GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.3 [189]; Lub T.1 [957]} QUATRIÈME PARTIE
Du mysticisme � l'ind�pendance
1819-1832 a

{Presse 17/4/1855 1; CL T.3 [217]; Lub T.1 [982]} II b

Le cimeti�re. — Myst�rieux orage contre sœur H�l�ne. — Premiers doutes instinctifs. — Mort de la m�re Alipe. — Terreurs d'Élisa. — Second m�contement int�rieur. — Langueurs et fatigues. — La maladie des scrupules. — Mon confesseur me donne pour p�nitence l'ordre de m'amuser. — Bonheur parfait. — D�votion gaie. — Moli�re au couvent. — Je deviens auteur et directeur de spectacles. c — Succ�s inou� du Malade imaginaire devant la communaut�. — Jane. — R�volte. — Mort du duc de Berry. — Mon d�part du couvent. — Mort de madame Canning. — Son administration. — Élection de madame Eug�nie. — D�cadence du couvent.



J'avais pass� plusieurs mois dans la b�atitude, mes jours s'�coulaient comme des heures. Je jouissais d d'une libert� absolue depuis que je n'�tais plus d'humeur � en abuser. Les religieuses me menaient avec elles dans tout le couvent, dans l'ouvroir, o� elles m'invitaient � prendre le th�; dans la sacristie, o� j'aidais � ranger et � plier les ornements d'autel; dans la tribune de l'orgue, o� nous r�p�tions les chœurs et motets; dans la chambre des novices, qui �tait une salle servant d'�cole de plain-chant; enfin dans le cimeti�re, qui �tait le lieu le plus interdit aux pensionnaires. Ce cimeti�re, plac� entre l'�glise et le mur du jardin des Écossais, n'�tait qu'un parterre de fleurs sans tombes et sans �pitaphes. Le renflement du gazon annon�ait seul la place des s�pultures. C'�tait un endroit d�licieux, tout ombrag� de beaux arbres, d'arbustes et de buissons luxuriants. Dans les soirs d'�t�, on y �tait presque asphyxi� par l'odeur des jasmins et des roses; l'hiver, pendant la neige, les bordures de violettes {CL 218} et les roses du Bengale souriaient encore sur ce linceul sans tache. Une jolie chapelle rustique, sorte de hangar ouvert qui abritait une statue de la Vierge, et {Lub 983} qui �tait toute festonn�e de pampres et de ch�vrefeuille, s�parait ce coin sacr� de notre jardin, et l'ombrage de nos grands marronniers se r�pandait par-dessus le petit toit de la chapelle. J'ai pass� l� des heures de d�lices � r�ver sans songer � rien. Dans mon temps de diablerie, quand je pouvais me glisser dans le cimeti�re, c'�tait pour y recueillir les bonnes balles �lastiques que les Écossais perdaient par-dessus le mur. Mais je ne songeais m�me plus aux balles �lastiques. Je me perdais dans le r�ve d'une mort anticip�e, d'une existence de sommeil intellectuel, d'oubli de toutes choses, de contemplations incessantes. Je choisissais ma place dans le cimeti�re. Je m'�tendais l� en imagination pour dormir comme dans le seul lieu du monde o� mon cœur et ma cendre pussent reposer en paix.

Sœur H�l�ne m'entretenait dans mes songes de bonheur, et pourtant elle n'�tait pas heureuse, la pauvre fille. Elle souffrait beaucoup, quoique sa force physique e�t repris le dessus et qu'elle f�t en voie de gu�rison; mais je crois que son mal �tait moral. Je crois qu'elle �tait un peu grond�e, un peu pers�cut�e pour son mysticisme. Il y avait des soirs o� je la trouvais en pleurs dans sa cellule. J'osais � peine l'interroger, car � mon premier mot elle secouait sa t�te carr�e d'un air d�daigneux, comme pour me dire: « J'en ai support� bien d'autres, et vous n'y pouvez rien. » Il est vrai qu'aussit�t elle se jetait dans mes bras et pleurait sur mon �paule; mais pas une plainte, pas un murmure, pas un aveu ne s'�chappa jamais de ses l�vres scell�es.

Un soir que je passais dans le jardin, au-dessous de la fen�tre de la chambre de la sup�rieure, j'entendis le bruit d'une vive altercation. Je ne pouvais ni ne voulais saisir le {CL 219} dialogue, mais je reconnaissais le son des voix. Celle de la sup�rieure �tait rude et irrit�e, celle de sœur H�l�ne navrante et entrecoup�e de g�missements. Dans le temps o� je cherchais le secret de la victime, j'aurais trouv� l� mati�re � de belles imaginations; je me serais gliss�e dans l'escalier, dans l'antichambre, j'aurais surpris le myst�re dont j'�tais avide. Mais ma religion me d�fendait d'espionner d�sormais, et je passai le plus vite que je pus. Pourtant cette voix d�chirante de ma ch�re H�l�ne me suivait malgr� moi. Elle ne paraissait pas supplier, je ne crois pas que cette robuste nature e�t pu {Lub 984} se ployer � cela; elle semblait protester �nergiquement et se plaindre d'une accusation injuste. D'autres voix que je ne reconnus pas semblaient la charger et la reprendre. Enfin, quand je fus assez loin pour ne rien entendre clairement, il me sembla que des cris inarticul�s venaient jusqu'� moi � travers les brises de la nuit et les rires des pensionnaires en r�cr�ation.

Ce fut le premier coup port� � la s�r�nit� de mon �me. Que se passait-il donc dans le secret du chapitre? Étaient-elles injustement soup�onneuses, �taient-elles impitoyables devant une faute, ces nonnes � l'air si doux, aux mani�res si tranquilles! Et quelle faute pouvait donc commettre une sainte comme la sœur H�l�ne? N'�tait-ce pas son trop de foi et de d�vouement qu'on lui reprochait? Étais-je pour quelque chose l�-dedans? Lui faisait-on un crime de notre sainte amiti�? J'avais entendu distinctement la sup�rieure articuler d'une voix courrouc�e: « Shame! shame! (Honte! honte!) » Ce mot de honte appliqu� � une �me na�ve et pure comme celle d'un petit enfant, � un �tre v�ritablement ang�lique, me froissait comme une insulte gratuite et cruelle; le vers de Boileau e me revenait sur les l�vres malgr� moi:


Tant de fiel entre-t-il dans l'�me des d�vots?.

{CL 220} Madame Canning n'�tait pas un Tartuffe femelle, bien certainement. Elle avait des vertus solides, mais elle �tait dure et pas tr�s-franche. Je l'avais �prouv� par moi-m�me. O� pouvait-elle avoir puis� dans une �me b�ate ce flot de reproches amers ou de menaces humiliantes que l'accent de sa voix trahissait � mon oreille? Je me demandais s'il �tait possible, � moins qu'on n'e�t une �me stupide, de ne pas ch�rir et admirer sœur H�l�ne; et s'il �tait possible, quand on avait de l'estime et de l'affection pour quelqu'un, de le gronder, de l'humilier, de le faire souffrir � ce point, m�me pour son bien, m�me en vue de lui faire faire son salut. « Est-ce une querelle? est-ce une �preuve? me disais-je: si c'est une querelle, elle est ignoble de formes. Si c'est une �preuve, elle est odieuse de cruaut�. »

Tout � coup j'entendis des cris f (mon imagination troubl�e me les fit seule entendre peut-�tre), un vertige passa devant mes yeux, une sueur froide inonda mon corps tremblant: « On la frappe, on la martyrise! » m'�criai-je.

{Lub 985} Que Dieu me pardonne cette pens�e, probablement folle et injuste, mais elle s'empara de moi comme une obsession g. J'�tais dans la grande all�e au fond du jardin, tortur�e par ces bruits confus qui semblaient m'y poursuivre. Je ne fis qu'un bond jusqu'� la cellule de sœur H�l�ne; je croirais volontiers que mes pieds ne m'y portaient pas, tant il me sembla voler aussi rapidement que ma pens�e. Si je n'avais pas trouv� H�l�ne dans sa cellule, je crois que j'aurais �t� la chercher dans celle de la sup�rieure.

H�l�ne venait de rentrer: sa figure �tait boulevers�e, son visage inond� de larmes. Mon premier mouvement fut de regarder si elle n'avait pas de traces de violences, si son voile n'�tait pas d�chir� ou ses mains ensanglant�es. J'�tais devenue tout � coup soup�onneuse comme ceux qui passent subitement d'une confiance aveugle � un doute poignant. Sa robe seule �tait poudreuse comme si elle e�t �t� jet�e {CL 221} par terre, comme si elle se f�t roul�e sur le plancher. Elle me repoussa en me disant: « Ce n'est rien, ce n'est rien! Je suis fort malade, il faut que je me mette au lit; laissez-moi. »

Je sortis pour lui laisser le temps de se coucher, mais je restai dans le corridor, prot�g�e par l'obscurit�, l'oreille coll�e � la porte. Elle g�missait � me d�chirer le cœur. Du c�t� de la chambre de la sup�rieure il y avait de l'agitation. On ouvrait et on fermait les portes, j'entendais des fr�lements de robes passer non loin de moi. Cette incertitude �tait fantastique, affreuse. Quand tout fut rentr� dans le silence, je revins aupr�s de la sœur H�l�ne.

« Je ne dois pas vous interroger, lui dis-je, et je sais que vous ne voudriez pas me r�pondre; mais laissez-moi vous assister et vous soigner. » Elle avait la fi�vre, disait-elle, mais ses mains �taient glac�es, et elle �tait agit�e d'un tremblement nerveux. Elle me demanda seulement � boire; il n'y avait que de l'eau dans sa cellule. Je courus malgr� elle trouver madame Marie-Augustine (Poulette), qui demeurait, je crois, dans le m�me dortoir*. Poulette �tait l'infirmi�re en chef, c'est elle qui avait les clefs et {Lub 986} la surveillance de la pharmacie. Je lui dis que sœur H�l�ne �tait fort malade. Mais quoi! La bonne, la rieuse, la maternelle Poulette haussa les �paules d'un air d'insouciance et me r�pondit: « Sœur H�l�ne? Bah, bah! Elle n'est pas bien malade, elle n'a besoin de rien! »

* On appelait dortoirs non seulement la salle commune de la petite classe mais aussi les corridors longs, �troits et obscurs qui s�paraient les doubles rang�es de cellules ferm�es.

R�volt�e de cette inhumanit�, j'allai trouver la sœur Th�r�se, la vieille converse aux alambics, la grande Irlandaise de la cave � la menthe. Elle travaillait aussi � la cuisine; elle pouvait faire chauffer de l'eau, pr�parer une {CL 222} tisane. Elle m'accueillit sans plus de sollicitude que Poulette. « Sister Helen! dit-elle en riant: she is in her bad spirits*. » Elle ajouta pourtant: « Allons, allons, je vais lui faire du tilleul, » et elle se mit � l'œuvre sans se presser et en ricanant toujours. Elle me remit la tisane et un peu d'eau de menthe en me disant: « Buvez-en aussi, c'est tr�s-bon pour le mal d'estomac et pour la folie. »

* Sœur H�l�ne! elle est dans les vapeurs. Litt�ralement: dans ses mauvais esprits.

Je n'en pus rien tirer autre chose, et je retournai aupr�s de ma malade qui �tait dans le plus complet abandon. Elle grelottait de froid; j'allai lui chercher la couverture de mon lit, et la tisane chaude la r�chauffa un peu. On disait la pri�re � la classe, on allait se retirer. Je fus demander � la Comtesse, qui v�ritablement ne me refusait jamais rien, la permission de veiller sœur H�l�ne qui �tait malade. « Comment! dit-elle d'un air �tonn�, sœur H�l�ne est malade, et il n'y a que vous pour la soigner? — C'est comme cela madame; me le permettez-vous? — Allez, ma tr�s-ch�re, r�pondit-elle, tout ce que vous faites ne peut �tre que fort agr�able � Dieu. » Ainsi me traitait cette ridicule et excellente personne dont je m'�tais tant moqu�e, et qui n'avait souci et rancune d'aucune chose au monde, quand {Presse 17/4/1855 2} il ne s'agissait pas de son perroquet et du chat de la m�re Alippe.

Je restai aupr�s de sœur H�l�ne jusqu'au moment o� l'on vint fermer les portes de communication des dortoirs. Elle dormait enfin et paraissait tranquille quand je la quittai. Elle avait mortellement souffert pendant quelques heures, et il lui �tait arriv� de dire en se tordant sur son lit: « On ne peut donc pas mourir! » Mais pas une plainte contre qui que ce f�t ne lui �tait �chapp�e, et le lendemain je la trouvai au travail souriante et presque {Lub 987} gaie. C'�tait la bienfaisante {CL 223} mobilit� de l'enfant unie � la r�signation et au courage d'une sainte.

Cette myst�rieuse aventure avait laiss� en moi plus de traces qu'en elle; je vis bien, aux mani�res des religieuses avec moi et � la libert� qu'on me laissait de la voir � toute heure du jour, que je n'�tais pour rien dans l'orage qui avait pass� sur sa t�te. Mais je n'en restai pas moins pensive et bris�e, non pas �branl�e dans ma foi, mais troubl�e dans mon bonheur et dans ma confiance.

Vers ce m�me temps, je crois, la m�re Alippe mourut d'un catarrhe pulmonaire end�mique, qui mit aussi en danger la vie de la sup�rieure et de plusieurs autres religieuses. Je n'avais jamais �t� particuli�rement li�e avec la m�re Alippe; pourtant je l'aimais beaucoup, j'avais pu appr�cier, � la petite classe, la droiture et la justice de son caract�re. Elle fut fort regrett�e, et sa mort presque subite (apr�s quelques jours de maladie seulement) fut accompagn�e de circonstances d�chirantes. Sa sœur Poulette, qui la soignait et qui avait aussi, comme infirmi�re, � soigner les autres et la sup�rieure, montra un courage admirable dans sa douleur, au point de tomber �vanouie et comme morte elle-m�me dans l'infirmerie, au milieu de ses fonctions, le jour de l'enterrement de m�re Alippe.

Cet enterrement fut beau de tristesse et de po�sie: les chants, les larmes, les fleurs, la c�r�monie dans le cimeti�re, les pens�es plant�es imm�diatement sur sa tombe et que nous nous h�t�mes de cueillir pour nous les partager, la douleur profonde et r�sign�e des religieuses, tout sembla donner un caract�re de saintet� et comme un charme secret � cette mort sereine, � cette s�paration d'un jour, comme disait la bonne et courageuse Poulette.

Mais j'avais �t� violemment troubl�e par une circonstance incompr�hensible pour moi. Nous avions appris la mort de la m�re Alippe le matin en sortant de nos cellules. {CL 224} On s'abordait tristement, on pleurait, on �tait triste, mais calme, car d�s la veille la digne cr�ature �tait condamn�e et �tait entr�e dans son agonie. On nous avait cach� cette lutte supr�me, mais sans nous laisser d'espoir. Par un sentiment de respect pour le repos de l'enfance, ces tristes heures s'�taient �coul�es sans bruit. Nous n'avions entendu ni son de cloche, ni pri�res des agonisants. Le lugubre appareil de la mort nous avait �t� voil�. Nous nous m�mes en pri�res. C'�tait par une {Lub 988} matin�e froide i et brumeuse. Un jour terne se glissait sur nos t�tes inclin�es. Tout � coup, au milieu de l'Ave Maria, un cri d�chirant, horrible, part du milieu de nous: tout le monde se l�ve �pouvant�. Élisa seule ne se l�ve pas, elle tombe par terre et se roule, en proie � des convulsions terribles.

Par un effort de sa volont�, elle fut debout pour aller entendre la messe, mais elle y fut reprise des m�mes crises nerveuses, et oblig�e de sortir. Toute la journ�e elle fut plus morte que vive; le lendemain et les jours suivants, il lui �chappait un cri strident, au milieu de ses m�ditations ou de ses �tudes; elle promenait des yeux hagards autour d'elle, elle �tait comme poursuivie par un spectre.

Comme elle ne s'expliquait pas, nous attribu�mes d'abord cette commotion physique au chagrin; mais pourquoi ce chagrin violent, puisqu'elle n'�tait pas plus li�e d'amiti� particuli�re avec la m�re Alippe que la plupart d'entre nous? Elle m'expliqua ce qu'elle souffrait aussit�t que nous f�mes seules: sa chambre n'�tait s�par�e que par une mince cloison de l'alc�ve de la petite infirmerie o� la m�re Alippe �tait morte. Pendant toute la nuit, elle avait, pour ainsi dire, assist� � son agonie. Elle n'avait pas perdu un mot, un g�missement de la moribonde, et le r�le final avait exerc� sur ses nerfs irritables un effet sympathique. Elle �tait forc�e de se faire violence pour ne pas l'imiter en racontant cette nuit d'angoisses et de terreurs. Je fis mon {CL 225} possible pour la calmer; nous avions une pri�re � la vierge qu'elle aimait � dire avec moi dans ses heures de souffrance morale. C'�tait une pri�re en anglais qui lui venait de sa ch�re madame de Borgia et qu'il ne fallait pas dire seule j, selon la pens�e fraternelle du christianisme primitif, exprim�e par cette parole: « Je vous le dis en v�rit�, l� o� vous serez trois r�unis en mon nom, je serai au milieu de vous. » Faute d'une troisi�me compagne aussi assidue que nous � ces pratiques d'une d�votion particuli�re, nous la disions � nous deux. Élisa avait un prie-Dieu dans sa cellule qui �tait arrang�e comme celle d'une religieuse. Nous allumions un petit cierge de cire bien blanche, au pied duquel nous d�posions un bouquet des plus belles fleurs que nous pouvions nous procurer. Ces fleurs et cette cire vierge �taient exclusivement consacr�es comme offrandes dans cette pri�re. {Lub 989} Élisa aimait ces pratiques ext�rieures de la d�votion, elle y attachait de l'importance, elle leur attribuait des influences secr�tes pour la gu�rison des peines morales qu'elle �prouvait souvent. Elle ch�rissait les formules.

Je pensais bien qu'elle mat�rialisait un peu son culte, et cela me faisait l'effet d'un amusement na�f et tendre; mais je le partageais par affection pour elle plus que par go�t. Je trouvais k toujours que la seule vraie pri�re �tait l'oraison mentale, l'effusion du cœur sans paroles, sans phrases, et m�me sans id�es. Élisa aimait tout dans la d�votion, le fond et la forme. Elle avait le go�t des paten�tres l. Il est vrai qu'elle y savait r�pandre la po�sie qui �tait en elle.

N�anmoins, l'oraison de madame Borgia m ne la calma qu'un instant, et elle m'avoua qu'elle se sentait assaillie de terreurs involontaires et inexplicables. Le fant�me de la mort s'�tait dress� devant elle dans toute son horreur; cette riche et vivante organisation frissonnait d'�pouvante devant l'id�e de la destruction. À toute heure elle offrait sa vie � Dieu, et certes elle �tait d'une trempe � ne pas {CL 226} reculer devant la r�solution du martyre, mais la souffrance et la mort, lorsqu'elles se mat�rialisaient devant ses yeux, �branlaient trop fortement son imagination; cette �me si forte avait les nerfs n d'une femmelette. Elle se le reprochait et n'y pouvait rien.

Je ne saurais dire pourquoi cela me d�plut. J'�tais en humeur de d�senchantement; je trouvai �trange et f�cheux que ma sainte Élisa, le type de la force et de la vaillance, f�t agit�e et troubl�e devant une chose aussi auguste, aussi solennelle que la mort d'un �tre sans p�ch�. Je n'avais jamais eu peur de la mort en g�n�ral. Ma grand'm�re me l'avait fait envisager avec un calme philosophique dont je retrouvais l'emploi en face de la mort chr�tienne, moins froide et tout aussi sereine que celle du sto�que. Pour la premi�re fois, cela m'apparut comme o quelque chose de sombre, � travers l'impression p maladive d'Élisa. Tout en la bl�mant en moi-m�me de ne pas l'envisager comme je l'entendais, je sentis sa terreur devenir contagieuse, et, le soir, comme je traversais le dortoir o� reposait la morte, j'eus comme une hallucination; je vis passer devant moi l'ombre de la m�re Alippe avec sa robe blanche qu'elle secouait et agitait sur le carreau. J'eus peine � retenir un cri comme ceux que jetait Élisa. {Lub 990} Je m'en d�fendis, mais j'eus honte de moi-m�me. Je m'accusai de cette vaine terreur comme d'une impi�t� et je me sentis q presque aussi m�contente d'Élisa que de moi-m�me.

Au milieu de ces d�sillusions r que je refoulais de mon mieux, la tristesse me prit. Un soir, j'entrai dans l'�glise et ne pus prier. Les efforts que je fis pour ranimer mon cœur fatigu� ne servirent qu'� l'abattre davantage. Je me sentais malade depuis quelque temps, j'avais des spasmes d'estomac insupportables, plus de sommeil ni d'app�tit. Ce n'est pas � quinze ans qu'on peut supporter impun�ment les aust�rit�s auxquelles je me livrais. Élisa en avait dix-neuf, {CL 227} sœur H�l�ne en avait vingt-huit. Je faiblissais visiblement sous le poids de mon exaltation. Le lendemain de cette soir�e, qui faisait un pendant si affligeant � ma veill�e du 4 ao�t, je me levai avec effort; j'eus la t�te lourde et distraite � la pri�re. La messe me trouva sans ferveur s. Il en fut de m�me le soir. Le jour suivant, je fis de tels efforts de volont� que je ressaisis t mon �motion et mes transports. Mais le lendemain fut pire. La p�riode de l'effusion �tait �puis�e, une lassitude insurmontable m'�crasait. Pour la premi�re fois depuis que j'�tais d�vote, j'eus comme des doutes, non pas sur la religion u, mais sur moi-m�me. Je me persuadai que la gr�ce m'abandonnait. Je me rappelai cette terrible parole: « Il y a beaucoup d'appel�s, peu d'�lus. » Enfin, je crus sentir que Dieu ne m'aimait plus, parce que je ne l'aimais pas assez. Je tombai dans un morne d�sespoir.

Je fis part de mon mal � madame Alicia. Elle en sourit et me voulut d�montrer que c'�tait une mauvaise disposition de sant�, � l'effet de laquelle il ne fallait pas attacher trop d'importance.

« Tout le monde est sujet � ces d�faillances de l'�me, me dit-elle. Plus vous vous en tourmenterez, plus elles augmenteront. Acceptez-les en esprit d'humilit�, et priez pour que cette �preuve finisse; mais si vous n'avez commis aucune faute grave dont cette langueur soit le juste ch�timent, patientez, esp�rez et priez! »

Ce qu'elle me disait l� �tait le fruit d'une grande exp�rience philosophique et d'une raison �clair�e. Mais ma faible t�te ne sut pas en profiter. J'avais go�t� trop de joie dans ces ardeurs de la d�votion pour me r�signer � en attendre paisiblement le retour. Madame Alicia {Lub 991} m'avait dit: « Si vous n'avez pas commis quelque faute grave! » Me voil� cherchant la faute que j'avais pu commettre; car de supposer Dieu assez fantasque et assez cruel pour me retirer {CL 228} la gr�ce sans autre motif que celui de m'�prouver, je n'y pouvais consentir. « Qu'il m'�prouve dans ma vie ext�rieure, je le con�ois, me disais-je; on accepte, on cherche le martyre; mais pour cela, la gr�ce est n�cessaire, et s'il m'�te la gr�ce, que veut-il donc que je fasse? Je ne puis rien que par lui, s'il m'abandonne, est-ce ma faute? »

Ainsi je murmurais contre l'objet de mon adoration, et comme une amante jalouse et irrit�e, je lui eusse volontiers adress� d'amers reproches. Mais je frissonnais devant ces instincts de r�bellion, et, me frappant la poitrine: « Oui, me disais-je, il faut que ce soit ma faute. Il faut que j'aie commis un crime et que ma conscience endurcie ou h�b�t�e ait refus� de m'avertir. »

Et me voil� �pluchant ma conscience et cherchant mon p�ch� avec une incroyable rigueur envers moi-m�me, comme si l'on �tait coupable quand on cherche ainsi sans pouvoir rien trouver! Alors je me persuadai qu'une suite de p�ch�s v�niels �quivalait � un p�ch� mortel, et je cherchai de nouveau cette quantit� de p�ch�s v�niels que j'avais d� commettre, que je commettais sans doute � toute heure, sans m'en rendre compte, puisqu'il est �crit que le juste p�che sept fois par jour, et que le chr�tien humble doit se dire qu'il p�che jusqu'� septante fois sept fois.

{Presse 18/4/1855 1} Il y avait peut-�tre eu beaucoup d'orgueil dans mon enivrement. Il y eut exc�s d'humilit� dans mon retour sur moi-m�me. Je ne savais rien faire � demi. Je pris la funeste habitude de scruter en moi les petites choses v. Je dis funeste, parce qu'on n'agit pas ainsi sur sa propre individualit� sans y d�velopper une sensibilit� d�r�gl�e, et sans arriver � donner une importance pu�rile aux moindres mouvements du sentiment, aux moindres op�rations de la pens�e. De l� � la disposition maladive qui s'exerce {CL 229} sur les autres et qui alt�re les rapports de l'affection par une susceptibilit� trop grande et par une secr�te exigence, il n'y a w qu'un pas, et si un j�suite vertueux n'e�t �t� � cette �poque le m�decin de mon �me, je serais devenue insupportable aux autres comme je l'�tais d�j� � moi-m�me.

{Lub 992} Pendant un mois ou deux, je v�cus x dans ce supplice de tous les instants, sans retrouver la gr�ce, c'est-�-dire la juste confiance qui fait que l'on se sent v�ritablement assist� de l'esprit divin. Ainsi tout mon p�nible travail pour y retrouver la gr�ce ne servait qu'� me la faire perdre davantage. J'�tais devenue ce qu'en style de d�vots on appelait scrupuleuse.

Une z d�vote tourment�e de scrupules de conscience devenait mis�rable. Elle ne pouvait plus communier sans angoisses, parce que, entre l'absolution et le sacrement, elle ne se pouvait pr�server de la crainte d'avoir commis un p�ch�. Le p�ch� v�niel ne fait pas perdre l'absolution; un acte fervent de contrition en efface la souillure et permet d'approcher de la sainte table; mais si le p�ch� est mortel, il faut ou s'abstenir, ou commettre un sacril�ge. Le rem�de, c'est de recourir bien vite au directeur aa, ou, � son d�faut, au premier pr�tre qui se peut trouver, pour obtenir une nouvelle absolution! Sot rem�de, abus v�ritable d'une institution dont ab la pens�e primitive fut grande et sainte, et qui pour les d�vots devient un comm�rage, une taquinerie pu�rile, une obsession aupr�s du cr�ateur rabaiss� au niveau de la cr�ature inqui�te et jalouse. Si un p�ch� mortel avait �t� commis au moment ou seulement � la veille de la communion, ne faudrait-il pas s'abstenir et attendre une plus longue expiation, une plus difficile r�conciliation que celles qui s'op�rent, en cinq minutes de confession, entre le pr�tre et le p�nitent ac Ah! Les premiers chr�tiens ne l'eussent pas entendu ainsi, eux qui {CL 230} faisaient � la porte du temple une confession publique avant de se croire lav�s ad de leurs fautes, eux qui se soumettaient � des �preuves terribles, � des ann�es de p�nitence. Ainsi entendue, la confession pouvait et devait transformer un �tre et faire surgir v�ritablement l'homme nouveau de la d�pouille du vieil homme. Le vain simulacre de la confession secr�te, la courte et banale exhortation du pr�tre, cette niaise p�nitence qui consiste � dire quelque pri�re, est-ce l� l'institution pure ae, efficace et solennelle des premiers temps?

La confession n'a plus qu'une utilit� sociale fort restreinte, parce que le secret qui s'y est gliss� a ouvert la porte � plus d'inconv�nients que d'avantages pour la s�curit� et la dignit� des familles. Devenue une vaine {Lub 993} formalit� pour permettre l'approche des sacrements, elle n'imprime point au croyant un respect assez profond et un repentir assez durable. Son effet est � peu pr�s nul sur les chr�tiens ti�des et tol�rants. Il est grand, au contraire, sur les fervents; mais c'est � titre de directeur de conscience, et non comme confesseur, que le pr�tre agit r�ellement sur ces esprits-l�. Cela est si vrai, qu'on voit souvent ces deux fonctions distinctes et remplies par deux personnes diff�rentes. Dans cette situation, le confesseur est effac�, puisque le directeur d�cide de ce qui doit lui �tre r�v�l�. Il est comme l'infirmier af � qui le m�decin en chef abandonne et prescrit les soins vulgaires. De toute main l'absolution est bonne, mais le directeur a seul le secret de la maladie et la science de la gu�rison.

L'ascendant du confesseur n'est donc r�el que lorsqu'il est en m�me temps le directeur de la conscience. Pour cela il faut qu'il connaisse l'individu et qu'il le choie ou le guide assid�ment: c'est alors que le pr�tre devient le v�ritable chef de la famille, et c'est presque toujours par la femme qu'il r�gne, comme l'a si bien d�montr� M. Michelet {CL 231} dans un beau livre terrible de v�rit�. Pourtant, quand le pr�tre et le p�nitent sont sinc�res, la confession peut �tre encore secourable, mais la faiblesse humaine, l'esprit dominateur et intrigant du clerg�, la foi perdue au sein de l'Église plus encore que dans celui de la femme, ont assez prouv� que les bienfaits de cette institution d�tourn�e de son but et d�natur�e par le laisser-aller ag des si�cles sont devenus exceptionnels, tandis que ses dangers et le mal produit habituellement sont immenses.

J'en parle par esprit de justice et d'examen; mon exp�rience personnelle me conduirait � d'autres conclusions si je me renfermais dans ma personnalit� pour juger le reste du monde. J'eus le bonheur de rencontrer un digne pr�tre, qui fut longtemps pour moi un ami tranquille, un conseiller fort sage. Si j'avais eu affaire � un fanatique, je serais morte ou folle, comme je l'ai d�j� dit; � un imposteur, je serais peut-�tre ath�e, du moins j'aurais pu l'�tre par r�action pendant un temps donn�.

L'abb� de Pr�mord fut pendant quelque temps la dupe g�n�reuse de mes confessions. Je m'accusais de froideur, de rel�chement, de d�go�t, de sentiments ah impies, de ti�deur dans mes exercices de pi�t�, de paresse � la classe, {Lub 994} de distraction � l'�glise, de d�sob�issance par cons�quent, et cela, disais-je, toujours, � toute heure, sans contrition efficace, sans progr�s dans ma conversion, sans force pour arriver � la victoire. Il me grondait bien doucement, me pr�chait la pers�v�rance et me renvoyait en disant: « Allons, esp�rons, ne vous d�couragez pas; vous avez du repentir, donc vous triompherez. »

Enfin, un jour que je m'accusais plus �nergiquement ai et que je pleurais am�rement, il m'interrompit au beau milieu de ma confession avec la brusquerie d'un brave homme ennuy� de perdre son temps. « Tenez, me dit-il, {CL 232} je ne vous comprends plus et j'ai peur que vous n'ayez l'esprit malade. Voulez-vous m'autoriser � m'informer de votre conduite aupr�s de la sup�rieure ou de telle personne que vous me d�signerez? — Qu'apprendrez-vous par l�? lui dis-je. Des personnes indulgentes et qui me ch�rissent vous diront que j'ai les apparences de la vertu; mais si le cœur est mauvais et l'�me �gar�e, moi seule puis en �tre juge, et le bon t�moignage que l'on vous portera de moi ne me rendra que plus coupable. — Vous seriez donc hypocrite? reprit-il. Eh non, c'est impossible? Laissez-moi m'informer de vous. J'y tiens essentiellement. Revenez � quatre heures, nous causerons. »

Je crois qu'il vit la sup�rieure et madame Alicia. Quand je fus le retrouver, il me dit en souriant: « Je savais bien que vous �tiez folle, et c'est de cela que je veux vous gronder. Votre conduite est excellente, vos dames en sont enchant�es; vous �tes un mod�le de douceur, de ponctualit�, de pi�t� sinc�re; mais vous �tes malade, et cela r�agit sur votre imagination: vous devenez triste, sombre et comme extatique. Vos compagnes ne vous reconnaissent plus, elles s'�tonnent et vous plaignent. Prenez-y garde, si vous continuez ainsi, vous ferez ha�r et craindre la pi�t�, et l'exemple de vos souffrances et de vos agitations emp�chera plus de conversions qu'il n'en attirera. Vos parents s'inqui�tent de votre exaltation. Votre m�re pense que le r�gime du couvent vous tue; votre grand'm�re �crit qu'on vous fanatise et que vos lettres se ressentent d'un grand trouble dans l'esprit. Vous savez bien qu'au contraire on cherche � vous calmer. Quant � moi, � pr�sent que je sais la v�rit�, j'exige que vous sortiez de cette exag�ration. Plus elle est sinc�re, {Lub 995} plus elle est dangereuse. Je veux que vous viviez pleinement et librement de corps et d'esprit; et comme dans la maladie des scrupules que vous avez il entre beaucoup d'orgueil � votre insu sous forme d'humilit�, {CL 233} je vous donne pour p�nitence de retourner aux jeux et aux amusements innocents de votre �ge. D�s ce soir, vous courrez au jardin comme les autres, au lieu de vous prosterner � l'�glise en guise de r�cr�ation. Vous sauterez � la corde, vous jouerez aux barres. L'app�tit et le sommeil vous reviendront vite, et quand vous ne serez plus malade physiquement, votre cerveau appr�ciera mieux ces pr�tendues fautes dont vous croyez devoir vous accuser. — Ô mon dieu! m'�criai-je, vous m'imposez l� une plus rude p�nitence que vous ne pensez. J'ai perdu le go�t du jeu et l'habitude de la gaiet�. Mais je suis d'un esprit si l�ger, que si je ne m'observe � toute heure, j'oublierai Dieu et mon salut. — Ne croyez pas cela, reprit-il. D'ailleurs, si vous allez trop loin, votre conscience, qui aura recouvr� la sant�, vous avertira � coup s�r, et vous �couterez ses reproches. Songez que vous �tes malade et que Dieu n'aime pas les �lans fi�vreux d'une �me en d�lire. Il pr�f�re un hommage pur et soutenu. Allons, ob�issez � votre m�decin. Je veux que dans huit jours on me dise qu'un grand changement s'est op�r� dans votre air et dans vos mani�res. Je veux que vous soyez aim�e et �cout�e de toutes vos compagnes, non pas seulement de celles qui sont sages, mais encore (et surtout) de celles qui ne le sont pas. Faites-leur conna�tre que l'amour du devoir est une douce chose et que la foi est un sanctuaire d'o� l'on sort avec un front serein et une �me bienveillante. Rappelez-vous que J�sus voulait que ses disciples eussent les mains lav�es et la chevelure parfum�e. Cela voulait dire: n'imitez pas aj ces fanatiques et ces hypocrites {Presse 18/4/1855 2} qui se couvrent de cendres et qui ont le cœur impur comme le visage: soyez agr�ables aux hommes, afin de leur rendre agr�able la doctrine que vous professez. Eh bien, mon enfant, il s'agit pour vous de ne pas enterrer votre cœur dans les cendres d'une p�nitence mal entendue. Parfumez ce cœur d'une grande {CL 234} am�nit� et votre esprit d'un aimable enjouement. C'�tait votre naturel, il ne faut pas qu'on pense que la pi�t� rend ak l'humeur farouche. Il faut que l'on aime Dieu dans ses serviteurs. Allons, faites votre acte de contrition, et je vous {Lub 996} donnerai l'absolution. — Quoi! mon p�re, lui dis-je, je me distrairai, je me dissiperai ce soir, et vous voulez que je communie demain? — Oui vraiment, je le veux, reprit-il, et puisque je vous ordonne de vous amuser par p�nitence, vous aurez accompli un devoir. — Je me soumets � tout si vous me promettez que Dieu m'en saura gr� et qu'il me rendra ces doux transports, ces �lans spirituels qui me faisaient sentir et savourer son amour. — Je ne puis vous le promettre de sa part, dit-il en souriant, mais je vous en r�ponds, vous verrez. »

Et le bonhomme me cong�dia, stup�faite, boulevers�e, effray�e de son ordonnance. J'ob�is cependant, l'ob�issance passive �tant le premier devoir du chr�tien, et je reconnus bien vite qu'il n'est pas fort difficile � quinze ans de reprendre go�t � la corde et aux balles �lastiques. Peu � peu al je me remis au jeu avec complaisance, et puis avec plaisir, et puis avec passion, car le mouvement physique �tait un besoin de mon �ge, de mon organisation, et j'en avais �t� trop longtemps priv�e pour n'y pas trouver un attrait nouveau.

Mes compagnes revinrent � moi avec une gr�ce extr�me, ma ch�re Fannelly la premi�re, et puis Pauline, et puis Anna, et puis toutes les autres, les diables comme les sages. En me voyant si gaie, on crut un instant que j'allais redevenir terrible. Élisa m'en gronda un peu, mais je lui racontai, ainsi qu'� celles qui recherchaient et m�ritaient ma confiance, ce qui s'�tait pass� entre l'abb� de Pr�mord et moi, et ma gaiet� fut accept�e comme l�gitime et m�me comme m�ritoire.

Tout ce que mon bon directeur m'avait pr�dit m'arriva. {CL 235} Je recouvrai promptement la sant� physique et morale. Le calme se fit dans mes pens�es; en interrogeant mon cœur, je le trouvai si sinc�re et si pur que la confession devint une courte formalit� destin�e � me donner le plaisir de communier. Je go�tai alors l'indicible bien-�tre que l'esprit j�suitique sait donner � chaque nature selon son penchant et sa port�e. Esprit de conduite admirable dans son intelligence du cœur humain et dans les r�sultats qu'il pourrait obtenir pour le bien, si, comme l'abb� de Pr�mord, tout homme qui le professe et le r�pand avait l'amour du bien et l'horreur du mal; mais les rem�des deviennent des poisons dans certaines mains, et le puissant levier am de l'�cole j�suitique a sem� {Lub 997} la mort et la vie avec une �gale puissance dans la soci�t� et dans l'Église.

Il se passa alors environ six mois qui sont rest�s dans ma m�moire comme un r�ve et que je ne demande qu'� retrouver dans l'�ternit� pour ma part de paradis. Mon esprit �tait tranquille. Toutes an mes id�es �taient riantes. Il ne poussait que des fleurs dans mon cerveau, nagu�re h�riss� de rochers et d'�pines. Je voyais � toute heure le ciel ouvert devant moi, la vierge et les anges me souriaient en m'appelant; vivre ou mourir m'�tait indiff�rent. L'empyr�e m'attendait avec toutes ses splendeurs, et je ne sentais plus en moi un grain de poussi�re qui p�t ralentir le vol de mes ailes. La terre �tait un lieu d'attente o� tout m'aidait et m'invitait � faire mon salut. Les anges me portaient sur leurs mains, comme le proph�te, pour emp�cher que, dans la nuit, mon pied ne heurt�t la pierre du chemin. Je ne priais plus autant que par le pass�, cela m'�tait d�fendu; mais chaque fois que je priais, je retrouvais mes �lans d'amour, moins imp�tueux peut-�tre mais mille fois plus doux. La coupable et sinistre pens�e du courroux du p�re c�leste et de l'indiff�rence de J�sus ne se pr�sentait plus � moi. Je communiais tous les dimanches {CL 236} et � toutes les f�tes, avec une incroyable s�r�nit� de cœur et d'esprit. J'�tais libre comme l'air dans cette douce et vaste prison du couvent. Si j'avais demand� la clef des souterrains on me l'e�t donn�e. Les religieuses me g�taient comme leur enfant ch�ri, ma bonne Alicia, ma ch�re H�l�ne, madame Eug�nie, Poulette, la sœur Th�r�se, madame Anne-Jos�phe, la sup�rieure, Élisa, et les anciennes pensionnaires, et les nouvelles, et la grande et la petite classe, je tra�nais tous les cœurs apr�s moi. Tant il est facile d'�tre parfaitement aimable quand on se sent parfaitement heureux.

Mon retour � la gaiet� fut comme une r�surrection pour la grande classe. Depuis ma conversion la diablerie n'avait plus battu que d'une aile. Elle se r�veilla sous une forme tout � fait ao inattendue; on devint anodin, diable � l'eau de rose, c'est-�-dire franchement espi�gle, sans esprit de r�volte, sans rupture avec le devoir. On travailla aux heures de travail, on rit et on joua aux heures de r�cr�ation comme on n'avait jamais fait. Il n'y eut plus de coteries, plus de camps s�par�s entre les diables, les sages et les b�tes. Les diables se radoucirent, {Lub 998} les sages s'�gay�rent, les b�tes prirent du jugement et de la confiance, parce qu'on sut les utiliser et les divertir.

Ce grand progr�s dans les mœurs du couvent se fit au moyen des amusements en commun. Nous imagin�mes, entre cinq ou six de la grande classe, d'improviser des charades ou plut�t de petites com�dies, arrang�es d'avance par sc�narios et d�bit�es d'abondance. Comme j'avais, gr�ce � ma grand'm�re, un peu plus de litt�rature que mes camarades et une sorte de facilit� � mettre en sc�ne des caract�res, je fus l'auteur de la troupe. Je choisis ap mes acteurs, je commandai les costumes; je fus fort bien second�e et j'eus des sujets tr�s-remarquables. Le fond de la classe, donnant sur le jardin, devint th��tre aux heures permises. aq Nos premiers essais furent comme les d�buts de l'art � son {CL 237} enfance; la Comtesse les tol�ra d'abord, puis elle y prit plaisir et engagea madame Eug�nie et madame Fran�oise � venir voir s'il n'y avait rien d'illicite dans ce divertissement. Ces dames rirent et approuv�rent.

Il se fit rapidement de grands progr�s dans nos repr�sentations. On nous pr�ta de vieux paravents pour faire nos coulisses. Les accessoires nous vinrent de toutes parts. Chacune apporta de chez ses parents des mat�riaux pour les costumes. La difficult� �tait de s'habiller en homme. La pudeur et les nonnes ne l'eussent pas souffert. J'imaginai le costume Louis XIII, qui conciliait la d�cence et la possibilit� de s'arranger. Nos jupes fronc�es en bas jusqu'� mi-jambes form�rent les hauts-de-chausses; nos corsages mis sens devant derri�re, un peu arrang�s et ouverts sur des mouchoirs fronc�s en devant de chemise et en crev�s de manches, form�rent les pourpoints. Deux tabliers cousus ensemble firent des manteaux. Les rubans, perruques, chapeaux et fanfreluches ne furent pas difficiles � se procurer. Quand on manquait de plumes, on en faisait en papier d�coup� et fris�. Les pensionnaires sont adroites, inventives et savent tirer parti de tout. On nous permit les bottes, les �p�es et les feutres. Les parents en fournirent. Bref, les costumes furent satisfaisants, et l'on fut indulgent ar pour la mise en sc�ne. On voulut bien prendre une grande table pour un pont et un escabeau couvert d'un tapis vert pour un banc de gazon.

On permit � la petite classe de venir assister � nos repr�sentations, et on enr�la quiconque voulut s'engager. {Lub 999} La sup�rieure, qui aimait beaucoup � s'amuser, nous fit dire enfin un beau jour qu'elle avait ou� conter des merveilles de notre th��tre et qu'elle d�sirait y assister avec toute la communaut�. D�j� la Comtesse et madame Eug�nie avaient prolong� la r�cr�ation jusqu'� dix heures, et puis jusqu'� onze heures les jours de spectacle. La sup�rieure la prolongea {CL 238} pour le jour en question jusqu'� minuit: c'est-�-dire qu'elle voulut un divertissement complet. Sa demande et sa permission furent accueillies avec transport. On se pr�cipita sur moi: « Allons, l'auteur, allons, boute en train (c'�tait le dernier surnom qu'on m'avait donn�), � l'œuvre! Il nous faut un spectacle admirable; il nous faut six actes, en deux ou trois pi�ces. Il faut tenir notre public en haleine depuis huit heures jusqu'� minuit. C'est ton affaire, nous t'aiderons pour tout le reste; mais pour cela, nous ne comptons que sur toi. »

La responsabilit� qui pesait sur moi �tait grave. Il fallait faire rire la sup�rieure, mettre en gaiet� les plus graves personnes de la communaut�; et pourtant il ne fallait pas aller trop loin, la moindre l�g�ret� pouvait faire crier au scandale et faire fermer le th��tre. Quel d�sespoir pour mes compagnes! Si j'ennuyais seulement, le th��tre pouvait �tre �galement ferm� sous pr�texte de trop de d�sordre dans les r�cr�ations du soir et de dissipation dans les �tudes du jour, et le pr�texte n'e�t point �t� sp�cieux, car il est bien certain que ces divertissements montaient beaucoup de jeunes t�tes, � la petite classe surtout.

Heureusement je connaissais assez bien as mon Moli�re, et en retranchant les amoureux on pouvait trouver encore assez de sc�nes comiques pour d�frayer toute une soir�e. Le malade imaginaire m'offrit un sc�nario complet. Du dialogue et de l'encha�nement des sc�nes je ne pouvais avoir un souvenir exact. Moli�re �tait d�fendu au couvent, comme bien l'on pense, et tout directeur de th��tre que j'�tais, je n'en �tais pas moins vertueuse. Je me rappelai pourtant assez la donn�e principale pour ne pas trop m'�carter de l'original dans mon sc�nario; je soufflai � mes actrices les parties importantes du dialogue et je leur communiquai assez de la couleur de l'ensemble. Pas une n'avait lu Moli�re, pas une de nos religieuses n'en connaissait une {CL 239} ligne. J'�tais donc bien s�re que ma pi�ce aurait pour toutes l'attrait de la nouveaut�. Je ne {Lub 1000} sais plus par qui furent remplis les r�les, mais ils le furent tous avec beaucoup d'intelligence et de gaiet�. Je retranchai du mien, moiti� par oubli, moiti� � dessein, beaucoup de crudit�s at m�dicales, car je faisais monsieur Purgon. Mais, � peine eus-je commenc� � faire agir et parler mon monde, � peine eus-je d�bit� quelques phrases que je vis la sup�rieure �clater de rire, madame Eug�nie s'essuyer les yeux et toute la communaut� se d�rider.

Tous les ans, � la f�te de la sup�rieure, on lui jouait la com�die avec beaucoup plus de soin et de pompe que ce que nous faisions l�. On dressait alors un v�ritable th��tre. Il y avait un magasin de d�cors ad hoc, une rampe, un tonnerre, des r�les appris par cœur et admirablement jou�s. Mais les repr�sentations au n'�taient point gaies; c'�taient toujours les petits drames larmoyants de madame de Genlis. Moi, avec mes paravents, mes bouts de chandelle, mes actrices recrut�es de confiance parmi celles que leur instinct poussait � s'offrir; avec mon sc�nario b�ti de m�moire, notre dialogue improvis� et une r�p�tition pour toute pr�paration, je pouvais arriver � un fiasco complet. Il n'en fut point ainsi. La gaiet�, la verve, le vrai comique de Moli�re, m�me r�cit� par bribes et repr�sent� par fragments incomplets, enlev�rent l'auditoire. Jamais de m�moire de nonne on n'avait ri de si bon cœur.

{Presse 19/4/1855 1} Ce succ�s obtenu d�s les premi�res sc�nes nous encouragea. J'avais pr�par� pour interm�de une sc�ne de matassins avec une poursuite bouffonne emprunt�e � Monsieur de Pourceaugnac. Seulement, j'avais dit � mes actrices de se tenir dans les coulisses, c'est-�-dire derri�re les paravents, et de n'exhiber les armes av que si j'entrais moi-m�me en sc�ne pour leur en donner l'exemple. aw Quand je vis qu'on �tait en humeur de tout accepter, je changeai vite {CL 240} de costume, et, faisant l'apothicaire, je commen�ai l'interm�de, en brandissant l'instrument classique ax au-dessus de ma t�te. Je fus accueillie par des rires hom�riques. On sait que ce genre de plaisanterie n'a jamais scandalis� les d�vots. Aussit�t mon r�giment noir � tabliers blancs s'�lan�a sur la sc�ne, et cette exhibition burlesque ay (Poulette nous avait pr�t� tout l'arsenal de l'infirmerie) mit la communaut� de si belle humeur que je pensai voir crouler la salle.

La soir�e fut termin�e par la c�r�monie de r�ception, {Lub 1001} et comme je savais par cœur tous les vers, on avait pu les apprendre. az Le succ�s fut complet, l'enthousiasme port� au comble. Ces dames, � force de r�citer des offices en latin, en savaient assez pour appr�cier le comique du latin bouffon de Moli�re. La sup�rieure se d�clara divertie au dernier point, et je fus accabl�e d'�loges pour mon esprit et la gaiet� de mes inventions. Je me tuais de dire tout bas � mes compagnes: « Mais c'est du Moli�re, et je n'ai fait merveille que de m�moire. » On ne m'�coutait pas, on ne voulait pas me croire. Une seule, qui avait lu Moli�re aux derni�res vacances, me dit tout bas: « Tais-toi! Il est fort inutile ba de dire � ces dames o� tu as pris tout cela. Peut-�tre qu'elles feraient fermer le th��tre si elles savaient que nous leur donnons du Moli�re. Et puisque rien ne les a choqu�es, il n'y a aucun mal � ne leur rien dire si elles ne te questionnent pas. »

En effet, personne ne songea � douter que l'esprit de Moli�re f�t sorti de ma cervelle. J'eus un instant de scrupule d'accepter tous ces compliments. Je me t�tai pour savoir si ma vanit� n'y trouvait pas son compte; je m'aper�us que c'�tait tout le contraire, et qu'� moins d'�tre fou, on ne pouvait que souffrir en se voyant d�cerner l'hommage d� � un autre. J'acceptai cette mortification par d�vouement pour mes compagnes, et le th��tre continua � prosp�rer et � attirer la sup�rieure et les religieuses le dimanche.

{CL 241} Ce fut une suite de pastiches puis�s dans tous les tiroirs de ma m�moire et arrang�s selon les moyens et les convenances de notre th��tre. Cet amusement eut l'excellent r�sultat d'�tendre le cercle des relations et des amiti�s entre nous. La camaraderie, le besoin de s'aider bb les unes les autres pour se divertir en commun, engendr�rent la bienveillance, la condescendance, une indulgence mutuelle, l'absence de toute rivalit�. Enfin le besoin d'aimer, si naturel aux jeunes cœurs, forma autour de moi un groupe qui grossissait chaque jour et qui se composa bient�t de tout le couvent, religieuses et pensionnaires, grande et petite classe. Je puis rappeler sans vanit� ce temps o� je fus l'objet d'un engouement inou� dans les fastes du couvent, puisque ce fut l'ouvrage de mon confesseur et le r�sultat de la d�votion tendre, expansive et riante o� il m'avait entra�n�e.

On me savait un gr� infini d'�tre d�vote, complaisante {Lub 1002} et amusante. La gaiet� se communiqua aux caract�res les plus concentr�s, aux d�votions les plus m�lancoliques. Ce fut � cette �poque que je contractai une tendre amiti� avec Jane Bazouin, bc un petit �tre p�le, r�serv�, doux, malingre en apparence, mais qui a v�cu pourtant sans maladie et � qui ses beaux grands yeux noirs, d'une finesse lente et bonne, et son petit sourire d'enfant tenaient lieu de beaut�. C'�tait, ce sera toujours une cr�ature adorable que Jane. C'�tait la bont�, le d�vouement, l'obligeance infatigables de Fannelly avec la pi�t� aust�re et ferme d'Élisa, le tout couronn� d'une gr�ce calme et modeste qui ne pouvait se comparer qu'� Jane elle-m�me.

Elle avait deux sœurs plus belles et plus brillantes qu'elle: Ch�rie, qui �tait la plus jolie, la plus vivante et la plus recherch�e des trois par la s�duction de ses mani�res, pauvre charmante fille qui est morte deux ans apr�s; Aim�e, qui �tait belle de distinction et d'intelligence, {CL 242} et qui a travers� une jeunesse maladive pour �pouser M. d'H�liand bd � vingt-sept ans. Aim�e �tait � tous �gards une personne sup�rieure. Ses mani�res �taient froides, mais son cœur �tait affectueux et son intelligence la rendait propre � tous les arts, o� elle excellait sans efforts et sans passion apparente.

Ces trois sœurs �taient en chambre avec une gouvernante pour les soigner, mais elles suivaient les classes et les pri�res comme nous. On jalousait l'amiti� de Ch�rie et d'Aim�e be. Jane n'avait d'amies que ses sœurs. Elle �tait trop timide et trop r�serv�e pour en rechercher d'autres. Cette modestie me toucha et je vis bient�t que ce n'�tait pas la froideur et la stupidit� qui causaient son isolement. Elle �tait tout aussi intelligente, tout aussi instruite, et beaucoup plus aimante que ses sœurs. Je d�couvris en elle un tr�sor de bienveillance et de tendresse calme et durable. Nous avons �t� intimement li�es jusqu'en 1831. bf Je dirai plus tard pourquoi, sans cesser de l'aimer comme elle le m�rite, j'ai cess� de la voir sans lui en dire la raison.

Ma petite Jane montra dans nos amusements qu'elle �tait aussi capable de gentillesse et de gaiet� que les plus brillantes d'entre nous. Une fois m�me elle fut punie du bonnet de nuit par la Comtesse, qui ne prenait pas toujours en bonne part nos espi�gleries; car la gaiet� montait tous les jours d'un cran et les plus roides s'y laissaient {Lub 1003} entra�ner. Je me rappelle que cela �tait bg devenu pour moi, pour tout le monde, une commotion �lectrique et comme irr�sistible. Certes, je m'abstenais d�sormais de tourner la pauvre Comtesse en ridicule et je faisais mon possible pour l'�pargner quand les autres s'en m�laient. Mais quand, pour la centi�me fois, elle se laissait prendre � la bougie de pomme qu'Anna ou Pauline pla�aient dans sa lanterne, et lorsqu'elle disait une parole pour l'autre avec le sang-froid d'une personne parfaitement distraite, en voyant {CL 243} toute la classe partir d'un seul �clat de rire, il me fallait en faire autant. Alors elle se tournait vers moi d'un air de d�tresse, et comme Jules C�sar � Brutus, elle me disait, en se drapant dans son grand ch�le vert: « Et vous aussi, Aurore! » J'aurais bien voulu me repentir, mais elle avait une mani�re de prononcer les e muets qui sonnait comme un o. Anna la contrefaisait admirablement, et se tournant vers moi elle me criait: « Auroro, Auroro! » Je n'y pouvais tenir, le rire devenait nerveux. J'aurais ri dans le feu, comme on disait.

La gaiet� alla si loin que quelques cervelles �chauff�es la firent tourner en r�volte. C'�tait � une �poque de la Restauration o� il y eut comme une �pid�mie de r�bellion dans tous les lyc�es, dans les pensions et m�me dans les �tablissements de notre sexe. Comme ces nouvelles nous arrivaient coup sur coup, avec le r�cit de circonstances tant�t graves, tant�t plaisantes, les plus vives d'entre nous disaient: « Est-ce que bh nous n'aurons pas aussi notre petite r�volte? Nous serons donc les seules qui ne suivrons pas la mode? Nous n'aurons donc pas notre petite note dans les journaux? »

La Comtesse �mue devenait plus s�v�re parce qu'elle avait peur. Nos bonnes religieuses, quelques-unes du moins, avaient des figures allong�es, et pendant trois ou quatre jours (je crois que nos voisins les Écossais avaient fait aussi leur insurrection) il y eut une sorte de m�fiance et de terreur qui nous divertissait beaucoup. Alors on s'imagina de faire bi semblant de se r�volter pour voir la frayeur de ces dames, celle de la Comtesse surtout. On ne m'en fit point part; on �tait si bon pour moi qu'on ne voulait pas me mettre aux prises avec ma conscience, et on comptait bien m'entra�ner dans le rire g�n�ral quand l'affaire �claterait.

{Lub 1004} Il en fut ainsi: un soir, � la classe, comme nous �tions {CL 244} toutes assises autour d'une longue table, la Comtesse au bout, raccommodant ses nippes � la clart� des chandelles, j'entends ma voisine dire � sa voisine: « Exhaussons! » Le mot fait le tour de la table, qui, enlev�e aussit�t par trente paires de petites mains, s'�l�ve et s'exhausse en effet jusqu'au-dessus de la t�te de la Comtesse. Fort distraite comme d'habitude, la Comtesse s'�tonne de l'�loignement de la lumi�re; mais au moment o� elle l�ve la t�te, la table et les lumi�res s'abaissent et reprennent leur niveau. On recommen�a plusieurs fois le m�me tour sans qu'elle s'en rend�t compte. C'�tait � peu pr�s la sc�ne du niais au logis de la sorci�re, dans Les Pilules du Diable. Je trouvai la chose si plaisante que je ne me fis pas un grand scrupule de recevoir le mot d'ordre et d'exhausser comme les autres. Mais enfin la Comtesse s'aper�ut de nos sottises et se leva furieuse. Il �tait convenu qu'on ferait des mines de mauvais gar�ons pour l'effrayer. Chacune se pose en conspirateur, les bras crois�s, le sourcil fronc�, et des chuchotements font entendre autour d'elle le mot terrible de r�volte. La Comtesse �tait incapable de tenir t�te � l'orage. Persuad�e que le moment fatal est venu, elle s'enfuit en faisant flotter son grand ch�le comme une mouette qui �tend ses ailes et qui prend son vol � travers les temp�tes.

Elle avait perdu l'esprit; elle traversa le jardin pour se r�fugier et se barricader dans sa chambre. Pour augmenter sa terreur, nous jet�mes les flambeaux, les chandelles et les tabourets par la fen�tre au moment o� elle passait. Nous ne voulions ni ne pouvions l'atteindre; mais ce vacarme, accompagn� de cris: « R�volte! r�volte! » pensa la faire mourir de peur. Pendant une heure nous f�mes livr�es � nous-m�mes et � nos rires inextinguibles, sans que personne os�t venir r�tablir l'ordre. Enfin nous entend�mes de loin la grosse voix de la sup�rieure qui arrivait avec un bataillon de doyennes bj. C'�tait � notre tour d'avoir {CL 245} peur, car la sup�rieure �tait aim�e, et comme on n'avait voulu que faire semblant de se r�volter, il en co�tait d'�tre grond�es et punies comme pour une r�volte v�ritable. Aussit�t on court fermer au verrou les portes de la classe, et de l'avant-classe; on se h�te de ranger tout, on rep�che les tabourets et les flambeaux, on rajuste et on rallume les chandelles; {Lub 1005} puis, quand tout est en ordre, tout le monde se met � genoux et on commence tout haut la pri�re du soir, tandis qu'une de nous rouvre les portes au moment o� la sup�rieure s'y pr�sente, apr�s quelque h�sitation.

La Comtesse fut regard�e comme une folle et comme une visionnaire, et Marie-Jos�phe, la servante qui rangeait la classe le matin et qui �tait la meilleure du monde, ne se plaignit pas de la fracture de quelques meubles et de quelques chandelles. {Presse 19/4/1855 2} Elle nous garda le secret, et l� finit notre r�volution. bk

Tout allait le mieux du monde; le carnaval arrivait, et nous pr�parions une soir�e de com�die comme jamais nous n'avions encore esp�r� de la r�aliser. Je ne sais plus quelle pi�ce de Moli�re ou de Regnard j'avais mise en canevas. Les costumes �taient pr�ts, les r�les distribu�s, le violon engag�. Car ce jour-l�, nous avions un violon, un bal, un souper, et toute la nuit pour nous divertir � discr�tion bl.

Mais un �v�nement politique, qui devait naturellement retentir comme une calamit� publique dans un couvent, vint faire rentrer les costumes au magasin et la gaiet� dans les cœurs.

Le duc de Berry fut assassin� � la porte de l'Op�ra par Louvel. bm Crime bm isol�, fantasque comme tous les actes de d�lire sanguinaire, et qui servit de pr�texte � des pers�cutions ainsi qu'� un revirement subit dans l'esprit du r�gne de Louis XVIII.

Cette nouvelle nous fut apport�e le lendemain matin et comment�e par nos religieuses d'une mani�re saisissante et {CL 246} dramatique. Pendant huit jours on ne s'entretint pas d'autre chose, et les moindres d�tails de la mort chr�tienne du prince, le d�sespoir de sa femme, qui coupa, disait-on, ses blonds cheveux sur sa tombe; toutes les circonstances de cette trag�die royale et domestique rapport�es, embellies, amplifi�es et po�tis�es par les journaux royalistes et les lettres particuli�res d�fray�rent bn nos r�cr�ations de soupirs et de larmes. Presque toutes nous appartenions � des familles nobles, royalistes ou bonapartistes ralli�es bo. Les Anglaises, qui �taient en majorit�, prenaient part au deuil royal par principe bp, et, d'ailleurs, le r�cit d'une mort tragique et les larmes d'une illustre famille �taient �mouvants pour nos jeunes imaginations comme une pi�ce de Corneille ou de Racine. {Lub 1006} On ne nous disait pas que le duc de Berry avait �t� un peu brutal et d�bauch� bq, on nous le peignait comme un h�ros, comme un second Henri IV, sa femme comme une sainte, et le reste � l'avenant.

Moi seule peut-�tre je luttais contre l'entra�nement g�n�ral. J'�tais rest�e bonapartiste et je ne m'en cachais pas, sans cependant me prendre de dispute avec personne � ce sujet.

Dans ce temps-l�, quiconque �tait bonapartiste �tait trait� de lib�ral. Je ne savais ce que c'�tait que le lib�ralisme; on me disait que c'�tait la m�me chose que le jacobinisme, que je connaissais encore moins. Je fus donc �mue quand on me r�p�ta sur tous les tons: « Qu'est-ce qu'un parti qui pr�che, commet et pr�conise l'assassinat? — S'il en est ainsi, r�pondis-je, je suis tout ce qu'il vous plaira, except� lib�rale, » et je me laissai attacher au cou je ne sais plus quelle petite m�daille frapp�e en l'honneur du duc de Berry, qui �tait devenue comme un ordre pour tout le couvent.

Huit jours de tristesse, c'est bien long pour un couvent de jeunes filles. Un soir, je ne sais qui fit une grimace, une autre sourit, une troisi�me dit un bon mot, et voil� {CL 247} le rire qui fait br le tour de la classe, d'autant plus violent et nerveux, qu'il succ�dait aux pleurs.

Peu � peu, on nous laissa reprendre nos amusements. Ma grand'm�re �tait � Paris. Comme on lui rendait bon t�moignage de ma conduite, elle n'avait plus sujet de me gronder s�rieusement et elle s'apercevait aussi que ma simplicit� et mon absence de coquetterie n'allaient pas mal � une figure de seize ans. Elle me traitait donc avec toute sa bont� maternelle; mais un nouveau souci s'�tait empar� d'elle � propos de moi: c'�tait ma d�votion et le secret d�sir que je conservais, et qu'elle avait appris vraisemblablement par madame de Pontcarr� (qui devait le tenir de Pauline), de me faire religieuse. Elle avait su l'�t� pr�c�dent, par diverses lettres de personnes qui m'avaient vue au parloir, que j'�tais souffrante, triste et toute confite en Dieu. Cette d�votion triste ne l'avait pas beaucoup inqui�t�e. Elle s'�tait dit avec raison que cela n'�tait pas de mon �ge et ne pouvait durer. Mais quand elle me vit bien portante, fra�che, gaie, ne prenant bs avec personne d'airs rev�ches, et n�anmoins rentrant bt chaque fois dans mon clo�tre avec plus de plaisir que j'en �tais {Lub 1007} sortie, elle eut peur et r�solut de me reprendre avec elle aussit�t qu'elle repartirait pour Nohant.

Cette nouvelle tomba sur moi comme un coup de foudre, au milieu du plus parfait bonheur que j'eusse go�t� de ma vie. Le couvent �tait devenu mon paradis sur la terre. Je n'y �tais ni pensionnaire ni religieuse, mais quelque chose d'interm�diaire, avec la libert� absolue dans un int�rieur que je ch�rissais et que je ne quittais pas sans regret, m�me pour une journ�e. Personne n'�tait donc aussi heureux que moi. J'�tais l'amie de tout le monde, le conseil et le meneur de tous les plaisirs, l'idole des petites. Les religieuses, me voyant si gaie et persistant dans ma vocation, commen�aient � y croire, et, sans l'encourager, ne disaient {CL 248} plus non. Élisa, qui seule ne s'�tait pas laiss� distraire et �gayer par mon entrain, y croyait fermement; sœur H�l�ne, plus que jamais. J'y croyais moi-m�me et j'y ai cru encore longtemps apr�s ma sortie du couvent. Madame Alicia et l'abb� de Pr�mord �taient les deux seules personnes qui n'y comptaient pas, me connaissant probablement mieux que les autres, et tous deux me disaient � peu pr�s la m�me chose: « Gardez cette id�e si elle vous est bonne! Mais pas de vœux imprudents, pas de secr�tes promesses � Dieu, surtout pas d'aveu � vos parents avant bu le moment o� vous serez certaine de vouloir pour toujours ce que vous voulez aujourd'hui. L'intention de votre grand'm�re est de vous marier. Si dans deux ou trois ans vous ne l'�tes pas et que vous n'ayez pas envie de l'�tre, nous reparlerons de vos projets. »

Le bon abb� m'avait rendue bv bien facile la t�che d'�tre aimable. Dans les premiers temps j'avais �t� un peu effray�e de l'id�e que mon devoir, aussit�t que j'aurais pris quelque ascendant sur mes compagnes, serait de les pr�cher et de les convertir. Je lui avais avou� que je ne me sentais pas propre � ce r�le. « Vous voulez que je sois aim�e de tout le monde ici, lui avais-je dit: eh bien, je me connais assez pour vous dire que je ne pourrai pas me faire aimer sans aimer moi-m�me, et que je ne serai jamais capable de dire � une personne aim�e: “ Faites-vous d�vote, mon amiti� est � ce prix. ” Non, je mentirais. Je ne sais pas obs�der, pers�cuter, pas m�me insister, je suis trop faible. — Je ne demande rien de semblable, m'avait r�pondu l'indulgent directeur; pr�cher, obs�der {Lub 1008} serait de mauvais go�t � votre �ge. Soyez pieuse et heureuse, c'est tout ce que je vous demande, votre exemple pr�chera bw mieux que tous les discours que vous pourriez faire. »

Il avait eu raison d'une certaine mani�re, mon excellent ami. Il est certain que l'on �tait devenu meilleur autour de {CL 249} moi; mais la religion ainsi pr�ch�e par la gaiet� avait donn� bien de la force � la vivacit� des esprits, et je ne sais pas si c'�tait un moyen tr�s-s�r bx pour persister dans le catholicisme.

J'y persistais avec confiance, j'y aurais persist�, je crois, si je n'eusse pas quitt� le couvent; mais il fallut le quitter, il fallut cacher � ma grand'm�re, qui en aurait mortellement souffert, le regret mortel que j'avais de me s�parer des nombreux et charmants objets de ma tendresse: mon cœur fut bris�. Je ne pleurais by pourtant pas, car j'eus un mois pour me pr�parer � cette s�paration, et, quand elle arriva bz, j'avais pris une si forte r�solution de me soumettre sans murmure, que je parus calme et satisfaite devant ma pauvre bonne maman. Mais j'�tais navr�e, et je l'�tais pour bien longtemps.

Je ne dois pourtant pas fermer le dernier chapitre du couvent sans dire que j'y laissai tout le monde triste ou constern� de la mort de madame Canning. J'�tais arriv�e, pour son caract�re, au respect que lui devait ma pi�t�; mais jamais ma sympathie ne m'avait pouss�e vers elle. Je fus pourtant une des derni�res personnes qu'elle nomma avec affection dans son agonie.

Cette femme, d'une puissante organisation, avait eu sans doute les qualit�s de son r�le dans la vie monastique, puisqu'elle avait conserv�, depuis la R�volution, le gouvernement absolu de sa communaut�. Elle laissait la maison dans une situation florissante, avec un nombre consid�rable d'�l�ves et de grandes relations dans le monde, qui eussent d� assurer � l'avenir une client�le durable et brillante.

N�anmoins, cette situation prosp�re s'�clipsa avec elle. J'avais ca vu �lire madame Eug�nie, et comme elle m'aimait toujours, si je fusse rest�e au couvent, j'y aurais �t� encore plus g�t�e; mais madame Eug�nie se trouva impropre � l'exercice de l'autorit� absolue. J'ignore si elle en abusa, {CL 250} si le d�sordre se mit dans sa gestion ou la division dans ses conseils; mais elle demanda, au bout {Lub 1009} de peu d'ann�es, � se retirer du pouvoir et fut prise au mot, m'a-t-on dit, avec un empressement g�n�ral. Elle avait laiss� cb les affaires p�ricliter, ou bien je crois plut�t qu'elle n'avait pu les emp�cher d'aller ainsi. Tout est mode en ce monde, m�me les couvents. Celui des Anglaises avait eu, sous l'Empire et sous Louis XVIII, une grande vogue. Les plus grands noms de la France et de l'Angleterre y avaient contribu�. Les Mortemart, les Montmorency y avaient eu leurs h�riti�res. Les filles des g�n�raux de l'Empire ralli�s � la Restauration y furent mises, � dessein sans doute d'�tablir des relations favorables � l'ambition aristocratique des parents; mais le r�gne de la bourgeoisie arrivait, et, quoique j'aie entendu les vieilles comtesses accuser madame Eug�nie d'avoir laiss� encanailler son couvent, je me souviens fort bien que, lorsque j'en sortis, peu de jours apr�s la mort de madame Canning, le tiers �tat avait d�j� fait, par ses soins, une irruption tr�s-lucrative dans le couvent. Ç'avait �t� pour ainsi dire le bouquet de sa fructueuse administration.

J'avais donc vu notre personnel s'augmenter rapidement d'une quantit� de charmantes filles de n�gociants ou d'industriels, tout aussi bien �lev�es d�j�, et pour la plupart plus intelligentes (ceci �tait m�me remarquable et remarqu�) que les petites personnes de grande maison.

Mais cette prosp�rit� devait �tre et fut un feu de paille. Les gens de la haute, comme disent aujourd'hui les bonnes gens, trouv�rent le milieu trop roturier, et la vogue des beaux noms se porta sur le Sacr�-Cœur et sur l'Abbaye-aux-Bois. Plusieurs de mes anciennes compagnes furent transf�r�es dans ces monast�res, et peu � peu l'�l�ment patricien catholique rompit avec l'antique retraite des Stuarts. Alors sans doute les bourgeois, qui avaient �t� flatt�s de l'esp�rance de voir leurs h�riti�res frayer avec celles de la {CL 251} noblesse, se sentirent frustr�s et humili�s. Ou bien l'esprit voltairien du r�gne de Louis-Philippe, qui couvait d�j� d�s les premiers jours du r�gne de son pr�d�cesseur, commen�a � proscrire les �ducations monastiques. cc Tant il y a, qu'au bout de quelques ann�es je trouvai le couvent � peu pr�s vide, sept ou huit pensionnaires au lieu de soixante-dix � quatre-vingts que nous avions �t�, la maison trop vaste et aussi pleine de silence qu'elle l'avait �t� de bruit, Poulette d�sol�e et se {Lub 1010} plaignant avec �cret� des nouvelles sup�rieures et de la ruine de notre ancienne gloire.

J'ai eu les derniers d�tails sur cet int�rieur en 1847. La situation �tait meilleure cd, mais ne s'�tait jamais relev�e � son ancien niveau: grande injustice de la vogue; car, en somme, les Anglaises �taient sous tous les rapports un troupeau de vierges sages, et leurs habitudes de raison, de douceur et de bont� n'ont pu se perdre en un quart de si�cle. ce


Variantes

  1. 1810-1832 {CL} (cette inadvertance de l'�diteur est corrig�e dans la table des mati�res du T.3) ♦ 1819-1822 {Lub} (cette indavertance de l'�diteur est r�p�t�e dans la table des mati�res du T.1. Nous corrigeons)
  2. Sommaire du chapitre 5 du 7�me volume. Sommaire {Ms}Chapitre Quinzi�me {Presse}, {Lecou} ♦ Chapitre Deuxi�me {LP} ♦ II {CL}
  3. directeur de spectacles. {Ms}directeur des spectacles. {Presse} et sq.
  4. des heures. La po�sie de la vie monastique s'�tait empar�e de moi. Je jouissais {Ms} ♦ des heures. Je jouissais {Presse} et sq.
  5. Le vers de [Tartuffe ray�] Boileau {Ms}
  6. cruaut�. » / J'�tais boulevers�e; j'�tais, pour mon cher couvent et pour mes ch�res religieuses, dans la situarion d'un �poux confiant, ou d'un amant enivr� qui d�couvre tout � coup qu'on le trompe, ct que l'objet de son culte a toutes les mis�res, tous les vices de la nature humaine. Lorsque j'entendis des cris {Ms} ♦ cruaut�. » / Tout � coup j'entendis des cris {Presse} et sq.
  7. comme une fi�vre {Ms} ♦ comme une obsession {Presse} et sq.
  8. au monde quand {Presse} ♦ au monde, quand {CL}
  9. pri�res. [Je crois que ray�] C'�tait par une matin�e [d'automne ray�] froide {Ms} ♦ pri�res. C'�tait par une matin�e froide {Presse} et sq.
  10. qu'il [fallait dire � plusieurs, � deux tout au moins ray�] ne fallait pas dire seule {Ms}
  11. par go�t. J'y trouvais du charme mais je ne l'aurais ni imagin�, ni fait de moi-m�me. Je trouvais {Ms} ♦ par go�t. Je trouvais {Presse} et sq.
  12. paten�tres comme nous disions. {Ms}paten�tres. {Presse} et sq.
  13. l'oraison de [pr�dilection ray�] Mme de Borgia {Ms}l'oraison de Mme Borgia {Presse} ♦ l'oraison de madame Borgia {Lecou} et sq.
  14. avait [l'organisation ray�] les nerfs {Ms}
  15. rois, [la mort me sembla ray� bleu] cela m'apparut comme {Ms}
  16. sombre [quand je la vis ray� bleu] au travers de l'impression {Ms} ♦ sombre, � travers l'impression {Presse} et sq.
  17. impi�t�. [Il me sembla que trembler aupr�s de la d�pouille d'une sainte femme, c'�tait une appr�ciation payenne de la vie et ray�] et je me sentis {Ms}
  18. de ces [d�senchantemens ray� bleu] d�sillusions (add. bleu) {Ms}
  19. ferveur [et sans �motion ray� bleu] {Ms}
  20. que je retrouvai {Ms} ♦ que je ressaisis {Presse} et sq.
  21. non pas [envers l'objet ray�] sur la religion {Ms}
  22. scruter les petites choses en moi-m�me {Ms} ♦ scruter en moi les petites choses {Presse} et sq.
  23. exigeance [qui trouble toutes les amiti�s humaines ray�], il n'y a {Ms}
  24. [Un mois ou deux s'�coul�rent pour ray�]. Pendant un mois ou deux je v�cus {Ms}
  25. travail sur moi-m�me pour {Ms} ♦ travail pour {Presse} et sq.
  26. Ce paragraphe jusqu'� « au premier pr�tre qui », est �crit sur un fragment coll�. {Ms} (note de {Lub})
  27. vite au [confesseur ray� bleu] directeur (add. bleu} {Ms}
  28. Depuis se peut trouver, la phrase est rajout�e d'une �criture plus tardive � l'encre noire {Ms} (note de {Lub})
  29. entre le [confesseur ray� bleu] pr�tre (add. bleu) [press� de se d�barrasser d'une scrupu ray�] et le p�nitent? {Ms}
  30. croire [r�concili�s et ray�] lav�s {Ms}
  31. l'institution dure {Ms} ♦ l'institution pure {Presse}
  32. comme le [chirurgien ray�] [garde ray�] infirmier {Ms}
  33. institution [d�natur�e ray�] d�tourn�e de son but et [modifi�e ray�] d�natur�e par le [travail ray�] laisser aller {Ms}
  34. c. de d�gout, de doutes, de sentimens {Ms} ♦ de d�go�t, de sentiments {Presse} et sq.
  35. plus �nergiquement encore {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ plus �nergiquement {CL}
  36. pi�t� [emp�che d'�tre aimable ray�] rend {Ms}
  37. voulait dire, n'imitez pas {Presse} ♦ voulait dire: n'imitez pas {CL} ♦ voulait dire, n'imitez pas {Lub}
  38. �lastiques. Il ne me fallut que quelques heures, pour retrouver la force de mes bras, et pour gagner toutes mes compagnes qui n'avaient jamais pu atteindre, comme moi, le cadran de l'�glise avec leur balle, � preuve que dans mon tems de diablerie j'avais caus� � l'horloge des d�g�ts que Poulette n'avait su � qui attribuer. Peu � peu {Ms} ♦ �lastiques. Peu � peu {Presse} et sq.
  39. ce puissant levier {Ms} ♦ le puissant levier {Presse} et sq.
  40. tranquille comme la surface d'un lac par une belle matin�e de printems. Toutes {Ms} ♦ tranquille. Toutes {Presse} et sq.
  41. forme nouvelle et tout � fait {Ms} ♦ forme tout � fait {Presse} et sq.
  42. troupe. [Je connaissais bien non seulement ray�] Je choisis {Ms}
  43. classe [�tait relev� en estrade et on y montait par deux marches. Ce fut un th��tre tout fait ray� bleu] donnant sur le jardin, devint th��tre aux heures permises. (add. bleu) {Ms}
  44. et l'on fut indulgent {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ et l'on fut intelligent {CL} ♦ et l'on fut indulgent {Lub} (restaurant la 1re le�on, seule correcte; nous le suivons)
  45. je connaissais [bien ray�] assez bien {Ms}
  46. beaucoup de [na�vet�s ray�] crudit�s {Ms}
  47. Mais ces repr�sentations {Ms} ♦ Mais les repr�sentations {Presse}
  48. exhiber les [seringues ray�] armes (add. bleu) {Ms}
  49. en sc�ne [arm�e de cet instrument ray�] pour leur en donner l'exemple. (add. bleu) {Ms}
  50. brandissant [la seringue ray�] l'instrument classique (add. bleu) {Ms}
  51. exhibition [de seringues ray�] burlesque (add. bleu) {Ms}
  52. tous les vers [burlesques de cette c�r�monie ray�], on avait pu les apprendre [par cœur ray�]. {Ms}
  53. Tais-toi! fort inutile {Ms} ♦ Tais-toi! Il est fort inutile {Presse} et sq.
  54. s'aider {Ms}, {Presse}, {Lecou}♦ s'aimer {LP} ♦ s'aider {CL}
  55. Bazouin, {Ms}Bazoini, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ Bazooin, {CL} ♦ Bazouin, {Lub} qui rectifie; nous le suivons
  56. M. d'H�liand {Ms}, {Presse} ♦ M. d'H�liaud {Lecou}, {LP}, {CL} ♦ M. d'H�liand {Lub} qui rectifie; nous le suivons
  57. l'amiti� de [Jane et ray�] Ch�rie et d'Aim�e {Ms}
  58. jusqu'en 1830. {Ms} ♦ jusqu'en 1831. {Presse} et sq.
  59. entra�ner tant il est doux de subir en commun une impression sympathique. Je me rappelle que le rire �tait {Ms} ♦ entra�ner. Je me rappelle que cela �tait {Presse} et sq.
  60. disaient en riant: Est-ce que {Ms} ♦ disaient: « Est-ce que {Presse} et sq.
  61. s'imagina [de tourner la chose en plaisanterie et ray�] de faire {Ms}
  62. bataillon de [nonnes ray�] doyennes {Ms}
  63. l� finit [la r�volte ray� bleu] notre r�volution. {Ms}
  64. discr�tion [apr�s la com�die ray�] {Ms}
  65. Op�ra par Louvel. {Ms}Op�ra par Louvel. {Presse} {CL} ♦ Op�ra par Louvel. {Lub} (restaurant la 1re le�on, l'italique ne se justifiant pas; nous le suivons)
  66. particuli�res adress�es � la sup�rieure, d�fray�rent {Ms} ♦ particuli�res, d�fray�rent {Presse} et sq.
  67. [ou ralli�es ray�] ou bonapartistes ralli�es {Ms}
  68. par principe {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ par principes {LP} ♦ par principe {CL}
  69. un brutal et un d�bauch� {Ms} ♦ un peu brutal et d�bauch� {Presse} et sq.
  70. le rire [inextinguible ray�] qui fait {Ms}
  71. gaie, aim�e au couvent [parfaitement heureuse ray� bleu], ne d�sirant rien du monde, m'y laissant conduire [au spectacle ray� bleu] sans faire la b�gueule, ne prenant {Ms} ♦ gaie, ne prenant {Presse} et sq.
  72. rev�ches et avec tout cela [.......... de ne rien dire honn�tement .... vouloir m'enfermer au couvent pour toute ma vie ray� bleu] rentrant {Ms} ♦ rev�ches, et n�anmoins rentrant {Presse} et sq.
  73. � Dieu, que vous auriez de la peine � violer plus tard, surtout pas [de r�v�lations ray�] d'aveux � vos parents [sur quoi que ce soit ray�] avant {Ms} ♦ � Dieu, surtout pas d'aveu � vos parens avant {Presse} et sq.
  74. m'avait rendu {Ms} ♦ m'avait rendue {Presse}
  75. exemple [fera plus ray�] pr�chera {Ms}
  76. un moyen bien s�r {Ms} ♦ un moyen tr�s-s�r {Presse} et sq.
  77. Je ne pleurai {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ Je ne pleurais {LP} et sq.
  78. et [pendant ce dernier mois j'eus des pr�occupations diff�rentes de celles qui m'avaient absorb�e jusque l� ray� bleu] quand elle arriva {Ms}
  79. avec elle. [Tout est mode ici-bas, m�me les couvents ray�]. J'avais {Ms}
  80. Elle [laissait ray�] avait laiss� {Ms}
  81. les �ducations catholiques. {Ms} ♦ les �ducations monastiques. {Presse} et sq.
  82. �tait un peu meilleure {Ms} ♦ �tait meilleure {Presse} et sq.
  83. {Ms} s'arr�te ici; ce qui suit a d� �tre rajout� sur �preuves. (note de {Lub} )

Notes