GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-Lévy 1876

{LP T.? ?; CL T.3 [189]; Lub T.1 [957]} QUATRIÈME PARTIE
Du mysticisme à l'indépendance
1819-1832 a

{Presse 12/4/1855 1; CL T.3 [189]; Lub T.1 [959]} I b

Opinion d'Anna, de Fannelly et de Louise. — Retour et plaisanterie de Mary. — Confession générale. — L'abbé de Prémord. — Le jésuitisme et le mysticisme. — Communion et ravissement. — Le dernier bonnet de nuit. — Sœur Hélène. — Enthousisame et vocation. — Opinion de Marie-Alicia. — Élisa Anster. — Le pharisien et le publicain. — Parallèle de sentiments et d'instincts. c



Au bout de quatre ou cinq jours, Anna, remarquant que j'étais silencieuse et absorbée, et que j'allais à l'église tous les soirs, me dit d'un air stupéfait: « Ah çà, mon cher Calepin, qu'est-ce à dire? On jurerait que tu deviens dévote! — C'est fait, mon enfant, lui répondis-je tranquillement. — Pas possible? — Je t'en donne ma parole d'honneur. — Eh bien, reprit-elle après avoir réfléchi un instant, je ne te dirai rien pour t'en détourner. Je crois que ce serait inutile. Tu es une nature passionnée, je l'ai toujours pensé. Je ne pourrai pas te suivre sur ce terrain-là. Je suis une nature plus froide, je raisonne. J'envie ton bonheur, je t'approuve de ne point hésiter; mais je ne crois pas que jamais j'arrive à la foi aveugle. Si ce miracle s'opérait {CL 190} pourtant, je ferais comme toi, j'en conviendrais sincèrement. — M'aimeras-tu moins? lui demandai-je. — À présent tu t'en consolerais aisément, reprit-elle d. La dévotion absorbe et dédommage de tout. Mais comme j'ai pour ta sincérité la plus parfaite estime, je resterai ton amie quoi qu'il arrive. » Elle ajouta d'excellentes paroles encore, et se montra toujours pleine de raison, d'affection et d'indulgence pour moi.

Sophie ne prit pas beaucoup garde à mon changement. La diablerie passait de mode. Ma conversion lui portait le dernier coup. Peut-être étions-nous toutes également {Lub 960} ennuyées de notre inaction, sans nous l'être avoué les unes aux autres. D'ailleurs Sophie était un diable mélancolique, et parfois elle avait de courts accès de dévotion mêlés de profondes tristesses qu'elle ne voulait ni expliquer ni avouer.

Celle que je craignais le plus d'affliger était Fannelly. Elle m'épargna la peine de lui refuser de courir davantage avec elle, elle me prévint. « Eh bien, ma tante, me dit-elle, te voilà donc rangée? Soit! Si tu t'en trouves bien j'en serai heureuse, et si cela te fait plaisir je me rangerai aussi. Je suis capable de devenir dévote pour faire comme toi et pour être toujours avec toi. »

Elle l'eût fait comme elle le disait, cette généreuse et abondante nature, si cela eût dépendu d'un mouvement de son cœur. Mais ses idées n'avaient pas la fixité et l'exclusivisme des miennes. D'ailleurs parmi les diables il n'y en avait que deux, Anna et moi, qui fussent susceptibles e de ce qu'on appelait une conversion. Les autres n'avaient jamais protesté, elles n'étaient pas pieuses parce qu'elles étaient dissipées; mais elles croyaient quand même, et du jour où la diablerie cessa elles furent plus régulières dans leurs exercices de piété, sans devenir dévotes exaltées pour cela.

{CL 191} Anna était esprit fort. C'était bien le mot pour elle, qui avait de l'esprit tout de bon et de la force dans la volonté. Pour moi, que l'on qualifiait d'esprit fort aussi, je n'avais ni force ni esprit. Il n'y avait de fort en moi que la passion, et quand celle de la religion vint à éclater, elle dévora tout dans mon cœur rien dans mon cerveau ne lui fit obstacle.

J'ai dit qu'Anna aussi se jeta dans la piété après son mariage, mais tant qu'elle resta au couvent elle garda son incrédulité. Ma ferveur me rendit probablement moins agréable pourelle, et quoiqu'elle eût la générosité de ne me le faire jamais sentir, je fus naturellement entraînée vers d'autres intimités, comme je le dirai bientôt.

J'étais restée liée avec Louise de La Rochejaquelein. Elle était encore à la petite classe, parce qu'elle était plus jeune que nous, mais elle était toujours beaucoup plus raisonnable et plus instruite que moi. Je la rencontrai dans les cloîtres peu de jours après ma conversion, et ce fut la seule personne dont j'eus la curiosité de saisir la {Lub 961} première impression. Comme elle n'était ni diable, ni bête, ni fervente, son jugement était une chose à part.

« Eh bien, me dit-elle, es-tu toujours aussi désoeuvrée, aussi tapageuse? — Que penserais-tu de moi, lui dis-je, si je t'apprenais que je me sens enflammée par la religion? — Je dirais, me répondit-elle, que tu fais bien, et je t'aimerais encore plus que je ne t'aime. » Elle m'embrassa avec une grande effusion de cœur et n'ajouta aucun autre encouragement, voyant sans doute à mon air que j'irais plus loin que ses conseils.

Mary revint d'Angleterre ou d'Irlande dans ce temps-là. Elle avait grandi de toute la tête, sa figure avait pris une expression encore plus mâle, et ses manières étaient plus que jamais celles d'un garçon naïf, impétueux et insouciant. Elle rentra à la petite classe et y ressuscita si bien {CL 192} la diablerie que ses parents la reprirent au bout de quelques mois. Elle se moqua impitoyablement de ma dévotion, et quand nous nous rencontrions, elle me poursuivait des sarcasmes les plus comiques. Elle ne me fâcha pourtant jamais, car elle avait de l'esprit de bon aloi, c'est-à-dire de l'esprit sans amertume et une raillerie qui divertissait trop pour pouvoir blesser. Je raconterai dans la suite de mes mémoires comment nous nous sommes retrouvées vers l'âge de quarante ans, nous aimant toujours et nous retraçant avec plaisir f nos jeunes années.

Mais me voici arrivée à un moment où il faut que je parle un peu de moi isolément, car ma ferveur me fit, pendant quelques mois, une vie solitaire et sans expansion apparente.

Ma conversion subite ne me donna pas le temps de respirer. Tout entière à mon nouvel amour, j'en voulus savourer toutes les joies. Je fus trouver mon confesseur pour le prier de me réconcilier officiellement avec le ciel. C'était un vieux prêtre, le plus paternel, le plus simple, le plus sincère, le plus chaste des hommes, et pourtant c'était un jésuite, un père de la foi, comme on disait depuis la Révolution. Mais il n'y avait en lui que droiture et charité. Il s'appelait l'abbé de Prémord et confessait la moindre partie du troupeau; l'abbé de Villèle, qui était le directeur en titre de la communauté et des pensionnaires, ne pouvant suffire à tout. g

On nous envoyait à confesse, bon gré, mal gré, tous {Lub 962} les mois, usage détestable qui violentait la conscience et condamnait à l'hypocrisie celles qui n'avaient pas le courage de la résistance. h

« Mon père, dis-je à l'abbé, vous savez bien comment je me suis confessée jusqu'ici, c'est-à-dire que vous savez que je ne me suis pas confessée du tout. Je suis venue vous réciter une formule d'examen de conscience qui court la {CL 193} classe et qui est la même pour toutes celles qui viennent à confesse, contraintes et forcées. Aussi ne m'avez-vous jamais donné l'absolution, que je ne vous ai jamais demandée non plus. Aujourd'hui je vous la demande et je veux me repentir et m'accuser sérieusement. Mais je vous avoue que je ne sais pas comment m'y prendre, parce que je ne me souviens d'aucun péché volontaire; j'ai vécu, j'ai pensé, j'ai cru comme on me l'avait enseigné. Si c'était un crime de nier la religion, ma conscience, qui était muette, ne m'a avertie de rien. Pourtant je dois faire pénitence, aidez-moi à me connaître et à voir en moi-même ce qui est coupable et ce qui ne l'est pas.

— Attendez, mon enfant, me dit-il. Je vois que ceci est une confession générale, comme on dit, et que nous aurons beaucoup à causer. Asseyez-vous. » Nous étions dans la sacristie, j'allai prendre une chaise et lui demandai s'il voulait m'interroger. « Non pas, me dit-il, je ne fais jamais de question: voici la seule que je vous adresserai. Avez-vous donc l'habitude de chercher vos examens de conscience dans les formulaires? — Oui, mais il y a bien des péchés que je ne sais pas avoir commis i, car je n'y comprends rien. — C'est bien, je vous défends de jamais consulter aucun formulaire et de chercher les secrets de votre conscience ailleurs qu'en vous-même. À présent, causons. Racontez-moi simplement et tranquillement toute votre existence, telle que vous vous la rappelez, telle que vous la concevez et la jugez. N'arrangez rien, ne cherchez ni le bien ni le mal de vos actions et de vos pensées, ne voyez en moi ni un juge ni un confesseur, parlez-moi comme à un ami. Je vous dirai ensuite ce que je crois devoir encourager ou corriger en vous dans l'intérêt de votre salut, c'est-à-dire de votre bonheur en cette vie et en l'autre. »

Ce plan me mit bien à l'aise. Je lui racontai ma vie avec effusion, moins longuement que je ne l'ai fait ici, mais {CL 194; Lub 963} avec assez de détails et de précision cependant pour que ce récit durât plus de trois heures. L'excellent homme m'écouta avec une attention soutenue, avec un intérêt paternel; plusieurs fois je le vis essuyer ses larmes, surtout quand j'arrivai à la fin et que je lui exposai simplement comment la grâce m'avait touchée au moment où je m'y attendais le moins.

C'était un vrai jésuite que l'abbé de Prémord, et en même temps un honnête homme, un cœur sensible et doux. Sa morale était pure, humaine, vivante pour ainsi dire. Il ne poussait pas au mysticisme, il prêchait terre à terre avec une grande onction et une grande bonhomie. Il ne voulait j pas qu'on s'absorbât dans le rêve anticipé d'un monde meilleur au point d'oublier l'art de se bien conduire dans celui-ci; voilà pourquoi je dis que c'était un vrai jésuite, malgré sa candeur et sa vertu. k

Quand j'eus fini de causer, je lui demandai de me juger et de me choisir les points où j'étais coupable, afin que, m'agenouillant devant lui, j'eusse à les rappeler en confession et à m'en repentir pour mériter une absolution générale. Mais il me répondit: « Votre confession est faite. Si vous n'avez pas été éclairée plus tôt de la grâce, ce n'est pas votre faute. C'est à présent que vous pourriez devenir coupable si vous perdiez le fruit des salutaires émotions que vous avez éprouvées. Agenouillez-vous pour recevoir l'absolution, que je vais vous donner de tout mon cœur. »

Quand il eut prononcé la formule sacramentelle, il me dit: « Allez en paix, vous pouvez communier demain. Soyez calme et joyeuse, ne vous embarrassez pas l'esprit de vains remords, remerciez Dieu d'avoir touché votre cœur soyez toute à l'ivresse d'une sainte union de votre âme avec le Sauveur. »

C'était me parler comme il fallait; mais on verra bientôt que ce saint quiétisme ne suffisait pas à l'ardeur de {CL 195} mon zèle et que j'étais cent fois plus dévote que mon confesseur; ceci soit dit à la louange de ce digne homme; il avait atteint, je crois, l'état de perfection et ne connaissait plus les orages d'un prosélytisme ardent. Sans lui, je crois bien que je serais ou folle, ou religieuse cloîtrée à l'heure qu'il est. Il m'a guérie d'une passion délirante pour l'idéal chrétien. Mais en cela fut-il chrétien catholique, ou jésuite homme du monde?

{Lub 964} Je communiai le lendemain, jour de l'assomption, 15 août. J'avais quinze ans l et n'avais pas approché du sacrement depuis ma première communion à La Châtre. C'était dans la soirée du 4 août que j'avais ressenti ces émotions, ces ardeurs inconnues que j'appelais ma conversion. On voit que j'avais été droit au but; j'étais pressée de m faire acte de foi et de rendre, comme on disait, témoignage devant le seigneur.

Ce jour de véritable première communion me parut le plus beau de ma vie, tant je me sentis pleine d'effusion et en même n temps de puissance dans ma certitude. Je ne sais pas comment je m'y prenais pour prier. Les formules consacrées ne me suffisaient pas, je les lisais pour obéir à la règle catholique, mais j'avais ensuite des heures entières où, seule dans l'église, je priais d'abondance, répandant mon âme aux pieds de l'éternel, et, avec mon âme, mes pleurs, mes souvenirs du passé, mes élans vers l'avenir, mes affections, mes dévouements, tous les trésors d'une jeunesse embrasée qui se consacrait et se donnait sans réserve à une idée, à un bien insaisissable, à un rêve d'amour éternel.

C'était puéril et étroit dans la forme, cette orthodoxie où je me plongeais, mais j'y portais le sentiment de l'infini. Et quelle flamme ce sentiment n'allume-t-il pas dans un cœur vierge! Quiconque a passé par là sait bien que nulle affection terrestre ne peut donner de pareilles satisfactions {CL 196} intellectuelles. Ce Jésus, tel que les mystiques l'ont interprété et refait à leur usage, est un ami, un frère, un père, dont la présence éternelle, la sollicitude infatigable, la tendresse, la mansuétude infinie ne peuvent se comparer à rien de réel et de possible; je n'aime pas que les religieuses en aient fait leur époux. Il y a là quelque chose qui doit servir d'aliment au mysticisme hystérique, la plus répugnante des formes que le mysticisme puisse prendre. Cet amour idéal pour le Christ n'est sans danger que dans l'âge où les passions humaines sont muettes. Plus tard il prête aux aberrations du sentiment et aux chimères de l'imagination troublée. Nos religieuses anglaises n'étaient pas mystiques du tout, heureusement pour elles. o

L'été se passa pour moi dans la plus complète béatitude. Je communiais tous les dimanches et quelquefois deux jours de suite. J'en suis revenue à trouver fabuleuse {Lub 965} et inouïe l'idée matérialisée de manger la chair et de boire le sang d'un dieu; mais que m'importait alors? Je n'y songeais pas, j'étais sous l'empire d'une fièvre qui ne raisonnait pas et je trouvais ma joie à ne pas raisonner. On me disait: « Dieu est en vous, il palpite dans votre cœur, il remplit tout votre être de sa divinité; la grâce circule en vous avec le sang de vos veines! » Cette identification complète avec la Divinité se faisait sentir à moi comme un miracle. Je brûlais littéralement comme sainte Thérèse; je ne dormais plus, je ne mangeais plus, je marchais sans m'apercevoir du mouvement de mon corps; je me condamnais à des austérités qui étaient sans mérite, puisque je n'avais plus rien à immoler, à changer ou à détruire en moi. Je ne sentais pas la langueur du jeûne. Je portais autour du cou p un chapelet de filigrane qui m'écorchait, en guise de cilice. Je sentais la fraîcheur des gouttes de mon sang, et au lieu d'une douleur c'était une sensation agréable. Enfin je vivais dans l'extase, mon corps était insensible, {CL 197} il n'existait plus. La pensée prenait un développement insolite et impossible. Était-ce même la pensée? Non, les mystiques ne pensent pas. Ils rêvent sans cesse, ils contemplent, ils aspirent, ils brûlent, ils se consument comme des lampes, et ils ne sauraient se rendre compte de ce mode d'existence, qui est tout spécial et ne peut se comparer à rien.

Je crains donc d'être peu intelligible pour ceux qui n'ont pas subi cette maladie sacrée, car je me rappelle l'état où j'ai vécu durant quelques mois sans pouvoir bien me le définir à moi-même.

J'étais devenue sage, obéissante et laborieuse, cela va sans dire. Il ne me fallut aucun effort pour cela. Du moment que le cœur était pris, rien ne me coûtait pour mettre mes actions d'accord avec ma croyance. Les religieuses me traitèrent avec une grande affection, mais, je dois le dire, sans aucune flatterie et sans chercher, par aucun des moyens de séduction qu'on reproche aux communautés religieuses d'exercer envers leurs élèves, à m'inspirer plus de ferveur. Leur dévotion était calme, un peu froide peut-être, digne et même fière. Hormis une seule, elles q n'avaient ni le don ni la volonté du prosélytisme entraînant, soit que cette réserve tînt à l'esprit de leur ordre ou au caractère britannique, dont elles ne se départaient point.

{Lub 966} Et puis, quelles remontrances, quelles exhortations eût-on pu m'adresser? J'étais si entière dans ma foi, si logique dans mon enthousiasme! Jamais de tiédeur, jamais d'oubli, jamais de relâchement possible à un esprit enfiévré comme était le mien. La corde était trop tendue pour se détendre d'elle-même, elle se serait plutôt brisée.

Marie-Alicia continua d'être angéliquement bonne avec moi. Elle ne m'aima pas davantage après ma conversion qu'elle n'avait fait auparavant, et ce fut une raison pour {CL 198} moi d'augmenter d'affection pour elle. En goûtant la douceur de cette amitié maternelle si pure et si soutenue, je savourais la perfection de cette âme d'élite qui me chérissait si bien r pour moi-même, puisqu'elle avait aimé la pécheresse, l'enfant ingouverné et ingouvernable, autant qu'elle aimait la convertie, l'enfant soumis et rangé.

Madame Eugénie, qui m'avait toujours traitée avec une indulgence qu'on taxait de partialité, devint plus sévère en même temps que je devenais plus raisonnable. Je ne péchais plus que par distraction, et elle me rabrouait un peu durement pour cela, quelque involontaires que fussent mes fautes. Un jour même que, perdue dans mes rêveries pieuses, je n'avais pas entendu un ordre qu'elle me donnait, elle m'infligea sans miséricorde la punition du bonnet de nuit. Le bonnet de nuit à sainte Aurore (les diables m'appelaient ainsi en riant)! Ce fut un cri de surprise et un murmure de stupeur dans toute la classe: « Vous voyez bien, disait-on, cette femme bizarre et contredisante aime les diables, et depuis que celui-ci est tombé dans le bénitier, elle ne peut plus le souffrir! » Le bonnet de nuit ne m'affecta pas, j'avais la conscience de mon innocence, et je sus même gré à madame Eugénie de ne m'avoir pas épargnée plusqu'elle n'eût fait d'une autre en pareil cas. Je ne s pensai pas qu'elle m'aimait moins t, car elle me prouvait sa préférence comme en cachette. Si j'étais souffrante ou triste, elle venait le soir dans ma cellule m'interroger froidement, d'un ton railleur même; mais c'était de sa part beaucoup plus que de la part de toute autre, cette sollicitude enjouée, cette démarche de venir à moi qu'elle n'a jamais faite pour aucune autre que je sache. Je n'éprouvais pas le besoin de lui ouvrir mon cœur comme {Lub 967} avec Marie-Alicia, mais j'étais sensible à la part d'affection qu'elle pouvait me donner et je baisais avec reconnaissance sa main longue, blanche et froide.

{CL 199} Ce fut au milieu de ma première ferveur que je contractai une amitié qui fut trouvée encore plus bizarre que celle que je portais à madame Eugénie, mais qui m'a laissé les plus doux et les plus chers souvenirs.

Dans la liste u de nos religieuses, j'ai nommé une sœur converse, sœur Hélène, dont je me suis réservé de parler amplement quand j'aurais atteint la phase de mon récit où son existence se mêle à la mienne; m'y voici arrivée.

Un jour que je traversais le cloître, je vois une sœur converse assise sur la dernière marche de l'escalier, pâle, mourante, baignée d'une sueur froide. Elle était placée entre deux seaux fétides qu'elle descendait du dortoir et qu'elle allait vider. Leur pesanteur et leur puanteur avaient vaincu son courage et ses forces. Elle était v pâle, maigre, en chemin de devenir phthisique. C'était Hélène, la plus jeune des converses, consacrée aux fonctions les plus pénibles et les plus repoussantes du couvent. À cause de cela, elle était un objet de dégoût pour les pensionnaires recherchées. On eût frémi de s'asseoir auprès d'elle, on évitait même de frôler son vêtement.

Elle était laide, d'un type commun, marquée de taches de rousseur sur un fond terne et comme terreux. Et cependant cette laideur avait quelque chose de touchant; cette figure calme dans la souffrance avait comme une habitude et une insouciance du malheur qu'on ne comprenait pas bien au premier abord et qu'on eût pu prendre pour une indifférence grossière, mais qui se révélait quand on avait lu dans son âme, et dont chaque indice venait confirmer le poëme obscur et rude de sa pauvre vie. Ses dents étaient les plus belles que j'aie jamais vues, blanches, petites, saines et rangées comme un collier de perles. Quand on se souhaitait une beauté idéale, on parlait des yeux d'Eugenia Yzquierdo, du nez de Maria Dormer, des cheveux de Sophie et des dents de sister Helen.

{CL 200} Quand je la vis ainsi défaillante, je courus à elle, comme de juste; je la soutins dans mes bras; je ne savais que faire pour la secourir. Je voulais monter à l'ouvroir, appeler quelqu'un. Elle retrouva ses forces pour m'en empêcher, et, se levant, elle voulut reprendre son fardeau et continuer {Lub 968} son ouvrage; mais elle se traînait d'une si piteuse façon, qu'il ne me fallut pas beaucoup de vertu pour m'emparer de ses seaux et pour les emporter à sa place. Je la retrouvai, le balai à la main et se dirigeant vers l'église. « Ma sœur, lui dis-je, vous vous tuez. Vous êtes trop malade pour travailler aujourd'hui. Laissez-moi l'aller dire à Poulette pour qu'elle envoie quelqu'un nettoyer l'église, et vous irez vous coucher. — Non, non! dit-elle en secouant sa tête courte et obstinée, je n'ai pas besoin d'aide; on peut toujours ce qu'on veut, et je veux mourir en travaillant. — Mais c'est un suicide, lui dis-je, et Dieu vous défend de chercher la mort, même par le travail. — Vous n'y entendez rien, reprit-elle. J'ai hâte de mourir, puisqu'il faut que je meure. Je suis condamnée par les médecins. Eh bien, j'aime mieux être réunie à Dieu dans deux mois que dans six.

» Je n'osai pas lui demander si elle parlait ainsi par ferveur ou par désespoir, je lui demandai seulement si elle voulait consentir à ce que je l'aidasse à nettoyer l'église, puisque c'était l'heure de ma récréation. Elle y consentit en me disant: « Je n'en ai pas besoin, mais il ne faut pas empêcher une bonne âme de faire acte de charité. »

Elle me montra comment il fallait s'y prendre pour cirer le parquet de l'arrière-chœur, pour épousseter et frotter à la serge les stalles des nonnes. Ce n'était pas bien difficile, et je fis un côté de l'hémicycle pendant qu'elle faisait l'autre; mais, toute jeune et forte que j'étais, le travail w me mit en nage, tandis qu'elle, endurcie à la fatigue et déjà remise de son évanouissement, avec l'air d'une mourante {CL 201} et l'apparente lenteur d'une tortue, elle vint à bout de sa tâche plus vite et mieux que moi.

Le lendemain était un jour de fête; il n'y en avait pas pour elle, puisque tous les jours exigeaient les mêmes soins domestiques. Le hasard me la fit rencontrer encore comme elle allait faire les lits au dortoir. Il y en avait trente et quelques. Elle me demanda d'elle-même si je voulais l'aider, non pas qu'elle voulût être soulagée de son travail, mais parce que ma société commençait à lui plaire. Je la suivis par un mouvement de complaisance qui eût été bien naturel, quand même je n'aurais pas été poussée par le dévouement religieux qui inspire l'amour de la peine. Quand l'ouvrage fut terminé, et abrégé de moitié par mon concours, il nous resta quelques instants {Lub 969} de loisir, et la sœur Hélène, s'asseyant sur un coffre, me dit: « Puisque vous êtes si complaisante, vous devriez bien m'enseigner un peu de français, car je n'en peux pas dire un mot, et cela me gêne avec les servantes françaises que j'ai à diriger. — Cette demande de votre part me réjouit, lui dis-je. Elle me prouve que vous ne songez plus à mourir dans deux mois, mais à vous conserver le plus longtemps possible. — Je ne veux que ce que Dieu voudra, reprit-elle. Je ne cherche pas la mort, je ne l'évite pas. Je ne peux pas m'empêcher de la désirer, mais je ne la demande pas. Mon épreuve durera tant qu'il plaira au seigneur. — Ma bonne sœur, lui dis-je, vous êtes donc bien sérieusement malade? — Les médecins prétendent que oui, répondit-elle, et il y a des moments où je souffre tant que je crois qu'ils ont raison. Mais, après tout, je me sens si forte qu'ils pourraient bien se tromper. Allons! Qu'il en soit comme Dieu voudra! »

Elle se leva en ajoutant: « Voulez-vous venir ce soir dans ma cellule? Vous me donnerez la première leçon. »

J'y consentis à regret, mais sans hésiter. Cette pauvre sœur m'inspirait, malgré moi, de la répugnance, non pas {CL 202} elle, mais ses vêtements, qui étaient immondes et dont l'odeur me causait des nausées. Et puis, j'aimais bien mieux mon heure d'extase, le soir à l'église, que l'ennui de donner une leçon de français à une personne fort peu intelligente et qui ne savait que fort mal l'anglais.

Je m'y résignai pourtant, et, le soir venu, j'entrai pour la première fois dans la cellule de sœur Hélène. Je fus agréablement surprise de la trouver d'une propreté exquise et toute parfumée de l'odeur du jasmin qui montait du préau jusqu'à sa fenêtre. La pauvre sœur était propre aussi; elle avait sa robe de serge violette neuve; ses petits objets de toilette bien rangés sur une table attestaient le soin qu'elle prenait de sa personne. Elle vit dans mes yeux ce qui me préoccupait. « Vous voilà étonnée, me dit-elle, de trouver propre et même recherchée sous ce rapport une personne qui remplit sans chagrin les plus viles fonctions. C'est parce que j'ai horreur de la saleté et des mauvaises odeurs que j'ai accepté gaiement ces fonctions-là. Quand je suis arrivée en France, j'ai été révoltée de voir des chenets ternes et des serrures rouillées. Chez nous, on se mirait dans le bois des meubles et dans la ferrure des moindres ustensiles. J'ai cru que je ne {Lub 970} m'habituerais jamais à vivre dans un pays où l'on était si négligent. Mais pour x faire de la propreté, il faut toucher à des choses malpropres. Vous voyez bien que mon goût devait me faire prendre l'état qui m'a suggéré l'envie de faire mon salut. »

Elle dit tout cela en riant; car elle était gaie comme les personnes d'un grand courage. Je lui demandai ce qu'elle était avant d'être religieuse, et elle se mit à me raconter son histoire en mauvais anglais, dans un langage simple et rustique dont il me serait impossible de rendre la grandeur et la naïveté. Je ne l'essayerai pas, mais voici la substance de son récit:

{CL 203} « je suis une montagnarde écossaise; mon père* est un paysan aisé chargé d'une nombreuse famille. C'est un homme bon et juste, mais aussi rude dans sa volonté que courageux pour son travail. Je gardais ses troupeaux, je ne m'épargnais pas aux soins du ménage et à la surveillance de mes petits frères et sœurs, qui m'aimaient tendrement; je les aimais de même. J'étais heureuse, j'aimais la campagne, les prés, les animaux. Il ne me semblait pas que je pusse vivre renfermée, ne fût-ce que dans une ville; je ne pensais pas beaucoup à mon salut. Un sermon que j'entendis changea toutes mes idées et m'inspira un si grand désir de plaire à Dieu que je n'eus plus ni plaisir ni repos dans ma famille. Ce sermon prêchait le renoncement, la mortification. Je me demandai ce que je pouvais faire de plus agréable à Dieu et de plus cruel pour moi-même, et je trouvai que quitter la campagne, perdre ma liberté, me séparer pour toujours de ma famille, serait un véritable martyre pour moi. Aussitôt j'y fus résolue. J'allai trouver le prêtre qui avait prêché et je lui dis que j'avais la vocation. Il ne voulut pas me croire et me conduisit à l'évêque, afin que cet homme savant dans la religion examinât si ma vocation était véritable. L'évêque me demanda si j'étais malheureuse chez mes parents, si j'étais dégoûtée de mon pays, de mon état, si enfin j'avais quelque sujet de dépit ou de colère, pour quitter comme cela tout ce qui me retenait chez nous. Je lui répondis que dans ce cas-là ma vocation ne serait pas grande, et que je n'y croyais que parce {Lub 971} qu'elle m'imposait les plus grands sacrifices que je pusse m'imaginer. Quand l'évêque m'eut bien interrogée sans me trouver en défaut, il me dit: “ Oui, vous avez une grande vocation, mais il faut obtenir le consentement de vos parents. ”

* Probablement il était d'origine anglaise, il s'appelait Whitehead (tête blanche).

{CL 204} » je retournai chez nous et je parlai d'abord à mon père; mon père me dit que si je retournais seulement voir les prêtres, il me tuerait. “ Eh bien, lui dis-je, j'y retournerai, vous me tuerez, et j'irai au ciel plus tôt: c'est tout ce que je demande. ” Ma mère et mes tantes pleurèrent, et, voyant que je ne pleurais pas, elles me reprochèrent de ne pas les aimer. Cela me fit beaucoup de peine, comme vous pouvez croire, mais c'était le commencement de mon martyre, et puisque je ne pouvais pas me faire couper par morceaux ou brûler vive pour l'amour de Dieu, je devais me contenter d'avoir le cœur brisé et me réjouir dans cette épreuve. Je ne fis donc que sourire aux larmes de mes parents, parce que je souffrais plus qu'eux encore et que j'étais contente de souffrir.

» Je retournai voir le prêtre et l'évêque; mon père me maltraita, m'enferma dans ma chambre, et quand vint le jour où je voulus partir pour entrer en religion, il m'attacha avec des cordes au pied d'un lit. Plus on me faisait de peine et de mal, plus je souhaitais qu'on m'en fît. Enfin ma mère et une de mes tantes, voyant que mon père était furieux et craignant qu'il ne me fît mourir, essayèrent de le faire consentir à mon départ. “ Eh bien, dit-il, qu'elle parte tout de suite, mais qu'elle emporte ma malédiction. ”

» Il vint me détacher, et quand je voulus me mettre à ses genoux et l'embrasser, il me repoussa, refusa de me dire adieu et sortit. Il avait bien du chagrin, mon pauvre père! Il prit son fusil: on aurait dit qu'il allait se tuer. Mes frères aînés le suivirent, et quand je fus seule avec les femmes et les enfants, tous se mirent à genoux autour de moi pour me faire renoncer à mon sacrifice. Et moi je riais, et je disais: “ Encore, encore! Vous ne me ferez jamais souffrir autant que je le souhaite. ”

» Il y avait un petit enfant, l'enfant de ma sœur aînée, {CL 205} un vrai chérubin, que j'avais élevé particulièrement, qui était toujours pendu à ma robe, aux champs et dans la maison. On savait que j'étais folle de cet enfant-là. On le mit sur mes genoux, il pleurait et m'embrassait. Je me {Lub 972} levai pour le mettre à terre. Je pris mon paquet et marchai vers la porte. L'enfant courut au-devant de moi, et se couchant sur le seuil il me dit: “ Puisque tu veux me quitter, tu me marcheras sur le corps. ” Je remerciai Dieu de ce qu'il ne m'épargnait rien, et je passai par-dessus l'enfant. Pendant bien longtemps j'entendis ses cris et les sanglots de ma mère, de mes tantes, de mes sœurs et de tous les petits, qu'on retenait pour les empêcher de courir après moi. Je me retournai et leur montrai le ciel en élevant un bras au-dessus de ma tête. Ma famille n'était pas impie. Il se fit un grand silence. Alors je me remis à marcher et ne me retournai plus que quand je fus assez loin pour n'être point vue. Je regardai le toit y de la maison et la fumée. Je fus forcée de m'asseoir un instant, mais je ne pleurai pas, et j'arrivai aux pieds de l'évêque aussi tranquille que je le suis maintenant. Il me confia à des dames pieuses qui m'envoyèrent ici, parce qu'elles craignaient que mon père ne vînt me reprendre de force si on me laissait dans mon pays. Voilà mon histoire. Elle n'est pas bien longue ni bien dite, mais je ne sais pas m'expliquer mieux. »

Cette histoire simple et terrible acheva de me monter la tête pour la religion et m'inspira tout à coup pour la sœur Hélène une prédilection enthousiaste. Je vis en elle une sainte des anciens jours, rude, ignorante des délicatesses de la vie et des compromis de cœur avec la conscience, une fanatique ardente et calme comme Jeanne d'Arc ou sainte Geneviève. C'était, par le fait, une mystique, la seule, je crois, qu'il y eût dans la communauté: aussi n'était-elle pas anglaise.

{CL 206} Frappée comme d'un contact électrique, je lui pris les mains et m'écriai: « Vous êtes plus forte dans votre simplicité que tous les docteurs du monde, et je crois que vous me montrez, sans y songer, le chemin que j'ai à suivre. Je serai religieuse! — Tant mieux! me dit-elle avec la confiance et la droiture d'un enfant: vous serez sœur converse avec moi, nous travaillerons ensemble. »

Il me sembla que le ciel me parlait par la bouche de cette inspirée. {Presse 13/4/1855 1} Enfin z j'avais rencontré une véritable sainte comme celles que j'avais rêvées. Mes autres nonnes étaient comme des anges terrestres aa, qui, sans lutte et sans souffrances, jouissaient par anticipation du calme paradisiaque. Celle-ci était une créature plus humaine et {Lub 973} plus divine en même temps. Plus humaine, parce qu'elle souffrait, plus divine, parce qu'elle aimait à souffrir. Elle n'avait pas cherché le bonheur, le repos, l'absence de tentations mondaines, la liberté du recueillement dans le cloître. Les séductions du siècle! Pauvre fille des champs nourrie dans de grossiers labeurs ab, elle ne les connaissait pas. Elle n'avait rêvé et accompli qu'un martyre de tous les jours, elle l'avait envisagé avec la logique sauvage et grandiose de la foi primitive. Elle était exaltée jusqu'au délire sous une apparence froide et stoïque. Quelle nature puissante! Son histoire me faisait frissonner et brûler. Je la voyais aux champs, écoutant, comme notre grande pastoure, les voix mystérieuses dans les branches des chênes et dans le murmure des herbes. Je la voyais passant par-dessus le corps de ce bel enfant dont les larmes tombaient sur mon cœur et passaient dans mes yeux. Je la voyais seule et debout sur le chemin, froide comme une statue et le cœur percé cependant des sept glaives de la douleur, élevant sa main hâlée vers le ciel et réduisant au silence, par l'énergie de sa volonté, toute cette famille gémissante et frappée de respect.

{CL 207} « Ô sainte Hélène, me disais-je en la quittant, vous avez raison, vous êtes dans le vrai, vous! Vous êtes d'accord avec vous-même. Oui! Quand on aime Dieu de toutes ses forces, quand on le préfère à toutes choses, on ne s'endort point en chemin; on n'attend pas ses ordres, on les prévient; on court au-devant des sacrifices. Oui! Vous m'avez embrasée du feu de votre amour et vous m'avez montré la voie. Je serai religieuse; ce sera le désespoir de mes parents, le mien par conséquent. Il faut ce désespoir-là pour avoir le droit de dire à Dieu: “ Je t'aime! ” Je serai religieuse et non pas dame de chœur, vivant dans une simplicité recherchée et dans une béate oisiveté. Je serai sœur converse, servante écrasée de fatigue, balayeuse de tombeaux, porteuse d'immondices, tout ce qu'on voudra, pourvu que je sois oubliée après avoir été maudite par les miens; pourvu que, dévorant l'amertume de l'immolation, je n'aie que Dieu pour témoin de mon supplice et que son amour pour ma récompense. »

Je ne tardai ac pas à confier à Marie-Alicia mon projet d'entrer en religion. Elle n'en fut point enivrée. La digne et raisonnable femme me dit en souriant: « Si cette idée {Lub 974} vous est douce, nourrissez-la, mais ne la prenez pas trop au sérieux. Il faut être plus fort que vous ne pensez pour mettre à exécution une chose difficile. Votre mère n'y consentira pas volontiers, votre grand'mère encore moins. Elles diront que nous vous avons entraînée, et ce n'est pas du tout notre intention ni notre manière d'agir. Nous ne caressons point les vocations au début, nous les attendons à leur entier développement. Vous ne vous connaissez pas encore vous-même. Vous croyez qu'on mûrit du jour au lendemain; allons, allons, ma chère sœur, il passera encore de l'eau sous le pont avant que vous signiez cet écrit-là. » Et elle me montrait la formule de ses voeux, écrite en latin dans un petit cadre de bois noir au-dessus de son {CL 208} prie-Dieu. Cette formule, contraire à la législation française était un engagement éternel; on le signait à une petite table sur laquelle, au milieu de l'église, on posait le saint sacrement.

Je souffrais bien un peu des doutes de madame Alicia sur mon compte; mais je me défendais de cette souffrance comme d'une révolte de mon orgueil. Seulement je persistais à croire, sans en rien dire, que la sœur Hélène avait une plus grande vocation. Marie Alicia était heureuse, elle le disait sans affectation et sans emphase, et on voyait bien qu'elle était sincère. Elle disait parfois: « Le plus grand bonheur, c'est d'être en paix avec Dieu. Je ne l'aurais pas été dans le monde, je ne suis pas une héroïne, j'ai la crainte et peut-être le sentiment de ma faiblesse. Le cloître me sert de refuge et la règle monastique d'hygiène morale; moyennant ces puissants secours, je suis mon chemin sans trop d'efforts ni de mérite. »

Ainsi raisonnait cette âme profondément humble, ou, si l'on aime mieux, cet esprit parfaitement modeste. Elle était d'autant plus forte qu'elle croyait ne pas l'être.

Quand j'essayais de raisonner avec elle à la manière de la sœur Hélène, elle secouait doucement la tête: « mon enfant, me disait-elle, si vous cherchez le mérite de la souffrance, vous le trouverez de reste dans le monde. Croyez bien qu'une mère de famille, ne fût-ce que pour mettre ses enfants au monde, a plus de douleur et de travail que nous. Je ne regarde pas la vie claustrale comme un sacrifice comparable à ceux qu'une bonne épouse et une bonne mère doit s'imposer tous les jours. Ne vous tourmentez donc pas l'esprit, et attendez ce {Lub 975} que Dieu vous inspirera quand vous serez en âge de choisir. Il sait mieux que vous et moi ad ce qui vous convient. Si vous désirez de souffrir, soyez tranquille, la vie vous servira à souhait, et peut-être trouverez-vous, si votre ardeur de sacrifice persiste, que c'est {CL 209} dans le monde, et non dans le couvent, qu'il faut aller chercher votre martyre. »

Sa sagesse me pénétrait de respect, et ce fut elle qui me préserva de prononcer ces voeux imprudents que les jeunes filles font quelquefois d'avance dans le secret de leur effusion devant Dieu: serments terribles qui pèsent quelquefois pour toute la vie sur des consciences timorées, et qu'on ne viole pas, quelque non recevables qu'ils aient été devant Dieu, sans porter une grave atteinte à la dignité et à la santé de l'âme.

Cependant je ne me défendais pas de l'enthousiasme de sœur Hélène ae; je la voyais tous les jours, j'épiais l'occasion et le moyen de l'aider dans ses rudes travaux, consacrant mes récréations de la journée à les partager, et celles du soir à lui donner des leçons de français dans sa cellule. Elle avait, je l'ai dit, fort peu d'intelligence et savait à peine écrire. Je lui appris plus d'anglais que de français, car je m'aperçus bientôt que c'était par l'anglais que nous eussions dû commencer. Nos leçons ne duraient guère qu'une demi-heure. Elle se fatiguait vite. Cette tête si forte avait plus de volonté que de puissance.

Nous avions donc une demi-heure pour causer, et j'aimais son entretien, qui était pourtant celui d'un enfant. Elle ne savait rien, elle ne désirait rien savoir hors du cercle étroit où sa vie s'était renfermée. Elle avait le profond mépris af de toute science étrangère à la vie pratique qui caractérise le paysan. Elle parlait mal à froid, ne trouvait pas de mots à son usage, et ne pouvait pas enchaîner ses idées; mais quand l'enthousiasme revenait, elle avait des élans d'une spontanéité sublime, des mots d'une profondeur étrange dans leur concision enfantine.

Elle ne doutait pas de ma vocation, elle ne cherchait pas à me retenir et à me faire hésiter dans mon entraînement; elle croyait à la force des autres comme à la sienne propre. {CL 210} Elle ne s'embarrassait l'esprit d'aucun obstacle et se persuadait qu'il serait très-facile de m'obtenir une dispense pour entrer dans la communauté en dépit des {Lub 976} statuts de la règle, qui n'admettait que des Anglaises, des Écossaises ou des Irlandaises dans le couvent. J'avoue que l'idée d'être religieuse ailleurs qu'aux Anglaises me faisait frémir, preuve que je n'avais pas de vocation véritable; et comme je lui avouais le doute que cette préférence pour notre couvent élevait en moi, elle me rassurait avec une adorable indulgence. Elle voulait trouver ma préférence légitime, et cette mollesse de cœur n'altérait pas, suivant elle, l'excellence de ma vocation. J'ai déjà dit quelque part dans cet ouvrage, à propos de La Tour D'Auvergne, je crois, que le cachet de la véritable grandeur est de ne jamais songer à exiger des autres les grandes choses qu'on s'impose à soi-même. La sœur Hélène, cette créature toute d'instincts sublimes, agissait de même avec moi. Elle avait quitté sa famille et son pays, elle était venue avec joie s'enterrer dans le premier couvent qu'on lui avait désigné, et elle consentait à me laisser choisir ma retraite et arranger mon sacrifice. C'était assez, à ses yeux, qu'une personne comme moi, qu'elle regardait comme un grand esprit, (parce que je savais ma langue mieux qu'elle ne savait la sienne), acceptât délibérément l'idée d'être sœur converse au lieu de préférer tenir la classe.

Nous faisions donc des châteaux en Espagne ensemble. Elle me cherchait un nom, celui de Marie-Augustine, que j'avais pris à la confirmation, étant déjà porté par Poulette. Elle me désignait une cellule voisine de la sienne. Elle m'autorisait d'avance à aimer le jardinage et à cultiver des fleurs dans le préau. J'avais conservé le goût de tripoter la terre, et comme j'étais trop grande fille pour faire un petit jardin pour moi-même, je passais une partie des récréations à brouetter du gazon et à dessiner des allées dans les jardinets {CL 211} des petites. Aussi il fallait voir quelle adoration ces enfants avaient pour moi. On me raillait un peu à la grande classe. Anna soupirait de mon abrutissement sans cesser d'être bonne et affectueuse. Pauline de Pontcarré, mon amie d'enfance, qui était entrée au couvent depuis six mois, disait à sa mère, devant moi, que j'étais devenue imbécile, parce que je ne pouvais plus vivre qu'avec la sœur Hélène ou les enfants de sept ans.

J'avais pourtant contracté une amitié qui eût dû me relever dans l'opinion des plus intelligentes, puisque {Lub 977} c'était avec la personne la plus intelligente du couvent. Je n'ai pas encore parlé d'Élisa Anster, ag bien que ce soit une des figures les plus remarquables de cette série de portraits où mon récit m'entraîne. J'ai voulu la garder pour le joyau principal de cette précieuse couronne.

{Presse 14/4/1855 1} Un Anglais, M. Anster, neveu de madame Canning, notre supérieure, avait épousé à Calcutta une belle indienne, dont il avait eu grand nombre d'enfants, douze, peut-être quatorze. Le climat les avait tous dévorés dans leur bas âge, excepté un fils, qui s'est fait prêtre, et deux filles: Lavinia, qui a été ma compagne à la petite classe ah; Élisa, sa sœur aînée, mon amie de la grande classe, qui est aujourd'hui supérieure d'un couvent de Cork en Irlande.

M. et madame Anster, voyant périr tous leurs enfants, dont l'organisation splendide semblait se dessécher tout à coup dans un milieu contraire, et ne pouvant abandonner leurs affaires, firent l'effort de se séparer des trois qui leur restaient. Ils les envoyèrent en Angleterre à madame Blount, sœur de madame Canning. Voilà du moins l'histoire que l'on racontait au couvent. Plus tard j'ai entendu dire autrement: mais qu'importe? Le fait certain, c'est qu'Élisa et Lavinia se rappelaient confusément leur mère se roulant de désespoir sur le rivage indien tandis que le navire s'en éloignait à pleines voiles. Mises au couvent à {CL 212} Cork en Irlande, Élisa et Lavinia vinrent en France lorsque madame Blount se décida à venir habiter, avec sa fille et ses deux nièces, notre couvent des Anglaises. Cette famille avait-elle de la fortune? Je l'ignore, on ne s'occupait guère de cela parmi les dévotes. Je crois que le père était encore aux Indes quand je connus ses filles. La mère y était à coup sûr et n'avait pas vu ses enfants depuis une douzaine d'années.

Lavinia était une charmante enfant, timide, impressionnable, rougissant à tout propos, d'une douceur parfaite, ce qui ne l'empêchait pas d'être un peu diable et fort peu dévote. Ses tantes et sa sœur la grondaient souvent. Elle ne s'en souciait pas énormément.

Élisa était d'une beauté incomparable et d'une intelligence supérieure. C'était le plus admirable résultat possible de l'union de la race anglaise avec le type indien. Elle avait un profil grec d'une pureté de lignes exquises, un teint de lis et de roses sans hyperbole, des cheveux {Lub 978} châtains superbes, des yeux bleus d'une douceur et d'une pénétration frappantes, une sorte de fierté caressante dans la physionomie; le regard et le sourire annonçaient la tendresse d'un ange, le front droit, l'angle facial fortement accusé, je ne sais quoi de carré dans une taille magnifique de proportions, révélaient une grande volonté, une grande puissance, un grand orgueil.

Dès son plus jeune âge, toutes les forces de cette âme vigoureuse s'étaient tournées vers la piété. Elle nous arriva sainte, comme je l'ai toujours connue, ferme dans sa résolution de se faire religieuse, et cultivant dans son cœur une seule amitié exclusive, le souvenir d'une religieuse de son couvent d'Irlande, sœur Maria Borgia de Chantal, qui a toujours encouragé sa vocation et qu'elle est allée rejoindre plus tard en prenant le voile. La plus grande marque d'amitié qu'elle m'ait donnée, c'est un petit reliquaire que {CL 213} j'ai toujours à ma cheminée, et qu'elle tenait de cette religieuse. Je lis encore sur l'envers: M. de Chantal to E. 1816. elle y tenait tant qu'elle me fit promettre de ne jamais m'en séparer, et je lui ai tenu parole. Il m'a suivie partout. Dans un voyage le verre s'est cassé, la relique s'est perdue, mais le médaillon est intact, et c'est le reliquaire lui-même qui est devenu relique pour moi.

Cette belle Élisa était la première dans toutes les études, la meilleure pianiste du couvent, celle qui faisait tout mieux que les autres, puisqu'elle y portait à dose égale les facultés naturelles et la volonté soutenue. Elle faisait tout cela en vue d'être propre à diriger l'éducation des jeunes Irlandaises qui lui seraient confiées un jour à Cork, car elle était pour son couvent de Cork comme moi pour mon couvent des Anglaises. Marie Borgia était son Alicia et son Hélène. Elle ne comprenait pas qu'elle pût être religieuse ailleurs, et sa vocation n'en était pas moins certaine, puisqu'elle y a persisté avec joie.

Elle avait bien plus raison que moi en songeant à se rendre utile dans le cloître. Moi, je suivais les études avec soumission, avec le plus d'attention possible; mais en réalité, depuis que j'étais dévote, je ne faisais pas plus de progrès que je n'avais fait de besogne auparavant. Je n'avais pas d'autre but que celui de me soumettre à la règle, et mon mysticisme me commandant d'immoler toutes les vanités du monde, je ne voyais pas qu'une {Lub 979} sœur converse eût besoin de savoir jouer du piano, dessiner et de connaître l'histoire. Aussi, après trois années de couvent, en suis-je sortie beaucoup plus ignorante que je n'y étais entrée. J'y avais même perdu ces accès d'amour pour l'étude dont je m'étais sentie prise de temps en temps à Nohant. La dévotion m'absorbait bien autrement que n'avait fait la diablerie. Elle usait toute mon intelligence au profit de mon cœur. Quand j'avais pleuré d'adoration pendant une {CL 214} heure à l'église, j'étais brisée pour tout le reste du jour. Cette passion, répandue à flots dans le sanctuaire, ne pouvait plus se rallumer pour rien de terrestre. Il ne me restait ni force, ni élan, ni pénétration pour quoi que ce soit. Je m'abrutissais, Pauline avait bien raison de le dire, mais il me semble pourtant que je grandissais dans un certain sens. J'apprenais à aimer autre chose que moi-même: la dévotion exaltée a ce grand effet sur l'âme qu'elle possède, que, du moins, elle y tue l'amour-propre radicalement, et, si elle l'hébète à certains égards, elle la purge de beaucoup de petitesses et de mesquines préoccupations.

Quoique l'être humain soit dans la conduite de sa vie un abîme d'inconséquences, une certaine logique fatale le ramène toujours à des situations analogues à celles où son instinct l'a déjà conduit. Si l'on s'en souvient, j'étais parfois à Nohant, devant les soins et les leçons de ma grand'mère, dans la même disposition de soumission inerte et de dégoût secret que celle où je me retrouvais au couvent devant les études qui m'étaient imposées. À Nohant, ne pensant qu'à me faire ouvrière avec ma mère, j'avais méprisé l'étude ai comme trop aristocratique. Au couvent, ne songeant qu'à me faire servante avec sœur Hélène, je méprisais l'étude comme trop mondaine.

Je ne sais plus comment il m'arriva de me lier avec Élisa. Elle avait été froide et même dure avec moi durant ma diablerie. Elle avait des instincts de domination qu'elle ne pouvait contenir, et lorsqu'un diable dérangeait sa méditation à l'église ou bouleversait ses cahiers à la classe, elle devenait pourpre; ses belles joues prenaient même rapidement une teinte violacée, ses sourcils, déjà très-rapprochés, s'unissaient par un froncement nerveux; elle murmurait des paroles d'indignation, son sourire devenait méprisant, presque terrible; sa nature impérieuse et hautaine se trahissait. Nous disions alors {Lub 980} que le sang asiatique {CL 215} lui montait au visage. Mais c'était un orage passager. La volonté, plus forte que l'instinct, dominait cette colère. Elle faisait un effort, pâlissait, souriait, et ce sourire, passant sur ses traits comme un rayon de soleil, y ramenait la douceur, la fraîcheur et la beauté.

Toutefois il fallait la connaître beaucoup pour l'aimer, et, en général, elle était plus admirée que recherchée.

Quand elle se fit connaître à moi, ce ne fut point à demi. Elle me révéla ses propres défauts avec beaucoup de grandeur et m'ouvrit sans réserve son âme austère et tourmentée.

« Nous marchons au même but par des chemins différents, me disait-elle. J'envie le tien, car tu y marches sans effort et tu n'as pas de lutte à soutenir. Tu n'aimes pas le monde, tu n'y pressens qu'ennuis et lassitudes. La louange ne te cause que du dégoût. On dirait que tu te laisses glisser du siècle dans le cloître par une pente facile et que ton être n'a point d'aspérités qui te retiennent. Moi, disait-elle (et en parlant ainsi sa figure rayonnait comme celle d'un archange), j'ai un orgueil de Satan! Je me tiens dans le temple comme le pharisien superbe, et il me faut faire un effort pour me mettre moi-même à la porte, où je te trouve, toi, endormie et souriante, à l'humble place du publicain. J'ai un sentiment de recherche dans le choix de mon sort futur en religion. Je veux bien obéir, mais je sens aussi le besoin de commander. J'aime l'approbation, la critique m'irrite, la moquerie m'exaspère. Je n'ai ni indulgence instinctive ni patience naturelle. Pour vaincre tout cela, pour m'empêcher de tomber dans le mal cent fois par jour, il me faut une continuelle tension de ma volonté. Enfin, si je surnage au-dessus de l'abîme de mes passions j'aurai bien du mal, et il me faudra du ciel une bien grande assistance. »

Là-dessus elle pleurait et se frappait la poitrine. J'étais forcée de la consoler, moi qui me sentais un atome auprès {CL 216} d'elle. « Il est possible, lui disais-je, que je n'aie pas les mêmes défauts que toi, mais j'en ai d'autres, et je n'ai pas tes qualités. À brebis tondue Dieu ménage le vent. Comme je n'ai pas ta force, les vives sensations aj me sont épargnées. Je n'ai pas de mérite à être humble, puisque par caractère, par position sociale peut-être, je méprise beaucoup de choses qu'on estime dans le monde. Je ne {Lub 981} connais pas le plaisir qu'on goûte à la louange; ni ma personne ni mon esprit ne sont remarquables. Peut-être serais-je vaine si j'avais ta beauté et tes facultés: si je n'ai pas le goût du commandement, c'est que je n'aurais pas la persévérance de gouverner quoi que ce soit. Enfin rappelle-toi que les plus grands saints sont ceux qui ont eu le plus de peine à le devenir.

— C'est vrai! s'écria-t-elle. ak Il y a de la gloire à souffrir, et les récompenses sont proportionnées aux mérites. » Puis tout à coup laissant retomber sa tête charmante dans ses belles mains: « Ah! disait-elle en soupirant, ce que je pense là est encore de l'orgueil! Il s'insinue en moi par tous les pores et prend toutes les formes pour me vaincre. Pourquoi est-ce que je veux trouver de la gloire au bout de mes combats et une plus haute place dans le ciel que toi et la sœur Hélène? En vérité, je suis une âme bien malheureuse. Je ne peux pas m'oublier et m'abandonner un seul instant. »

C'est dans de telles luttes intérieures que cette vaillante et austère jeune fille consumait ses plus brillantes années; mais il semblait que la nature l'eût formée pour cela, car plus elle s'agitait, plus elle était resplendissante d'embonpoint, de couleur et de santé.

Il n'en était pas ainsi de moi. Sans lutte et sans orage, je m'épuisais dans mes expansions dévotes. Je commençais à me sentir malade, et bientôt le malaise physique changea la nature de ma dévotion. J'entre dans la seconde phase de cette vie étrange.


Variantes

  1. 1810-1832 {CL} (cette inadvertance de l'éditeur est corrigée dans la table des matières du T.3) ♦ 1819-1822 {Lub} (cette indavertance de l'éditeur est répétée dans la table des matières du T.1. Nous corrigeons)
  2. Le texte suit sans interruption dans {Ms} et {Presse} ♦ Troisième Partie — Chapitre Quatorzième (suite) {Lecou} ♦ Quatrième Partie. Chapitre Premier {LP} ♦ Quatrième Partie. / Du mysticisme à l'indépendance — 1810-1832. I {CL}
  3. On a vu que ce chapitre est joint au précédent dans {Ms} et {Presse}. On trouvera donc l'argument en tête du chapitre XIV de la IIIe partie; On y trouvera également les variantes de {Ms}
  4. aisément, répondit-elle {Ms}aisément, reprit-elle {Presse} et sq.
  5. qui fussions susceptibles {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ qui fussent susceptibles {LP} et sq.
  6. avec délices {Ms} ♦ avec plaisir {Presse} et sq.
  7. suffire à [la besogne rayé] tout. {Ms}
  8. le courage de la [révolte rayé] résistance. {Ms}
  9. que je ne sais si j'ai commis {Ms} ♦ que je ne sais pas avoir commis {Presse} et sq.
  10. onction, une grande bonhommie. C'était le directeur qu'il me fallait pour me préserver d'une trop grande exaltation religieuse mais non pas celui qui pouvait la rendre durable et tenace. On le verra plus tard. Il ne voulait {Ms} ♦ onction et une grande bonhomie. Il ne voulait {Presse} et sq.
  11. vertu. [Son domaine était de ce monde rayé] {Ms}
  12. quinze ans [et deux mois rayé] {Ms}
  13. droit au but, pressée que j'étais de {Ms} ♦ droit au but, j'étais pressée de {Presse} et sq.
  14. d'effusion, d'ardeur et en même {Ms} ♦ d'effusion et en même {Presse} et sq.
  15. pour elles. [Heureusement pour moi, je sortis du mysticisme au moment où il pouvait détruire ma raison, ma vie probablement, au train dont j'allais. Ce fut le mot de mon bon père Prémord rayé] {Ms}
  16. Je portais au cou {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ Je portais autour du cou {LP} et sq.
  17. fière. [Aucune d'elles rayé] (hormis une seule) elles {Ms} ♦ Hormis une seule, elles {Presse} et sq.
  18. qui m'aimait si bien {Ms} ♦ qui me chérissait si bien {Presse} et sq.
  19. pareil cas, que la faute fût volontaire ou non. Je ne {Ms} ♦ pareil cas. Je ne {Presse} et sq.
  20. qu'elle m'aimât moins {Ms} ♦ qu'elle m'aimait moins {Presse} et sq.
  21. Dans la liste [que j'ai tracée des noms et des caractères rayé] {Ms}
  22. Son courage, car, de force physique, elle n'en avait plus. Depuis longtemps elle était {Ms} ♦ Son courage et ses forces. Elle était {Presse} et sq.
  23. ce travail {Ms} ♦ le travail {Presse} et sq.
  24. si négligent et si sale, permettez-moi de vous le dire, mais, pour {Ms} ♦ si négligent. Mais, pour {Presse} et sq.
  25. Je vis le toit {Ms} ♦ Je regardai le toit {Presse} et sq.
  26. cette inspirée. / Enfin ♦ cette inspirée. Enfin {CL}
  27. des anges [tranquilles rayé] terrestres {Ms}
  28. dans de rudes labeurs {Ms} ♦ dans de grossiers labeurs {Presse} et sq.
  29. récompense. » J'avais été trop émue du récit de sœur Hélène pour pouvoir commencer mon cours de français avec elle; il me restait quelques instans pour prier à l'église. J'y courus, le cœur enflammé d'une joie nouvelle, et me prosternant devant le Christ: Accepte, accepte, lui disais-je, ne me dis pas que je suis indigne de me dévouer ainsi. Ne permets pas que j'en sois incapable. Aide-moi à aimer comme je dois. Fais que ma résolution ne soit point un rêve. Il y a, dans ces trois personnes de la Trinité divine, quelque chose de si tranché que quoi qu'on en dise on ne les aime point d'un égal amour. Les images plaisent et nuisent aux imaginations naïves, et quelque soin qu'on prenne d'élever la pensée du symbole à la divinité, ces symboles se gravent matériellement dans l'esprit des enfans. Quelqu'effort que je fisse et bien qu'on m'eût confirmée avec toute la poésie [d'usage pour rayé] qui remplit ce sacrement, je ne songeais presque jamais au saint Esprit. C'était trop subtil à se représenter, je voyais toujours la colombe sacrée, ou la langue de feu planant sur les têtes bénies. Cela ne me passionnait point. [Quoi que je fisse rayé] Quoique puisant à longs traits l'amour mystique dans l'Imitation de J.C. ce terrible livre qui tue les passions humaines, les [mauvaises rayé] bonnes comme les mauvaises, je ne pouvais pas non plus voir en Jésus-Christ tout à fait un Dieu. Je ne me permettais pas de philosopher, et je n'y songeais même point; mais, à mon insu, je le sentais près de moi comme un père, comme un ami, surnaturel, à la vérité, mais non pas comme la Divinité en personne, Il se plaçait dans ma pensée comme un intermédiaire entre son père et moi. Ce Dieu fait homme, était plutôt l'homme fait Dieu. Je l'aimais mieux que le père Éternel, je le redoutais moins. Le père m'écrasait de sa toute puissance; j'osais à peine l'invoquer, je ne trouvais point de mots dans ma pensée, c'est-à-dire que je ne pouvais penser devant lui. Je m'annéantissais dans une adoration muette, dans une contemplation, où, quelques fois, un vague et [mystérieux rayé] brûlant sommeil vint me surprendre, comme l'oliseau que le soleil fait pâmer. / Mais le fils ne me causait point ces ardeurs enivrantes. Il ne dépouillait point son caractère humain, il avait souffert, lui, le roi des martyrs, le père des misérables. Mon cœur allait à lui plus naïvement, je lui parlais sans effort, je le consultais avec une certaine puérilité. Ces entretiens où Jean Gerson, l'auteur de l'Imitation, se permet de le faire parler au chrétien comme l'ami à l'ami, cette sorte d'égalité que le révélateur lui-même semble exiger entre lui et la créature, tout cela se mêlait dans mon imagination avec le vague souvenir de mon père, et, en de certains momens, il me fallait passer la main sur mon front pour ne pas voir la belle et pâle figure de ce mort chéri sous les longs cheveux et la robe sans tache du Christ. J'étais forcée d'éviter d'appeler Jésus mon père, parce qu'alors l'illusion devenait plus importune. Enfin, que vous dirai-je? Je pense qu'il y avait de l'idolâtrie dans mon culte, et je ne sais pas s'il est possible à une imagination vive et à un cœur ardent, d'être catholique sans être plus ou moins idolâtre. / Des organisations purement spirituelles peuvent s'en défendre peut-être; mais on fait tout ce qu'il est possible d'imaginer pour embraser notre cœur, et quand notre cœur est porté à l'amour, nous aimons Dieu d'un amour humain. Dira-t-on que cet amour diffère de l'affection terrestre parce qu'il est chaste? Mais l'amour filial l'est-il moins? Non, quoiqu'on fasse, le catholique matérialiisera toujours l'idée de Dieu, et quiconque veut ne l'adorer qu'en esprit, doit maitriser sa sensibilité, et fermer à son cœur l'abîme fascinateur du mysticisme. / Je ne tardai {Ms} ♦ récompense. » / Je ne tardai {Presse} et sq.
  30. que vous, et mieux que moi {Ms} ♦ que vous et moi {Presse} et sq.
  31. défendais point de l'entrainement que j'éprouvais pour l'enthousiasme de sœur Hélène {Ms} ♦ défendais pas de l'enthousiasme de sœur Hélène {Presse} et sq.
  32. ce profond mépris {Ms} ♦ le profond mépris {Presse} et sq.
  33. Élisa Anster, {Ms}Élisa Auster, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ Élisa Anster, {CL}
  34. petite classe et qui est aujourd'hui mariée {Ms} ♦ petite classe {Presse} et sq.
  35. méprisé [le latin et le français rayé] l'étude {Ms}
  36. les vives tentations {Ms} ♦ les vives sensations {Presse} et sq. ( {Lub} note: On serait en droit de préférer la leçon de {Ms})
  37. s'écriait-elle. {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ s'écria-t-elle. {LP} et sq.

Notes