GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{LP T.? ?; CL T.2 [287]; Lub T.1 [641]} TROISIÈME PARTIE
De l'enfance � la jeunesse
1810-1819 a

{Presse 25/3/1855 1; CL T.3 [85]; Lub T.1 [870]} XI b 1

Description du couvent. — La petite classe. — Malheur et tristesse des enfants. — Mademoiselle D***, ma�tresse de classe. — Mary Eyre. — La m�re Alippe. — Les limbes. — Le signe de la croix. — Les diables, les sages et les b�tes. — Mary Gillibrand. c — Les escapades. — Isabelle Clifford. d — Ses compositions bizarres. — Sophy Cary. e — Le secret du couvent. — Recherches et exp�ditions pour la d�livrance de la victime. — Les souterrains. — L'impasse myst�rieuse. — Promenade sur les toits. — Accident burlesque. — Whisky et les sœurs converses. — Le froid. — Je passe diable. — Mes relations avec les sages et les b�tes. — Mes jours de sortie. — Grand orage contre moi. — Ma correspondance surprise. — Je passe � la grande classe.



Avant de raconter ma vie au couvent, ne dois-je pas d�crire un peu le couvent? Les lieux qu'on habite ont une si grande influence sur les pens�es, qu'il est difficile d'en s�parer les r�miniscences.

C'�tait un assemblage de constructions, de cours et de jardins qui en faisait une sorte de village, plut�t qu'une maison particuli�re. Il n'y avait rien de monumental, rien d'int�ressant pour l'antiquaire. Depuis sa construction, qui ne remontait pas � plus de deux cents ans, il y avait eu tant de changements, d'ajoutances ou de distributions successives, qu'on ne retrouvait l'ancien caract�re que dans tr�s-peu de parties. Mais cet ensemble h�t�rog�ne avait son caract�re � lui, quelque chose de myst�rieux et d'embarrassant comme un labyrinthe; un certain charme de po�sie comme les recluses savent en mettre dans les choses les plus vulgaires. Je fus bien un mois avant de savoir m'y retrouver seule, et encore, apr�s mille explorations {CL 86} furtives, n'en ai-je jamais connu tous les d�tours et les recoins.

La fa�ade, situ�e en contre-bas sur la rue, n'annonce rien du tout. C'est une grande b�tisse laide et nue, avec {Lub 871} une petite porte cintr�e qui ouvre sur un escalier de pierres large, droit et roide. Au haut de dix-sept degr�s (si j'ai bonne m�moire), on se trouve dans une petite cour pav�e en dalles et entour�e de constructions basses et non perc�es. C'est, d'un c�t�, le grand mur de l'�glise, de l'autre, les b�timents du clo�tre.

Un portier qui demeure dans cette cour, et dont la loge touche la porte du clo�tre f, ouvre aux personnes du dehors un couloir par lequel on communique avec celles de l'int�rieur au moyen d'un tour o� l'on d�pose les paquets, et de quatre parloirs grill�s pour les visites. Le premier est plus sp�cialement affect� aux visites que re�oivent les religieuses; le second est destin� aux le�ons particuli�res; le troisi�me, qui est le plus grand, est celui o� les pensionnaires voient leurs parents; le quatri�me est celui o� la sup�rieure re�oit les personnes du monde, ce qui ne l'emp�che pas d'avoir un salon dans un autre corps de logis et un grand parloir grill� o� elle s'entretient avec les eccl�siastiques ou les personnes de sa famille, lorsqu'elle a � traiter d'affaires importantes ou secr�tes.

Voil� tout ce que les hommes et m�me les femmes qui n'ont pas une permission particuli�re pour entrer voient du couvent. P�n�trons dans cet int�rieur si bien gard�.

La porte de la cour est arm�e d'un guichet et s'ouvre � grand bruit sur le clo�tre sonore. Ce clo�tre est une galerie quadrangulaire, pav�e de pierres s�pulcrales avec forces t�tes de mort, ossements en croix et requiescant in pace. Les clo�tres sont vo�t�s, �clair�s par de larges fen�tres � plein cintre ouvrant sur le pr�au, qui a son puits traditionnel et son parterre de fleurs. Une des extr�mit�s du clo�tre ouvre {CL 87} sur l'�glise et sur le jardin, une autre sur le b�timent neuf, o� se trouvent au rez-de-chauss�e la grande classe, � l'entre-sol l'ouvroir des religieuses, au premier et au second les cellules, au troisi�me le dortoir des pensionnaires de la petite classe.

Le troisi�me angle du clo�tre conduit aux cuisines, aux caves, puis au b�timent de la petite classe, qui se relie � plusieurs autres tr�s-vieux qui n'existent plus g*, {Lub 872} car, de mon temps, ils mena�aient ruine. C'�tait un d�dale de couloirs obscurs, d'escaliers tortueux, de petits logements d�tach�s et reli�s les uns aux autres par des paliers in�gaux ou par des passages en planches d�jet�es. C'�tait l� probablement ce qui restait des constructions primitives, et les efforts qu'on avait faits pour rattacher ces constructions avec les nouvelles attestaient ou une grande mis�re dans les temps de r�volution, ou une grande maladresse de la part des architectes. Il y avait des galeries qui ne conduisaient � rien, des ouvertures par o� l'on avait peine � passer, comme on en voit dans ces r�ves o� l'on parcourt des �difices bizarres qui vont se renfermant sur vous h et vous �touffant dans leurs angles subitement resserr�s. Cette partie du couvent �chappe � toute description. J'en donnerai une meilleure id�e quand je raconterai quelles folles explorations nos folles imaginations de pensionnaires nous y firent entreprendre. Il me suffira, quant � pr�sent, de dire que l'usage de ces constructions �tait aussi peu en harmonie que leur assemblage. Ici, c'�tait l'appartement d'une locataire; � c�t�, celui d'une �l�ve; plus loin, une chambre o� l'on �tudiait le piano; ailleurs, une {CL 88} lingerie, et puis des appartements vacants ou passag�rement occup�s par des amies d'outre-mer; et puis de ces recoins sans nom o� les vieilles filles, et les nonnes i surtout, entassent myst�rieusement une foule d'objets fort �tonn�s de se trouver ensemble, des d�bris d'ornements d'�glise avec des oignons, des chaises bris�es avec des bouteilles vides, des cloches f�l�es avec des guenilles, etc., etc.

{[CL 87; Lub 871]} * Le j couvent tout entier a disparu dans les travaux d'�dilit� de la ville sous le dernier Empire. La rue des Foss�s-Saint-Victor, qui, {[Lub 872]} relativement au massif des jardins du couvent, �tait une sorte de pr�cipice, a �t� nivel�e. La communaut� des Anglaises s'est �tablie hors des murs de Paris. (Note de 1874.)

Le jardin �tait vaste et plant� de marronniers superbes. D'un c�t� il �tait contigu � celui du coll�ge des Écossais, dont il �tait s�par� par un mur tr�s-�lev� k; de l'autre il �tait bord� de petites maisons toutes lou�es � des dames pieuses retir�es du monde. Outre ce jardin, il y avait encore, devant le b�timent neuf, une double cour plant�e en potager et bord�e d'autres maisons �galement lou�es � de vieilles matrones ou � des pensionnaires en chambre. Cette partie du couvent se terminait par une {Lub 873} buanderie et par une porte qui donnait sur la rue des boulangers. Cette porte ne s'ouvrait l que pour les locataires, qui avaient m, de ce c�t�-l�, un parloir pour leurs visites. Apr�s le grand jardin dont j'ai parl�, il y en avait un autre encore plus grand o� nous n'entrions jamais et qui servait � la consommation du couvent. C'�tait un immense potager qui s'en allait toucher � celui des dames de la mis�ricorde, et qui �tait rempli de fleurs, de l�gumes et de fruits magnifiques. Nous apercevions � travers une vaste grille les raisins dor�s, les melons majestueux et les beaux œillets panach�s; mais la grille n �tait presque infranchissable et on risquait ses os pour l'escalader, ce qui n'emp�cha pas quelques-unes d'entre nous d'y p�n�trer par surprise deux ou trois fois.

Je n'ai pas parl� o de l'�glise et du cimeti�re, les seuls endroits vraiment remarquables p du couvent; j'en parlerai en temps et lieu; je trouve que ma description g�n�rale est d�j� beaucoup trop longue.

Pour la r�sumer, je dirai que, tant religieuses que sœurs {CL 89} converses, pensionnaires, locataires, ma�tresses s�culi�res et servantes, nous �tions environ cent vingt ou cent trente personnes, log�es de la mani�re la plus bizarre et la plus incommode, les unes trop accumul�es sur certains points, les autres trop diss�min�es sur un espace o� dix familles q eussent v�cu fort � l'aise, en cultivant m�me un peu de terre pour leur agr�ment. Tout �tait si �parpill�, qu'on perdait un quart de la journ�e � aller et venir. Je n'ai pas parl� non plus d'un vaste laboratoire o� l'on distillait de l'eau de menthe; de la chambre des clo�tres, o� l'on prenait certaines le�ons et qui avait servi de prison � ma m�re et � ma tante; de la cour aux poules qui infectait la petite classe; de l'arri�re-classe o� l'on d�jeunait; des caves et souterrains dont j'aurai beaucoup � raconter; enfin de l'avant-classe, du r�fectoire et du chapitre, car je n'aurais jamais fini de faire comprendre, par toutes ces distributions, combien peu les religieuses entendent r l'ordonnance logique et les v�ritables aises de l'habitation.

Mais, en revanche, les cellules des nonnes �taient d'une propret� charmante et remplies de tous ces brimborions qu'une d�votion mignarde d�coupe, encadre, enlumine et enrubanne patiemment. Dans tous les coins, la vigne et le jasmin cachaient la v�tust� des murailles. {Lub 874} Les coqs chantaient � minuit comme en pleine campagne, la cloche avait un joli son argentin comme une voix f�minine; dans tous les passages, une niche gracieusement d�coup�e dans la muraille s'ouvrait pour vous montrer une madone grassette et mani�r�e du dix-septi�me si�cle; dans l'ouvroir, de belles gravures anglaises vous repr�sentaient la chevaleresque figure de Charles Ier � tous les �ges de sa vie et tous les membres de la royale famille papiste. Enfin, jusqu'� la petite lampe qui tremblotait, la nuit, dans le clo�tre et aux lourdes portes qui, chaque soir, se fermaient � l'entr�e des corridors avec un bruit solennel et un grincement de {CL 90} verrous lugubre, tout avait un certain charme de po�sie mystique auquel t�t ou tard je devais �tre fort sensible.

Maintenant je raconte. Mon premier mouvement en entrant dans la petite classe fut p�nible. Nous y �tions entass�es une trentaine dans une salle sans �tendue et sans �l�vation suffisantes. Les murs rev�tus d'un vilain papier jaune d'œuf, le plafond sale et d�grad�, des bancs, des tables et des tabourets malpropres, un vilain po�le qui fumait, une odeur de poulailler m�l�e � celle du charbon, un vilain crucifix de pl�tre, un plancher tout bris�, c'�tait l� que nous devions passer les deux grands tiers de la journ�e, les trois quarts en hiver, et nous �tions en hiver pr�cis�ment.

Je ne trouve rien de plus maussade que cette coutume des maisons d'�ducation de faire de la salle des �tudes l'endroit le plus triste et le plus navrant; sous pr�texte que les enfants g�teraient les meubles et d�graderaient les ornements, on {Presse 25/3/1855 2} �te de leur vue tout ce qui serait un stimulant � la pens�e ou un charme pour l'imagination. On pr�tend que les gravures et les enjolivements, m�me les dessins d'un papier sur la muraille, leur donneraient des distractions. Pourquoi orne-t-on de tableaux et de statues les �glises et les oratoires, si ce n'est pour �lever l'�me et la ranimer dans ses langueurs par le spectacle d'objets v�n�r�s? Les enfants, dit-on, ont des habitudes de malpropret� ou de maladresse. Ils jettent l'encre partout, ils aiment � d�truire. Ces go�ts et ces habitudes ne leur viennent pourtant pas de la maison paternelle, o� on leur apprend � respecter ce qui est beau ou utile et o�, d�s qu'ils ont l'�ge de raison, ils ne pensent point {Lub 875} � commettre tous ces d�g�ts qui n'ont tant d'attraits pour eux, dans les pensions et dans les coll�ges, que parce que c'est une sorte de vengeance contre la n�gligence ou la parcimonie dont ils sont l'objet. Mieux vous les logeriez, plus ils seraient soigneux. {CL 91} Ils regarderaient � deux fois avant de salir un tapis ou de briser un cadre. Ces vilaines murailles nues o� vous les enfermez leur deviennent bient�t un objet d'horreur, et ils les renverseraient s'ils le pouvaient. Vous voulez qu'ils travaillent comme des machines, que leur esprit, d�tach� de toute pr�occupation, fonctionne � l'heure et soit inaccessible � tout ce qui fait la vie et le renouvellement de la vie intellectuelle. C'est faux et impossible. L'enfant qui �tudie a d�j� tous les besoins de l'artiste qui cr�e. Il faut qu'il respire un air pur, qu'il ait un peu les aises de son corps, qu'il soit frapp� par les images ext�rieures et qu'il renouvelle � son gr� la nature de ses pens�es par l'appr�ciation de la couleur et de la forme. La nature lui est un spectacle continuel. En l'enfermant dans une chambre nue, malsaine et triste, vous �touffez son cœur et son esprit aussi bien que son corps. Je voudrais que tout f�t riant d�s le berceau autour de l'enfant des villes. Celui des campagnes a le ciel et les arbres, les plantes et le soleil. L'autre s'�tiole trop souvent, au moral et au physique, dans la salet� chez le pauvre, dans le mauvais go�t chez le riche s, dans l'absence du go�t chez la classe moyenne.

Pourquoi les italiens naissent-ils en quelque sorte avec le sentiment du beau? Pourquoi un ma�on de V�rone, un petit marchand de Venise, un paysan de la campagne de Rome aiment-ils � contempler les beaux monuments? Pourquoi comprennent-ils les beaux tableaux, la bonne musique, tandis que nos prol�taires, plus intelligents sous d'autres rapports, et nos bourgeois, �lev�s avec plus de soin, aiment le faux, le vulgaire, le laid m�me dans les arts, si une �ducation sp�ciale ne vient redresser leur instinct? C'est que nous vivons dans le laid et dans le vulgaire; c'est que nos parents n'ont pas de go�t et que nous passons le mauvais go�t traditionnel � nos enfants.

Entourer t l'enfance d'objets agr�ables et nobles en m�me {CL 92} temps qu'instructifs ne serait qu'un d�tail. Il faudrait, avant tout, ne la confier qu'� des �tres distingu�s {Lub 876} soit par le cœur, soit par l'esprit. Je ne con�ois donc pas que nos religieuses si belles, si bonnes et dou�es de si nobles u ou si suaves mani�res, eussent mis � la t�te de la petite classe une personne d'une tournure, d'une figure et d'une tenue repoussantes, avec un langage et un caract�re � l'avenant. Grasse, sale, vo�t�e, bigote, born�e, irascible, dure jusqu'� la cruaut�, sournoise, vindicative, elle fut, d�s la premi�re vue, un objet de d�go�t moral et physique pour moi, comme elle l'�tait d�j� pour toutes mes compagnes.

Il est des natures antipathiques qui ressentent l'aversion qu'elles inspirent et qui ne peuvent jamais faire le bien, en eussent-elles envie, parce qu'elles �loignent les autres de la bonne voie, rien qu'en les pr�chant, et qu'elles sont r�duites � faire leur propre salut isol�ment, ce qui est la chose la plus st�rile et la moins pieuse du monde. Mademoiselle D*** �tait de ces natures-l�. Je serais injuste envers elle si je ne disais pas le pour et le contre. Elle �tait sinc�re dans sa d�votion et rigide pour elle-m�me; elle y portait une exaltation farouche qui la rendait intol�rante et d�testable, mais qui e�t �t� v une sorte de grandeur, si elle e�t v�cu au d�sert comme les anachor�tes, dont elle avait la foi. Dans ses rapports avec nous, son aust�rit� devenait w f�roce; elle avait de la joie � punir, de la volupt� � gronder, et, dans sa bouche, gronder c'�tait insulter et outrager. Elle mettait de la perfidie dans ses rigueurs et feignait de sortir (ce qu'elle n'aurait jamais d� faire tant qu'elle tenait la classe) pour �couter aux portes le mal que nous disions d'elle et nous surprendre avec d�lices en flagrant d�lit de sinc�rit�. Puis elle nous punissait de la mani�re la plus b�te et la plus humiliante. Elle nous faisait, entre autres platitudes, baiser la terre pour {CL 93} ce qu'elle appelait nos mauvaises paroles. Cela faisait partie de la discipline du couvent; mais les religieuses se contentaient du simulacre et feignaient de ne pas voir que nous baisions notre main en nous baissant vers le carreau, tandis que mademoiselle D*** nous poussait la figure dans la poussi�re et nous l'e�t bris�e si nous eussions r�sist�.

Il �tait facile de voir que sa personnalit� dominait sa rigidit� et qu'elle ressentait une sorte de rage d'�tre ha�e. Il y avait dans la classe une pauvre petite anglaise de cinq � six ans, p�le, d�licate, maladive, un v�ritable {Lub 877} chacrot, comme nous disons en Berry pour d�signer le plus maigre et le plus fragile oisillon de la couv�e. Elle s'appelait Mary Eyre, et mademoiselle D*** faisait son possible pour s'int�resser � elle et peut-�tre m�me pour l'aimer maternellement. Mais cela �tait si peu dans sa nature hommasse et brutale qu'elle n'en pouvait venir � bout. Si elle la r�primandait, elle la frappait de terreur ou l'irritait au point qu'elle �tait forc�e ensuite, pour ne pas c�der, de l'enfermer ou de la battre. Si elle s'humanisait jusqu'� plaisanter et vouloir jouer avec elle, c'�tait comme un ours ferait avec une sauterelle. La petite enrageait et criait toujours, soit par espi�glerie mutine, soit par col�re et d�sespoir. Du matin au soir c'�tait une lutte aga�ante, insupportable � voir et � entendre, entre cette vilaine grosse femme et ce maussade x et malheureux petit enfant, et tout cela sans pr�judice des emportements et des rigueurs dont nous �tions toutes l'objet tour � tour.

J'avais d�sir� entrer � la petite classe y, par un sentiment de modestie assez ordinaire chez les enfants dont les parents sont trop vains; mais je me sentis bient�t humili�e et navr�e d'�tre sous la f�rule de ce vieux p�re fouetteur en cotillons sales. Elle se levait de mauvaise humeur, elle se couchait de m�me. Je ne fus pas trois jours sous ses yeux {CL 94} sans qu'elle me pr�t en grippe et sans qu'elle me f�t comprendre que j'allais avoir � faire � une nature aussi violente que celle de Rose, moins la franchise, l'affection et la bont� du cœur. Au premier regard attentif dont elle m'honora: « Vous me paraissez une personne fort dissip�e, » me dit-elle et, d�s ce moment, je fus class�e parmi ses pires antipathies: car la gaiet� lui faisait mal, le rire de l'enfance lui faisait grincer les dents, la sant�, la bonne humeur, la jeunesse, en un mot, �taient des crimes � ses yeux.

Nos heures de soulagement et d'expansion �taient celles o� une religieuse tenait la classe � sa place, mais cela durait une heure z ou deux au plus dans la journ�e.

C'�tait un tort, de aa la part de nos religieuses, de s'occuper si peu de nous directement. Nous les aimions; elles avaient toutes de la distinction, du charme ou de la solennit�, quelque chose de doux ou de grave, ne f�t-ce que l'ext�rieur et le costume, qui nous calmait comme par enchantement. Leur claustration, leur renoncement {Lub 878} au monde et � la famille avaient ce seul c�t� utile � la soci�t�, qu'elles pouvaient se consacrer � former nos cœurs et nos esprits, et cette t�che leur e�t �t� facile si elles s'en fussent occup�es exclusivement; mais elles pr�tendaient n'en avoir pas le temps, et elles ne l'avaient pas, en effet, � cause des longues heures qu'elles donnaient aux offices et aux pri�res. Voil� le mauvais c�t� des couvents de filles. On y emploie ce qu'on appelle des ma�tresses s�culi�res, sorte de pions femelles qui font les bons ap�tres devant les religieuses et qui abrutissent ou exasp�rent les enfants. Nos religieuses eussent mieux m�rit� de Dieu, de nos parents et de nous, si elles eussent sacrifi� � notre bonheur, et, pour parler leur style, � notre salut, une partie du temps qu'elles consacraient avec �go�sme � travailler au leur.

La religieuse ab qui relevait de temps en temps ces dames �tait la m�re Alippe: c'�tait une petite nonne ronde et {CL 95} ros�e comme une pomme d'api trop m�re qui commence � se rider. Elle n'�tait point tendre; mais elle �tait juste, et, quoiqu'elle ne me trait�t pas fort bien, je l'aimais comme faisaient les autres.

Charg�e de notre instruction religieuse, elle m'interrogea le premier jour sur le lieu o� languissaient les �mes des enfants morts sans bapt�me. Je n'en savais rien du tout; je ne me doutais pas qu'il y e�t un lieu d'exil ou de ch�timent pour ces pauvres petites cr�atures, et je r�pondis hardiment qu'elles allaient dans le sein de Dieu. « À quoi songez-vous et que dites-vous l�, malheureuse enfant? S'�cria la m�re Alippe. Vous ne m'avez pas entendue. Je vous demande o� vont les �mes des enfants morts sans bapt�me. »

Je restai court. Une de mes compagnes prenant mon ignorance en piti�, me souffla � demi-voix: Dans les limbes! Comme elle �tait anglaise, son accent m'embrouilla et je crus qu'elle me faisait une mauvaise plaisanterie. Dans l'Olympe? lui dis-je tout haut en me retournant et en �clatant de rire. For shame*! s'�cria la m�re Alippe, vous riez pendant le cat�chisme? — Pardon, m�re Alippe, lui r�pondis-je, je ne l'ai pas fait expr�s. »

* Ô honte! C'est ac notre fi!

Comme j'�tais de bonne foi, elle s'apaisa. « Eh bien, {Lub 879} dit-elle, puisque c'est malgr� vous, vous ne baiserez pas la terre, mais faites le signe de la croix pour vous remettre et vous recueillir. »

Malheureusement je ne savais pas faire le signe de la croix. C'�tait la faute de Rose, qui m'avait appris � toucher l'�paule droite avant l'�paule gauche, et jamais mon vieux cur� n'y avait pris garde. À la vue de cette �normit�, la m�re Alippe fron�a le sourcil: « Est-ce que vous le faites expr�s, miss? — H�las! Non, madame. Quoi donc? {CL 96} — Recommencez-moi ce signe de croix. — Voil�, ma m�re! — Encore! — Je le veux bien. Apr�s? — Et c'est ainsi que vous faites toujours? — Mon Dieu oui. — Mon Dieu! vous avez dit mon Dieu! Vous jurez! — Je ne crois pas. — Ah! Malheureuse, d'o� sortez-vous? C'est une pa�enne, une v�ritable pa�enne, en v�rit�! Elle dit que les �mes vont dans l'Olympe; elle fait le signe de la croix de droite � gauche, et elle dit mon Dieu hors de la pri�re! Allons, vous apprendrez le cat�chisme avec Mary Eyre. Encore en sait-elle plus long que vous! »

Je ne fus pas tr�s-humili�e, je l'avoue; je me mordis les l�vres et me pin�ai le nez pour ne pas rire; mais la religion du couvent me parut une si niaise et si ridicule affaire que je r�solus d'en prendre � mon aise et surtout de ne la jamais prendre au s�rieux.

Je me trompais. Mon jour devait venir, mais il ne vint pas tant que je fus � la petite classe. J'�tais l� dans un milieu tout � fait impropre au recueillement, et certes je ne fusse jamais devenue pieuse si j'�tais rest�e sous le joug odieux de mademoiselle D*** et sous la f�rule un peu p�dante de la bonne m�re Alippe ad.

{Presse 26/3/1855 1} Je n'avais pas de parti pris en entrant au couvent. J'�tais plut�t port�e � la docilit� qu'� la r�volte. On a vu que j'y arrivais sans humeur et sans chagrin; je ne demandais pas mieux que de m'y soumettre � la discipline g�n�rale. Mais quand je vis cette discipline si b�te � mille �gards et si m�chamment prescrite par la D***, je mis mon bonnet sur l'oreille et je m'enr�gimentai r�sol�ment dans le camp des diables.

On appelait ainsi celles qui n'�taient pas et ne voulaient pas �tre d�votes. Ces derni�res �taient appel�es les sages. Il y avait une vari�t� interm�diaire qu'on appelait les b�tes, et qui ne prenaient parti pour personne, riant {Lub 880} � gorge d�ploy�e des espi�gleries des diables, baissant les yeux et se {CL 97} taisant aussit�t que paraissaient les ma�tresses ou les sages, et ne manquant jamais de dire aussit�t qu'il y avait danger: Ce n'est pas moi!

Au Ce n'est pas moi des b�tes �go�stes, quelques-unes compl�tement l�ches prirent bient�t l'habitude d'ajouter: « C'est Dupin ou Gillibrand. »

Dupin, c'�tait moi; Gillibrand, c'�tait autre chose: c'�tait la figure la plus saillante de la petite classe et la plus excentrique de tout le couvent ae.

C'�tait une Irlandaise af de onze ans, ag beaucoup plus grande et plus forte que moi qui en avais treize. Sa voix pleine, sa figure franche et hardie, son caract�re ind�pendant et indomptable lui avaient fait donner le surnom de gar�on; ah et quoique ce f�t bien une femme, qui a �t� belle depuis, elle n'�tait pas de notre sexe par le caract�re ai. C'�tait la fiert� et la sinc�rit� m�mes, une belle nature en v�rit�, une force physique tout � fait virile, un courage plus que viril, une intelligence rare, une compl�te absence de coquetterie, une activit� exub�rante, un profond m�pris pour tout ce qui est faux et l�che dans la soci�t�. Elle avait aj beaucoup de fr�res et de sœurs, dont deux au couvent, l'une desquelles (Marcella), personne excellente, est rest�e fille, et l'autre (Henriette), aimable enfant alors, est devenue madame Vivien.

Mary Gillibrand (le gar�on) �tait sortie pour cause d'indisposition lorsque j'entrai au couvent. On m'en fit un portrait effroyable. Elle �tait la terreur des b�tes, et naturellement les b�tes �taient venues � moi pour commencer. Les sages m'avaient t�t�e, et comme elles craignaient le bruit et la p�tulance de Mary, elles t�ch�rent de me mettre en garde contre elle. J'avoue qu'au portrait qu'on m'en fit, j'eus peur aussi. Il y avait des fut�es qui disaient d'un air myst�rieux et qui croyaient fermement que c'�tait un gar�on dont ses parents voulaient absolument {CL 98} faire une fille. Elle cassait tout, elle tourmentait tout le monde, elle �tait plus forte que le jardinier; elle ne permettait pas aux laborieuses de travailler; c'�tait un fl�au, une peste. Malheur � qui oserait lui tenir t�te! « Nous verrons bien, disais-je, je suis forte aussi, je ne suis pas poltronne, et j'aime bien qu'on me laisse dire et penser � ma guise. » Pourtant {Lub 881} je l'attendais avec une sorte d'anxi�t�. Je n'aurais pas voulu me sentir une ennemie, une antipathie m�me, parmi mes compagnes. C'�tait bien assez de la D***, l'ennemie commune.

Mary arriva ak, et d�s le premier regard sa figure sinc�re me fut sympathique. « C'est bon, me dis-je, nous nous entendrons de reste. » Mais c'�tait � elle, comme plus ancienne, � me faire les avances. Je l'attendis fort tranquillement.

Elle d�buta par des railleries: « Mademoiselle s'appelle Du Pain? some bread? elle s'appelle Aurore? rising-sun? lever du soleil? Les jolis noms! Et la belle figure! Elle a la t�te d'un cheval sur le dos d'une poule. Lever du soleil, je me prosterne devant vous; je veux �tre le tournesol qui saluera vos premiers rayons. Il para�t que nous prenons les limbes pour l'Plympe; jolie �ducation, ma foi, et qui nous promet de l'amusement! »

Toute la classe partit d'un immense �clat de rire. Les al b�tes surtout riaient � se d�crocher la m�choire. Les sages �taient bien aises de voir aux prises deux diables dont elles craignaient l'association.

Je me mis � rire d'aussi bon cœur que les autres. Mary vit du premier coup d'œil que je n'avais pas de d�pit parce que je n'avais pas de vanit�. Elle continua de me railler, mais sans aigreur, et, une heure apr�s, elle me donna sur l'�paule une tape � tuer un bœuf, que je lui rendis sans sourciller et en riant. « C'est bon, cela! dit-elle en se frottant l'�paule. Allons nous promener. — O�? — Partout, except� dans la classe. {CL 99} — Comment faire? — C'est bien malin! Regardez-moi et faites de m�me. »

On se levait pour changer de table, la m�re Alippe entrait avec ses livres et ses cahiers. Mary profite du remue-m�nage, et, sans prendre la moindre pr�caution, sans �tre observ�e cependant de personne, franchit la porte et va s'asseoir dans le clo�tre d�sert, o�, trois minutes apr�s, je vais la rejoindre sans plus de c�r�monie.

« Te voil�? me dit-elle, qu'as-tu invent� pour sortir?

— Rien du tout, j'ai fait ce que je t'ai vue faire.

— C'est tr�s-bien, cela! dit-elle. Il y en a qui font des histoires, qui demandent � aller �tudier le piano, ou qui ont un saignement de nez, ou qui pr�tendent qu'elles vont faire une pri�re de sant� dans l'�glise; ce sont des {Lub 882} pr�textes us�s et des mensonges inutiles. Moi, j'ai supprim� le mensonge, parce que le mensonge est l�che. Je sors, je rentre, on me questionne, je ne r�ponds pas. On me punit, je m'en moque, et je fais tout ce que je veux.

— Cela me va.

— Tu es donc diable?

— Je veux l'�tre.

— Autant que moi?

— Ni plus ni moins.

— Accept�! Fit-elle en me donnant une poign�e de main. Rentrons maintenant et tenons-nous tranquilles devant la m�re Alippe. C'est une bonne femme; r�servons-nous pour la D***. Tous les soirs, hors de classe, entends-tu?

— Qu'est-ce que cela, hors de classe?

— Les r�cr�ations du soir dans la classe, sous les yeux de la D***, sont fort ennuyeuses. Nous, nous disparaissons en sortant du r�fectoire, et nous ne rentrons plus que pour la pri�re. Quelquefois la D***, n'y prend pas garde; le plus souvent, elle en est enchant�e, parce qu'elle a le plaisir de nous injurier et de nous punir quand nous rentrons. {CL 100} La punition c'est d'avoir son bonnet de nuit tout le lendemain sur la t�te, m�me � l'�glise. Dans ce temps-ci, c'est fort agr�able et bon pour la sant�. Les religieuses qui vous rencontrent ainsi font des signes de croix et crient: Shame! Shame!* cela ne fait de mal � personne. Quand on a eu beaucoup de bonnets de nuit dans la quinzaine, la sup�rieure vous menace de vous priver de sortir am. Elle se laisse fl�chir par les parents ou elle oublie. Quand le bonnet de nuit est un �tat chronique, elle se d�cide � vous tenir renferm�e; mais qu'est-ce que cela fait? Ne vaut-il pas mieux renoncer � un jour de plaisir que de s'ennuyer volontairement tous les jours de sa vie?

* Honte! honte!

— C'est fort bien raisonn�; mais la D***, que fait-elle quand elle vous d�teste � l'exc�s?

— Elle vous injurie comme une poissarde qu'elle est. On ne lui r�pond rien, elle enrage d'autant plus.

— Vous frappe-t-elle?

— Elle en meurt d'envie, mais elle n'a pas de pr�texte pour en venir l�, parce que les unes tremblent devant {Lub 883} elle, comme les sages et les b�tes, et, les autres, comme nous, la m�prisent et se taisent.

— Combien sommes-nous de diables dans la classe?

— Pas beaucoup dans ce moment-ci, et il �tait temps que tu vinsses pour nous renforcer un peu. Il y a Isabelle, Sophie an et nous deux. Toutes les autres sont des b�tes ou des sages. Dans les sages, il y a Louise de La Rochejaquelein et Valentine de Gouy, qui ont autant d'esprit que des diables et qui sont bonnes, mais pas assez hardies pour planter l� la classe. Mais sois tranquille, il y en a de la grande classe qui sortent de m�me et qui viendront nous rejoindre ce soir. Ma sœur Marcella en est quelquefois.

— Et alors que fait-on?

{CL 101} — Tu verras, tu seras initi�e ce soir. »

J'attendis la nuit et le souper avec grande impatience. Au sortir du r�fectoire on entrait en r�cr�ation. Dans l'�t� les deux classes se m�laient dans le jardin. Dans l'hiver (et nous �tions en hiver) chaque classe rentrait chez elle, les grandes dans leur belle et spacieuse salle d'�tudes, nous dans notre triste local, o� nous n'avions pas assez d'espace pour jouer, et o� la D*** nous for�ait � nous amuser tranquillement, c'est-�-dire � ne pas nous amuser du tout. La sortie du r�fectoire amenait un moment de confusion, et j'admirai combien les diables des deux classes s'entendaient � faire na�tre ce petit d�sordre, � la faveur duquel on s'�chappait ais�ment. Le clo�tre n'�tait �clair� que par une petite lampe qui laissait les trois autres galeries dans une quasi-obscurit�. Au lieu de marcher tout droit pour gagner la petite classe, on se jetait dans la galerie de gauche, on laissait d�filer le troupeau, et on �tait libre.

Je me trouvai donc dans les t�n�bres avec mon amie Gillibrand et les autres diables qu'elle m'avait annonc�es. Je ne me rappelle de celles qui furent des n�tres ce soir-l� que Sophie et Isabelle, c'�taient les plus grandes de la petite classe. Elles avaient deux ou trois ans de plus que moi, c'�taient deux charmantes filles. Isabelle, blonde, grande, fra�che, plus agr�able que jolie, du caract�re le plus enjou�, railleuse quoique bonne, remarquable et remarqu�e surtout pour le talent, la facilit� et l'abondance de son crayon. Elle �tait assur�ment dou�e d'un certain g�nie pour le dessin. J'ignore ce qu'est devenu {Lub 884} ce don naturel; mais il e�t pu lui faire un nom et une fortune s'il e�t �t� d�velopp�. Elle avait ce que n'avait aucune de nous, ce que n'ont pas ordinairement les femmes, ce qu'on ne nous enseignait pas du tout, quoique nous eussions un ma�tre de dessin: elle savait v�ritablement dessiner. Elle pouvait composer heureusement un sujet compliqu�, elle cr�ait en un clin d'œil, et sans para�tre {CL 102} y songer, des masses de personnages tous vrais de mouvement, tous comiques avec une certaine gr�ce, tous group�s avec une sorte de mæstria. Elle ne manquait pas d'esprit, mais le dessin, la caricature, la composition folle servaient principalement de manifestation ao � cet esprit � la fois m�ditatif et spontan�, romanesque, fantasque, satirique et enthousiaste. Elle prenait un morceau de papier, et, avec sa plume �claboussante ou un mauvais bout de fusain que l'œil avait peine � suivre, elle jetait l� des centaines de figures bien agenc�es, hardiment dessin�es et toutes bien employ�es dans le sujet, qui �tait toujours original, souvent bizarre. C'�taient des processions de nonnes qui traversaient un clo�tre gothique ou un cimeti�re au clair de la lune. Les tombes {Presse 26/3/1855 2} se soulevaient � leur approche, les morts dans leurs suaires commen�aient � s'agiter. Ils sortaient, ils se mettaient � chanter, � jouer de divers instruments, � prendre les nonnes par les mains, � les faire danser. Les nonnes avaient peur, les unes se sauvaient en criant, les autres s'enhardissaient, entraient en danse, laissant tomber leurs voiles, leurs manteaux, et s'en allaient se perdre en tournoyant et en cabriolant avec les spectres dans la nuit brumeuse.

D'autres fois c'�taient de fausses religieuses, qui avaient des pieds de ch�vre ou des bottes Louis XIII avec d'�normes �perons se trahissant sous leurs robes tra�nantes par un mouvement impr�vu. Le romantisme n'�tait pas encore d�couvert, et d�j� elle y nageait en plein sans savoir ce qu'elle faisait. Sa vive imagination lui avait fourni cent sujets de danses macabres, quoiqu'elle n'en e�t jamais entendu parler et qu'elle n'en conn�t pas le nom. La mort et le diable jouaient tous les r�les, tous les personnages possibles dans ses compositions terribles et burlesques. Et puis c'�taient des sc�nes d'int�rieur, des caricatures frappantes de toutes les religieuses, de toutes les pensionnaires, des servantes, {CL 103; Lub 885} des ma�tres d'agr�ment, des professeurs, des visiteurs, des pr�tres, etc. Elle �tait le chroniqueur fid�le et �ternellement f�cond de tous les petits �v�nements, de toutes les mystifications, de toutes lespaniques, de toutes les batailles, de tous les amusements et de tous les ennuis de notre vie monastique. Le drame incessant de mademoiselle D*** avec Mary Eyre lui fournissait chaque jour vingt pages plus vraies, plus piteuses, plus dr�les les unes que les autres. Enfin on ne pouvait pas plus se lasser de la voir inventer qu'elle ne se lassait d'inventer elle-m�me. Comme elle cr�ait ainsi � la d�rob�e, � toute heure, pendant les le�ons, sous l'œil m�me de nos argus, elle n'avait ap souvent que le temps de d�chirer la page, de la rouler dans ses mains et de la jeter par la fen�tre ou dans le feu, pour �chapper � une saisie qui e�t amen� de vives r�primandes ou de s�v�res punitions. Combien le po�le de la petite classe n'a-t-il pas d�vor� de ses chefs-d'œuvre inconnus! Je ne sais si l'imagination r�trospective ne m'en exag�re pas le m�rite, mais il me semble que toutes ces cr�ations sacrifi�es aussit�t que produites sont fort regrettables, et qu'elles eussent surpris et int�ress� un v�ritable ma�tre.

Sophie �tait l'amie de cœur d'Isabelle. C'�tait une des plus jolies, et la plus gracieuse personne du couvent. Sa taille souple, fine et arrondie en m�me temps, avait des poses d'une langueur britannique, moins la gaucherie habituelle � ces insulaires. Elle avait le cou rond, fort et allong�, avec une petite �te dont les mouvements onduleux �taient pleins de charmes: les plus beaux yeux du monde, le front droit, court et obstin�, inond� d'une for�t de cheveux bruns et brillants; son nez �tait vilain et ne r�ussissait pas � g�ter sa figure ravissante d'ailleurs. Elle avait une bouche, chose assez rare chez les Anglaises, une bouche de rose bien litt�ralement remplie de petites perles, une fra�cheur admirable, la peau velout�e, tr�s-blanche pour {CL 104} une peau brune. Enfin on l'appelait le bijou. Elle �tait bonne et sentimentale, exalt�e dans ses amiti�s, implacable dans ses aversions, mais ne les manifestant que par un muet et invincible d�dain. Elle �tait ador�e d'un grand nombre et ne daignait aimer que peu d'�lues. Je me pris pour elle et pour Isabelle d'une grande tendresse qui me fut rendue avec plus de protection que d'�lan. C'�tait dans l'ordre. J'�tais un enfant pour elles.

{Lub 886} Quand nous f�mes r�unies dans le clo�tre, je vis que toutes �taient arm�es, qui d'une b�che, qui d'une pincette. Je n'avais rien, j'eus l'audace de rentrer dans la classe, de m'emparer d'une barre de fer qui servait � attiser le po�le et de retourner aupr�s de mes complices sans �tre remarqu�e.

Alors on m'initia au grand secret, et nous part�mes pour notre exp�dition.

Ce grand secret, c'�tait la l�gende traditionnelle du couvent, une r�verie qui se transmettait d'�ge en �ge et de diable en diable depuis deux si�cles peut-�tre; une fiction romanesque qui pouvait bien avoir eu quelque fond de r�alit� dans le principe, mais qui ne reposait certainement plus que sur le besoin de nos imaginations. Il s'agissait de d�livrer la victime. Il y avait quelque part une prisonni�re, on disait m�me plusieurs prisonni�res, enferm�es dans un r�duit imp�n�trable, soit cellule cach�e et mur�e dans l'�paisseur des murailles, soit cachot situ� sous les vo�tes des immenses souterrains qui s'�tendaient sous le monast�re et sous une grande partie du quartier Saint-Victor. Il y avait, en r�alit�, des caves magnifiques, une v�ritable ville souterraine dont nous n'avons jamais vu la fin, et qui offrait plusieurs sorties myst�rieuses sur divers points du vaste emplacement du couvent. On assurait que ces caves allaient, tr�s-loin de l�, se relier aux excavations qui se prolongent sous une grande moiti� de Paris et sous {CL 105} les campagnes environnantes jusque vers Vincennes. On disait qu'en suivant les belles caves de notre couvent on pouvait aller rejoindre les catacombes, les carri�res, le palais des Thermes de Julien aq, que sais-je? Ces souterrains �taient la clef d'un monde de t�n�bres, de terreurs, de myst�res, un immense ab�me creus� sous nos pieds, ferm� de portes de fer, et dont l'exploration �tait aussi p�rilleuse que la descente ar aux enfers d'�n�e ou du Dante. C'est pour cela qu'il fallait absolument y p�n�trer en d�pit des difficult�s insurmontables de l'entreprise et des punitions terribles qu'e�t provoqu�es la d�couverte de notre secret.

Parvenir dans les souterrains, c'�tait une de ces fortunes inesp�r�es qui arrivaient une fois, deux fois au plus dans la vie d'un diable apr�s des ann�es de pers�v�rance et de contention d'esprit. Y entrer par la porte {Lub 887} principale, il n'y fallait pas songer as. Cette porte �tait situ�e au bas d'un large escalier, � c�t� des cuisines, qui �taient des caves aussi, et o� se tenaient toujours les sœurs converses at.

Mais nous �tions persuad�es qu'on pouvait entrer dans les souterrains par mille autres endroits, f�t-ce par les toits. Selon nous, toute porte condamn�e, tout ecoin obscur sous un escalier, toute muraille qui sonnait le creux, pouvait �tre en communication myst�rieuse avec les souterrains et nous cherchions de bonne foi cette communication jusque sous les combles.

J'avais lu avec d�lices, avec terreur, � Nohant, le Ch�teau des Pyr�n�es de madame Radcliffe. Mes compagnes avaient dans la cervelle bien d'autres l�gendes �cossaises et irlandaises � faire dresser les cheveux sur la t�te. Le couvent avait aussi � foison ses histoires de drames lamentables, de revenants, de cachettes, d'apparitions inexpliqu�es, de bruits myst�rieux. Tout cela, et l'id�e de d�couvrir enfin le formidable secret de la victime, allumait {CL 106} tellement nos folles imaginations, que nous nous persuadions entendre des soupirs, des g�missements partir de dessous les pav�s ou s'exhaler par les fissures des portes et des murs.

Nous voil� donc lanc�es, mes compagnes pour la centi�me fois, moi pour la premi�re, � la recherche de cette introuvable captive qui languissait on ne savait o�, mais quelque part certainement, et que nous �tions peut-�tre appel�es � d�couvrir. Elle devait �tre bien vieille depuis tant d'ann�es qu'on la cherchait en vain! Elle pouvait au bien avoir deux cents ans, mais nous n'y regardions pas de si pr�s. Nous la cherchions, nous l'appelions, nous y pensions sans cesse, nous ne d�sesp�rions jamais.

Ce soir-l� on me conduisit dans la partie des b�timents que j'ai d�j� esquiss�e, la plus ancienne, la plus disloqu�e, la plus excitante pour nos explorations. Nous nous attach�mes � un petit couloir bord� d'une rampe en bois et donnant sur une cage vide et sans issue connue. Un escalier, �galement bord� d'une rampe, descendait � cette r�gion ignor�e; mais une porte en ch�ne d�fendait l'entr�e de l'escalier. Il fallait tourner l'obstacle en passant d'une rampe � 'autre, et en marchant sur la face ext�rieure des balustres vermoulus. Au-dessous av il y avait {Lub 888} un vide sombre dont nous ne pouvions appr�cier la profondeur. Nous n'avions qu'une petite bougie roul�e (un rat), qui n'�clairait que les premi�res marches de l'escalier myst�rieux. C'�tait un jeu � nous casser le cou. Isabelle y passa la premi�re avec la r�solution d'une h�ro�ne, Mary avec la tranquillit� d'un professeur de gymnastique, les autres avec plus ou moins d'adresse, mais toutes avec bonheur.

Nous voici enfin sur cet escalier si bien d�fendu. En un instant nous sommes au bas des degr�s, et, avec plus de joie que de d�sappointement, nous nous trouvons dans un espace carr� situ� sous la galerie, une v�ritable impasse. {CL 107} Pas de porte, pas de fen�tre, pas de destination explicable � cette sorte de vestibule sans issue. Pourquoi donc un escalier pour descendre dans une impasse? Pourquoi une porte solide et cadenass�e pour en fermer l'escalier?

On divise en plusieurs bouts la petite bougie, et chacune examine de son c�t�. L'escalier est en bois. Il faut qu'une marche � secret ouvre un passage aw, un escalier nouveau, ou une trappe cach�e. Tandis que les unes explorent l'escalier et s'essayent � en disjoindre les vieux ais, les autres t�tent le mur, y cherchent un bouton, une fente, un anneau, un de ces mille engins qui, dans les romans de Radcliffe et dans les chroniques des vieux manoirs, font mouvoir une pierre, tourner un pan de boiserie, ouvrir une entr�e quelconque ax vers des r�gions inconnues.

Mais, h�las, rien! Le mur est lisse et cr�pi en pl�tre. Le carreau rend un son mat, aucune dalle ne se soul�ve, l'escalier ne rec�le aucun secret. Isabelle ne se d�courage pas. Au plus profond de l'angle qui rentre sous l'escalier, elle d�clare que la muraille sonne le creux, on frappe, on v�rifie le fait. « C'est l�, s'�crie-t-on. Il y a l� un passage mur�, mais ce passage est celui de la fameuse cachette. Par l� on descend au s�pulcre qui renferme des victimes vivantes. » On colle l'oreille � ce mur, on n'entend rien, mais Isabelle affirme qu'elle entend des plaintes confuses, des grincements de cha�nes. Que faire? « C'est tout simple, dit Mary, il faut d�molir le mur. À nous toutes, nous pourrons bien y faire un trou. »

Rien ne nous paraissait plus facile; nous voil� travaillant ce mur, les unes essayant de l'enfoncer avec {Lub 889} leurs b�ches, les autres l'�corchant avec les pelles et les pincettes, sans penser qu'� tourmenter ainsi ces pauvres murailles tremblantes nous risquions ay de faire �crouler le b�timent sur nos t�tes. Nous ne pouvions heureusement lui faire {CL 108} grand mal, parce que nous ne pouvions pas frapper sans attirer quelqu'un par le bruit retentissant des coups de b�che. Il fallait nous contenter de pousser et de gratter. Cependant nous avions r�ussi � entamer assez notablement le pl�tre, la chaux et les pierres, quand l'heure de la pri�re vint � sonner. Nous n'avions que le temps de recommencer notre p�rilleuse escalade, d'�teindre nos lumi�res, de nous s�parer et de regagner les classes � t�tons. Nous rem�mes au lendemain la poursuite de l'entreprise, et rendez-vous fut pris au m�me lieu. Celles qui y arriveraient les premi�res n'attendraient pas celles qu'une punition ou une surveillance inusit�e retarderait. On travaillerait � creuser le mur, chacune de son mieux. Ce serait autant de fait pour le jour suivant. Il n'y avait pas de risque qu'on s'en aper��t, personne ne descendant jamais dans cette impasse abandonn�e aux souris et aux araign�es.

{Presse 30/3/1855 1} Nous nous aid�mes les unes les autres � faire dispara�tre la poussi�re et le pl�tre dont nous �tions couvertes, nous regagn�mes le clo�tre et nous rentr�mes dans nos classes respectives comme on se mettait � genoux pour la pri�re. Je ne me souviens plus si nous f�mes remarqu�es et punies ce soir-l�. Nous le f�mes si souvent, qu'aucun fait de ce genre ne prend une date particuli�re dans le nombre. Mais bien souvent aussi nous p�mes poursuivre impun�ment notre œuvre. Mademoiselle D*** tricotait, le soir, tout en babillant et se querellant avec Mary Eyre. La classe �tait sombre, et je crois qu'elle n'avait pas la vue bonne. Tant il y a, qu'avec la rage de l'espionnage, elle n'avait pas le don de la clairvoyance, et qu'il nous �tait toujours facile de nous �chapper. Une fois que nous �tions hors de classe, o� nous prendre dans ce village qu'on appelait le couvent? Mademoiselle D*** n'avait pas d'int�r�t � faire un esclandre et � signaler nos fr�quentes escapades � la communaut�. On lui e�t reproch� de ne savoir pas {CL 109} emp�cher ce dont elle se plaignait. Nous �tions parfaitement indiff�rentes au bonnet de nuit et aux d�clamations furibondes de l'aimable personne. La sup�rieure, qui {Lub 890} �tait politiquement indulgente, ne se laissait pas ais�ment persuader de nous priver de sorties. Elle seule avait le droit de prononcer cet arr�t supr�me. La discipline �tait donc fort peu rigoureuse, en d�pit du m�chant caract�re de la surveillante.

La poursuite du grand secret, la recherche de la cachette dura tout l'hiver que je passai � la petite classe. Le mur de l'impasse fut notablement d�grad�, mais nous n'arriv�mes qu'� des traverses de bois devant lesquelles il fallut s'arr�ter. On chercha ailleurs, on fouilla dans vingt endroits diff�rents, toujours sans obtenir le moindre succ�s, toujours sans perdre l'esp�rance.

Un jour nous az imagin�mes de chercher sur les toits quelque fen�tre en mansarde qui f�t comme la clef sup�rieure du monde souterrain tant r�v�. Il y avait beaucoup de ces fen�tres dont nous ne savions pas la destination. Sous les combles existait une petite chambre o� l'on allait �tudier un des trente pianos �pars dans l'�tablissement. Chaque jour on avait une heure pour cette �tude, dont fort peu d'entre nous se souciaient. J'avais bonne envie d'�tudier pourtant, j'adorais toujours la musique. J'avais un excellent ma�tre, M. Pradher. Mais je devenais bien plus artiste pour le roman que pour la musique, car quel plus beau po�me que le roman en action que nous poursuivions � frais communs d'imagination, de courage et d'�motions palpitantes?

L'heure du piano �tait donc tous les jours l'heure des aventures, sans pr�judice de celles du soir. On se donnait rendez-vous dans une de ces chambres �parses, et de l� on partait pour le je ne sais o� et le comme il vous plaira de la fantaisie.

{CL 110} Donc, de la mansarde o� j'�tais cens�e faire des gammes, j'observai un labyrinthe de toits, d'auvents, d'appentis, de soupentes, le tout couvert en tuiles moussues et orn� de chemin�es �raill�es, qui offrait un vaste champ � des explorations nouvelles. Nous voil� sur les toits; je ne sais plus avec qui j'�tais, mais je sais que Fannelly (dont je parlerai plus tard) conduisait la marche. Sauter par la fen�tre ne fut pas bien difficile. À six pieds au-dessous de nous s'�tendait une goutti�re formant couture entre deux pignons. Escalader ces pignons, en rencontrer d'autres, sauter de pente en pente, voyager comme les chats, c'�tait plus imprudent {Lub 891} que difficile, et le danger nous stimulait, loin de nous retenir.

Il y avait dans cette manie de chercher la victime quelque chose de profond�ment b�te, et aussi quelque chose d'h�ro�que: b�te, parce qu'il nous fallait supposer que ces religieuses dont nous adorions la douceur et la bont� exer�aient sur quelqu'un quelque �pouvantable torture; h�ro�que, parce que nous risquions tous les jours notre vie pour d�livrer un �tre imaginaire, objet des pr�occupations les plus g�n�reuses et des entreprises les plus chevaleresques.

Nous �tions l� depuis une heure, d�couvrant le jardin, dominant toute une partie des b�timents et des cours et prenant bien soin de nous blottir derri�re une chemin�e quand nous apercevions le voile noir d'une religieuse qui e�t pu lever la t�te et nous voir dans les nuages, lorsque nous nous demand�mes comment nous reviendrions sur nos pas. La disposition des toits nous avait permis de descendre et de sauter de haut en bas. Remonter n'�tait pas aussi facile. Je crois m�me que sans �chelle c'�tait compl�tement impossible. Nous ne savions plus gu�re o� nous �tions. Enfin nous reconn�mes la fen�tre d'une pensionnaire en chambre. Sidonie Macdonald, fille du c�l�bre g�n�ral. On pouvait y atteindre en faisant un dernier saut. {CL 111} Celui-l� �tait plus p�rilleux que les autres. J'y mis trop de pr�cipitation et donnai du talon dans une crois�e horizontale qui �clairait une galerie et par laquelle je fusse tomb�e de trente pieds de haut dans les environs de la petite classe, si le hasard de ma maladresse ne m'e�t fait d�vier un peu. J'en fus quitte pour deux genoux tr�s-�corch�s sur les tuiles; mais ce ne fut point l� l'objet de ma pr�occupation. Mon talon avait enfonc� une partie du ch�ssis de cette maudite fen�tre et bris� une demi-douzaine de vitres qui tomb�rent avec un fracas �pouvantable � l'int�rieur, tout pr�s de l'entr�e des cuisines. Aussit�t une grande rumeur s'�l�ve parmi les sœurs converses, et, par l'ouverture que je viens de faire, nous entendons la voix retentissante de la sœur Th�r�se qui crie aux chats et qui accuse Whisky, le ma�tre matou de la m�re Alippe, de se prendre de querelle avec tous ses confr�res et de briser toutes les vitres de la maison. Mais la sœur Marie d�fendait les mœurs du chat, et la sœur H�l�ne assurait {Lub 892} qu'une chemin�e venait de s'�crouler sur les toits. Ce d�bat nous causa ce fou rire nerveux chez les petites filles que rien ne peut arr�ter. Nous entendions monter les escaliers, nous allions �tre surprises en flagrant d�lit de promenade sur les toits et nous ne pouvions faire un pas pour chercher un refuge. Fanelly �tait couch�e tout de son long dans la goutti�re; une autre cherchait son peigne. Quant � moi, j'�tais bien autrement emp�ch�e. Je venais de d�couvrir qu'un de mes souliers avait quitt� mon pied, qu'il avait travers� le ch�ssis bris� et qu'il �tait all� tomber � l'entr�e des cuisines. J'avais ba les genoux en sang, mais le fou rire �tait si violent que je ne pouvais articuler un mot et que je montrais mon pied d�chauss� en indiquant l'aventure par signes. Ce fut une nouvelle explosion de rires, et cependant l'alarme �tait donn�e, les sœurs converses approchaient.

{CL 112} Bient�t nous nous rassur�mes. L� o� nous �tions abrit�es et cach�es par des toits qui surplombaient, il n'�tait gu�re possible de nous d�couvrir sans monter par une �chelle � la fen�tre bb bris�e, ou sans suivre le m�me chemin que nous avions pris. C'�tait de quoi nous pouvions bien d�fier toutes les nonnes. Aussi, quand nous e�mes reconnu l'avantage de notre position bc, commen��mes-nous � faire entendre des miaulements hom�riques afin que Whisky et sa famille fussent atteints et convaincus � notre place. Puis nous agn�mes la fen�tre de Sidonie, qui nous re�ut fort mal. La pauvre enfant �tudiait son piano et ne s'inqui�tait pas des hurlements f�lins qui frappaient vaguement son oreille. Elle �tait maladive et nerveuse, fort douce, et incapable de comprendre le plaisir que nous pouvions trouver � courir les toits. Quand elle nous entendit d�busquer en masse par sa fen�tre, � laquelle, en jouant du piano, elle tournait le dos, elle jeta des cris per�ants. Nous ne pr�mes gu�re le temps de la rassurer. Ses cris allaient attirer les nonnes, nous nous �lan��mes dans sa chambre, gagnant la porte avec pr�cipitation, tandis que debout, tremblante, les yeux hagards, elle voyait d�filer cette �trange procession sans y rien comprendre, sans pouvoir reconna�tre aucune de nous, tant elle �tait effar�e.

En un instant nous f�mes dispers�es: l'une remontait � la chambre haute d'o� nous �tions parties et parcourait {Lub 893} le piano � tour de bras; une autre faisait un grand d�tour pour regagner la classe. Quant � moi, il me fallait aller � la recherche de mon soulier et reprendre cette pi�ce de conviction bd s'il en �tait temps encore. Je parvins � ne pas rencontrer les sœurs converses et � trouver l'entr�e des cuisines libre. « Audaces fortuna juvat, » me disais-je be en songeant aux aphorismes que Deschartres m'avait enseign�s. Et, en effet, je retrouvai le soulier fortun� qui �tait venu tomber dans un endroit sombre et qui n'avait frapp� les {CL 113} regards de personne. Whisky seul fut accus�. J'eus grand mal aux genoux pendant quelques jours, mais je ne m'en vantai point, et les explorations ne furent pas ralenties.

Il me fallait bien toute cette excitation romanesque pour lutter contre le r�gime du couvent, qui m'�tait fort contraire. Nous �tions assez convenablement nourries, et c'est d'ailleurs la chose dont je me suis toujours souci�e le moins, mais nous souffrions du froid de la mani�re la plus cruelle, et l'hiver fut tr�s-rigoureux cette ann�e-l�. Les habitudes du lever et du coucher m'�taient aussi nuisibles que d�sagr�ables bf. J'ai toujours aim� � veiller tard et � ne pas me lever de bonne heure. À Nohant, on m'avait laiss�e faire; je lisais ou j'�crivais le soir dans ma chambre, et on ne me for�ait pas � affronter le froid des matin�es. J'ai la circulation lente, et le mot sang-froid peint au physique et au moral mon organisation. Diable parmi les diables du couvent, je ne me d�montais jamais et je faisais les plus grandes folies du monde avec un s�rieux qui r�jouissait fort mes complices; mais j'�tais bien r�ellement paralys�e par le froid, surtout pendant la premi�re moiti� de la journ�e. Le dortoir, situ� sous le toit en mansarde, �tait si glacial que je ne m'endormais pas et que j'entendais tristement sonner toutes les heures de la nuit. À six heures, les deux servantes Marie-Jos�phe et Marie-Anne venaient nous �veiller impitoyablement. Se lever et s'habiller � la lumi�re m'a toujours paru fort triste. On se lavait dans de l'eau dont il fallait briser la glace et qui ne lavait pas. On avait des engelures, les pieds enfl�s saignaient dans les souliers trop �troits. On allait � la messe � la lueur des cierges, on grelottait sur son banc, ou on dormait � genoux dans l'attitude du recueillement. À sept heures, on d�je�nait d'un morceau de pain et {Lub 894} d'une tasse de th�. On voyait enfin, en entrant en classe, poindre un peu de clart� dans le ciel et un peu de feu dans le po�le. {CL 114} Moi, je ne d�gelais que vers midi, j'avais des rhumes {Presse 30/3/1855 2} �pouvantables, des douleurs aigu�s dans tous les membres; j'en ai souffert apr�s pendant quinze ans.

Mais Mary ne pouvait supporter la plainte; forte comme un gar�on, elle raillait impitoyablement quiconque n'�tait pas sto�que. Elle me rendit ce service de me rendre impitoyable � moi-m�me. J'y eus quelque m�rite, car je souffrais plus que personne, et l'air de Paris me tuait d�j�.

Jaune, apathique et muette, je paraissais en classe la personne la plus calme et la plus soumise. Jamais je n'eus avec la f�roce D*** qu'une seule altercation que je raconterai plus tard. Je n'�tais point r�pondeuse, je ne connaissais pas la col�re, je ne me souviens pas d'en avoir eu la plus l�g�re vell�it� pendant les trois ans que j'ai pass�s au couvent. Gr�ce � ce caract�re,je n'y ai jamais eu qu'une seule ennemie et je n'y ai par cons�quent ressenti qu'une seule antipathie; c'est pour cela que j'ai gard� une sorte de rancune � cette D*** qui m'a fait conna�tre l� le sentiment le plus oppos� � mon organisation. J'ai toujours �t� aim�e, m�me dans mon temps de pire diablerie, des compagnes les plus maussades et des ma�tresses ou des nonnes les plus exigeantes. La sup�rieure disait � ma grand'm�re que j'�tais une eau qui dort. Paris avait glac� en moi cette fi�vre de mouvement que j'avais subie � Nohant. Tout cela ne m'emp�chait pas de courir sur les toits au mois de d�cembre et de passer des soir�es enti�res nu-t�te dans le jardin en plein hiver; car, dans le jardin aussi, nous cherchions le grand secret et nous y descendions par les fen�tres quand les portes �taient ferm�es. C'est qu'� ces heures-l� nous vivions par le cerveau, et je ne m'apercevais plus que j'eusse un corps malade � porter.

Avec tout cela, avec ma figure p�le et mon air transi, dont Isabelle faisait les plus plaisantes caricatures, j'�tais gaie int�rieurement. Je riais fort peu, mais le rire des {CL 115} autres me r�jouissait les oreilles et le cœur. Une extravagance ne me faisait pas bondir de joie, mais je la couronnais gravement par une pire extravagance, et j'avais plus de succ�s que personne aupr�s des b�tes {Lub 895} qui ne me ha�ssaient pas, et qui surtout se fiaient � ma g�n�rosit�.

Par exemple, il arrivait souvent que toute la classe f�t punie pour le m�fait d'un diable ou pour la maladresse d'une b�te. Les b�tes ne voulaient pas se trahir entre elles; mais elles eussent trahi les diables si elles l'eussent os�; seulement elles n'osaient pas. Tout tremblait devant Gillibrand, et pourtant Gillibrand �tait bonne et n'employa jamais sa force � maltraiter les faibles; mais elle avait de l'esprit comme douze diables, et ses moqueries exasp�raient celles qui n'y savaient pas r�pondre. Isabelle se faisait craindre par ses caricatures, Lavinia par ses grands airs de m�pris. Moi seule je ne me faisais craindre par rien bg; j'�tais diable avec les diables, b�te avec les b�tes, le tout par laisser-aller de caract�re ou par langueur physique. Je conquis tout � fait ces derni�res en leur �pargnant les punitions collectives. Aussit�t que la ma�tresse disait: « Toute la classe en p�nitence, si je ne d�couvre pas la coupable, » je me levais et je disais: C'est moi. Mary, qui me donnait le bon exemple en toutes choses, suivit le mien en celle-ci, et on nous en sut gr�.

Ma bonne maman allait quitter Paris, elle obtint de me faire sortir deux ou trois jeudis de suite. La sup�rieure n'osa pas trop lui dire que j'�tais not�e par toutes les ma�tresses et tous les professeurs comme ne faisant absolument rien, et que le bonnet de nuit �tait ma coiffure habituelle. Ma grand'm�re e�t peut-�tre pens� alors que je perdais mon temps et qu'il valait mieux me reprendre avec elle. On passa donc l�g�rement sur ma dissipation et mes escapades.

Je me promettais une grande joie de ces sorties. Il n'en {CL 116} fut rien. J'avais d�j� pris l'habitude de la vie en commun, habitude si douce aux caract�res m�lancoliques, et mon caract�re �tait � la fois le plus triste et le plus enjou� de tout le couvent: triste par la r�flexion, quand je retombais sur moi-m�me, avec mon corps souffreteux et endolori, avec le souvenir de mes chagrins de famille; gaie, quand le rire de mes compagnes, la brusque interpellation de ma ch�re Mary, la plaisanterie originale de ma romanesque Isabelle, venaient m'arracher au sentiment de ma propre existence et me communiquer la vie qui �tait dans les autres.

{Lub 896} Chez ma bonne maman, tout mon pass� amer, tout mon pr�sent tourment�, tout mon avenir incertain me revenaient. On s'occupait trop de moi, on me questionnait, on me trouvait chang�e, alourdie, distraite. Quand la nuit �tait venue, on me reconduisait au couvent. Ce passage du petit salon chaud, parfum�, �clair� de ma grand'm�re, au clo�tre obscur, vide et glac�; des tendres caresses de la bonne maman, de la petite m�re et du grand-oncle, au bonsoir froid et rechign� des portiers et des touri�res me navrait le cœur un instant. Je frissonnais en traversant seule ces galeries pav�es de tombeaux: mais au bout du clo�tre d�j� la suavit� de la retraite se faisait sentir. La madone Vanloo bh avait l'air de sourire pour moi. Je n'�tais pas d�vote envers elle, mais d�j� sa petite lampe bleu�tre me jetait dans une r�verie vague et douce. Je laissais derri�re moi un monde d'�motions trop fortes pour mon �ge et d'exigences de sentiments qu'on ne m'avait pas assez m�nag�es. J'entendais la voix de Mary m'appeler bi avec impatience. Les petites b�tes venaient curieusement s'enqu�rir de ce que j'avais vu dans la journ�e. « Comme c'est triste de rentrer! » me disait-on. Je ne r�pondais pas. Je ne pouvais expliquer pourquoi j'avais cette bizarrerie de me trouver mieux au couvent que dans ma famille.

{CL 117} À la veille du d�part de ma grand'm�re, un grand orage se forma contre moi dans les conseils de la sup�rieure. J'aimais � �crire autant que j'aimais peu � parler et je m'amusais � faire de nos espi�gleries et des rigueurs de la D*** une sorte de journal satirique que j'envoyais � ma bonne maman, laquelle y prenait un grand divertissement et ne me pr�chait nullement la soumission et la cajolerie, la d�votion encore moins. Il �tait de r�gle que nous missions le soir sur le bahut de l'antichambre de la sup�rieure les lettres que nous voulions envoyer. Celles qui n'�taient point adress�es aux parents devaient �tre d�pos�es ouvertes. Celles pour les parents �taient cachet�es; on �tait cens� en respecter le secret.

Il m'e�t �t� facile d'envoyer mes manuscrits � ma grand'm�re par une voie plus s�re, puisque ses domestiques venaient souvent m'apporter divers objets et s'informer de ma sant�; mais j'avais une confiance supr�me dans la loyaut� de la sup�rieure. Elle avait dit devant moi � ma grand'm�re qu'elle n'ouvrait jamais {Lub 897} les lettres adress�es aux parents. Je croyais, j'�tais loyale, j'�tais tranquille. Mais le volume et la fr�quence de mes envois inqui�t�rent reverend mother*. Elle d�cacheta sans fa�on, lut mes satires et supprima les lettres. Elle me fit m�me ce bon tour trois jours de suite sans en rien dire, afin de bien conna�tre mes habitudes de chronique moqueuse et la mani�re dont la D*** nous gouvernait. Une personne de cœur et d'intelligence en e�t fait son profit. Elle m'e�t grond�e peut-�tre, mais elle e�t cong�di� la D***. Il est vrai qu'une personne de cœur n'e�t pas tendu un pi�ge � la simplicit� d'un enfant et n'e�t pas abus� d'un secret qu'elle avait autoris�. La sup�rieure pr�f�ra interroger {CL 118} mademoiselle D***, qui, bien entendu, ne se reconnut pas au portrait plus ressemblant que flatt� que j'avais trac� d'elle. Sa haine, d�j� allum�e par mon air calme et la douceur tr�s-r�elle de mes mani�res, s'exasp�ra, comme on peut le croire. Elle me traita de menteuse abominable, d'esprit fort (c'est-�-dire impie), de d�latrice, de serpent, que sais-je! La sup�rieure me manda et me fit une sc�ne effroyable. Je restai impassible. Elle me promit ensuite b�nignement de ne point faire conna�tre mes calomnies � ma grand'm�re et de me garder le secret sur ces abominables lettres. Je ne l'entendais pas ainsi. Je sentis la duplicit� de cette bj promesse. Je r�pondis que j'avais un brouillon de mes lettres, que ma grand'm�re l'aurait, que je soutiendrais devant elle et devant madame la sup�rieure elle-m�me la v�rit� de mes assertions, et que, puisqu'il n'y avait pas de s�ret� dans les relations bk auxquelles je m'�tais confi�e, je demanderais � changer de couvent.

{[CL 117]} ]* La r�v�rende m�re. On lui donnait ce titre en anglais seulement.

La sup�rieure n'�tait pas une m�chante femme; mais quoi qu'on en pens�t, je n'ai jamais senti qu'elle f�t une tr�s-bonne femme. Elle m'ordonna bl de sortir de sa pr�sence en m'accablant de menaces et d'injures. C'�tait une personne du grand monde et elle savait au besoin prendre des mani�res royales; mais elle avait fort mauvais ton quand elle �tait en col�re. Peut-�tre ne savait-elle pas bien la valeur de ses expressions en fran�ais, et je ne savais pas encore assez d'anglais pour qu'elle me parl�t dans sa langue. Mademoiselle D*** avait la t�te baiss�e, l'œil ferm�, dans l'attitude extatique d'une sainte qui {Lub 898} entend la voix de Dieu m�me. Elle se donnait des airs de piti� pour moi et de silence mis�ricordieux. Une heure apr�s, au r�fectoire, la sup�rieure entra suivie de quelques nonnes qui lui faisaient cort�ge; elle parcourut les tables comme pour faire une inspection; puis, s'arr�tant devant moi et roulant ses gros yeux noirs, qui �taient fort beaux, elle me dit d'une voix {CL 119} solennelle: Étudiez la v�rit�! — Les sages p�lirent et firent le signe de la croix. Les b�tes chuchot�rent en me regardant. On vint ensuite m'accabler de questions. « Tout cela signifie, r�pondis-je, que dans trois jours je ne serai plus ici. »

J'�tais outr�e; mais j'avais un violent chagrin. Je ne d�sirais nullement changer de couvent. J'avais d�j� form� des affections que je souffrais de voir sit�t bris�es. Ma grand'm�re arriva sur ces entrefaites. La sup�rieure s'enferma avec elle, et, pr�voyant que je dirais tout, elle prit le parti de remettre mes lettres et de les pr�senter comme un tissu de mensonges. Je crois qu'elle eut le dessous et que ma grand'm�re bl�ma �nergiquement l'abus de confiance qu'on �tait forc� de lui r�v�ler. Je crois qu'elle prit ma d�fense et parla de me ramener bm sur-le-champ. Je ne sais ce qui se passa entre elles, mais quand on me fit monter dans le parloir de la sup�rieure, toutes deux essayaient de se composer un maintien grave et toutes deux �taient fort anim�es. — Ma grand'm�re m'embrassa comme � l'ordinaire, et pas un mot de reproche ne me fut adress�, si ce n'est sur ma dissipation et le temps perdu � des enfantillages. Puis la sup�rieure m'annon�a que j'allais quitter la petite classe, o� mon intimit� avec Mary portait le d�sordre et que j'entrerais imm�diatement parmi les grandes. Cette bonne nouvelle, qui, en d�finitive, faisait aboutir toutes les menaces � une notable bn am�lioration dans mon sort, me fut signifi�e pourtant d'un ton s�v�re. On esp�rait que, n'ayant plus de relations avec mademoiselle D***, je renoncerais � mes habitudes de satire contre elle, que je romprais mes habitudes de diablerie avec la terrible Mary et que cette s�paration serait profitable � l'une comme � l'autre bo.

Je r�pondis que je consentais de bon cœur � ne jamais m'occuper de mademoiselle D***, mais je ne voulus jamais {CL 120} promettre de ne plus aimer Mary. La force des {Lub 899} choses devait suffire � nous s�parer, puisque nous n'aurions plus que l'heure des r�cr�ations au jardin pour nous voir. Ma grand'm�re, satisfaite du r�sultat de cette affaire bp, partit pour Nohant. Je passai � la grande classe, o� m'avaient pr�c�d�e Isabelle et Sophie. Je jurai � Mary de rester son amie � la vie et � la mort; mais je n'en avais pas fini avec la terrible D***, comme on va bient�t le voir.


Variantes

  1. Ce titre figure � partir de l'�dition {CL}
  2. Vol. 7. 1er chapitre {Ms}Chapitre onzi�me {Presse}, {Lecou} ♦ XI {CL}
  3. Mary G[illibrand ray�]. {Ms}Mary G***. {Presse} {CL} ♦ Mary Gillibrand. {Lub} (d�veloppant le nom; nous le suivons; nous marquerons d�sormais cette variante par le signe � la suite du nom)
  4. Isabelle C[lifford ray�]. {Ms}Isabelle C***. {Presse} {CL} ♦ Isabelle Clifford. {Lub} (d�veloppant le nom; nous le suivons; par la suite le nom n'est plus abr�g� daans les �ditions)
  5. Sophy C[ary ray�]. {Ms} {Ms}Sophie C***. {Presse} {CL} ♦ Sophie Cary. {Lub} (m�me remarque que pour Clifford)
  6. la porte des clo�tres {Ms}la porte du clo�tre {Presse} et sq.
  7. n'existent peut-�tre plus {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ n'existent plus {CL}
  8. se refermant sur vous {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ se renfermant sur vous {CL}, {Lub} (r�tablissant la 1�re le�on; nous ne le suivons pas)
  9. o� les femmes et les nones {Ms} ♦ o� les vieilles filles, et les nonnes {Presse} et sq.
  10. Cette note appara�t seulement dans {CL}
  11. un mur de trente pieds {Ms}un mur tr�s �lev� {Presse} et sq.
  12. des Boulangers, et qui ne s'ouvrait {Ms}des Boulangers. Cette porte ne s'ouvrait {Presse} et sq.
  13. locataires. Elles avaient {Ms}locataires, qui avaient {Presse} et sq.
  14. majestueux. Mais la grille {Ms}majestueux et les beaux œillets panach�s; mais la grille {Presse} et sq.
  15. trois fois. Pourtant nous n'y f�mes tent�es d'aucune chiperie. Ces beaux fruits ne m�rissaient point pour nous et c'e�t peut-�tre �t� de bonne guerre d'en rapporter � nos compagnes comme une preuve du succ�s de notre exp�dition. Mais quand nous les e�mes sous la main, on oublia d'en avoir envie. Leur vue nous contenta, ainsi que celle des beaux œillets panach�s, des jolies chapelles couvertes de jasmin et de ch�vrefeuille. Il y avait danger d'�tre d�couvertes, mais ce ne fut point ce qui nous arr�ta. Ce fut une sorte de m�pris pour le vol, m�me pour le vol par plaisanterie. Nous n'y v�mes que le vol par gourmandise et l'innocente avarie, de nos religieuses qui poss�daient de telles richesses sans nous en faire part nous inspira un v�ritable d�dain pour ces objets de convoitise. Il nous sembla que notre propre convoitise e�t justifi� leur avarice. Je n'ai pas parl� {Ms}trois fois. / Je n'ai pas parl� {Presse} et sq.
  16. vraiment [agr�ables et bien soign�s ray�] remarquables {Ms}
  17. espace o� cinquante familles {Ms}espace o� dix familles {Presse} et sq.
  18. les religieuses [et les Anglaises surtout ray�] entendent {Ms}
  19. chez le parvenu {Ms}chez le riche {Presse} et sq.
  20. � nos enfants. Quand on pense qu'une grande population a proclam� la R�publique sur l'air des Girondins, il ne faut pas s'�tonner des fautes absurdes qu'elle a commises depuis. Tout se tient, et quand la pens�e artistique est plate, le sentiment moral n'est pas loin de l'�tre. Entourer {Ms}� nos enfants. / Entourer {Presse} et sq.
  21. et de si nobles {Ms}et dou�es de si nobles {Presse} et sq.
  22. qui e�t eu {Ms}qui e�t �t� {Presse} et sq.
  23. sa pi�t� devenait {Ms}son aust�rit� devenait {Presse} et sq.
  24. et ce [m�chant ray�] maussade {Ms}
  25. d�sir� d�buter par la petite classe {Ms}d�sir� entrer � la petite classe {Presse} et sq.
  26. mais c'�tait une heure {Ms}mais cela durait une heure {Presse} et sq.
  27. C'�tait un tort de {Presse} ♦ C'�tait un tort, de {CL} ♦ C'�tait un tort de {Lub} (sans relever la variante)
  28. au leur. Il y avait une de nos ma�tresses s�culi�res qui s'appelait Mlle Gilles et dont plusieurs pensionnaires de la grande classe faisaient beaucoup de cas. Elle n'�tait point mauvaise et ne me tourmenta jamais. Elle �tait toute jeune et ne nous surveillait gu�res qu'au jardin, mais elle avait une figure impertinente comme son nom, qui ne me revenait pas et je ne crois pas avoir jamais �chang� une parole avec elle. La religieuse {Ms}au leur. La religieuse {Presse} et sq.
  29. Ô honte! — C'est ♦ Ô honte! C'est {CL}
  30. de la m�re Alippe {Ms}de la bonne m�re Alippe {Presse} et sq.
  31. classe et peut-�tre de tout le couvent {Ms} classe, et la plus excentrique de tout le couvent {Presse} et sq.
  32. C'�tait une [Anglaise ray�] Irlandaise {Ms}
  33. de 14 ans, ♦ de onze ans, {CL}
  34. du gar�on; {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ de gar�on; {CL}
  35. par le cœur et l'esprit {Ms}par le caract�re {Presse} et sq.
  36. la soci�t�. Sa m�re �tait un vieux g�ant irlandais, son p�re un petit homme noble, riche et d�vot. Elle avait {Ms}la soci�t�. Elle avait {Presse} et sq.
  37. G*** arriva {Ms} (Presque toujours le manuscrit d�signe Mary Gillibrand par G***: nous ne le signalerons plus d�sormais.)Mary arriva {Presse} et sq.
  38. de rire. / Les {Presse} ♦ de rire. Les {CL}
  39. priver de sorties {Ms}priver de sortir {Presse} et sq.
  40. Isabelle [Clifford ray�], Sophie [Cary ray�] {Ms}
  41. folle [fantasque ou burlesque ray�] c'�tait l� la principale manifestation {Ms}folle servaient principalement de manifestation {Presse} et sq.
  42. nos argus [sur tous les cahiers ray�], elle n'avait {Ms}
  43. des Thermes de [Diocl�tien ray�] Julien {Ms}
  44. de fer, aussi p�rilleux � explorer que la descente {Ms}de fer [...] descente {Presse} et sq.
  45. fallait gu�res songer {Ms}fallait pas songer {Presse} et sq.
  46. converses. [La chambre de Mlle D. �tait tout pr�s de l� ray�] {Ms}
  47. en vain! [Des g�n�rations de diables s'�taient succ�d� se l�guant les unes aux autres le soin de cette d�livrance impossible ray�]. Elle pouvait {Ms}
  48. descendait � cette [impasse ray�] r�gion ignor�e. Une porte en ch�ne s�parait cet escalier de la galerie. Il fallait renoncer � ouvrir ou � desceller la porte, mais, avec quelque courage et quelque danger, on pouvait passer d'une rampe � l'autre, en franchissant celle de la galerie et en marchant sur sa face ext�rieure, les pieds passant avec pr�caution d'un balustre � l'autre, les mains fortement prises � la traverse qui reliait les balustres. Au dessous {Ms}ignor�e [...] Au dessous {Presse} et sq.
  49. l'escalier est en vieux bois vermoulu. Il faut, ou lever une marche, ou trouver une charni�re et une serrure � cette marche qui doit ouvrir un passage {Ms}L'escalier [...] passage {Presse} et sq.
  50. tourner un pan de mur, ouvrir un passage quelconque {Ms}tourner un pan de boiserie, ouvrir une entr�e quelconque {Presse} et sq.
  51. tremblantes et moisies, nous pouvions faire {Ms}tremblantes nous risquions de faire {Presse} et sq.
  52. Un jour, nous {Presse} ♦ Un jour nous {CL}
  53. des cuisines. On allait le trouver, on allait, pour d�couvrir la coupable, recommencer l'�preuve de Cendrillon. J'avais {Ms}des cuisines. J'avais {Presse} et sq.
  54. par une �chelle de trente pieds � la fen�tre {Ms}par une �chelle la fen�tre {Presse} et sq.
  55. de notre situation {Ms}de notre position {Presse} et sq.
  56. et � le reprendre {Ms}et � reprendre cette pi�ce de conviction {Presse} et sq.
  57. « Audaces fortuna juvat, » me disais-je {Presse} {CL}pas de guillemets dans {Lub}
  58. aussi nuisibles qu'antipathiques {Ms}aussi nuisibles que �sagr�ables {Presse} et sq.
  59. craindre par rien {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ craindre pour rien {CL} ♦ craindre par rien {Lub} (r�tablissant la 1re lecon; nous le suivons)
  60. la madone Vanloo {Ms}, {Presse} ♦ la madone de Vanloo {Lecou}, {LP} ♦ la madone Vanloo {CL}
  61. la voix pleine et m�le de G* m'appeler {Ms}la voix de Mary m'appeler {Presse} et sq.
  62. la duplicit� j�suitique de cette {Ms}la duplicit� de cette {Presse} et sq.
  63. point de franchise et de loyaut� dans les relations {Ms}pas de s�ret� dans les relations {Presse} et sq.
  64. pens�t, je suis s�re et je sais qu'elle n'�tait pas non plus une tr�s bonne femme. J'ai eu d'autres preuves de sa rudesse et de son peu de sinc�rit�. Elle m'ordonna {Ms}pens�t [...] Elle m'ordonna {Presse} et sq.
  65. de me remmener {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ de me ramener {CL} ♦ de me remmener {Lub} (r�tablissant la 1re le�on; nous ne le suivons pas)
  66. menaces � une r�compense r�elle, � une notable {Ms}menaces � une notable {Presse} et sq.
  67. Dans {Ms}, cette phrase est encadr�e de guillemets: elle �tait donc, dans esprit de l'auteur, au discours indirect.
  68. de cette grande affaire {Ms}de cette affaire {Presse} et sq.

Notes

  1. Voir la note en t�te du chapitre VI. {Presse} donne bien Chapitre onzi�me et non Chapitre douzi�me