GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.2 [287]; Lub T.1 [641]} TROISIÈME PARTIE
De l'enfance � la jeunesse
1810-1819 a

{Presse 31/12/1854 1; CL T.2 [333]; Lub T.1 [681]} III b

Id�e d'une loi morale r�glementaire des affections. — Retour � Nohant. — La Brande. — Bivouac dans une patache. — La maison de refuge. — Ann�e de bonheur. — Apog�e de la puissance imp�riale. — Commencement de trahison. — Propos et calomnies de salon. — Premi�re communion de mon fr�re. — Notre vieux cur�; sa vieille gouvernante; ses sermons. — Son voleur; sa jument; sa mort. — Les m�faits de l'enfance. — Le faux Deschartres. — La d�votion de ma m�re. — J'apprends le fran�ais et le latin. c



Je m'ennuyais beaucoup, et pourtant je n'�tais pas encore malheureuse; j'�tais fort aim�e, et ce n'est pas l� ce qui m'a manqu� dans ma vie. Je ne me plains donc pas de cette vie malgr� toutes ses douleurs, car la plus grande doit �tre de ne point inspirer les affections qu'on �prouve. Mon malheur et ma destin�e furent d'�tre bless�e et d�chir�e pr�cis�ment par l'exc�s de ces affections qui manquaient tant�t de clairvoyance ou de d�licatesse, tant�t de justice ou de mod�ration. Un de mes amis, homme d'une grande intelligence, faisait souvent une r�flexion qui m'a toujours paru tr�s-frappante, et il la d�veloppait ainsi: « On a fait des r�gles et des lois morales pour corriger ou d�velopper les instincts, disait-il; mais on n'en a point fait pour diriger et �clairer les sentiments. Nous avons des religions et des philosophies pour r�gler nos app�tits et r�primer nos passions; les devoirs de l'�me nous sont bien enseign�s d'une mani�re �l�mentaire; mais l'�me a toutes sortes d'�lans qui donnent toutes sortes de nuances et d'aspects particuliers � ses affections. Elle a des puissances qui d�g�n�rent {CL 334} en exc�s, des d�faillances qui deviennent des maladies. Si vous consultez vos amis, d si vous cherchez un rem�de dans les livres, vous aurez {Lub 682} diff�rents avis et des jugements contradictoires: preuve qu'il n'y a pas de r�gle fixe pour la morale des affections m�me les plus l�gitimes, et que chacun, livr� � lui-m�me, juge � son point de vue l'�tat moral de celui qui lui demande conseil; conseil qui ne sert � rien, d'ailleurs, qui ne gu�rit aucune souffrance et ne corrige aucun travers. Par exemple, je ne vois pas o� est le cat�chisme de l'amour et pourtant l'amour, sous toutes les formes, domine notre vie enti�re: amour filial, amour fraternel, amour conjugal, amour paternel ou maternel, amiti�, bienfaisance, charit�, philanthropie, e l'amour est partout, il est notre vie m�me. Eh bien, l'amour �chappe � toutes les lois, � toutes les directions, � tous les conseils, � tous les exemples, � tous les pr�ceptes. Il n'ob�it qu'� lui-m�me et il devient tyrannie, jalousie, soup�on, exigence, obsession, inconstance, caprice, volupt� ou brutalit�, chastet� ou asc�tisme, d�vouement sublime ou �go�sme farouche, le plus grand des biens, le plus grand des maux, suivant la nature de l'�me qu'il remplit et poss�de. N'y aurait-il pas un cat�chisme � faire pour rectifier les exc�s de l'amour, car l'amour est excessif de sa nature, et il l'est souvent d'autant plus qu'il est plus chaste et plus sacr�.

« Souvent f les m�res rendent leurs enfants malheureux � force de les aimer, impies � force de les vouloir religieux, t�m�raires � force de les vouloir prudents, ingrats � force de les vouloir tendres et reconnaissants. Et la jalousie conjugale! O� sont ses limites permises d'atteindre, d�fendues de d�passer? Les uns pr�tendent qu'il n'y a pas d'amour sans jalousie, d'autres que le v�ritable amour ne conna�t pas le soup�on et la m�fiance. O� est g sous ce rapport la r�gle de conscience qui devrait nous enseigner {CL 335} � nous observer, � nous gu�rir nous-m�mes, � nous ranimer quand notre enthousiasme s'�teint, � le r�primer quand il s'emporte au del� du possible? Cette r�gle, l'homme ne l'a pas encore trouv�e; voil� pourquoi je dis que nous vivons comme des aveugles, et que si les po�tes ont mis un bandeau sur les yeux de l'amour, les philosophes n'ont pas su le lui �ter. »

Ainsi parlait mon ami, et il mettait le doigt sur mes plaies; car toute ma vie j'ai �t� le jouet des passions d'autrui, par cons�quent leur victime. Pour ne parler que du commencement de ma vie, ma m�re et ma {Lub;683} grand'm�re, avides de mon affection, s'arrach�rent les lambeaux de mon cœur. Ma bonne elle-m�me ne m'opprima et ne me maltraita que parce qu'elle m'aimait avec exc�s et me voulait parfaite, selon ses id�es.

D�s les premiers jours du printemps, nous f�mes les paquets pour retourner � la campagne, j'en avais grand besoin. Soit trop de bien-�tre, soit l'air de Paris, qui ne m'a jamais convenu, je redevenais languissante et je maigrissais � vue d'œil. Il n'aurait pas fallu songer � me s�parer de ma m�re; je crois qu'� cette �poque, ne pouvant avoir le sentiment de la r�signation et la volont� de l'ob�issance, j'en serais morte. Ma bonne maman invita donc ma m�re � revenir avec nous � Nohant, et comme je montrais � cet �gard une inqui�tude qui inqui�tait les autres, il fut convenu que ma m�re me conduirait avec elle et que Rose nous accompagnerait, tandis que la grand'm�re irait de son c�t� avec Julie. On avait vendu la grande berline et on ne l'avait encore remplac�e, vu un peu de g�ne dans les finances, h que par une voiture � deux places.

Je n'ai point parl� dans ce qui pr�c�de de mon oncle Mar�chal, ni de sa femme, ma bonne tante Lucie, ni de leur fille, ma ch�re Clotilde. Je ne me rappelle rien de {CL 336} particulier sur eux dans cette p�riode de temps. Je les voyais assez souvent, mais je ne sais plus o� ils demeuraient. Ma m�re m'y conduisait et m�me quelquefois ma grand'm�re, qui recevait d'eux et qui leur rendait de rares visites. Les mani�res franches et ouvertes de ma tante ne lui plaisaient pas beaucoup, mais elle �tait trop juste pour ne pas reconna�tre l'amiti� vraie qu'elle avait eue pour mon p�re, et les excellentes et solides qualit�s du mari et de la femme.

J'eus donc le plaisir de demeurer deux ou trois jours avec ma m�re et Caroline, dans une intimit� de tous les moments. Puis ma pauvre sœur retourna en pleurant � sa pension, o� l'on mit, je crois, Clotilde avec elle pendant quelque temps pour la consoler, et nous part�mes. i

Nous e�mes une aventure fort classique avant d'arriver � Nohant, et je la raconterai pour montrer combien l'�tat des routes et la physionomie du pays ont chang� depuis une quarantaine d'ann�es dans certaines parties de la France.

{Lub 684} Entre Ch�teauroux et Nohant recommence une esp�ce de Sologne qui se prolonge jusqu'� l'entr�e de la vall�e Noire. C'est beaucoup moins pauvre et moins laid que la Sologne, surtout aujourd'hui que presque tous les abords de la route sont cultiv�s. D'ailleurs le terrain a quelque mouvement, et derri�re les grandes nappes de bruy�re on retrouve presque partout les horizons bleus des terres fertiles au centre desquelles s'�tend ce petit d�sert. Le voisinage de ces terres combat l'insalubrit� des landes, et si la v�g�tation et le b�tail y sont plus p�les et plus maigres que dans notre vall�e, du moins ne sont-ils pas mourants comme dans les pays st�riles d'une grande �tendue. Ce d�sert, car il est � peine sem� de quelques fermes et de quelques chaumi�res aujourd'hui, et � l'�poque de mon r�cit il n'en comptait pas une seule, est appel� {CL 337} dans le pays la Brande. Vers l'extr�mit� qui regarde Ch�teauroux est une bourgade qu'on appelle Ardentes. Est-ce � cause des forges qui y existaient d�j� du temps des romains? Et les landes environnantes �taient-elles alors couvertes de for�ts qu'on aurait peu � peu br�l�es pour la consommation de ces forges? Ces deux noms le feraient croire. À moins encore qu'un vaste incendie n'ait d�vor� jadis et les bois et la bourgade.

Quoi qu'il en soit, la Brande �tait encore, au temps dont je parle, un cloaque impraticable et un sol compl�tement abandonn�. Il n'y avait point de route trac�e, ou plut�t il y en avait cent, chaque charrette ou patache essayant de se frayer une voie plus s�re et plus facile que les autres dans la saison des pluies. Il y en avait bien une qui s'appelait la route; mais, outre que c'�tait la plus g�t�e, elle n'�tait pas la plus facile � suivre au milieu de toutes celles qui la croisaient. On s'y perdait continuellement, c'est ce qui nous arriva.

Arriv�s � Ch�teauroux, o� cessait � cette �poque toute esp�ce de diligences, nous d�jeun�mes chez M. Duboisdoin, un vieux et excellent ami de ma grand'm�re, qui avait �t� employ� au service de la recette g�n�rale par mon grand-p�re M. Dupin et qui avait conserv� pour nous un vif attachement. C'�tait un aimable et heureux petit vieillard, sec, robuste et enjou�. Il a eu une long�vit� extraordinaire sans infirmit�s. À quatre-vingt-deux ans il venait en �t� de Ch�teauroux � Nohant � pied, c'est-�-dire qu'il faisait ainsi neuf lieues {Lub 685} pour nous voir, son habit au bout de sa canne plac�e sur son �paule, comme un jeune compagnon du tour de France. Il sautait les foss�s, il courait, il dansait, il b�chait, il travaillait j tout seul son jardin, qui �tait admirable de fleurs et de fruits. Il nous fit une r�ception charmante, nous retint longtemps � table, nous promena dans son enclos, o� il ne nous fit gr�ce ni d'une violette {CL 338} ni d'un abricotier en fleur, si bien que le jour tombait lorsque nous mont�mes dans une patache de louage, conduite par un gamin de douze ou treize ans, et tra�n�e par une pauvre haridelle tr�s-efflanqu�e.

Je crois bien que notre autom�don n'avait jamais travers� la Brande, car lorsqu'il se trouva � la nuit close dans ce labyrinthe de chemins tourment�s, de flaques d'eau et de foug�res immenses, le d�sespoir le prit, et, abandonnant son cheval � son propre instinct, il nous promena au hasard pendant cinq heures dans le d�sert.

Je disais tout � l'heure qu'il n'y avait alors aucune habitation dans la Brande. Je me trompais, il y en avait une, et c'�tait le point de concours qu'il s'agissait de trouver dans la perspective, pour se diriger ensuite sur la vall�e Noire avec quelque chance de succ�s. On appelait cette maisonnette la maison du Jardinier, parce qu'elle �tait occup�e par un ancien jardinier du Magnier, romantique ch�teau situ� � une lieue de l�, � la lisi�re de la Brande et de la vall�e Noire, mais dans une autre direction que celle de Nohant.

Or, la nuit �tait sombre, et nous avions beau chercher cette introuvable maison du jardinier, nous n'en approchions pas; ma m�re avait une peur affreuse que nous ne fussions tomb�s dans la direction et dans le voisinage des bois de Saint-Aoust, qu'elle redoutait fort, parce que, dans sa pens�e, l'id�e des voleurs �tait infailliblement associ�e � celle des bois, n'eussent-ils eu qu'un arpent d'�tendue.

Le danger n'�tait pas l�. Outre qu'il n'y a jamais eu de brigands dans notre pays, le peu de voyageurs qui fr�quentaient alors les chemins perdus de la Brande ne leur aurait pas promis une riche existence. Le v�ritable danger �tait de verser et de rester dans quelque trou. Heureusement celui que nous rencontr�mes vers le minuit �tait � sec; il �tait profond et nous �chou�mes dans le sable si {CL 339} compl�tement, que rien ne put d�cider {Lub 686} le cheval � nous en tirer. Il fallut y renoncer; alors le gamin d�telant sa b�te, montant dessus et jouant des talons, nous souhaita une bonne nuit, et sans s'inqui�ter davantage des remontrances de ma m�re et des menaces �nergiques de Rose, disparut et se perdit dans la nuit t�n�breuse.

Nous voil� donc en pleine lande et � la belle �toile, ma m�re constern�e, Rose jurant apr�s le gamin, et moi pleurant � cause de l'inqui�tude et de la contrari�t� que ma m�re �prouvait, ce qui mettait mon �me en d�tresse.

J'avais peur aussi, et ce n'�tait ni de la nuit, ni des voleurs, ni de la solitude. J'�tais �pouvant�e par le chant des grenouilles qui habitent encore aujourd'hui par myriades les mar�cages de ces landes. En de certaines nuits de printemps et d'automne, elles poussent de concert une telle clameur sur toute l'�tendue de ce d�sert, que l'on ne s'entend point parler, et que cela ajoute � la difficult� de s'appeler et de se retrouver, si, en s'�garant, on se s�pare de ses compagnons de route. Cet immense coassement k me portait sur les nerfs et remplissait mon imagination d'alarmes inexplicables. En vain Rose se moquait de moi et m'expliquait que c'�tait un chant de grenouilles, je n'en croyais rien; je r�vais d'esprits malfaisants, de fadets et de gnomes irrit�s contre nous, qui troublions la solitude de leur empire.

Enfin Rose ayant jet� des pierres dans toutes les eaux et dans toutes les herbes environnantes pour faire taire ces symphonistes inexorables, r�ussit � causer avec ma m�re et � la tranquilliser sur les suites de notre aventure. On me coucha au fond de la patache, o� je ne tardai pas � m'endormir; ma m�re n'essaya pas d'en faire autant, mais elle devisait assez gaiement avec Rose, lorsque, vers les deux heures du matin, je fus �veill�e par une alerte. Un globe de feu paraissait � l'horizon. D'abord Rose pr�tendit {CL 340} que c'�tait la lune qui se levait, mais ma m�re pensait que c'�tait un m�t�ore et croyait voir qu'il se dirigeait rapidement sur nous.

Au bout de quelques instants on reconnut que c'�tait une sorte de fanal qui venait effectivement de notre c�t�, non sans faire beaucoup de zigzags et t�moigner de l'incertitude d'une recherche. Enfin on distingua des bruits de voix et le pas des chevaux. Ma m�re voulut encore se persuader que c'�taient des voleurs et que nous {Lub 687} devions fuir et nous cacher dans les broussailles pendant qu'ils pilleraient la patache; mais Rose lui d�montra que c'�tait au contraire des gens charitables qui venaient � notre secours, et elle courut au-devant d'eux pour s'en assurer.

En effet, c'�tait le bon jardinier de la Brande qui, comme un pilote habitu� � de fr�quents sauvetages, arrivait avec ses fils, ses chevaux, et la chandelle de r�sine entour�e d'un grand papier huil� et li� au bout d'une perche, sorte de phare qui avertissait de loin les naufrag�s de la Brande. Notre gamin n'avait pas �t� aussi �go�ste et aussi maladroit que nous l'avions pens�. Il avait r�ussi � trouver la maison de refuge et il revenait avec les h�tes pour les aider � nous retrouver aussi. En un instant ils remirent la patache sur pied, ils y attach�rent deux forts chevaux de labour, les premiers d�fricheurs peut-�tre qui aient enfonc� le soc de la charrue dans la Brande, et ils nous amen�rent chez eux, o� la m�re de famille nous attendait et nous avait pr�par� un souper rustique, un bon feu et des lits. Ce fut une f�te pour nous de manger et de dormir dans cette chaumi�re o� ronflaient d'autres enfants que notre arriv�e ne d�rangea pas le moins du monde. Les gros draps bien blancs, les baldaquins de serge jaune, le chant des coqs, la gaiet� du feu de bruy�re s�che, et surtout l'hospitalit� du paysan, nous charm�rent, et le soleil �tait d�j� haut quand nous repart�mes pour Nohant {CL 341} dans la patache avec un cheval de renfort et un guide.

Ce n'�tait pas un secours inutile, car le reste du voyage, jusqu'� l'entr�e de la vall�e Noire (deux lieues � parcourir), nous prit trois grandes heures, � cause des innombrables d�tours qu'il fallait faire pour ne point rencontrer les fondri�res; enfin il �tait midi quand nous arriv�mes � Nohant, et nous �tions partis de Ch�teauroux la veille au coucher du soleil. Aujourd'hui nous faisons cette promenade avec un bon cheval, sur une route magnifique, en deux heures.

Cette l portion de l'ann�e 1811 pass�e � Nohant fut, je crois, une des rares �poques de ma vie o� je connus le bonheur complet. J'avais �t� heureuse comme cela rue grange-bateli�re, quoique je n'eusse ni grands appartements ni grands jardins. Madrid avait �t� pour moi une campagne �mouvante et p�nible; l'�tat maladif que {Lub 688} j'en avais rapport�, la catastrophe survenue dans ma famille par la mort de mon p�re, puis cette lutte entre mes deux m�res, qui avait commenc� � me r�v�ler l'effroi et la tristesse, c'�tait d�j� un apprentissage du malheur et de la souffrance. Mais le printemps et l'�t� de 1811 furent sans nuages, et la preuve, c'est que cette ann�e-l� ne m'a laiss� aucun souvenir particulier. Je sais qu'Ursule la passa avec moi, que ma m�re eut moins de migraines que pr�c�demment, et que, s'il y eut de la m�sintelligence entre elle et ma bonne maman, cela fut si bien cach� que j'oubliai qu'il pouvait y en avoir et qu'il y en avait eu. Il est probable que ce fut aussi le moment de leur vie o� elles s'entendirent le mieux, car ma m�re n'�tait pas femme � cacher ses impressions. Cela �tait au-dessus de ses forces, et quand elle �tait irrit�e, la pr�sence m�me de ses enfants ne pouvait l'engager � se contenir.

Il y eut aussi dans la maison un peu plus de gaiet� qu'auparavant. Le temps n'endort pas les grandes douleurs, mais il les assoupit. Presque tous les jours pourtant {CL 342} je voyais l'une ou l'autre de mes deux m�res pleurer � la d�rob�e, mais leurs larmes m�mes prouvaient qu'elles ne pensaient plus � toute heure, � tout instant, � l'objet de leurs regrets. Les douleurs, dans leur plus grande intensit�, n'ont pas de crises: elles agissent dans une crise permanente pour ainsi dire.

Madame de La Marli�re vint passer un mois ou deux chez nous. Elle �tait fort amusante avec Deschartres, qu'elle appelait petit p�re et qu'elle taquinait du matin au soir. Elle n'avait pas, � coup s�r, autant d'esprit que ma m�re, mais il n'y avait jamais de bile dans ses plaisanteries. Elle avait de l'amiti� pour Deschartres sans �tre hostile � ma m�re, � qui elle donnait m�me toujours raison. Cette vieille femme l�g�re �tait bonne, facile � vivre, impatientante seulement par son caquet, son bruit, son mouvement, ses �clats de rire retentissants, ses bons mots un peu r�p�t�s et le peu de suite de ses propos comme de ses id�es. Elle �tait d'une ignorance fabuleuse, malgr� le brillant et le mordant de son caquet. C'�tait elle qui disait une �p�tre � l'�me au lieu d'un �pithalame, et Mistoufl� pour M�phistoph�l�s. Mais on pouvait se moquer d'elle sans la f�cher; elle riait aux �clats de ses b�vues, et c'�tait d'aussi bon cœur que quand elle riait de celles des autres.

{Lub 689} Les petits jardins, les grottes, les bancs de gazon, les cascades all�rent leur train pendant toute la belle saison. Le parterre du vieux poirier, qui marquait � notre insu la s�pulture de mon petit fr�re, re�ut de notables am�liorations. Un tonneau plein d'eau fut plac� � c�t�, afin que nous pussions nous livrer aux travaux de l'arrosage. Un jour je tombai la t�te la premi�re dans le tonneau, et je m'y serais noy�e si Ursule ne f�t venue � mon secours.

Nous avions chacune notre petit jardin dans le jardin de ma m�re, qui �tait lui-m�me si petit qu'il aurait bien d� nous suffire; mais un certain esprit de propri�t� est tellement {CL 343} inn� dans l'�tre humain qu'il faut � l'enfant quatre pieds carr�s de terre pour qu'il aime r�ellement cette terre cultiv�e par lui, et dont l'�tendue est proportionn�e � ses forces. Cela m'a toujours fait penser que, quelque communiste qu'on p�t �tre, on devait toujours reconna�tre une propri�t� individuelle. Qu'on la restreigne ou qu'on l'�tende dans une certaine mesure, qu'on la d�finisse d'une mani�re ou d'une autre, selon le g�nie ou les n�cessit�s des temps, il n'en est pas moins certain que la terre que l'homme cultive lui-m�me lui est aussi personnelle que son v�tement. Sa chambre ou sa maison est encore un v�tement, son jardin ou son champ est le v�tement de sa maison, et ce qu'il y a de remarquable, c'est que cette observation des instincts naturels qui constate le besoin de la propri�t� dans l'homme semble exclure le besoin d'une grande �tendue de propri�t�. Plus la propri�t� est petite, plus il s'y attache, mieux il la soigne, plus elle lui devient ch�re. Un noble v�nitien ne tient certainement pas � son palais autant qu'un paysan du Berry � {Presse 31/12/1854 2} sa chaumi�re, et le capitaliste qui poss�de plusieurs lieues carr�es en retire infiniment moins m de jouissances que l'artisan qui cultive une girofl�e dans sa mansarde. Un avocat de mes amis disait un jour en riant � un riche client qui lui parlait � sati�t� de ses domaines: « Des terres? Vous croyez qu'il n'y a que vous pour avoir des terres! J'en ai aussi, moi, sur ma fen�tre, dans des pots � fleurs; et elles me donnent plus de plaisirs et moins de soucis que les v�tres. » Depuis, cet ami a fait un gros h�ritage; il a eu des terres, des bois, des fermes, et des soucis par cons�quent.

En abordant l'id�e communiste, qui a beaucoup de {Lub 690} grandeur parce qu'elle a beaucoup de v�rit�, il faudrait donc commencer par distinguer ce qui est essentiel � l'existence compl�te de l'individu de ce qui est essentiellement {CL 344} collectif, dans sa libert�, dans son travail. n Voil� pourquoi le communisme absolu, qui est la notion �l�mentaire, par cons�quent grossi�re et excessive, o de l'�galit� vraie, est une chim�re ou une injustice.

Mais je ne pensais gu�re � tout cela il y a trente-sept ans*! Trente-sept ans! Quelles transformations s'op�rent dans les id�es humaines pendant ce court espace, et combien les changements sont plus frappants et plus rapides � proportion dans les masses que chez les individus! Je ne sais pas s'il existait un communiste il y a trente-sept ans. Cette id�e, aussi vieille que le monde, n'avait pas pris un nom particulier, et c'est peut-�tre un tort qu'elle en ait pris un de nos jours, car ce nom n'exprime pas compl�tement ce que devrait �tre l'id�e.

* 1848.

On n'en �tait pas alors � discuter sur de semblables mati�res. C'�tait la derni�re, la plus brillante phase du r�gne de l'individualit�. Napol�on �tait dans toute sa gloire, dans toute sa puissance, dans toute la pl�nitude de son influence sur le monde. Le flambeau du g�nie allait d�cro�tre. Il jetait sa plus vive lueur, sa clart� la plus �blouissante sur la France ivre et prostern�e. Des exploits grandioses avaient conquis une paix opulente, glorieuse, mais fictive; car le volcan grondait sourdement dans toute l'Europe, et les trait�s de l'empereur ne servaient qu'� donner le temps aux anciennes monarchies de rassembler des hommes et des canons. Sa grandeur cachait son vice originel, cette profonde vanit� aristocratique du parvenu qui lui fit commettre toutes ses fautes et rendit de plus en plus inutile au salut de la France la beaut� du g�nie et du caract�re de l'homme en qui la France se personnifiait. Oui, c'�tait un admirable caract�re d'homme, puisque la vanit� m�me, le plus mesquin, le plus pleutre des travers, n'avait pu alt�rer {CL 345} en lui la loyaut�, la confiance, la magnanimit� naturelles. Hypocrite dans les petites choses, il �tait na�f dans les grandes. Orgueilleux dans les d�tails, exigeant sur des mis�res d'�tiquette, et follement fier du chemin que lui avait fait faire la Fortune, il ne connaissait pas son propre {Lub 691} m�rite, sa vraie grandeur. Il �tait modeste � l'�gard de son vrai g�nie.

Toutes les fautes qui ont pr�cipit� sa chute, comme homme de guerre et comme homme d'�tat, sont venues d'une trop grande confiance dans le talent ou dans la probit� des autres. Il ne m�prisait pas l'esp�ce humaine, comme on l'a dit, pour n'estimer que lui-m�me: c'est l� un propos de courtisan d�pit�, ou d'ambitieux secondaire jaloux de sa sup�riorit�. Il s'est confi� toute sa vie � des tra�tres. Toute sa vie il a compt� sur la foi des trait�s, sur la reconnaissance de ses oblig�s, sur le patriotisme de ses cr�atures. Toute sa vie il a �t� jou� ou trahi.

Son mariage avec Marie-Louise �tait une mauvaise action et devait lui porter malheur. Les gens les plus simples et les plus tol�rants sur la loi du divorce, ceux m�me qui aimaient le plus l'empereur disaient tout bas, je m'en souviens bien: « C'est un mariage d'int�r�t, on ne r�pudie pas une femme qu'on aime et dont on est aim�. »

Il n'y aura, p en effet, jamais de loi qui sanctionne moralement une s�paration pleur�e de part et d'autre et qui s'accomplit seulement en vue d'un int�r�t mat�riel. Mais, tout en bl�mant l'empereur, on l'aimait encore parmi le peuple. Les grands commen�aient � le trahir, et jamais ils ne l'avaient tant adul�. Le beau monde �tait en f�te. La naissance d'un enfant roi (car ce n'e�t pas �t� assez pour l'orgueil du soldat de fortune que de lui donner le titre de Dauphin de France) avait jet� la petite bourgeoisie, les soldats, les ouvriers et les paysans dans l'ivresse. Il n'y avait pas une maison, riche ou pauvre, palais ou cabane, {CL 346} o� le portrait du marmot imp�rial ne f�t inaugur� avec une v�n�ration feinte ou sinc�re. Mais les masses �taient sinc�res, elles le sont toujours. L'empereur se promenait � pied, sans escorte, au milieu de la foule. La garnison de Paris �tait de douze cents hommes. q

Pourtant la Russie armait, Bernadotte donnait le signal d'une immense et myst�rieuse trahison. Les esprits un peu clairvoyants voyaient venir l'orage. La chert� des denr�es frapp�es par le blocus continental effrayait et contrariait les petites gens. On payait le sucre six francs la livre, et, au milieu de l'opulence apparente de la nation, on manquait de choses fort n�cessaires � la vie. Nos fabriques n'avaient pas encore atteint le degr� de perfectionnement n�cessaire � cet isolement de notre commerce. {Lub 692} On souffrait d'un certain malaise mat�riel, et quand on �tait las de s'en prendre � l'Angleterre, on s'en prenait au chef de la nation, sans amertume, il est vrai, mais avec tristesse.

Ma grand'm�re n'avait point d'enthousiasme pour l'empereur. Mon p�re n'en avait pas eu beaucoup non plus, comme on l'a vu dans ses lettres. Pourtant, dans les derni�res ann�es de sa vie, il avait pris de l'affection pour lui. Il disait souvent � ma m�re: « J'ai beaucoup � me plaindre de lui, non pas parce qu'il ne m'a pas plac� d'embl�e aux premiers rangs; il avait bien autre chose en t�te, et il n'a pas manqu� de gens plus heureux, plus habiles et plus hardis � demander que moi; mais je me plains de lui parce qu'il aime les courtisans et que ce n'est pas digne d'un homme de sa taille. Pourtant, malgr� ses torts envers la R�volution et envers lui-m�me, je l'aime. Il y a en lui quelque chose, je ne sais quoi, son g�nie � part, qui me force � �tre �mu quand mon regard rencontre le sien. Il ne me fait pas peur du tout, et c'est � cela que je sens qu'il vaut mieux que les airs qu'il se donne. »

{CL 347} Ma grand'm�re ne partageait pas cette sympathie secr�te qui avait gagn� mon p�re, et qui, jointe � la loyaut� de son �me, � la chaleur de son patriotisme, l'e�t certainement emp�ch�, je ne dis pas seulement de trahir l'empereur, mais m�me de se rallier apr�s coup au service des Bourbons. Il fallait que cela f�t bien certain d'apr�s son caract�re, puisque apr�s la campagne de France, ma grand'm�re, toute royaliste qu'elle �tait devenue, disait en soupirant: « Ah! Si mon pauvre Maurice avait v�cu, il ne m'en faudrait pas moins le pleurer � pr�sent! Il se serait fait tuer � Waterloo ou sous les murs de Paris, ou bien il se serait br�l� la cervelle en voyant entrer les Cosaques. » Et ma m�re disait r la m�me chose de son c�t�.

Pourtant ma grand'm�re redoutait l'empereur plus qu'elle ne l'aimait. À ses yeux c'�tait un ambitieux sans repos, un tueur d'hommes, un despote par caract�re encore plus que par n�cessit�. Les plaintes, les critiques, les calomnies, les r�v�lations fausses ou vraies ne remplissaient pas alors les colonnes des journaux. La presse �tait non pas seulement musel�e, mais avilie. Elle n'�tait pas forc�e seulement de se taire, elle �tait jalouse de {Lub 693} s'humilier et d'aduler la puissance. Cette absence s de pol�mique donnait aux conversations et aux pr�occupations des particuliers un caract�re de partialit� et de comm�rage extraordinaire. La louange officielle a fait plus de mal � Napol�on que ne lui en eussent fait vingt journaux hostiles. On �tait las de ces dithyrambes ampoul�s, de ces bulletins emphatiques, de la servilit� des fonctionnaires et de la morgue myst�rieuse des courtisans. On s'en vengeait en rabaissant l'idole dans l'impunit� des causeries intimes, et les salons r�calcitrants �taient des officines de d�lations, de propos d'antichambre, de petites calomnies, de petites anecdotes t qui devaient plus tard rendre la vie � la presse, sous la Restauration. Quelle vie! Mieux e�t valu rester morte que de ressusciter {CL 348} ainsi, en s'acharnant sur le cadavre de l'Empire vaincu et profan�.

La chambre � coucher de ma grand'm�re (car, je l'ai dit, elle ne tenait pas salon, et sa soci�t� avait un caract�re d'intimit� solennelle) f�t devenue une de ces officines si, par son esprit u et son grand sens, la ma�tresse du logis n'e�t fait de temps en temps ouvertement la part du vrai et du faux dans les nouvelles que chacun ou plut�t chacune y apportait; car c'�tait une soci�t� de femmes plut�t que d'hommes, et, au reste, il y avait peu de diff�rence morale entre les deux sexes, les hommes y faisant l'office de vieilles bavardes. Chaque jour on nous apportait quelque m�chant bon mot de M. de Talleyrand contre son ma�tre, ou quelque cancan de coulisses. Tant�t l'empereur avait battu l'imp�ratrice, tant�t il avait arrach� la barbe du saint-p�re. Et puis il avait peur, il �tait toujours plastronn�. Il fallait bien dire cela pour se venger de ce que personne ne songeait plus � l'assassiner, si ce n'est quelque intr�pide et fanatique enfant de la Germanie, comme Stabs ou la Sahla. Un autre jour, il �tait fou, il avait crach� au visage de M. Cambac�r�s. Et puis son fils, arrach� par le forceps au sein maternel, �tait mort en voyant la lumi�re, et le petit roi de Rome �tait l'enfant d'un boulanger de Paris. Ou bien, le forceps ayant d�prim� son cerveau, il �tait infailliblement cr�tin, et l'on se frottait les mains, comme si, en r�tablissant l'h�r�dit� au profit d'un soldat de fortune, la France devait �tre punie par la providence de n'avoir pas su conserver ses cr�tins l�gitimes.

{Lub 694} Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'au milieu de tous ces d�cha�nements sournois contre l'empereur, il n'y avait pas un regret, pas un souvenir, pas un vœu pour les Bourbons exil�s. J'�coutais avec stupeur tous ces propos; jamais je n'entendis prononcer le nom des pr�tendants inconnus qui tr�naient � huis clos on ne savait o�, et quand {CL 349} ces noms frapp�rent mes oreilles en 1814, ce fut pour la premi�re fois de ma vie.

Ces comm�rages ne nous suivaient pas � Nohant, si ce n'est dans quelques lettres que ma grand'm�re recevait de ses nobles amies. Elle les lisait tout haut � ma m�re, qui haussait les �paules, et � Deschartres, qui les prenait pour paroles d'Évangile, car l'empereur �tait sa b�te noire et il le tenait fort s�rieusement pour un cuistre.

Ma m�re �tait comme le peuple, elle admirait et adorait l'empereur � cette �poque. Moi, j'�tais comme ma m�re et comme le peuple. Ce qu'il ne faut jamais oublier ni m�conna�tre, c'est que les cœurs na�vement attach�s � cet homme furent ceux qu'aucune reconnaissance personnelle et aucun int�r�t mat�riel ne li�rent � ses d�sastres ou � sa fortune. Sauf de bien rares exceptions, tous ceux qu'il avait combl�s furent ingrats. Tous ceux qui ne song�rent jamais � rien lui demander v lui tinrent compte de la grandeur de la France.

{Presse 1/1/1855 1} Je crois que ce fut cette ann�e-l� ou la suivante qu'Hippolyte fit sa premi�re communion. Notre paroisse �tant supprim�e, c'est � Saint-Chartier que se font les d�votions de Nohant. Mon fr�re fut habill� de neuf ce jour-l�. Il eut des culottes courtes, des bas blancs et un habit-veste en drap vert billard. Il �tait si enfant que cette toilette lui tournait la t�te, et que s'il r�ussit � se tenir sage pendant quelques jours, ce fut dans la crainte, en manquant sa premi�re communion, de ne pas endosser ce costume splendide qu'on lui pr�parait.

C'�tait un excellent homme que le vieux cur� de Saint-Chartier, mais d�pourvu de tout id�al religieux. Quoiqu'il e�t un de devant son nom, je crois qu'il �tait paysan de naissance, ou bien, � force de vivre avec les paysans, il avait pris leurs fa�ons et leur langage, � tel point qu'il pouvait les pr�cher sans qu'ils perdissent un mot de son {CL 350} sermon; ce qui e�t �t� un bien si ses sermons eussent �t� un peu plus �vang�liques; mais il n'entretenait ses fid�les que d'affaires de m�nage, et c'�tait avec un abandon {Lub 695} plein de bonhomie qu'il leur disait en chaire: « Mes chers amis, voil� que je re�ois un mandement de l'archev�que qui nous prescrit encore une procession. Monseigneur en parle bien � son aise! Il a un beau carrosse pour porter Sa Grandeur, et un tas de personnages pour se donner du mal � sa place; mais moi, me voil� vieux, et ce n'est pas une petite besogne que de vous ranger en ordre de procession. La plupart de vous n'entendent ni � hue ni � dia. Vous vous poussez, vous vous marchez sur les pieds, vous vous bousculez pour entrer ou sortir de l'�glise, et j'ai beau me mettre en col�re, jurer apr�s vous, vous ne m'�coutez point, et vous vous comportez comme des veaux dans une �table. Il faut que je sois � tout dans ma paroisse et dans mon �glise. C'est moi qui suis oblig� de faire toute la police, de gronder les enfants et de chasser les chiens. Or je suis las de toutes ces processions qui ne servent � rien du tout pour votre salut et pour le mien. Le temps est mauvais, les chemins sont g�tt�s, et si Monseigneur �tait oblig� de patauger comme nous deux heures dans la boue avec la pluie sur le dos, il ne serait pas si friand de c�r�monies. Ma foi, je n'ai pas envie de me d�ranger pour celle-l�, et, si vous m'en croyez, vous resterez chacun chez vous... Oui-da, j'entends le p�re un tel qui me bl�me, et voil� ma servante qui ne m'approuve point. Écoutez, que ceux qui ne sont pas contents aillent... se promener. Vous en ferez ce que vous voudrez; mais, quant � moi, je ne compte pas sortir dans les champs. Je vous ferai votre procession autour de l'�glise. C'est bien suffisant. Allons, allons, c'est entendu. Finissons cette messe, qui n'a dur� que trop longtemps. »

{CL 351} J'ai entendu de mes deux oreilles plus de deux cents sermons dont celui-l� est un sp�cimen tr�s-att�nu�, et dont les formes sont rest�es proverbiales dans nos paroisses, particuli�rement la formule de la fin, qui �tait comme l'Amen de toutes ses pr�dications et admonestations paternelles.

Il y avait � Saint-Chartier une vieille dame d'un embonpoint prodigieux, dont l'�poux �tait maire ou adjoint de la commune. Elle avait eu une vie orageuse avant la r�volution; novice, elle avait saut� w par-dessus les murs du monast�re pour suivre � l'arm�e un garde-fran�aise ou un suisse. Je ne sais par quelle suite d'aventures {Lub 696} �tranges elle �tait venue asseoir ses derniers beaux jours dans le banc des marguilliers de notre paroisse, o� elle avait apport� beaucoup plus des mani�res du r�giment que de celles du clo�tre. Aussi la messe �tait-elle interrompue � chaque instant par ses b�illements x affect�s et par ses apostrophes �nergiques � m le cur�. « Quelle diable de messe, disait-elle tout haut, ce gredin-l� n'en finira pas! — Allez au diable, disait le cur� � demi-voix en se retournant pour b�nir l'auditoire: Dominus vobiscum. »

Ces dialogues jet�s � travers la messe et dans un style si accentu� que je ne puis en donner qu'une tr�s-faible traduction, troublaient � peine la gravit� de l'auditoire rustique, et comme ce furent les premi�res messes auxquelles j'assistai, il me fallut quelque temps pour comprendre que c'�taient des c�r�monies religieuses. La premi�re fois que j'en revins, ma grand'm�re me demandant ce que j'avais vu: « J'ai vu, lui dis-je, le cur� qui d�jeunait tout debout devant une grande table et qui de temps en temps se retournait pour nous dire des sottises. »

Le jour o� Hippolyte fit sa premi�re communion, le cur� l'avait invit� � d�jeuner apr�s la messe. Comme ce gros gar�on n'�tait pas tr�s-ferr� sur son cat�chisme, ma grand'm�re, qui d�sirait que la premi�re communion f�t, comme {CL 352} elle le disait, une affaire b�cl�e, avait pri� le cur� d'user d'un peu d'indulgence, all�guant le peu de m�moire de l'enfant. M. le cur� avait �t� indulgent en effet, et Hippolyte fut charg� de lui porter un petit cadeau, c'�tait douze bouteilles de vin muscat. On se mit � table et on d�boucha la premi�re bouteille. « Ma foi, fit le bon cur�, voil� un petit vin blanc qui se laisse boire et qui ne doit pas porter � la t�te comme le vin du cru; c'est doux, c'est gentil, �a ne peut pas faire de mal. Buvez, mon gar�on, mettez-vous l�. Manette, appelez le sacristain, et nous go�terons la seconde bouteille quand la premi�re sera finie. » La servante y et le sacristain prirent place, et trouv�rent le vin fort gentil en effet. Hippolyte ne se m�fiait de rien, n'en ayant jamais eu � discr�tion. Les convives le trouv�rent un peu chaud � la seconde bouteille, mais, apr�s essai, ils d�clar�rent qu'il ne portait pas l'eau. On passa au troisi�me et au quatri�me feuillet du Br�viaire, comme disait le cur�, {Lub 697} c'est-�-dire aux autres bouteilles du panier, et insensiblement le communiant, le cur�, la servante et le sacristain se trouv�rent si gais, puis si graves, puis si pr�occup�s, qu'on se s�para sans trop savoir comment. Hippolyte revint seul par les pr�s, car depuis longtemps tous les paroissiens venus � la messe �taient rentr�s chez eux. Chemin faisant, il se sentit la t�te si lourde qu'il croyait voir danser les buissons. Il prit le parti de se coucher sous un arbre et d'y faire un bon somme. Apr�s quoi ses id�es s'�tant un peu �claircies, il put revenir � la maison, o� il nous �difia tous par sa gravit� et sa sobri�t� le reste de la journ�e.

La servante du cur� �tait une toute petite femme, propre, active, d�vou�e, tracassi�re et acari�tre, ce dernier d�faut �tant souvent comme un compl�ment in�vitable des qualit�s dont il est peut-�tre l'exc�s. Elle avait sauv� la vie et la bourse de son ma�tre pendant la R�volution. Elle l'avait cach�, elle avait ni� sa pr�sence avec beaucoup de {CL 353} hardiesse et de sang-froid au temps de la pers�cution. Cela ne s'�tait point pass� dans notre vall�e Noire, o� les pr�tres ni les seigneurs n'ont jamais �t� menac�s s�rieusement ni maltrait�s en aucune fa�on. Depuis ce temps, Manette gouvernait despotiquement son ma�tre et le faisait marcher comme un petit gar�on. Ils sont morts � peu d'intervalle l'un de l'autre, dans un �ge tr�s-avanc�, et, malgr� leurs querelles et le peu d'id�al de leur vie, le temps, qui ennoblit tout, avait donn� � leur affection mutuelle un caract�re touchant. Manette voulait toujours que son ma�tre f�t exclusivement soign� et servi par elle; mais elle n'en avait plus la force, et lorsqu'il �tait malade, quand elle l'avait bien veill� et m�dicament�, elle tombait malade � son tour. Alors le cur� prenait une autre servante pour que la vieille p�t se reposer et se soigner. Mais � peine �tait-elle debout, qu'elle �tait furieuse de voir une �trang�re dans la maison. Elle n'avait pas de repos qu'elle ne l'e�t fait renvoyer.

Puis elle allait perdant de nouveau ses forces. z Elle se plaignait alors d'avoir trop d'ouvrage et de n'�tre point second�e. Et vite le cur� de reprendre une aide, qu'il fallait renvoyer de m�me au bout de huit jours. C'�tait une criaillerie perp�tuelle, et le cur� s'en plaignait � moi, car j'avais trente et quelques ann�es qu'il vivait encore. « H�las! disait-il, elle me rend tr�s-malheureux, {Lub 698} mais que voulez-vous! Il y a cinquante-sept ans que nous sommes ensemble, elle m'a sauv� la vie, elle m'aime comme son fils. Il faut bien que celui qui survivra ferme les yeux de celui qui partira le premier. Elle me gronde sans cesse, elle se plaint de moi comme si j'�tais un ingrat; je t�che de lui prouver qu'elle est injuste, mais elle est si sourde qu'elle n'entend pas la grosse cloche! » Et en disant cela le vieux cur� ne se doutait pas qu'il �tait sourd lui-m�me � ne pas entendre le canon.

{CL 354} Il n'�tait pas tr�s-aim� de ses paroissiens, et je pense qu'il y avait bien au moins autant de leur faute que de la sienne; car, quoi qu'on dise des {Presse 1/1/1855 2} touchantes relations qui existent dans les campagnes entre cur�s et paysans, rien n'est si rare, du moins depuis la R�volution, que de voir les uns et les autres se rendre justice et se t�moigner de l'indulgence. Le paysan exige du cur� trop de perfection chr�tienne, le cur� ne pardonne pas assez au paysan son exigence aa et les d�fauts de son �ducation morale, qui sont un peu l'œuvre du catholicisme, venu en aide au despotisme pour le tenir dans l'ignorance et la crainte.

Quoi ab qu'il en soit, notre cur� avait de bonnes qualit�s. Il �tait d'une franchise et d'une ind�pendance de caract�re qui ne se rencontrent plus gu�re dans la hi�rarchie eccl�siastique. Il ne se m�lait point de politique, il ne cherchait point � exercer de l'influence pour plaire � tel personnage ou pour se pr�server des rancunes de tel autre; car il �tait courageux, audacieux m�me par nature. Il aimait la guerre de passion et se plaisait au r�cit des grandes campagnes de nos soldats, disant que s'il n'�tait pas pr�tre il voudrait �tre militaire. Certes, il tenait bien un peu de l'un et de l'autre, car il jurait comme un dragon et buvait comme un templier. « Je ne suis point un cagot, moi, disait-il, sous la Restauration. Je ne suis pas un de ces hypocrites qui ont chang� de mani�res depuis que le gouvernement nous prot�ge; je suis le m�me qu'auparavant et n'exige pas que mes paroissiens me saluent plus bas ni qu'ils se privent du cabaret et de la danse, comme si ce qui �tait permis hier ne devait plus l'�tre aujourd'hui. Je suis mauvaise t�te, et je n'ai pas besoin de nouvelles lois pour me d�fendre; si quelqu'un me cherche noise, je suis bon pour lui r�pondre et j'aime mieux lui montrer mon {Lub 699} poing que de le menacer des gendarmes et du procureur du roi. Je suis un vieux de la vieille roche, et je ne crois pas qu'avec leur {CL 355} loi contre le sacril�ge ils aient r�ussi � faire aimer la religion. Je ne tracasse personne et ne me laisse gu�re tracasser non plus. Je n'aime pas l'eau dans le vin et ne force personne � en mettre. Si l'archev�que n'est pas content, qu'il le dise, je lui r�pondrai, moi! Je lui montrerai qu'on ne fait pas marcher un homme de mon �ge comme un petit s�minariste, et s'il m'�te ma paroisse, je n'irai pas dans une autre. Je me retirerai chez moi; j'ai huit ou dix mille francs de plac�s, c'est assez pour ce qui me reste de temps � vivre, et je me moquerai bien de tous les archev�ques du monde. »

En effet, l'archev�que �tant venu donner la confirmation � Saint-Chartier, et d�jeunant chez le cur� avec tout son �tat-major, monseigneur voulut plaisanter son h�te, qui ne se laissa pas faire. « Vous avez quatre-vingt-deux ans, monsieur le cur�, lui dit-il, c'est un bel �ge! — Oui-da, monseigneur, r�pliqua le cur�, qui ne se faisait pas faute de quelques liaisons hasard�es dans le discours, vous avez beau z'�tre archev�que, vous n'y viendrez peut-�tre point! » — L'observation du pr�lat voulait dire au fond: « Vous voil� si vieux que vous devez radoter, et il serait temps de c�der la place � un plus jeune. » Et la r�plique signifiait: « Je ne la c�derai point que vous ne m'en chassiez, et nous verrons si vous oserez faire cette injure � mes cheveux blancs. »

À ce m�me d�jeuner, vers le dessert, comme l'archev�que devait venir d�ner chez moi, le cur�, apostrophant mon fr�re, qui �tait � c�t� de lui, et croyant lui parler tout bas, lui cria en vrai sourd qu'il �tait: « Ah �a, emmenez-le donc et d�barrassez-moi de tous ces grands messieurs-l�, qui me font une d�pense de tous les diables et qui mettent ma maison sens dessus dessous. J'en ai prou, et grandement plus qu'il ne faut pour savoir qu'ils mangent mes perdrix et mes poulets tout en se gaussant de {CL 356} moi. » Ce discours, tenu � haute voix au milieu d'un silence dont le bon cur� ne se doutait pas, mit Hippolyte dans un grand embarras; mais, voyant que l'archev�que et le grand vicaire en riaient aux �clats, il prit le parti de rire aussi, et on quitta la table � la grande satisfaction de l'amphitryon et de Manette, qui, {Lub 700} croyant cacher leurs pens�es, les disaient tout haut � la barbe de leurs illustres h�tes.

Vers la fin de sa vie, notre cur� eut une �motion qui dut la h�ter. Il avait la manie de cacher son argent, comme beaucoup de vieillards qui n'osent le placer et qui se cr�ent un tourment avec les �conomies destin�es � faire la s�curit� de leurs vieux jours. Il avait mis les siennes dans son grenier. Un voisin, qu'il avait pourtant, dit-on, combl� de bienfaits, se laissa tenter, grimpa la nuit par les toits, p�n�tra par une lucarne et s'empara du tr�sor de M. l'abb�. Quand celui-ci vit ses �cus d�nich�s, il eut tant de col�re et de chagrin qu'il faillit devenir fou. Il �tait au lit, il avait presque le d�lire quand le procureur du roi vint, sur sa requ�te, prendre des informations et recevoir sa plainte. Ce qui ajoutait � la douleur et � l'indignation du vieillard, c'est qu'il avait devin� l'auteur du d�lit; mais, au moment de le d�signer aux poursuites de la justice, il fut pris de compassion pour cet homme qu'il avait aim�, et peut-�tre aussi d'un remords de chr�tien pour cet amour de l'argent qui l'avait trop domin�. « Faites votre besogne, dit-il au magistrat quil'interrogeait: j'ai �t� vol�, c'est vrai, mais si j'ai des soup�ons, je n'en dois compte qu'au bon Dieu, et il ne m'appartient pas de punir le coupable. » On le pressa vainement. « Je n'ai rien � vous dire, fit-il en tournant le dos avec humeur. Je pourrais me tromper, c'est � vous autres magistrats de prendre cela sur votre conscience, c'est votre �tat et non le mien. »

la nuit suivante, l'argent fut report� dans le grenier, et Manette, en furetant avec d�sespoir, le retrouva dans la {CL 357} cachette d'o� on l'avait soustrait. Le voleur, pris de repentir et touch� de la g�n�rosit� du cur�, s'�tait ex�cut� � l'instant m�me. Le cur�, pour faire cesser les investigations de la justice et les commentaires de la paroisse, donna � entendre qu'il avait r�v� la perte de son argent, ou que sa servante, pour le mieux cacher, l'avait chang� de place et ne s'en �tait pas souvenue le lendemain, � cause de son grand �ge qui lui avait fait perdre la m�moire. On raconta donc de diverses mani�res l'aventure du cur�, et plusieurs versions courent encore � cet �gard. Mais il m'a racont� lui-m�me ce que je raconte ici � son honneur, et m�me � l'honneur de son voleur, car le sentiment chr�tien qui estime le repentir plus agr�able {Lub 701} � Dieu que la pers�v�rance est un beau sentiment dont la justice humaine ne tient gu�re de compte.

Ce vieux cur� avait beaucoup d'amiti� pour moi. J'avais quelque chose comme trente-cinq ans qu'il disait encore de moi: « L'Aurore est une enfant que j'ai toujours aim�e. ac » Et il �crivait � mon mari, supposant apparemment qu'il pouvait lui donner de l'ombrage: « Ma foi, monsieur, prenez-le comme vous voudrez, mais j'aime tendrement votre femme. »

Le fait est qu'il agissait tout � fait paternellement avec moi. Pendant vingt ans, il n'a pas manqu� un dimanche de venir d�ner avec moi apr�s v�pres. Quelquefois j'allais le chercher en me promenant. Un jour je me fis mal au pied en marchant, et je n'aurais su comment revenir, car dans ce temps-l� il ne fallait pas parler de voitures dans les chemins de Saint-Chartier, si le cur� ne m'e�t offert de me prendre en croupe sur sa jument; mais j'aurais mieux fait de prendre en croupe le cur�, car il �tait si vieux alors, qu'il s'endormait au mouvement du cheval. Je r�vassais en regardant la campagne, lorsque je m'aper�us que la b�te, apr�s avoir progressivement ralenti son allure, s'�tait arr�t�e pour brouter, et que le cur� ronflait de tout son cœur. {CL 358} Heureusement l'habitude l'avait rendu solide cavalier, m�me dans son sommeil; je jouai du talon, et la jument, qui savait son chemin, nous conduisit � bon port, malgr� qu'elle e�t la bride sur le cou.

Apr�s le d�ner, o� il mangeait et buvait copieusement, il se rendormait au coin du feu, et de ses ronflements faisait trembler les vitres. Puis il s'�veillait et me demandait un petit air de clavecin ou d'�pinette; il ne pouvait pas dire piano, l'expression lui semblant trop nouvelle. À mesure qu'il vieillissait, il n'entendait plus les basses. Les notes aigu�s de l'instrument lui chatouillaient encore un peu le tympan. Un jour il me dit: « Je n'entends plus rien du tout. Allons! Me voil� vieux! » Pauvre homme! Il y avait longtemps qu'il l'�tait. Et pourtant il montait encore � cheval � dix heures du soir, et s'en retournait en plein hiver � son presbyt�re sans vouloir �tre accompagn�. Quelques heures avant de mourir, il dit au domestique que j'avais envoy� savoir de ses nouvelles: « Dites � l'Aurore ad qu'elle ne m'envoie plus rien, je n'ai plus besoin de rien; et dites-lui aussi que je l'aime bien ainsi que ses enfants. »

{Lub 702} Il me semble que la plus grande preuve d'attachement qu'on puisse revendiquer, c'est d'avoir occup� les derni�res pens�es d'un mourant. Peut-�tre aussi y a-t-il l� quelque chose de proph�tique qui doit inspirer de la confiance ou de l'effroi. Lorsque la sup�rieure de mon couvent mourut, de soixante pensionnaires qui l'int�ressaient toutes � peu pr�s �galement, elle ne songea qu'� moi, � qui pourtant elle n'avait jamais t�moign� une sollicitude particuli�re. « Pauvre Dupin, dit-elle � plusieurs reprises dans son agonie, je la plains bien de perdre sa grand'm�re! » Elle r�vait que c'�tait ma grand'm�re qui �tait malade et mourante � sa place. Cela me laissa une grande inqui�tude, et une sorte d'appr�hension superstitieuse de quelque malheur imminent.

{Presse 5/1/1855 1} Ce fut vers l'�ge de sept ans que je commen�ai � subir {CL 359} le pr�ceptorat de Deschartres. Je fus assez longtemps sans avoir � m'en plaindre, car, autant il �tait rude et brutal avec Hippolyte, autant il fut calme et patient avec moi dans les premi�res ann�es. C'est pour cela que je fis de rapides progr�s avec lui, car il d�montrait fort clairement et bri�vement quand il �tait de sang-froid; mais d�s qu'il s'animait, il devenait diffus, embarrass� dans ses d�monstrations, et la col�re, le faisant b�gayer, le rendait tout � fait inintelligible. Il maltraitait et rudoyait horriblement le pauvre Hippolyte, qui pourtant avait de la facilit� et une m�moire excellente. Il ne voulait pas tenir compte du besoin d'activit� d'une robuste nature que de trop longues le�ons exasp�raient. J'avoue bien, malgr� mon amiti� pour mon fr�re, que c'�tait un enfant insupportable. Il ne songeait qu'� briser, � d�truire, � taquiner, � jouer de mauvais tours � tout le monde.

Un jour ae il lan�ait des tisons enflamm�s dans la chemin�e, sous pr�texte de sacrifier aux dieux infernaux, et il mettait le feu � la maison. Un autre jour il mettait de la poudre dans une grosse b�che pour qu'elle f�t explosion dans le foyer et lan��t le pot-au-feu au milieu de la cuisine. Il appelait cela �tudier la th�orie des volcans. Et puis il attachait une casserole � la queue des chiens et se plaisait � leur fuite d�sordonn�e et � leurs cris d'�pouvante � travers le jardin. Il mettait des sabots aux chats, c'est-�-dire qu'il leur engluait les quatre pieds dans des coquilles de noix et qu'il les lan�ait ainsi sur la {Lub 703} glace ou sur les parquets, pour les voir glisser, tomber et retomber cent fois avec des jurements �pouvantables. D'autres fois, il disait �tre Calchas le grand pr�tre des grecs, et, sous pr�texte de sacrifier Iphig�nie sur la table de la cuisine, il prenait le couteau destin� � de moins illustres victimes, et s'�vertuant � droite et � gauche, il blessait les autres ou lui-m�me.

Je prenais bien quelquefois un peu de part � ses m�faits, {CL 360} dans la mesure de mon temp�rament, qui �tait moins fougueux. Un jour que nous avions vu tuer un cochon gras dans la basse-cour, Hippolyte s'imagina de traiter comme tels les concombres du jardin. Il leur introduisait une petite brochette de bois dans l'extr�mit� qui, selon lui, repr�sentait le cou de l'animal; puis, pressant du pied ces malheureux l�gumes, il en faisait sortir tout le jus. Ursule le recueillait dans un vieux pot � fleurs, pour faire le boudin, et j'allumais gravement un feu fictif � c�t�, pour faire griller le porc, c'est-�-dire le concombre, comme nous l'avions vu af pratiquer au boucher. Ce jeu nous plut tellement que, passant d'un concombre � un autre, ag choisissant d'abord les plus gras, et finissant par les moins rebondis, nous d�vast�mes lestement une couche, objet des sollicitudes du jardinier. Je laisse � penser quelle fut sa douleur quand il vit cette sc�ne de carnage. Hippolyte, au milieu des cadavres, ressemblait � Ajax immolant dans son d�lire les troupeaux de l'arm�e des grecs. Le jardinier porta plainte, et nous f�mes punis; mais cela ne fit pas revivre les concombres, et on n'en mangea pas cette ann�e-l�.

Un autre de nos m�chants plaisirs �tait de faire ce que les enfants de notre village appellent des trompe-chien. C'est un trou que l'on remplit de terre l�g�re d�lay�e dans de l'eau. On le recouvre avec de petits b�tons sur lesquels on place des ardoises et une l�g�re couche de terre ou de feuilles s�ches, et quand ce pi�ge est �tabli au milieu d'un chemin ou d'une all�e de jardin, on guette les passants et on se cache dans les buissons pour les voir s'embourber, en vocif�rant contre les gamins abominables qui s'inventent de pareils tours*. Pour peu que le trou soit profond, il y a {CL 361} de quoi se casser {Lub 704} les jambes; mais les n�tres n'offraient pas ce danger-l� ayant une assez grande surface. L'amusant c'�tait de voir la terreur du jardinier qui sentait la terre manquer sous ses pieds dans les plus beaux endroits de ses all�es ratiss�es, et qui en avait pour une heure � r�parer le dommage. Un beau jour Deschartres y fut pris. Il avait toujours de beaux bas � c�tes, bien blancs, des culottes courtes et de jolies gu�tres de nankin; car il �tait vaniteux de son pied et de sa jambe; il �tait d'une propret� extr�me et recherch� dans sa chaussure. Avec cela, comme tous les p�dants (c'est un signe caract�ristique � quoi on peut les reconna�tre � coup s�r, m�me quand ils ne font pas m�tier de p�dagogues), il marchait toujours le jarret tendu et les pieds en dehors. Nous marchions derri�re lui pour mieux jouir du coup d'œil. Tout d'un coup le sol s'affaisse et le voil� jusqu'� mi-jambe dans une glaise jaune admirablement pr�par�e pour teindre ses bas. Hippolyte fit l'�tonn�, et toute la fureur de Deschartres dut retomber sur Ursule et sur moi; mais nous ne le craignions gu�re, nous �tions bien loin avant qu'il e�t rep�ch� ses souliers.

* {[CL 360; Lub 703]} Le Berrichon a le go�t des verbes r�fl�chis. Il dit: « Cet homme ne sait pas ce qu'il -EM;se veut; il ne sait quoi se faire ni s'inventer.

Comme Deschartres battait cruellement mon pauvre fr�re et qu'il se contentait de dire des sottises aux petites filles, il �tait convenu entre Hippolyte, Ursule et moi que nous prendrions beaucoup de ces sortes de choses sur notre compte; et m�me nous avions, pour mieux donner le change, une petite com�die tout arrang�e et qui eut du succ�s pendant quelque temps. Hippolyte prenait l'initiative. « Voyez ces petites sottes! Criait-il aussit�t qu'il avait cass� une assiette ou fait crier un chien trop pr�s de l'oreille de Deschartres, elles ne font que du mal! Voulez-vous bien finir, mesdemoiselles! » Et il se sauvait tandis que Deschartres, mettant le nez � la fen�tre, s'�tonnait de ne pas voir les petites filles.

Un jour que Deschartres �tait all� vendre des b�tes � la {CL 362} foire, car l'agriculture et la r�gie de nos fermes l'occupaient en premi�re ligne, Hippolyte �tant cens� �tudier sa le�on dans la chambre du grand homme, s'imagina de faire le grand homme tout de bon. Il endosse la grande veste de chasse, qui lui tombait sur les talons, il coiffe la casquette � soufflet, et le voil� qui se prom�ne dans la chambre en long et en large, les pieds en dehors, les mains derri�re le dos � la mani�re du p�dagogue. {Lub 705} Puis il s'�tudie � imiter son langage, il s'approche du tableau noir, fait des figures avec de la craie, entame une d�monstration, se f�che, b�gaye, traite son �l�ve d'ignorant crasse et de butor; puis, satisfait de son talent d'imitation, il se met � la fen�tre et apostrophe le jardinier sur la mani�re dont il taille les arbres; il le critique, le r�primande, l'injurie, le menace; le tout dans le style de Deschartres et avec ses �clats de voix accoutum�s. Soit que ce f�t assez bien imit�, soit la distance, le jardinier, qui, dans tous les cas, �tait un gar�on simple et cr�dule, y fut pris, et commen�a � r�pondre et � murmurer. Mais quelle fut sa stupeur quand il vit � quelques pas de lui le v�ritable Deschartres qui assistait � cette sc�ne et ne perdait pas un des gestes ni une des paroles de son sosie! Deschartres aurait d� en rire, mais il ne supportait pas qu'on s'attaqu�t � sa personnalit�, et, par malheur, Hippolyte ne le vit pas, cach� qu'il �tait par les arbres. Deschartres, qui �tait rentr� de la foire plus t�t qu'on ne l'attendait, monta sans bruit � sa chambre et en ouvrit brusquement la porte, au moment o� l'espi�gle disait d'une grosse voix � un Hippolyte suppos�: « Vous ne travaillez pas, voil� une �criture de chat et une orthographe de crocheteur! pim, pan! Voil� pour vos oreilles, animal que vous �tes! »

En ce moment la sc�ne fut double, et pendant que le faux Deschartres souffletait un Hippolyte imaginaire, le v�ritable Deschartres souffletait le v�ritable Hippolyte.

{CL 363} J'apprenais la grammaire avec Deschartres et la musique avec ma grand'm�re. Ma m�re me faisait lire et �crire. On ne me parlait d'aucune religion, bien qu'on me f�t lire l'histoire sainte. On me laissait libre de croire et de rejeter � ma guise les miracles de l'antiquit�. Ma m�re me faisait dire ma pri�re � genoux � c�t� d'elle, qui n'y manquait pas, qui n'y a jamais manqu�. Et m�me c'�taient d'assez longues pri�res, car, apr�s que j'avais fini les miennes et que j'�tais couch�e, je la voyais encore � genoux, la figure dans ses mains et profond�ment absorb�e. Elle n'allait pourtant jamais � confesse et faisait gras le vendredi: mais elle ne manquait pas la messe le dimanche, ou, quand elle �tait forc�e de la manquer, elle faisait double pri�re: et quand ma grand'm�re lui demandait pourquoi elle pratiquait ainsi � moiti�, elle r�pondait: « J'ai ma religion; de celle qui est prescrite, {Lub 706} j'en prends et j'en laisse. Je ne peux pas souffrir les pr�tres, ce sont des cafards, et je n'irai jamais leur confier mes pens�es qu'ils comprendraient tout de travers. Je crois que je ne fais pas du mal, ah parce que si j'en fais, c'est malgr� moi. Je ne me corrigerai pas de mes d�fauts, je n'y peux rien; mais j'aime Dieu d'un cœur sinc�re, je le crois trop bon pour nous punir dans l'autre vie. Nous sommes bien assez ch�ti�s de nos sottises dans celle-ci; j'ai pourtant grand'peur de la mort, mais c'est parce que j'aime la vie et non parce que je crains de compara�tre devant Dieu, en qui j'ai confiance et que je suis s�re de n'avoir jamais offens� avec intention. — Mais que lui dites-vous dans vos longues pri�res? — Je lui dis que je l'aime, je me console avec lui de mes chagrins et je lui demande de me faire retrouver mon mari dans l'autre monde. — Mais qu'allez-vous faire � la messe? Vous n'y entendez goutte. — J'aime � prier dans une �glise; je sais bien que Dieu est partout, mais dans l'�glise je le vois mieux, et cette pri�re en commun {CL 364} me para�t meilleure. J'y ai beaucoup de distractions, cela dure trop longtemps; mais enfin il y a un bon moment o� je prie de tout mon cœur, et cela me soulage. »

« Pourtant, lui disait encore ma grand'm�re, vous fuyez les d�vots. — Oui, r�pondait-elle, parce qu'ils sont intol�rants et hypocrites, et je crois que si Dieu pouvait ha�r ses cr�atures, les d�vots et les d�votes surtout seraient celles qu'il ha�rait le plus. — Vous condamnez par l� votre religion m�me, puisque les personnes qui la pratiquent le mieux sont les plus ha�ssables et les plus m�chantes qui existent. Cette religion est donc mauvaise, et plus on s'en �loigne, meilleur on est; n'est-ce pas la cons�quence de votre opinion? — Vous m'en demandez trop {Presse 5/1/1855 2} long, disait ma m�re; je n'ai pas �t� habitu�e � raisonner mes sentiments, je vais comme je me sens pouss�e, et tout ce que mon cœur me conseille je le fais sans en demander la raison � mon esprit. »

On voit par l� et par l'�ducation qui m'�tait donn�e, ou plut�t par l'absence d'�ducation religieuse raisonn�e, que ma grand'm�re n'�tait pas du tout catholique. Ce n'�tait pas seulement les d�vots qu'elle ha�ssait, comme faisait ma m�re, c'�tait la d�votion, c'�tait le catholicisme {Lub 707} qu'elle jugeait froidement et sans piti�. Elle n'�tait pas ath�e, il s'en faut de beaucoup. Elle croyait � cette sorte de religion naturelle pr�conis�e et peu d�finie par les philosophes du dix-huiti�me si�cle. Elle se disait d�iste et repoussait avec un �gal d�dain tous lesdogmes, toutes les formes de religion. Elle tenait, disait-elle, J�sus-Christ en grande estime, et, admirant l'Évangile comme une excellente philosophie, elle plaignait la v�rit� d'avoir toujours �t� entour�e d'une fabulation plus ou moins ridicule.

Je dirai plus tard ce que j'ai gard� ou perdu, adopt� ou rejet� de ses jugements. Mais, suivant pas � pas le d�veloppement de mon �tre, je dois dire que dans mon enfance {CL 365} mon instinct me poussait beaucoup plus vers la foi na�ve et confiante de ma m�re que vers l'examen critique et un peu glac� de ma bonne maman. Sans qu'elle s'en dout�t, ma m�re portait de la po�sie dans son sentiment religieux, et il me fallait de la po�sie: non pas de cette po�sie arrang�e et faite apr�s m�re r�flexion, comme on essayait d'en faire alors pour r�agir contre le positivisme du dix-huiti�me si�cle, mais de celle qui est dans le fait m�me et qu'on boit dans l'enfance sans savoir ce que c'est et quel nom on lui donne. En un mot, j'avais besoin de po�sie comme le peuple, comme ma m�re, comme le paysan qui se prosterne un peu devant le bon Dieu, un peu devant le diable, prenant quelquefois l'un pour l'autre, et cherchant � se rendre favorables toutes les myst�rieuses puissances de la nature.

J'aimais le merveilleux passionn�ment, et mon imagination ne trouvait pas son compte aux explications que m'en donnait ma grand'm�re. Je lisais avec un �gal plaisir les prodiges de l'antiquit� juive et pa�enne. Je n'aurais pas mieux demand� que d'y croire; ma grand'm�re faisant de temps en temps un court et sec appel � ma raison, je ne pouvais pas arriver � la foi, mais je me vengeais du petit chagrin que cela me causait en ne voulant rien nier int�rieurement. C'�tait absolument comme pour mes contes de f�es, auxquels je ne croyais plus qu'� demi, en certains moments et comme par acc�s.

Les nuances que rev�t le sentiment religieux suivant les individus est une affaire d'organisation, et je ne fais pas le proc�s � la d�votion, comme ma grand'm�re, {Lub 708} � cause des vices de la plupart des d�vots. La d�votion est une exaltation de nos facult�s mentales comme l'ivresse est une exaltation de nos facult�s physiques. Tout vin enivre quand on boit trop, et ce n'est pas la faute du vin. Il y a des gens qui en supportent beaucoup et qui n'en sont que plus {CL 366} lucides. Il en est d'autres qu'une petite dose rend idiots et furieux. Mais, en somme, je crois que le vin ne nous fait r�v�ler que ce que nous avons en nous de bon ou de mauvais, et le meilleur vin du monde fait mal � ceux qui ont la t�te faible ou le caract�re irritable. L'exaltation aj .religieuse, sur quelque dogme qu'elle s'appuie, est donc un �tat de l'�me sublime, odieux ou mis�rable, selon que le vase o� fermente cette br�lante liqueur est solide ou fragile. Cette surexcitation de notre �tre fait de nous des saints ou des pers�cuteurs, des martyrs ou des bourreaux, et ce n'est certainement pas la faute du christianisme si les catholiques ont invent� l'inquisition et les tortures.

Ce qui me choque dans les d�vots en g�n�ral, ce ne sont pas les d�fauts qui tiennent invinciblement � leur organisation, c'est l'absence de logique de leur vie et de leurs opinions. Ils ont beau dire, ils font comme faisait ma m�re. Ils en prennent et ils en laissent, et ils n'ont pas ce droit que ma m�re s'arrogeait avec raison, elle qui ne se piquait point d'orthodoxie. Quand j'ai �t� d�vote, je ne me passais rien, et je ne faisais pas un mouvement sans m'en rendre compte et sans demander � ma conscience timor�e s'il m'�tait permis de marcher du pied droit ou du pied gauche. Si j'�tais d�vote aujourd'hui, je n'aurais peut-�tre pas l'�nergie d'�tre intol�rante avec les autres, parce que le caract�re ne s'abjure jamais; mais je serais intol�rante vis-�-vis de moi-m�me, et l'�ge m�r conduisant � une sorte de logique positive, je ne trouverais rien d'assez aust�re pour moi. Je n'ai donc jamais compris les femmes du monde qui vont au bal, au spectacle, qui montrent ak leurs �paules, qui songent � se faire belles, et qui pourtant re�oivent tous leurs sacrements, ne n�gligent aucune prescription du culte et se croient parfaitement d'accord avec elles-m�mes. Je ne parle pas ici des hypocrites, ce ne sont pas des d�votes, je parle de femmes tr�s-na�ves, et � qui j'ai souvent {CL 367} demand� leur secret pour p�cher ainsi sans scrupule contre leur propre conviction, et chacune me {Lub 709} l'a expliqu� � sa mani�re, ce qui fait que je ne suis pas plus avanc�e qu'auparavant.

Je ne comprends pas non plus certains hommes qui croient de bonne foi � l'excellence de toutes les prescriptions catholiques, qui en d�fendent le principe avec chaleur, et qui n'en suivent aucune. Il me semble que si je croyais tel acte meilleur que tel autre, je n'h�siterais pas � l'accomplir. Il y a plus, je ne me pardonnerais pas d'y manquer. Cette absence de logique chez les personnes al que je sais intelligentes et sinc�res est quelque chose que je n'ai jamais pu m'expliquer. Cela s'�claircira peut-�tre pour moi quand je repasserai mes souvenirs avec ordre, ce qui m'arrivera certes pour la premi�re fois de ma vie en les �crivant, et je pourrai analyser la situation de l'�me aux prises avec la foi et le doute, en me rappelant comment je devins d�vote et comment je cessai de l'�tre.

À sept ou huit ans je sus � peu pr�s ma langue. C'�tait trop t�t, car on me fit passer tout de suite � d'autres �tudes et on n�gligea de me faire approfondir la grammaire. am On me fit beaucoup griffonner, on s'occupa de mon style, mais on ne m'avertit qu'incidemment des incorrections qui s'y glissaient peu � peu, an � mesure que j'�tais entra�n�e par la facilit� de m'exprimer. Au couvent, ao il fut entendu que je savais assez de fran�ais pour qu'on ne me f�t pas suivre les le�ons des classes, et, en effet, je me tirai fort bien, � l'�preuve, des faciles devoirs distribu�s aux �l�ves de mon �ge; mais plus tard, quand je me livrai � ma propre r�daction, je fus souvent embarrass�e. Je dirai comment, au sortir du couvent, je rappris moi-m�me le fran�ais, et comment douze ans plus tard, lorsque je voulus �crire pour le public, je m'aper�us que je ne savais encore rien; comment j'en fis une nouvelle �tude qui, {CL 368} trop tardive, ne me servit gu�re, ce qui est cause que j'apprends encore ma langue en la pratiquant et que je crains de ne la savoir jamais. La puret�, la correction seraient pourtant un besoin de mon esprit, aujourd'hui surtout, et ce n'est jamais par n�gligence ni par distraction que je p�che, c'est par ignorance r�elle.

Le malheur vint de ce que Deschartres, partageant le pr�jug� qui pr�side � l'�ducation des hommes, s'imagina que, pour me perfectionner dans la connaissance {Lub 710} de ma langue, il lui fallait m'enseigner le latin. J'apprenais tr�s-volontiers tout ce qu'on voulait et j'avalai le rudiment avec r�signation. Mais le fran�ais, le latin et le grec qu'on apprend aux enfants prennent trop de temps, soit qu'on les enseigne par de mauvais proc�d�s, ou que ce soient les langues les plus difficiles du monde, ou encore que l'�tude d'une langue quelconque soit ce qu'il y a de plus long et de plus aride ap pour les enfants; toujours est-il qu'� moins de facult�s toutes sp�ciales, on sort du coll�ge sans savoir ni le latin, ni le fran�ais, et le grec encore moins. Quant � moi, le temps que je perdis � ne pas apprendre le latin fit beaucoup de tort � celui que j'aurais pu employer � apprendre le fran�ais, dans cet �ge o� l'on apprend mieux que dans tout autre.

Heureusement je cessai le latin d'assez bonne heure, ce qui fait que, sachant mal le fran�ais, je le sais encore mieux que la plupart des hommes de mon temps. Je ne parle pas ici des litt�rateurs, que je soup�onne fort de n'avoir pas pris leur forme et leur style au coll�ge, mais du grand nombre des hommes qui ont parfait leurs �tudes classiques sans songer depuis � faire de la langue une �tude sp�ciale. Si on veut bien le remarquer, on s'apercevra qu'ils ne peuvent �crire une lettre de trois pages sans qu'il s'y rencontre une faute de langage ou d'orthographe. On remarquera aussi que les femmes de vingt � trente ans qui ont {CL 369} re�u un peu d'�ducation, �crivent le fran�ais g�n�ralement mieux que les hommes, ce qui tient, selon moi, � ce qu'elles n'ont pas perdu huit ou dix ans de leur vie � apprendre les langues mortes.

Tout cela est pour dire que j'ai toujours trouv� d�plorable le syst�me adopt� pour l'instruction des gar�ons, et je ne suis pas seule de cet avis. J'entends dire � tous les hommes qu'ils ont perdu leur temps et l'amour de l'�tude au coll�ge. Ceux qui y ont profit� sont des exceptions. N'est-il donc pas possible d'�tablir un syst�me o� les intelligences ordinaires ne seraient pas sacrifi�es aux besoins des intelligences d'�lite?


Variantes

  1. Ce titre figure � partir de l'�dition {CL}
  2. 4me chapitre {Ms}Chapitre IV {Presse} (dans les num�ros du 1er et du 5 janvier, le titre de chapitre est Chapitre quatri�me (suite)) ♦ Chapitre troisi�me {Lecou} ♦ III {CL}
  3. Dans {Presse}, cet argument ne comprend pas: La Brande. — Bivouac dans une patache. — La maison de refuge, qui sont soulign�s en rouge dans {Ms}.
  4. vos amis, {Ms}les amis, {Presse} ♦ vos amis, {Lecou} et sq.
  5. charit� ou philanthropie, {Ms}, {Presse} ♦ charit�, philantrophie, {Lecou} et sq.
  6. plus sacr�. « Souvent {Presse} ♦ plus sacr�. / « Souvent {CL}
  7. Apr�s O� est, lacune de {Ms}, que nous ne retrouverons qu'au d�but du chapitre VII.
  8. dans nos finances, {Presse} ♦ dans les finances, {Lecou} et sq.
  9. Interruption de {Presse}
  10. il b�chait et travaillait {Lecou}, {LP} ♦ il b�chait, il travaillait {CL}
  11. croassement {Lecou}, {LP}, {CL} ♦ coassement {Lub} (corrigeant cette faute; nous le suivons)
  12. Reprise de {Presse}
  13. en retire moins {Presse} ♦ en retire infiniment moins {Lecou} et sq.
  14. dans sa libert�, dans son intelligence, dans sa jouissance, dans son travail. {Presse} (George Lubin omet ici, par erreur, dans son travail) ♦ dans sa libert�, dans son travail {Lecou} et sq.
  15. grossi�re et trop forc�e, {Presse} ♦ grossi�re et excessive, {Lecou} et sq.
  16. est aim�. » Il n'y aura, {Presse} ♦ est aim�. » / Il n'y aura, {CL}
  17. 12,000 hommes! {Presse} ♦ douze cents hommes. {Lecou} et sq.
  18. ma m�re m'en disait {Presse} ♦ ma m�re disait {Lecou} et sq.
  19. La presse �tait muette, mais cette absence {Presse} ♦ La presse [...] la puissance. Cette absence {Lecou} et sq.
  20. de plates anecdotes {Presse} ♦ de petites anecdotes {Lecou} et sq.
  21. par son bon esprit {Presse} ♦ par son esprit {Lecou} et sq.
  22. � lui rien demander {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ � rien lui demander {CL}
  23. orageuse: novice, avant la r�volution, elle avait saut� {Presse} ♦ orageuse avant la r�volution; novice, elle avait saut� {Lecou} et sq.
  24. b�illements {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ ba�llements {CL} ♦ b�illements {Lub} (rectifiant cette faute)
  25. sera finie. » / La servante {Presse} ♦ sera finie. » La servante {CL}
  26. Mais plus elle allait, plus elle perdait ses forces. {Presse} ♦ Puis elle allait perdant de nouveau ses forces. {Lecou} et sq.
  27. au paysan son existence {Presse} au paysan son exigence {Lecou} et sq.
  28. la crainte. Quoi {Presse} ♦ la crainte. / {CL}
  29. un enfant que j'ai toujours aim�. P: une enfant que j'ai toujours aim�e. {Lecou} et sq.
  30. Dites � Aurore {Presse} ♦ Dites � l'Aurore {Lecou} et sq.
  31. tout le monde. Un jour {Presse} ♦ tout le monde. / Un jour {CL}
  32. ainsi que nous l'avions vu {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ comme nous l'avions vu {CL}
  33. d'un concombre � l'autre, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ d'un concombre � un autre, {CL}
  34. point de mal, {Presse} ♦ pas de mal, {Lecou} ♦ pas du mal, {LP} et sq.
  35. me soulage. — « Pourtant, {Presse} ♦ me soulage. » / « Pourtant, {CL}
  36. irritable. / L'exaltation {Presse} ♦ irritable. L'exaltation {CL}
  37. au bal, qui montrent {Presse} ♦ au bal, au spectacle, qui montrent {Lecou} et sq.
  38. chez des personnes {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ chez les personnes {CL}
  39. faire repasser la grammaire. {Presse} ♦ faire approfondir la grammaire. {Lecou} et sq.
  40. qui se glissaient peu � peu dans mon langage, {Presse} ♦ qui s'y glissaient peu � peu, {Lecou} et sq.
  41. de m'exprimer par �crit. Au couvent, {Presse} ♦ de m'exprimer. Au couvent, {Lecou} et sq.
  42. et de plus difficile {Presse} ♦ et de plus aride {Lecou} et sq.

Notes