra�n�s � condamner au feu, en ce monde et en l'autre, tout ce qui se s�parait de leur interpr�tation et des pr�ceptes qui en d�coulent, ils avaient rompu avec le vrai christianisme, bris� le pacte de mis�ricorde infinie de la part de Dieu, de tendresse fraternelle entre tous les hommes, et substitu� au sentiment �vang�lique si humain et si vaste le sentiment farouche et despotique du moyen �ge.

En principe, la doctrine des j�suites �tait donc, comme son nom l'indique, un retour � l'esprit v�ritable de J�sus, une h�r�sie d�guis�e, par cons�quent, puisque l'Église a baptis� ainsi toute protestation secr�te ou d�clar�e contre ses arr�ts souverains. Cette doctrine insinuante et p�n�trante avait tourn� la difficult� de concilier les arr�ts de l'orthodoxie avec l'esprit de l'Évangile. Elle avait rajeuni les forces du pros�lytisme en touchant le cœur et en rassurant l'esprit, et tandis que l'�glise disait � tous: « Hors {CL 297} de moi point de salut! » Le j�suite disait � chacun: « Quiconque fait de son mieux et selon sa conscience sera sauv�. »

Dirai-je maintenant pourquoi Pascal eut raison de fl�trir Escobar et sa s�quelle? C'est bien inutile; tout le monde le sait et le sent de reste: comment une doctrine qui e�t pu �tre si g�n�reuse et si bienfaisante est devenue, entre les mains de certains hommes, l'ath�isme et la perfidie, ceci est de l'histoire r�elle et rentre dans la triste fatalit� des faits humains. Les p�res de l'Église j�suitique espagnole ont du moins sur certains papes de Rome l'avantage pour nous de n'avoir pas �t� d�clar�s infaillibles par des pouvoirs absolus, ni reconnus pour tels par une notable portion du genre humain. Ce n'est jamais par les r�sultats historiques qu'il faut juger la pens�e {Lub 1048} des institutions. À ce compte, il faudrait proscrire l'Évangile m�me, puisqu'en son nom tant de monstres ont triomph�, tant de victimes ont �t� immol�es, tant de g�n�rations ont pass� courb�es sous le joug de l'esclavage. Le m�me suc, extrait � doses in�gales du sein d'une plante, donne la vie ou la mort.

Ainsi ba de la doctrine des j�suites, ainsi de la doctrine de J�sus lui-m�me bb.

L'institut des j�suites, car c'est ainsi que s'intitula modestement cette secte puissante, renfermait donc implicitement ou explicitement dans le principe une doctrine de progr�s et de libert�. Il serait facile de le d�montrer par des preuves, mais ceci m'entra�nerait trop loin, et je ne fais point ici une controverse. Je r�sume une opinion et un sentiment personnels, appuy�s en moi sur un ensemble de le�ons, de conseils et de faits que je ne pourrais bc pas tous dire (car si le confesseur doit le secret au p�nitent, le p�nitent doit au confesseur, m�me au del� de la tombe, le silence de la loyaut� sur certaines d�cisions qui pourraient �tre mal interpr�t�es); mais cet ensemble d'exp�riences personnelles me persuade que je ne juge ni avec {CL 298} trop de partialit� de cœur, ni avec trop de s�v�rit� de conscience la pens�e m�re de cette secte. Si on la juge bd dans le pr�sent, je sais comme tout le monde ce qu'elle renferme d�sormais de dangers politiques et d'obstacles au progr�s be; mais si on la juge comme pens�e ayant servi de corps � un ensemble de progr�s, on ne peut nier qu'elle n'ait fait faire de grands pas � l'esprit humain et qu'elle n'ait beaucoup souffert, au si�cle dernier, pour le principe de la libert� intellectuelle et morale, de la part des ap�tres de la libert� philosophique bf; bg mais ainsi va le monde sous la loi d�plorable d'un malentendu perp�tuel. Trop de besoins d'affranchissement se pressent et s'encombrent sur la route de l'avenir, dans des moments donn�s de l'histoire des hommes; et qui voit son but sans voir celui du travailleur qu'il coudoie, croit souvent trouver un obstacle l� o� il e�t trouv� un secours.

Les j�suites se piquaient d'envisager les trois faces de la perfection bh: religieuse, politique, sociale. Ils se trompaient; leur institut m�me, par ses lois essentiellement th�ocratiques et par son c�t� �sot�rique, ne pouvait affranchir l'intelligence qu'en liant le corps, la conduite, les actions (perinde ac cadaver) bi. Mais quelle doctrine a d�gag� jusqu'ici le grand inconnu de cette triple recherche?

Je demande pardon de cette digression un peu longue. Avouer de la pr�dilection pour les j�suites est, au temps o� nous vivons, une affaire d�licate. On risque fort, quand on a ce courage, d'�tre soup�onn� de duplicit� d'esprit. J'avoue bj que je ne m'embarrasse gu�re d'un tel soup�on.

{Presse 28/4/1855 1} Entre l'Imitation de J�sus-Christ et le G�nie du christianisme, je me trouvais bk donc dans de grandes perplexit�s, comme dans l'affaire de ma conduite chr�tienne aupr�s de ma grand'm�re philosophe. D�s qu'elle fut hors de danger, je demandai l'intervention du j�suite pour r�soudre la difficult� nouvelle. Je me sentais attir�e vers l'�tude par {CL 299} une soif �trange, vers la po�sie par un instinct passionn�, vers l'examen par une foi superbe.

« Je crains que l'orgueil ne s'empare de moi, �crivais-je � l'abb� de Pr�mord. Il est encore temps pour moi de revenir sur mes pas, d'oublier toutes ces pompes de l'esprit dont ma grand'm�re �tait avide, mais dont elle ne jouira plus et qu'elle ne songera plus � me demander. Ma m�re y sera fort indiff�rente. Aucun devoir imm�diat ne me pousse donc plus vers l'ab�me, si c'est, en effet, un ab�me, comme l'esprit d'A Kempis* me le crie dans l'oreille. Mon �me est fatigu�e et comme assoupie. Je vous demande la v�rit�. Si ce n'est qu'une satisfaction � me refuser, rien de plus facile que de renoncer � l'�tude; mais si c'est un devoir envers Dieu, envers mes fr�res?... Je crains ici, comme toujours, de m'arr�ter � quelque sottise. »

* Dans ce temps-l�, je croyais, comme beaucoup d'autres, que Thomas A Kempis �tait l'auteur de l'Imitation. Les preuves invoqu�es par M. Henri Martin sur la paternit� l�gitime de Jean GErson m'ont sembl� si concluantes, que je n'h�site pas � m'y rendre

L'abb� de Pr�mord avait la gaiet� bm de sa force et de sa s�r�nit�. Je n'ai pas connu d'�me plus pure et plus s�re d'elle-m�me. Il me r�pondit cette fois avec l'aimable enjouement qu'il avait coutume d'opposer aux terreurs de ma conscience.

« Mon cher casuiste, me disait-il, si vous craignez l'orgueil, vous avez donc d�j� de l'amour-propre? Allons, c'est un progr�s sur vos timeurs accoutum�es. Mais, {Lub 1050} en v�rit�, vous vous pressez beaucoup! À votre place, j'attendrais, pour m'examiner sur le chapitre de l'orgueil, que j'eusse d�j� assez de savoir pour donner lieu � la tentation; car, jusqu'ici, je crains bien qu'il n'y ait pas de quoi. Mais, tenez, j'ai tout � fait bonne id�e de votre bon sens, et me persuade que quand vous aurez appris {CL 300} quelque chose, vous verrez d'autant mieux ce qui vous manque pour savoir beaucoup. Laissez donc la crainte de l'orgueil aux imb�ciles. La vanit�, qu'est-ce que cela pour les cœurs fid�les? Ils ne savent ce que c'est. — Étudiez, apprenez, lisez tout ce que votre grand'm�re vous e�t permis de lire. Vous m'avez �crit qu'elle vous avait indiqu� dans sa biblioth�que tout ce qu'une jeune personne pure doit laisser de c�t� et n'ouvrir jamais. En vous disant cela, elle vous en a confi� les clefs. J'en fais autant. J'ai en vous la plus enti�re confiance, et mieux fond�e encore, moi qui sais le fond de votre cœur et de vos pens�es. Ne vous faites pas si gros et si terribles tous ces esprits forts et beaux esprits mangeurs d'enfants. On peut ais�ment troubler les faibles en calomniant les gens d'Église; mais peut-on calomnier J�sus et sa doctrine? Laissez passer toutes les invectives contre nous. Elles ne prouvent pas plus contre lui que ne prouveraient nos fautes, si ce bl�me �tait m�rit�. Lisez les po�tes. Tous sont religieux. Ne craignez pas les philosophes, tous sont impuissants contre la foi. Et si quelque doute, quelque peur s'�l�ve dans votre esprit, fermez ces pauvres livres, relisez un ou deux versets de l'Évangile, et vous vous sentirez docteur � tous ces docteurs. »

Ainsi parlait ce vieillard exalt�, na�f et d'un esprit charmant, � une pauvre fille de dix-sept ans, qui lui avouait la faiblesse de son caract�re et l'ignorance de son esprit. Était-ce bien prudent, pour un homme qui se croyait parfaitement orthodoxe? Non certes; c'�tait bon, c'�tait brave et g�n�reux. Il me poussait en avant comme l'enfant poltron � qui l'on dit: ce n'est rien, ce qui t'effraye; regarde et touche: c'est une ombre, une vaine apparence, un risible �pouvantail. Et, en effet, la meilleure mani�re de fortifier le cœur et de rassurer l'esprit, c'est d'enseigner le m�pris du danger et d'en donner l'exemple.

{CL 301} Mais ce proc�d�, si certain dans le domaine de la r�alit�, est-il applicable aux choses abstraites? La foi {Lub 1051} d'un n�ophyte peut-elle �tre soumise ainsi d'embl�e aux grandes �preuves?

Mon vieux ami suivait avec moi la m�thode de son institution: il la suivait avec candeur, car il n'est rien de plus candide qu'un j�suite n� candide. On le d�veloppe dans ce sens pour le bien, ou on l'exploite dans ce m�me sens pour le mal, selon que la pens�e de l'ordre est dans la bonne ou dans la mauvaise voie de sa politique.

Il me voyait capable d'effusion intellectuelle, mais entrav�e par une grande rigidit� bn de conscience qui pouvait me rejeter dans la voie �troite du vieux catholicisme. Or, dans la main du j�suite, tout �tre pensant est un instrument qu'il faut faire vibrer dans le concert qu'il dirige. L'esprit du corps sugg�re � ses meilleurs membres un grand fond de pros�lytisme, qui chez les mauvais est vanit� ardente, mais toujours collective. Un j�suite qui, rencontrant une �me dou�e de quelque vitalit� bo, la laisserait s'�tioler ou s'annihiler dans une qui�tude st�rile, aurait manqu� � son devoir et � sa r�gle. Ainsi M. de Chateaubriand faisait peut-�tre � dessein, peut-�tre sans le savoir, l'affaire des j�suites, en appelant les enchantements de l'esprit et les int�r�ts du cœur au secours du christianisme. Il �tait h�r�tique, il �tait novateur, il �tait mondain; il �tait confiant et hardi avec eux, ou � leur exemple.

Apr�s l'avoir lu avec entra�nement, je savourai donc son livre avec d�lices, rassur�e enfin par mon bon p�re et criant � mon �me inqui�te: en avant! En avant! Et puis je me mis aux prises bp sans fa�on avec Mably, Locke, Condillac, Montesquieu bq, Bacon, Bossuet, Aristote, Leibnitz, Pascal, Montaigne, dont ma grand'm�re elle-m�me m'avait marqu� les chapitres et les feuillets � passer. Puis vinrent les po�tes ou les moralistes: La Bruy�re, Pope, Milton, {CL 302} Dante, Virgile, Shakespeare br, que sais-je? Le tout sans ordre et sans m�thode, comme ils me tomb�rent sous la main, et avec une facilit� d'intuition que je n'ai jamais retrouv�e depuis et qui est m�me en dehors de mon organisation lente � comprendre. La cervelle �tait jeune, la m�moire toujours fugitive, mais le sentiment rapide et la volont� tendue. Tout cela �tait � mes yeux une question de vie et de mort, � savoir si, apr�s avoir compris tout ce que je pouvais me proposer � comprendre, j'irais � la vie du monde ou � la mort bs volontaire du clo�tre.

{Lub 1052} Il s'agit bien, pensais-je, d'�prouver ma vocation dans des bals et des parures, comme on contraint Élisa � le faire! Moi qui d�teste ces choses par elles-m�mes, plus j'aurai vu les amusements pu�rils et support� les fatigues du monde, moins je serai s�re que c'est mon z�le et non ma paresse qui me rejette dans la paix du monast�re. Mon �preuve n'est donc pas l�. (en ceci j'avais bien raison et ne me trompais pas sur moi-m�me.) Elle est dans l'examen de la v�rit� religieuse et morale. Si je r�siste � toutes les objections du si�cle, sous forme de raisonnement philosophique, ou sous forme d'imagination de po�te, je saurai que je suis digne de me vouer � Dieu seul.

Si je voulais rendre compte de l'impression de chaque lecture et en dire les effets sur moi, j'entreprendrais l� un livre de critique qui pourrait faire bien des volumes; mais qui les lirait en ce temps-ci? Et ne mourrais-je pas avant de l'avoir fini?

D'ailleurs, le souvenir de tout cela n'est plus assez net en moi, et je risquerais de mettre mes impressions pr�sentes dans mon r�cit du pass�. Je ferai donc gr�ce aux gens pour qui j'�cris des d�tails personnels de cette �trange �ducation et j'en r�sumerai le r�sultat par �poques successives.

Je lisais, dans les premiers temps, avec l'audace de {CL 303} conviction que m'avait sugg�r�e mon bon abb�. Arm�e de toutes pi�ces, je me d�fendais aussi vaillamment qu'il �tait permis � mon ignorance. Et puis, n'ayant pas de plan, entrem�lant dans mes lectures les croyants et les opposants bt, je trouvais dans les premiers le moyen de r�pondre aux derniers. La m�taphysique ne m'embarrassait gu�re; je la comprenais fort peu, en ce sens qu'elle ne concluait jamais rien pour moi. Quand j'avais pli� mon entendement, docile comme la jeunesse, � suivre les abstractions bu, je ne trouvais que vide ou incertitude dans les cons�quences bv. Mon esprit �tait et a toujours �t� trop vulgaire et trop peu port� aux recherches bw scientifiques pour avoir besoin de demander � Dieu l'initiation de mon �me aux grands myst�res. J'�tais un �tre de sentiment, et le sentiment seul tranchait pour moi les questions � mon usage, qui, toute exp�rience faite, devinrent bient�t les seules questions � ma port�e.

Je saluai donc respectueusement les m�taphysiciens; et tout ce que je peux dire � ma louange, � propos d'eux, {Lub 1053} c'est que je m'abstins de regarder comme vaine et ridicule une science qui fatiguait bx trop mes facult�s. Je n'ai pas � me reprocher d'avoir dit alors: « À quoi bon la m�taphysique? » J'ai �t� un peu plus superbe quand, plus tard, j'y ai regard� davantage. Je me suis r�concili�e, plus tard encore, avec elle, en voyant encore un peu mieux. Et, en somme, je dis aujourd'hui que c'est la recherche d'une v�rit� � l'usage des grands esprits, et que, n'�tant pas de cette race, je n'en ai pas grand besoin. Je trouve ce qu'il me faut dans les religions et les philosophies qui sont ses filles, ses incarnations, si l'on veut.

Alors, comme aujourd'hui, mordant mieux � la philosophie, et surtout � la philosophie facile du dix-huiti�me si�cle, qui �tait encore celle de mon temps, je ne me sentis �branl�e par rien et par personne. Mais Rousseau arriva, {CL 304} Rousseau l'homme de passion et de sentiment by par excellence, et je fus enfin entam�e bz.

Étais-je encore catholique au moment o�, apr�s avoir r�serv�, comme par instinct, Jean-Jacques pour la bonne bouche, j'allais subir enfin le charme de son raisonnement �mu et de sa logique ardente? Je ne le pense pas. Tout en continuant � pratiquer cette religion, tout en ca refusant de rompre avec ses formules comment�es � ma guise, j'avais quitt�, sans m'en douter le moins du monde, l'�troit sentier de sa doctrine cb. J'avais bris� � mon insu, mais irr�vocablement, avec toutes ses cons�quences sociales et politiques. L'esprit de l'Église n'�tait plus en moi: il n'y avait peut-�tre jamais �t�.

{Presse 29/4/1855 1} Les id�es �taient en grande fermentation � cette �poque. L'Italie et la Gr�ce combattaient pour leur libert� nationale. L'Église et la monarchie se pronon�aient contre ces g�n�reuses tentatives. Les journaux royalistes de ma grand'm�re tonnaient contre l'insurrection, et l'esprit pr�tre, qui e�t d� embrasser la cause des chr�tiens d'orient, s'�vertuait � prouver les droits de l'empire turc. Cette monstrueuse incons�quence, ce sacrifice de la religion � l'int�r�t politique me r�voltaient �trangement. L'esprit lib�ral devenait pour moi synonyme de sentiment religieux. Je n'oublierai jamais, je ne peux jamais oublier que l'�lan chr�tien me poussa r�sol�ment, pour la premi�re fois, dans le camp du progr�s, dont je ne devais plus sortir.

Mais d�j�, et depuis mon enfance, l'id�al religieux et {Lub 1054} l'id�al pratique avaient prononc� au fond de mon cœur et fait sortir de mes l�vres, aux oreilles effarouch�es du bon Deschartres, le mot sacr� d'�galit�. La libert�, je ne m'en souciais gu�re alors, ne sachant ce que c'�tait et n'�tant pas dispos�e � me l'accorder plus tard � moi-m�me. Du moins ce qu'on appelait la libert� civile ne me disait pas grand'chose. Je ne la comprenais pas sans l'�galit� absolue {CL 305} et la fraternit� chr�tienne. Il me semblait, et il me semble encore, je l'avoue, que ce mot de libert� plac� dans la formule r�publicaine, en t�te des deux autres, aurait d� �tre � la fin, et pouvait m�me �tre supprim� comme un pl�onasme.

Mais la libert� nationale, sans laquelle il n'est ni fraternit� ni �galit� � esp�rer, je la comprenais fort bien, et la discuter �quivalait pour moi � la th�orie du brigandage, � la proclamation impie et farouche du droit du plus fort.

Il ne fallait pas �tre un enfant bien merveilleusement dou�, ni une jeune fille bien intelligente pour en venir l�. Aussi �tais-je confondue et r�volt�e de voir mon ami Deschartres, qui n'�tait d�vot ni religieux en aucune fa�on, combattre � la fois la religion dans la question des hell�nes et la philosophie dans la question du progr�s. Le p�dagogue n'avait qu'une id�e, qu'une loi, qu'un besoin, qu'un instinct, l'autorit� absolue en face de la soumission aveugle. Faire ob�ir � tout prix ceux qui doivent ob�ir, tel �tait son r�ve; mais pourquoi les uns devaient-ils commander aux autres? Voil� � quoi lui, qui avait du savoir et de l'intelligence pratique, ne r�pondait jamais que par des sentences creuses et des lieux communs pitoyables.

Nous avions des discussions comiques, car il n'y avait pas moyen pour moi de les trouver s�rieuses avec un esprit si baroque et si t�tu sur certains points. Je me sentais trop forte de ma conscience pour �tre �branl�e et par cons�quent d�pit�e un instant par ses paradoxes. Je me souviens qu'un jour, dissertant avec feu sur le droit divin du sultan (je crois, Dieu me pardonne, qu'il n'e�t pas refus� la sainte ampoule au Grand Turc, tant il prenait � cœur la victoire du ma�tre sur les �coliers mutins), il s'embarrassa le pied dans sa pantoufle et tomba tout de son long sur le gazon, ce qui ne l'emp�cha pas d'achever sa phrase; apr�s quoi il dit fort gravement en {Lub 1055} s'essuyant les genoux: « Je crois vraiment que je suis tomb�? — Ainsi {CL 306} tombera l'Empire ottoman, » lui r�pondis-je en riant de sa figure pr�occup�e. Il prit le parti de rire aussi, mais non sans un reste de col�re, et en me traitant de jacobine, de r�gicide, de philhell�ne et de bonapartiste, toutes injures synonymes cc dans son horreur pour la contradiction.

Il �tait cependant pour moi d'une bont� toute paternelle et tirait une grande gloriole de mes �tudes, qu'il s'imaginait diriger encore parce qu'il en discutait l'effet.

Quand j'�tais embarrass�e de rencontrer dans Leibnitz ou Descartes les arguments math�matiques, lettres closes pour moi, m�l�s � la th�ologie et � la philosophie cd, j'allais le trouver, et je le for�ais de me faire comprendre par des analogies ces points inabordables. Il y portait une grande adresse, une grande clart�, une v�ritable intelligence de professeur. Apr�s quoi, voulant conclure pour ou contre le livre, il battait la campagne et retombait dans ses vieilles renga�nes.

Mably m'avait fort m�content�e. Pour moi, c'�tait une d�ception perp�tuelle que ces �lans de franchise et de g�n�rosit�, arr�t�s sans cesse par le d�couragement en face de l'application. « À quoi bon ces beaux ce principes, {Lub 1056} me disais-je, s'ils doivent �tre �touff�s par l'esprit de mod�ration? Ce qui est vrai, ce qui est juste doit �tre observ� et appliqu� sans limites. »

J'avais l'ardeur intol�rante de mon �ge. Je jetais le livre au beau milieu de la chambre, ou au nez de Deschartres, en lui disant que cela �tait bon pour lui, et il me le renvoyait de m�me, disant qu'il ne voulait pas accepter un pareil brouillon, un si dangereux r�volutionnaire.

Leibnitz me paraissait le plus grand de tous; mais qu'il �tait dur � avaler quand il s'�levait de trente atmosph�res au-dessus de moi! Je me disais avec Fontenelle, en changeant le point de d�part de sa phrase sceptique: « Si j'avais bien pu le comprendre, j'aurais vu le bout des mati�res, ou qu'elles n'ont point de bout! »

« Et que m'importe cf, apr�s tout, disais-je, les monades, les unit�s, l'harmonie pr��tablie, et sacrosancta trinitas per nova inventa logica defensa, les esprits qui peuvent dire MOI, le carr� des vitesses, la dynamique, le rapport des sinus d'incidence et de r�fraction, et tant d'autres subtilit�s o� il faut �tre � la fois grand th�ologien et grand savant, m�me pour s'y m�prendre*! »

* Fontenelle, Éloge de Leibnitz.

Je me mettais � rire aux �clats toute seule de ma pr�tention � vouloir profiter de ce que je n'entendais pas. Mais cette entra�nante pr�face de la Th�odic�e, qui r�sumait si bien les id�es de Chateaubriand et les sentiments de l'abb� {CL 308} de Pr�mord sur l'utilit� et m�me la n�cessit� du savoir, venait me relancer.

« La v�ritable pi�t�, et m�me la v�ritable f�licit�, disait Leibnitz, consiste dans l'amour de Dieu, mais dans un amour �clair�, dont l'ardeur soit accompagn�e de lumi�re. Cette esp�ce d'amour fait na�tre ce plaisir dans les bonnes actions qui, rapportant tout � Dieu, comme au centre, transporte l'humain au divin. — Il faut que les perfections de l'entendement donnent l'accomplissement � celles de la volont�. Les pratiques de la vertu, aussi bien que celles du vice, peuvent �tre l'effet d'une simple habitude; on peut y prendre go�t cg; mais on ne saurait aimer Dieu sans en conna�tre les perfections. — Le croirait-on? des chr�tiens se sont imagin� de pouvoir �tre d�vots sans aimer le prochain, et pieux sans {Lub 1057} comprendre Dieu! Plusieurs si�cles se sont �coul�s sans que le public se soit bien aper�u de ce d�faut, et il y a encore de grands restes du r�gne des t�n�bres... Les anciennes erreurs de ceux qui ont accus� la Divinit�, ou qui en ont fait un principe mauvais, ont �t� renouvel�es de nos jours. On a eu recours � la puissance irr�sistible de Dieu, quand il s'agissait plut�t de faire voir sa bont� supr�me, et on a employ� un pouvoir despotique, lorsqu'on devait concevoir une puissance r�gl�e par la plus parfaite sagesse. »

Quand je relisais cela, je me disais: « Allons, encore un peu de courage! C'est si beau de voir cette t�te sublime se vouer � l'adoration! Ce qu'elle a con�u et pris soin d'expliquer, n'aurais-je pas la conscience de vouloir le comprendre? Mais il me manque des �l�ments de science, et Deschartres me pers�cute pour que je laisse l� ces grands r�sum�s pour entrer dans l'�tude des d�tails. Il veut m'enseigner la physique, la g�om�trie, les math�matiques. — Pourquoi pas, si cela est n�cessaire � la foi en Dieu et � l'amour du prochain? Leibnitz met bien le doigt {CL 309} sur ma plaie quand il dit qu'on peut �tre fervent par habitude. Je suis capable d'aller au sacrifice par la paresse de l'�me; mais ce sacrifice, Dieu ne le rejettera-t-il pas? »

{Presse 30/4/1855 1} J'allai prendre ch une ou deux le�ons. « Continuez, me disait Deschartres. Vous comprenez! — Vous croyez! lui r�pondais-je. — Certainement, et tout est l�. — Mais retenir? — Ça viendra. »

Et quand nous avions travaill� quelques heures: « Grand homme, lui disais-je (je l'appelais toujours ainsi), vous me croirez si vous voulez, mais cela me tue. C'est trop long, le but est trop loin. Vous avez beau me m�cher la besogne, croyez bien que je n'ai pas la t�te faite comme vous. Je suis press�e d'aimer Dieu, et s'il faut que je pioche ainsi toute la vie pour arriver � me dire, sur mes vieux jours, pourquoi et comment je dois l'aimer, je me consumerai en attendant, et j'aurai peut-�tre d�vor� mon cœur aux d�pens de ma cervelle.

— Il s'agit bien d'aimer Dieu! disait le na�f p�dagogue. Aimez-le tant que vous voudrez, mais il vient l� comme � propos de bottes!

— Ah! C'est que vous ne comprenez pas pourquoi je veux m'instruire.

{Lub 1058} — Bah! On s'instruit... pour s'instruire! r�pondait-il en levant les �paules.

— Justement, c'est ce que je ne veux pas faire. Allons, bonsoir, je vais �couter les rossignols. »

Et je m'en allais, non pas fatigu�e d'esprit (Deschartres d�montrait trop bien pour irriter ci les fibres du cerveau), mais accabl�e de cœur, chercher � l'air libre de la nuit et dans les d�lices de la r�verie la vie qui m'�tait propre et que je combattais en vain. Ce cœur avide se r�voltait dans l'inaction o� le laissait cj le travail sec de l'attention et de la m�moire. Il ne voulait s'instruire que par l'�motion, et je trouvais dans la po�sie des livres d'imagination et dans celle {CL 310} de la nature, se renouvelant et se compl�tant l'une par l'autre un intarissable �l�ment � cette �motion int�rieure, � ce continuel transport divin que j'avais go�t�s au couvent et qu'alors j'appelais la gr�ce.

Je dois donc dire que les po�tes et les moralistes � formes �loquentes ont agi en moi plus que les m�taphysiciens et les philosophes profonds pour y conserver la foi religieuse.

Serai-je ingrate envers Leibnitz pourtant, et dirai-je qu'il ne m'a servi de rien, parce que je n'ai pas tout compris et tout retenu ck? Non, je mentirais. Il est certain que nous profitons des choses dont nous oublions la lettre, quand leur esprit a pass� en nous, m�me � petite dose. On ne se souvient gu�re du d�ner de la veille, et pourtant il a nourri notre corps. Si ma raison s'embarrasse peu, encore � cette heure, des syst�mes contraires � mon sentiment; si les fortes objections que soul�ve contre la providence, � mes propres yeux, le spectacle du terrible dans la nature et du mauvais dans l'humanit�, sont vaincues par un instant de r�verie tendre; si enfin je sens mon cœur plus fort que ma raison pour me donner foi en la sagesse et en la bont� supr�me de Dieu, ce n'est peut-�tre pas uniquement au besoin inn� d'aimer et de croire que je dois ce rass�r�nement et ces consolations. J'ai assez compris de Leibnitz, sans �tre capable d'argumenter de par sa science, pour savoir qu'il y a encore plus de bonnes raisons pour garder la foi que pour la rejeter.

Ainsi, par ce coup d'œil rapide et troubl� que j'avais hasard� dans le royaume des merveilles ardues, j'avais {Lub 1059} � peu pr�s rempli mon but en apparence. Cette pauvre miette d'instruction, que Deschartres trouvait surprenante de ma part, r�alisait parfaitement la pr�diction de l'abb�, en m'apprenant que j'avais tout � apprendre, et le d�mon de l'orgueil que l'�glise pr�sente toujours � ceux qui d�sirent s'instruire, m'avait laiss�e bien tranquille, en v�rit�. Comme je n'en {CL 311} ai jamais beaucoup plus appris depuis, je peux dire que j'attends encore sa visite, et qu'� tous les compliments erron�s sur ma science et ma capacit�, je ris toujours int�rieurement, en me rappelant la plaisanterie de mon j�suite cl: Peut-�tre que jusqu'� pr�sent il n'y a pas sujet de craindre beaucoup cette tentation.

Mais le peu que j'avais arrach� au r�gne des t�n�bres m'avait fortifi�e dans la foi religieuse en g�n�ral, dans le christianisme en particulier. Quant au catholicisme... y avais-je song�?

Pas le moins du monde. Je m'�tais � peine dout�e que Leibnitz f�t protestant et Mably philosophe. Cela n'�tait pas entr� pour moi dans la discussion int�rieure. M'�levant au-dessus des formes de la religion, j'avais cherch� � embrasser l'id�e m�re. J'allais � la messe et n'analysais pas encore le culte.

Cependant, en me le rappelant bien, je dois le dire, le culte me devenait lourd et malsain. J'y sentais refroidir ma pi�t�. Ce n'�tait plus les pompes charmantes, les fleurs, les tableaux, la propret�, les doux chants de notre chapelle, et les profonds silences du soir, et l'�difiant spectacle des belles religieuses prostern�es dans leurs stalles. Plus de recueillement, plus d'attendrissement, plus de pri�res du cœur possibles pour moi dans ces �glises publiques o� le culte est d�pouill� de sa po�sie et de son myst�re.

J'allais tant�t � ma paroisse de Saint-Chartier, tant�t � celle de La Ch�tre. Au village, c'�tait la vue des bons saints cm et des bonnes dames de d�votion traditionnelle, horribles f�tiches qu'on e�t dit destin�s � effrayer quelque horde sauvage; les beuglements absurdes de chantres inexp�riment�s, qui faisaient en latin les plus grotesques calembours de la meilleure foi du monde; et les bonnes femmes qui s'endormaient sur leur chapelet en ronflant tout haut; et le vieux cur� qui jurait au beau milieu du pr�ne contre les {CL 312} ind�cences des chiens introduits dans {Lub 1060} l'�glise. À la ville, c'�taient les toilettes provinciales des dames, leurs chuchotements, leurs m�disances et cancans apport�s en pleine �glise comme en un lieu destin� � s'observer et � se diffamer les unes les autres; c'�tait aussi la laideur des idoles et les glapissements atroces des coll�giens qu'on laissait chanter la messe et qui se faisaient des niches tout le temps qu'elle durait. Et puis tout ce tripotage de pain b�nit et de gros sous qui se fait pendant les offices, les querelles des sacristains et des enfants de chœur � propos d'un cierge qui coule ou d'un encensoir mal lanc�. Tout ce d�rangement, tous ces incidents burlesques et le d�faut d'attention de chacun qui emp�chait celle de tous � la pri�re, m'�taient odieux. Je ne voulais pas songer � rompre avec les pratiques obligatoires, mais j'�tais enchant�e qu'un jour de pluie me for��t � lire la messe dans ma chambre et � prier seule � l'abri de ce grossier concours de chr�tiens pour rire.

Et puis, ces formules de pri�res quotidiennes, qui n'avaient jamais �t� de mon go�t, me devenaient de plus en plus insipides. M. de Pr�mord m'avait permis d'y substituer les �lans de mon �me quand je m'y sentirais entra�n�e, et insensiblement je les oubliais si bien que je ne priais plus que d'inspiration et par improvisation libre. Ce n'�tait pas trop catholique; mais on m'avait laiss�e composer cn des pri�res au couvent. J'en avais fait circuler quelques-unes en anglais et en fran�ais, qu'on avait trouv�es si fleuries qu'on les avait beaucoup go�t�es. Je les avais co aussit�t d�daign�es en moi-m�me, ma conscience et mon cœur d�cr�tant que les mots ne sont que des mots, et qu'un �lan aussi passionn� que celui de l'�me � Dieu ne peut s'exprimer par aucune parole humaine. Toute formule �tait donc une r�gle que j'adoptais par esprit de p�nitence, et qui finit par me sembler une corv�e abrutissante et mortelle pour ma ferveur.

{CL 313} Voil� dans quelle situation j'�tais quand je lus l'Émile, la Profession de foi du vicaire savoyard, les Lettres de la montagne, le Contrat social et les discours.

La langue de Jean-Jacques et la forme de ses d�ductions s'empar�rent de moi comme une musique superbe �clair�e d'un grand soleil. Je le comparais � Mozart; je comprenais tout! Quelle jouissance pour un �colier malhabile et tenace d'arriver enfin � ouvrir les yeux tout � {Lub 1061} fait et � ne plus trouver de nuages devant lui cp! Je devins, en politique, le disciple ardent de ce ma�tre, et je le fus bien longtemps sans restrictions. Quant � la religion, il me parut le plus chr�tien de tous les �crivains de son temps, et, faisant la part du si�cle de croisade philosophique o� il avait v�cu, je lui pardonnai d'autant plus facilement d'avoir abjur� le catholicisme, qu'on lui en avait octroy� les sacrements et le titre d'une mani�re irr�ligieuse bien faite pour l'en d�go�ter. Protestant n�, redevenu protestant par le fait de circonstances justifiables, peut-�tre in�vitables, sa nationalit� dans l'h�r�sie ne me g�nait pas plus que n'avait fait celle de Leibnitz. Il y a plus, j'aimais fort les protestants, parce que, n'�tant pas forc�e de les admettre � la discussion du dogme catholique, et me souvenant que l'abb� de Pr�mord ne damnait personne et me permettait cette h�r�sie dans le silence de mon cœur, je voyais en eux des gens sinc�res, qui ne diff�raient de moi que par des formes sans importance absolue devant Dieu.

Jean-Jacques fut le point d'arr�t de mes travaux d'esprit. À partir de cette lecture enivrante, je m'abandonnai aux po�tes et aux moralistes �loquents, sans plus de souci de la philosophie transcendante. Je ne lus pas Voltaire. Ma grand'm�re m'avait fait promettre de ne le lire qu'� l'�ge de trente ans. Je lui ai tenu parole. Comme il �tait pour elle ce que Jean-Jacques a �t� si longtemps pour moi, l'apog�e de son admiration, elle pensait que je devais �tre dans toute la {CL 314} force de ma raison pour en go�ter les conclusions. Quand je l'ai lu, je l'ai beaucoup go�t�, en effet, mais sans en �tre modifi�e en quoi que ce soit. Il y a des natures qui ne s'emparent jamais de certaines autres natures, quelque sup�rieures qu'elles soient cq. Et cela ne tient pas, comme on pourrait se l'imaginer, � des antipathies de caract�re, pas plus que l'influence entra�nante de certains g�nies ne tient � des similitudes d'organisation chez ceux qui la subissent. Je n'aime pas le caract�re priv� de Jean-Jacques Rousseau; je ne pardonne cr � son injustice, � son ingratitude, � son amour-propre malade et � mille autres choses bizarres, que par la compassion que ses douleurs me causent. Ma grand'm�re n'aimait pas les rancunes et les cruaut�s d'esprit de Voltaire et faisait fort bien la part des �garements de sa dignit� personnelle.

{Lub 1062} D'ailleurs, je ne tiens pas trop cs � voir les hommes � travers leurs livres, les hommes du pass� surtout. Dans ma jeunesse, je les cherchais encore moins sous l'arche sainte de leurs �crits. J'avais un grand enthousiasme pour Chateaubriand, le seul vivant de mes ma�tres d'alors. Je ne d�sirais pas du tout le voir et ne l'ai vu dans la suite qu'� regret.

Pour mettre de l'ordre dans mes souvenirs, je devrais peut-�tre continuer le chapitre de mes lectures, mais on risque fort d'ennuyer en parlant trop longtemps de soi seul, et j'aime mieux entrem�ler cet examen r�trospectif de moi-m�me de quelques-unes des circonstances ext�rieures qui s'y rattachent.


Variantes

  1. 1810-1832 {CL} (cette inadvertance de l'�diteur est corrig�e dans la table des mati�res du T.3) ♦ 1819-1822 {Lub} (cette indavertance de l'�diteur est r�p�t�e dans la table des mati�res du T.1. Nous corrigeons)
  2. 8me volume — Chapitre 2. Sommaire {Ms}chapitre dix-septi�me {Presse}, {Lecou} ♦ Chapitre Quatri�me {LP} ♦ IV {CL}
  3. Solution: l'abb� de Pr�mord. — {Ms} ♦ Solution. — L'abb� de Pr�mord. {Presse} et sq.
  4. Elle s'inqui�tait de ma sant�, et quelque accabl�e qu'elle f�t, me for�ait bien souvent de la veiller en cachette, mais toute autre {Ms} ♦ elle s'inqui�tait encore quelquefois de ma sant�: mais toute autre {Presse} et sq.
  5. et qu'elle ne [pouvait ray�] devait {Ms}
  6. Genlis et de Van [le nom est rest� en blanc] {Ms} ♦ Genlis et de Van der Welde {Presse} et sq.
  7. que la [maladie se r�gul ray�] crainte {Ms}
  8. religieuse que [l'isolement ray�] [l'influence ray�] l'indulgence de l'abb� de Pr�mord au couvent et ensuite l'isolement {Ms} ♦ religieuse, que l'isolement {Presse} et sq.
  9. Je ne voyais pas le sceptique, l'homme de vanit� mondaine, sous ce faux catholique des tems {Ms} ♦ Je ne voyais pas le po�te sceptique, l'homme de la gloire mondaine, sous ce catholique d�g�n�r� des temps {Presse} et sq.
  10. non pas comme Dante {Ms} ♦ non comme Dante {Presse}
  11. clart� de mon [matin ray�] premier r�veil {Ms}
  12. assassin de Jeanne d'Arc {Ms} ♦ assassin de Jean Huss {Presse} et sq.
  13. Voil� non pas toujours le v�ritable {Ms} ♦ Voil�, non pas le v�ritable {Presse} et sq.
  14. de l'Église romaine {Ms} ♦ de l'Église orthodoxe {Presse} et sq.
  15. dans l'abstractio {CL} Nous corrigeons cette coquille.
  16. fais de toi [boue et ray�] une poign�e {Ms}
  17. nourrie [et dont mon �tre moral est bien le r�sultat ray�] {Ms}
  18. vraie (or on ne peut �tre vrai, si l'on ne commence par [�tre ray�] [se sentir sinc�re ray�] {Ms}
  19. de tous points {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ de tout point {LP} et sq.
  20. de [marcher sur ray�] briser tous les [devoirs ray�] liens {Ms}
  21. La phrase qui suit est rajout�e en marge. {Ms} (note de {Lub})
  22. [Je n'avais donc pas suivi la doctrine, depuis le jour ray�]. J'avais donc r�pudi� la doctrine, � partir du jour {Ms}
  23. pour Mary Alicia {Ms} ♦ pour Marie Alicia {Presse} et sq.
  24. incons�quence [terrible ray�] �norme {Ms}
  25. l'aspiration {Ms} ♦ l'inspiration {Presse} et sq.
  26. une [muette et ray�] morne r�volte {Ms}
  27. par le [j�suitisme du ray�] silence {Ms}
  28. pas [pressenti ray�] rencontr� {Ms}
  29. mes [protestations ray�] promesses {Ms}
  30. retour [� la d�cisive r�signation � ses volont�s ray�] � ses id�es sur mon [avenir ray�] pr�sent et mon avenir {Ms}
  31. l'art et la science {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ l'art de la science {CL} ♦ l'art et la science {Lub} r�tablissant la le�on originale, l'autre faisant contresens; nous le suivons
  32. Cette parenth�se est ajout�e par George Sand. Quelques l�g�res alt�rations se sont gliss�es dans sa citation (G�nie, liv. I, chap. I). (note de {Lub})
  33. Les italiques sont le fait de George Sand et non de Chateaubriand. (note de {Lub})
  34. poussi�re — Soyons flamme {Ms}poussi�re; soyons flamme {Presse} ♦ poussi�re, soyons flamme {Lecou}, {LP} ♦ poussi�re. — Soyons flamme {CL}
  35. de l'�glise. [Ou bien il y avait une v�rit� pour tous les tems ray�] {Ms}
  36. J'�tais alors un grand casuiste {Ms} ♦ J'�tais dans de grandes perplexit�s {Presse} et sq.
  37. avait �t� pendant {Ms} ♦ avait �t� de nouveau, pendant {Presse} et sq.
  38. de me dicter {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ de dicter {CL}
  39. de votre [pi�t� ray�] foi {Ms}
  40. J�suite? [Parce que J�suite! ray�] Soyons �quitables {Ms}
  41. Pr�mord �tait [h�r�tique parce que J�suite, et bien plus chr��tien par cons�quent que catholique ray�] plus chr�tien {Ms}
  42. de mort. [Elle est un pacte d'absolue libert� entre l'inspirarion et la conscience individuelle. Elle permet � tout �tre pensant de chercher la perfection dans la ray�] Doctrine {Ms}
  43. renvers�e. (Si les .... sont .... si la chaire de St Pierre n'est pas abattue, c'est que les J�suites sont d�g�n�r�s et que le moment ne leur semble pas venu de planter leur drapeau sut le monde ray�] [Mais telle qu'elle est ray�] Cette doctrine {Ms}
  44. papaut� [, devant elle que la chaire de droit divin ray�]. {Ms}
  45. mariage, [la famille et la propri�t� ray�] l'heritage et la famille, la loi catholique est parfaite, son code est l'œuvre du g�nie; mais {Ms} ♦ mariage, l'h�ritage et la famille, la loi du renoncement catholique est parfaite. Son code est l'œuvre du g�nie de la destruction; mais {Presse} et sq.
  46. �branl�e. D'o� vient que cette v�rit� absolue des [ap�tres ray�] conciles peut se modifier ainsi? Elle ne le peut pas sans mentir puisqu'elle d�clare ne le pouvoir pas sans p�rir. Si elle ment, elle n'existe done plus. Mais arrive {Ms} ♦ : �branl�e. Mais arrive {Presse} et sq.
  47. . forces. [L'esprit vivifie et la lettre tue ray�] {Ms}
  48. �ternellement [explicable par ray�] accessible � l'interpr�tation de la conscience [intime ray�] �clair�e {Ms}
  49. tol�rante, une [transact... ray�] planche {Ms}
  50. croyances [qui s'agitaient ray�] humaines {Ms}
  51. propose [qui est la fin non les moyens ray�] [Dans ce dernier pr�cepte sont enferm�s, je l'ai dit ailleurs, tous ray�] {Ms}
  52. de vie [et de fraternit� ray�] d'une extension {Ms}
  53. ou la mort. Ainsi {Ms} (??), {Presse} ♦ ou la mort. / Ainsi {CL} ♦ ou la mort. Ainsi {Lub}
  54. lui-m�me [Ainsi de toutes les doctrines qui ... ray�] {Ms}
  55. pourrai {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ pourrais {CL}
  56. Si on [l'appelle seulement institut.. ray�] [ordre religieux ray�] la juge {Ms}
  57. obstacles [apparents ray�] au progr�s {Ms}
  58. de la libert� [politique ray�] philosophique {Ms}
  59. philosophique; {Ms} (??), {Presse}, ({Lecou}, {LP} ??), {CL} ♦ philosophique, {Lub}
  60. faces de la [libert� ray�] perfection {Ms}
  61. (sicut ad cadaver} {Ms}(perinde ac cadaver) {Presse} et sq.
  62. d'esprit. [Dans la suite du r�cit qu'on pr�sente au lecteur pr�venu je ne crains pas le soup�on, je .. en moi de quoi le vaincre .... en sourire ray�]. J'avoue {Ms}
  63. trouvai {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ trouvais {CL}
  64. A-Kempis {CL} ♦ A Kempis que nous suivons; de m�me dans la note * du m�me paragraphe, marqu� du signe derri�re le nom
  65. Pr�mord avait [de l'esprit autant que du cœur ray�] la ga�t� {Ms}
  66. par une [timidit� de sentiment qui ray�] grande rigidit� {Ms}
  67. de quelque [prix et qui ray�] vitalit� {Ms}
  68. en avant! je me mis donc aux prises {Ms} ♦ en avant! Et puis je me mis aux prises {Presse} et sq.
  69. Condillac, [Jean-Jacques Rousseau ray�] Montesquieu {Ms}
  70. Shakspeare {CL} ♦ Shakespeare {Lub} (nous le suivons, comme nous avions fait dans le chapitre XII de la IIIe partie; il en sera de m�me par la suite, avec la marque derri�re le nom)
  71. monde ou [au couvent ray�] � la mort {Ms}
  72. entrem�lant la lecture des croyans avec celle des opposans {Ms} ♦ entrem�lant dans mes lectures les croyans et les opposants {Presse} et sq.
  73. � suivre ses abstractions {Ms} ♦ � suivre les abstractions {Presse} et sq.
  74. dans ses cons�quences [flottantes et myst�rieuses ray�] {Ms} ♦ dans les cons�quences. {Presse} et sq.
  75. port� aux [subtilit�s ray�] recherches {Ms}
  76. science qui [d�passait ray�] fatiguait {Ms}
  77. George Sand a d'abord �crit l'homme de sentiment, et a ajout� la passion en interligne {Ms} (note de {Lub})
  78. entam�e. [La profession de foi du vicaire savoyard m'apparu' comme une religion, le contrat social comme une politique ray�] {Ms}
  79. religion comme je l'ai fait pendant deux ann�es encore depuis tout en {Ms} ♦ religion, tout en {Presse} et sq.
  80. sentier de sa [m�taphysique ray�] doctrine {Ms}
  81. synonimes {Ms} ♦ anonymes {Presse} ♦ synonymes {Lecou} et sq.
  82. th�ologie et � la [m�taphysique ray�] philosophie {Ms}
  83. l'application [impossible ray�]. À quoi bon [vouloir ray�] ces beaux {Ms}
  84. Et que m'importent {Ms} ♦ Et que m'importe {Presse} et sq.
  85. go�t. [C'�tait bien l� justement ce qui fait douter en moi [la vertu ray�] le sacrifice pour cause de paresse ray�] {Ms} (George Sand a repris cette id�e plus loin – note de {Lub})
  86. J'allais prendre {Ms}, {Presse} ♦ J'allai prendre {Lecou} et sq.
  87. pour [lasser ray�] irriter {Ms}
  88. l'inaction [du travail aride de l'intelligence ray�] o� le laissait {Ms}
  89. compris et ne me rappelle rien? {Ms} ♦ compris et tout retenu? {Presse} et sq.
  90. rappelant la [lettre ray�] plaisanterie de mon j�suite [sur l'orgueil ray�] {Ms}
  91. Au village c'�tait l'odeur f�tide des habits neufs du paysan qui sentent la sueur du mouton entass� dans la bergerie, la vue des bons saints {Ms} ♦ Au village, c'�tait la vue des bons saints {Presse} et sq.
  92. laiss� composer {Ms} ♦ laiss�e composer {Presse} et sq.
  93. go�t�es. [J'avais pris l'habitude de prier en anglais et le latin ou le fran�ais d�rangeait ray�] Je les avais {Ms}
  94. nuages [sur son soleil ray�] devant lui! {Ms}
  95. qu'elles leur soient {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ qu'elles soient {CL}
  96. Je ne [me r�concilie avec ray�] pardonne {Ms}
  97. D'ailleurs je ne [vois ray�] tiens pas trop {Ms}

Notes