GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-Lévy 1876

{LP T.? ?; CL T.2 [287]; Lub T.1 [641]} TROISIÈME PARTIE
De l'enfance à la jeunesse
1810-1819 a

{Presse 11/3/1855 1; CL T.2 [447]; Lub T.1 [776]} VII b 1

Mes rapports avec mon frère. — Les ressemblances et les incompatibilités de nos caractères. — Violence de ma bonne. — Tendances morales que développent en moi cette tyrannie. — Ma grand'mère devient royaliste sans l'être. — Le portrait de l'empereur Alexandre. — Retour de l'île d'Elbe. — Nouvelles visions. — Ma mère revient à Nohant. — Je pardonne à ma bonne. — Le passage de l'armée de la Loire. — La cocarde du général Subervie. — Le général Colbert. — Comme quoi Nohant faillt être le foyer et le théâtre d'une Vendée patriotique. — Le licenciement. — Le colonel Sourd. — Les brigands de la Loire. — Les pêches de Deschartres. — Le régiment c de mon père. — Visite de notre cousin. — Dévotion de madame de La Marlière. — Départ de ma mère. — Départ de mon frère. — Solitude. d



J'entrerai plus tard dans un détail plus raisonné du goût ou du dégoût que m'inspirèrent mes diverses études. Ce que je veux me retracer e ici, c'est la disposition morale dans laquelle je me trouvai, livrée pour ainsi dire à mes propres pensées, sans guide, sans causerie, sans épanchement. J'avais besoin d'exister pourtant, et ce n'est pas exister que d'être seul. Hippolyte devenait de plus en plus turbulent et dans nos jeux il n'était pas question d'autre chose que de faire du mouvement et du bruit. Il m'en donnait bien vite plus que je n'avais besoin d'en prendre, et cela finissait toujours par quelque susceptibilité de ma part et quelque rebuffade de la sienne. Nous nous aimions pourtant, nous nous sommes toujours aimés. Il y avait certains rapports de caractère et d'intelligence entre nous, malgré d'énormes différences d'ailleurs. Il était aussi positif que j'étais romanesque, et pourtant il y avait dans son esprit un certain sens artiste, et dans sa gaieté un tour {CL 448} d'observation critique qui répondait au côté enjoué de mes instincts. {Lub 777} Il ne venait personne chez nous qu'il ne jugeât, ne devinât et ne sût reprendre et analyser avec beaucoup de pénétration, mais avec trop de causticité. Cela m'amusait assez, et nous étions horriblement moqueurs ensemble. J'avais besoin de gaieté, et personne n'a jamais su comme lui me faire rire. Mais on ne peut pas toujours rire et j'avais encore plus besoin d'épanchement sérieux que de folie à cette époque-là.

Ma gaieté f avec lui avait donc souvent quelque chose sinon de forcé, du moins de nerveux et de fébrile. À la moindre occasion, elle se changeait en bouderie et puis en larmes. Mon frère prétendait que j'avais un mauvais caractère, cela n'était pas, il l'a reconnu plus tard; j'avais tout bonnement un secret ennui, un profond chagrin que je ne pouvais pas lui dire et dont il se fût peut-être moqué comme il se moquait de tout, même de la tyrannie et des brutalités de Deschartres.

Je m'étais dit que tout ce que j'apprenais ne me servirait de rien, puisque, malgré le silence de ma mère à cet égard, j'avais toujours la résolution de retourner auprès d'elle et de me faire ouvrière avec elle aussitôt qu'elle le jugerait possible. L'étude m'ennuyait donc d'autant plus que je ne faisais pas comme Hippolyte, qui, bien résolûment, s'en abstenait de son mieux. Moi, j'étudiais par obéissance, mais sans goût et sans entraînement, comme une tâche fastidieuse que je fournissais durant un certain nombre d'heures fades et lentes. Ma bonne maman s'en apercevait et me reprochait ma langueur, ma froideur avec elle, ma préoccupation continuelle qui ressemblait souvent à de l'imbécillité et dont Hippolyte me raillait tout le premier sans miséricorde. J'étais blessée de ces reproches et de ces railleries et on m'accusait d'avoir un amour-propre excessif. J'ignore si j'avais beaucoup d'amour-propre {CL 449} en effet, mais j'ai bien conscience que mon dépit ne venait pas de l'orgueil contrarié, mais d'un mal plus sérieux, d'une peine de cœur méconnue et froissée.

Jusqu'alors Rose m'avait menée assez doucement, eu égard à l'impétuosité naturelle de son caractère. Elle avait été tenue en bride par la fréquente présence de ma mère à Nohant, ou plutôt elle avait obéi à un instinct qui commençait à se modifier, car elle n'était pas dissimulée, j'aime à lui rendre cette justice. Je pense qu'elle {Lub 778} était de la nature de ces bonnes couveuses qui soignent tendrement leurs petits tant qu'ils peuvent dormir sous leur aile, mais qui ne leur épargnent pas les coups de bec quand ils commencent à voler et à courir seuls. À mesure que je me faisais grandelette, elle ne me dorlotait plus, et, en effet, je n'avais plus besoin de cela; g mais elle commençait à me brutaliser, ce dont je me serais fort bien passée. Désirant ardemment complaire à ma grand'mère, elle prenait en sous-ordre le soin et la responsabilité de mon éducation physique et elle m'en fit une sorte de supplice. Si je sortais sans prendre toutes les petites précautions indiquées contre le rhume, j'étais d'abord, je ne dirai pas grondée, mais abasourdie; le mot n'est que ce qu'il faut pour exprimer la tempête de sa voix et l'abondance des épithètes injurieuses qui ébranlaient mon système nerveux. Si je déchirais ma robe, si je cassais mon sabot, si, en tombant dans les broussailles, je me faisais une égratignure qui eût pu faire soupçonner à ma grand'mère que je n'avais pas été bien surveillée, j'étais battue, assez doucement d'abord, et comme par mesure d'intimidation, peu à peu plus sérieusement, par système de répression, et enfin tout à fait par besoin d'autorité et par habitude de violence. Si je pleurais, j'étais battue plus fort; si j'avais eu le malheur de crier, je crois qu'elle m'aurait tuée, car lorsqu'elle était dans le paroxysme de la colère, elle ne se connaissait plus. {CL 450} Chaque jour l'impunité la rendait plus rude et plus cruelle, et en cela elle abusa étrangement de ma bonté, car, si je ne la fis point chasser (ma grand'mère ne lui eût certes pas pardonné d'avoir seulement levé la main sur moi), ce fut uniquement parce que je l'aimais, en dépit de son abominable humeur. Je suis ainsi faite, que je supporte longtemps, très-longtemps ce qui est intolérable. Il est vrai que quand ma patience est lassée, je brise tout d'un coup et pour jamais.

Pourquoi aimais-je cette fille au point de me laisser opprimer et briser à chaque instant? C'est bien simple, c'est qu'elle aimait ma mère, c'est qu'elle était encore la seule personne de chez nous qui me parlât d'elle quelquefois, et qui ne m'en parlât jamais qu'avec admiration et tendresse. Elle n'avait pas l'intelligence assez déliée pour voir jusqu'au fond de mon âme le chagrin qui me consumait et pour comprendre que mes distractions, mes {Lub 779} négligences, mes bouderies n'avaient pas d'autre cause: mais quand j'étais malade elle me soignait avec une tendresse extrême. Elle avait pour me désennuyer mille complaisances que je ne rencontrais point ailleurs; si je courais le moindre danger, elle m'en tirait avec une présence d'esprit, un courage et une vigueur qui me rappelaient quelque chose de ma mère. Elle se serait jetée dans les flammes ou dans la mer pour me sauver; enfin, ce que je craignais plus que tout, les reproches de ma grand'mère, elle ne m'y exposa jamais, elle m'en préserva toujours. Elle eût menti au besoin pour m'épargner son blâme, et quand mes légères fautes m'avaient placée dans l'alternative d'être battue par ma bonne ou grondée par ma grand'mère, je préférais de beaucoup être battue.

Pourtant ces coups m'offensaient profondément. Ceux de ma mère ne m'avaient jamais fait d'autre mal et d'autre peine que le chagrin de la voir fâchée contre moi. Il y {CL 451} avait longtemps d'ailleurs qu'elle avait cessé entièrement ce genre de correction, qu'elle pensait n'être applicable qu'à la première enfance. Rose, procédant au rebours, adoptait ce système à un âge de ma vie où il pouvait m'humilier et m'avilir. S'il ne me rendit point lâche, c'est que Dieu m'avait donné un instinct très-juste de la véritable dignité humaine. Sous ce rapport, je le remercie de grand cœur de tout ce que j'ai supporté et souffert. J'ai appris de bonne heure à mépriser l'injure et le dommage que je ne mérite pas. J'avais vis-à-vis de Rose un profond sentiment de mon innocence et de son injustice, car je n'ai jamais eu aucun vice, aucun travers qui ait pu motiver ses indignations et ses emportements. Tous mes torts étaient involontaires et si légers que je ne comprendrais pas ses fureurs aujourd'hui, si je ne me rappelais qu'elle était rousse, et qu'elle avait le sang si chaud qu'en plein hiver elle était vêtue d'une robe d'indienne et dormait la fenêtre ouverte.

Je m'habituai donc à l'humiliation de mon esclavage, et j'y trouvai l'aliment d'une sorte de stoïcisme naturel dont j'avais peut-être besoin pour pouvoir vivre avec une sensibilité de cœur trop surexcitée. J'appris de moi-même à me roidir contre le malheur, et, à cet égard, j'étais assez encouragée par mon frère, qui, dans nos escapades, me disait en riant: Ce soir, nous serons battus. Lui, horriblement battu par Deschartres, prenait son {780} parti avec un mélange de haine et d'insouciance. Il se trouvait vengé h par la satire; moi, je trouvais ma vengeance dans mon héroïsme et dans le pardon que j'accordais à ma bonne. Je me guindais même un peu pour me rehausser vis-à-vis de moi-même dans cette lutte de la force morale contre la force brutale, et lorsqu'un coup de poing sur la tête m'ébranlait les nerfs et remplissait mes yeux de larmes, je me cachais pour les essuyer.

J'aurais rougi de les laisser voir. J'aurai pourtant i mieux fait de crier et de sangloter. {CL 452} Rose était bonne, elle eût eu des remords si elle se fût avisée qu'elle me faisait du mal. Mais peut-être bien aussi n'avait-elle pas conscience de ses voies de fait, tant elle était impétueuse et irréfléchie. Un jour qu'elle m'apprenait à marquer mes bas, et que je prenais trois mailles au lieu de deux avec mon aiguille, elle m'appliqua un furieux soufflet. « Tu aurais dû, lui dis-je froidement, ôter ton dé pour me frapper la figure; quelque jour tu me casseras les dents. » Elle me regarda avec un étonnement sincère, elle regarda son dé et la marque qu'il avait laissée sur ma joue. Elle ne pouvait croire que ce fût elle qui, à l'instant même, venait de me faire cette marque-là. Quelquefois elle me menaçait d'une grande tape aussitôt après me l'avoir donnée, à son insu apparemment.

Je ne reviendrai plus sur cet insipide sujet; qu'il me suffise de dire que pendant trois ou quatre ans je ne passai guère de jour sans recevoir, à l'improviste, quelque horion qui ne me {Presse 11/3/1855 2} faisait pas toujours grand mal, mais qui chaque fois me causait un saisissement cruel et me replongeait, moi nature confiante et tendre, dans un roidissement de tout mon être moral. Il n'y avait peut-être pas de quoi, étant aimée quand même, me persuader que j'étais malheureuse, d'autant plus que je pouvais faire cesser cet état de choses et que je ne le voulus jamais. Mais que je fusse fondée ou non à me plaindre de mon sort, je me sentis, je me trouvai malheureuse, et c'était l'être en réalité. Je m'habituais même à goûter une sorte d'amère satisfaction à protester intérieurement et à toute heure contre cette destinée j, à m'obstiner de plus en plus à n'aimer qu'un être absent et qui semblait m'abandonner à ma misère, à refuser à ma bonne maman l'élan de mon cœur k et de mes pensées, à critiquer en {Lub 781} moi-même l'éducation que je recevais et dont je lui laissais volontairement ignorer les déboires, enfin à me regarder comme un pauvre être {CL 453} exceptionnellement voué à l'esclavage, à l'injustice, à l'ennui et à d'éternels regrets.

Qu'on ne me demande donc plus pourquoi, pouvant me targuer d'une espèce d'aristocratie de naissance et priser les jouissances d'un certain bien-être, j'ai toujours porté ma sollicitude et ma sympathie familière, mon intimité de cœur, si je puis ainsi dire, vers les opprimés. Cette tendance l s'est faite en moi par la force des choses, par la pression des circonstances extérieures, bien longtemps avant que l'étude de la vérité et le raisonnement de la conscience m'en eussent fait un devoir. Je n'y ai donc aucune gloire, et ceux qui pensent comme moi ne doivent pas plus m'en faire un mérite que ceux qui pensent autrement ne sont fondés à m'en faire un reproche.

Ce qu'il y a de certain, ce que l'on ne contestera pas, de bonne foi, après avoir m lu l'histoire de mon enfance, c'est que le choix de mes opinions n n'a point été un caprice, une fantaisie d'artiste, comme on l'a dit: il a été le résultat o inévitable de mes premières douleurs, de mes plus saintes affections, de ma situation même dans la vie.

Ma grand'mère, après une courte résistance à l'entraînement de sa caste, était devenue non pas royaliste, mais partisan de l'ancien régime, comme on disait alors. Elle s'était toujours fait une sorte de violence pour accepter, non pas l'usurpation heureuse de l'homme de génie, mais l'insolence des parvenus qui avaient partagé sa fortune sans l'avoir conquise aux mêmes titres. De nouveaux insolents arrivaient; mais elle n'était pas aussi choquée de leur arrogance, parce qu'elle l'avait déjà connue, et que d'ailleurs mon père n'était plus là avec ses instincts républicains pour lui en montrer le ridicule.

Il faut dire aussi qu'après la longue tension du règne grandiose et absolu de l'empereur, l'espèce de désordre anarchique qui suivit immédiatement la Restauration avait {CL 454} quelque chose de nouveau qui ressemblait à la liberté dans les provinces. Les libéraux parlaient beaucoup, et on rêvait une sorte d'état politique et moral jusqu'alors inconnu en France, l'état constitutionnel, dont personne ne se faisait une idée juste et que nous n'avons {Lub 782} connu qu'en paroles; une royauté sans pouvoirs absolus, un laisser-aller de l'opinion et du langage en tout ce qui touchait aux institutions ébranlées et replâtrées à la surface. Il régnait sous ce rapport beaucoup de tolérance dans un certain milieu bourgeois que ma grand'mère eût volontiers écouté de préférence à son vieux cénacle. Mais ces dames (comme disait mon père) ne lui permirent guère de raisonner. Elles avaient l'intolérance de la passion. Elles vouaient à la haine la plus tenace et la plus étroite tout ce qui osait regretter le Corse, sans songer que la veille encore elles avaient frayé sans répugnance avec son cortége. Jamais on n'a vu tant de petitesses, tant de commérages, tant d'accusations, tant d'aversions, tant de dénonciations.

Heureusement nous étions loin des foyers de l'intrigue. Les lettres que recevait ma grand'mère nous en apportaient seulement un reflet, et Deschartres se livrait à des déclamations souverainement absurdes contre le tyran, auquel il n'accordait pas même une intelligence ordinaire. Quant à moi, j'entendais dire tant de choses que je ne savais plus que penser. L'empereur Alexandre était le grand législateur, le philosophe des temps modernes, le nouveau Frédéric le Grand, l'homme de génie par excellence. On envoyait son portrait à ma grand'mère et elle me le donnait à encadrer. Sa figure, que j'examinai avec grande attention, puisqu'on disait que Bonaparte p n'était qu'un petit garçon auprès de lui, ne me toucha point. Il avait la tête lourde, la face molle, le regard faux, le sourire niais. Je ne l'ai jamais vu qu'en peinture, mais je présume que parmi tant de portraits répandus alors en France à profusion, {CL 455} quelques-uns ressemblaient. Aucun ne m'inspira de sympathie, et malgré moi je me rappelais toujours les beaux yeux clairs de mon empereur qui s'étaient une fois attachés sur les miens dans un temps où l'on me disait que cela me porterait bonheur.

Mais voilà que tout à coup, dans les premiers jours de mars, la nouvelle nous arrive qu'il est débarqué, qu'il marche sur Paris. Je ne sais si elle nous vint de Paris ou du midi; mais ma grand'mère ne partagea pas la confiance q de ces dames, qui écrivaient: « Réjouissons-nous. Cette fois on le pendra, ou tout au moins on l'enfermera dans une cage de fer. » Ma bonne maman jugea tout autrement, et nous dit r: « Ces Bourbons sont {Lub 783} incapables, et Bonaparte va les chasser pour toujours. C'est leur destinée d'être dupes; comment peuvent-ils croire que tous ces généraux qui ont trahi leur maître ne vont pas les trahir maintenant pour retourner à lui? Dieu veuille que tout cela n'amène pas de terribles représailles et que Bonaparte ne les traite pas comme il a traité le duc d'Enghien! »

Quant à moi, je n'ai pas grand souvenir de ce qui se passa à Nohant durant les cent jours. J'étais absorbée dans de longues rêveries où je ne voyais pas clair. J'étais ennuyée d'entendre toujours parler politique, et tous ces brusques revirements de l'opinion étaient inexplicables pour ma jeune logique. Je voyais tout le monde changé et transformé du jour au lendemain. Nos provinciaux et nos paysans s'étaient trouvés royalistes tout d'un coup sans que je susse pourquoi. Où étaient ces bienfaits des Bourbons tant annoncés et tant vantés?

Chaque jour nous apportait vaguement la nouvelle de l'entrée triomphante de Napoléon dans toutes les villes qu'il traversait, et voilà que beaucoup de gens redevenaient bonapartistes qui avaient crié: À bas le tyran! et traîné le drapeau tricolore dans la boue. Je ne comprenais pas {CL 456} assez tout cela pour en être indignée, mais j'éprouvais comme un dégoût involontaire et comme un ennui d'être au monde. Il me semblait que tout le monde était fou, et je revenais à mon rêve de la campagne de Russie et de la campagne de France. Je retrouvais mes ailes et je m'en allais au-devant de l'empereur pour lui demander compte de tout le mal et de tout le bien qu'on disait de lui.

Une fois je songeai que je l'emportais à travers l'espace et que je le déposais sur la coupole des tuileries. Là j'avais un long entretien avec lui, je lui faisais mille questions et lui disais: « Si tu me prouves par tes réponses que tu es, comme on le dit, un monstre, un ambitieux, un buveur de sang, je vais te précipiter en bas et te briser sur le seuil de ton palais; mais si tu te justifies, si tu es ce que j'ai cru, le bon, le grand, le juste empereur, le père des français, je te reporterai sur ton trône, et avec mon épée de feu je te défendrai de tes ennemis. » Il m'ouvrit alors son cœur et m'avoua qu'il avait commis beaucoup de fautes par un trop grand amour de la gloire, {Lub 784} mais il me jura qu'il aimait la France et que désormais il ne songerait plus qu'à faire le bonheur du peuple, sur quoi je le touchai de mon épée de feu qui devait le rendre invulnérable.

Il est fort étrange que je fisse ces rêves tout éveillée, et souvent en apprenant machinalement des vers de Corneille ou de Racine que je devais réciter à ma leçon. C'était une espèce d'hallucination, et j'ai remarqué depuis que beaucoup de petites filles, lorsqu'elles approchent d'une certaine crise de développement physique, sont sujettes à des extases ou à des visions encore plus bizarres. Je ne me rappellerais probablement pas les miennes si elles n'avaient pris obstinément la même forme pendant quelques années consécutives; et si elles ne s'étaient pas fixées sur l'empereur et sur la grande armée, il me serait impossible d'expliquer pourquoi. Certes j'avais des préoccupations plus {CL 457} personnelles et plus vives, et mon imagination eût dû ne me présenter que le fantôme de ma mère dans l'espèce d'Éden qu'elle m'avait fait envisager un instant, et auquel j'aspirais sans cesse. Il n'en fut rien pourtant, je pensais à elle à toute heure et je ne la voyais jamais; au lieu que cette pâle figure de l'empereur que je n'avais vue qu'un instant se dessinait toujours devant moi et devenait vivante et parlante sitôt que j'entendais prononcer son nom. s

Pour n'y plus revenir, je dirai que, lorsque le Bellérophon l'emporta à Sainte-Hélène, je fis chavirer le navire en le poussant avec mon épée de feu; je noyai tous les Anglais qui s'y trouvaient, et j'emportai une fois encore l'empereur aux Tuileries, après lui avoir bien fait promettre qu'il ne ferait plus la guerre pour son plaisir. Ce qu'il y a de particulier dans ces visions, c'est que je n'y étais point moi-même, mais une sorte de génie tout-puissant, l'ange du seigneur, la destinée, la fée de la France, tout ce qu'on voudra, excepté la petite fille de onze ans qui étudiait sa leçon ou arrosait son petit jardin pendant les promenades aériennes de son moi fantastique.

Je n'ai rapporté ceci que comme un fait physiologique. Ce n'était t pas le résultat d'une exaltation de l'âme ni d'un engouement politique, car cela se produisait en moi dans mes pires moments de langueur, de froideur et d'ennui, et souvent après avoir écouté sans intérêt et {Lub 785} comme malgré moi ce qui se disait à propos de la politique. Je n'ajoutais aucune foi, u aucune superstition à mon rêve, je ne le pris jamais au sérieux, je n'en parlai jamais à personne. Il me fatiguait, et je ne le cherchais pas. Il s'emparait de moi par un travail de mon cerveau tout à fait imprévu et indépendant de ma volonté.

Le séjour des ennemis v à Paris y rendait l'existence odieuse et insupportable aux personnes en qui le fanatisme de la royauté n'avait pas étouffé l'amour et le respect de la patrie. {CL 458} Ma mère confia Caroline à ma tante et vint passer l'été à Nohant. Il y avait sept ou huit mois que je ne l'avais vue, et je laisse à penser quels furent mes transports. Avec elle d'ailleurs ma vie était transformée, Rose perdait son autorité sur moi et se reposait volontiers de ses fureurs. J'avais été plus d'une fois tentée de me plaindre à ma mère, aussitôt qu'elle arriverait, des mauvais traitements que me faisait essuyer cette fille; mais comme, dans sa sincérité de cœur, elle ne se rendait pas compte à elle-même de ses torts envers moi, comme, au lieu de redouter son arrivée, elle se réjouissait de toute son âme de voir madame Maurice, comme elle préparait sa chambre avec sollicitude, comme elle comptait les jours et les heures avec moi, comme elle l'aimait enfin, je lui pardonnai tout, et non-seulement je ne trahis pas le secret de ses violences, mais encore j'eus le courage de les nier, lorsque ma mère en eut quelque soupçon. Je me rappelle qu'un jour ces soupçons s'aggravèrent et que j'eus un certain mérite à les effacer.

Mon frère avait imaginé de faire de la glu pour prendre les oiseaux. Je ne sais si c'est dans le grand ou le petit Albert, ou dans notre vieux manuel de diablerie qu'il en avait trouvé la recette. Il s'agissait tout bonnement de piler du gui de chêne. Nous ne réussîmes point à faire de la glu, mais bien à barbouiller notre visage, nos mains et nos vêtements d'une pâte verte d'un ton fort équivoque. Ma mère travaillait près de nous dans le jardin, assez distraite, suivant sa coutume, et ne songeant pas même à se préserver des éclaboussures de notre baquet. Tout à coup je vis venir Rose au bout de l'allée et mon premier mouvement fut de me sauver. « Qu'a-t-elle donc? » dit ma mère à Hippolyte en sortant de sa rêverie et en me regardant courir. Mon frère, qui n'a jamais aimé à se faire des ennemis, répondit qu'il n'en {Lub 786} savait rien: mais ma mère était méfiante, elle {CL 459} me rappela, et interpellant Rose en ma présence: « Ce n'est pas la première fois, lui dit-elle, que je remarque combien la petite a peur de toi. Je crois que tu la brutalises. — Mais, dit la rousse indignée de me voir si salie et si tachée, voyez comme elle est faite! N'y a-t-il pas de quoi perdre patience quand il faut passer sa vie à laver et à raccommoder ses nippes. — Ah ça, dit ma mère d'un ton brusque, t'imagines-tu, par hasard, que je t'ai fait entrer ici pour faire autre chose que laver et raccommoder des nippes? Crois-tu que c'est pour toucher une rente et lire Voltaire w comme Mademoiselle Julie? Ôte-toi cela de l'esprit, lave, raccommode, laisse courir, jouer et grandir mon enfant, c'est comme cela que je l'entends et pas autrement. »

Aussitôt que ma mère fut seule avec moi, elle me pressa de questions. « Je te vois trembler et pâlir quand elle te fait les gros yeux, me dit-elle; elle te gronde donc bien fort? — Oui, répondis-je, elle me gronde trop fort. — Mais j'espère, reprit ma mère, qu'elle n'a jamais eu le malheur de te donner une chiquenaude, car je la ferais chasser dès ce soir! » L'idée de faire renvoyer cette pauvre fille qui m'aimait tant malgré ses emportements, fit rentrer x au fond de mon cœur l'aveu que j'allais faire. Je gardai le silence. Ma mère insista vivement. Je vis qu'il fallait mentir, mentir pour la première fois de ma vie et mentir à ma mère! Mon cœur fit taire ma conscience. Je mentis, et ma mère, toujours soupçonneuse, n'attribuant ma discrétion qu'à la crainte, mit ma générosité à une rude épreuve en me faisant affirmer plusieurs fois que je lui disais la vérité. Je n'en eus point de remords, je l'avoue. Mon mensonge ne pouvait nuire qu'à moi.

À la fin, elle me crut. Rose ne sut pas ce que j'avais fait pour elle. Tenue en respect par la présence de ma mère, elle se radoucit: mais par la suite, quand nous {CL 460} nous retrouvâmes ensemble, elle me fit payer cher la bêtise de mon cœur. J'eus la fierté de ne pas la lui dire, et, comme de coutume, je subis en silence l'oppression et les outrages.

Un spectacle imposant et plein d'émotions vint m'arracher au sentiment de ma propre existence pendant une partie de l'été que ma mère passa avec moi en 1815. Ce fut le passage et le licenciement de l'armée de la Loire.

{Lub 787} On sait qu'après s'être servi de Davoust pour tromper cette noble armée, après lui avoir promis amnistie complète, le roi publiait, le 24 juillet, une ordonnance qui traduisait devant les conseils de guerre Ney, Labédoyère et dix-neuf autres noms chers à l'armée et à la France. Trente-huit autres étaient condamnés au bannissement. Le prince d'Eckmühl avait donné sa démission, sa position de généralissime à l'armée de la Loire n'étant plus soutenable. La Restauration s'apprêtait à le dédommager de sa soumission, elle lui donna pour successeur Macdonald, lequel fut chargé d'opérer en douceur le licenciement. Il transféra à Bourges le quartier général de l'armée. « Deux ordres, en date des 1er et 2 août, firent connaître ce double changement aux troupes. Macdonald, dans ces deux ordres, ne prononçait pas encore le mot de licenciement. Il se bornait à annoncer que, pour soulager les habitants du fardeau des logements militaires, il allait étendre l'armée. Cette mesure fut le commencement de la dissolution: on disloqua les brigades et les divisions; les régiments d'un même corps ou d'une même arme se trouvèrent dispersés à de grandes distances les uns des autres; on éparpilla jusqu'aux bataillons ou aux escadrons de certains régiments. Une fois tous les rapports brisés, l'ordonnance pour la réorganisation de l'armée fut rendue publique (le 12 août), et l'on procéda au {CL 461} licenciement, mais par détachements, par régiments, de manière à diviser les réclamations, à isoler les murmures et les résistances. » (Achille de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations).

C'est ainsi que nous assistâmes à des scènes de détail qui me firent enfin comprendre peu à peu ce qui se passait en France. Jusque-là j'avoue que je ne pouvais guère démêler le vrai sentiment national de l'esprit de parti. J'avais presque frayeur y des instincts bonapartistes qui se réveillaient en moi z quand j'entendais maudire, conspuer, calomnier et avilir tout ce que j'avais vu respecter et redouter aa la veille. Ma mère, aussi enfant que moi, n'avait pas attendu le retour des vieilles comtesses pour railler et détester l'ancien régime; mais elle n'avait de parti pris sur rien et ne savait quoi répondre à ma bonne maman quand celle-ci, faisant le procès aux ambitieux et aux conquérants grands tueurs d'hommes, lui disait qu'une monarchie tempérée par des institutions libérales, {Lub 788} un système de paix durable, le retour du bien-être, de la liberté individuelle, de l'industrie, des arts et des lettres, vaudraient mieux à la France que le règne du sabre. « N'avons-nous pas assez maudit la guerre, vous et moi, du temps de notre pauvre Maurice? lui disait-elle; maintenant nous payons les violons de toute cette gloire impériale. Mais laissez passer cette première colère de l'Europe contre nous, et vous verrez que nous entrerons dans une ère de calme et de sécurité heureuse sous ces Bourbons que je n'aime pas beaucoup plus que vous, mais qui nous sont le gage d'un meilleur avenir. Sans eux notre nationalité était perdue. Bonaparte l'avait sérieusement compromise en voulant trop l'étendre. Si un parti royaliste ne s'était pas formé pour hâter sa chute, voyez ce que nous deviendrions aujourd'hui après le désastre de nos armées! La France eût été démembrée, nous serions Prussiens, Anglais ou Allemands. »

{CL 462} Ainsi raisonnait ma grand'mère, n'admettant pas une chose que je crois pourtant fort certaine, c'est que si un parti royaliste ne se fût pas formé pour vendre et trahir le pays, l'univers réuni contre nous n'eût pu vaincre l'armée française. Ma mère, qui volontiers reconnaissait la supériorité de sa belle-mère, se laissait tout doucement persuader, et moi par conséquent avec elle. J'étais donc comme désillusionnée de l'Empire et comme résignée à la Restauration, lorsque, par un ardent soleil d'été, nous vîmes reluire sur tous les versants de la vallée Noire les glorieuses armes de Waterloo. Ce fut un régiment de lanciers décimé par ce grand désastre qui le premier vint occuper nos campagnes. Le général Colbert établit à Nohant son quartier général. Le général Subervie ab occupa le château d'Ars, situé à une demi-lieue. Tous les jours, ces généraux, leurs aides de camp et une douzaine d'officiers principaux dînaient ou déjeunaient chez nous. Le général Subervie était alors un joli garçon très-galant avec les dames, enjoué, et même taquin avec les enfants. Comme, par sa faute, je m'étais un peu trop familiarisée avec lui et qu'il m'avait tiré les oreilles un peu fort en jouant, je me vengeai, un jour, par une espièglerie dont je ne sentais guère la portée. Je découpai une jolie cocarde en papier blanc, et je l'attachai avec une épingle sur la cocarde {Lub 789} tricolore de son chapeau, sans qu'il s'en aperçût. Toute l'armée portait encore les couleurs de l'Empire, et l'ordre de les faire disparaître n'arriva que quelques jours plus tard. Il alla donc à La Châtre avec cette cocarde et s'étonna de voir les regards des officiers et des soldats qu'il rencontrait se fixer sur lui avec stupeur. Enfin, je ne sais plus quel officier lui demanda l'explication de cette cocarde blanche, à quoi il ne comprit rien, et ôtant son chapeau et jetant la cocarde blanche au diable, il me donna à tous les diables par-dessus le marché.

{CL 463} J'ai revu ce bon général Subervie pour la première fois depuis ce temps-là, en 1848, à l'hôtel de ville, quelques jours après la révolution et lorsqu'il venait d'accepter le portefeuille de la guerre. Il n'avait oublié aucune des circonstances de son passage à Nohant en 1815, et il me reprocha ma cocarde blanche, comme je lui reprochai de m'avoir tiré les oreilles.

Quelques jours plus tard, en 1815, je ne lui aurais certainement pas fait cette mauvaise plaisanterie, car mon court essai de royalisme fut abjuré dans mon cœur, et voici à quelle occasion.

On voyait au premier ac mot de ma grand'mère, et rien qu'à son grand air et à son costume suranné, qu'elle appartenait au parti royaliste. On supposait même chez elle plus d'attachement à ce parti qu'il n'en existait réellement au fond de sa pensée. Mais elle était fille du maréchal de Saxe, elle avait eu un brave fils au service, elle était pleine de grâces hospitalières et de délicates attentions pour ces brigands de la Loire en qui elle ne pouvait voir autre chose que de vaillants et généreux hommes, les frères d'armes de son fils (quelques-uns même l'avaient connu, et je crois que le général Colbert était du nombre); en outre, ma grand'mère inspirait le respect, et un respect tendre, à quiconque avait un bon sentiment dans l'âme. Ces officiers qu'elle recevait si {Presse 12/3/1855 2} bien s'abstenaient donc de dire devant elle un seul mot qui pût blesser les opinions qu'elle était censée avoir; comme, de son côté, elle s'abstenait de prononcer une parole, de rappeler un fait qui pût aigrir leur respectable infortune. Voilà pourquoi je vis ces officiers pendant plusieurs jours sans qu'aucune émotion nouvelle changeât la disposition de mon esprit; mais un jour que nous étions par exception en petit comité à dîner, Deschartres, qui ne savait pas retenir{Lub 790} sa langue, excita un peu le général Colbert. Alphonse Colbert, descendant du {CL 464} grand Colbert, était un homme d'environ quarante ans, un peu replet et sanguin. Il avait des manières excellentes, des talents agréables; il chantait des romances champêtres en s'accompagnant au piano; il était plein de petits soins pour ma grand'mère qui le trouvait charmant, et ma mère disait tout bas que, pour un militaire, elle le trouvait trop à l'eau de rose.

Je ne saurais dire si ce jour-là même l'ordonnance de la dislocation de l'armée n'était pas arrivée de Bourges. Que ce fût cette cause ou les maladroites réflexions de Deschartres, le général s'anima. Ses yeux ronds et noirs commencèrent à lancer des flammes, ses joues se colorèrent, l'indignation et la douleur trop longtemps contenues s'épanchèrent, et il parla avec une véritable énergie: « Non! Nous n'avons pas été vaincus, s'écria-t-il, nous avons été trahis, et nous le sommes encore. Si nous ne l'étions pas, si nous pouvions compter sur tous nos officiers, je vous réponds que nos braves soldats feraient bien voir encore à messieurs les prussiens et à messieurs les cosaques que la France n'est pas une proie qu'ils puissent impunément dévorer! » Il parla avec feu de l'honneur français, de la honte de subir un roi imposé par l'étranger, et il peignit cette honte avec tant d'âme, que je sentis la mienne se ranimer, comme le jour où j'avais entendu, en 1814, un enfant de treize ou quatorze ans parler de prendre un grand sabre pour défendre sa patrie.

Ma grand'mère, voyant que le général s'exaltait de plus en plus, voulut le calmer et lui dit que le soldat était épuisé, que le peuple ne voulait plus que le repos. « Le peuple! S'écria-t-il, ah! Vous ne le connaissez pas. Le peuple! Son vœu et sa véritable pensée ne se font pas jour dans vos châteaux. Il est prudent devant ces vieux seigneurs ad qui reviennent et dont il se défie; mais nous autres soldats nous connaissons ses sympathies, ses regrets, et, {CL 465} voyez-vous, ne croyez pas que la partie soit si bien gagnée! On veut nous licencier parce que nous sommes la dernière force, le dernier espoir de la patrie: mais il ne tient qu'à nous de repousser cet ordre comme un acte de trahison et comme une injure. Pardieu! Ce pays-ci est excellent pour une guerre de partisans, et je ne sais pas pourquoi nous n'y organisons pas le noyau {Lub 791} d'une Vendée patriotique. Ah! Le peuple, ah! Les paysans! dit-il en se levant et en brandissant son couteau de table, vous allez les voir se joindre à nous! Vous verrez comme ils viendront avec leurs faux, et leurs fourches, et leurs vieux fusils rouillés! On peut tenir six mois dans vos chemins creux et derrière vos grandes haies. Pendant ce temps, la France se lèvera sur tous les points; et d'ailleurs, si nous sommes abandonnés, mieux vaut mourir avec gloire et en se défendant que d'aller tendre la gorge aux ennemis. Nous sommes encore un bon nombre à qui il ne faudrait qu'un mot pour relever l'étendard de la nation et c'est peut-être à moi de donner l'exemple! »

Deschartres ne disait plus rien. Ma grand'mère prit le bras du général, lui ôta le couteau des mains, le força à se rasseoir, et cela d'une façon si tendre et si maternelle qu'il en fut ému. Il prit les deux mains de la vieille dame, les couvrit de baisers, et lui demandant pardon de l'avoir effrayée, la douleur reprit le dessus sur la colère, et il fondit en larmes, les premières peut-être qui eussent soulagé son cœur ulcéré depuis Waterloo.

Nous pleurions tous, sauf Deschartres, qui cependant n'insistait plus pour avoir raison et à qui un certain respect devant le malheur fermait enfin la bouche. Ma grand'mère emmena le général au salon. « Mon cher général au nom du ciel, lui dit-elle, soulagez-vous, pleurez, mais ne dites jamais devant personne des choses comme il vient de vous en échapper. Je suis sûre autant qu'on peut l'être {CL 466} de ma famille, de mes hôtes et de mes domestiques; mais, voyez-vous, dans le temps où nous sommes et lorsqu'une partie de vos compagnons est forcée de fuir pour échapper peut-être à une sentence de mort, c'est jouer votre tête que de vous abandonner ainsi à votre désespoir.

— Vous me conseillez la prudence, chère madame, lui dit-il, mais ce n'est pas la prudence, c'est la témérité que vous devriez me conseiller. Vous croyez donc que je ne parle pas sérieusement, et que je veux accepter le licenciement honteux que les ennemis nous imposent! C'est un second Waterloo, moins l'honneur, auquel on nous pousse. Un peu d'audace nous sauverait!

— La guerre civile! s'écria ma grand'mère: vous voulez rallumer la guerre civile en France! Vous idolâtres {Lub 792} de ce même Napoléon qui du moins n'a pas voulu imprimer cette tache à son nom et qui a sacrifié son orgueil devant l'horreur d'un pareil expédient! Sachez que je ne l'ai jamais aimé, mais que pourtant j'ai eu de l'admiration pour lui un jour en ma vie. C'est le jour où il a abdiqué plutôt que d'armer les français les uns contre les autres. Lui-même désavouerait aujourd'hui votre tentative. Soyez donc fidèles à son souvenir en suivant le noble exemple qu'il vous a donné. »

Soit que ces raisons fissent impression sur l'esprit du général, soit que ses propres ae réflexions fussent conformes, quant au fond, à celles de ma grand'mère, il se calma, et plus tard il a repris du service sous les Bourbons. Mais pour tous ceux que la loyauté et la douleur avaient accompagnés comme lui derrière la Loire, il n'y a rien eu que de très-légitime à poursuivre leur carrière militaire, lorsqu'ils l'ont pu sans s'abaisser sous un autre régime.

On a vu dans ce que j'ai cité de l'histoire de M. de Vaulabelle que l'ordre du licenciement fut déguisé sous diverses ordonnances de dislocation partielle. Un soir, la {CL 467} petite place de Nohant et les chemins qui y aboutissent virent une foule compacte de cavaliers encore superbes de tenue venir recevoir les ordres af du général Colbert. Ce fut l'affaire d'un instant. Muets et sombres, ils se divisèrent et s'éloignèrent dans des directions diverses.

Le général et son état-major parurent résignés. L'idée d'une Vendée patriotique n'était pourtant pas éclose isolément dans la tête de M. de Colbert. Elle avait parcouru les rangs frémissants de l'armée de la Loire; mais on sait maintenant qu'il y avait là une intrigue du parti d'Orléans à laquelle ils eurent raison de ne point se fier.

Un matin, pendant que nous déjeunions avec plusieurs officiers de lanciers, on parla du colonel du régiment, tombé sur le champ de bataille de Waterloo. « Ce brave colonel Sourd, disait-on, quelle perte pour ses amis et quelle douleur pour tous les hommes qu'il commandait! C'était un héros à la guerre et un homme excellent dans l'intimité.

— Et vous ne savez ce qu'il est devenu? dit ma grand'mère. — Il était criblé de blessures et il avait un bras fracassé par un boulet, répondit le général. On a pu l'emporter à l'ambulance; il a encore vécu après {Lub 793} l'événement, on espérait le sauver; mais depuis longtemps nous n'avons plus de ses nouvelles et tout porte à croire qu'il n'est plus. Un autre a pris le commandement du régiment. Pauvre Sourd! Je te regretterai toute ma vie! »

Comme il disait ces mots, la porte s'ouvre. Un officier mutilé, la manche vide et relevée dans la boutonnière, la figure traversée de larges bandes de taffetas d'Angleterre qui cachaient d'effroyables cicatrices, paraît et s'élance vers ses compagnons. Tous se lèvent, un cri s'échappe de toutes les poitrines; on se précipite sur lui, on l'embrasse, on le presse, on l'interroge, on pleure, et le colonel Sourd achève avec nous ce déjeuner qui avait commencé par son éloge funèbre.

{CL 468} Le lieutenant-colonel Féroussat ag 2, qui avait commandé le régiment en son absence, fut heureux de lui rendre son autorité, et Sourd voulut être licencié à la tête de son régiment, qui le revit avec des transports impossibles à décrire.

Je dois ici un souvenir à M. Pétiet, aide de camp du général Colbert, qui fut pour moi d'une bonté vraiment paternelle, toujours occupé de jouer avec moi comme un excellent enfant qu'il était encore, malgré son grade et ses années de service qui commençaient déjà à compter. Il n'avait guère que trente ans, mais il avait été page de l'impératrice et il était entré dans l'armée ah de fort bonne heure. Il avait conservé la gaieté et l'espièglerie d'un page; mon frère et moi nous l'adorions et nous ne le laissions pas un instant en repos. Il est maintenant général*. ai 3

* Le baron Pétiet me prie de rectifier des erreurs de mémoire qui le concernent. Je l'ai confondu avec son frère le général, aujourd'hui député au Corps législatif. Celui qui était aide de camp et beau-frère du général Colbert en 1815 n'avait alors que vingt et un ans; il avait été premier page de l'empereur, il avait fait campagne et comptait déjà six blessures. Il a quitté le service en 1830. (Note de 1855.) aj

Au bout d'une quinzaine de jours le général Colbert, M. Pétiet, le général Subervie et les autres officiers du corps qu'ils commandaient allèrent ailleurs, à Saint-Amand, si je ne me trompe. Ma grand'mère aimait déjà tant le général Colbert qu'elle pleura son départ. Il avait été excellent, en effet, parmi nous, et les nombreux {Lub 794} officiers supérieurs que nous eûmes successivement à loger pendant une partie de la saison nous laissèrent tous des regrets. Mais à mesure que le licenciement s'opérait, l'intérêt devenait moins vif pour moi, du moins à l'égard des officiers, qui commençaient à prendre leur parti et à se préoccuper de l'avenir plus que du passé. Plusieurs même étaient déjà tout ralliés à la Restauration et avaient de nouveaux brevets dans leur poche. Ma grand'mère voyait cela avec plaisir {CL 469} et leur faisait fête. Mais ce {Presse 12/3/1855 3} royalisme de fraîche date répugnait encore à ma mère, à moi par conséquent, car je cherchais toujours mon impression dans ses yeux et mon avis sur ses lèvres.

Plus d'un lui fit la cour, car elle était encore charmante, et je crois qu'elle eût pu facilement se remarier honorablement à cette époque; mais elle n'en voulut pas entendre parler, et quoiqu'elle fût entourée d'hommages, jamais je ne vis moins de coquetterie et plus de réserve qu'elle n'en montra.

C'était un spectacle imposant que ce continuel passage d'une armée encore superbe dans notre vallée Noire. Le temps fut toujours clair et chaud. Tous les chemins étaient couverts de ces nobles phalanges qui défilaient en bon ordre et dans un silence solennel. C'était la dernière fois qu'on devait voir ces uniformes si beaux, si bien portés, usés par la victoire, comme on l'a dit depuis avec raison, ces belles figures bronzées, ces fiers soldats si terribles dans les combats, si doux, si humains, si bien disciplinés pendant la paix. Il n'y eut pas un seul acte de maraude ou de brutalité à leur reprocher. Je ne vis jamais parmi eux un homme ivre, quoique chez nous le vin soit à bon marché et que le paysan le prodigue au soldat. Nous pouvions nous promener à toute heure sur les chemins, ma mère et moi, comme en temps ordinaire, sans craindre la moindre insulte. Jamais on ne vit le malheur, la proscription, l'ingratitude et la calomnie supportés avec tant de patience et de dignité, ce qui n'empêcha pas qu'ils ne fussent nommés les brigands de la Loire.

Deschartres même jeta les hauts cris parce qu'un volume des Mille et une Nuits fut égaré, et que quatre belles pêches disparurent de l'espalier où il les regardait mûrir; méfaits dont Hippolyte peut-être fut le seul {Lub 795} coupable. N'importe, Deschartres accusait les brigands, et il ne se calma que lorsque ma bonne maman lui dit avec un grand sérieux: {CL 470} « Eh bien, Deschartres, quand vous écrirez l'histoire de ces temps-ci, vous n'oublierez pas un fait si grave. Vous direz: “ Une armée entière traversa Nohant et porta le ravage et la dévastation sur un espalier où l'on comptait quatre pêches avant cette terrible époque ”. »

Nous vîmes passer ak des régiments de toutes armes, des chasseurs, des carabiniers, des dragons, des cuirassiers, de l'artillerie, et ces brillants mameluks avec leurs beaux chevaux et leur costume de théâtre, que j'avais vus à Madrid. Le régiment de mon père passa aussi, et les officiers, dont plusieurs l'avaient connu, entrèrent dans la cour et demandèrent à saluer ma grand'mère et ma mère. Elles les reçurent en sanglotant, prêtes à s'évanouir. Un officier dont j'ai oublié le nom s'écria en me voyant: « Ah! Voilà sa fille. Il n'y a pas à se tromper à une pareille ressemblance. » Il me prit dans ses bras et m'embrassa en me disant: « Je vous ai vue toute petite en Espagne. Votre père était un brave militaire et bon comme un ange. »

Plus tard, à Paris, ayant plus de vingt ans, j'ai été abordée sur le boulevard par un officier à demi-solde qui m'a demandé si je n'étais pas la fille du pauvre Dupin, et, dans un restaurant, d'autres officiers qui dînaient à une autre table sont venus faire la même question aux personnes qui étaient avec moi. C'étaient de braves débris de notre belle armée, mais j'ai la mémoire des noms si peu certaine que je craindrais de me tromper en les citant. Dans toutes ces rencontres, j'ai toujours entendu faire de mon père les plus vifs et les plus tendres éloges.

J'ai dit que mon frère était grand observateur et critique judicieux pour son âge. Il me faisait part de ses remarques, et nous remarquâmes, en effet, que les réconciliations du nouveau pouvoir avec l'armée s'opéraient toujours en commençant par les plus hauts grades. Ainsi, vers la fin du passage, les officiers supérieurs exhibaient avec satisfaction {CL 471} des étendards fleurdelisés, brodés, disait-on, par la duchesse d'Angoulême et qu'elle leur avait envoyés en signe de bienveillance. Les officiers de moindre grade se montraient irrésolus ou sur la réserve. Les sous-officiers et les soldats étaient tous {Lub 796} franchement et courageusement des bonapartistes, comme on disait alors, et quand vint l'ordre définitif de changer de drapeau et de cocarde, nous vîmes brûler des aigles dont les cendres furent littéralement baignées de larmes. Quelques-uns crachèrent sur la cocarde sans tache avant de la mettre à leur shako. Les officiers ralliés avaient hâte de se séparer de ces fidèles soldats et de prendre place dans l'armée réorganisée sur de nouvelles bases et avec un autre personnel. Je pense bien qu'il y en eut beaucoup de trompés dans leurs espérances, et que les belles promesses à l'aide desquelles on leur avait fait opérer sans bruit la dislocation n'aboutirent plus tard qu'à une maigre demi-solde.

Quand les derniers uniformes eurent disparu dans la poussière de nos routes, nous sentîmes tous une grande tristesse et une grande fatigue; à force de voir marcher, il nous avait semblé avoir marché nous-mêmes. Nous avions assisté au convoi de la gloire, aux funérailles de notre nationalité. Ma grand'mère avait eu des émotions douloureuses et profondes, des souvenirs ravivés; ma mère, en voyant tous ces jeunes et brillants officiers, avait senti plus que jamais qu'elle n'aimerait plus et que sa vie encore jeune et pleine s'écoulerait dans la solitude et les regrets. Deschartres avait la tête brisée d'avoir eu tous les jours des centaines de logements à distribuer et à discuter. Tous nos domestiques al étaient sur les dents pour avoir servi nuit et jour une quarantaine de personnes et de chevaux pendant deux mois. Les courtes finances de ma grand'mère et sa cave s'en ressentaient, mais elle aimait à faire grandement les honneurs de chez elle et elle {CL 472} y avait mangé une année de son revenu sans se plaindre.

À courir avec les soldats, mon frère avait pris la rage d'être militaire et il ne fallait plus guère lui parler d'études. Quant à moi, qui avais été comme lui en récréation forcée pendant tout ce temps, j'étais accablée et brisée de mon inaction, car, dès mon plus jeune âge, ne rien faire a toujours été pour moi la pire des fatigues.

Néanmoins j'eus beaucoup de peine à me remettre au travail. Le cerveau est un instrument qui se rouille et qui aurait besoin d'un exercice modéré, mais soutenu. La politique me devenait nauséabonde, Nohant n'était plus aussi recueilli et aussi intime que le passé. Les autorités de la ville voisine avaient été remplacées en {Lub 797} grande partie par des royalistes ardents qui venaient faire des visites officielles à ma grand'mère, et là on ne parlait que du trône et de l'autel, et des nouvelles tentatives du parti des jacobins, et des nouvelles répressions paternelles de ce bon gouvernement qui envoyait à l'échafaud Ney, Labédoyère et autres scélérats. On faisait du zèle devant ma grand'mère parce qu'on la croyait bien lancée dans le monde et influente. Le fait est qu'elle ne l'était ni ne se piquait de l'être. Elle avait passé la seconde moitié de sa vie dans une sorte de retraite qui ne lui avait laissé que peu d'occasions d'être utile, et elle n'était pas charmée de l'ancien régime autant qu'on se l'imaginait.

Pour moi, je n'étais plus tentée de me laisser prendre au royalisme. J'avais honte de passer pour en tenir par solidarité de famille. Je trouvais ma mère trop indifférente à tout cela, et je déblaterais dans mon coin avec Hippolyte contre ce roi cotillon que les troupiers nous avaient enseigné à railler et à chansonner en cachette. Mais il fallait nous bien garder d'en rien laisser paraître, Deschartres n'entendait pas raison sur ce chapître et Mademoiselle Julie n'avait pas coutume de garder pour elle ce qu'elle entendait.

{CL 473} Mon cousin René de Villeneuve vint nous voir à l'automne. Il était parfaitement aimable, enjoué, sachant occuper agréablement les loisirs de la campagne, et pas du tout royaliste, quoiqu'il sût ménager les apparences. Ma grand'mère lui parla de l'avenir de mon frère qui s'en allait avoir seize ans et qui ne tenait plus dans sa peau, tant il avait envie de quitter Deschartres et de commencer la vie, n'importe par quel bout. On lui avait enseigné les mathématiques avec l'idée de le mettre dans la marine; mais M. de Villeneuve, qui venait de marier sa fille avec le comte de La Roche-Aymon, et qui voyait dans cette nouvelle alliance beaucoup de nouvelles portes ouvertes pour une certaine influence, engagea ma grand'mère à le faire entrer dans un régiment de cavalerie, où il espérait lui assurer des protections et de l'avancement. Il promit de s'en occuper aussitôt, et mon frère bondit de joie à l'idée d'avoir un cheval et des bottes tous les jours de sa vie.

Après M. de Villeneuve, nous vîmes arriver Madame de La Marlière, qui était devenue dévote tout d'un coup {Lub 798} et qui allait à la messe et à vêpres le dimanche. Cela m'étonna grandement. Enfin vint la bonne Madame de Pardaillan, et puis, tout ce monde parti, ma mère partit à son tour. Quelque temps après, Hippolyte fit ses paquets et alla rejoindre son régiment de hussards à Saint-Omer, si bien qu'au commencement de l'année 1816 je me trouvai absolument seule à Nohant avec ma grand'mère, Deschartres, Julie et Rose.

Alors s'écoulèrent pour moi les deux plus longues, les deux plus rêveuses, les deux plus mélancoliques années qu'il y eût encore eu dans ma vie. am


Variantes

  1. Ce titre figure à partir de l'édition {CL}
  2. 6me volume. 3me chapitre {Ms}Chapitre septième {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ VII {CL}
  3. Deschartres. — La montre du père Godard. — Le régiment {Ms} ♦ Deschartres. — Le régiment {Presse} et sq.
  4. Après l'argument, où plusieurs lignes sont fortement raturées à l'encre bleue, lacune de {Ms}.
  5. je veux retracer {Presse} ♦ Je veux me retracer {Lecou} et sq.
  6. Ma gaîté {Presse} ♦ Ma gaieté {CL}
  7. besoin de l'être; {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ besoin de cela; {CL}
  8. Avec Il se trouvait, réapparition de {Ms}.
  9. les essuyer. / J'aurais rougi de les laisser voir. J'aurai pourtant {Presse} ♦ les essuyer. J'aurais rougi de les laisser voir. / J'aurai pourtant {CL}
  10. contre mon sort {Ms}contre cette destinée {Presse} et sq.
  11. l'abandon de mon cœur {Ms}l'élan de mon cœur {Presse} et sq.
  12. les opprimés et les obscurs, de préférence aux riches et aux illustres. Cette tendance {Ms}les opprimés. Cette tendance {Presse} et sq.
  13. contestera pas, après avoir {Ms}contestera pas, de bonne foi, après avoir {Presse} et sq.
  14. c'est que mon choix {Ms}c'est que le choix de mes opinions {Presse} et sq.
  15. on l'a dit: mais le résultat {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ on l'a dit: il a été le résultat {CL}
  16. que Buonaparte {Ms}que Bonaparte {Presse} et sq.
  17. la folle confiance {Ms}la confiance {Presse} et sq.
  18. maman sourit tristement à cette prédiction, et nous dit {Ms}maman jugea tout autrement, et nous dit {Presse} et sq.
  19. parlante aussitôt que je l'évoquais {Ms}parlante aussitôt que j'entendais prononcer son nom {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ parlante sitôt que j'entendais prononcer son nom {CL}
  20. physiologique dont les gens de l'art pourront prendre note. Ce n'était {Ms}physiologique. Ce n'était {Presse} et sq.
  21. aucune foi, {Ms}aucune loi, {Presse} ♦ aucune foi, {Lecou} et sq.
  22. Le séjour des [alliés rayé] ennemis {Ms}Le séjour des ennemis {Presse} et sq.
  23. et lire [des romans rayé] Voltaire {Ms}et lire Voltaire {Presse} et sq.
  24. emportemens, [et que j'aimais aussi moi-même rayé bleu] fit rentrer {Ms}emportements, fit rentrer {Presse} et sq.
  25. presque [honte rayé] frayeur {Ms}presque frayeur {Presse} et sq.
  26. qui s'élevaient en moi {Ms}qui se réveillaient en moi {Presse} et sq.
  27. vu admirer, respecter ou redouter {Ms}vu respecter et redouter {Presse} et sq.
  28. Le général Subervic {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ Le général Subervie {LP} ♦ Le général Subervic {CL} ♦ Le général Subervie {Lub} (rétablissant la leçon de {LP}, seule correcte; nous le suivons, cettevariante sera désormais marquée du signe ).
  29. On voyait, au premier {Presse} ♦ On voyait au premier {CL}
  30. ses vieux seigneurs {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {Lecou} ♦ ces vieux seigneurs {CL} ses vieux seigneurs {Lub} (rétablissant la 1ère leçon; nous ne le suivons pas, la correction ne paraissant pas nécessaire)
  31. que ses propres {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ que ces propres {LP} ♦ que ses propres {CL}
  32. recevoir ces ordres {Ms}recevoir les ordres {Presse} et sq.
  33. Le lieutenant-colonel Féroussac {Presse} à {CL} ♦ Le lieutenant-colonel Féroussat {Lub} restituant l'orthographe exacte du nom; nous le suivons
  34. de l'impératrice, je crois, et il était entré [encore enfant au service rayé] dans l'armée {Ms}de l'impératrice, et il était entré dans l'armée {Presse} et sq.
  35. en repos. [Son père était en Italie et lui-même est maintenant général de Div rayé bleu]. Il est maintenant {Ms}en repos. Il est maintenant général {Presse} ♦ en repos. Il est maintenant général* {Presse} et sq.
  36. Cette note n'apparaît pas dans {Presse}.
  37. époque. / Je me rappelle qu'il y eut pourtant un autre fait un peu plus grave et que je raconte précisément pour montrer combien ces brigands se piquaient d'honneur et de probité. / Un jeune soldat qui maraudait pour son compte, entra un jour chez le père Godard, menuisier littéraire qu'on appelait le maître Adam de Nohant, qui faisait de bonne menuiserie et de mauvais vers, et qui d'ailleurs avait beaucoup d'intelligence et un bien être honorable. Le jeune soldat demanda à boire. Maître Godard le pria Je s'asseoir dans sa grand'chambre pendant qu'il irait à la cave lui chercher du vin frais. Quand il revint il ne trouva plus son homme, et s'aperçut que sa montre d'argent n'était plus au clou. Indigne de cet abus de confiance, il sort, il court, il crie. La route étant toujours couverte de soldats, trois grognards qui l'entendent crie, au voleur prétendent qu'il insulte le troupier français et lui font subir un interrogatoire sévère. Le père Godard expose sa plainte et leur désigne le jeune soldat qui s'en allait en avant, un peu plus vite que de raison. Les grognards courent après lui, le saisissent, et déclarent qu'ils ne le laisseront fouiller qu'en présence du maire de l'endroit, afin que s'il est innocent, il soit bien constaté qu'on lui a fait une insulte gratuite, et que le plaignant soit tancé et humilié pour sa mauvaise foi ou sa précipitation. / Voilà les trois grognards, le maître Adam de chez nous, et l'accusé en présence de Deschartres dans la cuisine de Nohant. On fouille le soldat et on trouve dans son sac une dinde fraichement plumée. Ça ne me regarde pas, dit Godard: c'est une montre et non pas une dinde que je réclame, et il fait une scrupuleuse description de sa montre d'argent. Cependant les recherches n'amènent aucune découverte. Deschartres allait se voir réduit à verbaliser sur la dinde, lorsqu'un des grognards l'arrêtant: Pardon excuse, lui dit-il, ça ne se fait jamais. La volaille ne compte pas, c'est le gibier du soldat et s'il ne l'a pas prise dans une cour, s'il l'a rencontrée sur un chemin, il peut s'expliquer et se justifier. Quant à toi, dit-il en s'adressant à l'accusé, tu auras affaire à moi pour avoir amassé cette volaille dans un pays où on ne nous refuse rien, et je te considère comme un individu sur sa sa gueule. À présent, réponds, as-tu pris la montre de ce particulier? dis la verité, ou prends garde à toi! / Le pauvre diable balbutia et devint pâle comme la mort, le grognard palpait le ventre de la volaille d'un air significatif. Pourtant le coupable espéra que son camarade ne le trahirait pas et il nia. / — Allons, dit l'implacable grognard, il faut que tu sois une vraie canaille, j'en suis fâché pour toi: tenez, Mr le maire, dit-il à Deschartres, vous ne savez pas fouiller. Tâtez-moi ça, avec quoi donc est-ce que vous engraissez votre volaille dans ce pays-ci? Et pressant fortement sur le ventre de la dinde, on en vit sortir la montre, par le même chemin qu'on lui avait fair prendre pour l'y faire entrer. / Le père Godard était si content de ravoir sa grosse montre d'argent qu'il s'en fut sans demander son reste. Mais Deschartres voulant intervenir contre le délinquant: « Ça nous regarde, dit un des grognards en le repoussant. Il a deshonoré ses camarades, c'est à ses camarades de le corriger. » Et, pendant qu'il parlait ainsi, je vis de grosses larmes couler sur ses joues bazanées. Aussitôt, dans un silence effrayant, trois paires de poings formidables tombèrent sur la tête du coupable, et on eut bien de la peine à l'arracher tout sanglant de leurs mains. / Nous vîmes passer {Ms}époque. ” / Je me rappelle qu'il y eut pourtant un fait un peu plus grave et que je raconte précisément pour montrer combien ces brigand se piquaient d'honneur et de probité. Nous vîmes passer {Presse} ♦ époque. ” Nous vîmes passer {Lecou} et sq.
  38. Nouvelle lacune de {Ms} après nos domestiques
  39. dans ma vie. / FIN DU DEUXIÈME VOLUME {CL}

Notes

  1. Voir la note en tête du chapitre VI. {Presse} donne bien Chapitre septième et non Chapitre huitième
  2. Le lieutenant-colonel Féroussat: Jean-Louis Féroussat (°1780 - †...).
  3. Pas d'appel de note dans {Presse}.