GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-Lévy 1876

{LP T.? ?; CL T.2 [287]; Lub T.1 [641]} TROISIÈME PARTIE
De l'enfance à la jeunesse
1810-1819 a

{Presse 6/4/1855 1; CL T.3 [156]; Lub T.1 [929]} XIII b

Départ d'Isabelle pour la Suisse. — Amitié protectrice de Sophie pour moi. — Fannelly. — La liste des affections. — Anna. — Isabelle quitte c le couvent. — Fannelly me console. — Retour d sur le passé. — Précautions mal entendues des religieuses. — Je fais des vers. — J'écris mon premier roman. — Ma grand'mère revient à Paris. — M. Abraham. — Études sérieuses pour la présentation à la cour. — Je retombe dans mes chagrins de famille. — On me met en présence d'épouseurs. — Visites chez les vieilles comtesses. — On me donne une cellule. — Description de ma cellule. — Je commence à m'ennuyer de la diablerie. — La vie des saints. — Saint Simon le Stylite, saint Augustin, saint Paul. — Le Christ au jardin des Oliviers. — L'Évangile. — J'entre un soir dans l'église.



Mon premier chagrin à la grande classe fut le départ d'Isabelle. Ses parents l'emmenaient en Suisse avec sa sœur aînée, qui n'était pas au couvent. Isabelle partit, joyeuse de faire un si beau voyage, ne regrettant que Sophie, et faisant fort peu d'attention à mes larmes. J'en fus blessée. J'aimais Sophie et j'en étais doublement jalouse: jalouse parce qu'elle me préférait Isabelle, jalouse parce que Isabelle me la préférait. J'eus quelques jours de grand chagrin. Mais la jalousie en amitié n'est point mon mal, je la méprise et m'en défends assez bien. Quand je vis Sophie pleurer son amie et dédaigner mes consolations, je ne fis pas la superbe. Je la priai de m'associer à ses regrets, d'être triste avec moi sans se gêner et de me parler d'Isabelle sans amais craindre de lasser ma patience et mon affection. « Au fait, me dit Sophie en se jetant dans mes bras, je ne sais pas pourquoi nous t'avions traitée comme un enfant, Isabelle et moi. Tu as plus de cœur qu'on ne {CL 157} pense, et je te jure amitié sérieuse. Tu me permettras d'aimer Isabelle avant tout. {Lub 930} Elle y a droit par ancienneté; mais après Isabelle, je sens que c'est toi que j'aime plus que tout le monde ici. »

J'acceptai joyeusement la part qui m'était faite, et je devins l'inséparable de Sophie. Elle fut toujours aimable et charmante; mais je dois dire que, pour l'élan du cœur et le dévouement complet, je fis toujours les frais de cette amitié; Sophie était exclusive malgré elle. Son âme ne pouvait se partager. Je l'accusai quelquefois d'ingratitude, puis je sentis que j'avais tort, et, sans la quitter d'une semelle, j'ouvris mon cœur à d'autres amitiés.

Mary partit pour un voyage e en Angleterre. Elle devait revenir bientôt, et je ne m'en affectai pas beaucoup, parce que mon entrée à la grande classe nous avait beaucoup séparées, et qu'à son retour elle devait m'y rejoindre. Mais son absence se prolongea. Elle ne revint qu'au bout d'un an et pour rentrer à la petite classe. L'affection qui s'empara de moi me dédommagea de toutes ces pertes, et je trouvai dans Fannelly de Brisac la plus aimante de toutes mes amies.

C'était une petite blonde, fraîche f comme une rose et d'une physionomie si vive, si franche, si bonne, qu'on avait du plaisir à la regarder. Elle avait de magnifiques cheveux cendrés qui tombaient en longues boucles sur ses yeux bleus et sur ses joues rondelettes. Comme elle remuait toujours, qu'elle ne savait pas marcher sans courir ni courir sans bondir comme une balle, ce perpétuel flottement de cheveux était la chose la plus gaie du monde. Ses lèvres vermeilles ne savaient que sourire, et comme elle était de Nérac, elle avait un petit accent gascon qui réjouissait l'oreille. Ses sourcils se rejoignaient au-dessus de son petit nez g, ses yeux pétillaient comme des étincelles. Elle agissait et entreprenait toujours, elle ne connaissait pas la rêverie. {CL 158} Elle babillait sans désemparer. Elle était tout feu, tout cœur, tout soleil, un vrai type méridional, la plus aimable, la plus vivante, la plus prévenante compagne que j'aie jamais eue.

Elle m'aima la première et me le dit sans savoir comment j'y répondrais. J'y répondis tout de suite et de tout mon cœur, sans savoir où cela me mènerait. Mais ma bonne étoile avait présidé à ce pacte d'inspiration. Je trouvai en elle un trésor de bonté, la douceur d'un ange dans la pétulance d'un démon, un esprit rayonnant de santé morale, une abondance de cœur {Lub 931} inépuisable, une complaisance empressée, ingénieuse, active, une droiture et une générosité d'instincts à toute épreuve, un caractère comme on n'en rencontre pas trois dans la vie pour l'unité, l'égalité, la sûreté. Cette personne-là a toujours vécu loin de moi depuis, nous ne nous sommes presque pas écrit. Elle n'était pas écriveuse, comme nous disions au couvent; nous ne nous sommes pas revues. Elle s'est mariée avec un homme très-estimable, M. Le Franc de Pompignan, mais dont la religion politique et sociale doit être tout l'opposé de la mienne. Elle doit donc vivre dans un milieu où je suis considérée très-probablement comme un suppôt de l'Antechrist*. Mais, en dépit de tout cela, il y a une chose dont je suis aussi assurée que de ma propre existence, c'est que Fannelly m'aime toujours tendrement et ardemment, c'est qu'aucun nuage n'a passé sur cette irrésistible et complète sympathie que nous avons éprouvée l'une pour l'autre il {CL 159} y a trente ans, c'est qu'elle ne pense jamais à moi sans se dire qu'elle m'aime et sans être certaine que je l'aime aussi. Qui ne l'eût aimée? Elle n'avait pas un seul défaut, pas un seul travers. À la voir si rieuse, si échevelée, si en l'air, on eût pu croire qu'elle ne pensait à rien, et cependant elle pensait toujours à vous être agréable; elle vivait pour ainsi dire de l'affection qu'elle vous portait et du plaisir qu'elle voulait vous donner. Je la vois toujours entrant dans la classe dix fois par jour (car elle savait sortir de classe comme personne), et remuant sa jolie tête blonde à droite et à gauche pour me chercher. Elle était myope, malgré ses beaux yeux. laquo Ma tante, disait-elle, où est donc ma tante? Mesdemoiselles, mesdemoiselles, qui a vu ma tante? — Eh! Je suis là, lui disais-je. Viens donc auprès de moi.

{[CL 158]} * Ce n'est pas une rasison pour omettre de rappeler la belle action qui s'est passée depuis que ces lignes sont écrites. Sous-préfet à Nérac, M. de Pompignan est descendu dans un puits méphitique où personne n'osait se risquer, pour en retirer de pauvres ouvriers asphyxiés. Parvenu au bour de ses efforts, M. de Pompignan, qui par deux fois déjà s'était évanoui, replongeant toujours ave un nouveau courage, faillit pauer de sa vie l'admirable dévouement de son cœur.

— Ah! C'est bien, ma tante! Tu m'as gardé ma place à côté de toi. C'est bien, c'est bien, nous allons rire. Mais {Lub 932} qu'est-ce que tu as, ma tante? Tu as l'air soucieux; voyons, dis-moi ce que tu as?

— Mais rien.

— En ce cas, ris donc; est-ce que tu t'ennuies? Eh, oui, je parie. Il y a au moins une heure que tu es tranquille. Viens, décampons; j'ai découvert quelque chose de charmant. »

Et elle m'emmenait battre les buissons dans le jardin, ou les pavés dans le cloître, et elle avait toujours préparé quelque folle surprise pour me divertir. Il n'y avait pas moyen d'être triste ou seulement rêveuse avec elle, et ce qu'il y avait de remarquable dans ce charmant naturel, c'est que son tourbillonnement ne fatiguait jamais. Elle vous arrachait à vous-même et ne vous faisait jamais regretter de vous être laissée aller. Elle était pour moi la santé, la vie de l'âme et du corps. C'était le ciel qui me l'envoyait, à moi qui avais, qui ai toujours eu besoin précisément de l'initiative des autres pour exister.

{CL 160} Je trouvais fort doux d'être aimée ainsi, et je dois ajouter que cette enfant est dans ma vie le seul être dont je me sois sentie aimée à toute heure avec la même intensité et la même placidité.

Comment fit-elle h durant deux années d'intimité pour ne pas se lasser de moi un seul instant? C'est qu'elle avait une libéralité de cœur tout exceptionnelle. C'est aussi qu'elle avait un esprit peu ordinaire. Elle avait trouvé le secret de me transformer, de me rendre amusante, de m'arracher si bien à mes langueurs et à mes abattements, qu'elle en était venue à me croire vivante comme elle. Elle ne se doutait pas que c'était elle qui me donnait la vie.

On avait au couvent l'enfantine et plaisante habitude d'établir et de respecter le classement de ses amitiés. L'on exigeait cela les unes des autres, ce qui prouve que la femme est née jalouse et tient à ses droits dans l'affection, à défaut d'autres droits à faire valoir dans la société. Ainsi on dressait la liste de ses relations plus ou moins intimes; on les classait par ordre, et les initiales des quatre ou cinq noms préférés étaient comme une devise qu'on lisait sur les cahiers, sur les murs, sur les couvercles de pupitre, comme autrefois l'on mettait certains chiffres et certaines couleurs sur ses armes et {Lub 933} sur son palefroi. Quand on avait donné la première place, on n'avait pas le droit de la reprendre pour la donner à une autre. L'ancienneté faisait loi. Ainsi ma liste de la grande classe portait invariablement Isabella Clifford en tête, et puis Sophie Cary. Quand vint Fannelly, elle ne put avoir que la troisième place, et bien que Fannelly n'eût pas de meilleures amies que moi, bien qu'elle n'en eût jamais d'autres que les miennes, elle accepta sans jalousie et sans chagrin cette troisième place. Après elle vint Anna Vié, qui eut la quatrième; et pendant près d'une année je ne formai pas d'autres relations. Le nom de madame Alicia couronnait toujours {CL 161} la liste, elle brillait seule, au-dessus, comme mon soleil. Les initiales de mes quatre compagnes formaient le mot Isfa, que je traçais sur tous les objets à mon usage dans la classe, comme une formule cabalistique. Quelquefois je l'entourais d'une auréole de petits a pour signifier qu'Alicia remplissait tout le reste i de mon cœur. Combien de fois madame Eugénie qui avec sa vue débile j voyait cependant tout, et mettait son petit nez curieux dans toutes nos paperasses, {Presse 6/4/1855 2} s'est-elle creusé l'esprit pour découvrir ce que signifiait ce mot mystérieux! Chacune de nous, ayant quelque logogriphe du même genre, lui laissait présumer que nous avions une langue de convention, et qu'à l'aide de ce langage nous conspirions contre son autorité. Mais elle interrogeait vainement. On lui disait que c'étaient des lettres jetées au hasard pour essayer les plumes. Le mystère est une si belle chose quand il ne cache aucun secret!

Anna Vié, ma quatrième, était une personne très-intelligente, gaie, railleuse, malicieuse, la plus spirituelle du couvent en paroles. Il était impossible de ne pas se plaire avec elle. Elle était laide et pauvre, et ces deux disgrâces k dont elle riait sans cesse faisaient son plus grand charme; orpheline, elle avait pour tout appui un vieil oncle grec, M. de Césarini, qu'elle connaissait peu et craignait beaucoup. Diable au premier chef, rageuse surtout, redoutée pour son ironie, elle avait pourtant un noble et généreux cœur. Sa gaieté brillante cachait un grand fonds d'amertume. Son avenir, qui se présentait toujours à elle sous des couleurs sombres; son esprit, qui la faisait craindre plus qu'aimer; ses pauvres petites robes noires, fanées; sa petite taille, qui ne se développait point, son {Lub 934} teint jaune et bilieux, ses petits yeux étranges, tout lui était un sujet de plaisanterie apparente et de douleur secrète. À cause de cela, on la croyait envieuse des avantages des {CL 162} autres. Cela n'était point. Elle avait une grande droiture de jugement, une grande élévation d'idées, et quand elle vous aimait assez pour ne plus rire avec vous, elle pleurait avec noblesse et s'emparait de votre sympathie. Longtemps nous caressâmes ensemble le rêve qu'elle viendrait habiter Nohant quand j'y retournerais. Ma grand'mère souriait à ce projet, mais l'oncle d'Anna, à qui celle-ci en parla d'abord, ne s'y montra pas favorable.

Je l'ai revue une ou deux fois l depuis notre séparation. Elle avait épousé un M. Desparbès de Lussan, de la famille de madame de Lussan qui avait été l'amie intime de ma grand'mère. Anna, mariée, n'était plus la même personne. Elle avait grandi, son teint s'était éclairci; sans être jolie, elle était devenue agréable. Elle habitait la campagne à Ivry. Son mari n'était ni jeune, ni riche, ni avenant, mais elle s'en louait beaucoup, et, soit pour lui complaire, soit pour se réconcilier avec son sort qui ne paraissait pas enivrant, elle était devenue dévote, de sceptique très-obstinée que je l'avais connue.

Un autre changement qui m'étonna davantage et qui m'affligea fut la contrainte et la froideur de ses manières avec moi. Je n'étais pourtant pas George Sand alors, et je ne songeais guère à le devenir. J'étais encore catholique, et si inconnue en ce monde que personne ne songeait à dire du mal de moi. La réserve de mon ancienne amie ne m'eût peut-être pas empêchée de la revoir, car je croyais deviner qu'elle n'était pas plus heureuse dans le monde qu'au couvent et qu'elle aurait besoin de s'épancher avec moi quand nous serions seules; mais je n'habitais point Paris, et les douze ou treize ans que j'ai passés à Nohant après mon mariage ont forcément rompu m la plupart de mes relations de couvent. J'ai su qu'Anna avait perdu son mari après quelques années de mariage, et je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Puisse-t-elle être heureuse! Elle {CL 163} avait toujours désespéré de pouvoir l'être, et pourtant elle le méritait beaucoup.

Pendant près d'un an, Sophie, Fannelly, Anna et moi, nous fûmes inséparables. Je fus le lien entre elles; car {Lub 935} avant que Sophie m'eût acceptée pour sa seconde, et que les deux autres m'eussent adoptée pour leur première, elles n'avaient pas marché ensemble. Notre intimité fut sans nuages. Je souffrais bien un peu des fréquentes indifférences de Sophie, qui se croyait obligée d'aimer Isabelle absente plus que moi, tandis que je me croyais obligée d'aimer Isabelle absente et Sophie indifférente plus que Fannelly et Anna, qui m'adoraient généreusement. Mais c'était la règle, la loi. On aurait cru mériter l'odieuse qualification d'inconstante si on eût dérangé l'ordre de la liste. Pourtant je dois dire à ma justification qu'en dépit de la liste, en dépit de l'ancienneté, en dépit des promesses échangées, je ne pouvais m'empêcher de sentir que j'aimais Fannelly plus que toutes les autres, et je lui faisais souvent cet étrange raisonnement: « Par ma volonté tu n'es que ma troisième, mais contre ma volonté tu es ma première et peut-être ma seule. » Elle riait. « Qu'est-ce que cela me fait, me disait-elle, que tu me comptes la troisième, si tu m'aimes comme je t'aime? Va, ma tante, je ne t'en demande pas davantage. Je ne suis pas fière, et j'aime celles que tu aimes. » Isabelle revint de Suisse au bout de quelques mois n, mais elle vint nous voir pour nous dire adieu: elle quittait définitivement le couvent. Elle partait pour l'Angleterre. J'eus un désespoir complet, d'autant plus que, tout absorbée par Sophie, elle s'apercevait à peine de ma présence et se retourna pour dire: Qu'a donc cette petite à pleurer comme cela? Je trouvai le mot bien dur; mais comme Sophie lui dit que j'avais été sa consolatrice et qu'elle m'avait prise pour amie, Isabelle s'efforça de me consoler et voulut que je fusse en tiers {CL 164} dans leur promenade. Elle revint nous voir une autre fois et partit peu de temps après o. Elle a fait un riche mariage. Je ne l'ai jamais revue.

Sophie ne se consola pas de cette séparation. Pour moi, dont l'amitié avait été plus courte et moins heureuse, je m'en laissai consoler par ma chère Fannelly, et je fis bien; car Isabelle n'avait jamais vu en moi qu'un enfant, et d'ailleurs, elle était peut-être plus sentimentale que tendre.

Mon année, presque mes dix-huit mois de diablerie s'écoulèrent comme un jour et sans que j'en eusse pour ainsi dire conscience. Sophie et Anna prétendaient {Lub 936} s'ennuyer mortellement au couvent, et que ce fût un genre ou une réalité, toutes mes compagnes disaient la même chose. Il n'y avait que les dévotes qui se fussent interdit la plainte et elles n'en paraissaient pas plus gaies. Tous ces enfants avaient été apparemment bien heureux dans leur famille. Celles qui, comme Anna, n'avaient pas de famille et dont les jours de sortie n'étaient rien moins que gais, rêvaient un monde de plaisirs, de bals, de délices, de voyages, que sais-je! Tout ce qui était la liberté et l'absence d'occupations réglées. La claustration et la règle sont apparemment ce qu'il y a de plus antipathique à l'adolescence.

Pour moi, si je souffris physiquement de la claustration, je ne m'en aperçus pas au moral; mon imagination ne devançait pas les années, et l'avenir me faisait plus de peur que d'envie. Je n'ai jamais aimé à regarder devant moi. L'inconnu m'effraye, j'aime mieux le passé qui m'attriste. Le présent est toujours une sorte de compromis entre ce que l'on a désiré et ce que l'on a obtenu. Tel qu'il est, on l'accepte ou on le subit, on sait qu'on a déjà subi ou accepté beaucoup de choses, mais que sait-on de ce qu'on pourra subir ou accepter le lendemain? Je n'ai jamais voulu me{CL 165} laisser dire ma bonne aventure: je ne crois certes pas à la divination, mais l'avenir matériel me paraît toujours quelque chose de si grave que je n'aime pas u'on m'en parle, même en rébus et en jongleries. Pour mon compte, je n'ai jamais fait à Dieu qu'une demande dans mes prières; c'est d'avoir la force de supporter ce qui m'arriverait.

Avec cette disposition d'esprit, qui n'a jamais changé, je me trouvai donc heureuse au couvent plus qu'ailleurs; car là, personne ne connaissant à fond le passé des autres, personne ne pouvait parler aux autres de ce qui devait leur arriver. Les parents parlent toujours de l'avenir à leurs enfants. Cet avenir de leur progéniture, c'est leur continuel souci, leur tendre et inquiète préoccupation. Ils voudraient l'arranger, l'assurer; ils y consument toute leur vie p, et pourtant la destinée dément et déjoue toutes leurs prévisions. Les enfants ne profitent jamais des recommandations qu'on leur a faites. Certain instinct d'indépendance ou de curiosité les pousse même le plus souvent en sens contraire. Les nonnes n'ont pas le même genre de sollicitude pour les {Lub 937} enfants qu'elles élèvent. Pour elles, il n'y a pas d'avenir sur la terre. Elles ne voient que le ciel ou l'enfer, et l'avenir, dans leur langage, s'appelle le salut. Avant même d'être dévote, ce genre d'avenir ne m'effrayait pas comme l'autre. Puisque, selon les catholiques, on est libre de choisir entre le salut et la damnation, puisque la grâce n'est jamais en défaut et que la moindre bonne volonté vous jette dans une voie où les anges mêmes daignent marcher devant vous, je me disais avec une confiance superbe que je ne courais aucun danger; que j'y penserais quand je voudrais, et je ne me pressais pas d'y penser. Je n'étais pas sensible aux considérations q d'intérêt personnel. Elles n'ont jamais agi sur moi, même en matière de religion. Je voulais aimer Dieu pour la seule douceur de l'aimer, {CL 166} je ne voulais pas avoir peur de lui; voilà ce que je disais quand on s'efforçait de m'épouvanter.

Sans réflexion et sans souci de cette vie et de l'autre, je ne songeais qu'à m'amuser, ou, pour mieux dire, je ne songeais même pas à cela; je ne songeais à rien. J'ai passé les trois quarts de ma vie ainsi, et pour ainsi dire à l'état latent. Je crois bien que je mourrai sans avoir réellement songé à vivre, et pourtant j'aurai vécu à ma manière, car rêver et contempler est une action insensible qui remplit parfaitement les heures et occupe les forces intellectuelles sans les trop user.

{Presse 7/4/1855} Je vivais donc là sans savoir comment et toujours prête à m'amuser comme l'entendraient mes amies. Anna aimait à causer, je l'écoutais. Sophie était rêveuse et triste, je m'attachais à ses pas en silence, ne la troublant pas dans ses méditations, ne la boudant pas quand elle revenait à moi. Fannelly aimait à courir, à rire, à fureter, à organiser toujours quelque diablerie, je devenais tout feu, tout joie, tout mouvement avec elle. Heureusement pour moi, elle s'emparait de moi; Anna nous suivait par amitié et Sophie par désœuvrement; alors commençaient des escapades et des vagabondages qui duraient des journées entières. On se donnait rendez-vous dans un coin quelconque; Fannelly, dont la petite bourse était toujours la mieux garnie et qui avait l'art de faire acheter en cachette par le portier tout ce qu'elle voulait, nous préparait sans cesse des surprises de gourmandise. C'était un melon magnifique, des gâteaux, des {Lub 938} paniers de cerises ou de raisin, des beignets, des pâtés, que sais-je! Elle s'ingéniait à nous régaler toujours de quelque chose d'inattendu et de prodigieux. Pendant tout un été, nous ne fûmes nourries que par contrebande, et quelle folle nourriture! Il fallait avoir quinze ans pour n'en pas tomber malade. De mon côté, j'apportais les friandises que me donnaient madame Alicia et la sœur Thérèse, qui confectionnait {CL 167} elle-même des dumpleens et des puddings délicieux, et qui m'appelait dans son laboratoire pour en bourrer mes poches.

Mettre en commun nos friandises et les manger en cachette aux heures où l'on ne devait pas manger, c'était une fête, une partie fine et des rires inextinguibles, et des saletés de l'autre monde, comme de lancer au plafond la croûte d'une tarte aux confitures et de la voir s'y coller avec grâce, de cacher des os de poulet au fond d'un piano, de semer des pelures de fruits dans les escaliers sombres pour faire tomber les personnes graves. Tout cela paraissait énormément spirituel, et l'on se grisait à force de rire; car en fait de boisson nous n'avions que de l'eau ou de la limonade.

La recherche de la victime était poursuivie avec ardeur, et j'aurais à raconter bien des déceptions qu'elle nous causa. Mais j'ai déjà raconté trop d'enfantillages, et, je le crains, avec trop de complaisance.

Je ne voudrais pourtant pas avoir oublié que mon but, en retraçant mes souvenirs, est d'intéresser mon lecteur au souvenir de sa propre vie. Déchirerai-je les pages qui précèdent comme puériles et sans utilité? Non! La gaieté, l'espièglerie même de l'adolescence, toujours mêlées d'une certaine poésie ou d'une grande activité d'imagination, sont une phase de notre existence que nous ne retraçons jamais sans nous sentir redevenir meilleurs, quand l'âge a passé sur nos têtes. L'adolescence r est un âge de candeur, de courage et de dévouement souvent déraisonnable, toujours sincère et spontané; ce que l'âge s nous fait acquérir d'expérience et de jugement est au détriment de cette ingénuité première, qui ferait de nous des êtres parfaits si nous la conservions tout en acquérant la maturité. Faute de raison, ces trésors de la première jeunesse sont perdus ou stériles; mais en nous reportant à ce temps de prodigalité morale, nous reprenons possession de notre véritable richesse, et nul {Lub 939} de nous {CL 168} ne serait capable d'une mauvaise action s'il avait toujours devant les yeux le spectacle de sa première innocence. Voilà pourquoi ces souvenirs sont bons pour tout le monde comme pour moi.

Pourtant j'abrége, car si je voulais rapporter tout ce que je me rappelle avec plaisir et avec une exactitude de mémoire, à certains égards, qui me surprend moi-même, je remplirais tout un volume. Il suffira de dire que je passai longtemps t dans cet état de diablerie, ne faisant quoi que ce soit, si ce n'est d'apprendre un peu d'italien, un peu de musique, un peu de dessin, le moins possible, en vérité. Je m'appliquais seulement à l'anglais, que j'avais hâte de savoir parce que la moitié de la vie était manquée au couvent quand on n'entendait pas cette langue. Je commençais aussi à vouloir écrire. Nous en avions toutes la rage, et celles qui manquaient d'imagination passaient leur temps à s'écrire des lettres les unes aux autres: lettres parfois charmantes de tendresse et de naïveté, que l'on nous interdisait sévèrement comme si c'eussent été u des billets doux, mais que la prohibition rendait plus actives et plus ardentes.

Disons en passant que la grande erreur de l'éducation monastique est de vouloir exagérer la chasteté. On nous défendait de nous promener deux à deux, il fallait être au moins trois; on nous défendait de nous embrasser; on s'inquiétait de nos correspondances innocentes, et tout cela v nous eût donné à penser si ous eussions eu en nous-mêmes seulement le germe des mauvais instincts qu'on nous supposait apparemment. Je sais que j'en eusse été fort blessée, pour ma part, i j'eusse compris le motif de ces prescriptions bizarres. Mais la plupart d'entre nous, élevées simplement et chastement dans leurs familles, n'attribuaient ce système de réserve excessive qu'à l'esprit de dévotion, qui restreint l'élan des affections humaines en vue d'un amour exclusif pour le créateur.

{CL 169} Je commençais donc à écrire, et mon premier essai, comme celui de tous les jeunes cerveaux, prit la forme de l'alexandrin, je connaissais les règles de la versification et j'y avais toujours fait, contre Deschartres, une opposition obstinée: j'avais parfaitement tort; il n'y a pas de milieu entre la prose libre et le vers régulier. Je prétendais trouver un terme moyen, rimer de la {Lub 940} prose et conserver une sorte de rhythme, sans me soucier de la rime et de la césure. Enfin w je prenais mes aises, prétendant que la règle était trop rigoureuse et gênait l'élan de la pensée. Je fis ainsi beaucoup de prétendus vers qui eurent grand succès au couvent, où l'on n'était pas difficile, il faut l'avouer. Ensuite il me prit fantaisie d'écrire un roman, et bien que je ne fusse pas du tout dévote alors, ce fut un roman chrétien et dévot.

Ce prétendu roman était plutôt une nouvelle, car il n'avait qu'une centaine de pages. Le héros et l'héroïne se rencontraient, un soir, dans la campagne, aux pieds d'une madone où ils faisaient leurs prières. Ils s'admiraient et s'édifiaient l'un l'autre; mais, quoiqu'il fût de règle qu'ils devinssent amoureux l'un de l'autre, ils ne le devinrent pas. J'avais résolu, par les conseils de Sophie, de les amener à s'aimer; mais quand j'en fus là, quand je les eus décrits beaux et parfaits tous les deux, dans un site enchanteur, au coucher du soleil, à l'entrée d'une chapelle gothique ombragée de grands chênes, jamais je ne pus dépeindre les premières émotions de l'amour. Cela n'était point en moi, il ne me vint pas un mot. J'y renonçai. Je les fis ardemment pieux, quoique la piété x ne fût pas plus en moi que l'amour; mais je la comprenais, parce que j'en avais le spectacle sous les yeux, et peut-être d'ailleurs le germe de cet amour-là commençait-il à éclore en moi à mon insu. Tant il y a que mes deux jeunes gens, après plusieurs chapitres de voyages et d'aventures que je ne me rappelle {CL 170} pas du tout, se consacrèrent à Dieu chacun de son côté: la demoiselle prit le voile, et le héros se fit prêtre.

Sophie et Anna trouvèrent mon roman bien écrit, et les détails leur plurent. Mais elles déclaraient que Fitz Gérald (c'était le nom du héros) était un personnage fort ennuyeux, et que l'héroïne n'était guère plus divertissante. Il y avait une mère qui leur plut davantage; mais, en somme, ma prose eut moins de succès que mes vers et ne me charma point moi-même. Je fis un autre roman, un roman pastoral, que je jugeai plus mauvais que le premier et dont j'allumai le poêle un jour d'hiver. Puis je cessai d'écrire, jugeant que cela ne pourrait jamais m'amuser et trouvant qu'en comparaison de l'infinie jouissance morale que j'avais goûtée à composer sans écrire, tout serait à jamais stérile et glacé pour moi.

{Lub 941} Je continuais toujours, sans l'avoir jamais confié à personne, mon éternel poëme de Corambé. Mais c'était à bâtons rompus, car au couvent, comme je l'ai dit, le roman était en action, et le sujet, c'était la victime du souterrain, sujet bien plus émouvant que toutes les fictions possibles, puisque nous prenions cette fiction au sérieux.

Ma grand'mère vint au milieu du second hiver que je passai au couvent. Elle repartit deux mois après, et je sortis en tout cinq ou six fois. Ma tenue de pensionnaire ne lui plut pas mieux que ma tenue de campagnarde. Je ne m'étais nullement formée aux belles manières. J'étais plus distraite que jamais. Les leçons de danse de M. Abraham, ex-professeur de grâces de Marie-Antoinette, ne m'avaient donné aucune espèce de grâce. Cependant M. Abraham faisait son possible pour nous donner une tenue de cour. Il arrivait en habit carré, jabot de mousseline, cravate blanche à longs bouts, culotte courte et bas de soie noirs, souliers à boucles, perruque à bourse et à frimas, le diamant au doigt, la pochette en main. Il avait environ {CL 171} quatre-vingts ans, toujours mince, gracieux, élégant, une jolie tête ridée, veinée de rouge et de bleu sur un fond jaune, comme une vieille feuille nuancée par l'automne, mais fine et distinguée. C'était le meilleur homme du monde, le plus poli, le plus solennel, le plus convenable. Il donnait leçon par première et seconde division de quinze ou vingt élèves chacune, dans le grand parloir de la supérieure, dont nous franchissions la grille à cette occasion. Là M. Abraham nous démontrait la grâce par raison géométrique, et après les pas d'usage il s'installait dans un fauteuil et nous disait: « Mesdemoiselles, je suis le roi, ou la reine, et comme vous êtes {Presse 7/4/1855 2} toutes appelées sans doute, à être présentées à la cour, nous allons étudier les entrées, les révérences et les sorties de la présentation. »

D'autres fois on étudiait des solennités plus habituelles, on représentait un salon de graves personnages. Le professeur faisait asseoir les unes, entrer et sortir les autres, montrait la manière de saluer la maîtresse de la maison, puis la princesse, la duchesse, la marquise, la comtesse, la vicomtesse, la baronne et la présidente, chacune dans la mesure de respect ou d'empressement {Lub 942} réservée à sa qualité. On figurait aussi le prince, le duc, le marquis, le comte, le vicomte, le baron, le chevalier, le président, le vidame et l'abbé. M. Abraham faisait tous ces rôles et venait saluer chacune de nous, afin de nous apprendre comment il fallait répondre à toutes ces révérences, reprendre le gant ou l'éventail offert, sourire, traverser l'appartement, s'asseoir, changer de place, que sais-je! Tout était prévu, même la manière d'éternuer, dans ce code de la politesse française. Nous pouffions de rire, et nous faisions exprès mille balourdises pour le désespérer. Puis, vers la fin de la leçon, pour le renvoyer content, le brave homme (car il y avait barbarie à contrarier tant de douceur et de patience), nous affections toutes les grâces et toutes les mines qu'il nous {CL 172} demandait. C'était pour nous une comédie que nous avions bien de la peine à jouer sans lui rire au nez, mais qui nous apprenait à jouer la comédie tant bien que mal. Il faut croire que la grâce du temps du père Abraham était bien différente de celle d'aujourd'hui; car, plus nous nous rendions à dessein ridicules et affectées, plus il était satisfait, plus il nous remerciait de notre bonne volonté.

Malgré tant de soins et de théorie, je me tenais toujours voûtée, j'avais toujours des mouvements brusques, des allures naturelles, l'horreur des gants et des profondes révérences. Ma bonne maman me grondait vraiment trop pour ces vices-là. Elle grondait à sa manière, l'excellente femme, d'une voix douce et avec des paroles caressantes. Mais il me fallait un grand effort sur moi-même pour cacher l'ennui et l'impatience que me causaient ces perpétuels petits mécontentements. J'eusse tant voulu lui agréer! Je n'en venais point à bout. Elle me chérissait. Elle ne vivait que pour moi, et il semblait qu'il y eût dans ma simplicité et dans ma malheureuse absence de coquetterie quelque chose qu'elle ne pût accepter, quelque chose d'antipathique qu'elle ne pouvait vaincre, peut-être une sorte de vice originel qui sentait le peuple en dépit de tous ses soins. Pourtant je n'étais pas butorde; ma nature calme et portée à la confiance ne me poussait point à des manières importunes ou grossières. J'étais préoccupée la plupart du temps, dieu sait de quoi, de rien peut-être le plus souvent. Je n'avais pas de causerie avec ma grand'mère y. {Lub 943} De quoi parler? De nos folies, de nos souterrains, de nos paresses, de nos amitiés de couvent? C'était toujours la même chose, et je ne portais pas mes regards sur le monde et sur l'avenir dont elle eût voulu me voir préoccupée. On me présentait déjà des jeunes gens à marier, et je ne m'en apercevais pas. Quand ils étaient sortis, on me demandait comment je les avais trouvés, et il se trouvait {CL 173} que je ne les avais pas regardés. On me grondait d'avoir pensé à autre chose pendant qu'ils étaient là, à une partie de barres ou à un achat de balles élastiques qui me trottait par la cervelle. Je n'étais pas une nature précoce; j'avais parlé tard dans ma première enfance, tout le reste fut à l'avenant: ma force physique s'était développée rapidement; j'avais l'air d'une demoiselle, mais mon cerveau, tout engourdi, tout replié sur lui-même, faisait de moi un enfant, et loin de m'aider à m'endormir dans cette grâce d'état, on cherchait à faire de moi une personne.

Cette grande sollicitude de ma bonne maman venait d'un grand fonds de tendresse. Elle se sentait vieillir et mourir peu à peu. Elle voulait me marier, m'attacher au monde, s'assurer que je ne tomberais pas sous la tutelle de ma mère; et, dans la crainte de n'en avoir pas le temps, elle s'efforçait de m'inspirer la religion du monde, la méfiance pour ma famille maternelle, l'éloignement pour le milieu plébéien z où elle tremblait de me laisser retomber en me quittant. Mon caractère, mes sentiments et mes idées se refusaient à la seconder. Le respect et l'amour enchaînaient ma langue. Elle me prenait tantôt pour une sotte, tantôt pour une rusée. Je n'étais ni l'une ni l'autre. Je l'aimais, et je souffrais en silence.

Ma mère semblait avoir renoncé à m'aider dans cette lutte muette et douloureuse. Elle raillait toujours le grand monde, me caressait beaucoup, m'admirait comme un prodige et se préoccupait peu de mon avenir. Il semblait qu'elle eût accepté pour elle-même un avenir dont je ne faisais plus partie essentielle. Je me sentais navrée de cette sorte d'abandon, après la passion dont elle m'avait fait vivre dans mon enfance. Elle ne m'emmenait plus chez elle. Je vis ma sœur une ou deux fois en deux ou trois ans. Mes jours de sortie étaient remplis de visites que ma grand'mère me faisait faire avec elle {Lub 944} à ses vieilles comtesses. Elle voulait {CL 174} apparemment les intéresser à ma jeunesse, me créer des relations, des appuis, parmi celles qui lui survivraient. Ces dames continuaient à m'être antipathiques, la seule madame de Pardaillan exceptée. Le soir, nous dînions ou chez les cousins Villeneuve ou chez l'oncle Beaumont. Il fallait rentrer à l'heure où je commençais à me mettre à l'aise avec ma famille. Mes jours de sortie étaient donc lugubres. Le matin, joyeuse et empressée, j'arrivais chez nous le cœur plein d'élan et d'impatience. Au bout de trois heures, je devenais triste. Je l'étais davantage en faisant mes adieux; au couvent seulement je retrouvais du calme et de la gaieté.

L'événement intérieur qui me donna le plus de contentement fut d'obtenir enfin une cellule. Toutes les demoiselles de la grande classe en avaient; moi seule je restai longtemps au dortoir, parce qu'on craignait mon tapage nocturne. On souffrait mortellement, dans ce dortoir placé sous les toits, du froid en hiver, de la chaleur en été. On y dormait mal, parce qu'il y avait toujours quelque petite qui criait de peur ou de colique au milieu de la nuit. Et puis, n'être pas chez soi, ne pas se sentir seule une heure dans la journée ou dans la nuit, c'est quelque chose d'antipathique pour ceux qui aiment à rêver et à contempler. La vie en commun est l'idéal du bonheur entre gens qui s'aiment. Je l'ai senti au couvent, je ne l'ai jamais oublié; mais il faut à tout être pensant ses heures de solitude et de recueillement. C'est à ce prix seulement qu'il goûte la douceur de l'association.

La cellule qu'on me donna enfin fut la plus mauvaise du couvent. C'était une mansarde située au bout du corps de bâtiment qui touchait à l'église. Elle était contiguë à une toute semblable occupée par Coralie Le Marrois, personne austère, pieuse, craintive et simple dont le voisinage devait, pensait-on, me tenir en respect. Je fis bon ménage {CL 175} avec elle, malgré la différence de nos goûts aa; j'eus soin de ne pas troubler sa prière ou son sommeil et de décamper sans bruit pour aller sur le palier trouver Fannelly et d'autres babilleuses, avec qui l'on errait une partie de la nuit dans le grenier aux oignons et dans les tribunes de l'orgue. Il nous fallait passer devant la chambre de Marie-Josèphe, la bonne du couvent; mais elle avait un excellent sommeil.

{Lub 945} Ma cellule avait environ dix pieds de long sur six de large. De mon lit, je touchais avec ma tête le plafond en soupente. La porte ab, en ouvrant, rasait la commode placée vis-à-vis, auprès de la fenêtre, et pour fermer la porte il fallait entrer dans l'embrasure de cette fenêtre, composée de quatre petits carreaux, et donnant sur une gouttière en auvent qui me cachait la vue de la cour. Mais j'avais un horizon magnifique. Je dominais une partie de Paris par-dessus la cime des grands marronniers du jardin. De vastes espaces de pépinières et de jardins potagers s'étendaient ac autour de notre enclos. Sauf la ligne bleue de monuments et de maisons qui fermait l'horizon, je pouvais me croire, non pas à la campagne, mais dans un immense village. Le campanile du couvent et les constructions basses du cloître servaient de repoussoir au premier plan. La nuit, au clair de la lune, c'était un tableau admirable. J'entendais sonner de près l'horloge et j'eus quelque peine à m'y habituer pour dormir, mais peu à peu ce fut un plaisir pour moi d'être doucement réveillée par ce timbre mélancolique et d'entendre au loin les rossignols reprendre bientôt après leur chant interrompu.

Mon mobilier se composait d'un lit en bois peint, d'une vieille commode, d'une chaise de paille, d'un méchant tapis de pied, et d'une petite harpe Louis XV, extrêmement jolie, qui avait brillé jadis entre les beaux bras de ma grand'mère, et dont je jouais un peu en chantant. J'avais {CL 176} la permission d'étudier cette harpe dans ma cellule; c'était un prétexte pour y passer tous les jours une heure en liberté, et, quoique je n'étudiasse pas du tout, cette heure de solitude et de rêverie me devint précieuse. Les moineaux, attirés par mon pain, entraient sans frayeur ad chez moi et venaient manger jusque sur mon lit. Quoique cette pauvre cellule fût un four en été, et littéralement une glacière en hiver (l'humidité des toits se gelant en stalactites à mon plafond disjoint), je l'ai aimée avec passion, et je me souviens d'en avoir ingénument baisé les murs en la quittant, tellement je m'y étais attachée. Je ne saurais dire quel monde de rêveries semblait lié pour moi à cette petite niche poudreuse et misérable. C'est là seulement que je me retrouvais et que je m'appartenais ae. Le jour je n'y pensais à rien; je regardais les nuages, les branches des arbres, le {Lub 946} vol des hirondelles. La nuit, j'écoutais les rumeurs lointaines et confuses de la grande cité qui venaient comme un râle expirant se mêler aux bruits rustiques du faubourg. Dès que le jour paraissait, les bruits du couvent s'éveillaient et couvraient fièrement ces mourantes clameurs. Nos coqs se mettaient à chanter, nos cloches sonnaient matines; les merles du jardin répétaient à satiété leur phrase matinale; puis les voix monotones des religieuses psalmodiaient l'office et montaient jusqu'à moi à travers les couloirs af et les mille fissures de la masure sonore. Les pourvoyeurs de la maison élevaient dans la cour, située en précipice au-dessous de moi, des voix rauques et rudes qui contrastaient avec celles des nonnes; et enfin l'appel strident de l'éveilleuse Marie-Josèphe courant de chambre en chambre et faisant grincer les verrous des dortoirs, mettait fin à ma contemplation auditive.

Je dormais peu. Je n'ai jamais su dormir à point. Je n'en avais envie que quand il fallait songer à s'éveiller. Je rêvais à Nohant; c'était devenu dans ma pensée un paradis, {CL 177} et cependant je n'avais point de hâte d'y retourner, et quand ma grand'mère prononça que je n'aurais pas de vacances, parce que, ne devant pas rester de nombreuses années au couvent, il les fallait faire aussi complètes que possible pour mes études, je me soumis sans chagrin, tant je craignais de retrouver à Nohant les chagrins qui me l'avaient fait quitter sans regret.

Ces études, auxquelles ma bonne maman sacrifiait le plaisir de me voir, étaient à peu près nulles. Elle ne tenait qu'aux leçons d'agrément, et depuis que j'étais diable, je n'aimais plus à m'occuper. Cela m'ennuyait bien quelquefois, cette oisiveté errante, mais le oyen de s'en déshabituer quand on s'y est laissé longtemps endormir!

{Presse 8/4/1855 1} Enfin ag vint le temps où une grande révolution devait s'opérer en moi. Je devins dévote: cela se fit tout d'un coup, comme une passion qui s'allume dans une âme ignorante de ses propres forces. J'avais épuisé pour ainsi dire la paresse et la complaisance envers mes diables, le mouvement, la rébellion muette et systématique contre la discipline. Le seul amour violent dont j'eusse vécu, l'amour filial, m'avait comme lassée et brisée. J'avais une sorte de culte pour madame Alicia, mais {Lub 947} c'était un amour tranquille; il me fallait une passion ardente. J'avais quinze ans. Tous mes besoins étaient dans mon cœur, et mon cœur s'ennuyait, si l'on peut ainsi parler. Le sentiment de la personnalité ne s'éveillait pas en moi. Je n'avais ah pas cette sollicitude immodérée pour ma personne, que j'ai vue se développer à l'âge que j'avais alors chez presque toutes les jeunes filles que j'ai connues. Il me fallait aimer hors de moi, et je ne connaissais rien sur la terre que je pusse aimer de toutes mes forces.

Cependant je ne cherchai point Dieu. L'idéal religieux, et ce que les chrétiens appellent la grâce, vint me trouver et s'emparer de moi comme par surprise. Les sermons des {CL 178} nonnes et des maîtresses n'agirent aucunement sur moi. Madame Alicia elle-même ne m'influença point d'une manière sensible. Voici comment la chose arriva; je la raconterai sans l'expliquer, car il y a dans ces soudaines transformations de notre esprit un mystère qu'il ne nous appartient pas toujours de pénétrer nous-mêmes.

Nous entendions tous les matins la messe, à sept heures; nous retournions à l'église à quatre heures et nous y passions une demi-heure, consacrée pour les pieuses à la méditation, à la prière ou à quelque sainte lecture. Les autres bâillaient, sommeillaient ou chuchotaient quand la maîtresse n'avait pas les yeux sur elles. Par désœuvrement, je pris un livre qu'on m'avait donné et que je n'avais pas encore daigné ouvrir. Les feuillets étaient collés encore par l'enluminage de la tranche; c'était un abrégé de la vie des saints. J'ouvris au hasard. Je tombai sur la légende excentrique de saint Siméon le stylite, dont Voltaire s'est beaucoup moqué, et qui ressemble à l'histoire d'un fakir indien plus qu'à celle d'un philosophe chrétien. Cette légende me fit sourire d'abord, puis son étrangeté me surprit, m'intéressa; je la relus plus attentivement et j'y trouvai plus de poésie que d'absurdité. Le lendemain je lus une autre histoire, et le surlendemain j'en dévorai plusieurs avec un vif intérêt. Les miracles me laissaient incrédule, mais la foi, le courage, le stoïcisme des confesseurs et des martyrs m'apparaissaient comme de grandes choses et répondaient à quelque fibre secrète qui commençait à vibrer en moi.

Il y avait au fond du chœur un superbe tableau du {Lub 948} Titien que je n'ai jamais pu bien voir ai. Placé trop loin des regards et dans un coin privé de lumière, comme il était très-noir par lui-même, on ne distinguait que des masses d'une couleur chaude sur un fond obscur. Il représentait Jésus au jardin des olives, au moment où il tombe défaillant {CL 179} dans les bras de l'ange. Le sauveur était affaissé sur ses genoux, un de ses bras étendu sur ceux de l'ange qui soutenait sur sa poitrine cette belle tête éperdue et mourante. Ce tableau était placé vis-à-vis de moi, et à force de le regarder je l'avais deviné plutôt que compris. Il y avait un seul moment dans la journée où j'en saisissais à peu près les détails, c'était en hiver, lorsque le soleil sur son déclin jetait un rayon sur la draperie aj rouge de l'ange et sur le bras nu et blanc du Christ. Le miroitement du vitrage rendait éblouissant ce moment fugitif, et à ce moment-là j'éprouvais toujours une émotion indéfinissable, même au temps où je n'étais pas dévote et où je ne pensais pas devoir jamais le devenir.

Tout en feuilletant la vie des saints, mes regards se reportèrent plus souvent sur le tableau; c'était en été, le soleil couchant ne l'illuminait plus à l'heure de notre prière, mais l'objet contemplé n'était plus aussi nécessaire à ma vue qu'à ma pensée. En interrogeant machinalement ces masses grandioses et confuses, je cherchais le sens de cette agonie du Christ, le secret de cette douleur volontaire si cuisante, et je commençais à y pressentir quelque chose de plus grand et de plus profond que ce qui m'avait été expliqué; je devenais profondément triste moi-même, et comme navrée d'une pitié, d'une souffrance inconnues. Quelques larmes venaient ak au bord de ma paupière, je les essuyais al furtivement, ayant honte d'être émue sans savoir pourquoi. Je n'aurais pas pu dire que c'était la beauté de la peinture, puisqu'on la voyait tout juste assez pour pouvoir dire que cela avait l'air de quelque chose de beau.

Un autre tableau, plus visible et moins digne d'être vu, représentait saint Augustin sous le figuier, avec le rayon miraculeux sur lequel était écrit le fameux Tolle, lege, ces mystérieuses paroles que le fils de Monique crut entendre {CL 180} sortir du feuillage, et qui le décidèrent à ouvrir le livre divin des Évangiles. Je cherchai la vie de saint Augustin, qui m'avait été vaguement racontée {Lub 949} au couvent, où ce saint, patron de l'ordre, était en particulière vénération. Je me plus extraordinairement à cette histoire, qui porte avec elle un grand caractère de sincérité et d'enthousiasme. De là, je passai à celle de saint Paul, et le cur me persequeris? me fit une impression terrible. Le peu de latin que Deschartres m'avait appris me servait à comprendre une partie des offices, et je me mis à les écouter et à trouver dans les psaumes récités par les religieuses une poésie et une simplicité admirables. Enfin il se passa tout à coup huit jours où la religion catholique m'apparut comme une étude intéressante.

Le Tolle, lege, me décida enfin à ouvrir l'Évangile et à le relire attentivement. La première impression ne fut pas vive. Le livre divin n'avait point l'attrait de la nouveauté. Déjà j'en avais goûté le côté simple et admirable; mais ma grand'mère avait si bien conspiré pour me faire trouver les miracles ridicules, et elle m'avait tant répété les facéties de Voltaire sur l'esprit malin, transporté du corps d'un possédé à celui d'un troupeau de cochons, enfin elle m'avait si bien mise en garde contre l'entraînement, que je me défendis par habitude et restai froide en relisant l'agonie et la mort de Jésus.

Le soir de ce même jour, je battais tristement le pavé des cloîtres, à la nuit tombante. On était au jardin, j'étais hors de la vue des surveillantes, en fraude comme toujours; mais je ne songeais pas à faire d'espiègleries et ne souhaitais point me trouver avec mes camarades. Je m'ennuyais. Il n'y avait plus rien à inventer en fait de diablerie. Je vis passer quelques religieuses et quelques pensionnaires qui allaient prier et méditer dans l'église isolément, comme c'était la coutume des plus ferventes {CL 181} aux heures de récréation. Je songeai bien à verser de l'encre dans le bénitier; mais cela avait été fait: à pendre Whisky par la patte à la corde de la sonnette des cloîtres: c'était usé. Je m'avouai que mon existence désordonnée touchait à sa fin, qu'il me fallait entrer dans une nouvelle phase: mais laquelle? Devenir sage ou bête? Les sages étaient trop froides, les bêtes trop lâches. Mais les dévotes, les ferventes, étaient-elles heureuses? Non, elles avaient la dévotion sombre et comme malade. Les diables leur créaient mille contrariétés, mille indignations, mille colères mal rentrées. Leur vie était un supplice, une lutte entre le ridicule et le relâchement. D'ailleurs {Lub 950} il en est de la foi comme de l'amour. Quand on la cherche, on ne la trouve pas, on la trouve au moment où l'on s'y attend le moins. Je ne savais pas cela, mais ce qui m'éloignait de la dévotion, c'était la crainte d'y arriver par un esprit de calcul, par un sentiment d'intérêt personnel am.

« D'ailleurs n'a pas la foi qui veut, me disais-je. Je ne l'ai pas, je ne l'aurai jamais. J'ai fait aujourd'hui le dernier effort: j'ai lu le livre même, la vie et la doctrine du rédempteur! Je suis restée calme. Mon cœur restera vide. »

En devisant ainsi avec moi-même, je regardais passer dans l'obscurité, comme des spectres, des ferventes qui s'en allaient furtivement répandre an leurs âmes aux pieds de ce dieu d'amour et de contrition. La curiosité me vint de savoir dans quelle attitude et avec quel recueillement elles priaient dans la solitude; par exemple, une vieille locataire bossue qui s'en allait, toute petite et difforme, dans les ténèbres, plus semblable à une sorcière courant au sabbat qu'à une vierge sage! « Voyons, me dis-je, comment ce petit monstre va se tordre sur son banc! Cela fera rire les diables quand je leur en ferai la description. »

Je la suivis, je traversai avec elle la salle du chapitre, {CL 182} j'entrai dans l'église. On n'y allait point à ces heures-là sans permission, et c'est ce qui me décida à y aller. Je ne dérogeais point à ma dignité de diable en entrant là par contrebande. Il est assez curieux que la première fois que j'entrai de mon propre mouvement dans une église, ce fut pour faire acte d'indiscipline et de moquerie.


Variantes

  1. Ce titre figure à partir de l'édition {CL}
  2. 7me volume. Chapitre 3 {Ms}Chapitre treizième {Presse} à {LP} ♦ XIII {CL}
  3. . Anna. — Retour d'Isabelle; l'idéal champêtre, le chalet. — Isabelle quitte {Ms}Anna. — Isabelle quitte {Presse} et sq.
  4. console. — [Mes dernières folies à travers le couvent rayé]. — Descente dans les souterrains. — [Visites aux dames locataires. — La veille de Ste Catherine rayé]. — Retour {Ms}console. — Retour {Presse} et sq.
  5. G* partit aussi pour un voyage {Ms}Mary partit pour un voyage {Presse} et sq.
  6. blonde [plus agréable que jolie rayé], fraîche {Ms}
  7. se rejoignaient sur son petit nez {Ms}se rejoignaient au-dessus de son petit nez {Presse} et sq.
  8. placidité à la fois que je portais moi-même dans mon amitié pour elle. Que ce soit ma faute ou celle d'autrui, ma triste vie s'est êcoulée à constater et à supputer un éternel déficit dans le placement de mes affections. Et pourtant je suis convaincue d'avoir été sincèrement et vivement aimée par plus d'une âme généreuse. Mais probablement je porte en moi-même une grande misère, qui fait que j'aime toujours trop quelqu'un et que j'ambitionne trop d'en être aimée moi-même. L'âge m'a appris à ne pas être exigeante de fait, à ne pas faire des reproches inutiles, à cacher mon intime souffrance, et à ne m'en prendre qu'à moi seule de l'espèce d'isolement moral où me laissent souvent les meilleures affections. / Je me suis même habituée à regarder le malheur comme sans remède, et à croire que je dois plus aux autres, même à mon chien, que les autres, et mon chien aussi, ne me doivent. Ce n'est pas luste devant Dieu, je le sais, mais Il l'a voulu ainsi et j'accepte. / Si je consulte tous mes souvenirs, je me vois toujours au moins un pas en avant des autres sur toutes les routes, sur tous les sentiers de mes attachements. Je signale toujours que le premier moment d'ennui dans l'intimité, de défaillance dans le dévouement, d'injustice dans les exigences n'est pas venu de moi. Il ne faudrait pas en conclure que je vaux mieux que les autres, car, modestie à part, il n'est pas du tout probable que Dieu ait fait de moi un être unique, un foyer isolé. Modestie à part encore, il est beaucoup plus vraisemblable qu'il y a en moi quelque chose qui blesse ou ennuye les autres. Je cherche ce quelque chose dans mon cœur et dans ma conscience, et je l'y cherche en vain. Mais si je le cherche dans mon caractère, dans ma manière d'être, je ne sais laquelle de mes disgrâces choisir pour me condamner, Je dois être ennuyeuse par mille côtés à la fois. Je suis une espèce d'être mort à la surface, et j'ai toujours été ainsi. Aimant la gaîté, je suis triste si on ne me secoue pas. Sensible au fond de l'âme, je suis froide dans l'apparence. Ce que je sens le mieux est toujours ce que je puis le moins exprimer et tout se concentre en moi comme dans une eau [profonde rayé] immobile où tout va au fond. Comme avec tout cela je ne m'ennuie jamais [avec moi-même rayé] j'ai de la peine à appercevoir que les autres s'ennuyent de moi. Mais quand c'est fait, après le tems donné au chagrin secret qui en est la suite, je me guéris, en commençant à m'ennuyer d'eux, et c'est ce qui me [sauve de rayé] préserve d'exercer l'importunité et les persécutions d'un cœur blessé. Le mien se rebute vite, c'est une grâce d'état. Sans elle, avec toutes les [blessures reçues rayé] déceptions que j'ai [reçues rayé] subies. je n'aurais pas pu vivre. / C'est beaucoup trop parler de moi, mais je ne pouvais pas n'en pas parler un peu à propos de Fannelly. Comment fit-elle {Ms}placidité. / Comment fit-elle {Presse} et sq.
  9. remplissait [toute la surface rayé] tout le reste {Ms}
  10. avec sa vue [basse et rayé] débile {Ms}
  11. et ces deux disgrâces {Ms}, {Presse} ♦ et les deux disgrâces {Lecou}, {LP} ♦ et ces deux disgrâces {CL}
  12. revue [mariée rayé] une [seule rayé] ou deux fois {Ms}
  13. ont forcément rompu {Ms}ont nécessairement rompu {Presse} ♦ ont forcément rompu {Lecou} et sq.
  14. au bout de [deux rayé] quelques mois {Ms}
  15. nous voir plusieurs fois et ce qu'elle nous raconta me frappa vivement. [À la fois rayé] Artiste et romanesque, elle avait pris pour la Suisse une passion qui dominait chez elle tout autre sentiment, toute autre idée. Elle ne rêvait que chalets, montagnes, troupeaux, vie pastorale, Elle nous montrait des cartons pleins de ses charmants dessins qu'elle faisait si vite et qu'elle animait toujours de nombreux personnages pleins d'actions. C'étaient des danses, des concerts rustiques, des caravanes sur les glaciers, des chasses à travers les neiges. Notre imagination s'allumait au feu de la sienne. Elle me désolait parce qu'instinctivement elle parlait toujours anglais aver Sophie, et que, ne faisant que commencer à comprendre cette langue parlée vite, je perdais beaucoup de mots. Enfin elle s'arrêta à un certain croquis, et nous dit, parlant tour à tour dans les deux langues « Regardez cette chaumière en bois, ces vitraux en losanges, ces versets de la bible écrite sur le fronton du chalet, ces rochers là-bas, cette petite cascade, ces vaches qui broutent. Eh bien, c'est là le [séjour rayé] chalet et le séjour de mes rêves. Nous n'y avons passé qu'une heure. Des bergères sont venues nous offrir du lait. J'ai été avec elles voir traire les vaches, je leur ai demandé si elles étaient heureuses. Elles m'ont dit que oui. (Il y ... <passage illisible> ...) Eh bien, ne sais pas pourquoi, mais ce lieu m'a tant plu que le désir de la vie pastorale s'est emparé de moi comme une fièvre. Le soir à l'hôtel, je ne me suis couchée que très tard. Je ne pouvais pas songer à dormir. J'avais la tête en feu. Nous étions en route pour revenir en France. Je savais que j'allais quitter le couvent, rentrer dans le monde. Je suis riche, on va penser à me marier. La Suisse s'effaçait déjà derrière moi comme un rêve de bonheur, et de poésie que je ne retrouverais plus. Alors, savez-vous ce qui m'a passé par l'esprit, ce que j'ai été sur le point de faire? Il faisait une belle nuit, j'ai songé à m'enfuir, à laisser là ma mère et ma sœur que j'adore pourtant; à me cacher dans quelque lieu désert, à me laisser chercher jusqu'à ce qu'on eût renoncé à moi, jusqu'à ce qu'on m'eùt oubliée; [et alors rayé] je voulais me faire bergère, me faire suissesse, renoncer au monde, au mariage, à l'Angleterre, à l'argent. Je voulais ensevelir ma vie dans un chalet, ne plus jamais sortir de ces montagnes, revenir en un mot à la vie primitive, et je ne sais ce qui m'a retenue. C'est sans doute la crainte de ne pouvoir me cacher, c'est surtout celle d'affliger mes parents, mais enfin je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, et je n'ai eu le courage de renoncer à mon projet que quand j'ai vu le jour se lever. Quand nous avons quitté cet endroit, mon cœur s'est brisé comme si je laissais derrière moi un bonheur sans nuages [que je ne retrouverais jamais et nulle part rayé]. J'ai pleuré mon rêve, et j'ai quitté la Suisse avec une douleur dont je ne peux pas, dont je ne sais pas si je pourrai me consoler. / Le rêve romanesque et pur d'Isabelle passa d'emblée dans le cerveau de Sophie. Pour moi qui avais fait, sans aucune fantaisie d'artiste, et par la seule impulsion de mes ennuis et de mes instincts tant de rêves du même genre, à Nohant, je ne m'étonnai point, et me plus à me persuader que quelque jour, je réaliserais ce qu'Isabelle n'avait fait que rêver. Isabelle partit peu de tems après {Ms}nous voir une autre fois, et partit peu de temps après {Presse} et sq.
  16. consument leur vie {Ms}consument toute leur vie {Presse} et sq.
  17. sensible [en fait de piété rayé] aux considérations {Ms}
  18. nos têtes. Meilleurs, parce que l'adolescence {Ms}nos têtes. L'adolescence {Presse} et sq.
  19. spontané; [meilleurs rayé] parce que l'âge {Ms}spontané. Ce que l'âge {Presse} et sq.
  20. Je passai [plus de dix-huit mois rayé] longtems {Ms}
  21. si c'eussent été {Ms}si c'eût été {Presse}, {Lecou} ♦ si c'eussent été {LP}
  22. innocentes et niaises [on surveillait rayé] et tout cela {Ms}innocentes, et tout cela {Presse} et sq.
  23. rythme, sans me soucier des rencontres de voyelles, et en me permettant de couper ou de ne pas couper certaines syllabes en deux. Enfin {Ms}rhythme [...] Enfin {Presse} et sq.
  24. quoique la piété {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ quoique la pitié {CL} ♦ quoique la piété {Lub} (corrigeant cette erreur manifeste de {CL}; nous le suivons)
  25. point de causerie avec elle {Ms}pas de causerie avec ma grand'mère {Presse} et sq.
  26. milieu [démocratique rayé] plébéien {Ms}
  27. différence de nos [caractères rayé] goûts {Ms}
  28. soupente [et les deux murailles latérales avec mes mains rayé] La porte {Ms}soupente. La porte {Presse} et sq.
  29. potagers. [Le jardin des Dames de la Miséricorde s'étendaient rayé] s'étendaient {Ms}
  30. entraient sans façon {Ms} ♦ entraient sans frayeur {Presse} et sq.
  31. m'appartenais à moi-même. {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ m'appartenais. {CL}
  32. à travers les mille couloirs {Ms} ♦ à travers les couloirs {Presse} et sq.
  33. endormir! [Et puis mes autres diables me dominaient et m'arrachaient à moi-même rayé]. Enfin {Ms}
  34. en moi. [Je ne pouvais ni m'admirer ni <mot illisible> moi-même rayé]. Je n'avais {Ms}
  35. bien voir [de près rayé] {Ms}
  36. un rayon [rougeâtre rayé] sur la draperie {Ms}
  37. Quelque larme venait {Ms}Quelques larmes venaient {Presse} et sq.
  38. je l'essuyais {Ms}je les essuyais {Presse} et sq.
  39. personnel. [J'avais toujours dit à Mme Alicia que je ne voulais pas aller à Dieu par crainte de l'enfer, mais me sentir attirée vers lui par l'amour. [Elle rayé] Cette disposition ne lui déplaisait point. Je la conservais en moi-même. À plus forte raison, ne voulais-je pas me faire dévote dans l'espérance d'être plus heureuse au couvent et de donner un aliment à mon oisiveté rayé]. D'ailleurs {Ms}
  40. allaient [modestement rayé] furtivement [dans l'obscurité rayé] répandre {Ms}

Notes