GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.2 [287]; Lub T.1 [641]} TROISIÈME PARTIE
De l'enfance � la jeunesse
1810-1819 a

{Presse 16/3/1855 1; CL T.3 [1]; Lub T.1 [799]} VIII b 1

Enseignement de l'histoire. — Je l'�tudie comme un roman. — Je d�sapprends la musique avec un ma�tre. — Premiers c essais litt�raires. — L'art et le sentiment. — Mam�re se moque de moi, et je renonce aux lettres. — Mon grand roman in�dit. — Coramb�. — Marie et Solange. — Plaisir le porcher. — Le foss� d couvert. — D�mogorgon. — Le temple myst�rieux.



Je ne peux pas toujours suivre ma vie comme un r�cit qui s'encha�ne, car il y a beaucoup d'incertitudes dans ma m�moire sur l'ordre des petits �v�nements que je me retrace. Je sais que j'ai pass� � Nohant avec ma grand'm�re, sans aller � Paris, les ann�es 1814, 15, 16 et 17. Je {CL 2} r�sumerai donc en masse mon d�veloppement moral pendant ces quatre ann�es.

Les seules �tudes qui me plurent r�ellement furent l'histoire, la g�ographie, qui n'en est que l'appendice n�cessaire, la musique et la litt�rature. Je pourrais encore r�duire ces aptitudes, en disant que je n'aimais et n'aimai r�ellement que la litt�rature et la musique, car ce qui me passionnait dans l'histoire, ce n'�tait pas cette philosophie que la th�orie toute moderne du progr�s nous a enseign� � d�duire de l'encha�nement des faits. On n'avait point alors popularis� cette notion claire et pr�cise, qui est v�ritablement, sinon la grande d�couverte, du moins la grande certitude philosophique des temps nouveaux, et dont Pierre Leroux, Jean Reynaud et leur �cole de 1830 � 1840 ont pos� la meilleure e exposition et les meilleures d�ductions dans les travaux de l'Encyclop�die nouvelle.

À l'�poque o� l'on m'enseigna l'histoire, on n'avait g�n�ralement aucune id�e d'ordre et d'ensemble dans {Lub 800} l'appr�ciation des faits. Aujourd'hui, l'�tude de l'histoire peut �tre la th�orie du progr�s; elle peut tracer f une ligne grandiose � laquelle viennent se rattacher toutes les lignes jusqu'alors �parses et bris�es. Elle nous fait assister � l'enfance de l'humanit�, � son d�veloppement, � ses essais, � ses efforts, � ses conqu�tes successives, et ses d�viations m�mes, aboutissant fatalement � un retour qui la replace sur la route de l'avenir, ne font que confirmer la loi qui la pousse et l'entra�ne.

Dans la th�orie du progr�s, Dieu est un, comme l'humanit� est une. Il n'y a qu'une religion, qu'une v�rit� ant�rieure � l'homme, co�ternelle � Dieu, et dont les diff�rentes manifestations dans l'homme et par l'homme sont la v�rit� relative et progressive des diverses phases de l'histoire. Rien de plus simple, rien de plus grand, rien de plus logique. Avec cette notion, avec ce fil conducteur dans {CL 3} une main: l'humanit� �ternellement progressive; avec ce flambeau dans l'autre main: Dieu �ternellement r�v�lateur et r�v�lable, il n'est plus possible de flotter et de s'�garer dans l'�tude de l'histoire des hommes, puisque c'est l'histoire de Dieu m�me dans ses rapports avec nous.

De mon temps, on proc�dait g simultan�ment par plusieurs histoires s�par�es qui n'avaient aucun rapport entre elles. Par exemple, l'histoire sacr�e et l'histoire profane �tant contemporaines l'une de l'autre, il fallait les �tudier en regard l'une de l'autre, sans admettre qu'elles eussent aucun lien. Quelle �tait la vraie, quelle �tait la fabuleuse? Toutes deux �taient charg�es de miracles et de fables �galement inadmissibles pour la raison; mais pourquoi le Dieu des juifs �tait-il le seul vrai Dieu? On ne vous le disait point, et, pour moi particuli�rement, j'�tais libre de rejeter le dieu de Mo�se et de J�sus, tout aussi bien que ceux d'Hom�re et de Virgile. « Lisez, me disait-on, prenez des notes, faites des extraits, retenez bien tout cela. Ce sont des choses qu'il faut savoir et qu'il n'est pas permis d'ignorer*. »

* Je ne doute pas que ma grand'm�re ne m'e�t d�duit de meilleures raisons si elle e�t �t� encore dans toute la force de ses facult�s morals et intellectuelles. Elle avit certainement d� s'occuper plus efficacement de former l'�me de mon p�re. Mais j'ai beau chercher dans mes souvenirs la trace d'un enseignement vraiment philosophique {Lub 801} de sa part, je ne la trouve pas. Je crois pouvoir affirmer que, pendant une phase de sa vie, ant�rieure � la R�volution, elle avait pr�f�r� Rousseau � Voltaire; mais que plus elle a vieilli, plus elle est devenue voltairienne. L'esprit de bigoterie de la Restauration dut n�cessairement porter cette r�action � l'extr�me dans les cerveaux philosophiques h qui dataient du si�cle pr�c�dent. Or, l'on sait combien est pauvre de fond et vide de moralit� la philosophie de l'histoire chez Voltaire.

{Lub 801} Savoir pour savoir, voil� v�ritablement toute la moralit� de l'�ducation qui m'�tait donn�e. Il n'�tait pas question de s'instruire pour se rendre meilleur, plus heureux ou {CL 4} plus sage. On apprenait pour devenir capable de causer avec les personnes instruites, pour �tre � m�me de lire les livres qu'on avait dans son armoire, et de tuer le temps � la campagne ou ailleurs. Et, comme les caract�res de mon esp�ce ne comprennent pas beaucoup qu'il soit utile de donner la r�plique aux causeurs instruits, au lieu de les �couter en silence ou de ne pas les �couter du tout; comme en g�n�ral les enfants ne s'inqui�tent pas de l'ennui, puisqu'ils s'amusent volontiers de tout autre chose que l'�tude, il fallait leur donner un autre motif, un autre stimulant. On leur parlait alors du plaisir de satisfaire leurs parents, et on faisait appel au sentiment de l'ob�issance, � la conscience du devoir. C'�tait encore ce qu'il y avait de meilleur � invoquer et cela r�ussissait assez avec moi, qui �tais, par nature, ind�pendante dans mes id�es, soumise dans les actes ext�rieurs.

Je n'ai jamais connu la r�volte de fait avec les �tres que j'aimais et dont j'ai d� accepter la domination naturelle, car il y en a une, ne f�t-ce que celle de l'�ge, sans compter celle du sang. Je n'ai jamais compris qu'on ne c�d�t pas aux personnes avec lesquelles on ne veut ni ne peut rompre, quand m�me on est persuad� qu'elles se trompent, ni qu'on h�sit�t entre le sacrifice de soi-m�me et leur satisfaction. Voil� pourquoi ma grand'm�re, ma m�re et les religieuses de mon couvent m'ont toujours trouv�e d'une douceur inexplicable au milieu d'un insurmontable ent�tement. Je me sers du mot douceur, parce que j'ai �t� frapp�e de les voir se rencontrer dans cette expression dont elles se servaient pour peindre mon caract�re d'enfant. L'expression n'�tait peut-�tre pas juste. Je n'�tais pas douce, puisque {Lub 802} je ne c�dais pas int�rieurement. Mais, pour ne pas c�der en fait, il e�t fallu ha�r, et, tout au contraire, j'aimais. Cela prouve donc uniquement que mon affection m'�tait plus pr�cieuse que mon raisonnement et que j'ob�issais plus {CL 5} volontiers, dans mes actions, � mon cœur qu'� ma t�te.

Ce fut donc par pure affection pour ma grand'm�re que j'�tudiai de mon mieux les choses qui m'ennuyaient, que j'appris par cœur des milliers de vers dont je ne comprenais pas les beaut�s; le latin, qui me paraissait insipide; la versification, qui �tait comme une camisole de force impos�e � ma po�tique naturelle: l'arithm�tique, qui �tait si oppos�e � mon organisation, que, pour faire une addition, j'avais litt�ralement des vertiges et des d�faillances. Pour ui faire plaisir aussi, je m'enfon�ai dans l'histoire; mais, l�, ma soumission re�ut enfin sa r�compense, l'histoire m'amusa prodigieusement.

Pourtant, par la raison que j'ai dite, par l'absence de th�orie morale dans cette �tude, elle ne satisfaisait pas l'app�tit de logique qui commen�ait � s'�veiller en moi; mais elle prit � mes yeux un attrait diff�rent i: je la go�tai sous son aspect purement litt�raire et romanesque. Les grands caract�res, les belles actions, les �tranges aventures, les d�tails po�tiques, le d�tail, en un mot, me passionna, et je trouvai � raconter tout cela, � y donner une forme dans mes extraits, un plaisir indicible.

Peu � peu je m'aper�us que j'�tais peu surveill�e, que ma grand'm�re, trouvant mon extrait bien �crit pour mon �ge, et int�ressant, ne consultait plus le livre pour voir si ma version �tait bien fid�le, et cela me servit plus qu'on ne peut croire. Je cessai de porter � la le�on les livres qui avaient servi � mon r�sum�, et, comme on ne me les demanda plus, je me lan�ai avec plus de hardiesse dans mes appr�ciations personnelles. Je fus plus philosophe que mes historiens profanes, plus enthousiaste que mes historiens sacr�s. Me laissant aller � mon �motion j et ne m'inqui�tant pas d'�tre d'accord avec le jugement de mes auteurs, je donnai � mes r�cits la couleur de ma pens�e, et m�me je me souviens que je ne me g�nais pas pour orner un {CL 6} peu la s�cheresse de certains fonds. Je n'alt�rais point les faits essentiels; mais, quand un personnage insignifiant ou inexpliqu� {Lub 803} me tombait sous la main, ob�issant � un besoin invincible d'art, je lui donnais un caract�re quelconque que je d�duisais assez logiquement de son r�le ou de la nature de son action dans le drame g�n�ral. Incapable de me soumettre aveugl�ment au jugement de l'auteur, si je ne r�habilitais pas toujours ce qu'il condamnait, j'essayais du moins de l'expliquer et de l'excuser, et, si je le trouvais trop froid pour les objets de mon enthousiasme, je me livrais � ma propre flamme et je la r�pandais sur mon cahier dans des termes qui faisaient rire souvent ma grand'm�re par leur na�vet� d'exag�ration.

Enfin, quand je trouvais l'occasion de fourrer une petite description au milieu de mon r�cit, je ne m'en faisais pas faute. Pour cela, une courte phrase du texte, une s�che indication me suffisaient. Mon imagination s'en emparait et brodait l�-dessus, je faisais intervenir le soleil ou l'orage, les fleurs, les ruines, les monuments, les chœurs, les sons de la fl�te sacr�e ou de la lyre d'Ionie, l'�clat des armes, le hennissement des coursiers, que sais-je? J'�tais classique en diable; mais, si je n'avais pas l'art de me trouver une forme nouvelle, j'avais le plaisir de sentir vivement et de voir par les yeux de l'imagination tout ce pass� qui se ranimait devant moi.

Il est vrai aussi que, n'�tant pas tous les jours dans cette disposition po�tique et pouvant impun�ment en prendre � mon aise, il m'arriva parfois de copier presque textuellement les pages du livre dont j'�tais charg�e de rendre le sens. Mais c'�tait k mes jours de langueur et de distraction. Je m'en d�dommageais avec plaisir quand je sentais la verve se rallumer.

Je faisais un peu de m�me pour la musique. J'�tudiais pour l'acquit de ma conscience les s�ches �tudes que je {CL 7} devais jouer � ma grand'm�re; mais, quand j'�tais s�re de m'en tirer passablement, je les arrangeais � ma guise, ajoutant des phrases, changeant les formes, improvisant au hasard, chantant, jouant et composant musique l et paroles, quand j'�tais bien s�re de ne pas �tre entendue. Dieu sait � quelles stupides {Presse 16/3/1855 2} aberrations musicales je m'abandonnais ainsi! J'y prenais un plaisir extr�me.

La musique qu'on m'enseignait commen�ait � m'ennuyer. Ce n'�tait plus la direction de ma grand'm�re. Elle s'�tait imagin� qu'elle ne pourrait pas m'enseigner elle-m�me la musique, ou bien sa sant� ne lui permettait {Lub 804} plus d'en garder l'initiative; elle ne me d�montrait plus rien et se bornait � me faire jouer en mesure la plate musique que m'apportait m mon ma�tre.

Ce ma�tre �tait l'organiste de La Ch�tre. Il savait la musique certainement, mais il ne la sentait nullement, et il mettait peu de conscience � me la montrer. Il s'appelait M. Gayard n, et il avait la figure et la tournure ridicules. Il portait toujours la queue ficel�e, les ailes de pigeon et les grands habits carr�s de l'ancien r�gime, quoiqu'il n'e�t gu�re qu'une cinquantaine d'ann�es. Sous la Restauration, on a vu pendant quelque temps des particuliers reprendre ces vieux usages de coiffure et d'habillement pour t�moigner de leur attachement aux bons principes. D'autres ne les avaient jamais quitt�s, et c'�tait sans doute par habitude de gravit� que M. Gayard conservait la poudre et les culottes courtes.

Il �tait pourtant m�diocrement grave quand il n'�tait plus sous les yeux du cur�, � La Ch�tre, et de ma grand'm�re, � Nohant. Il arrivait le dimanche � midi, se faisait servir un copieux d�jeuner, remontait l'accord du piano et du clavecin, me donnait une le�on de deux heures, puis allait batifoler avec les ervantes jusqu'au d�ner. L�, il mangeait comme quatre, parlait peu, me faisait jouer {CL 8} ensuite devant ma grand'm�re un morceau qu'il m'avait serin� plut�t qu'expliqu�, et s'en allait les poches pleines de friandises qu'il se faisait donner par les femmes de chambre.

Je faisais des progr�s apparents avec ce professeur, et, en r�alit�, je n'apprenais rien du tout, et je perdais le respect et l'amour de la musique. Il m'apportait de la musique facile, b�te, soi-disant brillante. Heureusement il se glissait quelquefois � son insu de petits diamants dans ce fatras, des sonatines de Steibelt, des pages de Gluck, de Mozart, et de jolies �tudes de Pleyel et de Clementi. La preuve que j'avais un bon sentiment musical, c'est que je discernais fort bien de moi-m�me ce qui valait la peine d'�tre �tudi�, et j'y portais un certain sentiment na�f qui plaisait � ma grand'm�re, mais dont M. Gayard ne me tenait aucun compte. Il frappait fort et jouait carr�ment, sans nuances, sans couleur et sans cœur. C'�tait exact, correct, bruyant, sans charme et sans �l�vation o. Je le sentais et je ha�ssais sa {Lub 805} mani�re. Avec cela il avait de grosses pattes laides, velues, grasses et sales qui me r�pugnaient, et une odeur de poudre m�l�e � une odeur de crasse qui me faisait para�tre ma le�on insupportable. Ma grand'm�re devait bien savoir que c'�tait l� un ma�tre sans valeur et sans �me; mais elle pensait que j'avais besoin de me d�lier les doigts, et comme les siens �taient de plus en plus paralys�s, elle me donnait M. Gayard comme une m�canique. En effet, M. Gayard m'apprenait � remuer les doigts et il me donnait � lire beaucoup de musique, mais il ne m'enseignait rien p. Jamais il ne me demanda de me rendre compte � moi-m�me du ton dans lequel �tait �crit le morceau qu'il me faisait jouer, ni du mouvement, encore moins du sentiment et de la pens�e musicale. Il me fallait deviner tout cela, car j'avais oubli� toutes les r�gles que ma grand'm�re m'avait enseign�es si clairement et qu'il e�t �t� {CL 9} bon de repasser sans cesse en les appliquant. Je les appliquais d'instinct et ne les savais plus. q Quand je faisais quelque faute, M. Gayard me d�bitait des calembours et des coq-�-l'�ne en forme de critique. C'est ainsi que je travaillais, disait-il, la derni�re fois qu'on me mit � la porte; ou bien il avait des sentences en latin de coll�ge r,


Aspice Pierrot pendu,
Quod fa di�se n'a pas rendu.

Et s toute la le�on se passait ainsi, � moins qu'il ne pr�f�r�t dormir aupr�s du po�le, ou se promener dans la chambre en mangeant des pruneaux ou des noisettes, car il mangeait toujours et ne se souciait gu�re d'autre chose.

On ne me parlait plus de chant, et pourtant c'�tait l� mon instinct et ma vocation. Je trouvais un soulagement extr�me � improviser en prose ou en vers blancs des r�citatifs ou des fragments de m�lodie lyrique, et il me semblait que le chant e�t �t� ma v�ritable mani�re d'exprimer mes sentiments et mes �motions. Quand j'�tais seule au jardin, je chantais toutes mes actions pour ainsi dire. Roule, roule, ma brouette! Poussez, poussez, petits gazons que j'arrose. Papillons jolis, venez sur mes fleurs! etc.; et quand j'avais du chagrin, quand je pensais � ma petite m�re absente, c'�taient des complaintes enmineur qui ne finissaient pas et qui endormaient peu {Lub 806} � peu ma m�lancolie ou qui provoquaient des larmes dont j'�tais soulag�e:


Ma m�re, m'entends-tu? Je pleure et je soupire, etc.

Vers l'�ge de douze ans, je m'essayai � �crire; mais cela ne dura qu'un instant; je fis plusieurs descriptions, une de la vall�e Noire, vue d'un certain endroit o� j'allais souvent me promener, et l'autre d'une nuit d'�t� avec clair de lune. C'est tout ce que je me rappelle, et ma grand'm�re eut la bont� de d�clarer � qui voulait la croire que c'�tait des {CL 10} chefs-d'œuvre. D'apr�s les phrases qui me sont rest�es dans la m�moire*, ces chefs-d'œuvre-l� �taient bons � mettre au cabinet. Mais ce que je me rappelle avec plus de plaisir, c'est que, malgr� les imprudents �loges de ma bonne maman, je ne fus nullement enivr�e de mon petit succ�s. J'avais d�s lors un sentiment que j'ai toujours conserv�: c'est qu'aucun art ne peut rendre le charme et la fra�cheur de l'impression produite par les beaut�s de la nature, de m�me que rien dans l'expression ne peut atteindre � la force et � la spontan�it� de nos �motions intimes. Il y a dans l'�me quelque chose de plus que dans la forme. L'enthousiasme, la r�verie, la passion, la douleur n'ont pas d'expression suffisante dans le domaine de l'art, quel que soit l'art, quel que soit l'artiste. J'en demande pardon aux ma�tres: je les v�n�re et les ch�ris, mais ils ne m'ont jamais rendu ce que la nature m'a donn�, ce que moi-m�me j'ai senti mille fois l'impossibilit� de rendre aux autres. L'art me semble t une aspiration �ternellement impuissante et incompl�te, de m�me que toutes u les manifestations humaines. Nous avons, pour notre malheur, le sentiment de l'infini, et toutes nos expressions ont une limite rapidement atteinte; ce sentiment m�me est vague en nous et les satisfactions qu'il nous donne sont une esp�ce de tourment.

* Il y avait entre autres m�taphores une lune qui labourait les nuages, assise dans sa nacelle d'argent.

L'art moderne l'a bien senti, ce tourment de l'impuissance, et il a cherch� � �tendre ses moyens en litt�rature, en musique, en peinture. L'art a cru trouver dans les formes nouvelles du romantisme une nouvelle puissance d'expansion. L'art a pu y gagner, mais l'�me {Lub 807} humaine n'�l�ve ses facult�s que relativement, et la soif de la perfection, le besoin de l'infini restent les m�mes, �ternellement avides, {CL 11} �ternellement inassouvis. C'est pour moi une preuve irr�futable v de l'existence de Dieu. Nous avons le d�sir inextinguible du beau id�al: donc, le d�sir a un but. Ce but n'existe nulle part � notre port�e, ce but est l'infini, ce but est Dieu.

L'art est donc w un effort plus ou moins heureux pour manifester des �motions qui ne peuvent jamais l'�tre compl�tement, et qui, par elles-m�mes, d�passent toute expression. Le romantisme, en augmentant les moyens, n'a pas recul� la limite des facult�s humaines. Une gr�le d'�pith�tes, un d�luge de notes, un incendie de couleurs ne t�moignent et n'expriment rien de plus qu'une forme �l�mentaire et na�ve. J'ai beau faire, j'ai le malheur de ne rien trouver, dans les mots et dans les sons, de ce qu'il y a dans un rayon du soleil ou dans un murmure de la brise x.

Et pourtant l'art a des manifestations sublimes et je ne saurais vivre sans les consulter sans cesse; mais plus ces manifestations sont grandes, plus elles excitent en moi la soif d'un mieux et d'un plus que personne ne peut me donner et que je ne puis pas donner moi-m�me, parce qu'il faudrait, pour exprimer ce plus et ce mieux, un chiffre qui n'existe pas pour nous et que l'homme ne trouvera probablement jamais.

J'en reviens � dire plus clairement et plus positivement que rien de ce que j'ai �crit dans ma vie ne m'a jamais satisfaite, pas plus mes premiers essais � l'�ge de douze ans, que les travaux litt�raires de ma vieillesse, et qu'il n'y a � cela aucune modestie de ma part. Toutes les fois que j'ai vu et senti quelque sujet d'art, j'ai esp�r�, j'ai cru na�vement que j'allais le rendre comme il m'�tait venu. Je m'y suis jet�e avec ardeur; j'ai rempli ma t�che parfois avec un vif plaisir, et parfois, en �crivant la derni�re page, je me suis dit: « Oh! Cette fois, c'est bien r�ussi! » {CL 12} Mais, h�las! Je n'ai jamais pu relire l'�preuve sans me dire: « Ce n'est pas du tout cela, je l'avais r�v�, senti et con�u tout autrement; c'est froid, c'est � c�t�, c'est trop dit et ce ne l'est pas assez. » et, si l'ouvrage n'avait pas toujours �t� la propri�t� d'un �diteur, je l'aurais mis dans un coin avec le projet de le refaire, et je l'y aurais oubli� pour en essayer un autre.

{Lub 808} Je sentis donc, d�s la premi�re tentative litt�raire de ma vie, que j'�tais au-dessous de mon sujet, et que mes mots et mes phrases le g�taient pour moi-m�me. On envoya � ma m�re une de mes descriptions pour lui faire voir comme je devenais habile et savante; elle me r�pondit: Tes belles phrases m'ont bien fait rire; j'esp�re que tu ne vas pas te mettre � parler comme �a. Je ne fus nullement mortifi�e de l'accueil fait par elle � mon �lucubration po�tique; je trouvai qu'elle avait parfaitement raison, et je lui r�pondis: « Sois tranquille, ma petite m�re, je ne deviendrai pas une p�dante, et, quand je voudrai te dire que je t'aime, que je t'adore, je te le dirai tout bonnement comme le voil� dit. »

Je cessai donc d'�crire, mais le besoin d'inventer et de composer ne m'en tourmentait pas moins. Il me fallait un monde de fictions, et je n'avais jamais cess� de m'en cr�er un que je portais partout avec moi, dans mes promenades, dans mon immobilit�, au jardin, aux champs, dans mon lit avant de m'endormir et, en m'�veillant, avant de me lever. Toute ma vie j'avais eu un roman en train dans la cervelle, auquel j'ajoutais un chapitre plus ou moins long aussit�t que je me trouvais seule, et pour lequel j'amassais sans cesse des mat�riaux. Mais pourrai-je donner une id�e de cette mani�re de composer que j'ai perdue et que je regretterai toujours, car c'est la seule qui ait r�alis� jamais ma fantaisie?

Je y ne donnerais aucun d�veloppement au r�cit de cette {CL 13} fantaisie de mon cerveau, si je croyais qu'elle n'e�t �t� qu'une bizarrerie personnelle. Car mon lecteur doit remarquer que je me pr�occupe beaucoup plus de lui faire repasser et commenter sa propre existence, celle de nous tous, que de l'int�resser � la mienne propre; mais j'ai lieu de croire que mon histoire intellectuelle est celle de la g�n�ration � laquelle j'appartiens, et qu'il n'est aucun de nous qui n'ait fait, d�s son jeune �ge, un roman ou un po�me.

{Presse 17/3/1855 1} J'avais bien vingt-cinq ans, lorsque, voyant mon fr�re griffonner beaucoup, je lui demandai ce qu'il faisait. « Je cherche, me dit-il, un roman moral dans le fond, comique dans la forme: mais je ne sais pas �crire, et il me semble que tu pourrais r�diger ce que j'�bauche. » Il me fit part de son plan, que je trouvai trop sceptique et dont les d�tails me rebut�rent. Mais, � ce propos, je lui demandai depuis quand il avait cette fantaisie de faire un roman. « je l'ai toujours eue, r�pondit-il. Quand j'y r�ve, il me passionne et me divertit quelquefois tant, que j'en ris tout seul. Mais, quand je veux y mettre de l'ordre, je ne sais pas par o� commencer, par o� finir. Tout cela se brouille sous ma plume. L'expression me manque, je m'impatiente, je me d�go�te, je br�le ce que je viens d'�crire, et j'en suis d�barrass� pour quelques jours. Mais bient�t cela revient comme une fi�vre. J'y pense le jour, j'y pense la nuit, et il faut que je gribouille encore, sauf � br�ler toujours.

— Que tu as tort, lui dis-je, de vouloir donner une forme arr�t�e, un plan r�gulier � ta fantaisie! Tu ne vois donc pas que tu lui fais la guerre, et que, si tu renon�ais � la jeter hors de toi, elle serait toujours en toi active, riante et f�conde? Que ne fais-tu comme moi, qui n'ai jamais g�t� l'id�e que je me suis faite de ma cr�ation en cherchant � la formuler?

— Ah ��, dit-il, c'est donc une maladie que nous avons {CL 14} dans le sang? Tu pioches donc aussi dans le vide? Tu r�vasses donc aussi comme moi? Tu ne me l'avais jamais dit. »

J'�tais z d�j� f�ch�e de m'�tre trahie, mais il �tait trop tard pour se raviser. Hippolyte, en me confiant son myst�re, avait droit de m'arracher le mien, et je lui racontai ce que je vais raconter ici.

D�s ma premi�re enfance, j'avais besoin de me faire un monde int�rieur � ma guise, un monde fantastique et po�tique; peu � peu j'eus besoin d'en faire aussi un monde religieux ou philosophique, c'est-�-dire moral ou sentimental. Vers l'�ge de onze ans, je lus L'Iliade et La J�rusalem d�livr�e. Ah! Que je les trouvai courtes, que je fus contrari�e d'arriver � la derni�re page! Je devins triste et comme malade de chagrin de les voir sit�t finies. Je ne savais plus que devenir; je ne pouvais plus rien lire; je ne savais auquel de ces deux po�mes donner la pr�f�rence; je comprenais qu'Hom�re �tait plus beau, plus grand, plus simple; mais Le Tasse m'int�ressait et m'intriguait davantage. C'�tait plus romanesque, plus de mon temps et de mon sexe. Il y avait des situations dont j'aurais voulu que le po�te ne me f�t jamais sortir, Herminie chez les bergers, par exemple, {Lub 810} ou Clorinde d�livrant du b�cher Olinde et Sophronie. Quels tableaux enchant�s je voyais se d�rouler autour de moi! Je m'emparais de ces situations; je m'y �tablissais pour ainsi dire; les personnages devenaient miens; je les faisais agir ou parler, et je changeais � mon gr� la suite de leurs aventures, non pas que je crusse mieux faire que le po�te, mais parce que les pr�occupations amoureuses de ces personnages me g�naient, et que je les voulais tels que je me sentais, c'est-�-dire enthousiastes seulement de religion, de guerre ou d'amiti�. Je pr�f�rais la martiale Clorinde � la timide Herminie; sa mort et son bapt�me la divinisaient � mes yeux. Je ha�ssais Armide, je m�prisais Renaud. Je sentais vaguement, de la guerri�re et de la magicienne, {CL 15} ce que Montaigne dit de Bradamante et d'Ang�lique, � propos du po�me de L'Arioste: « L'une, d'une beaut� na�ve, active, g�n�reuse, non hommasse mais virile; l'autre, d'une beaut� molle, affect�e, d�licate, artificielle; l'une travestie en gar�on, coiff�e d'un morion luisant; l'autre v�tue en fille, coiff�e d'un attifet emperl�. »

Mais, au-dessus de ces personnages du roman, l'Olympe chr�tien planait sur la composition du Tasse, comme dans L'Iliade les dieux du paganisme; et c'est par la po�sie de ces symboles que le besoin d'un sentiment religieux, sinon d'une croyance d�finie, vint s'emparer ardemment de mon cœur. Puisqu'on ne m'enseignait aucune religion, je m'aper�us qu'il m'en fallait une et je m'en fis une.

J'arrangeai cela tr�s-secr�tement en moi-m�me; religion et roman pouss�rent de compagnie dans mon �me. J'ai dit que les esprits les plus romanesques �taient les plus positifs, et, quoique cela ressemble � un paradoxe, je le maintiens. Le penchant romanesque est un app�tit du beau id�al. Tout ce qui, dans la r�alit� vulgaire, g�ne cet �lan est facilement mis de c�t� et compt� pour rien par ces esprits logiciens � leur point de vue. Les chr�tiens primitifs, les adeptes de toutes les sectes enfant�es par le christianisme, pris au pied de la lettre, sont des esprits romanesques, et leur logique est rigoureuse, absolue; je d�fie qu'on prouve le contraire.

Me voil� donc, enfant r�veur, candide, isol�, abandonn�e � moi-m�me, aa lanc�e � la recherche d'un id�al, et ne pouvant pas r�ver un monde, une humanit� {Lub 811} id�alis�e, sans placer au fa�te un Dieu, l'id�al m�me. Ce grand cr�ateur J�hovah, cette grande fatalit� Jupiter, ne me parlaient pas assez directement. Je voyais bien les rapports de cette puissance supr�me avec la nature, je ne la sentais pas assez particuli�rement dans l'humanit�. Je fis ce que l'humanit� avait fait avant moi. Je cherchai un m�diateur, un interm�diaire, {CL 16} un dieu-homme, un divin ami de notre race malheureuse.

Hom�re et Le Tasse venant couronner la po�sie chr�tienne et pa�enne de mes premi�res lectures, me montraient tant de divinit�s sublimes ou terribles, que je n'avais que l'embarras du choix; mais cet embarras �tait grand. On me pr�parait � la premi�re communion et je ne comprenais absolument rien au cat�chisme. L'Évangile et le drame divin de la vie et de la mort de J�sus m'arrachaient en secret des torrents de larmes. Je m'en cachais bien, j'aurais craint que ma grand'm�re ne se moqu�t de moi. Elle ne l'e�t pas fait, j'en suis certaine aujourd'hui; mais cette absence d'intervention dans ma croyance, dont elle semblait s'�tre fait une loi, me jetait dans le doute, et peut-�tre aussi l'�ternel attrait du myst�re dans mes �motions les plus intimes me portait-il � moi-m�me ce pr�judice moral d'�tre priv�e de direction*. Ma grand'm�re, en me voyant lire et apprendre le dogme par cœur sans faire la moindre r�flexion, se flattait peut-�tre de trouver en moi une table rase aussit�t qu'elle voudrait m'instruire � son point de vue, mais elle se trompait. L'enfant n'est jamais une table rase. Il commente, il s'interroge, il doute, il cherche, et, si on {CL 17} ne lui donne rien pour se {Lub 812} b�tir une maison, il se fait un nid avec les f�tus qu'il peut rassembler.

{[CL 16; Lub 811]} * Cet attrait ab du myst�re n'est pas un ph�nom�ne de mon organisation. Que toutes les m�res se rappellent leur enfance, qu'elles oublient trop quand elles �l�vent leurs filles. Cet �tat de l'�me qui se cherche elle-m�me est inh�rent � l'enfance, et surtout � l'enfance de la femme. Il ne faut ni contrarier brutalement ce penchant ni le trop laisser se d�velopper. J'ai vu des m�res, d'une surveillance ind�licate et jalouse, soup�oner toujours quelque impuret� dans la chaste r�verie de leurs filles, et jeter des pierres ou des ordures dans ce lac tranquille et pur qui ne refl�tait encore que le ciel. J'en ai vu d'autres qui laissaient toutes les ordures du dehors y tomber sans se douter de rien. C'est bien difficile, c'est parfois impossible de voir au fond de cette eau dormante, et c'est � cause de cela qu'on ne saurait trop s'en pr�occuper.

C'est ce qui m'arriva. Comme ma grand'm�re n'avait eu qu'un soin, celui de combattre en moi le penchant superstitieux, je ne pouvais croire aux miracles et je n'aurais pas os� croire non plus � la divinit� de J�sus. Mais je l'aimais quand m�me, cette divinit�, et je me disais: « Puisque toute religion est une fiction, faisons un roman qui soit une religion ou une religion qui soit un roman. Je ne crois pas � mes romans, mais ils me donnent autant de bonheur que si j'y croyais. D'ailleurs, s'il m'arrive d'y croire de temps en temps personne ne le saura, personne ne contrariera mon illusion en me prouvant que je r�ve. »

Et voil� qu'en r�vant la nuit, il me vint une figure et un nom. Le nom ne signifiait rien que je sache: c'�tait un assemblage fortuit de syllabes comme il s'en forme dans les songes. Mon fant�me s'appelait Coramb�, et ce nom lui resta. Il devint le titre de mon roman et le dieu de ma religion.

En commen�ant � parler de Coramb�, je commence � parler non-seulement de ma vie po�tique, que ce type a remplie si longtemps dans le secret de mes r�ves, mais encore de ma vie morale, qui ne faisait qu'une avec la premi�re. Coramb� n'�tait pas, � vrai dire, un simple personnage de roman, c'�tait la forme qu'avait prise et que garda longtemps mon id�al religieux.

De toutes les religions qu'on me faisait passer en revue comme une �tude historique pure et simple, sans m'engager � en adopter aucune, il n'y en avait aucune, en effet, qui me satisf�t compl�tement, et toutes m'attiraient par quelque endroit. J�sus-Christ �tait bien pour moi le type d'une perfection sup�rieure � toutes les autres; mais la religion qui me d�fendait, au nom de J�sus, d'aimer les autres philosophes, les autres dieux, les autres saints de {CL 18} l'antiquit�, me g�nait et m'�touffait pour ainsi dire. Il me fallait L'Iliade et La J�rusalem dans mes fictions. Coramb� se cr�a tout seul dans mon cerveau. Il �tait pur et charitable comme J�sus, rayonnant et beau {Presse 17/3/1855 2} comme Gabriel; mais il lui fallait un peu de la gr�ce des nymphes et de la po�sie d'Orph�e. Il avait donc des formes moins aust�res que le dieu des chr�tiens et un sentiment plus spiritualis� ac que ceux {Lub 813} d'Hom�re. Et puis il me fallait le compl�ter en le v�tant ad en femme � l'occasion, car ce que j'avais le mieux aim�, le mieux compris jusqu'alors, c'�tait une femme, c'�tait ma m�re. Ce fut donc souvent sous les traits d'une femme qu'il m'apparut. En somme, il n'avait pas de sexe et rev�tait toute sorte ae d'aspects diff�rents.

Il y avait des d�esses pa�ennes que je ch�rissais: la sage Pallas, la chaste Diane, Iris, H�b�, Flore, les muses, les nymphes; c'�taient l� des �tres charmants dont je ne voulais pas me laisser priver par le christianisme. Il fallait que Coramb� e�t tous les attributs de la beaut� physique et morale, le don de l'�loquence, le charme tout-puissant des arts, la magie de l'improvisation musicale surtout; je voulais l'aimer comme un ami, comme une sœur, en m�me temps que le r�v�rer comme un dieu. Je ne voulais pas le craindre, et, � cet effet, je souhaitais qu'il e�t quelques-unes de nos erreurs et de nos faiblesses.

Je cherchai celle qui pourrait se concilier avec sa perfection, et je trouvai l'exc�s de l'indulgence et de la bont�. Ceci me plut particuli�rement, et son existence, en se d�roulant dans mon imagination (je n'oserais dire par l'effet de ma volont�, tant ces r�ves me parurent bient�t se formuler d'eux-m�mes), m'offrit une s�rie d'�preuves, de souffrances, de pers�cutions et de martyres. J'appelais livre ou chant chacune de ses phases d'humanit�, car il devenait homme ou femme en touchant la terre, et quelquefois le dieu sup�rieur et tout-puissant dont il n'�tait, apr�s tout, {CL 19} qu'un ministre c�leste, pr�pos� au gouvernement moral de notre plan�te, prolongeait son exil parmi nous, pour le punir de trop d'amour et de mis�ricorde envers nous.

Dans chacun de ces chants (je crois bien que mon po�me en a eu au moins mille sans que j'aie �t� tent�e d'en �crire une ligne), un monde de personnages nouveaux se groupait autour de Coramb�. Tous �taient bons. Il y avait des m�chants qu'on ne voyait jamais (je ne voulais pas les faire para�tre), mais dont la malice et la folie se r�v�laient par des images de d�sastre et des tableaux de d�solation. Coramb� consolait et r�parait sans cesse. Je le voyais, entour� d'�tres m�lancoliques et tendres, qu'il charmait de sa parole et de son chant, dans des paysages d�licieux, �coutant le r�cit de leurs peines et les ramenant au bonheur par la vertu.

{Lub 814} D'abord je me rendis bien compte de cette sorte de travail in�dit; mais, au bout de tr�s-peu de temps, de tr�s-peu de jours m�me, car les jours comptent triple dans l'enfance, je me sentis poss�d�e par mon sujet bien plus qu'il n'�tait poss�d� par moi. Le r�ve arriva � une sorte d'hallucination douce, mais si fr�quente et si compl�te parfois, que j'en �tais comme ravie hors du monde r�el.

D'ailleurs, le monde r�el se plia bient�t � ma fantaisie. Il s'arrangea � mon usage. Nous avions, aux champs, mon fr�re, Liset et moi, plusieurs amis, filles et gar�ons, que nous allions trouver tour � tour pour jouer, courir, marauder ou grimper avec eux. J'allais, quant � moi, plus souvent avec les filles d'un de nos m�tayers, Marie et Solange, qui �taient un peu plus jeunes de fait et plus enfants que moi par caract�re. Presque tous les jours, de midi � deux heures, c'�tait l'heure de ma r�cr�ation permise, je courais � la m�tairie et je trouvais mes jeunes amies occup�es � soigner leurs agneaux, � chercher les œufs de leurs poules, �pars dans les buissons, � cueillir les fruits du verger, ou � {CL 20} garder les ouailles, comme on dit chez nous, ou � faire de la feuille pour leur provision d'hiver, suivant la saison. Elles af �taient toujours � l'ouvrage, et je les aidais avec ardeur afin d'avoir le plaisir d'�tre avec elles. Marie �tait une enfant fort sage et fort simple. La plus jeune, Solange, �tait assez volontaire et nous c�dions � toutes ses fantaisies. Ma grand'm�re �tait fort aise que je prisse de l'exercice avec elles, mais elle disait qu'elle ne concevait pas le plaisir que je pouvais trouver, moi qui faisais de si belles descriptions et qui asseyais la lune dans une nacelle d'argent, avec ces petites paysannes crott�es, avec leurs dindons et leurs ch�vres.

Moi, j'avais le secret de mon plaisir et je le gardais pour moi seule. Le verger o� je passais une partie de ma journ�e �tait charmant (il l'est encore), et c'est l� que mon roman venait en plein me trouver. Quoique ce verger f�t bien assez joli par lui-m�me, je ne le voyais pas pr�cis�ment tel qu'il �tait. Mon imagination faisait d'une butte de trois pieds une montagne, de quelques arbres une for�t, du sentier qui allait de la maison � la prairie le chemin qui m�ne au bout du monde, de la mare bord�e de vieux saules un gouffre ou un lac, � {Lub 815} volont�; et je voyais mes personnages agir, courir ensemble, ou marcher seuls en r�vant, ou dormir � l'ombre, ou danser en chantant dans ce paradis de mes songes creux. La causette de Marie et de Solange ne me d�rangeait nullement. Leur na�vet�, leurs occupations champ�tres ne d�truisaient rien � l'harmonie de mes tableaux, et je voyais en elles deux petites nymphes d�guis�es en villageoises et pr�parant tout pour l'arriv�e de Coramb�, qui passerait par l� un jour ou l'autre et les rendrait � leur forme et � leur destin�e v�ritables.

D'ailleurs, quand elles parvenaient � me distraire et � faire dispara�tre mes fant�mes, je ne leur en savais pas mauvais gr�, puisque j'arrivais � m'amuser pour mon {CL 21} propre compte avec elles. Quand j'�tais l�, les parents se montraient fort tol�rants sur le temps perdu, et bien souvent nous laissions quenouilles ag, moutons ou corbeilles pour nous livrer � une gymnastique �chevel�e, grimper sur les arbres, ou nous pr�cipiter du haut en bas des montagnes de gerbes entass�es dans la grange, jeu d�lirant, je l'avoue, et que j'aimerais encore si je l'osais.

Ces acc�s de mouvement et de gaiet� enivrante me faisaient trouver plus de plaisir encore � retomber dans mes contemplations, et mon cerveau excit� physiquement �tait plus riche d'images et de fantaisie. Je le sentais et ne m'en faisais pas faute.

Une autre amiti� que je cultivais moins assid�ment, mais o� mon fr�re m'entra�nait quelquefois, avait pour objet un gardeur de cochons qui s'appelait Plaisir. J'ai toujours eu peur et horreur des cochons, et pourtant, peut-�tre pr�cis�ment � cause de cela, Plaisir, par la grande autorit� qu'il exer�ait sur ces m�chants et stupides animaux, m'inspirait une sorte de respect et de crainte. On sait que c'est une dangereuse compagnie qu'un troupeau de porcs. Ces animaux ont entre eux un �trange instinct de solidarit�. Si l'on offense un individu isol�, il jette un certain cri d'alarme qui r�unit instantan�ment tous les autres. Ils forment alors un bataillon qui se resserre sur l'ennemi commun et le force � chercher son salut sur un arbre; car, de courir, il n'y faut point songer, le porc maigre �tant, comme le sanglier, un des plus rapides et des plus infatigables jarrets qui existent.

Ce n'�tait donc pas sans terreur que je me trouvais {Lub 816} aux champs au milieu de ces animaux, et jamais l'habitude n'a pu me corriger de cette faiblesse. Pourtant Plaisir craignait si peu et dominait tellement ceux auxquels il avait affaire, leur arrachant sous le nez les f�veroles et autres tubercules sucr�s qu'ils trouvent dans nos terres, que je travaillais � {CL 22} m'aguerrir aupr�s de lui. La plus terrible b�te de son troupeau, c'�tait le ma�tre porc, celui que nos pastours appellent le cadi, et qui, r�serv� � la reproduction de l'esp�ce, atteint souvent une taille et une force extraordinaires. Il l'avait si bien dompt�, qu'il le chevauchait avec une sorte de maestria sauvage et burlesque.

Walter Scott n'a pas d�daign� d'introduire un gardeur de pourceaux dans Ivanhoe, un de ses plus beaux romans. Il aurait pu tirer un grand parti de la figure de Plaisir. C'�tait un �tre tout primitif, dou� des talents de sa condition barbare. Il abattait les oiseaux � coups de pierre avec une habilet� remarquable et s'exer�ait principalement sur les pies et les corneilles qui viennent, en hiver, faire soci�t� intime avec les troupeaux de porcs. On les voit se tenir autour de ces animaux pour chercher dans les mottes de terre qu'ils retournent avec leur nez les vers et les graines en germe. Cela donne lieu � de grandes altercations entre ces oiseaux querelleurs; celui qui a saisi la proie saute sur le cochon pour la d�vorer � son aise, les autres l'y suivent pour le houspiller, et le dos ou la t�te du quadrup�de indiff�rent et impassible devient le th��tre de luttes acharn�es. Quelquefois aussi, ces oiseaux se perchent ur le pourceau seulement pour se r�chauffer, ou pour mieux observer le travail dont ils doivent profiter. J'ai vu souvent une vieille corneille cendr�e se tenir ainsi sur une jambe, d'un air pensif et m�lancolique, tandis que le pourceau labourait profond�ment le sol et, par ses efforts, lui imprimait des secousses qui la d�rangeaient, l'impatientaient et la d�cidaient � le corriger � coups de bec.

C'est dans cette farouche soci�t� que Plaisir passait sa vie; v�tu en toute saison d'une blouse et d'un pantalon de toile de chanvre qui avaient pris, ainsi que ses mains et ses pieds nus, la couleur et la duret� de la terre, se nourrissant, comme son troupeau, des racines qui rampent sous le {CL 23} sol ah arm� de l'instrument de fer triangulaire qui est le sceptre des porchers et qui leur sert {Lub 817} � creuser et � couper sous les sillons, toujours enfoui dans quelque trou, ou rampant sous les buissons pour y poursuivre les serpents et les belettes, ai quand un p�le soleil {Presse 17/3/1855 3} d'hiver faisait briller le givre sur les grands terrains boulevers�s par l'incessant travail de son troupeau, il me faisait l'effet du gnome de la gl�be, une sorte de diable entre l'homme et le loup-garou, entre l'animal et la plante*.

* Il devenait aj plus fantastique encore lorsqu'il disait la chanson des porchers. C'est un chant �trange qui doit, comme celui des bouviers de notre pays, remonter � la plus haute antoquit�. On ne saurait le traduire musicalement, parce qu'il est entrecoup� et m�l� de cris et d'appels au troupeau, qui relient entre elles des phrases au rythme fixe et d'une intonation bizarre. Cela est triste, railleur et d'un caract�re effrayant comme un sabbat de divinit�s gauloises. Comme tous les chants conserv�s par la tradition orale, il y a un nombre infini de versions, qui se modifient encore au gr� du pastour, mais qui restent toujours dans la couleur primitive. Les paroles sont improvis�es le plus souvent. On y entend revenir cependant ces trois vers consacr�s:


Quand les porcs ont l'ailland (le gland),
Les ma�t's avont l'argent,
Les porchers le pain blanc
...

et ceux-ci:

Que le diable et la mort
Emportiont tous les porcs!
Les petits et les grands,
La m�re et les enfans
.

Je parlerai ailleurs du Chant des bœufs, qui est une chose superbe et de la m�me antiquit�.

À la lisi�re du champ o� nous v�mes Plaisir pendant toute une saison, le foss� �tait couvert d'une belle v�g�tation. Sous les branches pendantes des vieux ormes et l'entrecroisement des ronces, nous autres enfants, nous pouvions marcher � couvert, et il y avait des creux secs et sablonneux avec des revers de mousse et d'herbes dess�ch�es, o� nous pouvions nous enir � l'abri du froid ou de la pluie. {CL 24} Ces retraites me plaisaient singuli�rement, surtout quand j'y �tais seule et que les rouges-gorges et les roitelets, enhardis par mon immobilit�, venaient curieusement tout aupr�s de moi pour me regarder. J'aimais � me glisser inaper�ue sous les berceaux naturels de la haie, et il me semblait entrer {Lub 818} dans le royaume des esprits de la terre. J'eus l� beaucoup d'inspirations pour mon roman. Coramb� vint m'y trouver sous la figure d'un gardeur de pourceaux, comme Apollon chez Adm�te. Il �tait pauvre et poudreux comme Plaisir; seulement sa figure �tait autre et laissait quelquefois jaillir un rayon o� je reconnaissais le dieu exil�, condamn� � d'obscurs et m�lancoliques labeurs. Le cadi �tait un m�chant g�nie attach� � ses pas et dompt�, malgr� sa malice, par l'irr�sistible influence de l'esprit de patience et de bont�. Les petits oiseaux du buisson �taient des sylphes qui venaient le plaindre et le consoler dans leur joli langage, et il souriait encore sous ses aillons, le pauvre p�nitent volontaire. Il me racontait qu'il expiait la peine de quelqu'un, et que son abjection �tait destin�e � racheter l'�me d'un de mes personnages coupable de faste ou d'indolence.

Dans le foss� couvert, je vis aussi appara�tre un personnage mythologique qui m'avait fait une grande impression dans ma premi�re enfance. C'�tait l'antique D�mogorgon, le g�nie du sein de la terre, ce petit vieillard crasseux, couvert de mousse, p�le et d�figur�, qui habitait les entrailles du globe. Ainsi le d�crivait mon vieux trait� de mythologie, lequel assurait, en outre, que D�mogorgon s'ennuyait beaucoup dans cette triste solitude. L'id�e m'�tait bien venue quelquefois de faire un grand trou pour essayer de le d�livrer, mais, lorsque je commen�ai � r�ver de Coramb�, je n'ajoutais plus foi aux fables pa�ennes, et D�mogorgon ne fut plus pour moi qu'un personnage fantastique dans mon roman. Je l'�voquais pour qu'il v�nt s'entretenir avec Coramb�, qui {CL 25} lui racontait les malheurs des hommes et le consolait ainsi de vivre parmi les d�bris ignor�s de l'antique cr�ation.

Peu � peu la fiction qui m'absorbait prit un tel caract�re de conviction que j'�prouvai le besoin de me cr�er une sorte de culte.

Pendant pr�s d'un mois, je parvins � me d�rober � toute surveillance durant mes heures de r�cr�ation et � me rendre si compl�tement invisible, que personne n'e�t pu dire ce que je devenais � ces heures-l�, pas m�me Rose, qui pourtant ne me laissait gu�re tranquille, pas m�me Liset, qui me suivait partout comme un petit chien ak.

{Lub 819} Voici ce que j'avais imagin�. Je voulais �lever un autel � Coramb� al. J'avais d'abord pens� � la grotte en rocaille qui subsistait encore, quoique ruin�e et abandonn�e; mais le chemin en �tait trop connu am et trop fr�quent�. Le petit bois du jardin offrait alors certaines parties d'un fourr� imp�n�trable. Les arbres, encore jeunes, n'avaient pas �touff� la v�g�tation des aub�pines et des tro�nes qui croissaient � leur pied an, serr�s comme les herbes d'une prairie. Dans ces massifs qui c�toyaient ao les all�es de charmille, j'avais donc remarqu� qu'il en �tait plusieurs o� personne n'entrait jamais et o� l'œil ne pouvait p�n�trer durant la saison des feuilles. Je choisis le plus �pais, je m'y frayai un passage et je cherchai dans le milieu un endroit convenable. Il s'y trouva, comme s'il m'e�t attendue. Au centre du fourr� s'�levaient trois beaux �rables sortant d'un m�me pied, et la v�g�tation des arbustes �touff�s par leur ombrage s'arrondissait � l'entour pour former comme une petite salle de verdure. La terre �tait jonch�e d'une mousse magnifique, et, de quelque c�t� qu'on ort�t les yeux, on ne pouvait rien distinguer dans l'interstice des broussailles � deux pas de soi. J'�tais donc l� aussi seule, aussi cach�e qu'au fond d'une for�t vierge, tandis qu'� trente ou quarante {CL 26} pieds de moi couraient des all�es sinueuses o� l'on pouvait passer et repasser sans se douter de rien.

Il s'agissait de d�corer � mon gr� le temple que je venais de d�couvrir. Pour cela, je proc�dai comme ma m�re me l'avait enseign�. Je me mis � la recherche des beaux cailloux, des coquillages vari�s, des plus fra�ches mousses. J'�levai une sorte d'autel au pied de l'arbre principal, et au-dessus je suspendis une couronne de fleurs que des chapelets de coquilles roses et blanches faisaient descendre comme un lustre des branches de l'�rable. Je coupai quelques broussailles, de mani�re � donner une forme r�guli�re � la petite rotonde et j'y entrela�ai du lierre et de la mousse defa�on � former une sorte de colonnade de verdure avec des arcades, d'o� pendaient d'autres petites couronnes, des nids d'oiseaux, de gros coquillages en guise de lampes, etc. Enfin je parvins � faire quelque chose qui me parut si joli, que la t�te m'en tournait et que j'en r�vais la nuit.

Tout cela fut accompli avec les plus grandes pr�cautions. On me voyait bien fureter dans le bois, chercher {Lub 820} des nids et des coquillages, mais j'avais l'air de ne ramasser ces petites trouvailles que par d�sœuvrement, et, quand j'en avais rempli mon tablier, j'attendais d'�tre bien seule pour p�n�trer dans le taillis. Ce n'�tait pas sans peine et sans �gratignures, car je ne voulais pas me frayer un passage qui p�t me trahir, et chaque fois je m'introduisais par un c�t� diff�rent, afin de ne pas laisser de traces en foulant un sentier et en brisant des arbrisseaux par des tentatives r�p�t�es.

Quand tout fut pr�t, je pris possession de mon empire avec d�lices et, m'asseyant sur la mousse, je me mis � r�ver aux sacrifices que j'offrirais � la divinit� de mon invention. Tuer des animaux ou seulement des insectes pour lui complaire me parut barbare et indigne de sa douceur {CL 27} id�ale. Je m'avisai de faire tout le contraire, c'est-�-dire de rendre sur son autel la vie et la libert� � toutes les b�tes que je pourrais me procurer. Je me mis donc � la recherche des papillons, des l�zards, des petites grenouilles vertes et des oiseaux; ces derniers ne me manquaient pas, j'avais toujours une foule d'engins tendus de tous c�t�s, au moyen desquels j'en attrapais souvent. Liset en prenait dans les champs et me les apportait; de sorte que, tant que dura mon culte myst�rieux, je pus tous les jours d�livrer, en l'honneur de Coramb�, une hirondelle, un rouge-gorge, un chardonneret, voire un moineau franc. Les moindres offrandes, les papillons et les scarab�es comptaient ap � peine. Je les mettais dans une bo�te que je d�posais sur l'autel et que j'ouvrais, apr�s avoir invoqu� le bon g�nie de la libert� et de la protection. Je crois que j'�tais evenue un peu comme ce pauvre fou qui cherchait la tendresse. Je la demandais aux bois, aux plantes, au soleil, aux animaux, et � je ne sais quel �tre invisible qui n'existait que dans mes r�ves.

Je n'�tais plus assez enfant pour esp�rer de voir appara�tre ce g�nie: cependant, � mesure que je mat�rialisais pour ainsi dire mon po�me, je sentais mon imagination s'exalter singuli�rement. J'�tais �galement pr�s de la d�votion et de l'idol�trie, car mon id�al �tait aussi bien chr�tien que pa�en, et il vint un moment o�, en accourant le matin pour visiter mon temple, j'attachais malgr� moi une id�e superstitieuse au moindre d�rangement. Si un merle avait gratt� mon autel, si le pivert {Lub 821} avait entaill� mon arbre, si quelque coquille s'�tait d�tach�e du feston ou quelque fleur de la couronne, je voulais que, pendant la nuit, au clair de la lune, les nymphes ou les anges fussent venus danser et fol�trer en l'honneur de mon bon g�nie. Chaque jour je renouvelais toutes les fleurs et je faisais des anciennes couronnes un amas qui jonchait l'autel. {CL 28} Quand, par hasard, la fauvette ou le pinson auquel je donnais la vol�e, au lieu de fuir effarouch� dans le taillis, montait sur l'arbre et s'y reposait un instant, j'�tais ravie; il me semblait que mon offrande avait �t� plus agr�able encore que de coutume. J'avais l� des r�veries d�licieuses, et, tout en cherchant le merveilleux qui avait pour moi tant d'attrait, je commen�ais � trouver l'id�e vague et le sentiment net d'une religion selon mon cœur.

Malheureusement (heureusement peut-�tre pour ma petite cervelle, qui n'�tait pas assez forte pour creuser ce probl�me), mon asile fut d�couvert. À force de me chercher, Liset arriva jusqu'� moi, et, tout �baubi � la vue de mon temple, il s'�cria: « Ah! Mam'selle, le joli petit reposoir de la F�te-Dieu! »

Il ne vit qu'un amusement dans mon myst�re et il voulut m'aider � l'embellir encore. Mais le charme �tait d�truit. Du moment que d'autres pas que les miens eurent foul� ce sanctuaire, Coramb� ne l'habita plus. Les dryades et les ch�rubins l'abandonn�rent, et il me sembla que mes c�r�monies et mes sacrifices n'�taient plus qu'une pu�rilit� que je n'avais pas prise moi-m�me au s�rieux. Je d�truisis le temple avec autant de soin que je l'avais �difi�. Je creusai au pied de l'arbre et j'enterrai les guirlandes, les coquillages et tous les ornements champ�tres sous les d�bris de l'autel.


Variantes

  1. Ce titre figure � partir de l'�dition {CL}
  2. Chapitre 4 — 6e volume {Ms}Chapitre huiti�me {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ TROISIÈME PARTIE / (Suite) / DE L'ENFANCE À LA JEUNESSE /1810-1819 / VIII {CL}(Nous retrouvons ici le manuscrit.)
  3. ma�tre. — [Rose ray�]. — Premiers {Ms}ma�tre. — Premiers {Presse} et sq.
  4. porcher. — Équitation excentrique. — Le foss� {Ms} ♦ porcher. — Le foss� {Presse} et sq.
  5. ont [�t� les explicateurs et d�ducteurs ray�] pos� la meilleure {Ms} ont pos� la meilleure {Presse} et sq.
  6. peut �tre une, la th�orie du progr�s peut tracer {Ms} ♦ peut �tre la th�orie du progr�s; elle peut tracer {Presse} et sq.
  7. De mon temps, on apprenait l'histoire au hazard, sans ordre v�ritable et sans r�sultat pour la logique et la certitude de l'intelligence. On proc�dait {Ms}De mon temps on proc�dait {Presse} et sq.
  8. dans [l'esprit des philosophes ray�] les cerveaux philosophiques {Ms}dans les cerveaux philosophiques {Presse} et sq.
  9. un [autre caract�re ray� bleu] attrait diff�rent (add. bleu) {Ms}un attrait diff�rent {Presse} et sq.
  10. � mon �motion[, � mon enthousiasme pour ray�] {Ms}� mon �motion {Presse} et sq.
  11. Mais c'�taient {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ Mais c'�tait {CL}
  12. composant � mesure musique {Ms}composant musique {Presse} et sq.
  13. que [nous avions � �tudier � Paris ou ray�] m'apportait {Ms}que m'apportait {Presse} et sq.
  14. s'appelait M. Gaillac {Ms}s'appelait M. Gayard {Presse} et sq. (Nous ne signalerons plus cette variante.)
  15. sans �l�vation aucune {Ms}sans �l�vation {Presse} et sq.
  16. il ne m'enseignait [aucun doigt�, et mes mains �tant trop petites, je n'ai jamais pu frapper un accord, j'�tais oblig�e de m'inventer des facilit�s <passage illisible> dont il ne s'appercevait m�me pas <mot illisible> et quand j'attrapais un pas, juste la distance c'�tait de l'adresse et du bonheur <mot illisible> ray� bleu] rien {Ms}il ne m'enseignait rien {Presse} et sq.
  17. savais plus. [C'est au point que je ne savais plus le nom des notes et que je ne les sais pas encore, celles qui d�passent la port�e musicale je les connais sur le piano, mais je les trouve instinctivement � la lecture, mais il me faudrait plus de tems pour les nommer que pour les chanter et les frapper sur l'instrument ray� bleu] {Ms}savais plus. {Presse} et sq.
  18. en latin de cuisine {Ms}en latin de coll�ge {Presse} et sq.
  19. pas d'indentation avant Et dans {Presse}, {Lub}
  20. aux autres. Voil� pourquoi je ne me suis jamais trouv�e infatu�e, comme beaucoup de mes confr�res, de la grandeur de la profession d'artiste (litt�raire ou autre,) et pourquoi je ne saurais admettre, avec une �cole nouvelle, que l'art puisse �tre un sacerdoce dans les tems modernes. L'art me semble {Ms}aux autres. L'art me semble {Presse} et sq.
  21. de m�me que [l'amour et ray�] toutes {Ms}de m�me que toutes {Presse} et sq.
  22. la seule preuve irr�futable {Ms}une preuve irr�futable {Presse} et sq.
  23. ce but c'est Dieu. Les ath�es que j'ai connus (et ils sont en bien petit nombre, n'ont jamais pu r�pondre � cette objection de ma part qu'en niant l'aspiration �ternelle de l'homme. C'est nier l'existence de l'homme en voulant nier celle de Dieu. L'art est donc {Ms}ce but est Dieu. / L'art est donc et sq.
  24. Ici 9 lignes fortement ratur�es, illisibles. {Ms}
  25. Dans {Ms}, tout ce qui suit est une copie de la main d'Émile Aucante, jusqu'�: Liset, qui me suivait partout comme un petit chien. (voir {CL 25; Lub 818}). On y trouve quelques corrections manuscrites de George Sand ({Ms}, f° 54 � 71).
  26. jamais dit. » J'�tais {Presse} ♦ jamais dit. » / J'�tais {CL}
  27. abandonn� � lui-m�me, {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ abandonn�e � moi-m�me, {CL} ♦ abandonn� � moi-m�me, {Lub} (probablement par inadvertance)
  28. Cette note appara�t pour la premi�re fois dans l'�dition {Lecou}
  29. sentiment plus profond et plus sublime {Ms}sentiment plus spiritualis� {Presse} et sq.
  30. en le v�tissant {Ms}, {Presse} ♦ en le v�tant {Lecou} et sq.
  31. toutes sortes {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ toute sorte {CL}
  32. d'hiver, suivant la saison. Elles {Ms}d'hiver. Suivant la saison, elles {Presse} {CL} ♦ d'hiver, suivant la saison. Elles {Lub} (1�re le�on maintenue car plus logique; nous le suivons.)
  33. nous laissions l� quenouilles {Ms}nous laissions quenouilles {Presse} et sq.
  34. sous le sol {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ sur le sol {CL}, {Lub} (r�tablissant la 1�re le�on; nous ne le suivons pas)
  35. les serpents ou les belettes, {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ les serpents et les belettes, {CL}
  36. Cette note appara�t pour la premi�re fois dans l'�dition {Lecou}.
  37. Fin de la copie de la main d'Aucante (voir d�but {CL 13; Lub 808}). {Ms}
  38. Je voulais vouer � Coramb� une esp�ce de culte et lui �levez un autel {Ms}Je voulais �lever un autel � Coramb� {Presse} et sq.
  39. �tait encore trop connu {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ �tait trop connu {CL}
  40. � leurs pieds {Ms}� leur pied {Presse} et sq.
  41. massifs que c�toyaient{Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ massifs qui c�toyaient {CL}
  42. les beaux papillons de nacre et d'azur comptaient {Ms}les papillons et les scarab�es comptaient {Presse} et sq.

Notes

  1. Voir la note en t�te du chapitre VI. {Presse} donne bien Chapitre huiti�me et non Chapitre neuvi�me