GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.2 [287]; Lub T.1 [641]} TROISIÈME PARTIE
De l'enfance � la jeunesse
1810-1819 a

{Presse 31/3/1855 1; CL T.3 [121]; Lub T.1 [822]} XII b 1

Louise et Valentine. — La marquise de La Rochejaquelein. — Ses M�moires. — Son Salon. — Pierre Riallo. — Mes compagnes de la petite classe. — H�l�na c. — Fac�ties et bel esprit de couvent d. — La comtesse et Jacquot. — Sœur Fran�oise. — Madame Eug�nie. — Combat singulier avec mademoiselle D***. — Le cabinet noir. — La s�questration. — Poulette. — Les nonnes. — Madame Monique. — Miss Fairbairns. — Madame Anne-Augustine et son ventre d'argent. — Madame Marie-Xavier. — Miss Hurst. — Madame Marie-Agn�s. — Madame Anne-Joseph. — Les incapacit�s intellectuelles. — Madame Alicia. — Mon adoption. — Les conversations de l'avant-quart. — Sœur Th�r�se. — La distillerie. — Les dames de chœur et les sœurs converses.



Je ne quitterai pas la petite classe sans parler de deux pensionnaires que j'y ai beaucoup aim�es, bien qu'elles ne fussent point class�es parmi les diables. Elles ne l'�taient pas non plus parmi les sages, encore moins parmi les b�tes, car c'�taient deux intelligences fort remarquables. Je les ai d�j� nomm�es: c'�tait Valentine de Gouy et Louise de La Rochejaquelein.

Valentine �tait une enfant, elle n'avait gu�re que neuf ou dix ans, si j'ai bonne m�moire; et comme elle �tait petite et d�licate, elle ne paraissait gu�re plus �g�e que Mary Eyre et Helen Kelly, les deux mioches de la petite classe � cette �poque. Mais cette enfant �tait grandement sup�rieure � son �ge, et on pouvait autant se plaire avec elle qu'avec Isabelle ou Sophie. Elle apprenait toutes choses avec une facilit� merveilleuse. Elle �tait d�j� aussi avanc�e dans toutes ses �tudes que les grandes. Elle avait un esprit charmant, beaucoup de franchise et de bont�. Mon lit {CL 122} �tait aupr�s du sien au dortoir, et j'aimais � la soigner comme si elle e�t �t� ma fille. J'avais de l'autre c�t� une petite Suzanne, {Lub 901} sœur de Sophie, qu'il me fallait soigner encore plus, car elle �tait continuellement malade.

L'autre affection que je laissais � la petite classe, mais qui ne tarda pas � me rejoindre � la grande, Louise, �tait fille de la marquise de La Rochejaquelein, veuve de M. de Lescure, la m�me qui a laiss� des m�moires int�ressants sur la premi�re Vend�e. Je crois que le personnage politique* e qui repr�sente � l'assembl�e nationale une nuance de parti royaliste � id�es plus chevaleresques que rassurantes est le fr�re de cette Louise. Leur m�re a �t� certainement une h�ro�ne de roman historique. Ce roman vrai, racont� par elle, offre des narrations tr�s-dramatiques f, tr�s-bien senties et tr�s-touchantes. La situation de la France et de l'Europe m'y semble compl�tement m�connue; mais, le point de vue royaliste accept�, il est impossible de mieux juger son propre parti, de mieux peindre le fort et le faible, le bon et le mauvais c�t� des �l�ments de la lutte. Ce livre est d'une femme de cœur et d'esprit. Il restera parmi les documents les plus color�s et les plus utiles de l'�poque r�volutionnaire. L'histoire a d�j� fait justice des erreurs de fait et des na�ves exag�rations de l'esprit de parti qui ne peuvent pas ne point s'y trouver; mais elle fera son profit des curieuses r�v�lations d'un jugement droit et d'un esprit sinc�re qui signalent les causes de mort de la monarchie, tout en se d�vouant avec h�ro�sme � cette monarchie expirante.

1848. g

Louise avait le cœur et l'esprit de sa m�re, le courage et un peu h de l'intol�rance politique des vieux chouans, beaucoup de la grandeur et de la po�sie des paysans belliqueux au milieu desquels elle avait �t� �lev�e. J'avais d�j� lu le {CL 123} livre de la marquise, qui �tait r�cemment publi�. Je ne partageais pas ses opinions; mais je ne les combattais jamais, je sentais le respect que je devais � la religion de sa famille, et ses r�cits anim�s, ses peintures charmantes des mœurs et des aspects du Bocage m'int�ressaient vivement. Quelques ann�es plus tard j'ai �t� une fois chez elle, et j'ai vu sa m�re.

Comme cet int�rieur i m'a beaucoup frapp�e, je raconterai ici cette visite, que j'oublierais certainement si je la remettais � �tre rapport�e en son lieu.

{Lub 902} Je ne me rappelle plus o� �tait situ�e la maison. C'�tait un grand h�tel du faubourg saint-Germain. J'arrivai modestement en fiacre, selon mes moyens et mes habitudes, et je fis arr�ter devant la porte, qui ne s'ouvrait pas pour de si minces �quipages j. Le portier, qui �tait un vieux poudr� de bonne maison voulut m'arr�ter au passage k. « Pardon, lui dis-je, je vais chez madame de La Rochejaquelein. — Vous? dit-il en me toisant d'un air de m�pris, apparemment parce que j'�tais en manteau et en chapeau sans fleurs ni dentelles. Allons, entrez! » et il leva les �paules comme pour dire: « Ces gens-l� re�oivent tout le monde! »

J'essayai de pousser la porte derri�re moi. Elle �tait si lourde, que je n'en vins pas � bout avec les doigts. Je ne voulais pas salir mes gants, je n'insistai donc pas; mais comme j'avais d�j� mont� les premi�res marches de l'escalier, ce vieux cerb�re courut apr�s moi. « Et votre porte? me cria-t-il. — Quelle porte? — Celle de la rue! — Ah, pardon! lui dis-je en riant, c'est votre porte et non pas la mienne. » Il s'en alla la fermer en grommelant, et je me demandai si j'allais �tre aussi mal re�ue par les illustres laquais de ma compagne d'enfance. En trouvant beaucoup de ces messieurs dans l'antichambre, je vis qu'il y avait du monde et je fis demander Louise. Je n'�tais � Paris que pour deux ou trois jours; je d�sirais r�pondre au d�sir {CL 124} qu'elle m'avait t�moign� de m'embrasser et je ne voulais que causer quelques minutes avec elle. Elle vint me chercher et m'entra�na au salon avec la m�me gaiet� et la m�me cordialit� qu'autrefois. Du c�t� o� elle me fit asseoir aupr�s d'elle, il n'y avait que des jeunes personnes, ses sœurs ou ses amies. De l'autre, les gens graves autour du fauteuil de sa m�re, qui �tait un peu isol� en avant l.

Je fus tr�s-d�sappoint�e de trouver dans l'h�ro�ne de la Vend�e une grosse femme tr�s-rouge et d'une apparence assez vulgaire m. À sa droite, un paysan vend�en se tenait debout n. Il �tait venu de son village pour la voir ou pour voir Paris, et il avait d�n� avec la famille. Sans doute c'�tait un homme bien pensant et peut-�tre un h�ros de la derni�re Vend�e. Il ne me parut point d'�ge � dater de la premi�re, et Louise, que j'interrogeai, me dit simplement: « C'est un brave homme de chez nous. »

Il �tait v�tu d'un gros pantalon et d'une veste ronde. {Lub 903} Il portait une sorte d'�charpe blanche au bras, et une vieille rapi�re lui battait les jambes. Il ressemblait � un garde champ�tre un jour de procession. Il y avait loin de l� aux partisans demi-pasteurs, demi-brigands que j'avais r�v�s o, et ce bonhomme avait une mani�re de dire Madame la marquise qui m'�tait naus�abonde. Pourtant la marquise, presque aveugle alors, me plut par son grand air o de bont� et de simplicit�. Il y avait autour d'elle de belles dames par�es pour le bal, qui lui rendaient de grands hommages et qui, certes, n'avaient pas pour ses cheveux blancs et ses yeux bleus � demi �teints autant de v�n�ration que mon cœur na�f �tait dispos� � lui en accorder; secret hommage d'autant plus appr�ciable que je n'�tais alors ni d�vote ni royaliste.

Je l'�coutai causer, elle avait plus de naturel que d'esprit, du moins dans ce moment-l�. Le paysan, en prenant cong�, re�ut d'elle une poign�e de main et mit son chapeau sur sa t�te avant d'�tre sorti du salon, ce qui ne fit {CL 125} rire personne. Louise et ses sœurs �taient aussi simplement mises qu'elles �taient simples dans leurs mani�res. Cette simplicit� allait m�me jusqu'� la brusquerie. Elles ne faisaient pas de petits ouvrages, elles avaient des quenouilles et affectaient de filer du chanvre, � la mani�re des paysannes. Je ne demandais pas mieux que de trouver tout cela charmant, et cela e�t pu l'�tre.

Chez Louise, j'en suis certaine, tout �tait na�f et spontan�; mais le cadre o� je la voyais ainsi jouer � la ch�telaine de Vend�e ne se mariait point avec ces allures de fille des champs. Un beau salon tr�s-�clair�, une galerie de patriciennes �l�gantes et de ladies compass�es, une antichambre remplie de laquais, un portier qui insultait presque les gens en fiacre, cela manquait d'harmonie et on y sentait trop l'impossibilit� d'un hymen public et l�gitime entre le peuple et la noblesse.

Cette pens�e d'hym�n�e me rappelle une des plus �tranges et des plus significatives aventures de la vie de madame de La Rochejaquelein. Elle �tait alors veuve de M. de Lescure, encore enceinte de deux jumelles qu'elle devait perdre peu de jours apr�s leur naissance. R�fugi�e en Bretagne, au hameau de La Minaye, chez de pauvres paysans fid�les au malheur, traqu�e par les bleus, livr�e � de continuelles alertes, gardant les troupeaux sous le {Lub 904} nom de Jeannette, couchant souvent dans les bois avec sa m�re (une femme h�ro�que que l'on adore en lisant ses M�moires q), fuyant par le vent et la pluie, pour se cacher dans quelque sillon ou dans quelque foss�, tandis que les patriotes fouillaient les maisons o� elles avaient re�u asile, madame de La Rochejaquelein avait failli �pouser un paysan breton. Voici comme elle raconte elle-m�me cet �pisode.

« ... Ma m�re voulut, pour plus de pr�caution, user d'une ressource fort singuli�re. Deux paysannes vend�ennes avaient �pous� des bretons, et, depuis ce temps-l�, on ne {CL 126} les inqui�tait plus. Ma m�re, qui cherchait � m'assurer un repos complet pendant mes couches, ne trouva pas de meilleur moyen. Elle jeta les yeux sur Pierre Riallo. C'�tait un vieux homme r veuf qui avait cinq enfants; mais il fallait avoir un acte de naissance. La Ferret avait une sœur qui �tait all�e autrefois s'�tablir de l'autre c�t� de la Loire avec sa fille. On envoya Riallo chercher les actes de naissance dans le pays de la Ferret. Tout allait s'arranger: l'officier municipal �tait pr�venu et nous avait promis de d�chirer la feuille du registre quand nous le voudrions. On devait prier les bleus au repas de la noce; mais l'ex�cution de ce projet fut suspendue par des alarmes tr�s-vives qu'on nous donna. On nous dit que nous avions �t� d�nonc�es et que nous �tions particuli�rement recherch�es. Nous change�mes de demeure, et m�me nous nous s�par�mes, etc. »

Quelques semaines plus tard, madame de Lescure et sa m�re, changeant d'asile, se s�par�rent de Pierre s Riallo, qui les avait conduites � leur nouveau refuge: « Cet excellent homme, dit-elle, nous quitta en pleurant. Il �ta de son doigt une bague {Presse 31/3/1855 2} d'argent comme en portent les paysannes bretonnes, et me la donna. Jamais je n'ai cess� de la porter depuis. »

Ainsi la veuve de M. de Lescure, celle qui devait �tre la marquise de La Rochejaquelein, avait �t� en quelque sorte la fianc�e de Pierre Riallo. Rien de plus aust�re certainement que ces fian�ailles en pr�sence de la mort, rien de plus chaste que l'affection du vieux paysan et la gratitude de la jeune marquise; mais que f�t-il arriv� si le mariage e�t �t� conclu et que Pierre Riallo se f�t refus� � la suppression frauduleuse de l'acte civil? Certes, la noble Jeannette f�t morte plut�t que de {Lub 905} consentir � ratifier cette m�salliance monstrueuse. On �tait bien alors, par le fait, l'�gale, moins que l'�gale du pauvre paysan breton. {CL 127} On �tait une pauvre brigande, bien heureuse de recevoir cette g�n�reuse hospitalit� et cette magnanime protection. Sous la Restauration, on ne l'avait pas oubli� sans doute. On recevait dans son salon le premier paysan venu, pourvu qu'il e�t au coude le brassard sans tache. On filait la quenouille des berg�res, on avait de touchants et affectueux souvenirs; mais on n'en �tait pas moins madame la marquise, et cette fausse �galit� ne pouvait pas tromper le paysan. Si le fils de Pierre Riallo se f�t pr�sent� pour �pouser Louise ou Laurence de La Rochejaquelein, on l'aurait consid�r� comme fou. Le fils des crois�s, M. de La Rochejaquelein, aujourd'hui orateur politique, ne serait pas volontiers le beau-fr�re de quelque laboureur armoricain. Eh bien, Pierre Riallo, c'est bien l� r�ellement comme un symbole pour personnifier le peuple vis-�-vis de la noblesse. On se fie � lui, on accepte ses sublimes d�vouements, ses supr�mes sacrifices, on lui tend la main. On se fiancerait volontiers � lui aux jours du danger, mais on lui refuse, au nom de la religion monarchique et catholique, le droit de vivre en travaillant, le droit de s'instruire, le droit d'�tre l'�gal de tout le monde; en un mot, la v�ritable union morale des castes, on fr�mit � l'id�e seule de la ratifier.

Je pensais d�j� un peu � tout cela en quittant le salon de madame de La Rochejaquelein, et, bien certaine que tout ce que j'avais vu n'�tait pas une com�die, sachant bien que Louise et sa famille avaient la m�moire du cœur, je me disais pourtant que, par la force des choses, ce que j'avais vu n'�tait qu'une charmante petite parade de salon.

Avant de clore cette digression, on me permettra de faire remarquer l'esp�ce d'analogie qui existe entre l'aventure de la marquise chez Pierre Riallo et les id�es que ma m�re avait encore en 1804 sur le mariage civil. En 1804, ma m�re ne se croyait pas mari�e avec mon p�re parce qu'elle n'�tait mari�e qu'� la municipalit�. En 93, madame de La {CL 128} Rochejaquelein ne se f�t pas crue mari�e avec Pierre Riallo parce que l'officier municipal promettait de d�chirer l'acte. Ce peu de respect pour une formalit� purement civile marque bien la transition {Lub 906} d'une l�gislation � une autre et la transformation de la soci�t�.

Je quitte mon �pisode anticip�, qui date de 1824 ou 1825, 1826 peut-�tre, et je reviens sur mes pas. Je rentre au couvent, o� Louise, avec sa vive intelligence, son noble cœur et son aimable caract�re, ne faisait na�tre en moi aucune des r�flexions que j'eus lieu de faire plus tard sans cesser de l'aimer. Je l'ai perdue de vue depuis longtemps. J'ignore qui elle a �pous�, j'ignore m�me si elle vit, tant je suis peu du monde, tant j'ai franchi de choses qui me s�parent du pass� et m'ont fait perdre jusqu'� la trace de mes premi�res elations. Si elle existe, si elle se souvient de moi, si elle sait que George Sand est la m�me personne qu'Aurore Dupin, elle doit soupirer, d�tourner les yeux et nier m�me qu'elle m'ait aim�e. Je sais l'effet des opinions et des pr�jug�s sur les �mes les plus g�n�reuses et je ne m'en �tonne ni ne m'en scandalise. Moi, tranquille dans ma conscience d'aujourd'hui, comme j'�tais tranquille et eau dormante dans ma diablerie d'il y a trente ans, je l'aime encore, cetteLouise; j'aime encore les royalistes, les d�votes, les nonnes m�mes que j'ai aim�es et qui aujourd'hui ne prononcent mon nom, j'en suis s�re, qu'en faisant de grands signes de croix. Je ne d�sire pas les revoir, je sais qu'elles me pr�cheraient ce qu'elles appelleraient le retour � la v�rit�. Je sais que je serais forc�e de leur causer le chagrin d'�chouer dans leurs pieux desseins. Il vaut donc mieux ne pas se revoir que de se revoir avec une cuirasse sur le cœur: mais mon cœur n'est pas mort pour cela. Il a toujours de doux �lans vers ses premi�res tendresses. Ma religion, � moi, ne condamne pas � l'enfer �ternel les adversaires de ma croyance t. C'est pourquoi je parlerai de mes amies de {CL 129} couvent sans me soucier de ce que l'esprit de caste et de parti en a fait depuis. Je parlerai de celles qui ont d� me renier avec le m�me enthousiasme, la m�me effusion que de celles u qui m'ont gard� un souvenir inalt�rable. Je les vois encore telles qu'elles �taient, et je ne veux pas savoir ce qu'elles sont. Je les vois pures et suaves comme le matin de la vie o� nous nous sommes connues. Les grands marronniers du couvent m'apparaissent comme ces champs-�lys�ens o� se rencontraient des �mes v venues de tous les points de l'univers et o� elles faisaient {Lub 907} �change de douces et calmes sympathies, sans prendre garde aux mondaines agitations, aux pu�riles dissidences de ce bas monde w.

On me pardonnera bien de tracer ici une courte liste des compagnes que je laissais � la petite classe; je ne me les rappelle pas toutes, mais j'ai du plaisir � retrouver une partie de leurs noms dans ma m�moire. C'�tait, outre celles que j'ai d�j� cit�es, les trois Kelly (Mary, Helen et Henriette); les deux O'Mullan, cr�oles jaunes et douces; les deux Cary, Fanny et Suzanne, sœurs de Sophie; Lucy Masterson, Catherine et Maria Dormer; Maria Gordon x, une d�licate et maladive enfant, douce et intelligente, qui a �pous� un fran�ais, et qui est devenue une excellente m�re de famille, une femme distingu�e sous tous les rapports; Louise Rollet, fille d'un ma�tre de forges du Berry; Lavinia Anster; Camille de Le Josne-Contay, personne roide et grave comme une huguenote des anciens jours (tr�s-catholique pourtant); Eug�nie de Castella, demi-diable tr�s-excellent d'ailleurs, avec qui j'�tais assez li�e; une des trois Defargues, filles d'un maire de Lyon; Henriette Manoury, qui venait, je crois, du Havre; enfin H�l�na de Narbonne, y enfant un peu pers�cut�e, un peu opprim�e, par sa faute peut-�tre, mais qui m'inspirait de la sollicitude par cette raison qu'elle �tait souvent victime de la diablerie.

Elle m'aimait quelquefois trop. C'�tait une nature inqui�te {CL 130} et tourmentante. Il fallait lui faire tous ses devoirs, se charger de toutes ses corv�es, voire de lui �crire sa confession, ce qui ne se faisait pas toujours tr�s-s�rieusement, je l'avoue. Je la prot�geais contre Mary, qui ne pouvait pas la tol�rer. Je lui ai �pargn� bien des punitions, je l'ai sauv�e de bien des orages, et je doute qu'elle en ait gard� la m�moire. Elle tirait une grande vanit� de son nom, et on lui en savait mauvais gr�, m�me celles qui en portaient de plus illustres, car il faut rendre � la plupart d'entre nous cette justice, que nous pratiquions de tous points l'�galit� chr�tienne, et que nous n'avions m�me pas la pens�e de nous croire plus ou moins les unes que les autres.

C'est cette H�l�na de Narbonne qui m'avait du reste gratifi�e d'un sobriquet que j'ai port� plus particuli�rement que les autres; car, comme toutes mes compagnes, {Lub 908} j'en avais plusieurs. H�l�na m'avait nomm�e Calepin, parce que j'avais la manie des tablettes de poche; la sœur Th�r�se m'avait surnomm�e Madcap et Mischievous � la grande classe, je devins ma tante, et le marquis de Sainte-Lucie z.

J'ai eu l'amusement de conserver mes livres �l�mentaires de la petite classe, le Spelling book, the Garden of the soul (Le Jardin de l'�me), etc. Ils sont charg�s de devises, de r�bus, et, ce qui me r�jouit le plus, de conversations dialogu�es qu'on s'�crivait durant les heures de silence, car le silence g�n�ral �tait une punition fort usit�e. La couverture du premier livre venu passant de main en main sous la table devenait une causerie g�n�rale. On avait aussi des lettres en carton qu'on se faisait passer au moyen d'un long fil, d'un bout de la classe � l'autre. On formait rapidement des mots, et celle qui �tait s�questr�e dans un coin, s�par�e des autres par une punition particuli�re, �tait avertie de tout ce que l'on complotait. En fait de confessions �crites, d'examens de conscience qu'on faisait pour les petites {CL 131} je retrouve un griffonnage qui est un sp�cimen; je ne sais qui l'a fait ni � qui il �tait destin�.

« Confession de. . . . .

« H�las, mon petit p�re Vill�le*, il m'est arriv� bien souvent de me barbouiller d'encre, de moucher la chandelle avc mes doigts, de me donner des indigestions d'haricots, comme on dit dans le grand monde o� j'ai �t� z'�lev�e; j'ai scandalis� les jeunes ladies de la classe par ma malpropret�; j'ai eu l'air b�te, et j'ai oubli� de penser � quoi que ce soit, plus de deux cents fois par jour. J'ai dormi au cat�chime et j'ai ronfl� � la messe; j'ai dit que vous n'�tiez pas beau; j'ai fait �goutter mon rat sur le voile de la m�re alippe, et je l'ai fait expr�s. J'ai fait cette semaine au moins quinze pataqu�s en fran�ais et trente en anglais, j'ai br�l� mes souliers aux po�le et j'ai infect� la classe. C'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma tr�s grande faute, etc. »

* C'�tait le confesseur d'une partie des pensionnaires et des religieuses. Ce n'�tati pas le mien. Cet abb� de Vill�le, fr�re du ministre, a �t� depuis archev�que de Bourges.

On voit combien nos m�chancet�s et nos impi�t�s {Lub 909} �taient innocentes. Elles �taient pourtant s�v�rement tanc�es et punies quand mademoiselle D*** mettait la main sur ces �crits, qu'elle appelait licencieux et dangereux. La m�re Alippe faisait semblant de se f�cher, punissait un peu, confisquait, et, j'en suis s�re, amusait l'ouvroir avec nos sottises.

Que chacun se rappelle comme il a ri de bon cœur, dans l'enfance, de choses qui par elles-m�mes n'�taient peut-�tre pas dr�les du tout. Il n'en faut pas beaucoup pour les petites filles. Tout nous �tait sujet d'inextinguible ris�e: un nom estropi�, une figure ridicule au parloir, un incident quelconque � l'�glise, le miaulement d'un chat, que {CL 132} sais-je? Il y avait des paniques contagieuses comme les joies. Une petite criait pour une araign�e; aussit�t toute la classe criait sans savoir pourquoi. Un soir, � la pri�re, je ne sais ce qui se passa, personne n'a jamais pu le dire: une de nous crie, sa voisine se l�ve, une troisi�me se sauve, c'est aussit�t un sauve-qui-peut aa g�n�ral; on quitte la classe en masse, renversant les chaises, les bancs, les lumi�res, et on s'enfuit dans le clo�tre en tombant les unes sur les autres, entra�nant les ma�tresses qui ne crient et ne courent pas moins que les �l�ves. Il faut une heure pour rassembler le troupeau �perdu, et quand on veut s'expliquer, impossible d'y rien comprendre.

Malgr� toute cette gaiet� f�brile de la petite classe, j'y souffrais si r�ellement au moral et au physique, que j'ai conserv� le souvenir du jour o� j'entrai � la grande classe comme un des plus heureux de ma vie.

{Presse 1/4/1855 1} J'ai toujours �t� sensible � la privation de la vive lumi�re. Il semble que toute ma vie physique soit l�. Je m'assombris in�vitablement dans une atmosph�re terne. La grande classe �tait tr�s-vaste; il y avait cinq ou six fen�tres, dont plusieurs donnaient sur les jardins. Elle �tait chauff�e d'une bonne chemin�e et d'un bon po�le. D'ailleurs le printemps commen�ait. Les marronniers allaient fleurir, leurs grappes ros�es se dressaient comme des cand�labres. Je crus entrer dans le paradis.

La ma�tresse de classe, que l'on tournait en ridicule et qui �tait bien un peu �trange dans ses mani�res, �tait une fort bonne personne au fond, et encore plus distraite que mademoiselle D***. On l'appelait la Comtesse, parce qu'elle se donnait de grands airs, {Lub 910} et je lui conserverai ce surnom. Elle avait dans le jardin un appartement au rez-de-chauss�e, dont un potager nous s�parait, et de sa fen�tre, quand elle ne tenait pas la classe, elle pouvait voir une partie de nos escapades. Mais elle �tait bien plus occup�e de voir, de la {CL 133} classe, ce qui se passait dans son appartement. C'est que l�, � sa fen�tre ou devant sa porte, vivait, grattait et piaillait au soleil ab l'unique objet de ses amours, un vieux perroquet gris tout r�p�, maussade b�te que nous accablions de nos d�dains et de nos insultes.

Nous avions grand tort, car Jacquot e�t m�rit� toute notre gratitude; c'�tait � lui que nous devions notre libert�. C'�tait gr�ce � lui que la Comtesse, incessamment pr�occup�e, nous laissait faire nos folies. Perch� sur son b�ton � la port�e de la vue, Jacquot, lorsqu'il s'ennuyait, poussait des cris per�ants. Aussit�t la Comtesse courait � la fen�tre, et si un chat r�dait autour du perchoir, si Jacquot impatient� avait bris� sa cha�ne et entrepris un voyage d'agr�ment sur les lilas voisins, la Comtesse, oubliant tout, se pr�cipitait hors de la classe, franchissait le clo�tre, traversait le jardin et courait gronder ou caresser la b�te ador�e. Pendant ce temps on dansait sur les tables, ou on quittait la classe pour faire comme Jacquot quelque voyage d'agr�ment � la cave ou au grenier.

La Comtesse �tait une jeune personne de quarante � cinquante ans, demoiselle, tr�s-bien n�e, on ne pouvait l'ignorer, car elle le disait � tout propos, sans fortune, et je crois peu instruite, car elle ne nous donnait aucune esp�ce de le�ons et ne servait qu'� garder la classe comme surveillante. Elle �tait ennuyeuse et ridicule, mais bonne et convenable. Quelques-unes de nous l'avaient prise en grippe et la traitaient si mal qu'elles la for�aient de sortir de son caract�re. Je n'ai jamais eu qu'� me louer d'elle pour mon compte, et je me reproche m�me d'avoir ri avec les autres de sa tournure magistrale, de ses phrases pr�tentieuses, de son grand chapeau noir qu'elle ne quittait jamais, de son ch�le vert qu'elle drapait d'une mani�re si solennelle, enfin de ses lapsus linguæ qui �taient relev�s sans piti� et qu'on pla�ait ensuite tr�s-haut dans la conversation {CL 134} sans qu'elle s'en aper��t jamais. J'aurais d� plut�t prendre son parti, puisqu'elle prenait souvent le mien aupr�s des {Lub 911} religieuses. Mais les enfants sont ingrats (cet �ge est sans piti�!) et la moquerie leur semble un droit inali�nable.

La seconde surveillante �tait une religieuse fort s�v�re, madame Anne-Fran�oise. Cette vieille, maigre et p�le, avait un �norme nez aquilin. Elle grondait beaucoup, injuriait trop et n'�tait pas aim�e. Je n'avais rien pour elle, ni �loignement ni sympathie. Elle ne me traitait ni bien ni mal. Je ne lui ai jamais vu de pr�f�rence pour personne et on la soup�onnait d'�tre philosophe, parce qu'elle s'occupait d'astronomie. Elle avait effectivement une mani�re d'�tre fort diff�rente des autres nonnes. Au lieu de communier comme elles tous les jours, elle ne s'approchait des sacrements qu'aux grandes f�tes de l'ann�e. Ses sermons n'avaient point d'onction. C'�taient toujours des menaces, et dans un si mauvais fran�ais, qu'on ne pouvait les �couter s�rieusement. Elle punissait beaucoup, et quand, par hasard, elle voulait plaisanter, elle �tait blessante et peu convenable. Sa figure accentu�e ne manquait pas de caract�re. Elle avait l'air d'un vieux dominicain, et pourtant elle n'�tait pas fanatique, pas m�me d�vote pour une religieuse.

La ma�tresse en chef de la petite classe �tait madame Eug�nie, Maria-Eugenia Stonor. C'�tait une grande femme, d'une belle taille, d'un port noble, gracieux m�me dans sa solennit�. Sa figure, rose et rid�e comme celle de presque toutes les nonnes sur le retour, avait pu �tre jolie, mais elle avait une expression de hauteur et de moquerie qui �loignait d'elle au premier abord. Elle �tait plus que s�v�re, elle �tait emport�e et se laissait aller � des antipathies personnelles qui lui faisaient beaucoup d'ennemies irr�conciliables. Elle n'�tait affectueuse avec personne, et {CL 135} je ne connais qu'une seule pensionnaire qui l'ait aim�e: c'est moi.

Cette affection que je ne pus m'emp�cher de manifester pour le f�roce abat-jour (on l'appelait ainsi, parce qu'elle avait la vue d�licate et portait un garde-vue en taffetas vert), �tonna toute la grande classe. Voici comment elle me vint.

Trois jours apr�s mon entr�e � cette classe, je rencontrai mademoiselle D*** � la porte du jardin. Elle me fit des yeux terribles; je la regardai tr�s en face et avec ma tranquillit� habituelle. Elle avait eu un dessous dans mon admission � la grande classe, elle �tait furieuse. {Lub 912} « Vous voil� bien fi�re, me dit-elle, vous ne me saluez seulement pas! — Bonjour, madame, comment vous portez-vous? — Vous avez l'air de vous moquer de moi. — Il vous pla�t de le voir. — Ah! Ne prenez pas ces airs d�gag�s, je vous ferai encore sentir qui je suis. — J'esp�re que non, madame; je n'ai plus rien � d�m�ler avec vous. — Nous verrons! » et elle s'�loigna avec un geste de menace.

On �tait en r�cr�ation, tout le monde courait au jardin. J'en profitai pour entrer � la petite classe afin de reprendre quelques cahiers que j'avais laiss�s dans un cabinet attenant � la salle d'�tudes. Ce cabinet, o� l'on mettait les encriers, les pupitres, les grandes cruches d'eau destin�es au lavage de la classe, servait aussi de cabinet noir, de prison pour les petites, pour Mary Eyre et compagnie.

J'y �tais depuis quelques instants, cherchant mes cahiers, lorsque mademoiselle D*** se pr�sente � moi comme Tisiphone. « Je suis bien aise de vous trouver ici, me dit-elle; vous allez me faire des excuses pour la mani�re impertinente dont vous m'avez regard�e tout � l'heure. — Non, madame, je n'ai pas �t� impertinente, je ne vous ferai pas d'excuses. — En ce cas, vous serez punie � la mani�re des petites, vous serez enferm�e ici jusqu'� ce que vous ayez {CL 136} baiss� le ton. — Vous n'en avez pas le droit, je ne suis plus sous votre autorit�. — Essayez de sortir! — Tout de suite. »

Et, profitant de sa stupeur, je franchis la porte du cabinet et allai droit � elle; mais aussit�t, transport�e de rage, elle se pr�cipita sur moi, m'�treignit dans ses bras et me repoussa vers le cabinet. Je n'ai jamais vu rien de si laid que cette grosse d�vote en fureur. Moiti� riant, moiti� r�sistant, je la repoussai, je l'acculai contre le mur, jusqu'� ce qu'elle voulut me frapper; alors je levai le poing sur elle, je la vis p�lir, je la sentis faiblir, et je restai le bras lev�, certaine que j'�tais la plus forte et qu'il m'�tait tr�s-facile de m'en d�barrasser; mais pour cela il fallait ou lui donner un coup ou la faire tomber, ou au moins la pousser rudement et risquer de lui faire du mal. Je n'�tais pas plus en col�re que je ne le suis � cette heure et je n'ai jamais pu faire de mal � personne ac. Je la l�chai donc en souriant, et j'allais m'en aller, satisfaite de lui avoir pardonn� ad et de lui {Lub 913} avoir fait sentir la sup�riorit� de mes instincts sur les siens, lorsqu'elle profita tra�treusement de ma g�n�rosit�, revint sur moi et me poussa de toute sa force. Mon pied heurta une grosse cruche d'eau qui roula avec moi dans le cabinet, la D*** m'y enferma � double tour, et s'enfuit en vomissant un torrent d'injures.

Ma situation �tait critique. J'�tais litt�ralement dans un bain froid; le cabinet �tait fort petit et la cruche �norme; lorsque je fus relev�e j'avais encore de l'eau jusqu'� la cheville. Pourtant je ne pus m'emp�cher de rire en entendant la D*** s'�crier: « Ah! La perverse, la maudite! Elle m'a fait mettre tellement en col�re, que je vais �tre oblig�e de retourner me confesser. J'ai perdu mon absolution. » Moi, je ne perdis pas la t�te, je grimpai sur les rayons du cabinet pour me mettre � pied sec, j'arrachai une feuille blanche d'un cahier, je trouvai plumes et encre, et j'�crivis {CL 137} � madame Eug�nie � peu pr�s ce qui suit: « Madame, je ne reconnais maintenant d'autre autorit� sur moi que la v�tre. Mademoiselle D*** vient de faire acte de violence sur ma personne et de m'enfermer. Veuillez venir me d�livrer, etc. »

J'attendis que quelqu'un par�t. Maria Gordon, je crois, vint chercher aussi un cahier dans le cabinet, et en voyant ma t�te appara�tre � la lucarne, elle eut grand'peur et voulut fuir. Mais je me fis reconna�tre et la priai de porter mon billet � madame Eug�nie, qui devait �tre au jardin. Un instant apr�s madame Eug�nie parut, suivie de mademoiselle D***. Elle me prit par la main et m'emmena sans rien dire. La D*** �tait silencieuse aussi. Quand je fus seule avec madame Eug�nie dans le clo�tre, je l'embrassai na�vement pour la remercier. Cet �lan lui plut. Madame Eug�nie n'embrassait jamais personne, et personne ne songeait � l'embrasser. Je la vis �mue comme une femme qui ne conna�t pas l'affection et qui pourtant n'y serait pas insensible. Elle me questionna. Elle avait une mani�re de questionner tr�s-habile; elle avait l'air de ne pas �couter la r�ponse et elle ne perdait ni un mot ni une expression de visage. Je lui racontai tout, elle vit que c'�tait la v�rit�. Elle sourit, me serra la main, et me fit signe de retourner au jardin.

L'archev�que de Paris venait confirmer quelques {Lub 914} jours apr�s ae. On choisissait les �l�ves qui avaient fait leur premi�re communion et qui n'avaient pas re�u l'autre sacrement. On les faisait entrer en retraite dans une chambre commune dont mademoiselle D*** �tait la gardienne et la lectrice. C'est elle qui faisait les exhortations religieuses. On vint me chercher le jour m�me, mais mademoiselle D*** refusa de me recevoir et ordonna que je ferais ma retraite toute seule dans la chambre qu'il plairait aux religieuses de m'assigner. Alors madame Eug�nie prit hautement mon {CL 138} parti. « C'est donc une pestif�r�e? dit-elle avec son air railleur. Eh bien, qu'elle vienne dans ma cellule. » Elle m'y conduisit en effet, et madame Alippe vint nous y joindre. Elles rest�rent dans le corridor pendant que je m'installais dans la cellule, et j'entendis leur conversation en {Presse 1/4/1855 2} anglais. Je ne sais si elles me croyaient d�j� capable de n'en pas perdre beaucoup de mots af.

« Voyons, disait madame Eug�nie, cette enfant est donc d�testable, vous qui la connaissez? — Elle n'est pas d�testable du tout, r�pondit la m�re Alippe, elle est bonne, au contraire, et cette D*** ne l'est pas. Mais l'enfant est diable, comme elles disent... Ah! Cela vous fait rire, vous? Vous aimez les diables, on sait cela! » (C'est bon � savoir, pensai-je.) et madame Eug�nie reprit: « Puisqu'elle est folle, ce n'est pas le moment de la confirmer. Elle n'y porterait pas le recueillement n�cessaire. Laissons-lui le temps de devenir sage, et surtout ne la mettons pas en contact avec une personne qui lui en veut. Vous m'accordez bien que cette enfant m'appartient, et que vous-m�me vous n'avez plus de droits sur elle? -pas d'autres que les droits de l'amiti� chr�tienne, r�pondit la m�re Alippe, et mademoiselle D*** est dans son tort: soyez tranquille, elle ne recommencera plus. »

Madame Eug�nie alla trouver la sup�rieure, � ce que je crois, pour s'expliquer avec elle, et peut-�tre avec la m�re Alippe et mademoiselle D***, sur ce qui venait de se passer et sur ce qu'il y avait � faire. Pendant que j'�tais dans la cellule de ma protectrice, Poulette vint m'y trouver: Poulette, c'�tait le nom que les petites avaient donn� � madame Marie Austin (Marie-Augustine), la sœur de la m�re Alippe, et la d�positaire du couvent. Celle-l� �tait l'idole des pensionnaires. Elle {Lub 915} grognait d'une certaine fa�on maternelle et caressante. N'ayant pas de fonctions aupr�s de nous, elle faisait m�tier de nous g�ter et de nous tancer gaiement de {CL 139} nos sottises. Elle avait une boutique de friandises qu'elle nous vendait, et elle donnait souvent � celles qui n'avaient plus d'argent, ou du moins elle leur ouvrait des cr�dits qu'on oubliait de fermer de part et d'autre. Cette bonne femme, toujours gaie, sans morgue de d�votion, et qu'on prenait par le cou sans fa�on, qu'on embrassait sur les deux joues, qu'on taquinait m�me sans jamais la f�cher s�rieusement, vint me consoler de mes m�saventures et me donner m�me trop raison, ce dont j'aurais pu abuser si je n'avais pas eu h�te de rentrer en paix avec tout le monde.

Au bout d'une heure de babillage avec Poulette, je re�us la visite de mademoiselle D***. La sup�rieure ou son confesseur l'avait grond�e. Elle �tait douce comme miel, et je fus fort �tonn�e de ses fa�ons caressantes. Elle m'annon�a qu'on avait remis mon sacrement � l'ann�e suivante, qu'on ne me croyait pas suffisamment dispos�e � recevoir la gr�ce, que madame Eug�nie allait venir me le dire mais qu'elle-m�me, avant d'entrer en retraite avec les n�ophytes, avait voulu faire sa paix avec moi. « Voyons, me dit-elle, voulez-vous convenir que vous avez eu tort, et me donner la main? — De tout mon cœur, lui dis-je. Tout ce que vous me prescrirez avec douceur et bienveillance, je m'y rendrai. » Elle m'embrassa, ce qui ne me fit pas grand plaisir, mais tout fut termin�, et jamais plus nous n'e�mes maille � partir ensemble.

L'ann�e suivante, j'�tais devenue tr�s-d�vote, je fus confirm�e et je fis la retraite sous le patronnage de cette m�me Demoiselle D***. Elle me t�moigna beaucoup d'�gards et me loua beaucoup de ma conversion. Elle nous faisait de longues lectures qu'elle d�veloppait et commentait ensuite avec une certaine �loquence rude et parfois saisissante. Elle commen�ait d'un ton emphatique auquel on s'habituait peu � peu et qui finissait par vous �mouvoir. Cette retraite est tout ce que je me rappelle d'elle � partir de mon installation {CL 140} d�finitive � la grande classe. Je lui ai ag pardonn� de tout mon cœur et je ne r�tracte pas mon pardon; mais je persiste � dire que nous eussions �t� infiniment meilleures {Lub 916} et plus heureuses, si les religieuses seules se fussent charg�es de notre �ducation.

Avant d'en revenir au r�cit de mon existence au couvent, je veux parler de nos religieuses avec quelque d�tail, je ne crois pas avoir oubli� aucun de leurs noms.

Apr�s Madame Canning (la sup�rieure), dont j'ai parl�, apr�s madame Eug�nie, la m�re Alippe, la bonne Poulette (Marie-Augustine), une des doyennes �tait madame Monique (Maria Monica), personne tr�s-aust�re, tr�s-grave, que je n'ai jamais vue sourire et avec laquelle nulle ne se familiarisa jamais. Elle a �t� sup�rieure apr�s madame Eug�nie, qui elle-m�me avait succ�d� de mon temps � madame Canning. L'autorit� sup�rieure n'�tait pas inamovible. On proc�dait � l'�lection, je crois, tous les cinq ans. Madame Canning fut sup�rieure pendant trente ou quarante ans et mourut sup�rieure. Madame Eug�nie demanda � �tre d�livr�e de son gouvernement cinq ans apr�s, sa vue se troublant de plus en plus. Elle est devenue presque aveugle. J'ignore si elle existe encore. Je ne sais pas non plus si madame Monique a v�cu jusqu'� pr�sent. Je sais qu'il y a quelques ann�es madame Marie-Fran�oise lui avait succ�d�.

De mon temps madame Marie-Fran�oise �tait novice sous son nom de famille, miss Fairbairns. C'�tait une tr�s-belle personne, blanche avec des yeux noirs, de fra�ches couleurs, une physionomie tr�s-ferme, tr�s-d�cid�e, franche, mais froide. Cette froideur, dont le principe tout britannique �tait d�velopp� par la r�serve claustrale et le recueillement chr�tien, se faisait sentir chez la plupart de nos religieuses. Souvent nos �lans de sympathie pour elles en �taient attrist�s et glac�s. C'est le seul reproche collectif que j'aie � leur faire. Elles n'�taient pas assez d�sireuses de se faire aimer. {CL 141} — Une autre doyenne �tait madame Anne-Augustine, si je ne fais pas erreur de nom. Celle-l� �tait si vieille, que lorsqu'on se trouvait � monter un escalier derri�re elle, on avait le temps d'apprendre sa le�on. Elle n'avait jamais pu dire ah un mot de fran�ais. Elle avait aussi une figure tr�s-solennelle et tr�s-aust�re. Je ne crois pas qu'elle ait jamais adress� la parole � aucune de nous. On pr�tendait qu'elle avait eu une maladie tr�s-grave et qu'elle ne dig�rait qu'au moyen d'un ventre d'argent. Le ventre {Lub 917} d'argent de madame Anne-Augustine �tait une des traditions du couvent, et nous �tions assez b�tes pour y croire.

On s'imaginait ai m�me entendre le cliquetis de ce ventre lorsqu'elle marchait; c'�tait donc pour nous un �tre tr�s-myst�rieux et quelque peu effrayant que cette antique b�guine qui �tait � moiti� statue de m�tal, qui ne parlait jamais, qui vous regardait quelquefois d'un air �tonn� et qui ne savait m�me pas le nom d'une seule d'entre nous. On la saluait en tremblant, elle faisait une courte inclination de la t�te et passait comme un spectre. Nous pr�tendions qu'elle �tait morte depuis deux cents ans et qu'elle trottait toujours dans les clo�tres par habitude.

Madame Marie-Xavier �tait la plus belle personne du couvent, grande, bien faite, d'une figure r�guli�re et d�licate; elle �tait toujours p�le comme sa guimpe, triste comme un tombeau. Elle se disait fort malade et aspirait � la mort avec impatience. C'est la seule religieuse que j'aie vue au d�sespoir d'avoir prononc� des vœux. Elle ne s'en cachait gu�re et passait sa vie dans les soupirs et les larmes. Ces vœux �ternels, que la loi civile ne ratifiait pas, elle n'osait pourtant aspirer � les rompre. Elle avait jur� sur le saint-sacrement; elle n'�tait pas assez philosophe pour se d�dire, pas assez pieuse pour se r�signer aj. C'�tait une �me d�faillante, tourment�e, mis�rable, plus passionn�e que tendre, car elle ne s'�panchait que dans des acc�s de col�re, et {CL 142} comme exasp�r�e par l'ennui. On faisait beaucoup de commentaires l�-dessus. Les unes pensaient qu'elle avait pris le voile par d�sespoir d'amour et qu'elle aimait encore; les autres, qu'elle ha�ssait et qu'elle vivait de rage et de ressentiment; d'autres enfin l'accusaient d'avoir un caract�re amer et insociable et de ne pouvoir subir l'autorit� des doyennes.

Quoique tout cela f�t aussi bien cach� que possible, il nous �tait facile de voir qu'elle vivait � part, que les autres nonnes la bl�maient, et qu'elle passait sa vie � bouder ou � �tre boud�e. Elle communiait cependant comme les autres, et elle a pass�, je crois, une dizaine d'ann�es sous le voile. Mais j'ai su que peu de temps apr�s ma sortie du couvent elle avait rompu ses vœux et qu'elle �tait partie, sans qu'on s�t ce qui s'�tait pass� {Lub 918} dans le sein ak de la communaut�. Quelle a �t� la fin du douloureux roman de sa vie? A-t-elle retrouv� libre et repentant al l'objet de sa passion? Avait-elle ou n'avait-elle point une passion? Est-elle rentr�e dans le monde? A-t-elle surmont� les scrupules et les remords de la d�votion qui l'avait retenue si longtemps captive, en d�pit de son manque de vocation? Est-elle rentr�e dans un autre couvent pour y finir ses jours dans le deuil et la p�nitence? Aucune de nous, je crois, ne l'a jamais su. Ou bien on me l'a dit et je l'ai oubli�. Est-elle morte � la suite de cette longue maladie de l'�me qui la d�vorait? Nos religieuses donnaient am pour pr�texte l'arr�t des m�decins, qui l'avaient condamn�e � mourir an ou � changer de climat et de r�gime. Mais il �tait facile de voir � leur sourire un peu amer que tout cela ne s'�tait point pass� sans luttes et sans bl�me.

Une autre novice, qui �tait fort belle aussi et que j'ai vue entrer postulante sous le nom de miss Croft, a fait, depuis mon d�part, comme madame Maria Xavieria; elle a quitt� le couvent et renonc� � sa vocation avant d'avoir pris le voile noir.

{CL 143} Miss Hurst, novice � qui j'ai vu prendre ce voile de deuil �ternel et qui l'a fait tr�s-d�lib�r�ment et sans repentir, �tait la ni�ce de madame Monique. Elle �tait ma ma�tresse d'anglais. Tous les jours ao je passais une heure dans sa cellule. Elle d�montrait avec clart� et patience. Je l'aimais beaucoup, elle �tait parfaite pour moi, m�me quand j'�tais diable. Elle s'est nomm�e en religion Maria Vinifred. Je n'ai jamais lu Shakespeare ap ou Byron dans le texte sans penser � elle et sans la remercier dans mon cœur.

Il y avait, quand j'entrai au couvent, deux autres novices qui touchaient � la fin de leur noviciat et qui prirent le voile avant miss Hurst et miss Fairbairns. J'ai oubli� leurs noms de famille, je ne me rappelle que leurs noms de religion: Mary-Agn�s et la sœur Anne-Joseph. aq Toutes deux petites et menues, elles avaient l'air de deux enfants. Marie-Agn�s surtout �tait un petit �tre fort singulier. Ses go�ts et ses habitudes �taient en parfaite harmonie avec l'exigu�t� mignarde de sa personne. Elle aimait les petits livres, les petites fleurs, les petits oiseaux, les petites filles, les petites chaises; tous les objets de son choix et � son {Lub 919} usage �taient mignons et proprets comme elle. Elle portait dans son genre de pr�dilection une certaine gr�ce enfantine et plus de po�sie que de manie.

L'autre petite nonne, moins petite pourtant et moins intelligente aussi, �tait la plus douce et la plus affectueuse cr�ature du monde. Celle-l� n'avait pas une parcelle de la morgue anglaise et de la m�fiance catholique. Elle ne nous rencontrait jamais sans nous embrasser, en nous adressant, d'un ton � la fois larmoyant et enjou�, les �pith�tes les plus tendres.

Les enfants sont port�s � abuser de l'expansion qu'on a avec eux ar, aussi les pensionnaires avaient-elles peu de respect pour cette bonne petite nonne. Les Anglaises surtout regardaient comme un travers le laisser-aller affectueux {CL 144} de ses mani�res. Il n'y a pas � dire, au couvent comme ailleurs, j'ai toujours trouv� cette race hautaine et guind�e � la surface. Le caract�re des Anglaises est plus bouillant que le n�tre. Leurs instincts ont plus d'animalit� dans tous les genres. Elles sont moins ma�tresses que nous de leurs sentiments et de leurs passions. Mais elles sont plus ma�tresses de leurs mouvements, et d�s l'enfance il semble qu'elles s'�tudient � les cacher et � se composer une habitude de maintien impassible. On dirait qu'elles viennent au monde dans la toile goudronn�e dont on faisait ces fameux collets mont�s devenus synonymes d'orgueil et de pruderie.

{Presse 2/4/1855 1} Pour en revenir � la sœur Anne-Joseph, je l'aimais comme elle �tait, et quand elle venait � moi les bras ouverts et l'œil humide (elle avait toujours l'air d'un enfant qui vient d'�tre grond� et qui demande protection ou consolation au premier venu), je ne songeais point � �piloguer sur la banalit� de ses caresses; je les lui rendais avec la sinc�rit� d'une sympathie toute d'instinct; car, d'affection raisonn�e, il n'y avait pas moyen d'y songer avec elle. Elle ne savait pas dire deux mots de suite, parce qu'elle ne pouvait pas assembler deux id�es. Était-ce b�tise, timidit�, l�g�ret� d'esprit? Je croirais plut�t que c'�tait maladresse intellectuelle, gaucherie du cerveau si l'on peut parler ainsi! Elle jasait sans rien dire, mais c'est qu'elle e�t voulu beaucoup dire et qu'elle ne le pouvait pas, m�me dans sa propre langue. Il n'y avait pas absence, mais confusion d'id�es. Pr�occup�e de ce � quoi elle voulait penser, elle disait des mots pour {Lub 920} d'autres mots qu'elle croyait dire, ou elle laissait sa phrase au beau milieu, et il fallait deviner le reste tandis qu'elle en commen�ait une autre. Elle agissait comme elle parlait. Elle faisait cent choses � la fois et n'en faisait bien aucune; son d�vouement, sa douceur, son besoin d'aimer et de caresser semblaient la rendre tout � fait propre aux fonctions d'infirmi�re dont {CL 145} on l'avait rev�tue. Malheureusement, comme elle embrouillait sa main droite avec sa main gauche, elle embrouillait malades, rem�des et maladies; elle vous faisait avaler votre lavement, elle mettait la potion dans la seringue. Et puis elle courait pour chercher quelque drogue � la pharmacie, et croyant monter l'escalier, elle le descendait, et r�ciproquement. Elle passait sa vie � se perdre et � se retrouver, on la rencontrait toujours affair�e, toute dolente pour un bobo survenu � une de ses dearest sisters* ou � un de ses dearest children**. Bonne comme un ange, b�te comme une oie, disait-on. Et les autres religieuses la grondaient beaucoup, ou la raillaient un peu vivement pour ses �tourderies. Elle se plaignait d'avoir des rats dans sa cellule. On lui r�pondait que s'il y en avait, ils �taient sortis de sa cervelle. D�sesp�r�e quand elle avait fait une sottise, elle pleurait, perdait la t�te et devenait incapable de la retrouver.

* Tr�s ch�res sœurs.

** Tr�s chers enfants. as

Quel nom donner � ces organisations affectueuses, inoffensives, pleines de bon vouloir, mais par le fait inhabiles et impuissantes? Il y en a beaucoup de ces natures-l�, qui ne savent et ne peuvent rien faire, et qui, livr�es � elles-m�mes, ne trouveraient pas dans la soci�t� une fonction applicable � leur individualit�. On les appelle brutalement idiotes et imb�ciles. Moi, j'aimerais mieux ce pr�jug� de certains peuples qui r�putent sacr�es les personnes ainsi faites. Dieu agit at en elles myst�rieusement, mais il faut au respecter Dieu dans l'�tre qu'il semble vouloir �craser de trop de pens�es, ou embarrasser en lui av �tant le fil conducteur du labyrinthe intellectuel.

N'aurons-nous pas un jour une soci�t� assez riche et assez chr�tienne pour qu'on ne dise plus aux inhabiles: {CL 146} « Tant pis pour toi, deviens ce que tu pourras! » {Lub 921} L'humanit� ne comprendra-t-elle jamais que ceux qui ne sont capables que d'aimer, sont bons � quelque chose, et que l'amour d'une b�te est encore un tr�sor?

Pauvre petite sœur Anne-Joseph, tu fis bien de te tourner vers Dieu, qui seul ne rebute pas les �lans d'un cœur simple, et, quant � moi, je le remercie de ce qu'il m'a fait aimer en toi cette sainte simplicit� qui ne pouvait rien donner que de la tendresse et du d�vouement. Faites les difficiles, vous autres qui en avez trop rencontr� dans ce monde!

J'ai gard� pour la derni�re celle des nonnes que j'ai le plus aim�e. C'�tait, � coup s�r, la perle du couvent. Madame Mary-Alicia Spiring �tait la meilleure, la plus intelligente et la plus aimable des cent et quelques femmes, tant vieilles que jeunes, qui habitaient, soit pour un temps, soit pour toujours, le couvent des Anglaises. Elle n'avait pas trente ans lorsque je la connus. Elle �tait encore tr�s-belle, bien qu'elle e�t trop de nez et trop peu de bouche. Mais ses grands yeux bleus bord�s de cils noirs �taient les plus beaux, les plus francs, les plus doux yeux que j'aie vus de ma vie. Toute son �me g�n�reuse, maternelle et sinc�re, toute son existence d�vou�e, chaste et digne, �taient dans ces yeux-l�. On e�t pu les appeler, en style catholique, des miroirs de puret�. J'ai eu longtemps l'habitude, et je ne l'ai pas tout � fait perdue, de penser � ces yeux-l� quand je me sentais, la nuit, oppress�e par ces visions effrayantes qui vous poursuivent encore apr�s le r�veil. aw Je m'imaginais rencontrer le regard de madame Alicia, et ce pur rayon mettait les fant�mes en fuite.

Il y avait dans cette personne charmante quelque chose d'id�al; je n'exag�re pas, et quiconque l'a vue un instant � la grille du parloir, quiconque l'a connue quelques jours au couvent, a ressenti pour elle une de ces subites sympathies {CL 147} m�l�es d'un profond respect, qu'inspirent les �mes d'�lite. La religion avait pu la rendre humble, mais la nature l'avait faite modeste. Elle �tait n�e avec le don de toutes les vertus, de tous les charmes, de toutes les puissances que l'id�e chr�tienne bien comprise par une noble intelligence ne pouvait que d�velopper et conserver. On sentait qu'il n'y avait point de combat en elle et qu'elle vivait dans le beau et dans le bon comme dans son �l�ment n�cessaire. Tout {Lub 922} �tait en harmonie chez elle. Sa taille �tait magnifique et pleine de gr�ces sous le sac et la guimpe. Ses mains effil�es et rondelettes �taient charmantes, malgr� une ankylose des petits doigts qui ne se voyait pas habituellement. Sa voix �tait agr�able, sa prononciation d'une distinction exquise dans les deux langues, qu'elle parlait �galement bien. N�e en France d'une m�re fran�aise, �lev�e en France, elle �tait plus fran�aise qu'anglaise, et le m�lange de ce qu'il y a de meilleur dans ces deux races en faisait un �tre parfait. Elle avait la dignit� britannique sans en avoir la roideur, l'aust�rit� religieuse sans la duret�. Elle grondait parfois, mais en peu de mots, et c'�taient des mots si justes, un bl�me si bien motiv�, des reproches si directs, si nets, et pourtant accompagn�s d'un espoir si encourageant, qu'on se sentait courb�e, r�duite, convaincue, devant elle, sans �tre ni bless�e ax, ni humili�e, ni d�pit�e. On l'estimait d'autant plus qu'elle avait �t� plus sinc�re, on l'aimait d'autant plus qu'on se sentait moins digne de l'amiti� qu'elle vous conservait, mais on gardait l'espoir de la m�riter, et on y arrivait certainement, tant cette affection �tait d�sirable et salutaire.

Plusieurs religieuses avaient une fille, ou plusieurs filles parmi les pensionnaires; c'est-�-dire que sur la recommandation des parents, ou sur la demande d'un enfant et avec la permission de la sup�rieure, il y avait une sorte d'adoption maternelle sp�ciale. Cette maternit� consistait en {CL 148} petits soins particuliers, en r�primandes ay tendres ou s�v�res � l'occasion. La fille avait la permission d'entrer dans la cellule de sa m�re, de lui demander conseil ou protection, d'aller quelquefois prendre le th� avec elle dans l'ouvroir des religieuses, de lui offrir un petit ouvrage � sa f�te, enfin de l'aimer et de le lui dire. Tout le monde voulait �tre la fille de Poulette ou de la m�re Alippe. Madame Marie-Xavier avait des filles. On d�sirait vivement �tre celle de madame Alicia, mais elle �tait avare de cette faveur. Secr�taire de la communaut�, charg�e de tout le travail de bureau de la sup�rieure, elle avait peu de loisir et beaucoup de fatigue. Elle avait eu une fille bien-aim�e, Louise de Courteilles (qui a �t� depuis madame d'Aure). Cette Louise �tait sortie du couvent, et personne n'osait esp�rer de la remplacer.

{Lub 923} Cette ambition me vint comme aux gens na�fs qui ne doutent de rien. On se prenait de passion filiale autour de moi pour madame Alicia, mais on n'osait pas le lui dire. J'allai le lui dire tout net et sans m'embarrasser l'esprit du sermon qui m'attendait. « Vous? me dit-elle, vous, le plus grand diable du couvent? Mais vous voulez donc me faire faire p�nitence? Que vous ai-je donc fait pour que vous m'imposiez le gouvernement d'une aussi mauvaise t�te que la v�tre? Vous voulez me remplacer, vous, enfant terrible, ma bonne Louise, ma douce et sage enfant? Je crois que vous �tes folle ou que vous m'en voulez. — Bah, lui r�pondis-je sans me d�concerter, essayez toujours. Qui sait? Je me corrigerai peut-�tre, je deviendrai peut-�tre charmante pour vous faire plaisir! — À la bonne heure, dit-elle; si c'est dans l'espoir de vous amender que je vous entreprends, je m'y r�signerai peut-�tre; mais vous me fournissez l� un rude moyen de faire mon salut, et j'en aurais pr�f�r� un autre. — Un ange comme Louise de Courteilles ne compte pas pour votre salut, repris-je. Vous {CL 149} n'avez eu aucun m�rite avec elle; vous en auriez beaucoup avec moi. — Mais si, apr�s m'�tre donn� beaucoup de peine, je ne r�ussis pas � vous rendre sage et pieuse? Pouvez-vous me promettre de m'aider, au moins? — Pas trop, r�pondis-je. Je ne sais pas encore ce que je suis et ce que je peux �tre. az Je sens que je vous aime beaucoup, et je me figure que, de quelque fa�on que je tourne, vous serez forc�e de m'aimer aussi. — Je vois que vous ne manquez pas d'amour-propre. — Oh! Vous verrez ba que ce n'est pas cela: mais j'ai besoin d'une m�re. J'en ai deux en r�alit� qui m'aiment trop, que j'aime trop, et nous ne nous faisons que du mal les unes aux autres. Je ne peux gu�re vous expliquer cela, et pourtant, vous le comprendriez, vous qui avez votre m�re dans le couvent bb; mais soyez pour moi une m�re � votre mani�re. Je crois que je m'en trouverai bien. C'est dans mon int�r�t que je vous le demande, et je ne m'en fais point accroire. Allons, ch�re m�re, dites oui, car je vous avertis que j'en ai d�j� parl� � ma bonne maman et � madame la sup�rieure, et qu'elles vont vous le demander aussi. »

Madame Alicia se r�signa, et mes compagnes, tout �tonn�es de cette adoption, me disaient: « Tu n'es pas malheureuse, toi! Tu es un diable incarn�, tu ne fais {Lub 924} que des sottises et des malices. Pourtant voil� madame Eug�nie qui te prot�ge et madame Alicia qui t'aime, tu es n�e coiff�e. — Peut-�tre! » disais-je avec la fatuit� d'un mauvais sujet.

Mon affection pour cette admirable personne �tait pourtant plus s�rieuse qu'on ne pensait et qu'elle ne le croyait certainement elle-m�me. Je n'avais jamais senti qu'une passion dans mon petit �tre, l'amour filial; cette passion se continuait en moi; ma v�ritable m�re y r�pondait tant�t trop, tant�t pas assez, et depuis que j'�tais au couvent elle semblait avoir fait bc vœu de repousser mes �lans et de me {CL 150} restituer � moi-m�me pour ainsi dire. Ma grand'm�re me boudait parce que j'avais accept� l'�preuve qu'elle m'avait impos�e. Ni l'une ni l'autre n'avait plus de raison que moi. J'avais besoin d'une m�re sage, et je commen�ais � comprendre que l'amour maternel, pour �tre un refuge, ne doit pas �tre une passion jalouse. {Presse 3/4/1855 1} Malgr� bd la dissipation o� mon �tre moral semblait s'�tre absorb� et comme �vapor�, j'avais toujours mes heures de r�verie douloureuse et de sombres r�flexions dont je ne faisais part � personne. J'�tais parfois si triste en faisant mes folies, que j'�tais forc�e de m'avouer malade pour ne pas m'�pancher. Mes compagnes anglaises se moquaient de moi et me disaient: You are low-spirited to-day? — What is the matter with you?* Isabelle avait coutume de r�p�ter quand j'�tais jaune et abattue: She is in her low-spirits, in her spiritual absences. Elle faisait ma charge, je riais et je gardais mon secret.

* Cette be phrase et la suivante ne sont pas litt�ralement traduisibles: Vos esprits sont bas (abattus) aujourd'hui. Qu'est-ce que vous avez? — Elle est bas esprit�e, elle est dans ses absences spirituelles.

J'�tais diable moins par go�t que par laisser-aller. J'aurais tourn� � la sagesse si mes diables l'eussent voulu. Je les aimais, ils me faisaient rire, ils m'arrachaient � moi-m�me; mais cinq minutes de s�v�rit� de madame Alicia me faisaient plus de bien, parce que, dans cette s�v�rit�, soit amiti� particuli�re, soit charit� chr�tienne, je sentais un int�r�t plus s�rieux et plus durable qu'il n'y en avait dans cet �change de gaiet� entre mes compagnes t moi. Si j'avais pu vivre � l'ouvroir ou dans la cellule de ma ch�re m�re, au bout de trois jours je {Lub 925} n'aurais plus compris qu'on s'amus�t sur les toits ou dans les caves.

J'avais besoin de ch�rir quelqu'un et de le placer dans ma pens�e habituelle au-dessus de tous les autres �tres, {CL 151} de r�ver en lui la perfection, le calme, la force, la justice; de v�n�rer enfin un objet sup�rieur � moi et de rendre dans mon cœur un culte assidu � quelque chose comme Dieu ou comme Coramb�. Ce quelque chose prenait les traits graves et sereins de Marie-Alicia. C'�tait mon id�al, mon saint amour, c'�tait la m�re de mon choix.

Quand j'avais fait le diable tout le jour, je me glissais le soir dans sa cellule apr�s la pri�re. C'�tait une des pr�rogatives de mon adoption. La pri�re finissait � huit heures et demie. Nous montions l'escalier de notre dortoir et nous trouvions dans les longs corridors (qu'on appelait dortoirs aussi, parce que toutes les portes des cellules y donnaient) les nonnes align�es sur deux rangs, et rentrant chez elles en psalmodiant � haute voix des pri�res en latin. Elles s'arr�taient devant une madone qui �tait sur le dernier palier, et l� elles se s�paraient apr�s plusieurs versets et r�pons. Chacune entrait dans sa cellule sans rien dire, car, entre la pri�re et le sommeil, le silence leur �tait impos�.

Mais celles qui avaient une fonction � remplir aupr�s des malades ou aupr�s de leurs filles �taient dispens�es de s'astreindre � ce r�glement. J'avais donc le droit d'entrer chez ma m�re entre neuf heures moins un quart et neuf heures. Lorsque neuf heures sonnaient � la grande horloge, il fallait que sa lumi�re f�t �teinte et que je fusse rentr�e au dortoir. C'�tait donc quelquefois cinq ou six minutes seulement qu'elle pouvait m'accorder, encore avec pr�occupation et l'oreille attentive aux quarts, demi-quarts et avant-quarts que sonnait la vieille horloge, car madame Alicia �tait scrupuleusement fid�le � l'observance des moindres r�gles et elle n'y e�t pas voulu manquer d'une seconde.

« Allons, me disait-elle en m'ouvrant sa porte, que je grattais d'une certaine fa�on pour me faire admettre, voil� {CL 152} encore mon tourment! » C'�tait sa formule habituelle, et le ton dont elle la disait �tait si bon, si accueillant, son sourire �tait si tendre et son regard si doux, que je me trouvais parfaitement encourag�e � entrer. « Voyons, disait-elle, que venez-vous me dire de nouveau? Auriez-vous {Lub 926} �t� sage, par hasard, aujourd'hui? — Non. — Mais vous n'�tes pas en bonnet de nuit cependant? (On sait que c'�tait la marque de p�nitence qui �tait devenue � peu pr�s adh�rente � mon chef.) — Je ne l'ai eu que deux heures, ce soir, disais-je. — Ah! Fort bien! Et ce matin? — Ce matin, je l'avais � l'�glise. Je me suis gliss�e derri�re les autres pour que vous ne le vissiez point. — Ah! Ne craignez rien! Je vous regarde le moins possible, pour ne pas voir ce vilain bonnet. Eh bien, vous l'aurez donc encore demain? — Oh! Probablement! — Vous ne voulez donc pas changer? — Je ne peux pas encore. — Alors qu'est-ce que vous venez faire chez moi? — Vous voir et me faire gronder. — Ah! Cela vous amuse? — Cela me fait du bien. — Je ne m'en aper�ois pas du tout, et cela me fait mal, � moi, m�chante enfant! — Ah! Tant mieux! lui disais-je, cela prouve que vous m'aimez. — Et que vous ne m'aimez pas! » reprenait-elle.

Alors elle me grondait, et j'avais un grand plaisir � �tre grond�e par elle. « Au moins, me disais-je, voil� une m�re qui m'aime pour moi et qui a raison avec moi. » Je l'�coutais avec le recueillement d'une personne bien d�cid�e � se convertir, et pourtant je n'y songeais nullement. « Allons, me disait-elle, vous changerez, je l'esp�re; vos sottises vous ennuieront, et Dieu parlera � votre �me. — Le priez-vous beaucoup pour moi? — Oui, beaucoup. — Tous les jours? — Tous les jours. — Vous voyez bien que si j'�tais sage vous m'aimeriez moins et ne penseriez pas si souvent � moi. »

Elle ne pouvait s'emp�cher de rire, car elle avait ce {CL 153} fonds de gaiet� qui est le cachet des bons esprits et des bonnes consciences. Elle me prenait par les �paules et me secouait comme pour faire sortir le diable dont j'�tais poss�d�e. Puis l'heure sonnait, et elle me jetait � la porte en riant. Et je remontais au dortoir, emportant, comme par influence magn�tique, quelque chose de la s�r�nit� et de la candeur de cette belle �me.

Je n'ai dit ces d�tails bf que pour compl�ter le portrait de ma ch�re Marie Alicia, car j'aurai beaucoup � revenir sur mes relations avec elle. J'ach�ve maintenant ma nomenclature en disant que nous avions quatre sœurs converses, dont je ne me rappelle bien que deux, la sœur Th�r�se et la sœur H�l�ne.

{Lub 927} Sister Teresa �tait une grande vieille d'un beau type. Elle �tait gaie, brusque, moqueuse, adorablement bonne. C'est encore un de mes chers souvenirs. C'est elle qui m'avait baptis�e Madcap. Elle ne savait pas un mot de fran�ais et ne pouvait, dans bg aucune langue, dire correctement trois paroles. C'�tait une Écossaise, maigre, forte, tr�s-active, vous repoussant toujours de mani�re � vous attirer, se plaisant aux niches qu'on lui faisait, et capable de vous ch�tier � coups de balai, tout en riant plus haut que vous. Elle aussi aimait les diables et ne les craignait point.

Elle avait l'emploi de distiller l'eau de menthe, ce qui �tait une industrie tr�s-perfectionn�e dans notre couvent. On cultivait la plante dans de grands carr�s r�serv�s, au jardin des religieuses. Trois ou quatre fois par an on la fauchait comme une luzerne, et on l'apportait dans une vaste cave qui servait de laboratoire � la sœur Th�r�se. Cette cave �tait situ�e juste au-dessous de la grande classe, et on y descendait par un large escalier. C'�tait donc naturellement une de nos premi�res �tapes quand nous partions pour nos escapades. Mais quand la distilleuse �tait {CL 154} absente, tout �tait ferm� avec le plus grand soin, et quand elle �tait pr�sente, il ne fallait pas songer � fol�trer au milieu de ses alambics et de ses cornues. On s'arr�tait devant la porte ouverte et on la taquinait en paroles, ce qu'elle acceptait fort bien. Cependant, moi qui savais faire tranquillement mes impertinences, j'arrivai bh bient�t � p�n�trer dans le sanctuaire. Je me tins d'abord pendant quelque temps en observation; j'aimais � la regarder. Seule dans cette grande cave �clair�e par un jour blanc qui du soupirail tombait sur sa robe violette, sur son voile d'un noir gris�tre et sur sa figure accentu�e de lignes, terne de couleur comme une terre cuite, elle avait l'air d'une sorci�re de Macbeth faisant ses �vocations autour des fourneaux. Parfois elle �tait immobile comme une statue, assise aupr�s de l'alambic o� le pr�cieux breuvage coulait goutte � goutte; elle lisait la bible en silence, ou murmurait ses offices d'une voix rauque et monotone. Elle �tait belle dans sa rude vieillesse comme un portrait de Rembrandt.

Un jour qu'elle �tait absorb�e ou assoupie, j'arrivai jusqu'� elle sur la pointe des pieds, et quand elle me vit {Lub 928} au milieu de ses flacons et de tout l'attirail fragile qu'un combat fol�tre e�t compromis, force lui fut de capituler et de souffrir ma curiosit�. Elle �tait si bonne qu'elle me prit en affection, Dieu sait pourquoi, et que je pus d�s lors me glisser souvent � ses c�t�s. Quand elle vit que je n'�tais pas maladroite et que je ne brisais rien, elle se laissa distraire et d�sennuyer par mes fl�neries, et tout en me reprochant de n'�tre pas � la classe, elle ne me poussa jamais dehors, comme elle faisait des autres. L'odeur de la menthe lui causait des maux d'yeux et des migraines. Je l'aidais � �taler et � remuer son fourrage embaum�, et dans les jours d'�t�, quand on �touffait dans la classe, je trouvais un bien-�tre extr�me � me r�fugier dans cette cave dont le parfum me charmait.

{CL 155} L'autre sœur converse, sœur H�l�ne, �tait la ma�tresse servante du couvent. Elle faisait les lits au dortoir, balayait l'�glise, etc. Comme, apr�s madame Alicia, c'est la religieuse qui m'a �t� la plus ch�re, je parlerai beaucoup d'elle en temps et lieu; mais, � la phase de mon r�cit o� je me trouve, je n'ai rien � en dire. Je fus longtemps sans faire la moindre attention � elle.

Les deux autres converses faisaient la cuisine. Ainsi, au couvent comme ailleurs, il y avait une aristocratie et une d�mocratie. Les dames de chœur vivaient en patriciennes. Elles avaient des robes blanches et du linge fin. Les converses travaillaient comme des prol�taires, et leur v�tement sombre �tait plus grossier. C'�tait de vraies femmes du peuple, sans aucune �ducation, et beaucoup moins absorb�es par l'�glise et les offices que par les travaux de ce grand m�nage. Elles n'�taient pas en nombre pour y suffire, et il y avait en outre deux servantes s�culi�res, Marie-Anne et Marie-Jos�phe, sa ni�ce, deux cr�atures excellentes qui me d�dommageaient bien de Rose et de Julie.

En g�n�ral, on �tait bon comme Dieu dans cette grande famille f�minine. Je n'y ai pas rencontr� une seule m�chante compagne, et parmi les religieuses et les ma�tresses, sauf mademoiselle D***, je n'ai trouv� que tendresse ou tol�rance. Comment ne ch�rirais-je pas le souvenir de ces ann�es les plus tranquilles, les plus heureuses de ma vie? J'y ai souffert de moi-m�me au physique et au moral, mais, en aucun temps et en aucun lieu, je n'ai moins souffert de la part des autres.


Variantes

  1. Ce titre figure � partir de l'�dition {CL}
  2. Chapitre 2 {Ms}Chapitre douzi�me {Presse}, {Lecou} ♦ XII {CL}
  3. H�l�na [Le Bel ray�] {Ms}
  4. esprit de couvent {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ esprit du couvent {LP}, {CL} ♦ esprit de couvent {Lub} (r�tablissant la 1�re le�on; nous le suivons)
  5. personnage politique (1848) {Presse} ♦ personnage politique* {Lecou} et sq.
  6. Ce roman racont� par elle offre des narrations [superbes ray�] tr�s dramatiques {Ms}Ce roman vrai, racont� par elle, offre des narrations tr�s dramatiques {Presse} et sq.
  7. Cette note ne figure pas dans {Presse}. Voir la variante de l'appell de note
  8. le courage [de son p�re aussi ray�] et un peu {Ms}
  9. j'ai �t� chez elle. Elle m'avait invit�e � lui faire visite et je m'attendais � une causerie en petit comit�. Au lieu de cela, je la trouvai dans un grand salon plein de monde. Je n'�tais pas habill�e, mais je n'en fus point troubl�e, je n'y pensai m�me plus au bout d'un instant, car sa m�re �tait l�, et je prenais grand int�r�t � la voir et � l'entendre. Comme cet int�rieur {Ms}j'ai �t� une fois chez elle, et j'ai vu sa m�re. Comme cet int�rieur {Presse} et sq.
  10. la porte qui �tait ouverte pour faire entrer de plus nobles �quipages {Ms}la porte, qui ne s'ouvrait pas pour de si minces �quipages {Presse} et sq.
  11. me voulait fermer la porte au nez {Ms}voulut m'arr�ter au passage {Presse} et sq.
  12. en avant, et je dois l'avouer, un peu pos� pour les regards {Ms}en avant {Presse} et sq.
  13. apparence plus que vulgaire {Ms}apparence assez vulgaire {Presse} et sq.
  14. vend�en posait aussi {Ms}vend�en se tenait debout {Presse} et sq.
  15. demi [rustiques ray�] pasteurs, demi-brigands [de th��tre ray�] que j'avais r�v�s {Ms}
  16. me plut par un grand air {Ms}me plut par son grand air {Presse} et sq.
  17. en lisant ces M�moires {Ms}ses M�moires {Presse} ♦ ces M�moires {Lecou} ♦ ses Memoires {LP}, {CL} ♦ en lisant ces M�moires {Lub} (r�tablissant la 1re le�on; nous ne le suivons pas)
  18. un vieux homme {Ms}un vieil homme {Presse} ♦ un vieux homme {Lecou} et sq.
  19. se s�paraient de Pierre {Ms}se s�par�rent de Pierre {Presse} et sq.
  20. croyance. [Mon monde, le monde que je me suis fait dans ma pens�e, n'a pas de pr�jug�s contre les h�r�tiques � son <mot illisible> ray�] {Ms}
  21. effusion que [si je venais de franchir la porte du clo�tre ray�] de celles {Ms}
  22. se rencontraient [les �mes des justes ray�] des �mes {Ms}
  23. En note, dans {Ms}: [Quelques-unes m'ont gard� pourtant un souvenir inalt�rable: Maria Gordon, aujourd'hui Mme Burgalat. J'en parlerai en tems et lieu ray�]
  24. Maria Gordon {Ms}, {Presse} ♦ Maria Gardon {Lecou}, {LP} ♦ Maria Gordon {CL}
  25. enfin H�l�na de Narbonne, {Ms}enfin, H�l�na, {Presse} ♦ enfin H�l�na de ***, {Lecou}, {CL} ♦ enfin H�l�na de Narbonne, {Lub} d�veloppant le nom; nous le suivons; nous marquerons d�sormais cette variante par le signe � la suite du nom)
  26. Sainte-Lucie. [Je ne rapporterai pas les sobriquets plus ou moins agr�ables de mes autres compagnes. C'est assez faire les honneurs de soi-m�me. Mais pour donner une id�e de nos facult�s je dirai en anglais une formule qui �tait fort employ�e � la petite classe. Il y a une vieille gravure anglaise tr�s connue intitul�e Girl and pigs et repr�sentant une jeune enfant au milieu du susdit troupeau. Chaque fois qu'on s'adressait � la classe pour une motion quelconque en l'absence des surveillantes, on invoquait le silence en criant Girls and pigs! C'�tait tr�s shakespearien, mais peu traduisible. Ce qu'il y avait de merveilleux, c'est qu'� cet appel tout le monde levait la t�te et pr�tait attention ray�] {Ms}
  27. un [descampativo ray�] sauve-qui-peut {Ms}
  28. et braillait au soleil {Ms}et piaillait au soleil {Presse} et sq.
  29. mal m�me � une mouche {Ms}mal � personne {Presse} et sq.
  30. avoir [fait gr�ce raye) pardonn� {Ms}
  31. confirmer dans quelques jours {Ms}confirmer quelques jours apr�s {Presse} et sq.
  32. pas perdre [un ray�] beaucoup de mots {Ms}
  33. classe. M�me avant d'�tre devenue d�vote, j'�tais si peu rancuni�re que je ne pensai bient�t plus � elle m�me en la voyant les jours. Je ne me souviens m�me pas si elle �tait encore au couvent quand je le quittai. Je lui ai {Ms}classe. Je lui ai {Presse} et sq.
  34. jamais pu apprendre {Ms}jamais pu dire {Presse} et sq.
  35. pour y croire. On s'imaginait {Presse} ♦ pour y croire. / {CL}
  36. pour s'en d�dire, pas assez pieuse pour s'y r�signer {Ms}pour se d�dire, pas assez pieuse pour se r�signer {Presse} et sq.
  37. pass� d'orageux ou de conciliant dans le sein {Ms}pass� dans le sein {Presse} et sq.
  38. libre ou repentant {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ libre et repentant {CL}
  39. Nos religieuses ne s'expliquaient pas, elles donnaient {Ms}Nos religieuses donnaient {Presse} et sq.
  40. qui avaient d�cid� qu'il lui fallait mourir {Ms}qui l'avaient condamn�e � mourir {Presse} et sq.
  41. Tous les deux jours {Ms}Tous les jours {Presse} et sq.
  42. Shakspeare {Presse}, {CL} ♦ Shakespeare {Lub} (nous le suivons)
  43. et la sœur [Mary ray�] Anna-Joseph. {Ms}, {Presse} ♦ et la sœur Anne-Joseph. {Lecou} et sq.
  44. qu'on a pour eux {Ms}qu'on a avec eux {Presse} et sq.
  45. enfans {Presse} ♦ enfants {CL}
  46. ainsi faites [et encore plus sacr�s les v�ritables fous, les cr�tins complets ray�]. Dieu agit {Ms}ainsi faites. Dieu agit {Presse} et sq.
  47. et il faut {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ mais il faut {CL} ♦ et il faut {Lub} (r�tablissant la 1�re le�on; nous ne le suivons pas)
  48. semble �craser de trop de pens�es, ou abandonner en lui {Ms}semble vouloir [...] en lui {Presse} et sq.
  49. encore et vous tiennent dans une angoisse p�nible, m�me quand le r�ve est interrompu {Ms}encore apr�s le r�veil {Presse} et sq.
  50. devant elle, et pourtant on n'�tait ni bless�e {Ms}devant elle sans �tre ni bless�e {Presse} et sq.
  51. en courtes r�primandes {Ms}en r�primandes {Presse} et sq.
  52. ce que je puis �tre. {Ms}ce que je veux �tre. {Presse} ♦ ce que je peux �tre. {Lecou} et sq.
  53. Oh! pas du tout! vous verrez {Ms}Oh! vous verrez {Presse} et sq.
  54. votre m�re, Madame Spiring, dans le couvent {Ms}votre m�re dans le couvent {Presse} et sq.
  55. elle semblait avoir fait {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ elle pensait avoir fait {CL} ♦ elle semblait avoir fait {Lub} (r�tablissant la 1�re le�on, celle de {CL} �tant une erreur manifeste; nous le suivons)
  56. jalouse. / Malgr� {Presse} ♦ jalouse. Malgr� {CL}
  57. Cette note n'en pas dans {Ms}
  58. Je n'ai rapport� ces d�tails {Ms}Je n'ai dit ces d�tails {Presse} et sq.
  59. et ne savait, dans {Ms}et ne pouvait, dans {Presse} {CL} ♦ et ne pouvait dans {Lub} (par erreur)
  60. mes sottises, j'arrivai {Ms}mes impertinences, j'arrivai {Presse} et sq.

Notes

  1. Voir la note en t�te du chapitre VI. {Presse} donne bien Chapitre douzi�me et non Chapitre douzi�me (suite)