GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.2 [287]; Lub T.1 [641]} TROISIÈME PARTIE
De l'enfance � la jeunesse
1810-1819 a

{Presse 11/3/1855 1; CL T.2 [447]; Lub T.1 [776]} VII b 1

Mes rapports avec mon fr�re. — Les ressemblances et les incompatibilit�s de nos caract�res. — Violence de ma bonne. — Tendances morales que d�veloppent en moi cette tyrannie. — Ma grand'm�re devient royaliste sans l'�tre. — Le portrait de l'empereur Alexandre. — Retour de l'�le d'Elbe. — Nouvelles visions. — Ma m�re revient � Nohant. — Je pardonne � ma bonne. — Le passage de l'arm�e de la Loire. — La cocarde du g�n�ral Subervie. — Le g�n�ral Colbert. — Comme quoi Nohant faillt �tre le foyer et le th��tre d'une Vend�e patriotique. — Le licenciement. — Le colonel Sourd. — Les brigands de la Loire. — Les p�ches de Deschartres. — Le r�giment c de mon p�re. — Visite de notre cousin. — D�votion de madame de La Marli�re. — D�part de ma m�re. — D�part de mon fr�re. — Solitude. d



J'entrerai plus tard dans un d�tail plus raisonn� du go�t ou du d�go�t que m'inspir�rent mes diverses �tudes. Ce que je veux me retracer e ici, c'est la disposition morale dans laquelle je me trouvai, livr�e pour ainsi dire � mes propres pens�es, sans guide, sans causerie, sans �panchement. J'avais besoin d'exister pourtant, et ce n'est pas exister que d'�tre seul. Hippolyte devenait de plus en plus turbulent et dans nos jeux il n'�tait pas question d'autre chose que de faire du mouvement et du bruit. Il m'en donnait bien vite plus que je n'avais besoin d'en prendre, et cela finissait toujours par quelque susceptibilit� de ma part et quelque rebuffade de la sienne. Nous nous aimions pourtant, nous nous sommes toujours aim�s. Il y avait certains rapports de caract�re et d'intelligence entre nous, malgr� d'�normes diff�rences d'ailleurs. Il �tait aussi positif que j'�tais romanesque, et pourtant il y avait dans son esprit un certain sens artiste, et dans sa gaiet� un tour {CL 448} d'observation critique qui r�pondait au c�t� enjou� de mes instincts. {Lub 777} Il ne venait personne chez nous qu'il ne juge�t, ne devin�t et ne s�t reprendre et analyser avec beaucoup de p�n�tration, mais avec trop de causticit�. Cela m'amusait assez, et nous �tions horriblement moqueurs ensemble. J'avais besoin de gaiet�, et personne n'a jamais su comme lui me faire rire. Mais on ne peut pas toujours rire et j'avais encore plus besoin d'�panchement s�rieux que de folie � cette �poque-l�.

Ma gaiet� f avec lui avait donc souvent quelque chose sinon de forc�, du moins de nerveux et de f�brile. À la moindre occasion, elle se changeait en bouderie et puis en larmes. Mon fr�re pr�tendait que j'avais un mauvais caract�re, cela n'�tait pas, il l'a reconnu plus tard; j'avais tout bonnement un secret ennui, un profond chagrin que je ne pouvais pas lui dire et dont il se f�t peut-�tre moqu� comme il se moquait de tout, m�me de la tyrannie et des brutalit�s de Deschartres.

Je m'�tais dit que tout ce que j'apprenais ne me servirait de rien, puisque, malgr� le silence de ma m�re � cet �gard, j'avais toujours la r�solution de retourner aupr�s d'elle et de me faire ouvri�re avec elle aussit�t qu'elle le jugerait possible. L'�tude m'ennuyait donc d'autant plus que je ne faisais pas comme Hippolyte, qui, bien r�sol�ment, s'en abstenait de son mieux. Moi, j'�tudiais par ob�issance, mais sans go�t et sans entra�nement, comme une t�che fastidieuse que je fournissais durant un certain nombre d'heures fades et lentes. Ma bonne maman s'en apercevait et me reprochait ma langueur, ma froideur avec elle, ma pr�occupation continuelle qui ressemblait souvent � de l'imb�cillit� et dont Hippolyte me raillait tout le premier sans mis�ricorde. J'�tais bless�e de ces reproches et de ces railleries et on m'accusait d'avoir un amour-propre excessif. J'ignore si j'avais beaucoup d'amour-propre {CL 449} en effet, mais j'ai bien conscience que mon d�pit ne venait pas de l'orgueil contrari�, mais d'un mal plus s�rieux, d'une peine de cœur m�connue et froiss�e.

Jusqu'alors Rose m'avait men�e assez doucement, eu �gard � l'imp�tuosit� naturelle de son caract�re. Elle avait �t� tenue en bride par la fr�quente pr�sence de ma m�re � Nohant, ou plut�t elle avait ob�i � un instinct qui commen�ait � se modifier, car elle n'�tait pas dissimul�e, j'aime � lui rendre cette justice. Je pense qu'elle {Lub 778} �tait de la nature de ces bonnes couveuses qui soignent tendrement leurs petits tant qu'ils peuvent dormir sous leur aile, mais qui ne leur �pargnent pas les coups de bec quand ils commencent � voler et � courir seuls. À mesure que je me faisais grandelette, elle ne me dorlotait plus, et, en effet, je n'avais plus besoin de cela; g mais elle commen�ait � me brutaliser, ce dont je me serais fort bien pass�e. D�sirant ardemment complaire � ma grand'm�re, elle prenait en sous-ordre le soin et la responsabilit� de mon �ducation physique et elle m'en fit une sorte de supplice. Si je sortais sans prendre toutes les petites pr�cautions indiqu�es contre le rhume, j'�tais d'abord, je ne dirai pas grond�e, mais abasourdie; le mot n'est que ce qu'il faut pour exprimer la temp�te de sa voix et l'abondance des �pith�tes injurieuses qui �branlaient mon syst�me nerveux. Si je d�chirais ma robe, si je cassais mon sabot, si, en tombant dans les broussailles, je me faisais une �gratignure qui e�t pu faire soup�onner � ma grand'm�re que je n'avais pas �t� bien surveill�e, j'�tais battue, assez doucement d'abord, et comme par mesure d'intimidation, peu � peu plus s�rieusement, par syst�me de r�pression, et enfin tout � fait par besoin d'autorit� et par habitude de violence. Si je pleurais, j'�tais battue plus fort; si j'avais eu le malheur de crier, je crois qu'elle m'aurait tu�e, car lorsqu'elle �tait dans le paroxysme de la col�re, elle ne se connaissait plus. {CL 450} Chaque jour l'impunit� la rendait plus rude et plus cruelle, et en cela elle abusa �trangement de ma bont�, car, si je ne la fis point chasser (ma grand'm�re ne lui e�t certes pas pardonn� d'avoir seulement lev� la main sur moi), ce fut uniquement parce que je l'aimais, en d�pit de son abominable humeur. Je suis ainsi faite, que je supporte longtemps, tr�s-longtemps ce qui est intol�rable. Il est vrai que quand ma patience est lass�e, je brise tout d'un coup et pour jamais.

Pourquoi aimais-je cette fille au point de me laisser opprimer et briser � chaque instant? C'est bien simple, c'est qu'elle aimait ma m�re, c'est qu'elle �tait encore la seule personne de chez nous qui me parl�t d'elle quelquefois, et qui ne m'en parl�t jamais qu'avec admiration et tendresse. Elle n'avait pas l'intelligence assez d�li�e pour voir jusqu'au fond de mon �me le chagrin qui me consumait et pour comprendre que mes distractions, mes {Lub 779} n�gligences, mes bouderies n'avaient pas d'autre cause: mais quand j'�tais malade elle me soignait avec une tendresse extr�me. Elle avait pour me d�sennuyer mille complaisances que je ne rencontrais point ailleurs; si je courais le moindre danger, elle m'en tirait avec une pr�sence d'esprit, un courage et une vigueur qui me rappelaient quelque chose de ma m�re. Elle se serait jet�e dans les flammes ou dans la mer pour me sauver; enfin, ce que je craignais plus que tout, les reproches de ma grand'm�re, elle ne m'y exposa jamais, elle m'en pr�serva toujours. Elle e�t menti au besoin pour m'�pargner son bl�me, et quand mes l�g�res fautes m'avaient plac�e dans l'alternative d'�tre battue par ma bonne ou grond�e par ma grand'm�re, je pr�f�rais de beaucoup �tre battue.

Pourtant ces coups m'offensaient profond�ment. Ceux de ma m�re ne m'avaient jamais fait d'autre mal et d'autre peine que le chagrin de la voir f�ch�e contre moi. Il y {CL 451} avait longtemps d'ailleurs qu'elle avait cess� enti�rement ce genre de correction, qu'elle pensait n'�tre applicable qu'� la premi�re enfance. Rose, proc�dant au rebours, adoptait ce syst�me � un �ge de ma vie o� il pouvait m'humilier et m'avilir. S'il ne me rendit point l�che, c'est que Dieu m'avait donn� un instinct tr�s-juste de la v�ritable dignit� humaine. Sous ce rapport, je le remercie de grand cœur de tout ce que j'ai support� et souffert. J'ai appris de bonne heure � m�priser l'injure et le dommage que je ne m�rite pas. J'avais vis-�-vis de Rose un profond sentiment de mon innocence et de son injustice, car je n'ai jamais eu aucun vice, aucun travers qui ait pu motiver ses indignations et ses emportements. Tous mes torts �taient involontaires et si l�gers que je ne comprendrais pas ses fureurs aujourd'hui, si je ne me rappelais qu'elle �tait rousse, et qu'elle avait le sang si chaud qu'en plein hiver elle �tait v�tue d'une robe d'indienne et dormait la fen�tre ouverte.

Je m'habituai donc � l'humiliation de mon esclavage, et j'y trouvai l'aliment d'une sorte de sto�cisme naturel dont j'avais peut-�tre besoin pour pouvoir vivre avec une sensibilit� de cœur trop surexcit�e. J'appris de moi-m�me � me roidir contre le malheur, et, � cet �gard, j'�tais assez encourag�e par mon fr�re, qui, dans nos escapades, me disait en riant: Ce soir, nous serons battus. Lui, horriblement battu par Deschartres, prenait son {780} parti avec un m�lange de haine et d'insouciance. Il se trouvait veng� h par la satire; moi, je trouvais ma vengeance dans mon h�ro�sme et dans le pardon que j'accordais � ma bonne. Je me guindais m�me un peu pour me rehausser vis-�-vis de moi-m�me dans cette lutte de la force morale contre la force brutale, et lorsqu'un coup de poing sur la t�te m'�branlait les nerfs et remplissait mes yeux de larmes, je me cachais pour les essuyer.

J'aurais rougi de les laisser voir. J'aurai pourtant i mieux fait de crier et de sangloter. {CL 452} Rose �tait bonne, elle e�t eu des remords si elle se f�t avis�e qu'elle me faisait du mal. Mais peut-�tre bien aussi n'avait-elle pas conscience de ses voies de fait, tant elle �tait imp�tueuse et irr�fl�chie. Un jour qu'elle m'apprenait � marquer mes bas, et que je prenais trois mailles au lieu de deux avec mon aiguille, elle m'appliqua un furieux soufflet. « Tu aurais d�, lui dis-je froidement, �ter ton d� pour me frapper la figure; quelque jour tu me casseras les dents. » Elle me regarda avec un �tonnement sinc�re, elle regarda son d� et la marque qu'il avait laiss�e sur ma joue. Elle ne pouvait croire que ce f�t elle qui, � l'instant m�me, venait de me faire cette marque-l�. Quelquefois elle me mena�ait d'une grande tape aussit�t apr�s me l'avoir donn�e, � son insu apparemment.

Je ne reviendrai plus sur cet insipide sujet; qu'il me suffise de dire que pendant trois ou quatre ans je ne passai gu�re de jour sans recevoir, � l'improviste, quelque horion qui ne me {Presse 11/3/1855 2} faisait pas toujours grand mal, mais qui chaque fois me causait un saisissement cruel et me replongeait, moi nature confiante et tendre, dans un roidissement de tout mon �tre moral. Il n'y avait peut-�tre pas de quoi, �tant aim�e quand m�me, me persuader que j'�tais malheureuse, d'autant plus que je pouvais faire cesser cet �tat de choses et que je ne le voulus jamais. Mais que je fusse fond�e ou non � me plaindre de mon sort, je me sentis, je me trouvai malheureuse, et c'�tait l'�tre en r�alit�. Je m'habituais m�me � go�ter une sorte d'am�re satisfaction � protester int�rieurement et � toute heure contre cette destin�e j, � m'obstiner de plus en plus � n'aimer qu'un �tre absent et qui semblait m'abandonner � ma mis�re, � refuser � ma bonne maman l'�lan de mon cœur k et de mes pens�es, � critiquer en {Lub 781} moi-m�me l'�ducation que je recevais et dont je lui laissais volontairement ignorer les d�boires, enfin � me regarder comme un pauvre �tre {CL 453} exceptionnellement vou� � l'esclavage, � l'injustice, � l'ennui et � d'�ternels regrets.

Qu'on ne me demande donc plus pourquoi, pouvant me targuer d'une esp�ce d'aristocratie de naissance et priser les jouissances d'un certain bien-�tre, j'ai toujours port� ma sollicitude et ma sympathie famili�re, mon intimit� de cœur, si je puis ainsi dire, vers les opprim�s. Cette tendance l s'est faite en moi par la force des choses, par la pression des circonstances ext�rieures, bien longtemps avant que l'�tude de la v�rit� et le raisonnement de la conscience m'en eussent fait un devoir. Je n'y ai donc aucune gloire, et ceux qui pensent comme moi ne doivent pas plus m'en faire un m�rite que ceux qui pensent autrement ne sont fond�s � m'en faire un reproche.

Ce qu'il y a de certain, ce que l'on ne contestera pas, de bonne foi, apr�s avoir m lu l'histoire de mon enfance, c'est que le choix de mes opinions n n'a point �t� un caprice, une fantaisie d'artiste, comme on l'a dit: il a �t� le r�sultat o in�vitable de mes premi�res douleurs, de mes plus saintes affections, de ma situation m�me dans la vie.

Ma grand'm�re, apr�s une courte r�sistance � l'entra�nement de sa caste, �tait devenue non pas royaliste, mais partisan de l'ancien r�gime, comme on disait alors. Elle s'�tait toujours fait une sorte de violence pour accepter, non pas l'usurpation heureuse de l'homme de g�nie, mais l'insolence des parvenus qui avaient partag� sa fortune sans l'avoir conquise aux m�mes titres. De nouveaux insolents arrivaient; mais elle n'�tait pas aussi choqu�e de leur arrogance, parce qu'elle l'avait d�j� connue, et que d'ailleurs mon p�re n'�tait plus l� avec ses instincts r�publicains pour lui en montrer le ridicule.

Il faut dire aussi qu'apr�s la longue tension du r�gne grandiose et absolu de l'empereur, l'esp�ce de d�sordre anarchique qui suivit imm�diatement la Restauration avait {CL 454} quelque chose de nouveau qui ressemblait � la libert� dans les provinces. Les lib�raux parlaient beaucoup, et on r�vait une sorte d'�tat politique et moral jusqu'alors inconnu en France, l'�tat constitutionnel, dont personne ne se faisait une id�e juste et que nous n'avons {Lub 782} connu qu'en paroles; une royaut� sans pouvoirs absolus, un laisser-aller de l'opinion et du langage en tout ce qui touchait aux institutions �branl�es et repl�tr�es � la surface. Il r�gnait sous ce rapport beaucoup de tol�rance dans un certain milieu bourgeois que ma grand'm�re e�t volontiers �cout� de pr�f�rence � son vieux c�nacle. Mais ces dames (comme disait mon p�re) ne lui permirent gu�re de raisonner. Elles avaient l'intol�rance de la passion. Elles vouaient � la haine la plus tenace et la plus �troite tout ce qui osait regretter le Corse, sans songer que la veille encore elles avaient fray� sans r�pugnance avec son cort�ge. Jamais on n'a vu tant de petitesses, tant de comm�rages, tant d'accusations, tant d'aversions, tant de d�nonciations.

Heureusement nous �tions loin des foyers de l'intrigue. Les lettres que recevait ma grand'm�re nous en apportaient seulement un reflet, et Deschartres se livrait � des d�clamations souverainement absurdes contre le tyran, auquel il n'accordait pas m�me une intelligence ordinaire. Quant � moi, j'entendais dire tant de choses que je ne savais plus que penser. L'empereur Alexandre �tait le grand l�gislateur, le philosophe des temps modernes, le nouveau Fr�d�ric le Grand, l'homme de g�nie par excellence. On envoyait son portrait � ma grand'm�re et elle me le donnait � encadrer. Sa figure, que j'examinai avec grande attention, puisqu'on disait que Bonaparte p n'�tait qu'un petit gar�on aupr�s de lui, ne me toucha point. Il avait la t�te lourde, la face molle, le regard faux, le sourire niais. Je ne l'ai jamais vu qu'en peinture, mais je pr�sume que parmi tant de portraits r�pandus alors en France � profusion, {CL 455} quelques-uns ressemblaient. Aucun ne m'inspira de sympathie, et malgr� moi je me rappelais toujours les beaux yeux clairs de mon empereur qui s'�taient une fois attach�s sur les miens dans un temps o� l'on me disait que cela me porterait bonheur.

Mais voil� que tout � coup, dans les premiers jours de mars, la nouvelle nous arrive qu'il est d�barqu�, qu'il marche sur Paris. Je ne sais si elle nous vint de Paris ou du midi; mais ma grand'm�re ne partagea pas la confiance q de ces dames, qui �crivaient: « R�jouissons-nous. Cette fois on le pendra, ou tout au moins on l'enfermera dans une cage de fer. » Ma bonne maman jugea tout autrement, et nous dit r: « Ces Bourbons sont {Lub 783} incapables, et Bonaparte va les chasser pour toujours. C'est leur destin�e d'�tre dupes; comment peuvent-ils croire que tous ces g�n�raux qui ont trahi leur ma�tre ne vont pas les trahir maintenant pour retourner � lui? Dieu veuille que tout cela n'am�ne pas de terribles repr�sailles et que Bonaparte ne les traite pas comme il a trait� le duc d'Enghien! »

Quant � moi, je n'ai pas grand souvenir de ce qui se passa � Nohant durant les cent jours. J'�tais absorb�e dans de longues r�veries o� je ne voyais pas clair. J'�tais ennuy�e d'entendre toujours parler politique, et tous ces brusques revirements de l'opinion �taient inexplicables pour ma jeune logique. Je voyais tout le monde chang� et transform� du jour au lendemain. Nos provinciaux et nos paysans s'�taient trouv�s royalistes tout d'un coup sans que je susse pourquoi. O� �taient ces bienfaits des Bourbons tant annonc�s et tant vant�s?

Chaque jour nous apportait vaguement la nouvelle de l'entr�e triomphante de Napol�on dans toutes les villes qu'il traversait, et voil� que beaucoup de gens redevenaient bonapartistes qui avaient cri�: À bas le tyran! et tra�n� le drapeau tricolore dans la boue. Je ne comprenais pas {CL 456} assez tout cela pour en �tre indign�e, mais j'�prouvais comme un d�go�t involontaire et comme un ennui d'�tre au monde. Il me semblait que tout le monde �tait fou, et je revenais � mon r�ve de la campagne de Russie et de la campagne de France. Je retrouvais mes ailes et je m'en allais au-devant de l'empereur pour lui demander compte de tout le mal et de tout le bien qu'on disait de lui.

Une fois je songeai que je l'emportais � travers l'espace et que je le d�posais sur la coupole des tuileries. L� j'avais un long entretien avec lui, je lui faisais mille questions et lui disais: « Si tu me prouves par tes r�ponses que tu es, comme on le dit, un monstre, un ambitieux, un buveur de sang, je vais te pr�cipiter en bas et te briser sur le seuil de ton palais; mais si tu te justifies, si tu es ce que j'ai cru, le bon, le grand, le juste empereur, le p�re des fran�ais, je te reporterai sur ton tr�ne, et avec mon �p�e de feu je te d�fendrai de tes ennemis. » Il m'ouvrit alors son cœur et m'avoua qu'il avait commis beaucoup de fautes par un trop grand amour de la gloire, {Lub 784} mais il me jura qu'il aimait la France et que d�sormais il ne songerait plus qu'� faire le bonheur du peuple, sur quoi je le touchai de mon �p�e de feu qui devait le rendre invuln�rable.

Il est fort �trange que je fisse ces r�ves tout �veill�e, et souvent en apprenant machinalement des vers de Corneille ou de Racine que je devais r�citer � ma le�on. C'�tait une esp�ce d'hallucination, et j'ai remarqu� depuis que beaucoup de petites filles, lorsqu'elles approchent d'une certaine crise de d�veloppement physique, sont sujettes � des extases ou � des visions encore plus bizarres. Je ne me rappellerais probablement pas les miennes si elles n'avaient pris obstin�ment la m�me forme pendant quelques ann�es cons�cutives; et si elles ne s'�taient pas fix�es sur l'empereur et sur la grande arm�e, il me serait impossible d'expliquer pourquoi. Certes j'avais des pr�occupations plus {CL 457} personnelles et plus vives, et mon imagination e�t d� ne me pr�senter que le fant�me de ma m�re dans l'esp�ce d'Éden qu'elle m'avait fait envisager un instant, et auquel j'aspirais sans cesse. Il n'en fut rien pourtant, je pensais � elle � toute heure et je ne la voyais jamais; au lieu que cette p�le figure de l'empereur que je n'avais vue qu'un instant se dessinait toujours devant moi et devenait vivante et parlante sit�t que j'entendais prononcer son nom. s

Pour n'y plus revenir, je dirai que, lorsque le Bell�rophon l'emporta � Sainte-H�l�ne, je fis chavirer le navire en le poussant avec mon �p�e de feu; je noyai tous les Anglais qui s'y trouvaient, et j'emportai une fois encore l'empereur aux Tuileries, apr�s lui avoir bien fait promettre qu'il ne ferait plus la guerre pour son plaisir. Ce qu'il y a de particulier dans ces visions, c'est que je n'y �tais point moi-m�me, mais une sorte de g�nie tout-puissant, l'ange du seigneur, la destin�e, la f�e de la France, tout ce qu'on voudra, except� la petite fille de onze ans qui �tudiait sa le�on ou arrosait son petit jardin pendant les promenades a�riennes de son moi fantastique.

Je n'ai rapport� ceci que comme un fait physiologique. Ce n'�tait t pas le r�sultat d'une exaltation de l'�me ni d'un engouement politique, car cela se produisait en moi dans mes pires moments de langueur, de froideur et d'ennui, et souvent apr�s avoir �cout� sans int�r�t et {Lub 785} comme malgr� moi ce qui se disait � propos de la politique. Je n'ajoutais aucune foi, u aucune superstition � mon r�ve, je ne le pris jamais au s�rieux, je n'en parlai jamais � personne. Il me fatiguait, et je ne le cherchais pas. Il s'emparait de moi par un travail de mon cerveau tout � fait impr�vu et ind�pendant de ma volont�.

Le s�jour des ennemis v � Paris y rendait l'existence odieuse et insupportable aux personnes en qui le fanatisme de la royaut� n'avait pas �touff� l'amour et le respect de la patrie. {CL 458} Ma m�re confia Caroline � ma tante et vint passer l'�t� � Nohant. Il y avait sept ou huit mois que je ne l'avais vue, et je laisse � penser quels furent mes transports. Avec elle d'ailleurs ma vie �tait transform�e, Rose perdait son autorit� sur moi et se reposait volontiers de ses fureurs. J'avais �t� plus d'une fois tent�e de me plaindre � ma m�re, aussit�t qu'elle arriverait, des mauvais traitements que me faisait essuyer cette fille; mais comme, dans sa sinc�rit� de cœur, elle ne se rendait pas compte � elle-m�me de ses torts envers moi, comme, au lieu de redouter son arriv�e, elle se r�jouissait de toute son �me de voir madame Maurice, comme elle pr�parait sa chambre avec sollicitude, comme elle comptait les jours et les heures avec moi, comme elle l'aimait enfin, je lui pardonnai tout, et non-seulement je ne trahis pas le secret de ses violences, mais encore j'eus le courage de les nier, lorsque ma m�re en eut quelque soup�on. Je me rappelle qu'un jour ces soup�ons s'aggrav�rent et que j'eus un certain m�rite � les effacer.

Mon fr�re avait imagin� de faire de la glu pour prendre les oiseaux. Je ne sais si c'est dans le grand ou le petit Albert, ou dans notre vieux manuel de diablerie qu'il en avait trouv� la recette. Il s'agissait tout bonnement de piler du gui de ch�ne. Nous ne r�uss�mes point � faire de la glu, mais bien � barbouiller notre visage, nos mains et nos v�tements d'une p�te verte d'un ton fort �quivoque. Ma m�re travaillait pr�s de nous dans le jardin, assez distraite, suivant sa coutume, et ne songeant pas m�me � se pr�server des �claboussures de notre baquet. Tout � coup je vis venir Rose au bout de l'all�e et mon premier mouvement fut de me sauver. « Qu'a-t-elle donc? » dit ma m�re � Hippolyte en sortant de sa r�verie et en me regardant courir. Mon fr�re, qui n'a jamais aim� � se faire des ennemis, r�pondit qu'il n'en {Lub 786} savait rien: mais ma m�re �tait m�fiante, elle {CL 459} me rappela, et interpellant Rose en ma pr�sence: « Ce n'est pas la premi�re fois, lui dit-elle, que je remarque combien la petite a peur de toi. Je crois que tu la brutalises. — Mais, dit la rousse indign�e de me voir si salie et si tach�e, voyez comme elle est faite! N'y a-t-il pas de quoi perdre patience quand il faut passer sa vie � laver et � raccommoder ses nippes. — Ah �a, dit ma m�re d'un ton brusque, t'imagines-tu, par hasard, que je t'ai fait entrer ici pour faire autre chose que laver et raccommoder des nippes? Crois-tu que c'est pour toucher une rente et lire Voltaire w comme Mademoiselle Julie? Ôte-toi cela de l'esprit, lave, raccommode, laisse courir, jouer et grandir mon enfant, c'est comme cela que je l'entends et pas autrement. »

Aussit�t que ma m�re fut seule avec moi, elle me pressa de questions. « Je te vois trembler et p�lir quand elle te fait les gros yeux, me dit-elle; elle te gronde donc bien fort? — Oui, r�pondis-je, elle me gronde trop fort. — Mais j'esp�re, reprit ma m�re, qu'elle n'a jamais eu le malheur de te donner une chiquenaude, car je la ferais chasser d�s ce soir! » L'id�e de faire renvoyer cette pauvre fille qui m'aimait tant malgr� ses emportements, fit rentrer x au fond de mon cœur l'aveu que j'allais faire. Je gardai le silence. Ma m�re insista vivement. Je vis qu'il fallait mentir, mentir pour la premi�re fois de ma vie et mentir � ma m�re! Mon cœur fit taire ma conscience. Je mentis, et ma m�re, toujours soup�onneuse, n'attribuant ma discr�tion qu'� la crainte, mit ma g�n�rosit� � une rude �preuve en me faisant affirmer plusieurs fois que je lui disais la v�rit�. Je n'en eus point de remords, je l'avoue. Mon mensonge ne pouvait nuire qu'� moi.

À la fin, elle me crut. Rose ne sut pas ce que j'avais fait pour elle. Tenue en respect par la pr�sence de ma m�re, elle se radoucit: mais par la suite, quand nous {CL 460} nous retrouv�mes ensemble, elle me fit payer cher la b�tise de mon cœur. J'eus la fiert� de ne pas la lui dire, et, comme de coutume, je subis en silence l'oppression et les outrages.

Un spectacle imposant et plein d'�motions vint m'arracher au sentiment de ma propre existence pendant une partie de l'�t� que ma m�re passa avec moi en 1815. Ce fut le passage et le licenciement de l'arm�e de la Loire.

{Lub 787} On sait qu'apr�s s'�tre servi de Davoust pour tromper cette noble arm�e, apr�s lui avoir promis amnistie compl�te, le roi publiait, le 24 juillet, une ordonnance qui traduisait devant les conseils de guerre Ney, Lab�doy�re et dix-neuf autres noms chers � l'arm�e et � la France. Trente-huit autres �taient condamn�s au bannissement. Le prince d'Eckm�hl avait donn� sa d�mission, sa position de g�n�ralissime � l'arm�e de la Loire n'�tant plus soutenable. La Restauration s'appr�tait � le d�dommager de sa soumission, elle lui donna pour successeur Macdonald, lequel fut charg� d'op�rer en douceur le licenciement. Il transf�ra � Bourges le quartier g�n�ral de l'arm�e. « Deux ordres, en date des 1er et 2 ao�t, firent conna�tre ce double changement aux troupes. Macdonald, dans ces deux ordres, ne pronon�ait pas encore le mot de licenciement. Il se bornait � annoncer que, pour soulager les habitants du fardeau des logements militaires, il allait �tendre l'arm�e. Cette mesure fut le commencement de la dissolution: on disloqua les brigades et les divisions; les r�giments d'un m�me corps ou d'une m�me arme se trouv�rent dispers�s � de grandes distances les uns des autres; on �parpilla jusqu'aux bataillons ou aux escadrons de certains r�giments. Une fois tous les rapports bris�s, l'ordonnance pour la r�organisation de l'arm�e fut rendue publique (le 12 ao�t), et l'on proc�da au {CL 461} licenciement, mais par d�tachements, par r�giments, de mani�re � diviser les r�clamations, � isoler les murmures et les r�sistances. » (Achille de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations).

C'est ainsi que nous assist�mes � des sc�nes de d�tail qui me firent enfin comprendre peu � peu ce qui se passait en France. Jusque-l� j'avoue que je ne pouvais gu�re d�m�ler le vrai sentiment national de l'esprit de parti. J'avais presque frayeur y des instincts bonapartistes qui se r�veillaient en moi z quand j'entendais maudire, conspuer, calomnier et avilir tout ce que j'avais vu respecter et redouter aa la veille. Ma m�re, aussi enfant que moi, n'avait pas attendu le retour des vieilles comtesses pour railler et d�tester l'ancien r�gime; mais elle n'avait de parti pris sur rien et ne savait quoi r�pondre � ma bonne maman quand celle-ci, faisant le proc�s aux ambitieux et aux conqu�rants grands tueurs d'hommes, lui disait qu'une monarchie temp�r�e par des institutions lib�rales, {Lub 788} un syst�me de paix durable, le retour du bien-�tre, de la libert� individuelle, de l'industrie, des arts et des lettres, vaudraient mieux � la France que le r�gne du sabre. « N'avons-nous pas assez maudit la guerre, vous et moi, du temps de notre pauvre Maurice? lui disait-elle; maintenant nous payons les violons de toute cette gloire imp�riale. Mais laissez passer cette premi�re col�re de l'Europe contre nous, et vous verrez que nous entrerons dans une �re de calme et de s�curit� heureuse sous ces Bourbons que je n'aime pas beaucoup plus que vous, mais qui nous sont le gage d'un meilleur avenir. Sans eux notre nationalit� �tait perdue. Bonaparte l'avait s�rieusement compromise en voulant trop l'�tendre. Si un parti royaliste ne s'�tait pas form� pour h�ter sa chute, voyez ce que nous deviendrions aujourd'hui apr�s le d�sastre de nos arm�es! La France e�t �t� d�membr�e, nous serions Prussiens, Anglais ou Allemands. »

{CL 462} Ainsi raisonnait ma grand'm�re, n'admettant pas une chose que je crois pourtant fort certaine, c'est que si un parti royaliste ne se f�t pas form� pour vendre et trahir le pays, l'univers r�uni contre nous n'e�t pu vaincre l'arm�e fran�aise. Ma m�re, qui volontiers reconnaissait la sup�riorit� de sa belle-m�re, se laissait tout doucement persuader, et moi par cons�quent avec elle. J'�tais donc comme d�sillusionn�e de l'Empire et comme r�sign�e � la Restauration, lorsque, par un ardent soleil d'�t�, nous v�mes reluire sur tous les versants de la vall�e Noire les glorieuses armes de Waterloo. Ce fut un r�giment de lanciers d�cim� par ce grand d�sastre qui le premier vint occuper nos campagnes. Le g�n�ral Colbert �tablit � Nohant son quartier g�n�ral. Le g�n�ral Subervie ab occupa le ch�teau d'Ars, situ� � une demi-lieue. Tous les jours, ces g�n�raux, leurs aides de camp et une douzaine d'officiers principaux d�naient ou d�jeunaient chez nous. Le g�n�ral Subervie �tait alors un joli gar�on tr�s-galant avec les dames, enjou�, et m�me taquin avec les enfants. Comme, par sa faute, je m'�tais un peu trop familiaris�e avec lui et qu'il m'avait tir� les oreilles un peu fort en jouant, je me vengeai, un jour, par une espi�glerie dont je ne sentais gu�re la port�e. Je d�coupai une jolie cocarde en papier blanc, et je l'attachai avec une �pingle sur la cocarde {Lub 789} tricolore de son chapeau, sans qu'il s'en aper��t. Toute l'arm�e portait encore les couleurs de l'Empire, et l'ordre de les faire dispara�tre n'arriva que quelques jours plus tard. Il alla donc � La Ch�tre avec cette cocarde et s'�tonna de voir les regards des officiers et des soldats qu'il rencontrait se fixer sur lui avec stupeur. Enfin, je ne sais plus quel officier lui demanda l'explication de cette cocarde blanche, � quoi il ne comprit rien, et �tant son chapeau et jetant la cocarde blanche au diable, il me donna � tous les diables par-dessus le march�.

{CL 463} J'ai revu ce bon g�n�ral Subervie pour la premi�re fois depuis ce temps-l�, en 1848, � l'h�tel de ville, quelques jours apr�s la r�volution et lorsqu'il venait d'accepter le portefeuille de la guerre. Il n'avait oubli� aucune des circonstances de son passage � Nohant en 1815, et il me reprocha ma cocarde blanche, comme je lui reprochai de m'avoir tir� les oreilles.

Quelques jours plus tard, en 1815, je ne lui aurais certainement pas fait cette mauvaise plaisanterie, car mon court essai de royalisme fut abjur� dans mon cœur, et voici � quelle occasion.

On voyait au premier ac mot de ma grand'm�re, et rien qu'� son grand air et � son costume surann�, qu'elle appartenait au parti royaliste. On supposait m�me chez elle plus d'attachement � ce parti qu'il n'en existait r�ellement au fond de sa pens�e. Mais elle �tait fille du mar�chal de Saxe, elle avait eu un brave fils au service, elle �tait pleine de gr�ces hospitali�res et de d�licates attentions pour ces brigands de la Loire en qui elle ne pouvait voir autre chose que de vaillants et g�n�reux hommes, les fr�res d'armes de son fils (quelques-uns m�me l'avaient connu, et je crois que le g�n�ral Colbert �tait du nombre); en outre, ma grand'm�re inspirait le respect, et un respect tendre, � quiconque avait un bon sentiment dans l'�me. Ces officiers qu'elle recevait si {Presse 12/3/1855 2} bien s'abstenaient donc de dire devant elle un seul mot qui p�t blesser les opinions qu'elle �tait cens�e avoir; comme, de son c�t�, elle s'abstenait de prononcer une parole, de rappeler un fait qui p�t aigrir leur respectable infortune. Voil� pourquoi je vis ces officiers pendant plusieurs jours sans qu'aucune �motion nouvelle change�t la disposition de mon esprit; mais un jour que nous �tions par exception en petit comit� � d�ner, Deschartres, qui ne savait pas retenir{Lub 790} sa langue, excita un peu le g�n�ral Colbert. Alphonse Colbert, descendant du {CL 464} grand Colbert, �tait un homme d'environ quarante ans, un peu replet et sanguin. Il avait des mani�res excellentes, des talents agr�ables; il chantait des romances champ�tres en s'accompagnant au piano; il �tait plein de petits soins pour ma grand'm�re qui le trouvait charmant, et ma m�re disait tout bas que, pour un militaire, elle le trouvait trop � l'eau de rose.

Je ne saurais dire si ce jour-l� m�me l'ordonnance de la dislocation de l'arm�e n'�tait pas arriv�e de Bourges. Que ce f�t cette cause ou les maladroites r�flexions de Deschartres, le g�n�ral s'anima. Ses yeux ronds et noirs commenc�rent � lancer des flammes, ses joues se color�rent, l'indignation et la douleur trop longtemps contenues s'�panch�rent, et il parla avec une v�ritable �nergie: « Non! Nous n'avons pas �t� vaincus, s'�cria-t-il, nous avons �t� trahis, et nous le sommes encore. Si nous ne l'�tions pas, si nous pouvions compter sur tous nos officiers, je vous r�ponds que nos braves soldats feraient bien voir encore � messieurs les prussiens et � messieurs les cosaques que la France n'est pas une proie qu'ils puissent impun�ment d�vorer! » Il parla avec feu de l'honneur fran�ais, de la honte de subir un roi impos� par l'�tranger, et il peignit cette honte avec tant d'�me, que je sentis la mienne se ranimer, comme le jour o� j'avais entendu, en 1814, un enfant de treize ou quatorze ans parler de prendre un grand sabre pour d�fendre sa patrie.

Ma grand'm�re, voyant que le g�n�ral s'exaltait de plus en plus, voulut le calmer et lui dit que le soldat �tait �puis�, que le peuple ne voulait plus que le repos. « Le peuple! S'�cria-t-il, ah! Vous ne le connaissez pas. Le peuple! Son vœu et sa v�ritable pens�e ne se font pas jour dans vos ch�teaux. Il est prudent devant ces vieux seigneurs ad qui reviennent et dont il se d�fie; mais nous autres soldats nous connaissons ses sympathies, ses regrets, et, {CL 465} voyez-vous, ne croyez pas que la partie soit si bien gagn�e! On veut nous licencier parce que nous sommes la derni�re force, le dernier espoir de la patrie: mais il ne tient qu'� nous de repousser cet ordre comme un acte de trahison et comme une injure. Pardieu! Ce pays-ci est excellent pour une guerre de partisans, et je ne sais pas pourquoi nous n'y organisons pas le noyau {Lub 791} d'une Vend�e patriotique. Ah! Le peuple, ah! Les paysans! dit-il en se levant et en brandissant son couteau de table, vous allez les voir se joindre � nous! Vous verrez comme ils viendront avec leurs faux, et leurs fourches, et leurs vieux fusils rouill�s! On peut tenir six mois dans vos chemins creux et derri�re vos grandes haies. Pendant ce temps, la France se l�vera sur tous les points; et d'ailleurs, si nous sommes abandonn�s, mieux vaut mourir avec gloire et en se d�fendant que d'aller tendre la gorge aux ennemis. Nous sommes encore un bon nombre � qui il ne faudrait qu'un mot pour relever l'�tendard de la nation et c'est peut-�tre � moi de donner l'exemple! »

Deschartres ne disait plus rien. Ma grand'm�re prit le bras du g�n�ral, lui �ta le couteau des mains, le for�a � se rasseoir, et cela d'une fa�on si tendre et si maternelle qu'il en fut �mu. Il prit les deux mains de la vieille dame, les couvrit de baisers, et lui demandant pardon de l'avoir effray�e, la douleur reprit le dessus sur la col�re, et il fondit en larmes, les premi�res peut-�tre qui eussent soulag� son cœur ulc�r� depuis Waterloo.

Nous pleurions tous, sauf Deschartres, qui cependant n'insistait plus pour avoir raison et � qui un certain respect devant le malheur fermait enfin la bouche. Ma grand'm�re emmena le g�n�ral au salon. « Mon cher g�n�ral au nom du ciel, lui dit-elle, soulagez-vous, pleurez, mais ne dites jamais devant personne des choses comme il vient de vous en �chapper. Je suis s�re autant qu'on peut l'�tre {CL 466} de ma famille, de mes h�tes et de mes domestiques; mais, voyez-vous, dans le temps o� nous sommes et lorsqu'une partie de vos compagnons est forc�e de fuir pour �chapper peut-�tre � une sentence de mort, c'est jouer votre t�te que de vous abandonner ainsi � votre d�sespoir.

— Vous me conseillez la prudence, ch�re madame, lui dit-il, mais ce n'est pas la prudence, c'est la t�m�rit� que vous devriez me conseiller. Vous croyez donc que je ne parle pas s�rieusement, et que je veux accepter le licenciement honteux que les ennemis nous imposent! C'est un second Waterloo, moins l'honneur, auquel on nous pousse. Un peu d'audace nous sauverait!

— La guerre civile! s'�cria ma grand'm�re: vous voulez rallumer la guerre civile en France! Vous idol�tres {Lub 792} de ce m�me Napol�on qui du moins n'a pas voulu imprimer cette tache � son nom et qui a sacrifi� son orgueil devant l'horreur d'un pareil exp�dient! Sachez que je ne l'ai jamais aim�, mais que pourtant j'ai eu de l'admiration pour lui un jour en ma vie. C'est le jour o� il a abdiqu� plut�t que d'armer les fran�ais les uns contre les autres. Lui-m�me d�savouerait aujourd'hui votre tentative. Soyez donc fid�les � son souvenir en suivant le noble exemple qu'il vous a donn�. »

Soit que ces raisons fissent impression sur l'esprit du g�n�ral, soit que ses propres ae r�flexions fussent conformes, quant au fond, � celles de ma grand'm�re, il se calma, et plus tard il a repris du service sous les Bourbons. Mais pour tous ceux que la loyaut� et la douleur avaient accompagn�s comme lui derri�re la Loire, il n'y a rien eu que de tr�s-l�gitime � poursuivre leur carri�re militaire, lorsqu'ils l'ont pu sans s'abaisser sous un autre r�gime.

On a vu dans ce que j'ai cit� de l'histoire de M. de Vaulabelle que l'ordre du licenciement fut d�guis� sous diverses ordonnances de dislocation partielle. Un soir, la {CL 467} petite place de Nohant et les chemins qui y aboutissent virent une foule compacte de cavaliers encore superbes de tenue venir recevoir les ordres af du g�n�ral Colbert. Ce fut l'affaire d'un instant. Muets et sombres, ils se divis�rent et s'�loign�rent dans des directions diverses.

Le g�n�ral et son �tat-major parurent r�sign�s. L'id�e d'une Vend�e patriotique n'�tait pourtant pas �close isol�ment dans la t�te de M. de Colbert. Elle avait parcouru les rangs fr�missants de l'arm�e de la Loire; mais on sait maintenant qu'il y avait l� une intrigue du parti d'Orl�ans � laquelle ils eurent raison de ne point se fier.

Un matin, pendant que nous d�jeunions avec plusieurs officiers de lanciers, on parla du colonel du r�giment, tomb� sur le champ de bataille de Waterloo. « Ce brave colonel Sourd, disait-on, quelle perte pour ses amis et quelle douleur pour tous les hommes qu'il commandait! C'�tait un h�ros � la guerre et un homme excellent dans l'intimit�.

— Et vous ne savez ce qu'il est devenu? dit ma grand'm�re. — Il �tait cribl� de blessures et il avait un bras fracass� par un boulet, r�pondit le g�n�ral. On a pu l'emporter � l'ambulance; il a encore v�cu apr�s {Lub 793} l'�v�nement, on esp�rait le sauver; mais depuis longtemps nous n'avons plus de ses nouvelles et tout porte � croire qu'il n'est plus. Un autre a pris le commandement du r�giment. Pauvre Sourd! Je te regretterai toute ma vie! »

Comme il disait ces mots, la porte s'ouvre. Un officier mutil�, la manche vide et relev�e dans la boutonni�re, la figure travers�e de larges bandes de taffetas d'Angleterre qui cachaient d'effroyables cicatrices, para�t et s'�lance vers ses compagnons. Tous se l�vent, un cri s'�chappe de toutes les poitrines; on se pr�cipite sur lui, on l'embrasse, on le presse, on l'interroge, on pleure, et le colonel Sourd ach�ve avec nous ce d�jeuner qui avait commenc� par son �loge fun�bre.

{CL 468} Le lieutenant-colonel F�roussat ag 2, qui avait command� le r�giment en son absence, fut heureux de lui rendre son autorit�, et Sourd voulut �tre licenci� � la t�te de son r�giment, qui le revit avec des transports impossibles � d�crire.

Je dois ici un souvenir � M. P�tiet, aide de camp du g�n�ral Colbert, qui fut pour moi d'une bont� vraiment paternelle, toujours occup� de jouer avec moi comme un excellent enfant qu'il �tait encore, malgr� son grade et ses ann�es de service qui commen�aient d�j� � compter. Il n'avait gu�re que trente ans, mais il avait �t� page de l'imp�ratrice et il �tait entr� dans l'arm�e ah de fort bonne heure. Il avait conserv� la gaiet� et l'espi�glerie d'un page; mon fr�re et moi nous l'adorions et nous ne le laissions pas un instant en repos. Il est maintenant g�n�ral*. ai 3

* Le baron P�tiet me prie de rectifier des erreurs de m�moire qui le concernent. Je l'ai confondu avec son fr�re le g�n�ral, aujourd'hui d�put� au Corps l�gislatif. Celui qui �tait aide de camp et beau-fr�re du g�n�ral Colbert en 1815 n'avait alors que vingt et un ans; il avait �t� premier page de l'empereur, il avait fait campagne et comptait d�j� six blessures. Il a quitt� le service en 1830. (Note de 1855.) aj

Au bout d'une quinzaine de jours le g�n�ral Colbert, M. P�tiet, le g�n�ral Subervie et les autres officiers du corps qu'ils commandaient all�rent ailleurs, � Saint-Amand, si je ne me trompe. Ma grand'm�re aimait d�j� tant le g�n�ral Colbert qu'elle pleura son d�part. Il avait �t� excellent, en effet, parmi nous, et les nombreux {Lub 794} officiers sup�rieurs que nous e�mes successivement � loger pendant une partie de la saison nous laiss�rent tous des regrets. Mais � mesure que le licenciement s'op�rait, l'int�r�t devenait moins vif pour moi, du moins � l'�gard des officiers, qui commen�aient � prendre leur parti et � se pr�occuper de l'avenir plus que du pass�. Plusieurs m�me �taient d�j� tout ralli�s � la Restauration et avaient de nouveaux brevets dans leur poche. Ma grand'm�re voyait cela avec plaisir {CL 469} et leur faisait f�te. Mais ce {Presse 12/3/1855 3} royalisme de fra�che date r�pugnait encore � ma m�re, � moi par cons�quent, car je cherchais toujours mon impression dans ses yeux et mon avis sur ses l�vres.

Plus d'un lui fit la cour, car elle �tait encore charmante, et je crois qu'elle e�t pu facilement se remarier honorablement � cette �poque; mais elle n'en voulut pas entendre parler, et quoiqu'elle f�t entour�e d'hommages, jamais je ne vis moins de coquetterie et plus de r�serve qu'elle n'en montra.

C'�tait un spectacle imposant que ce continuel passage d'une arm�e encore superbe dans notre vall�e Noire. Le temps fut toujours clair et chaud. Tous les chemins �taient couverts de ces nobles phalanges qui d�filaient en bon ordre et dans un silence solennel. C'�tait la derni�re fois qu'on devait voir ces uniformes si beaux, si bien port�s, us�s par la victoire, comme on l'a dit depuis avec raison, ces belles figures bronz�es, ces fiers soldats si terribles dans les combats, si doux, si humains, si bien disciplin�s pendant la paix. Il n'y eut pas un seul acte de maraude ou de brutalit� � leur reprocher. Je ne vis jamais parmi eux un homme ivre, quoique chez nous le vin soit � bon march� et que le paysan le prodigue au soldat. Nous pouvions nous promener � toute heure sur les chemins, ma m�re et moi, comme en temps ordinaire, sans craindre la moindre insulte. Jamais on ne vit le malheur, la proscription, l'ingratitude et la calomnie support�s avec tant de patience et de dignit�, ce qui n'emp�cha pas qu'ils ne fussent nomm�s les brigands de la Loire.

Deschartres m�me jeta les hauts cris parce qu'un volume des Mille et une Nuits fut �gar�, et que quatre belles p�ches disparurent de l'espalier o� il les regardait m�rir; m�faits dont Hippolyte peut-�tre fut le seul {Lub 795} coupable. N'importe, Deschartres accusait les brigands, et il ne se calma que lorsque ma bonne maman lui dit avec un grand s�rieux: {CL 470} « Eh bien, Deschartres, quand vous �crirez l'histoire de ces temps-ci, vous n'oublierez pas un fait si grave. Vous direz: “ Une arm�e enti�re traversa Nohant et porta le ravage et la d�vastation sur un espalier o� l'on comptait quatre p�ches avant cette terrible �poque ”. »

Nous v�mes passer ak des r�giments de toutes armes, des chasseurs, des carabiniers, des dragons, des cuirassiers, de l'artillerie, et ces brillants mameluks avec leurs beaux chevaux et leur costume de th��tre, que j'avais vus � Madrid. Le r�giment de mon p�re passa aussi, et les officiers, dont plusieurs l'avaient connu, entr�rent dans la cour et demand�rent � saluer ma grand'm�re et ma m�re. Elles les re�urent en sanglotant, pr�tes � s'�vanouir. Un officier dont j'ai oubli� le nom s'�cria en me voyant: « Ah! Voil� sa fille. Il n'y a pas � se tromper � une pareille ressemblance. » Il me prit dans ses bras et m'embrassa en me disant: « Je vous ai vue toute petite en Espagne. Votre p�re �tait un brave militaire et bon comme un ange. »

Plus tard, � Paris, ayant plus de vingt ans, j'ai �t� abord�e sur le boulevard par un officier � demi-solde qui m'a demand� si je n'�tais pas la fille du pauvre Dupin, et, dans un restaurant, d'autres officiers qui d�naient � une autre table sont venus faire la m�me question aux personnes qui �taient avec moi. C'�taient de braves d�bris de notre belle arm�e, mais j'ai la m�moire des noms si peu certaine que je craindrais de me tromper en les citant. Dans toutes ces rencontres, j'ai toujours entendu faire de mon p�re les plus vifs et les plus tendres �loges.

J'ai dit que mon fr�re �tait grand observateur et critique judicieux pour son �ge. Il me faisait part de ses remarques, et nous remarqu�mes, en effet, que les r�conciliations du nouveau pouvoir avec l'arm�e s'op�raient toujours en commen�ant par les plus hauts grades. Ainsi, vers la fin du passage, les officiers sup�rieurs exhibaient avec satisfaction {CL 471} des �tendards fleurdelis�s, brod�s, disait-on, par la duchesse d'Angoul�me et qu'elle leur avait envoy�s en signe de bienveillance. Les officiers de moindre grade se montraient irr�solus ou sur la r�serve. Les sous-officiers et les soldats �taient tous {Lub 796} franchement et courageusement des bonapartistes, comme on disait alors, et quand vint l'ordre d�finitif de changer de drapeau et de cocarde, nous v�mes br�ler des aigles dont les cendres furent litt�ralement baign�es de larmes. Quelques-uns crach�rent sur la cocarde sans tache avant de la mettre � leur shako. Les officiers ralli�s avaient h�te de se s�parer de ces fid�les soldats et de prendre place dans l'arm�e r�organis�e sur de nouvelles bases et avec un autre personnel. Je pense bien qu'il y en eut beaucoup de tromp�s dans leurs esp�rances, et que les belles promesses � l'aide desquelles on leur avait fait op�rer sans bruit la dislocation n'aboutirent plus tard qu'� une maigre demi-solde.

Quand les derniers uniformes eurent disparu dans la poussi�re de nos routes, nous sent�mes tous une grande tristesse et une grande fatigue; � force de voir marcher, il nous avait sembl� avoir march� nous-m�mes. Nous avions assist� au convoi de la gloire, aux fun�railles de notre nationalit�. Ma grand'm�re avait eu des �motions douloureuses et profondes, des souvenirs raviv�s; ma m�re, en voyant tous ces jeunes et brillants officiers, avait senti plus que jamais qu'elle n'aimerait plus et que sa vie encore jeune et pleine s'�coulerait dans la solitude et les regrets. Deschartres avait la t�te bris�e d'avoir eu tous les jours des centaines de logements � distribuer et � discuter. Tous nos domestiques al �taient sur les dents pour avoir servi nuit et jour une quarantaine de personnes et de chevaux pendant deux mois. Les courtes finances de ma grand'm�re et sa cave s'en ressentaient, mais elle aimait � faire grandement les honneurs de chez elle et elle {CL 472} y avait mang� une ann�e de son revenu sans se plaindre.

À courir avec les soldats, mon fr�re avait pris la rage d'�tre militaire et il ne fallait plus gu�re lui parler d'�tudes. Quant � moi, qui avais �t� comme lui en r�cr�ation forc�e pendant tout ce temps, j'�tais accabl�e et bris�e de mon inaction, car, d�s mon plus jeune �ge, ne rien faire a toujours �t� pour moi la pire des fatigues.

N�anmoins j'eus beaucoup de peine � me remettre au travail. Le cerveau est un instrument qui se rouille et qui aurait besoin d'un exercice mod�r�, mais soutenu. La politique me devenait naus�abonde, Nohant n'�tait plus aussi recueilli et aussi intime que le pass�. Les autorit�s de la ville voisine avaient �t� remplac�es en {Lub 797} grande partie par des royalistes ardents qui venaient faire des visites officielles � ma grand'm�re, et l� on ne parlait que du tr�ne et de l'autel, et des nouvelles tentatives du parti des jacobins, et des nouvelles r�pressions paternelles de ce bon gouvernement qui envoyait � l'�chafaud Ney, Lab�doy�re et autres sc�l�rats. On faisait du z�le devant ma grand'm�re parce qu'on la croyait bien lanc�e dans le monde et influente. Le fait est qu'elle ne l'�tait ni ne se piquait de l'�tre. Elle avait pass� la seconde moiti� de sa vie dans une sorte de retraite qui ne lui avait laiss� que peu d'occasions d'�tre utile, et elle n'�tait pas charm�e de l'ancien r�gime autant qu'on se l'imaginait.

Pour moi, je n'�tais plus tent�e de me laisser prendre au royalisme. J'avais honte de passer pour en tenir par solidarit� de famille. Je trouvais ma m�re trop indiff�rente � tout cela, et je d�blaterais dans mon coin avec Hippolyte contre ce roi cotillon que les troupiers nous avaient enseign� � railler et � chansonner en cachette. Mais il fallait nous bien garder d'en rien laisser para�tre, Deschartres n'entendait pas raison sur ce chap�tre et Mademoiselle Julie n'avait pas coutume de garder pour elle ce qu'elle entendait.

{CL 473} Mon cousin Ren� de Villeneuve vint nous voir � l'automne. Il �tait parfaitement aimable, enjou�, sachant occuper agr�ablement les loisirs de la campagne, et pas du tout royaliste, quoiqu'il s�t m�nager les apparences. Ma grand'm�re lui parla de l'avenir de mon fr�re qui s'en allait avoir seize ans et qui ne tenait plus dans sa peau, tant il avait envie de quitter Deschartres et de commencer la vie, n'importe par quel bout. On lui avait enseign� les math�matiques avec l'id�e de le mettre dans la marine; mais M. de Villeneuve, qui venait de marier sa fille avec le comte de La Roche-Aymon, et qui voyait dans cette nouvelle alliance beaucoup de nouvelles portes ouvertes pour une certaine influence, engagea ma grand'm�re � le faire entrer dans un r�giment de cavalerie, o� il esp�rait lui assurer des protections et de l'avancement. Il promit de s'en occuper aussit�t, et mon fr�re bondit de joie � l'id�e d'avoir un cheval et des bottes tous les jours de sa vie.

Apr�s M. de Villeneuve, nous v�mes arriver Madame de La Marli�re, qui �tait devenue d�vote tout d'un coup {Lub 798} et qui allait � la messe et � v�pres le dimanche. Cela m'�tonna grandement. Enfin vint la bonne Madame de Pardaillan, et puis, tout ce monde parti, ma m�re partit � son tour. Quelque temps apr�s, Hippolyte fit ses paquets et alla rejoindre son r�giment de hussards � Saint-Omer, si bien qu'au commencement de l'ann�e 1816 je me trouvai absolument seule � Nohant avec ma grand'm�re, Deschartres, Julie et Rose.

Alors s'�coul�rent pour moi les deux plus longues, les deux plus r�veuses, les deux plus m�lancoliques ann�es qu'il y e�t encore eu dans ma vie. am


Variantes

  1. Ce titre figure � partir de l'�dition {CL}
  2. 6me volume. 3me chapitre {Ms}Chapitre septi�me {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ VII {CL}
  3. Deschartres. — La montre du p�re Godard. — Le r�giment {Ms} ♦ Deschartres. — Le r�giment {Presse} et sq.
  4. Apr�s l'argument, o� plusieurs lignes sont fortement ratur�es � l'encre bleue, lacune de {Ms}.
  5. je veux retracer {Presse} ♦ Je veux me retracer {Lecou} et sq.
  6. Ma ga�t� {Presse} ♦ Ma gaiet� {CL}
  7. besoin de l'�tre; {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ besoin de cela; {CL}
  8. Avec Il se trouvait, r�apparition de {Ms}.
  9. les essuyer. / J'aurais rougi de les laisser voir. J'aurai pourtant {Presse} ♦ les essuyer. J'aurais rougi de les laisser voir. / J'aurai pourtant {CL}
  10. contre mon sort {Ms}contre cette destin�e {Presse} et sq.
  11. l'abandon de mon cœur {Ms}l'�lan de mon cœur {Presse} et sq.
  12. les opprim�s et les obscurs, de pr�f�rence aux riches et aux illustres. Cette tendance {Ms}les opprim�s. Cette tendance {Presse} et sq.
  13. contestera pas, apr�s avoir {Ms}contestera pas, de bonne foi, apr�s avoir {Presse} et sq.
  14. c'est que mon choix {Ms}c'est que le choix de mes opinions {Presse} et sq.
  15. on l'a dit: mais le r�sultat {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ on l'a dit: il a �t� le r�sultat {CL}
  16. que Buonaparte {Ms}que Bonaparte {Presse} et sq.
  17. la folle confiance {Ms}la confiance {Presse} et sq.
  18. maman sourit tristement � cette pr�diction, et nous dit {Ms}maman jugea tout autrement, et nous dit {Presse} et sq.
  19. parlante aussit�t que je l'�voquais {Ms}parlante aussit�t que j'entendais prononcer son nom {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ parlante sit�t que j'entendais prononcer son nom {CL}
  20. physiologique dont les gens de l'art pourront prendre note. Ce n'�tait {Ms}physiologique. Ce n'�tait {Presse} et sq.
  21. aucune foi, {Ms}aucune loi, {Presse} ♦ aucune foi, {Lecou} et sq.
  22. Le s�jour des [alli�s ray�] ennemis {Ms}Le s�jour des ennemis {Presse} et sq.
  23. et lire [des romans ray�] Voltaire {Ms}et lire Voltaire {Presse} et sq.
  24. emportemens, [et que j'aimais aussi moi-m�me ray� bleu] fit rentrer {Ms}emportements, fit rentrer {Presse} et sq.
  25. presque [honte ray�] frayeur {Ms}presque frayeur {Presse} et sq.
  26. qui s'�levaient en moi {Ms}qui se r�veillaient en moi {Presse} et sq.
  27. vu admirer, respecter ou redouter {Ms}vu respecter et redouter {Presse} et sq.
  28. Le g�n�ral Subervic {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ Le g�n�ral Subervie {LP} ♦ Le g�n�ral Subervic {CL} ♦ Le g�n�ral Subervie {Lub} (r�tablissant la le�on de {LP}, seule correcte; nous le suivons, cettevariante sera d�sormais marqu�e du signe ).
  29. On voyait, au premier {Presse} ♦ On voyait au premier {CL}
  30. ses vieux seigneurs {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {Lecou} ♦ ces vieux seigneurs {CL} ses vieux seigneurs {Lub} (r�tablissant la 1�re le�on; nous ne le suivons pas, la correction ne paraissant pas n�cessaire)
  31. que ses propres {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ que ces propres {LP} ♦ que ses propres {CL}
  32. recevoir ces ordres {Ms}recevoir les ordres {Presse} et sq.
  33. Le lieutenant-colonel F�roussac {Presse} {CL} ♦ Le lieutenant-colonel F�roussat {Lub} restituant l'orthographe exacte du nom; nous le suivons
  34. de l'imp�ratrice, je crois, et il �tait entr� [encore enfant au service ray�] dans l'arm�e {Ms}de l'imp�ratrice, et il �tait entr� dans l'arm�e {Presse} et sq.
  35. en repos. [Son p�re �tait en Italie et lui-m�me est maintenant g�n�ral de Div ray� bleu]. Il est maintenant {Ms}en repos. Il est maintenant g�n�ral {Presse} ♦ en repos. Il est maintenant g�n�ral* {Presse} et sq.
  36. Cette note n'appara�t pas dans {Presse}.
  37. �poque. / Je me rappelle qu'il y eut pourtant un autre fait un peu plus grave et que je raconte pr�cis�ment pour montrer combien ces brigands se piquaient d'honneur et de probit�. / Un jeune soldat qui maraudait pour son compte, entra un jour chez le p�re Godard, menuisier litt�raire qu'on appelait le ma�tre Adam de Nohant, qui faisait de bonne menuiserie et de mauvais vers, et qui d'ailleurs avait beaucoup d'intelligence et un bien �tre honorable. Le jeune soldat demanda � boire. Ma�tre Godard le pria Je s'asseoir dans sa grand'chambre pendant qu'il irait � la cave lui chercher du vin frais. Quand il revint il ne trouva plus son homme, et s'aper�ut que sa montre d'argent n'�tait plus au clou. Indigne de cet abus de confiance, il sort, il court, il crie. La route �tant toujours couverte de soldats, trois grognards qui l'entendent crie, au voleur pr�tendent qu'il insulte le troupier fran�ais et lui font subir un interrogatoire s�v�re. Le p�re Godard expose sa plainte et leur d�signe le jeune soldat qui s'en allait en avant, un peu plus vite que de raison. Les grognards courent apr�s lui, le saisissent, et d�clarent qu'ils ne le laisseront fouiller qu'en pr�sence du maire de l'endroit, afin que s'il est innocent, il soit bien constat� qu'on lui a fait une insulte gratuite, et que le plaignant soit tanc� et humili� pour sa mauvaise foi ou sa pr�cipitation. / Voil� les trois grognards, le ma�tre Adam de chez nous, et l'accus� en pr�sence de Deschartres dans la cuisine de Nohant. On fouille le soldat et on trouve dans son sac une dinde fraichement plum�e. Ça ne me regarde pas, dit Godard: c'est une montre et non pas une dinde que je r�clame, et il fait une scrupuleuse description de sa montre d'argent. Cependant les recherches n'am�nent aucune d�couverte. Deschartres allait se voir r�duit � verbaliser sur la dinde, lorsqu'un des grognards l'arr�tant: Pardon excuse, lui dit-il, �a ne se fait jamais. La volaille ne compte pas, c'est le gibier du soldat et s'il ne l'a pas prise dans une cour, s'il l'a rencontr�e sur un chemin, il peut s'expliquer et se justifier. Quant � toi, dit-il en s'adressant � l'accus�, tu auras affaire � moi pour avoir amass� cette volaille dans un pays o� on ne nous refuse rien, et je te consid�re comme un individu sur sa sa gueule. À pr�sent, r�ponds, as-tu pris la montre de ce particulier? dis la verit�, ou prends garde � toi! / Le pauvre diable balbutia et devint p�le comme la mort, le grognard palpait le ventre de la volaille d'un air significatif. Pourtant le coupable esp�ra que son camarade ne le trahirait pas et il nia. / — Allons, dit l'implacable grognard, il faut que tu sois une vraie canaille, j'en suis f�ch� pour toi: tenez, Mr le maire, dit-il � Deschartres, vous ne savez pas fouiller. T�tez-moi �a, avec quoi donc est-ce que vous engraissez votre volaille dans ce pays-ci? Et pressant fortement sur le ventre de la dinde, on en vit sortir la montre, par le m�me chemin qu'on lui avait fair prendre pour l'y faire entrer. / Le p�re Godard �tait si content de ravoir sa grosse montre d'argent qu'il s'en fut sans demander son reste. Mais Deschartres voulant intervenir contre le d�linquant: « Ça nous regarde, dit un des grognards en le repoussant. Il a deshonor� ses camarades, c'est � ses camarades de le corriger. » Et, pendant qu'il parlait ainsi, je vis de grosses larmes couler sur ses joues bazan�es. Aussit�t, dans un silence effrayant, trois paires de poings formidables tomb�rent sur la t�te du coupable, et on eut bien de la peine � l'arracher tout sanglant de leurs mains. / Nous v�mes passer {Ms}�poque. ” / Je me rappelle qu'il y eut pourtant un fait un peu plus grave et que je raconte pr�cis�ment pour montrer combien ces brigand se piquaient d'honneur et de probit�. Nous v�mes passer {Presse} ♦ �poque. ” Nous v�mes passer {Lecou} et sq.
  38. Nouvelle lacune de {Ms} apr�s nos domestiques
  39. dans ma vie. / FIN DU DEUXIÈME VOLUME {CL}

Notes

  1. Voir la note en t�te du chapitre VI. {Presse} donne bien Chapitre septi�me et non Chapitre huiti�me
  2. Le lieutenant-colonel F�roussat: Jean-Louis F�roussat (°1780 - †...).
  3. Pas d'appel de note dans {Presse}.