GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-Lévy 1876

{LP T.? ?; CL T.3 [189]; Lub T.1 [957]} QUATRIÈME PARTIE
Du mysticisme à l'indépendance
1819-1832 a

{Presse 23/4/1855 1; CL T.3 [279]; Lub T.1 [1033]} IV b

Tristesses; promenades et rêveries. — Luttes contre le sommeil. — Première lectures sérieuses. — Le Génie du christianisme et l'Imitation de Jésus-Christ. — La vérité absolue, la vérité relative. — Scrupules de conscience. — Hésitation entre le développement et l'abrutissement de l'esprit. — Solution. — L'abbé de Prémord. c — Mon opinion sur l'esprit des jésuites. — Lectures métaphysiques. — La guerre des Grecs. — Deschartres prend parti pour le Grand Turc. — Leibniz. — Grande impuissance de mon cerveau: victoire de mon cœur. — Relâchement dans les pratiques de la dévotion, avec un redoublement de foi. — Les églises de campagne et de province. — Jean-Jacques Rousseau, le Contrat social.



Si ma destinée m'eût fait passer immédiatement de la domination de ma grand'mère à celle d'un mari ou à celle du couvent, il est possible que, soumise toujours à des influences acceptées, je n'eusse jamais été moi-même. Il n'y a guère d'initiative dans une nature endormie comme la mienne, et la dévotion sans examen, qui allait si bien à ma langueur d'esprit, m'eût interdit de demander à ma raison la sanction de ma foi. Les petits efforts, insensibles en apparence, mais continuels, de ma grand'mère pour m'ouvrir les yeux ne produisaient qu'une sorte de réaction intérieure. Un mari voltairien comme elle eût fait pis encore. Ce n'était pas par l'esprit que je pouvais être modifiée; n'ayant pas d'esprit du tout, j'étais insensible à la raillerie, que, d'ailleurs, je ne comprenais pas toujours.

Mais il était décidé par le sort que dès l'âge de dix-sept ans il y aurait pour moi un temps d'arrêt dans les influences extérieures, et que je m'appartiendrais entièrement pendant {CL 280} près d'une année, pour devenir, en bien ou en mal, ce que je devais être à peu près tout le reste de ma vie.

{Lub 1034} Il est rare qu'un enfant de famille, un enfant de mon sexe surtout, se trouve abandonné si jeune à sa propre gouverne. Ma grand'mère paralysée n'eut plus, même dans ses moments les plus lucides, la moindre pensée de direction morale ou intellectuelle à mon égard. Toujours tendre et caressante, elle s'inquiétait encore quelquefois de ma santé; mais toute autre d préoccupation, même celle de mon mariage, qu'elle ne pouvait plus traiter par lettres, sembla écartée de son souvenir.

Ma mère ne vint pas, malgré ma prière, disant que l'état de ma grand'mère pouvait se prolonger indéfiniment, et qu'elle ne devait e pas quitter Caroline. Je dus me rendre à cette bonne raison et accepter la solitude.

Deschartres, abattu d'abord, puis résigné, sembla changer entièrement de caractère avec moi. Il me remit, bon gré, mal gré, tous ses pouvoirs, exigea que je tinsse la comptabilité de la maison, que tous les ordres vinssent de moi, et me traita comme une personne mûre, capable de diriger les autres et soi-même.

C'était beaucoup présumer de ma capacité, et cependant bien lui en prit, comme on le verra par la suite.

Je n'eus pas de grandes peines à me donner pour maintenir l'ordre établi dans la maison. Tous les domestiques étaient fidèles. Comme fermier, Deschartres continuait à diriger les travaux de la campagne, auxquels il m'eût été impossible de rien entendre, malgré tous ses efforts antérieurs pour m'y faire prendre goût. J'étais née amateur, et rien de plus.

Ce pauvre Deschartres, voyant que l'état de ma grand'mère, en me privant de mon unique et de ma plus douce société intellectuelle, me jetait dans un ennui et dans un découragement profonds, que je maigrissais à vue d'œil {CL 281} et que ma santé s'altérait sensiblement, fit tout son possible pour me distraire et me secouer. Il me donna Colette en toute propriété, et même, pour me rendre le goût de l'équitation, que je perdais avec mon activité, il m'amena toutes les pouliches et tous les poulains de ses domaines, me priant, après les avoir essayés, de m'en servir pour varier mes plaisirs. Ces essais lui coûtèrent plus d'une chute sur le pré, et il fut forcé de convenir que, sans rien savoir, j'étais plus solide que lui, qui se piquait de théorie. Il était si roide et si compassé à cheval, qu'il s'y fatiguait vite, et j'allais trop vite aussi pour lui. Il me donna {Lub 1035} donc pour écuyer, ou plutôt pour page le petit André, qui était solide comme un singe attaché à un poney; et, me suppliant de ne point passer un jour sans promenade, il nous laissa courir les champs de compagnie.

Revenant toujours à Colette, à l'adresse et à l'esprit de laquelle rien ne pouvait être comparé, je pris donc l'habitude de faire tous les matins huit ou dix lieues en quatre heures, m'arrêtant quelquefois dans une ferme pour prendre une jatte de lait, marchant à l'aventure, explorant le pays au hasard, passant partout, même dans les endroits réputés impossibles, et me laissant aller à des rêveries sans fin, qu'André, très-bien stylé par Deschartres, ne se permettait pas d'interrompre par la moindre réflexion. Il ne retrouvait son esprit naturel que lorsque je m'arrêtais pour manger, parce que j'exigeais qu'il s'assît alors comme par le passé, à la même table que moi chez les paysans; et là, résumant les impressions de la promenade, il m'égayait de ses remarques naïves et de son parler berrichon. À peine remis en selle, il redevenait muet, consigne que je n'aurais pas songé à lui imposer, mais que je trouvais fort agréable, car cette rêverie au galop, ou cet oubli de toutes choses que le spectacle de la nature nous procure, pendant que le cheval au pas, abandonné à lui-même, s'arrête pour {CL 282} brouter les buissons sans qu'on s'en aperçoive; cette succession lente ou rapide de paysages, tantôt mornes, tantôt délicieux; cette absence de but, ce laisser passer du temps qui s'envole; ces rencontres pittoresques de troupeaux ou d'oiseaux voyageurs; le doux bruit de l'eau qui clapote sous les pieds des chevaux; tout ce qui est repos ou mouvement, spectacle des yeux ou sommeil de l'âme dans la promenade solitaire, s'emparait de moi et suspendait absolument le cours de mes réflexions et le souvenir de mes tristesses.

Je devins donc tout à fait poëte, et poëte exclusivement par les goûts et le caractère, sans m'en apercevoir et sans le savoir. Où je ne cherchais qu'un délassement tout physique, je trouvai une intarissable source de jouissances morales que j'aurais été bien embarrassée de définir, mais qui me ranimait et me renouvelait chaque jour davantage.

Si l'inquiétude ne m'eût ramenée auprès de ma pauvre malade, je me serais oubliée, je crois, des jours entiers {Lub 1036} dans ces courses; mais comme je sortais de grand'matin, presque toujours à la première aube, aussitôt que le soleil commençait à me frapper sur la tête, je reprenais au galop le chemin de la maison. Je m'apercevais souvent alors que le pauvre André était accablé de fatigue; je m'en étonnais toujours, car je n'ai jamais vu la fin de mes forces à cheval, où je crois que les femmes, par leur position en selle et la souplesse de leurs membres, peuvent, en effet, tenir beaucoup plus longtemps que les hommes.

Je cédais cependant quelquefois Colette à mon petit page, afin de le reposer par la douceur de son allure, et je montais ou la vieille jument normande qui avait sauvé la vie à mon père dans plus d'une bataille par son intelligence et la fidélité de ses mouvements, ou le terrible général Pépé qui avait des coups de reins formidables; mais {CL 283} je n'en étais pas plus lasse au retour, et je rentrais beaucoup plus éveillée et active que je n'étais partie.

C'est grâce à ce mouvement salutaire que je sentis tout à coup ma résolution de m'instruire cesser d'être un devoir pénible et devenir un attrait tout-puissant par lui-même. D'abord, sous le coup du chagrin et de l'inquiétude, j'avais essayé de tromper les longues heures que je passais auprès de ma malade, en lisant des romans de Florian, de madame de Genlis et de Van der Welde f. Ces derniers me parurent charmants; mais ces lectures, entrecoupées par les soins et les anxiétés que m'imposait ma situation de garde-malade, ne laissèrent presque rien dans mon esprit, et, à mesure que la crainte g de la mort s'éloignait pour faire place en moi à une mélancolique et tendre habitude de soins quasi maternels, je revins à des lectures plus sérieuses, qui bientôt m'attachèrent passionnément.

J'avais eu d'abord à lutter contre le sommeil, et je puisais sans cesse dans la tabatière de ma bonne maman pour ne pas succomber à l'atmosphère sombre et tiède de sa chambre. Je pris aussi beaucoup de café noir sans sucre, et même de l'eau-de-vie quelquefois, pour ne pas m'endormir quand elle voulait causer toute la nuit; car il lui arrivait de temps en temps de prendre la nuit pour le jour, et de se fâcher de l'obscurité et du silence où nous voulions, disait-elle, la tenir. Julie et Deschartres essayèrent quelquefois d'ouvrir les fenêtres, pour lui montrer qu'il faisait nuit en effet. Alors elle s'affligeait {Lub 1037} profondément, disant qu'elle était bien sûre que nous étions en plein midi, et qu'elle devenait aveugle, puisqu'elle ne voyait pas le soleil.

Nous pensâmes qu'il valait mieux lui céder en toute chose et détourner surtout la tristesse. Nous allumions donc beaucoup de bougies derrière son lit et lui laissions croire qu'elle voyait la clarté du jour. Nous nous tenions éveillés autour d'elle, et prêts à lui répondre quand, à {CL 284} tout moment, elle sortait de sa somnolence pour nous parler.

{Presse 24/4/1855 1} Les commencements de cette existence bizarre me furent très-pénibles. J'avais un impérieux besoin du peu de sommeil que je m'étais accordé précédemment. Je grandissais encore. Mon développement, contrarié par ce genre de vie, devenait une angoisse nerveuse indicible. Les excitants, que j'abhorrais comme antipathiques à ma tendance calme, me causaient des maux d'estomac et ne me réveillaient pas.

Mais la reprise de l'équitation imposée par Deschartres m'ayant fait en peu de jours une santé et une force nouvelles, je pus m'éveiller et travailler sans stimulants comme sans fatigue, et c'est alors seulement que, sentant changer en moi mon organisation physique, je trouvai dans l'étude un plaisir et une facilité que je ne connaissais pas.

C'était mon confesseur, le curé de La Châtre, qui m'avait prêté le Génie du christianisme. Depuis six semaines je n'avais pu me décider à le rouvrir, l'ayant fermé sur une page qui marquait une si vive douleur dans ma vie. Il me le redemanda. Je le priai d'attendre encore un peu et me résolus à le recommencer pour le lire en entier avec réflexion, ainsi qu'il me le recommandait.

Chose étrange, cette lecture destinée par mon confesseur à river mon esprit au catholicisme, produisit en moi l'effet tout contraire de m'en détacher pour jamais. Je dévorai le livre, je l'aimai passionnément, fond et forme, défauts et qualités. Je le fermai, persuadée que mon âme avait grandi de cent coudées; que cette lecture avait été pour moi un second effet du Tolle, lege de saint Augustin; que désormais j'avais acquis une force de persuasion à toute épreuve, et que non-seulement je pouvais tout lire, mais encore que je devais étudier tous les philosophes, tous les profanes, tous les hérétiques, avec la douce {Lub 1038} certitude de trouver dans leurs erreurs la confirmation et la garantie de ma foi.

{CL 285} Un instant renouvelée dans mon ardeur religieuse, que l'isolement h et la tristesse de ma situation avaient beaucoup refroidie, je sentis ma dévotion se redorer de tout le prestige de la poésie romantique. La foi ne se fit plus sentir comme une passion aveugle, mais comme une lumière éclatante. Jean Gerson m'avait tenue longtemps sous la cloche, doucement pesante, de l'humilité d'esprit, de l'anéantissement de toute réflexion, de l'absorption en Dieu et du mépris pour la science humaine, avec un salutaire mélange de crainte de ma propre faiblesse. L'Imitation de Jésus-Christ n'était plus mon guide. Le saint des anciens jours perdait son influence; Chateaubriand, l'homme de sentiment et d'enthousiasme, devenait mon prêtre et mon initiateur. Je ne voyais pas le poëte sceptique, l'homme de la gloire mondaine, sous ce catholique dégénéré des temps i modernes.

Ceci ne fut point ma faute et je ne songeai pas à m'en confesser. Le confesseur lui-même avait mis le poison dans mes mains. Je m'en étais nourrie de confiance. L'abîme de l'examen était ouvert, et je devais y descendre, non, comme Dante j, sur le tard de la vie, mais à la fleur de mes ans et dans toute la clarté de mon premier réveil k.

Hélas! Toi seul es logique, toi seul es réellement catholique, pécheur converti, assassin de Jean Huss l, coupable et repentant Gerson! C'est toi qui as dit:

« Mon fils, ne vous laissez point toucher par la beauté et la finesse des discours des hommes. Ne lisez jamais ma parole dans l'intetion d'être plus habile ou plus sage. Vous profiterez plus à approfondir le mal en vous-même qu'à approfondir des questions difficiles.

» Après beaucoup de lectures et de connaissances, il en faut toujours revenir à un seul principe: C'est moi qui donne la science aux hommes, et j'accorde aux petits une intelligence plus claire que les hommes n'en peuvent communiquer.

{CL 286} » Un temps viendra où Jésus-Christ, le maître des maîtres, le seigneur des anges, paraîtra pour entendre les leçons de tous les hommes, c'est-à-dire pour examiner la conscience de chacun. Alors, la lampe à la main, il visitera les recoins de Jérusalem, et ce qui était caché dans les {Lub 1039} ténèbres sera mis au jour, et les raisonnements des hommes n'auront point de lieu.

» C'est moi qui élève un esprit humble, au point qu'il pénètre en un moment plus de secrets de la vérité éternelle qu'un autre n'en apprendrait dans les écoles en dix années d'étude. — J'instruis sans bruit de paroles, sans mélange d'opinions, sans faste d'honneur et sans agitation d'arguments...

» Mon fils, ne sois point curieux, et ne te charges point de soins inutiles.

» Qu'est-ce que ceci ou cela vous regarde ? Pour vous, suivez-moi!

» En effet, que vous importe que celui-ci soit de telle ou telle humeur? que celui-là agisse ou parle de telle ou telle manière?

» Vous n'avez point à répondre pour les autres. Vous rendrez compte pour vous-même. De quoi vous embarrassez-vous donc?

» Je connais tous les hommes; je vois tout ce qui se passe sous le soleil, et je sais l'état de chacun en particulier, ce qu'il pense, ce qu'il désire, à quoi tendent ses desseins...

» Ne vous mettez point en peine de choses qui sont une source de distractions et de grands obscurcissements du cœur. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Apprenez à obéir, poussière que vous êtes! apprenez, terre et boue, à vous abaisser sous les pieds de tout le monde. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Demeure ferme et espère en moi, car, que sont des paroles, {CL 287} sinon des paroles? Elles frappent l'air, mais elles ne blessent point la pierre. . . . . . . . . . . . . . . . .

» L'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison, et il ne faut point ajouter foi à ceux qui diront: Le Christ est ici, ou: Il est là!. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Ne te réjouis en aucune chose, mais dans le mépris de toi-même et dans l'accomplissement de ma seule volonté. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Quitte-toi toi-même, et tu me trouveras. Demeure sans choix et sans propriété d'aucune chose, et tu gagneras ainsi beaucoup.

» Tu t'abandonneras ainsi toujours, à toute heure, dans les petites choses comme dans les grandes. Je n'excepte rien. Je veux, en tout, te trouver dégagé de tout.

{Lub 1040} » Quitte-toi, résigne-toi. Donne tout pour tout. Ne cherche rien, ne reprends rien, et tu me posséderas. Tu auras la liberté du cœur, et les ténèbres ne t'offusqueront plus.

» Que tes efforts, et tes prières, et tes désirs aient pour but de te dépouiller de toute propriété, et de suivre, nu, Jésus-Christ nu, de mourir à toi-même et de vivre éternellement à moi. . . . . . . . . . . . . . . . .

» Rougissez, Sidon, dit la mer!... Rougissez donc, serviteurs paresseux et plaintifs, de voir que les gens du monde sont plus ardents pour leur perte que vous ne l'êtes pour votre salut ! »

Voilà, non pas le véritable m esprit de l'Évangile, mais la véritable loi du prêtre, la vraie prescription de l'Église orthodoxe n: « Quitte-toi, abîme-toi, méprise-toi; détruis ta raison, confonds ton jugement; fuis le bruit des paroles humaines. Rampe, et fais-toi poussière sous la loi du mystère divin; n'aime rien, n'étudie rien, ne sache rien, ne possède rien, ni dans tes mains ni dans ton âme. Deviens une abstraction fondue et prosternée dans l'abstraction o {CL 288} divine; méprise l'humanité, détruis la nature; fais de toi une poignée p de cendres, et tu seras heureux. Pour avoir tout, il faut tout quitter. » Ainsi se résume ce livre à la fois sublime et stupide, qui peut faire des saints, mais qui ne fera jamais un homme.

{Presse 27/4/1855 1} J'ai dit sans aigreur et sans dédain, j'espère, les délices de la dévotion contemplative. Je n'ai point combattu en moi le souvenir tendre et reconnaissant de l'éducation monastique. J'ai jugé le passé de mon cœur avec mon cœur. Je chéris et bénis encore les êtres qui m'ont plongée dans ces extases par le doux magnétisme de leur angélique simplicité. On me pardonnera bien, par la suite, à quelque croyance qu'on appartienne, de me juger moi-même et d'analyser l'essence des choses dont on m'a nourrie q.

Si on ne me le pardonnait pas, je n'en serais pas moins sincère. Ce livre n'est pas une protestation systématique. Dieu me garde d'altérer pour moi, par un parti pris d'avance, le charme de mes propres souvenirs; mais c'est l'histoire de ma vie, et, dans tout ce que j'en veux dire, je veux être vraie r.

Je n'hésiterai donc pas à le dire: le catholicisme de Jean Gerson est anti-évangélique, et, pris au pied de la lettre, c'est une doctrine d'abominable égoïsme. Je m'en {Lub 1041} aperçus le jour où je le comparai, non avec le Génie du christianisme, qui est un livre d'art, et nullement un livre de doctrine, mais avec toutes les pensées que ce livre d'art me suggéra. Je sentis qu'il y avait une lutte ouverte en moi, et complète, entre l'esprit et le résultat de ces deux lectures. D'un côté, l'annihilation absolue de l'intelligence et du cœur en vue du salut personnel; de l'autre, le développement de l'esprit et du sentiment, en vue de la religion commune.

Je relus alors l'Imitation dans l'exemplaire que m'avait {CL 289} donné Marie Alicia*, et qui est encore là sous mes yeux, avec le nom, écrit de cette main chérie et vénérée. — Je savais par cœur ce chef-d'œuvre de forme et d'éloquente concision. Il m'avait charmée et persuadée de tout point s; mais la logique est puissante dans le cœur des enfants. Ils ne connaissent pas le sophisme et les capitulations de conscience. L'Imitation est le livre du cloître par excellence, c'est le code du tonsuré. Il est mortel à l'âme de quiconque n'a pas rompu avec la société des hommes et les devoirs de la vie humaine. Aussi avais-je rompu, dans mon âme et dans ma volonté, avec les devoirs de fille, de sœur, d'épouse et de mère; je m'étais dévouée à l'éternelle solitude en buvant à cette source de béate personnalité.

* Traduction du jésuite Gonnelieu, 17....

En le relisant après le Génie du christianisme, il me sembla entièrement nouveau, et je vis toutes les conséquences terribles de son application dans la pratique de la vie. Il me commandait d'oublier toute affection terrestre, d'éteindre toute pitié dans mon sein, de briser tous les liens t de la famille, de n'avoir en vue que moi-même et de laisser tous les autres au jugement de Dieu. Je commençai à être effrayée et à me repentir sérieusement d'avoir marché entre la famille et le cloître sans prendre un parti décisif. Trop sensible au chagrin de mes parents ou au besoin qu'ils pouvaient avoir de moi, j'avais été irrésolue, craintive. J'avais laissé mon zèle se refroidir, ma résolution vaciller et se changer en un vague désir mêlé d'impuissants regrets u. J'avais fait de nombreuses concessions à ma grand'mère, qui voulait me voir instruite et lettrée. J'étais le serviteur paresseux et plaintif, qui ne se veut point dégager de toute affection charnelle et de {Lub 1042} toute condescendance particulière. J'avais donc répudié la doctrine, à partir du jour v où, cédant aux ordres de mon directeur, j'étais devenue {CL 290} gaie, affectueuse, obligeante avec mes compagnes, soumise et dévouée envers mes parents. Tout était coupable en moi, même mon admiration pour sœur Hélène, même mon amitié pour Marie Alicia w, même ma sollicitude pour ma grand'mère infirme... Tout était criminel dans ma conscience et dans ma conduite, — Ou bien le livre, le divin livre avait menti.

Pourquoi donc alors le docte et savant abbé de Prémord, qui me voulait aimante et charitable, pourquoi ma douce mère Alicia, qui repoussait l'idée de ma vocation religieuse, m'avaient-ils donné et recommandé ce livre? Il y avait là une inconséquence énorme x; car, sans m'amener à la pratique véritable de l'insensibilité pour les autres, le livre m'avait fait du mal. Il m'avait tenue dans un juste milieu entre l'inspiration y céleste et les sollicitudes terrestres. Il m'avait empêchée d'embrasser avec franchise les goûts de la vie domestique et les aptitudes de la famille. Il m'avait amenée à une morne révolte z intérieure, dont ma soumission passive était la manifestation, trop cruelle si elle eût été comprise! J'avais trompé ma grand'mère par le silence aa, quand elle croyait m'avoir convaincue. Et qui sait si ses chagrins, ses susceptibilités, ses injustices n'avaient pas rencontré ab en moi une cause secrète qui les légitimait, encore qu'elle l'ignorât? Elle avait souvent trouvé mes caresses froides et mes promesses ac évasives. Peut-être avait-elle senti en moi, sans pouvoir s'en rendre compte, un obstacle à la sécurité de sa tendresse.

De plus en plus épouvantée par mes réflexions, je m'affligeai profondément de la faiblesse de mon caractère et de l'obscurcissement de mon esprit, qui ne m'avaient pas permis de suivre une route évidente et droite. J'étais d'autant plus désolée que je m'avisais de cela alors qu'il était trop tard pour le réparer, et au lendemain du malheureux jour où ma grand'mère avait perdu la faculté de comprendre {CL 291} mon retour à ses idées sur mon présent et mon avenir ad.

Tout était consommé maintenant, qu'elle vécût infirme de corps et d'âme pendant un an ou dix, ma place assidue était bien marquée à ses côtés; mais pour la suite {Lub 1043} de mon existence, il me fallait faire un choix entre le ciel et la terre; ou la manne d'ascétisme dont je m'étais à moitié nourrie était un aliment pernicieux dont il fallait à tout jamais me débarrasser, ou bien le livre avait raison, je devais repousser l'art et la science ae, et la poésie, et le raisonnement, et l'amitié et la famille; passer les jours et les nuits en extase et en prières auprès de ma moribonde, et, de là, divorcer avec toutes choses et m'envoler vers les lieux saints pour ne jamais redescendre dans le commerce de l'humanité.

Voici ce que Chateaubriand répondait à ma logique exaltée:

« Les défenseurs des chrétiens tombèrent (au dix-huitième siècle) af dans une faute qui les avait déjà perdus. Ils ne s'aperçurent pas qu'il ne s'agissait plus de discuter tel ou tel dogme, puisqu'on rejetait absolument les bases. En partant de la mission de Jésus-Christ, et remontant de conséquence en conséquence, ils établissaient sans doute fort solidement les vérités de la foi ; mais cette manière d'argumenter, bonne au dix-septième siècle, lorsque le fond n'était point contesté, ne valait plus rien de nos jours. Il fallait prendre la route contraire, passer de l'effet à la cause, ne pas prouver que le christianisme est excellent parce qu'il vient de Dieu, mais qu'il vient de Dieu parce qu'il est excellent ag. . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

» Il fallait prouver que, de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres.... On devait montrer qu'il n'y a rien de {CL 292} plus divin que sa morale; rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte. On devait dire qu'elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée,.... qu'il n'y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine; enfin, il fallait appeler tous les enchantements de l'imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avait armés. . . . . . . . . . . . .

» Mais n'y a-t-il pas de danger à envisager la religion sous un jour parfaitement humain? Et pourquoi? Notre religion craint-elle la lumière? Une grande preuve de sa céleste origine, c'est qu'elle souffre l'examen le plus {Lub 1044} sévère et le plus minutieux de la raison. Veut-on qu'on nous fasse éternellement le reproche de cacher nos dogmes dans une nuit sainte, de peur qu'on n'en découvre la fausseté? Le christianisme sera-t-il moins vrai parce qu'il paraîtra plus beau? Bannissons une frayeur pusillanime. Par excès de religion, ne laissons pas la religion périr. Nous ne sommes plus dans le temps où il était bon de dire: Croyez, et n'examinez pas. On examinera malgré nous, et notre silence timide, aug mentant le triomphe des incrédules, diminuera le nombre des fidèles. »

On voit que la question était bien nettement posée devant mes yeux. D'une part, abrutir en soi-même tout ce qui n'est pas la contemplation immédiate de Dieu seul; de l'autre, chercher autour de soi et s'assimiler tout ce qui peut donner à l'âme des éléments de force et de vie pour rendre gloire à Dieu. L'alpha et l'oméga de la doctrine. « Soyons boue et poussière. — Soyons flamme ah et lumière. — N'examinez rien si vous voulez croire. — Pour tout croire, il faut tout examiner. » À qui entendre?

{CL 293} L'un de ces livres était-il complétement hérétique? Lequel? Tous deux m'avaient été donnés par les directeurs de ma conscience. Il y avait donc deux vérités contradictoires dans le sein de l'Église ai? Chateaubriand proclamait la vérité relative. Gerson la déclarait absolue.

J'étais dans de grandes perplexités aj. Au galop de Colette, j'étais tout Chateaubriand. À la clarté de ma lampe, j'étais tout Gerson et me reprochais le soir mes pensées du matin.

Une considération extérieure donna la victoire au néo-chrétien. Ma grand'mère avait été de nouveau, pendant ak quelques jours, en danger de mort. Je m'étais cruellement tourmentée de l'idée qu'elle {Presse 27/4/1855 2} ne se réconcilierait pas avec la religion et mourrait sans sacrements; mais, bien qu'elle eût été parfois en état de m'entendre, je n'avais pas osé lui dire un mot qui pût l'éclairer sur son état et la faire condescendre à mes désirs. Ma foi m'ordonnait cependant impérieusement cette tentative: mon cœur me l'interdisait avec plus d'énergie encore.

J'eus d'affreuses angoisses à ce sujet, et tous mes scrupules et cas de conscience du couvent me revinrent. Après des nuits d'épouvante et des jours de détresse, j'écrivis à l'abbé de Prémord pour lui demander de {Lub 1045} dicter al :ma conduite et lui avouer toutes les faiblesses de mon affection filiale. Loin de les condamner, l'excellent homme les approuva: « Vous avez mille fois bien agi, ma pauvre enfant, en gardant le silence, m'écrivait-il dans une longue lettre pleine de tolérance et de suavité. Dire à votre grand'mère qu'elle é©tait en danger, c'eût été la tuer. Prendre l'initiative dans l'affaire délicate de sa conversion, cela serait contraire au respect que vous lui devez. Une telle inconvenance eût été vivement sentie par elle et l'eût peut-être éloignée sans retour des sacrements. Vous avez été bien inspirée de vous taire {CL 294} et de prier Dieu de l'assister directement. N'ayez jamais d'effroi quand c'est votre cœur qui vous conseille: le cœur ne peut pas tromper. Priez toujours, espérez, et, quelle que soit la fin de votre pauvre grand'mère, comptez sur la sagesse et la miséricorde infinies. Tout votre devoir auprès d'elle est de continuer à l'entourer des plus tendres soins. En voyant votre amour, votre modestie, l'humilité, et, si je puis parler ainsi, la discrétion de votre foi am, elle voudra peut-être, pour vous récompenser, répondre à votre secret désir et faire acte de foi elle-même. Croyez à ce que je vous ai toujours dit: Faites aimer en vous la grâce divine. C'est la meilleure exhortation qui puisse sortir de nous. »

Ainsi l'aimable et vertueux vieillard transigeait aussi avec les affections humaines. Il laissait percer l'espoir du salut de ma grand'mère, dût-elle mourir sans réconciliation officielle avec l'église, dût-elle mourir même sans y avoir songé! Cet homme était un saint, un vrai chrétien, dirai-je quoique jésuite, ou parce que jésuite?

Soyons équitables an. Au point de vue politique, en tant que républicains, nous haïssons ou redoutons cette secte éprise de pouvoir et jalouse de domination. Je dis secte en parlant des disciples de Loyola, car c'est une secte, je le soutiens. C'est une importante modification à l'orthodoxie romaine. C'est une hérésie bien conditionnée. Elle ne s'est jamais déclarée telle, voilà tout. Elle a sapé et conquis la papauté sans lui faire une guerre apparente; mais elle s'est ri de son infaillibilité, tout en la déclarant souveraine. Bien plus habile en cela que toutes les autres hérésies, et, partant, plus puissante et plus durable.

Oui, l'abbé de Prémord était plus chrétien ao que l'église intolérante, et il était hérétique parce qu'il était jésuite. {Lub 1046} La doctrine de Loyola est la boîte de Pandore. Elle contient tous les maux et tous les biens. Elle est une assise {CL 295} de progrès et un abîme de destruction, une loi de vie et de mort. Doctrine ap officielle, elle tue; doctrine cachée, elle ressuscite ce qu'elle a tué.

Je l'appelle doctrine, qu'on ne me chicane pas sur les mots, je dirai esprit de corps, tendance d'institution, si l'on veut; son esprit dominant et agissant consiste surtout à ouvrir à chacun la voie qui lui est propre. C'est pour elle que la vérité est souverainement relative, et, ce principe une fois admis dans le secret des consciences, l'Église catholique est renversée.

Cette doctrine aq tant discutée, tant décriée, tant signalée à l'horreur des hommes de progrès, est encore dans l'Église la dernière arche de la foi chrétienne. Derrière elle, il n'y a que l'absolutisme aveugle de la papauté ar. Elle est la seule religion praticable pour ceux qui ne veulent pas rompre avec Jésus-Christ Dieu. L'Église romaine est un grand cloître où les devoirs de l'homme en société sont inconciliables avec la loi du salut. Qu'on supprime l'amour et le mariage, l'héritage et la famille, la loi du renoncement catholique est parfaite. Son code est l'œuvre du génie de la destruction; mais as dès qu'elle admet une autre société que la communauté monastique, elle est un labyrinthe de contradictions et d'inconséquences. Elle est forcée de se mentir à elle-même et de permettre à chacun ce qu'elle défend à tous.

Alors, pour quiconque réfléchit, la foi est ébranlée. Mais arrive at le jésuite qui dit à l'âme troublée et incertaine: « Va comme tu peux et selon tes forces au. La parole de Jésus est éternellement accessible à l'interprétation de la conscience éclairée av. Entre l'Église et toi, il nous a envoyés pour lier ou délier. Crois en nous, donne-toi à nous qui sommes une nouvelle église dans l'Église, une église tolérée et tolérante, une planche aw de salut entre la règle et le fait. Nous avons découvert le seul moyen d'asseoir {CL 296} sur une base quelconque la diffusion et l'incertitude des croyances humaines ax. Ayant bien reconnu l'impossibilité d'une vérité absolue dans la pratique, nous avons découvert la vérité applicable à tous les cas, à tous les fidèles. Cette vérité, cette base, c'est l'intention. L'intention est tout, le fait n'est rien. Ce qui est mal peut être bien, et réciproquement, selon le but qu'on se propose ay. »

{Lub 1047} Ainsi Jésus avait parlé à ses disciples dans la sincérité de son cœur tout divin, quand il leur avait dit: « L'esprit vivifie, la lettre tue. Ne faites pas comme ces hypocrites et ces stupides qui font consister toute la religion dans les pratiques du jeûne et de la pénitence extérieure. Lavez vos mains et repentez-vous dans vos cœurs. »

Mais Jésus n'avait eu que des paroles de vie d'une extension az immense. Le jour où la papauté et les conciles s'étaient déclarés infaillibles dans l'interprétation de cette parole, ils l'avaient tuée, ils s'étaient substitués à Jésus-Christ. Ils s'étaient octroyé la divinité. Aussi, forcément entraînés à condamner au feu, en ce monde et en l'autre, tout ce qui se séparait de leur interprétation et des préceptes qui en découlent, ils avaient rompu avec le vrai christianisme, brisé le pacte de miséricorde infinie de la part de Dieu, de tendresse fraternelle entre tous les hommes, et substitué au sentiment évangélique si humain et si vaste le sentiment farouche et despotique du moyen âge.

En principe, la doctrine des jésuites était donc, comme son nom l'indique, un retour à l'esprit véritable de Jésus, une hérésie déguisée, par conséquent, puisque l'Église a baptisé ainsi toute protestation secrète ou déclarée contre ses arrêts souverains. Cette doctrine insinuante et pénétrante avait tourné la difficulté de concilier les arrêts de l'orthodoxie avec l'esprit de l'Évangile. Elle avait rajeuni les forces du prosélytisme en touchant le cœur et en rassurant l'esprit, et tandis que l'église disait à tous: « Hors {CL 297} de moi point de salut! » Le jésuite disait à chacun: « Quiconque fait de son mieux et selon sa conscience sera sauvé. »

Dirai-je maintenant pourquoi Pascal eut raison de flétrir Escobar et sa séquelle? C'est bien inutile; tout le monde le sait et le sent de reste: comment une doctrine qui eût pu être si généreuse et si bienfaisante est devenue, entre les mains de certains hommes, l'athéisme et la perfidie, ceci est de l'histoire réelle et rentre dans la triste fatalité des faits humains. Les pères de l'Église jésuitique espagnole ont du moins sur certains papes de Rome l'avantage pour nous de n'avoir pas été déclarés infaillibles par des pouvoirs absolus, ni reconnus pour tels par une notable portion du genre humain. Ce n'est jamais par les résultats historiques qu'il faut juger la pensée {Lub 1048} des institutions. À ce compte, il faudrait proscrire l'Évangile même, puisqu'en son nom tant de monstres ont triomphé, tant de victimes ont été immolées, tant de générations ont passé courbées sous le joug de l'esclavage. Le même suc, extrait à doses inégales du sein d'une plante, donne la vie ou la mort.

Ainsi ba de la doctrine des jésuites, ainsi de la doctrine de Jésus lui-même bb.

L'institut des jésuites, car c'est ainsi que s'intitula modestement cette secte puissante, renfermait donc implicitement ou explicitement dans le principe une doctrine de progrès et de liberté. Il serait facile de le démontrer par des preuves, mais ceci m'entraînerait trop loin, et je ne fais point ici une controverse. Je résume une opinion et un sentiment personnels, appuyés en moi sur un ensemble de leçons, de conseils et de faits que je ne pourrais bc pas tous dire (car si le confesseur doit le secret au pénitent, le pénitent doit au confesseur, même au delà de la tombe, le silence de la loyauté sur certaines décisions qui pourraient être mal interprétées); mais cet ensemble d'expériences personnelles me persuade que je ne juge ni avec {CL 298} trop de partialité de cœur, ni avec trop de sévérité de conscience la pensée mère de cette secte. Si on la juge bd dans le présent, je sais comme tout le monde ce qu'elle renferme désormais de dangers politiques et d'obstacles au progrès be; mais si on la juge comme pensée ayant servi de corps à un ensemble de progrès, on ne peut nier qu'elle n'ait fait faire de grands pas à l'esprit humain et qu'elle n'ait beaucoup souffert, au siècle dernier, pour le principe de la liberté intellectuelle et morale, de la part des apôtres de la liberté philosophique bf; bg mais ainsi va le monde sous la loi déplorable d'un malentendu perpétuel. Trop de besoins d'affranchissement se pressent et s'encombrent sur la route de l'avenir, dans des moments donnés de l'histoire des hommes; et qui voit son but sans voir celui du travailleur qu'il coudoie, croit souvent trouver un obstacle là où il eût trouvé un secours.

Les jésuites se piquaient d'envisager les trois faces de la perfection bh: religieuse, politique, sociale. Ils se trompaient; leur institut même, par ses lois essentiellement théocratiques et par son côté ésotérique, ne pouvait affranchir l'intelligence qu'en liant le corps, la conduite, les actions (perinde ac cadaver) bi. Mais quelle doctrine a dégagé jusqu'ici le grand inconnu de cette triple recherche?

Je demande pardon de cette digression un peu longue. Avouer de la prédilection pour les jésuites est, au temps où nous vivons, une affaire délicate. On risque fort, quand on a ce courage, d'être soupçonné de duplicité d'esprit. J'avoue bj que je ne m'embarrasse guère d'un tel soupçon.

{Presse 28/4/1855 1} Entre l'Imitation de Jésus-Christ et le Génie du christianisme, je me trouvais bk donc dans de grandes perplexités, comme dans l'affaire de ma conduite chrétienne auprès de ma grand'mère philosophe. Dès qu'elle fut hors de danger, je demandai l'intervention du jésuite pour résoudre la difficulté nouvelle. Je me sentais attirée vers l'étude par {CL 299} une soif étrange, vers la poésie par un instinct passionné, vers l'examen par une foi superbe.

« Je crains que l'orgueil ne s'empare de moi, écrivais-je à l'abbé de Prémord. Il est encore temps pour moi de revenir sur mes pas, d'oublier toutes ces pompes de l'esprit dont ma grand'mère était avide, mais dont elle ne jouira plus et qu'elle ne songera plus à me demander. Ma mère y sera fort indifférente. Aucun devoir immédiat ne me pousse donc plus vers l'abîme, si c'est, en effet, un abîme, comme l'esprit d'A Kempis* me le crie dans l'oreille. Mon âme est fatiguée et comme assoupie. Je vous demande la vérité. Si ce n'est qu'une satisfaction à me refuser, rien de plus facile que de renoncer à l'étude; mais si c'est un devoir envers Dieu, envers mes frères?... Je crains ici, comme toujours, de m'arrêter à quelque sottise. »

* Dans ce temps-là, je croyais, comme beaucoup d'autres, que Thomas A Kempis était l'auteur de l'Imitation. Les preuves invoquées par M. Henri Martin sur la paternité légitime de Jean GErson m'ont semblé si concluantes, que je n'hésite pas à m'y rendre

L'abbé de Prémord avait la gaieté bm de sa force et de sa sérénité. Je n'ai pas connu d'âme plus pure et plus sûre d'elle-même. Il me répondit cette fois avec l'aimable enjouement qu'il avait coutume d'opposer aux terreurs de ma conscience.

« Mon cher casuiste, me disait-il, si vous craignez l'orgueil, vous avez donc déjà de l'amour-propre? Allons, c'est un progrès sur vos timeurs accoutumées. Mais, {Lub 1050} en vérité, vous vous pressez beaucoup! À votre place, j'attendrais, pour m'examiner sur le chapitre de l'orgueil, que j'eusse déjà assez de savoir pour donner lieu à la tentation; car, jusqu'ici, je crains bien qu'il n'y ait pas de quoi. Mais, tenez, j'ai tout à fait bonne idée de votre bon sens, et me persuade que quand vous aurez appris {CL 300} quelque chose, vous verrez d'autant mieux ce qui vous manque pour savoir beaucoup. Laissez donc la crainte de l'orgueil aux imbéciles. La vanité, qu'est-ce que cela pour les cœurs fidèles? Ils ne savent ce que c'est. — Étudiez, apprenez, lisez tout ce que votre grand'mère vous eût permis de lire. Vous m'avez écrit qu'elle vous avait indiqué dans sa bibliothèque tout ce qu'une jeune personne pure doit laisser de côté et n'ouvrir jamais. En vous disant cela, elle vous en a confié les clefs. J'en fais autant. J'ai en vous la plus entière confiance, et mieux fondée encore, moi qui sais le fond de votre cœur et de vos pensées. Ne vous faites pas si gros et si terribles tous ces esprits forts et beaux esprits mangeurs d'enfants. On peut aisément troubler les faibles en calomniant les gens d'Église; mais peut-on calomnier Jésus et sa doctrine? Laissez passer toutes les invectives contre nous. Elles ne prouvent pas plus contre lui que ne prouveraient nos fautes, si ce blâme était mérité. Lisez les poëtes. Tous sont religieux. Ne craignez pas les philosophes, tous sont impuissants contre la foi. Et si quelque doute, quelque peur s'élève dans votre esprit, fermez ces pauvres livres, relisez un ou deux versets de l'Évangile, et vous vous sentirez docteur à tous ces docteurs. »

Ainsi parlait ce vieillard exalté, naïf et d'un esprit charmant, à une pauvre fille de dix-sept ans, qui lui avouait la faiblesse de son caractère et l'ignorance de son esprit. Était-ce bien prudent, pour un homme qui se croyait parfaitement orthodoxe? Non certes; c'était bon, c'était brave et généreux. Il me poussait en avant comme l'enfant poltron à qui l'on dit: ce n'est rien, ce qui t'effraye; regarde et touche: c'est une ombre, une vaine apparence, un risible épouvantail. Et, en effet, la meilleure manière de fortifier le cœur et de rassurer l'esprit, c'est d'enseigner le mépris du danger et d'en donner l'exemple.

{CL 301} Mais ce procédé, si certain dans le domaine de la réalité, est-il applicable aux choses abstraites? La foi {Lub 1051} d'un néophyte peut-elle être soumise ainsi d'emblée aux grandes épreuves?

Mon vieux ami suivait avec moi la méthode de son institution: il la suivait avec candeur, car il n'est rien de plus candide qu'un jésuite né candide. On le développe dans ce sens pour le bien, ou on l'exploite dans ce même sens pour le mal, selon que la pensée de l'ordre est dans la bonne ou dans la mauvaise voie de sa politique.

Il me voyait capable d'effusion intellectuelle, mais entravée par une grande rigidité bn de conscience qui pouvait me rejeter dans la voie étroite du vieux catholicisme. Or, dans la main du jésuite, tout être pensant est un instrument qu'il faut faire vibrer dans le concert qu'il dirige. L'esprit du corps suggère à ses meilleurs membres un grand fond de prosélytisme, qui chez les mauvais est vanité ardente, mais toujours collective. Un jésuite qui, rencontrant une âme douée de quelque vitalité bo, la laisserait s'étioler ou s'annihiler dans une quiétude stérile, aurait manqué à son devoir et à sa règle. Ainsi M. de Chateaubriand faisait peut-être à dessein, peut-être sans le savoir, l'affaire des jésuites, en appelant les enchantements de l'esprit et les intérêts du cœur au secours du christianisme. Il était hérétique, il était novateur, il était mondain; il était confiant et hardi avec eux, ou à leur exemple.

Après l'avoir lu avec entraînement, je savourai donc son livre avec délices, rassurée enfin par mon bon père et criant à mon âme inquiète: en avant! En avant! Et puis je me mis aux prises bp sans façon avec Mably, Locke, Condillac, Montesquieu bq, Bacon, Bossuet, Aristote, Leibnitz, Pascal, Montaigne, dont ma grand'mère elle-même m'avait marqué les chapitres et les feuillets à passer. Puis vinrent les poëtes ou les moralistes: La Bruyère, Pope, Milton, {CL 302} Dante, Virgile, Shakespeare br, que sais-je? Le tout sans ordre et sans méthode, comme ils me tombèrent sous la main, et avec une facilité d'intuition que je n'ai jamais retrouvée depuis et qui est même en dehors de mon organisation lente à comprendre. La cervelle était jeune, la mémoire toujours fugitive, mais le sentiment rapide et la volonté tendue. Tout cela était à mes yeux une question de vie et de mort, à savoir si, après avoir compris tout ce que je pouvais me proposer à comprendre, j'irais à la vie du monde ou à la mort bs volontaire du cloître.

{Lub 1052} Il s'agit bien, pensais-je, d'éprouver ma vocation dans des bals et des parures, comme on contraint Élisa à le faire! Moi qui déteste ces choses par elles-mêmes, plus j'aurai vu les amusements puérils et supporté les fatigues du monde, moins je serai sûre que c'est mon zèle et non ma paresse qui me rejette dans la paix du monastère. Mon épreuve n'est donc pas là. (en ceci j'avais bien raison et ne me trompais pas sur moi-même.) Elle est dans l'examen de la vérité religieuse et morale. Si je résiste à toutes les objections du siècle, sous forme de raisonnement philosophique, ou sous forme d'imagination de poëte, je saurai que je suis digne de me vouer à Dieu seul.

Si je voulais rendre compte de l'impression de chaque lecture et en dire les effets sur moi, j'entreprendrais là un livre de critique qui pourrait faire bien des volumes; mais qui les lirait en ce temps-ci? Et ne mourrais-je pas avant de l'avoir fini?

D'ailleurs, le souvenir de tout cela n'est plus assez net en moi, et je risquerais de mettre mes impressions présentes dans mon récit du passé. Je ferai donc grâce aux gens pour qui j'écris des détails personnels de cette étrange éducation et j'en résumerai le résultat par époques successives.

Je lisais, dans les premiers temps, avec l'audace de {CL 303} conviction que m'avait suggérée mon bon abbé. Armée de toutes pièces, je me défendais aussi vaillamment qu'il était permis à mon ignorance. Et puis, n'ayant pas de plan, entremêlant dans mes lectures les croyants et les opposants bt, je trouvais dans les premiers le moyen de répondre aux derniers. La métaphysique ne m'embarrassait guère; je la comprenais fort peu, en ce sens qu'elle ne concluait jamais rien pour moi. Quand j'avais plié mon entendement, docile comme la jeunesse, à suivre les abstractions bu, je ne trouvais que vide ou incertitude dans les conséquences bv. Mon esprit était et a toujours été trop vulgaire et trop peu porté aux recherches bw scientifiques pour avoir besoin de demander à Dieu l'initiation de mon âme aux grands mystères. J'étais un être de sentiment, et le sentiment seul tranchait pour moi les questions à mon usage, qui, toute expérience faite, devinrent bientôt les seules questions à ma portée.

Je saluai donc respectueusement les métaphysiciens; et tout ce que je peux dire à ma louange, à propos d'eux, {Lub 1053} c'est que je m'abstins de regarder comme vaine et ridicule une science qui fatiguait bx trop mes facultés. Je n'ai pas à me reprocher d'avoir dit alors: « À quoi bon la métaphysique? » J'ai été un peu plus superbe quand, plus tard, j'y ai regardé davantage. Je me suis réconciliée, plus tard encore, avec elle, en voyant encore un peu mieux. Et, en somme, je dis aujourd'hui que c'est la recherche d'une vérité à l'usage des grands esprits, et que, n'étant pas de cette race, je n'en ai pas grand besoin. Je trouve ce qu'il me faut dans les religions et les philosophies qui sont ses filles, ses incarnations, si l'on veut.

Alors, comme aujourd'hui, mordant mieux à la philosophie, et surtout à la philosophie facile du dix-huitième siècle, qui était encore celle de mon temps, je ne me sentis ébranlée par rien et par personne. Mais Rousseau arriva, {CL 304} Rousseau l'homme de passion et de sentiment by par excellence, et je fus enfin entamée bz.

Étais-je encore catholique au moment où, après avoir réservé, comme par instinct, Jean-Jacques pour la bonne bouche, j'allais subir enfin le charme de son raisonnement ému et de sa logique ardente? Je ne le pense pas. Tout en continuant à pratiquer cette religion, tout en ca refusant de rompre avec ses formules commentées à ma guise, j'avais quitté, sans m'en douter le moins du monde, l'étroit sentier de sa doctrine cb. J'avais brisé à mon insu, mais irrévocablement, avec toutes ses conséquences sociales et politiques. L'esprit de l'Église n'était plus en moi: il n'y avait peut-être jamais été.

{Presse 29/4/1855 1} Les idées étaient en grande fermentation à cette époque. L'Italie et la Grèce combattaient pour leur liberté nationale. L'Église et la monarchie se prononçaient contre ces généreuses tentatives. Les journaux royalistes de ma grand'mère tonnaient contre l'insurrection, et l'esprit prêtre, qui eût dû embrasser la cause des chrétiens d'orient, s'évertuait à prouver les droits de l'empire turc. Cette monstrueuse inconséquence, ce sacrifice de la religion à l'intérêt politique me révoltaient étrangement. L'esprit libéral devenait pour moi synonyme de sentiment religieux. Je n'oublierai jamais, je ne peux jamais oublier que l'élan chrétien me poussa résolûment, pour la première fois, dans le camp du progrès, dont je ne devais plus sortir.

Mais déjà, et depuis mon enfance, l'idéal religieux et {Lub 1054} l'idéal pratique avaient prononcé au fond de mon cœur et fait sortir de mes lèvres, aux oreilles effarouchées du bon Deschartres, le mot sacré d'égalité. La liberté, je ne m'en souciais guère alors, ne sachant ce que c'était et n'étant pas disposée à me l'accorder plus tard à moi-même. Du moins ce qu'on appelait la liberté civile ne me disait pas grand'chose. Je ne la comprenais pas sans l'égalité absolue {CL 305} et la fraternité chrétienne. Il me semblait, et il me semble encore, je l'avoue, que ce mot de liberté placé dans la formule républicaine, en tête des deux autres, aurait dû être à la fin, et pouvait même être supprimé comme un pléonasme.

Mais la liberté nationale, sans laquelle il n'est ni fraternité ni égalité à espérer, je la comprenais fort bien, et la discuter équivalait pour moi à la théorie du brigandage, à la proclamation impie et farouche du droit du plus fort.

Il ne fallait pas être un enfant bien merveilleusement doué, ni une jeune fille bien intelligente pour en venir là. Aussi étais-je confondue et révoltée de voir mon ami Deschartres, qui n'était dévot ni religieux en aucune façon, combattre à la fois la religion dans la question des hellènes et la philosophie dans la question du progrès. Le pédagogue n'avait qu'une idée, qu'une loi, qu'un besoin, qu'un instinct, l'autorité absolue en face de la soumission aveugle. Faire obéir à tout prix ceux qui doivent obéir, tel était son rêve; mais pourquoi les uns devaient-ils commander aux autres? Voilà à quoi lui, qui avait du savoir et de l'intelligence pratique, ne répondait jamais que par des sentences creuses et des lieux communs pitoyables.

Nous avions des discussions comiques, car il n'y avait pas moyen pour moi de les trouver sérieuses avec un esprit si baroque et si têtu sur certains points. Je me sentais trop forte de ma conscience pour être ébranlée et par conséquent dépitée un instant par ses paradoxes. Je me souviens qu'un jour, dissertant avec feu sur le droit divin du sultan (je crois, Dieu me pardonne, qu'il n'eût pas refusé la sainte ampoule au Grand Turc, tant il prenait à cœur la victoire du maître sur les écoliers mutins), il s'embarrassa le pied dans sa pantoufle et tomba tout de son long sur le gazon, ce qui ne l'empêcha pas d'achever sa phrase; après quoi il dit fort gravement en {Lub 1055} s'essuyant les genoux: « Je crois vraiment que je suis tombé? — Ainsi {CL 306} tombera l'Empire ottoman, » lui répondis-je en riant de sa figure préoccupée. Il prit le parti de rire aussi, mais non sans un reste de colère, et en me traitant de jacobine, de régicide, de philhellène et de bonapartiste, toutes injures synonymes cc dans son horreur pour la contradiction.

Il était cependant pour moi d'une bonté toute paternelle et tirait une grande gloriole de mes études, qu'il s'imaginait diriger encore parce qu'il en discutait l'effet.

Quand j'étais embarrassée de rencontrer dans Leibnitz ou Descartes les arguments mathématiques, lettres closes pour moi, mêlés à la théologie et à la philosophie cd, j'allais le trouver, et je le forçais de me faire comprendre par des analogies ces points inabordables. Il y portait une grande adresse, une grande clarté, une véritable intelligence de professeur. Après quoi, voulant conclure pour ou contre le livre, il battait la campagne et retombait dans ses vieilles rengaînes.

Mably m'avait fort mécontentée. Pour moi, c'était une déception perpétuelle que ces élans de franchise et de générosité, arrêtés sans cesse par le découragement en face de l'application. « À quoi bon ces beaux ce principes, {Lub 1056} me disais-je, s'ils doivent être étouffés par l'esprit de modération? Ce qui est vrai, ce qui est juste doit être observé et appliqué sans limites. »

J'avais l'ardeur intolérante de mon âge. Je jetais le livre au beau milieu de la chambre, ou au nez de Deschartres, en lui disant que cela était bon pour lui, et il me le renvoyait de même, disant qu'il ne voulait pas accepter un pareil brouillon, un si dangereux révolutionnaire.

Leibnitz me paraissait le plus grand de tous; mais qu'il était dur à avaler quand il s'élevait de trente atmosphères au-dessus de moi! Je me disais avec Fontenelle, en changeant le point de départ de sa phrase sceptique: « Si j'avais bien pu le comprendre, j'aurais vu le bout des matières, ou qu'elles n'ont point de bout! »

« Et que m'importe cf, après tout, disais-je, les monades, les unités, l'harmonie préétablie, et sacrosancta trinitas per nova inventa logica defensa, les esprits qui peuvent dire MOI, le carré des vitesses, la dynamique, le rapport des sinus d'incidence et de réfraction, et tant d'autres subtilités où il faut être à la fois grand théologien et grand savant, même pour s'y méprendre*! »

* Fontenelle, Éloge de Leibnitz.

Je me mettais à rire aux éclats toute seule de ma prétention à vouloir profiter de ce que je n'entendais pas. Mais cette entraînante préface de la Théodicée, qui résumait si bien les idées de Chateaubriand et les sentiments de l'abbé {CL 308} de Prémord sur l'utilité et même la nécessité du savoir, venait me relancer.

« La véritable piété, et même la véritable félicité, disait Leibnitz, consiste dans l'amour de Dieu, mais dans un amour éclairé, dont l'ardeur soit accompagnée de lumière. Cette espèce d'amour fait naître ce plaisir dans les bonnes actions qui, rapportant tout à Dieu, comme au centre, transporte l'humain au divin. — Il faut que les perfections de l'entendement donnent l'accomplissement à celles de la volonté. Les pratiques de la vertu, aussi bien que celles du vice, peuvent être l'effet d'une simple habitude; on peut y prendre goût cg; mais on ne saurait aimer Dieu sans en connaître les perfections. — Le croirait-on? des chrétiens se sont imaginé de pouvoir être dévots sans aimer le prochain, et pieux sans {Lub 1057} comprendre Dieu! Plusieurs siècles se sont écoulés sans que le public se soit bien aperçu de ce défaut, et il y a encore de grands restes du règne des ténèbres... Les anciennes erreurs de ceux qui ont accusé la Divinité, ou qui en ont fait un principe mauvais, ont été renouvelées de nos jours. On a eu recours à la puissance irrésistible de Dieu, quand il s'agissait plutôt de faire voir sa bonté suprême, et on a employé un pouvoir despotique, lorsqu'on devait concevoir une puissance réglée par la plus parfaite sagesse. »

Quand je relisais cela, je me disais: « Allons, encore un peu de courage! C'est si beau de voir cette tête sublime se vouer à l'adoration! Ce qu'elle a conçu et pris soin d'expliquer, n'aurais-je pas la conscience de vouloir le comprendre? Mais il me manque des éléments de science, et Deschartres me persécute pour que je laisse là ces grands résumés pour entrer dans l'étude des détails. Il veut m'enseigner la physique, la géométrie, les mathématiques. — Pourquoi pas, si cela est nécessaire à la foi en Dieu et à l'amour du prochain? Leibnitz met bien le doigt {CL 309} sur ma plaie quand il dit qu'on peut être fervent par habitude. Je suis capable d'aller au sacrifice par la paresse de l'âme; mais ce sacrifice, Dieu ne le rejettera-t-il pas? »

{Presse 30/4/1855 1} J'allai prendre ch une ou deux leçons. « Continuez, me disait Deschartres. Vous comprenez! — Vous croyez! lui répondais-je. — Certainement, et tout est là. — Mais retenir? — Ça viendra. »

Et quand nous avions travaillé quelques heures: « Grand homme, lui disais-je (je l'appelais toujours ainsi), vous me croirez si vous voulez, mais cela me tue. C'est trop long, le but est trop loin. Vous avez beau me mâcher la besogne, croyez bien que je n'ai pas la tête faite comme vous. Je suis pressée d'aimer Dieu, et s'il faut que je pioche ainsi toute la vie pour arriver à me dire, sur mes vieux jours, pourquoi et comment je dois l'aimer, je me consumerai en attendant, et j'aurai peut-être dévoré mon cœur aux dépens de ma cervelle.

— Il s'agit bien d'aimer Dieu! disait le naïf pédagogue. Aimez-le tant que vous voudrez, mais il vient là comme à propos de bottes!

— Ah! C'est que vous ne comprenez pas pourquoi je veux m'instruire.

{Lub 1058} — Bah! On s'instruit... pour s'instruire! répondait-il en levant les épaules.

— Justement, c'est ce que je ne veux pas faire. Allons, bonsoir, je vais écouter les rossignols. »

Et je m'en allais, non pas fatiguée d'esprit (Deschartres démontrait trop bien pour irriter ci les fibres du cerveau), mais accablée de cœur, chercher à l'air libre de la nuit et dans les délices de la rêverie la vie qui m'était propre et que je combattais en vain. Ce cœur avide se révoltait dans l'inaction où le laissait cj le travail sec de l'attention et de la mémoire. Il ne voulait s'instruire que par l'émotion, et je trouvais dans la poésie des livres d'imagination et dans celle {CL 310} de la nature, se renouvelant et se complétant l'une par l'autre un intarissable élément à cette émotion intérieure, à ce continuel transport divin que j'avais goûtés au couvent et qu'alors j'appelais la grâce.

Je dois donc dire que les poëtes et les moralistes à formes éloquentes ont agi en moi plus que les métaphysiciens et les philosophes profonds pour y conserver la foi religieuse.

Serai-je ingrate envers Leibnitz pourtant, et dirai-je qu'il ne m'a servi de rien, parce que je n'ai pas tout compris et tout retenu ck? Non, je mentirais. Il est certain que nous profitons des choses dont nous oublions la lettre, quand leur esprit a passé en nous, même à petite dose. On ne se souvient guère du dîner de la veille, et pourtant il a nourri notre corps. Si ma raison s'embarrasse peu, encore à cette heure, des systèmes contraires à mon sentiment; si les fortes objections que soulève contre la providence, à mes propres yeux, le spectacle du terrible dans la nature et du mauvais dans l'humanité, sont vaincues par un instant de rêverie tendre; si enfin je sens mon cœur plus fort que ma raison pour me donner foi en la sagesse et en la bonté suprême de Dieu, ce n'est peut-être pas uniquement au besoin inné d'aimer et de croire que je dois ce rassérénement et ces consolations. J'ai assez compris de Leibnitz, sans être capable d'argumenter de par sa science, pour savoir qu'il y a encore plus de bonnes raisons pour garder la foi que pour la rejeter.

Ainsi, par ce coup d'œil rapide et troublé que j'avais hasardé dans le royaume des merveilles ardues, j'avais {Lub 1059} à peu près rempli mon but en apparence. Cette pauvre miette d'instruction, que Deschartres trouvait surprenante de ma part, réalisait parfaitement la prédiction de l'abbé, en m'apprenant que j'avais tout à apprendre, et le démon de l'orgueil que l'église présente toujours à ceux qui désirent s'instruire, m'avait laissée bien tranquille, en vérité. Comme je n'en {CL 311} ai jamais beaucoup plus appris depuis, je peux dire que j'attends encore sa visite, et qu'à tous les compliments erronés sur ma science et ma capacité, je ris toujours intérieurement, en me rappelant la plaisanterie de mon jésuite cl: Peut-être que jusqu'à présent il n'y a pas sujet de craindre beaucoup cette tentation.

Mais le peu que j'avais arraché au règne des ténèbres m'avait fortifiée dans la foi religieuse en général, dans le christianisme en particulier. Quant au catholicisme... y avais-je songé?

Pas le moins du monde. Je m'étais à peine doutée que Leibnitz fût protestant et Mably philosophe. Cela n'était pas entré pour moi dans la discussion intérieure. M'élevant au-dessus des formes de la religion, j'avais cherché à embrasser l'idée mère. J'allais à la messe et n'analysais pas encore le culte.

Cependant, en me le rappelant bien, je dois le dire, le culte me devenait lourd et malsain. J'y sentais refroidir ma piété. Ce n'était plus les pompes charmantes, les fleurs, les tableaux, la propreté, les doux chants de notre chapelle, et les profonds silences du soir, et l'édifiant spectacle des belles religieuses prosternées dans leurs stalles. Plus de recueillement, plus d'attendrissement, plus de prières du cœur possibles pour moi dans ces églises publiques où le culte est dépouillé de sa poésie et de son mystère.

J'allais tantôt à ma paroisse de Saint-Chartier, tantôt à celle de La Châtre. Au village, c'était la vue des bons saints cm et des bonnes dames de dévotion traditionnelle, horribles fétiches qu'on eût dit destinés à effrayer quelque horde sauvage; les beuglements absurdes de chantres inexpérimentés, qui faisaient en latin les plus grotesques calembours de la meilleure foi du monde; et les bonnes femmes qui s'endormaient sur leur chapelet en ronflant tout haut; et le vieux curé qui jurait au beau milieu du prône contre les {CL 312} indécences des chiens introduits dans {Lub 1060} l'église. À la ville, c'étaient les toilettes provinciales des dames, leurs chuchotements, leurs médisances et cancans apportés en pleine église comme en un lieu destiné à s'observer et à se diffamer les unes les autres; c'était aussi la laideur des idoles et les glapissements atroces des collégiens qu'on laissait chanter la messe et qui se faisaient des niches tout le temps qu'elle durait. Et puis tout ce tripotage de pain bénit et de gros sous qui se fait pendant les offices, les querelles des sacristains et des enfants de chœur à propos d'un cierge qui coule ou d'un encensoir mal lancé. Tout ce dérangement, tous ces incidents burlesques et le défaut d'attention de chacun qui empêchait celle de tous à la prière, m'étaient odieux. Je ne voulais pas songer à rompre avec les pratiques obligatoires, mais j'étais enchantée qu'un jour de pluie me forçât à lire la messe dans ma chambre et à prier seule à l'abri de ce grossier concours de chrétiens pour rire.

Et puis, ces formules de prières quotidiennes, qui n'avaient jamais été de mon goût, me devenaient de plus en plus insipides. M. de Prémord m'avait permis d'y substituer les élans de mon âme quand je m'y sentirais entraînée, et insensiblement je les oubliais si bien que je ne priais plus que d'inspiration et par improvisation libre. Ce n'était pas trop catholique; mais on m'avait laissée composer cn des prières au couvent. J'en avais fait circuler quelques-unes en anglais et en français, qu'on avait trouvées si fleuries qu'on les avait beaucoup goûtées. Je les avais co aussitôt dédaignées en moi-même, ma conscience et mon cœur décrétant que les mots ne sont que des mots, et qu'un élan aussi passionné que celui de l'âme à Dieu ne peut s'exprimer par aucune parole humaine. Toute formule était donc une règle que j'adoptais par esprit de pénitence, et qui finit par me sembler une corvée abrutissante et mortelle pour ma ferveur.

{CL 313} Voilà dans quelle situation j'étais quand je lus l'Émile, la Profession de foi du vicaire savoyard, les Lettres de la montagne, le Contrat social et les discours.

La langue de Jean-Jacques et la forme de ses déductions s'emparèrent de moi comme une musique superbe éclairée d'un grand soleil. Je le comparais à Mozart; je comprenais tout! Quelle jouissance pour un écolier malhabile et tenace d'arriver enfin à ouvrir les yeux tout à {Lub 1061} fait et à ne plus trouver de nuages devant lui cp! Je devins, en politique, le disciple ardent de ce maître, et je le fus bien longtemps sans restrictions. Quant à la religion, il me parut le plus chrétien de tous les écrivains de son temps, et, faisant la part du siècle de croisade philosophique où il avait vécu, je lui pardonnai d'autant plus facilement d'avoir abjuré le catholicisme, qu'on lui en avait octroyé les sacrements et le titre d'une manière irréligieuse bien faite pour l'en dégoûter. Protestant né, redevenu protestant par le fait de circonstances justifiables, peut-être inévitables, sa nationalité dans l'hérésie ne me gênait pas plus que n'avait fait celle de Leibnitz. Il y a plus, j'aimais fort les protestants, parce que, n'étant pas forcée de les admettre à la discussion du dogme catholique, et me souvenant que l'abbé de Prémord ne damnait personne et me permettait cette hérésie dans le silence de mon cœur, je voyais en eux des gens sincères, qui ne différaient de moi que par des formes sans importance absolue devant Dieu.

Jean-Jacques fut le point d'arrêt de mes travaux d'esprit. À partir de cette lecture enivrante, je m'abandonnai aux poëtes et aux moralistes éloquents, sans plus de souci de la philosophie transcendante. Je ne lus pas Voltaire. Ma grand'mère m'avait fait promettre de ne le lire qu'à l'âge de trente ans. Je lui ai tenu parole. Comme il était pour elle ce que Jean-Jacques a été si longtemps pour moi, l'apogée de son admiration, elle pensait que je devais être dans toute la {CL 314} force de ma raison pour en goûter les conclusions. Quand je l'ai lu, je l'ai beaucoup goûté, en effet, mais sans en être modifiée en quoi que ce soit. Il y a des natures qui ne s'emparent jamais de certaines autres natures, quelque supérieures qu'elles soient cq. Et cela ne tient pas, comme on pourrait se l'imaginer, à des antipathies de caractère, pas plus que l'influence entraînante de certains génies ne tient à des similitudes d'organisation chez ceux qui la subissent. Je n'aime pas le caractère privé de Jean-Jacques Rousseau; je ne pardonne cr à son injustice, à son ingratitude, à son amour-propre malade et à mille autres choses bizarres, que par la compassion que ses douleurs me causent. Ma grand'mère n'aimait pas les rancunes et les cruautés d'esprit de Voltaire et faisait fort bien la part des égarements de sa dignité personnelle.

{Lub 1062} D'ailleurs, je ne tiens pas trop cs à voir les hommes à travers leurs livres, les hommes du passé surtout. Dans ma jeunesse, je les cherchais encore moins sous l'arche sainte de leurs écrits. J'avais un grand enthousiasme pour Chateaubriand, le seul vivant de mes maîtres d'alors. Je ne désirais pas du tout le voir et ne l'ai vu dans la suite qu'à regret.

Pour mettre de l'ordre dans mes souvenirs, je devrais peut-être continuer le chapitre de mes lectures, mais on risque fort d'ennuyer en parlant trop longtemps de soi seul, et j'aime mieux entremêler cet examen rétrospectif de moi-même de quelques-unes des circonstances extérieures qui s'y rattachent.


Variantes

  1. 1810-1832 {CL} (cette inadvertance de l'éditeur est corrigée dans la table des matières du T.3) ♦ 1819-1822 {Lub} (cette indavertance de l'éditeur est répétée dans la table des matières du T.1. Nous corrigeons)
  2. 8me volume — Chapitre 2. Sommaire {Ms}chapitre dix-septième {Presse}, {Lecou} ♦ Chapitre Quatrième {LP} ♦ IV {CL}
  3. Solution: l'abbé de Prémord. — {Ms} ♦ Solution. — L'abbé de Prémord. {Presse} et sq.
  4. Elle s'inquiétait de ma santé, et quelque accablée qu'elle fût, me forçait bien souvent de la veiller en cachette, mais toute autre {Ms} ♦ elle s'inquiétait encore quelquefois de ma santé: mais toute autre {Presse} et sq.
  5. et qu'elle ne [pouvait rayé] devait {Ms}
  6. Genlis et de Van [le nom est resté en blanc] {Ms} ♦ Genlis et de Van der Welde {Presse} et sq.
  7. que la [maladie se régul rayé] crainte {Ms}
  8. religieuse que [l'isolement rayé] [l'influence rayé] l'indulgence de l'abbé de Prémord au couvent et ensuite l'isolement {Ms} ♦ religieuse, que l'isolement {Presse} et sq.
  9. Je ne voyais pas le sceptique, l'homme de vanité mondaine, sous ce faux catholique des tems {Ms} ♦ Je ne voyais pas le poète sceptique, l'homme de la gloire mondaine, sous ce catholique dégénéré des temps {Presse} et sq.
  10. non pas comme Dante {Ms} ♦ non comme Dante {Presse}
  11. clarté de mon [matin rayé] premier réveil {Ms}
  12. assassin de Jeanne d'Arc {Ms} ♦ assassin de Jean Huss {Presse} et sq.
  13. Voilà non pas toujours le véritable {Ms} ♦ Voilà, non pas le véritable {Presse} et sq.
  14. de l'Église romaine {Ms} ♦ de l'Église orthodoxe {Presse} et sq.
  15. dans l'abstractio {CL} Nous corrigeons cette coquille.
  16. fais de toi [boue et rayé] une poignée {Ms}
  17. nourrie [et dont mon être moral est bien le résultat rayé] {Ms}
  18. vraie (or on ne peut être vrai, si l'on ne commence par [être rayé] [se sentir sincère rayé] {Ms}
  19. de tous points {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ de tout point {LP} et sq.
  20. de [marcher sur rayé] briser tous les [devoirs rayé] liens {Ms}
  21. La phrase qui suit est rajoutée en marge. {Ms} (note de {Lub})
  22. [Je n'avais donc pas suivi la doctrine, depuis le jour rayé]. J'avais donc répudié la doctrine, à partir du jour {Ms}
  23. pour Mary Alicia {Ms} ♦ pour Marie Alicia {Presse} et sq.
  24. inconséquence [terrible rayé] énorme {Ms}
  25. l'aspiration {Ms} ♦ l'inspiration {Presse} et sq.
  26. une [muette et rayé] morne révolte {Ms}
  27. par le [jésuitisme du rayé] silence {Ms}
  28. pas [pressenti rayé] rencontré {Ms}
  29. mes [protestations rayé] promesses {Ms}
  30. retour [à la décisive résignation à ses volontés rayé] à ses idées sur mon [avenir rayé] présent et mon avenir {Ms}
  31. l'art et la science {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ l'art de la science {CL} ♦ l'art et la science {Lub} rétablissant la leçon originale, l'autre faisant contresens; nous le suivons
  32. Cette parenthèse est ajoutée par George Sand. Quelques légères altérations se sont glissées dans sa citation (Génie, liv. I, chap. I). (note de {Lub})
  33. Les italiques sont le fait de George Sand et non de Chateaubriand. (note de {Lub})
  34. poussière — Soyons flamme {Ms}poussière; soyons flamme {Presse} ♦ poussière, soyons flamme {Lecou}, {LP} ♦ poussière. — Soyons flamme {CL}
  35. de l'église. [Ou bien il y avait une vérité pour tous les tems rayé] {Ms}
  36. J'étais alors un grand casuiste {Ms} ♦ J'étais dans de grandes perplexités {Presse} et sq.
  37. avait été pendant {Ms} ♦ avait été de nouveau, pendant {Presse} et sq.
  38. de me dicter {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ de dicter {CL}
  39. de votre [piété rayé] foi {Ms}
  40. Jésuite? [Parce que Jésuite! rayé] Soyons équitables {Ms}
  41. Prémord était [hérétique parce que Jésuite, et bien plus chréétien par conséquent que catholique rayé] plus chrétien {Ms}
  42. de mort. [Elle est un pacte d'absolue liberté entre l'inspirarion et la conscience individuelle. Elle permet à tout être pensant de chercher la perfection dans la rayé] Doctrine {Ms}
  43. renversée. (Si les .... sont .... si la chaire de St Pierre n'est pas abattue, c'est que les Jésuites sont dégénérés et que le moment ne leur semble pas venu de planter leur drapeau sut le monde rayé] [Mais telle qu'elle est rayé] Cette doctrine {Ms}
  44. papauté [, devant elle que la chaire de droit divin rayé]. {Ms}
  45. mariage, [la famille et la propriété rayé] l'heritage et la famille, la loi catholique est parfaite, son code est l'œuvre du génie; mais {Ms} ♦ mariage, l'héritage et la famille, la loi du renoncement catholique est parfaite. Son code est l'œuvre du génie de la destruction; mais {Presse} et sq.
  46. ébranlée. D'où vient que cette vérité absolue des [apôtres rayé] conciles peut se modifier ainsi? Elle ne le peut pas sans mentir puisqu'elle déclare ne le pouvoir pas sans périr. Si elle ment, elle n'existe done plus. Mais arrive {Ms} ♦ : ébranlée. Mais arrive {Presse} et sq.
  47. . forces. [L'esprit vivifie et la lettre tue rayé] {Ms}
  48. éternellement [explicable par rayé] accessible à l'interprétation de la conscience [intime rayé] éclairée {Ms}
  49. tolérante, une [transact... rayé] planche {Ms}
  50. croyances [qui s'agitaient rayé] humaines {Ms}
  51. propose [qui est la fin non les moyens rayé] [Dans ce dernier précepte sont enfermés, je l'ai dit ailleurs, tous rayé] {Ms}
  52. de vie [et de fraternité rayé] d'une extension {Ms}
  53. ou la mort. Ainsi {Ms} (??), {Presse} ♦ ou la mort. / Ainsi {CL} ♦ ou la mort. Ainsi {Lub}
  54. lui-même [Ainsi de toutes les doctrines qui ... rayé] {Ms}
  55. pourrai {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ pourrais {CL}
  56. Si on [l'appelle seulement institut.. rayé] [ordre religieux rayé] la juge {Ms}
  57. obstacles [apparents rayé] au progrès {Ms}
  58. de la liberté [politique rayé] philosophique {Ms}
  59. philosophique; {Ms} (??), {Presse}, ({Lecou}, {LP} ??), {CL} ♦ philosophique, {Lub}
  60. faces de la [liberté rayé] perfection {Ms}
  61. (sicut ad cadaver} {Ms}(perinde ac cadaver) {Presse} et sq.
  62. d'esprit. [Dans la suite du récit qu'on présente au lecteur prévenu je ne crains pas le soupçon, je .. en moi de quoi le vaincre .... en sourire rayé]. J'avoue {Ms}
  63. trouvai {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ trouvais {CL}
  64. A-Kempis {CL} ♦ A Kempis que nous suivons; de même dans la note * du même paragraphe, marqué du signe derrière le nom
  65. Prémord avait [de l'esprit autant que du cœur rayé] la gaîté {Ms}
  66. par une [timidité de sentiment qui rayé] grande rigidité {Ms}
  67. de quelque [prix et qui rayé] vitalité {Ms}
  68. en avant! je me mis donc aux prises {Ms} ♦ en avant! Et puis je me mis aux prises {Presse} et sq.
  69. Condillac, [Jean-Jacques Rousseau rayé] Montesquieu {Ms}
  70. Shakspeare {CL} ♦ Shakespeare {Lub} (nous le suivons, comme nous avions fait dans le chapitre XII de la IIIe partie; il en sera de même par la suite, avec la marque derrière le nom)
  71. monde ou [au couvent rayé] à la mort {Ms}
  72. entremêlant la lecture des croyans avec celle des opposans {Ms} ♦ entremêlant dans mes lectures les croyans et les opposants {Presse} et sq.
  73. à suivre ses abstractions {Ms} ♦ à suivre les abstractions {Presse} et sq.
  74. dans ses conséquences [flottantes et mystérieuses rayé] {Ms} ♦ dans les conséquences. {Presse} et sq.
  75. porté aux [subtilités rayé] recherches {Ms}
  76. science qui [dépassait rayé] fatiguait {Ms}
  77. George Sand a d'abord écrit l'homme de sentiment, et a ajouté la passion en interligne {Ms} (note de {Lub})
  78. entamée. [La profession de foi du vicaire savoyard m'apparu' comme une religion, le contrat social comme une politique rayé] {Ms}
  79. religion comme je l'ai fait pendant deux années encore depuis tout en {Ms} ♦ religion, tout en {Presse} et sq.
  80. sentier de sa [métaphysique rayé] doctrine {Ms}
  81. synonimes {Ms} ♦ anonymes {Presse} ♦ synonymes {Lecou} et sq.
  82. théologie et à la [métaphysique rayé] philosophie {Ms}
  83. l'application [impossible rayé]. À quoi bon [vouloir rayé] ces beaux {Ms}
  84. Et que m'importent {Ms} ♦ Et que m'importe {Presse} et sq.
  85. goût. [C'était bien là justement ce qui fait douter en moi [la vertu rayé] le sacrifice pour cause de paresse rayé] {Ms} (George Sand a repris cette idée plus loin – note de {Lub})
  86. J'allais prendre {Ms}, {Presse} ♦ J'allai prendre {Lecou} et sq.
  87. pour [lasser rayé] irriter {Ms}
  88. l'inaction [du travail aride de l'intelligence rayé] où le laissait {Ms}
  89. compris et ne me rappelle rien? {Ms} ♦ compris et tout retenu? {Presse} et sq.
  90. rappelant la [lettre rayé] plaisanterie de mon jésuite [sur l'orgueil rayé] {Ms}
  91. Au village c'était l'odeur fétide des habits neufs du paysan qui sentent la sueur du mouton entassé dans la bergerie, la vue des bons saints {Ms} ♦ Au village, c'était la vue des bons saints {Presse} et sq.
  92. laissé composer {Ms} ♦ laissée composer {Presse} et sq.
  93. goûtées. [J'avais pris l'habitude de prier en anglais et le latin ou le français dérangeait rayé] Je les avais {Ms}
  94. nuages [sur son soleil rayé] devant lui! {Ms}
  95. qu'elles leur soient {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ qu'elles soient {CL}
  96. Je ne [me réconcilie avec rayé] pardonne {Ms}
  97. D'ailleurs je ne [vois rayé] tiens pas trop {Ms}

Notes