GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-Lévy 1876

{LP T.? ?; CL T.2 [287]; Lub T.1 [641]} TROISIÈME PARTIE
De l'enfance à la jeunesse
1810-1819 a

{Presse 25/3/1855 1; CL T.3 [85]; Lub T.1 [870]} XI b 1

Description du couvent. — La petite classe. — Malheur et tristesse des enfants. — Mademoiselle D***, maîtresse de classe. — Mary Eyre. — La mère Alippe. — Les limbes. — Le signe de la croix. — Les diables, les sages et les bêtes. — Mary Gillibrand. c — Les escapades. — Isabelle Clifford. d — Ses compositions bizarres. — Sophy Cary. e — Le secret du couvent. — Recherches et expéditions pour la délivrance de la victime. — Les souterrains. — L'impasse mystérieuse. — Promenade sur les toits. — Accident burlesque. — Whisky et les sœurs converses. — Le froid. — Je passe diable. — Mes relations avec les sages et les bêtes. — Mes jours de sortie. — Grand orage contre moi. — Ma correspondance surprise. — Je passe à la grande classe.



Avant de raconter ma vie au couvent, ne dois-je pas décrire un peu le couvent? Les lieux qu'on habite ont une si grande influence sur les pensées, qu'il est difficile d'en séparer les réminiscences.

C'était un assemblage de constructions, de cours et de jardins qui en faisait une sorte de village, plutôt qu'une maison particulière. Il n'y avait rien de monumental, rien d'intéressant pour l'antiquaire. Depuis sa construction, qui ne remontait pas à plus de deux cents ans, il y avait eu tant de changements, d'ajoutances ou de distributions successives, qu'on ne retrouvait l'ancien caractère que dans très-peu de parties. Mais cet ensemble hétérogène avait son caractère à lui, quelque chose de mystérieux et d'embarrassant comme un labyrinthe; un certain charme de poésie comme les recluses savent en mettre dans les choses les plus vulgaires. Je fus bien un mois avant de savoir m'y retrouver seule, et encore, après mille explorations {CL 86} furtives, n'en ai-je jamais connu tous les détours et les recoins.

La façade, située en contre-bas sur la rue, n'annonce rien du tout. C'est une grande bâtisse laide et nue, avec {Lub 871} une petite porte cintrée qui ouvre sur un escalier de pierres large, droit et roide. Au haut de dix-sept degrés (si j'ai bonne mémoire), on se trouve dans une petite cour pavée en dalles et entourée de constructions basses et non percées. C'est, d'un côté, le grand mur de l'église, de l'autre, les bâtiments du cloître.

Un portier qui demeure dans cette cour, et dont la loge touche la porte du cloître f, ouvre aux personnes du dehors un couloir par lequel on communique avec celles de l'intérieur au moyen d'un tour où l'on dépose les paquets, et de quatre parloirs grillés pour les visites. Le premier est plus spécialement affecté aux visites que reçoivent les religieuses; le second est destiné aux leçons particulières; le troisième, qui est le plus grand, est celui où les pensionnaires voient leurs parents; le quatrième est celui où la supérieure reçoit les personnes du monde, ce qui ne l'empêche pas d'avoir un salon dans un autre corps de logis et un grand parloir grillé où elle s'entretient avec les ecclésiastiques ou les personnes de sa famille, lorsqu'elle a à traiter d'affaires importantes ou secrètes.

Voilà tout ce que les hommes et même les femmes qui n'ont pas une permission particulière pour entrer voient du couvent. Pénétrons dans cet intérieur si bien gardé.

La porte de la cour est armée d'un guichet et s'ouvre à grand bruit sur le cloître sonore. Ce cloître est une galerie quadrangulaire, pavée de pierres sépulcrales avec forces têtes de mort, ossements en croix et requiescant in pace. Les cloîtres sont voûtés, éclairés par de larges fenêtres à plein cintre ouvrant sur le préau, qui a son puits traditionnel et son parterre de fleurs. Une des extrémités du cloître ouvre {CL 87} sur l'église et sur le jardin, une autre sur le bâtiment neuf, où se trouvent au rez-de-chaussée la grande classe, à l'entre-sol l'ouvroir des religieuses, au premier et au second les cellules, au troisième le dortoir des pensionnaires de la petite classe.

Le troisième angle du cloître conduit aux cuisines, aux caves, puis au bâtiment de la petite classe, qui se relie à plusieurs autres très-vieux qui n'existent plus g*, {Lub 872} car, de mon temps, ils menaçaient ruine. C'était un dédale de couloirs obscurs, d'escaliers tortueux, de petits logements détachés et reliés les uns aux autres par des paliers inégaux ou par des passages en planches déjetées. C'était là probablement ce qui restait des constructions primitives, et les efforts qu'on avait faits pour rattacher ces constructions avec les nouvelles attestaient ou une grande misère dans les temps de révolution, ou une grande maladresse de la part des architectes. Il y avait des galeries qui ne conduisaient à rien, des ouvertures par où l'on avait peine à passer, comme on en voit dans ces rêves où l'on parcourt des édifices bizarres qui vont se renfermant sur vous h et vous étouffant dans leurs angles subitement resserrés. Cette partie du couvent échappe à toute description. J'en donnerai une meilleure idée quand je raconterai quelles folles explorations nos folles imaginations de pensionnaires nous y firent entreprendre. Il me suffira, quant à présent, de dire que l'usage de ces constructions était aussi peu en harmonie que leur assemblage. Ici, c'était l'appartement d'une locataire; à côté, celui d'une élève; plus loin, une chambre où l'on étudiait le piano; ailleurs, une {CL 88} lingerie, et puis des appartements vacants ou passagèrement occupés par des amies d'outre-mer; et puis de ces recoins sans nom où les vieilles filles, et les nonnes i surtout, entassent mystérieusement une foule d'objets fort étonnés de se trouver ensemble, des débris d'ornements d'église avec des oignons, des chaises brisées avec des bouteilles vides, des cloches fêlées avec des guenilles, etc., etc.

{[CL 87; Lub 871]} * Le j couvent tout entier a disparu dans les travaux d'édilité de la ville sous le dernier Empire. La rue des Fossés-Saint-Victor, qui, {[Lub 872]} relativement au massif des jardins du couvent, était une sorte de précipice, a été nivelée. La communauté des Anglaises s'est établie hors des murs de Paris. (Note de 1874.)

Le jardin était vaste et planté de marronniers superbes. D'un côté il était contigu à celui du collége des Écossais, dont il était séparé par un mur très-élevé k; de l'autre il était bordé de petites maisons toutes louées à des dames pieuses retirées du monde. Outre ce jardin, il y avait encore, devant le bâtiment neuf, une double cour plantée en potager et bordée d'autres maisons également louées à de vieilles matrones ou à des pensionnaires en chambre. Cette partie du couvent se terminait par une {Lub 873} buanderie et par une porte qui donnait sur la rue des boulangers. Cette porte ne s'ouvrait l que pour les locataires, qui avaient m, de ce côté-là, un parloir pour leurs visites. Après le grand jardin dont j'ai parlé, il y en avait un autre encore plus grand où nous n'entrions jamais et qui servait à la consommation du couvent. C'était un immense potager qui s'en allait toucher à celui des dames de la miséricorde, et qui était rempli de fleurs, de légumes et de fruits magnifiques. Nous apercevions à travers une vaste grille les raisins dorés, les melons majestueux et les beaux œillets panachés; mais la grille n était presque infranchissable et on risquait ses os pour l'escalader, ce qui n'empêcha pas quelques-unes d'entre nous d'y pénétrer par surprise deux ou trois fois.

Je n'ai pas parlé o de l'église et du cimetière, les seuls endroits vraiment remarquables p du couvent; j'en parlerai en temps et lieu; je trouve que ma description générale est déjà beaucoup trop longue.

Pour la résumer, je dirai que, tant religieuses que sœurs {CL 89} converses, pensionnaires, locataires, maîtresses séculières et servantes, nous étions environ cent vingt ou cent trente personnes, logées de la manière la plus bizarre et la plus incommode, les unes trop accumulées sur certains points, les autres trop disséminées sur un espace où dix familles q eussent vécu fort à l'aise, en cultivant même un peu de terre pour leur agrément. Tout était si éparpillé, qu'on perdait un quart de la journée à aller et venir. Je n'ai pas parlé non plus d'un vaste laboratoire où l'on distillait de l'eau de menthe; de la chambre des cloîtres, où l'on prenait certaines leçons et qui avait servi de prison à ma mère et à ma tante; de la cour aux poules qui infectait la petite classe; de l'arrière-classe où l'on déjeunait; des caves et souterrains dont j'aurai beaucoup à raconter; enfin de l'avant-classe, du réfectoire et du chapitre, car je n'aurais jamais fini de faire comprendre, par toutes ces distributions, combien peu les religieuses entendent r l'ordonnance logique et les véritables aises de l'habitation.

Mais, en revanche, les cellules des nonnes étaient d'une propreté charmante et remplies de tous ces brimborions qu'une dévotion mignarde découpe, encadre, enlumine et enrubanne patiemment. Dans tous les coins, la vigne et le jasmin cachaient la vétusté des murailles. {Lub 874} Les coqs chantaient à minuit comme en pleine campagne, la cloche avait un joli son argentin comme une voix féminine; dans tous les passages, une niche gracieusement découpée dans la muraille s'ouvrait pour vous montrer une madone grassette et maniérée du dix-septième siècle; dans l'ouvroir, de belles gravures anglaises vous représentaient la chevaleresque figure de Charles Ier à tous les âges de sa vie et tous les membres de la royale famille papiste. Enfin, jusqu'à la petite lampe qui tremblotait, la nuit, dans le cloître et aux lourdes portes qui, chaque soir, se fermaient à l'entrée des corridors avec un bruit solennel et un grincement de {CL 90} verrous lugubre, tout avait un certain charme de poésie mystique auquel tôt ou tard je devais être fort sensible.

Maintenant je raconte. Mon premier mouvement en entrant dans la petite classe fut pénible. Nous y étions entassées une trentaine dans une salle sans étendue et sans élévation suffisantes. Les murs revêtus d'un vilain papier jaune d'œuf, le plafond sale et dégradé, des bancs, des tables et des tabourets malpropres, un vilain poêle qui fumait, une odeur de poulailler mêlée à celle du charbon, un vilain crucifix de plâtre, un plancher tout brisé, c'était là que nous devions passer les deux grands tiers de la journée, les trois quarts en hiver, et nous étions en hiver précisément.

Je ne trouve rien de plus maussade que cette coutume des maisons d'éducation de faire de la salle des études l'endroit le plus triste et le plus navrant; sous prétexte que les enfants gâteraient les meubles et dégraderaient les ornements, on {Presse 25/3/1855 2} ôte de leur vue tout ce qui serait un stimulant à la pensée ou un charme pour l'imagination. On prétend que les gravures et les enjolivements, même les dessins d'un papier sur la muraille, leur donneraient des distractions. Pourquoi orne-t-on de tableaux et de statues les églises et les oratoires, si ce n'est pour élever l'âme et la ranimer dans ses langueurs par le spectacle d'objets vénérés? Les enfants, dit-on, ont des habitudes de malpropreté ou de maladresse. Ils jettent l'encre partout, ils aiment à détruire. Ces goûts et ces habitudes ne leur viennent pourtant pas de la maison paternelle, où on leur apprend à respecter ce qui est beau ou utile et où, dès qu'ils ont l'âge de raison, ils ne pensent point {Lub 875} à commettre tous ces dégâts qui n'ont tant d'attraits pour eux, dans les pensions et dans les colléges, que parce que c'est une sorte de vengeance contre la négligence ou la parcimonie dont ils sont l'objet. Mieux vous les logeriez, plus ils seraient soigneux. {CL 91} Ils regarderaient à deux fois avant de salir un tapis ou de briser un cadre. Ces vilaines murailles nues où vous les enfermez leur deviennent bientôt un objet d'horreur, et ils les renverseraient s'ils le pouvaient. Vous voulez qu'ils travaillent comme des machines, que leur esprit, détaché de toute préoccupation, fonctionne à l'heure et soit inaccessible à tout ce qui fait la vie et le renouvellement de la vie intellectuelle. C'est faux et impossible. L'enfant qui étudie a déjà tous les besoins de l'artiste qui crée. Il faut qu'il respire un air pur, qu'il ait un peu les aises de son corps, qu'il soit frappé par les images extérieures et qu'il renouvelle à son gré la nature de ses pensées par l'appréciation de la couleur et de la forme. La nature lui est un spectacle continuel. En l'enfermant dans une chambre nue, malsaine et triste, vous étouffez son cœur et son esprit aussi bien que son corps. Je voudrais que tout fût riant dès le berceau autour de l'enfant des villes. Celui des campagnes a le ciel et les arbres, les plantes et le soleil. L'autre s'étiole trop souvent, au moral et au physique, dans la saleté chez le pauvre, dans le mauvais goût chez le riche s, dans l'absence du goût chez la classe moyenne.

Pourquoi les italiens naissent-ils en quelque sorte avec le sentiment du beau? Pourquoi un maçon de Vérone, un petit marchand de Venise, un paysan de la campagne de Rome aiment-ils à contempler les beaux monuments? Pourquoi comprennent-ils les beaux tableaux, la bonne musique, tandis que nos prolétaires, plus intelligents sous d'autres rapports, et nos bourgeois, élevés avec plus de soin, aiment le faux, le vulgaire, le laid même dans les arts, si une éducation spéciale ne vient redresser leur instinct? C'est que nous vivons dans le laid et dans le vulgaire; c'est que nos parents n'ont pas de goût et que nous passons le mauvais goût traditionnel à nos enfants.

Entourer t l'enfance d'objets agréables et nobles en même {CL 92} temps qu'instructifs ne serait qu'un détail. Il faudrait, avant tout, ne la confier qu'à des êtres distingués {Lub 876} soit par le cœur, soit par l'esprit. Je ne conçois donc pas que nos religieuses si belles, si bonnes et douées de si nobles u ou si suaves manières, eussent mis à la tête de la petite classe une personne d'une tournure, d'une figure et d'une tenue repoussantes, avec un langage et un caractère à l'avenant. Grasse, sale, voûtée, bigote, bornée, irascible, dure jusqu'à la cruauté, sournoise, vindicative, elle fut, dès la première vue, un objet de dégoût moral et physique pour moi, comme elle l'était déjà pour toutes mes compagnes.

Il est des natures antipathiques qui ressentent l'aversion qu'elles inspirent et qui ne peuvent jamais faire le bien, en eussent-elles envie, parce qu'elles éloignent les autres de la bonne voie, rien qu'en les prêchant, et qu'elles sont réduites à faire leur propre salut isolément, ce qui est la chose la plus stérile et la moins pieuse du monde. Mademoiselle D*** était de ces natures-là. Je serais injuste envers elle si je ne disais pas le pour et le contre. Elle était sincère dans sa dévotion et rigide pour elle-même; elle y portait une exaltation farouche qui la rendait intolérante et détestable, mais qui eût été v une sorte de grandeur, si elle eût vécu au désert comme les anachorètes, dont elle avait la foi. Dans ses rapports avec nous, son austérité devenait w féroce; elle avait de la joie à punir, de la volupté à gronder, et, dans sa bouche, gronder c'était insulter et outrager. Elle mettait de la perfidie dans ses rigueurs et feignait de sortir (ce qu'elle n'aurait jamais dû faire tant qu'elle tenait la classe) pour écouter aux portes le mal que nous disions d'elle et nous surprendre avec délices en flagrant délit de sincérité. Puis elle nous punissait de la manière la plus bête et la plus humiliante. Elle nous faisait, entre autres platitudes, baiser la terre pour {CL 93} ce qu'elle appelait nos mauvaises paroles. Cela faisait partie de la discipline du couvent; mais les religieuses se contentaient du simulacre et feignaient de ne pas voir que nous baisions notre main en nous baissant vers le carreau, tandis que mademoiselle D*** nous poussait la figure dans la poussière et nous l'eût brisée si nous eussions résisté.

Il était facile de voir que sa personnalité dominait sa rigidité et qu'elle ressentait une sorte de rage d'être haïe. Il y avait dans la classe une pauvre petite anglaise de cinq à six ans, pâle, délicate, maladive, un véritable {Lub 877} chacrot, comme nous disons en Berry pour désigner le plus maigre et le plus fragile oisillon de la couvée. Elle s'appelait Mary Eyre, et mademoiselle D*** faisait son possible pour s'intéresser à elle et peut-être même pour l'aimer maternellement. Mais cela était si peu dans sa nature hommasse et brutale qu'elle n'en pouvait venir à bout. Si elle la réprimandait, elle la frappait de terreur ou l'irritait au point qu'elle était forcée ensuite, pour ne pas céder, de l'enfermer ou de la battre. Si elle s'humanisait jusqu'à plaisanter et vouloir jouer avec elle, c'était comme un ours ferait avec une sauterelle. La petite enrageait et criait toujours, soit par espièglerie mutine, soit par colère et désespoir. Du matin au soir c'était une lutte agaçante, insupportable à voir et à entendre, entre cette vilaine grosse femme et ce maussade x et malheureux petit enfant, et tout cela sans préjudice des emportements et des rigueurs dont nous étions toutes l'objet tour à tour.

J'avais désiré entrer à la petite classe y, par un sentiment de modestie assez ordinaire chez les enfants dont les parents sont trop vains; mais je me sentis bientôt humiliée et navrée d'être sous la férule de ce vieux père fouetteur en cotillons sales. Elle se levait de mauvaise humeur, elle se couchait de même. Je ne fus pas trois jours sous ses yeux {CL 94} sans qu'elle me prît en grippe et sans qu'elle me fît comprendre que j'allais avoir à faire à une nature aussi violente que celle de Rose, moins la franchise, l'affection et la bonté du cœur. Au premier regard attentif dont elle m'honora: « Vous me paraissez une personne fort dissipée, » me dit-elle et, dès ce moment, je fus classée parmi ses pires antipathies: car la gaieté lui faisait mal, le rire de l'enfance lui faisait grincer les dents, la santé, la bonne humeur, la jeunesse, en un mot, étaient des crimes à ses yeux.

Nos heures de soulagement et d'expansion étaient celles où une religieuse tenait la classe à sa place, mais cela durait une heure z ou deux au plus dans la journée.

C'était un tort, de aa la part de nos religieuses, de s'occuper si peu de nous directement. Nous les aimions; elles avaient toutes de la distinction, du charme ou de la solennité, quelque chose de doux ou de grave, ne fût-ce que l'extérieur et le costume, qui nous calmait comme par enchantement. Leur claustration, leur renoncement {Lub 878} au monde et à la famille avaient ce seul côté utile à la société, qu'elles pouvaient se consacrer à former nos cœurs et nos esprits, et cette tâche leur eût été facile si elles s'en fussent occupées exclusivement; mais elles prétendaient n'en avoir pas le temps, et elles ne l'avaient pas, en effet, à cause des longues heures qu'elles donnaient aux offices et aux prières. Voilà le mauvais côté des couvents de filles. On y emploie ce qu'on appelle des maîtresses séculières, sorte de pions femelles qui font les bons apôtres devant les religieuses et qui abrutissent ou exaspèrent les enfants. Nos religieuses eussent mieux mérité de Dieu, de nos parents et de nous, si elles eussent sacrifié à notre bonheur, et, pour parler leur style, à notre salut, une partie du temps qu'elles consacraient avec égoïsme à travailler au leur.

La religieuse ab qui relevait de temps en temps ces dames était la mère Alippe: c'était une petite nonne ronde et {CL 95} rosée comme une pomme d'api trop mûre qui commence à se rider. Elle n'était point tendre; mais elle était juste, et, quoiqu'elle ne me traitât pas fort bien, je l'aimais comme faisaient les autres.

Chargée de notre instruction religieuse, elle m'interrogea le premier jour sur le lieu où languissaient les âmes des enfants morts sans baptême. Je n'en savais rien du tout; je ne me doutais pas qu'il y eût un lieu d'exil ou de châtiment pour ces pauvres petites créatures, et je répondis hardiment qu'elles allaient dans le sein de Dieu. « À quoi songez-vous et que dites-vous là, malheureuse enfant? S'écria la mère Alippe. Vous ne m'avez pas entendue. Je vous demande où vont les âmes des enfants morts sans baptême. »

Je restai court. Une de mes compagnes prenant mon ignorance en pitié, me souffla à demi-voix: Dans les limbes! Comme elle était anglaise, son accent m'embrouilla et je crus qu'elle me faisait une mauvaise plaisanterie. Dans l'Olympe? lui dis-je tout haut en me retournant et en éclatant de rire. For shame*! s'écria la mère Alippe, vous riez pendant le catéchisme? — Pardon, mère Alippe, lui répondis-je, je ne l'ai pas fait exprès. »

* Ô honte! C'est ac notre fi!

Comme j'étais de bonne foi, elle s'apaisa. « Eh bien, {Lub 879} dit-elle, puisque c'est malgré vous, vous ne baiserez pas la terre, mais faites le signe de la croix pour vous remettre et vous recueillir. »

Malheureusement je ne savais pas faire le signe de la croix. C'était la faute de Rose, qui m'avait appris à toucher l'épaule droite avant l'épaule gauche, et jamais mon vieux curé n'y avait pris garde. À la vue de cette énormité, la mère Alippe fronça le sourcil: « Est-ce que vous le faites exprès, miss? — Hélas! Non, madame. Quoi donc? {CL 96} — Recommencez-moi ce signe de croix. — Voilà, ma mère! — Encore! — Je le veux bien. Après? — Et c'est ainsi que vous faites toujours? — Mon Dieu oui. — Mon Dieu! vous avez dit mon Dieu! Vous jurez! — Je ne crois pas. — Ah! Malheureuse, d'où sortez-vous? C'est une païenne, une véritable païenne, en vérité! Elle dit que les âmes vont dans l'Olympe; elle fait le signe de la croix de droite à gauche, et elle dit mon Dieu hors de la prière! Allons, vous apprendrez le catéchisme avec Mary Eyre. Encore en sait-elle plus long que vous! »

Je ne fus pas très-humiliée, je l'avoue; je me mordis les lèvres et me pinçai le nez pour ne pas rire; mais la religion du couvent me parut une si niaise et si ridicule affaire que je résolus d'en prendre à mon aise et surtout de ne la jamais prendre au sérieux.

Je me trompais. Mon jour devait venir, mais il ne vint pas tant que je fus à la petite classe. J'étais là dans un milieu tout à fait impropre au recueillement, et certes je ne fusse jamais devenue pieuse si j'étais restée sous le joug odieux de mademoiselle D*** et sous la férule un peu pédante de la bonne mère Alippe ad.

{Presse 26/3/1855 1} Je n'avais pas de parti pris en entrant au couvent. J'étais plutôt portée à la docilité qu'à la révolte. On a vu que j'y arrivais sans humeur et sans chagrin; je ne demandais pas mieux que de m'y soumettre à la discipline générale. Mais quand je vis cette discipline si bête à mille égards et si méchamment prescrite par la D***, je mis mon bonnet sur l'oreille et je m'enrégimentai résolûment dans le camp des diables.

On appelait ainsi celles qui n'étaient pas et ne voulaient pas être dévotes. Ces dernières étaient appelées les sages. Il y avait une variété intermédiaire qu'on appelait les bêtes, et qui ne prenaient parti pour personne, riant {Lub 880} à gorge déployée des espiègleries des diables, baissant les yeux et se {CL 97} taisant aussitôt que paraissaient les maîtresses ou les sages, et ne manquant jamais de dire aussitôt qu'il y avait danger: Ce n'est pas moi!

Au Ce n'est pas moi des bêtes égoïstes, quelques-unes complétement lâches prirent bientôt l'habitude d'ajouter: « C'est Dupin ou Gillibrand. »

Dupin, c'était moi; Gillibrand, c'était autre chose: c'était la figure la plus saillante de la petite classe et la plus excentrique de tout le couvent ae.

C'était une Irlandaise af de onze ans, ag beaucoup plus grande et plus forte que moi qui en avais treize. Sa voix pleine, sa figure franche et hardie, son caractère indépendant et indomptable lui avaient fait donner le surnom de garçon; ah et quoique ce fût bien une femme, qui a été belle depuis, elle n'était pas de notre sexe par le caractère ai. C'était la fierté et la sincérité mêmes, une belle nature en vérité, une force physique tout à fait virile, un courage plus que viril, une intelligence rare, une complète absence de coquetterie, une activité exubérante, un profond mépris pour tout ce qui est faux et lâche dans la société. Elle avait aj beaucoup de frères et de sœurs, dont deux au couvent, l'une desquelles (Marcella), personne excellente, est restée fille, et l'autre (Henriette), aimable enfant alors, est devenue madame Vivien.

Mary Gillibrand (le garçon) était sortie pour cause d'indisposition lorsque j'entrai au couvent. On m'en fit un portrait effroyable. Elle était la terreur des bêtes, et naturellement les bêtes étaient venues à moi pour commencer. Les sages m'avaient tâtée, et comme elles craignaient le bruit et la pétulance de Mary, elles tâchèrent de me mettre en garde contre elle. J'avoue qu'au portrait qu'on m'en fit, j'eus peur aussi. Il y avait des futées qui disaient d'un air mystérieux et qui croyaient fermement que c'était un garçon dont ses parents voulaient absolument {CL 98} faire une fille. Elle cassait tout, elle tourmentait tout le monde, elle était plus forte que le jardinier; elle ne permettait pas aux laborieuses de travailler; c'était un fléau, une peste. Malheur à qui oserait lui tenir tête! « Nous verrons bien, disais-je, je suis forte aussi, je ne suis pas poltronne, et j'aime bien qu'on me laisse dire et penser à ma guise. » Pourtant {Lub 881} je l'attendais avec une sorte d'anxiété. Je n'aurais pas voulu me sentir une ennemie, une antipathie même, parmi mes compagnes. C'était bien assez de la D***, l'ennemie commune.

Mary arriva ak, et dès le premier regard sa figure sincère me fut sympathique. « C'est bon, me dis-je, nous nous entendrons de reste. » Mais c'était à elle, comme plus ancienne, à me faire les avances. Je l'attendis fort tranquillement.

Elle débuta par des railleries: « Mademoiselle s'appelle Du Pain? some bread? elle s'appelle Aurore? rising-sun? lever du soleil? Les jolis noms! Et la belle figure! Elle a la tête d'un cheval sur le dos d'une poule. Lever du soleil, je me prosterne devant vous; je veux être le tournesol qui saluera vos premiers rayons. Il paraît que nous prenons les limbes pour l'Plympe; jolie éducation, ma foi, et qui nous promet de l'amusement! »

Toute la classe partit d'un immense éclat de rire. Les al bêtes surtout riaient à se décrocher la mâchoire. Les sages étaient bien aises de voir aux prises deux diables dont elles craignaient l'association.

Je me mis à rire d'aussi bon cœur que les autres. Mary vit du premier coup d'œil que je n'avais pas de dépit parce que je n'avais pas de vanité. Elle continua de me railler, mais sans aigreur, et, une heure après, elle me donna sur l'épaule une tape à tuer un bœuf, que je lui rendis sans sourciller et en riant. « C'est bon, cela! dit-elle en se frottant l'épaule. Allons nous promener. — Où? — Partout, excepté dans la classe. {CL 99} — Comment faire? — C'est bien malin! Regardez-moi et faites de même. »

On se levait pour changer de table, la mère Alippe entrait avec ses livres et ses cahiers. Mary profite du remue-ménage, et, sans prendre la moindre précaution, sans être observée cependant de personne, franchit la porte et va s'asseoir dans le cloître désert, où, trois minutes après, je vais la rejoindre sans plus de cérémonie.

« Te voilà? me dit-elle, qu'as-tu inventé pour sortir?

— Rien du tout, j'ai fait ce que je t'ai vue faire.

— C'est très-bien, cela! dit-elle. Il y en a qui font des histoires, qui demandent à aller étudier le piano, ou qui ont un saignement de nez, ou qui prétendent qu'elles vont faire une prière de santé dans l'église; ce sont des {Lub 882} prétextes usés et des mensonges inutiles. Moi, j'ai supprimé le mensonge, parce que le mensonge est lâche. Je sors, je rentre, on me questionne, je ne réponds pas. On me punit, je m'en moque, et je fais tout ce que je veux.

— Cela me va.

— Tu es donc diable?

— Je veux l'être.

— Autant que moi?

— Ni plus ni moins.

— Accepté! Fit-elle en me donnant une poignée de main. Rentrons maintenant et tenons-nous tranquilles devant la mère Alippe. C'est une bonne femme; réservons-nous pour la D***. Tous les soirs, hors de classe, entends-tu?

— Qu'est-ce que cela, hors de classe?

— Les récréations du soir dans la classe, sous les yeux de la D***, sont fort ennuyeuses. Nous, nous disparaissons en sortant du réfectoire, et nous ne rentrons plus que pour la prière. Quelquefois la D***, n'y prend pas garde; le plus souvent, elle en est enchantée, parce qu'elle a le plaisir de nous injurier et de nous punir quand nous rentrons. {CL 100} La punition c'est d'avoir son bonnet de nuit tout le lendemain sur la tête, même à l'église. Dans ce temps-ci, c'est fort agréable et bon pour la santé. Les religieuses qui vous rencontrent ainsi font des signes de croix et crient: Shame! Shame!* cela ne fait de mal à personne. Quand on a eu beaucoup de bonnets de nuit dans la quinzaine, la supérieure vous menace de vous priver de sortir am. Elle se laisse fléchir par les parents ou elle oublie. Quand le bonnet de nuit est un état chronique, elle se décide à vous tenir renfermée; mais qu'est-ce que cela fait? Ne vaut-il pas mieux renoncer à un jour de plaisir que de s'ennuyer volontairement tous les jours de sa vie?

* Honte! honte!

— C'est fort bien raisonné; mais la D***, que fait-elle quand elle vous déteste à l'excès?

— Elle vous injurie comme une poissarde qu'elle est. On ne lui répond rien, elle enrage d'autant plus.

— Vous frappe-t-elle?

— Elle en meurt d'envie, mais elle n'a pas de prétexte pour en venir là, parce que les unes tremblent devant {Lub 883} elle, comme les sages et les bêtes, et, les autres, comme nous, la méprisent et se taisent.

— Combien sommes-nous de diables dans la classe?

— Pas beaucoup dans ce moment-ci, et il était temps que tu vinsses pour nous renforcer un peu. Il y a Isabelle, Sophie an et nous deux. Toutes les autres sont des bêtes ou des sages. Dans les sages, il y a Louise de La Rochejaquelein et Valentine de Gouy, qui ont autant d'esprit que des diables et qui sont bonnes, mais pas assez hardies pour planter là la classe. Mais sois tranquille, il y en a de la grande classe qui sortent de même et qui viendront nous rejoindre ce soir. Ma sœur Marcella en est quelquefois.

— Et alors que fait-on?

{CL 101} — Tu verras, tu seras initiée ce soir. »

J'attendis la nuit et le souper avec grande impatience. Au sortir du réfectoire on entrait en récréation. Dans l'été les deux classes se mêlaient dans le jardin. Dans l'hiver (et nous étions en hiver) chaque classe rentrait chez elle, les grandes dans leur belle et spacieuse salle d'études, nous dans notre triste local, où nous n'avions pas assez d'espace pour jouer, et où la D*** nous forçait à nous amuser tranquillement, c'est-à-dire à ne pas nous amuser du tout. La sortie du réfectoire amenait un moment de confusion, et j'admirai combien les diables des deux classes s'entendaient à faire naître ce petit désordre, à la faveur duquel on s'échappait aisément. Le cloître n'était éclairé que par une petite lampe qui laissait les trois autres galeries dans une quasi-obscurité. Au lieu de marcher tout droit pour gagner la petite classe, on se jetait dans la galerie de gauche, on laissait défiler le troupeau, et on était libre.

Je me trouvai donc dans les ténèbres avec mon amie Gillibrand et les autres diables qu'elle m'avait annoncées. Je ne me rappelle de celles qui furent des nôtres ce soir-là que Sophie et Isabelle, c'étaient les plus grandes de la petite classe. Elles avaient deux ou trois ans de plus que moi, c'étaient deux charmantes filles. Isabelle, blonde, grande, fraîche, plus agréable que jolie, du caractère le plus enjoué, railleuse quoique bonne, remarquable et remarquée surtout pour le talent, la facilité et l'abondance de son crayon. Elle était assurément douée d'un certain génie pour le dessin. J'ignore ce qu'est devenu {Lub 884} ce don naturel; mais il eût pu lui faire un nom et une fortune s'il eût été développé. Elle avait ce que n'avait aucune de nous, ce que n'ont pas ordinairement les femmes, ce qu'on ne nous enseignait pas du tout, quoique nous eussions un maître de dessin: elle savait véritablement dessiner. Elle pouvait composer heureusement un sujet compliqué, elle créait en un clin d'œil, et sans paraître {CL 102} y songer, des masses de personnages tous vrais de mouvement, tous comiques avec une certaine grâce, tous groupés avec une sorte de mæstria. Elle ne manquait pas d'esprit, mais le dessin, la caricature, la composition folle servaient principalement de manifestation ao à cet esprit à la fois méditatif et spontané, romanesque, fantasque, satirique et enthousiaste. Elle prenait un morceau de papier, et, avec sa plume éclaboussante ou un mauvais bout de fusain que l'œil avait peine à suivre, elle jetait là des centaines de figures bien agencées, hardiment dessinées et toutes bien employées dans le sujet, qui était toujours original, souvent bizarre. C'étaient des processions de nonnes qui traversaient un cloître gothique ou un cimetière au clair de la lune. Les tombes {Presse 26/3/1855 2} se soulevaient à leur approche, les morts dans leurs suaires commençaient à s'agiter. Ils sortaient, ils se mettaient à chanter, à jouer de divers instruments, à prendre les nonnes par les mains, à les faire danser. Les nonnes avaient peur, les unes se sauvaient en criant, les autres s'enhardissaient, entraient en danse, laissant tomber leurs voiles, leurs manteaux, et s'en allaient se perdre en tournoyant et en cabriolant avec les spectres dans la nuit brumeuse.

D'autres fois c'étaient de fausses religieuses, qui avaient des pieds de chèvre ou des bottes Louis XIII avec d'énormes éperons se trahissant sous leurs robes traînantes par un mouvement imprévu. Le romantisme n'était pas encore découvert, et déjà elle y nageait en plein sans savoir ce qu'elle faisait. Sa vive imagination lui avait fourni cent sujets de danses macabres, quoiqu'elle n'en eût jamais entendu parler et qu'elle n'en connût pas le nom. La mort et le diable jouaient tous les rôles, tous les personnages possibles dans ses compositions terribles et burlesques. Et puis c'étaient des scènes d'intérieur, des caricatures frappantes de toutes les religieuses, de toutes les pensionnaires, des servantes, {CL 103; Lub 885} des maîtres d'agrément, des professeurs, des visiteurs, des prêtres, etc. Elle était le chroniqueur fidèle et éternellement fécond de tous les petits événements, de toutes les mystifications, de toutes lespaniques, de toutes les batailles, de tous les amusements et de tous les ennuis de notre vie monastique. Le drame incessant de mademoiselle D*** avec Mary Eyre lui fournissait chaque jour vingt pages plus vraies, plus piteuses, plus drôles les unes que les autres. Enfin on ne pouvait pas plus se lasser de la voir inventer qu'elle ne se lassait d'inventer elle-même. Comme elle créait ainsi à la dérobée, à toute heure, pendant les leçons, sous l'œil même de nos argus, elle n'avait ap souvent que le temps de déchirer la page, de la rouler dans ses mains et de la jeter par la fenêtre ou dans le feu, pour échapper à une saisie qui eût amené de vives réprimandes ou de sévères punitions. Combien le poêle de la petite classe n'a-t-il pas dévoré de ses chefs-d'œuvre inconnus! Je ne sais si l'imagination rétrospective ne m'en exagère pas le mérite, mais il me semble que toutes ces créations sacrifiées aussitôt que produites sont fort regrettables, et qu'elles eussent surpris et intéressé un véritable maître.

Sophie était l'amie de cœur d'Isabelle. C'était une des plus jolies, et la plus gracieuse personne du couvent. Sa taille souple, fine et arrondie en même temps, avait des poses d'une langueur britannique, moins la gaucherie habituelle à ces insulaires. Elle avait le cou rond, fort et allongé, avec une petite ête dont les mouvements onduleux étaient pleins de charmes: les plus beaux yeux du monde, le front droit, court et obstiné, inondé d'une forêt de cheveux bruns et brillants; son nez était vilain et ne réussissait pas à gâter sa figure ravissante d'ailleurs. Elle avait une bouche, chose assez rare chez les Anglaises, une bouche de rose bien littéralement remplie de petites perles, une fraîcheur admirable, la peau veloutée, très-blanche pour {CL 104} une peau brune. Enfin on l'appelait le bijou. Elle était bonne et sentimentale, exaltée dans ses amitiés, implacable dans ses aversions, mais ne les manifestant que par un muet et invincible dédain. Elle était adorée d'un grand nombre et ne daignait aimer que peu d'élues. Je me pris pour elle et pour Isabelle d'une grande tendresse qui me fut rendue avec plus de protection que d'élan. C'était dans l'ordre. J'étais un enfant pour elles.

{Lub 886} Quand nous fûmes réunies dans le cloître, je vis que toutes étaient armées, qui d'une bûche, qui d'une pincette. Je n'avais rien, j'eus l'audace de rentrer dans la classe, de m'emparer d'une barre de fer qui servait à attiser le poêle et de retourner auprès de mes complices sans être remarquée.

Alors on m'initia au grand secret, et nous partîmes pour notre expédition.

Ce grand secret, c'était la légende traditionnelle du couvent, une rêverie qui se transmettait d'âge en âge et de diable en diable depuis deux siècles peut-être; une fiction romanesque qui pouvait bien avoir eu quelque fond de réalité dans le principe, mais qui ne reposait certainement plus que sur le besoin de nos imaginations. Il s'agissait de délivrer la victime. Il y avait quelque part une prisonnière, on disait même plusieurs prisonnières, enfermées dans un réduit impénétrable, soit cellule cachée et murée dans l'épaisseur des murailles, soit cachot situé sous les voûtes des immenses souterrains qui s'étendaient sous le monastère et sous une grande partie du quartier Saint-Victor. Il y avait, en réalité, des caves magnifiques, une véritable ville souterraine dont nous n'avons jamais vu la fin, et qui offrait plusieurs sorties mystérieuses sur divers points du vaste emplacement du couvent. On assurait que ces caves allaient, très-loin de là, se relier aux excavations qui se prolongent sous une grande moitié de Paris et sous {CL 105} les campagnes environnantes jusque vers Vincennes. On disait qu'en suivant les belles caves de notre couvent on pouvait aller rejoindre les catacombes, les carrières, le palais des Thermes de Julien aq, que sais-je? Ces souterrains étaient la clef d'un monde de ténèbres, de terreurs, de mystères, un immense abîme creusé sous nos pieds, fermé de portes de fer, et dont l'exploration était aussi périlleuse que la descente ar aux enfers d'énée ou du Dante. C'est pour cela qu'il fallait absolument y pénétrer en dépit des difficultés insurmontables de l'entreprise et des punitions terribles qu'eût provoquées la découverte de notre secret.

Parvenir dans les souterrains, c'était une de ces fortunes inespérées qui arrivaient une fois, deux fois au plus dans la vie d'un diable après des années de persévérance et de contention d'esprit. Y entrer par la porte {Lub 887} principale, il n'y fallait pas songer as. Cette porte était située au bas d'un large escalier, à côté des cuisines, qui étaient des caves aussi, et où se tenaient toujours les sœurs converses at.

Mais nous étions persuadées qu'on pouvait entrer dans les souterrains par mille autres endroits, fût-ce par les toits. Selon nous, toute porte condamnée, tout ecoin obscur sous un escalier, toute muraille qui sonnait le creux, pouvait être en communication mystérieuse avec les souterrains et nous cherchions de bonne foi cette communication jusque sous les combles.

J'avais lu avec délices, avec terreur, à Nohant, le Château des Pyrénées de madame Radcliffe. Mes compagnes avaient dans la cervelle bien d'autres légendes écossaises et irlandaises à faire dresser les cheveux sur la tête. Le couvent avait aussi à foison ses histoires de drames lamentables, de revenants, de cachettes, d'apparitions inexpliquées, de bruits mystérieux. Tout cela, et l'idée de découvrir enfin le formidable secret de la victime, allumait {CL 106} tellement nos folles imaginations, que nous nous persuadions entendre des soupirs, des gémissements partir de dessous les pavés ou s'exhaler par les fissures des portes et des murs.

Nous voilà donc lancées, mes compagnes pour la centième fois, moi pour la première, à la recherche de cette introuvable captive qui languissait on ne savait où, mais quelque part certainement, et que nous étions peut-être appelées à découvrir. Elle devait être bien vieille depuis tant d'années qu'on la cherchait en vain! Elle pouvait au bien avoir deux cents ans, mais nous n'y regardions pas de si près. Nous la cherchions, nous l'appelions, nous y pensions sans cesse, nous ne désespérions jamais.

Ce soir-là on me conduisit dans la partie des bâtiments que j'ai déjà esquissée, la plus ancienne, la plus disloquée, la plus excitante pour nos explorations. Nous nous attachâmes à un petit couloir bordé d'une rampe en bois et donnant sur une cage vide et sans issue connue. Un escalier, également bordé d'une rampe, descendait à cette région ignorée; mais une porte en chêne défendait l'entrée de l'escalier. Il fallait tourner l'obstacle en passant d'une rampe à 'autre, et en marchant sur la face extérieure des balustres vermoulus. Au-dessous av il y avait {Lub 888} un vide sombre dont nous ne pouvions apprécier la profondeur. Nous n'avions qu'une petite bougie roulée (un rat), qui n'éclairait que les premières marches de l'escalier mystérieux. C'était un jeu à nous casser le cou. Isabelle y passa la première avec la résolution d'une héroïne, Mary avec la tranquillité d'un professeur de gymnastique, les autres avec plus ou moins d'adresse, mais toutes avec bonheur.

Nous voici enfin sur cet escalier si bien défendu. En un instant nous sommes au bas des degrés, et, avec plus de joie que de désappointement, nous nous trouvons dans un espace carré situé sous la galerie, une véritable impasse. {CL 107} Pas de porte, pas de fenêtre, pas de destination explicable à cette sorte de vestibule sans issue. Pourquoi donc un escalier pour descendre dans une impasse? Pourquoi une porte solide et cadenassée pour en fermer l'escalier?

On divise en plusieurs bouts la petite bougie, et chacune examine de son côté. L'escalier est en bois. Il faut qu'une marche à secret ouvre un passage aw, un escalier nouveau, ou une trappe cachée. Tandis que les unes explorent l'escalier et s'essayent à en disjoindre les vieux ais, les autres tâtent le mur, y cherchent un bouton, une fente, un anneau, un de ces mille engins qui, dans les romans de Radcliffe et dans les chroniques des vieux manoirs, font mouvoir une pierre, tourner un pan de boiserie, ouvrir une entrée quelconque ax vers des régions inconnues.

Mais, hélas, rien! Le mur est lisse et crépi en plâtre. Le carreau rend un son mat, aucune dalle ne se soulève, l'escalier ne recèle aucun secret. Isabelle ne se décourage pas. Au plus profond de l'angle qui rentre sous l'escalier, elle déclare que la muraille sonne le creux, on frappe, on vérifie le fait. « C'est là, s'écrie-t-on. Il y a là un passage muré, mais ce passage est celui de la fameuse cachette. Par là on descend au sépulcre qui renferme des victimes vivantes. » On colle l'oreille à ce mur, on n'entend rien, mais Isabelle affirme qu'elle entend des plaintes confuses, des grincements de chaînes. Que faire? « C'est tout simple, dit Mary, il faut démolir le mur. À nous toutes, nous pourrons bien y faire un trou. »

Rien ne nous paraissait plus facile; nous voilà travaillant ce mur, les unes essayant de l'enfoncer avec {Lub 889} leurs bûches, les autres l'écorchant avec les pelles et les pincettes, sans penser qu'à tourmenter ainsi ces pauvres murailles tremblantes nous risquions ay de faire écrouler le bâtiment sur nos têtes. Nous ne pouvions heureusement lui faire {CL 108} grand mal, parce que nous ne pouvions pas frapper sans attirer quelqu'un par le bruit retentissant des coups de bûche. Il fallait nous contenter de pousser et de gratter. Cependant nous avions réussi à entamer assez notablement le plâtre, la chaux et les pierres, quand l'heure de la prière vint à sonner. Nous n'avions que le temps de recommencer notre périlleuse escalade, d'éteindre nos lumières, de nous séparer et de regagner les classes à tâtons. Nous remîmes au lendemain la poursuite de l'entreprise, et rendez-vous fut pris au même lieu. Celles qui y arriveraient les premières n'attendraient pas celles qu'une punition ou une surveillance inusitée retarderait. On travaillerait à creuser le mur, chacune de son mieux. Ce serait autant de fait pour le jour suivant. Il n'y avait pas de risque qu'on s'en aperçût, personne ne descendant jamais dans cette impasse abandonnée aux souris et aux araignées.

{Presse 30/3/1855 1} Nous nous aidâmes les unes les autres à faire disparaître la poussière et le plâtre dont nous étions couvertes, nous regagnâmes le cloître et nous rentrâmes dans nos classes respectives comme on se mettait à genoux pour la prière. Je ne me souviens plus si nous fûmes remarquées et punies ce soir-là. Nous le fûmes si souvent, qu'aucun fait de ce genre ne prend une date particulière dans le nombre. Mais bien souvent aussi nous pûmes poursuivre impunément notre œuvre. Mademoiselle D*** tricotait, le soir, tout en babillant et se querellant avec Mary Eyre. La classe était sombre, et je crois qu'elle n'avait pas la vue bonne. Tant il y a, qu'avec la rage de l'espionnage, elle n'avait pas le don de la clairvoyance, et qu'il nous était toujours facile de nous échapper. Une fois que nous étions hors de classe, où nous prendre dans ce village qu'on appelait le couvent? Mademoiselle D*** n'avait pas d'intérêt à faire un esclandre et à signaler nos fréquentes escapades à la communauté. On lui eût reproché de ne savoir pas {CL 109} empêcher ce dont elle se plaignait. Nous étions parfaitement indifférentes au bonnet de nuit et aux déclamations furibondes de l'aimable personne. La supérieure, qui {Lub 890} était politiquement indulgente, ne se laissait pas aisément persuader de nous priver de sorties. Elle seule avait le droit de prononcer cet arrêt suprême. La discipline était donc fort peu rigoureuse, en dépit du méchant caractère de la surveillante.

La poursuite du grand secret, la recherche de la cachette dura tout l'hiver que je passai à la petite classe. Le mur de l'impasse fut notablement dégradé, mais nous n'arrivâmes qu'à des traverses de bois devant lesquelles il fallut s'arrêter. On chercha ailleurs, on fouilla dans vingt endroits différents, toujours sans obtenir le moindre succès, toujours sans perdre l'espérance.

Un jour nous az imaginâmes de chercher sur les toits quelque fenêtre en mansarde qui fût comme la clef supérieure du monde souterrain tant rêvé. Il y avait beaucoup de ces fenêtres dont nous ne savions pas la destination. Sous les combles existait une petite chambre où l'on allait étudier un des trente pianos épars dans l'établissement. Chaque jour on avait une heure pour cette étude, dont fort peu d'entre nous se souciaient. J'avais bonne envie d'étudier pourtant, j'adorais toujours la musique. J'avais un excellent maître, M. Pradher. Mais je devenais bien plus artiste pour le roman que pour la musique, car quel plus beau poëme que le roman en action que nous poursuivions à frais communs d'imagination, de courage et d'émotions palpitantes?

L'heure du piano était donc tous les jours l'heure des aventures, sans préjudice de celles du soir. On se donnait rendez-vous dans une de ces chambres éparses, et de là on partait pour le je ne sais où et le comme il vous plaira de la fantaisie.

{CL 110} Donc, de la mansarde où j'étais censée faire des gammes, j'observai un labyrinthe de toits, d'auvents, d'appentis, de soupentes, le tout couvert en tuiles moussues et orné de cheminées éraillées, qui offrait un vaste champ à des explorations nouvelles. Nous voilà sur les toits; je ne sais plus avec qui j'étais, mais je sais que Fannelly (dont je parlerai plus tard) conduisait la marche. Sauter par la fenêtre ne fut pas bien difficile. À six pieds au-dessous de nous s'étendait une gouttière formant couture entre deux pignons. Escalader ces pignons, en rencontrer d'autres, sauter de pente en pente, voyager comme les chats, c'était plus imprudent {Lub 891} que difficile, et le danger nous stimulait, loin de nous retenir.

Il y avait dans cette manie de chercher la victime quelque chose de profondément bête, et aussi quelque chose d'héroïque: bête, parce qu'il nous fallait supposer que ces religieuses dont nous adorions la douceur et la bonté exerçaient sur quelqu'un quelque épouvantable torture; héroïque, parce que nous risquions tous les jours notre vie pour délivrer un être imaginaire, objet des préoccupations les plus généreuses et des entreprises les plus chevaleresques.

Nous étions là depuis une heure, découvrant le jardin, dominant toute une partie des bâtiments et des cours et prenant bien soin de nous blottir derrière une cheminée quand nous apercevions le voile noir d'une religieuse qui eût pu lever la tête et nous voir dans les nuages, lorsque nous nous demandâmes comment nous reviendrions sur nos pas. La disposition des toits nous avait permis de descendre et de sauter de haut en bas. Remonter n'était pas aussi facile. Je crois même que sans échelle c'était complétement impossible. Nous ne savions plus guère où nous étions. Enfin nous reconnûmes la fenêtre d'une pensionnaire en chambre. Sidonie Macdonald, fille du célèbre général. On pouvait y atteindre en faisant un dernier saut. {CL 111} Celui-là était plus périlleux que les autres. J'y mis trop de précipitation et donnai du talon dans une croisée horizontale qui éclairait une galerie et par laquelle je fusse tombée de trente pieds de haut dans les environs de la petite classe, si le hasard de ma maladresse ne m'eût fait dévier un peu. J'en fus quitte pour deux genoux très-écorchés sur les tuiles; mais ce ne fut point là l'objet de ma préoccupation. Mon talon avait enfoncé une partie du châssis de cette maudite fenêtre et brisé une demi-douzaine de vitres qui tombèrent avec un fracas épouvantable à l'intérieur, tout près de l'entrée des cuisines. Aussitôt une grande rumeur s'élève parmi les sœurs converses, et, par l'ouverture que je viens de faire, nous entendons la voix retentissante de la sœur Thérèse qui crie aux chats et qui accuse Whisky, le maître matou de la mère Alippe, de se prendre de querelle avec tous ses confrères et de briser toutes les vitres de la maison. Mais la sœur Marie défendait les mœurs du chat, et la sœur Hélène assurait {Lub 892} qu'une cheminée venait de s'écrouler sur les toits. Ce débat nous causa ce fou rire nerveux chez les petites filles que rien ne peut arrêter. Nous entendions monter les escaliers, nous allions être surprises en flagrant délit de promenade sur les toits et nous ne pouvions faire un pas pour chercher un refuge. Fanelly était couchée tout de son long dans la gouttière; une autre cherchait son peigne. Quant à moi, j'étais bien autrement empêchée. Je venais de découvrir qu'un de mes souliers avait quitté mon pied, qu'il avait traversé le châssis brisé et qu'il était allé tomber à l'entrée des cuisines. J'avais ba les genoux en sang, mais le fou rire était si violent que je ne pouvais articuler un mot et que je montrais mon pied déchaussé en indiquant l'aventure par signes. Ce fut une nouvelle explosion de rires, et cependant l'alarme était donnée, les sœurs converses approchaient.

{CL 112} Bientôt nous nous rassurâmes. Là où nous étions abritées et cachées par des toits qui surplombaient, il n'était guère possible de nous découvrir sans monter par une échelle à la fenêtre bb brisée, ou sans suivre le même chemin que nous avions pris. C'était de quoi nous pouvions bien défier toutes les nonnes. Aussi, quand nous eûmes reconnu l'avantage de notre position bc, commençâmes-nous à faire entendre des miaulements homériques afin que Whisky et sa famille fussent atteints et convaincus à notre place. Puis nous agnâmes la fenêtre de Sidonie, qui nous reçut fort mal. La pauvre enfant étudiait son piano et ne s'inquiétait pas des hurlements félins qui frappaient vaguement son oreille. Elle était maladive et nerveuse, fort douce, et incapable de comprendre le plaisir que nous pouvions trouver à courir les toits. Quand elle nous entendit débusquer en masse par sa fenêtre, à laquelle, en jouant du piano, elle tournait le dos, elle jeta des cris perçants. Nous ne prîmes guère le temps de la rassurer. Ses cris allaient attirer les nonnes, nous nous élançâmes dans sa chambre, gagnant la porte avec précipitation, tandis que debout, tremblante, les yeux hagards, elle voyait défiler cette étrange procession sans y rien comprendre, sans pouvoir reconnaître aucune de nous, tant elle était effarée.

En un instant nous fûmes dispersées: l'une remontait à la chambre haute d'où nous étions parties et parcourait {Lub 893} le piano à tour de bras; une autre faisait un grand détour pour regagner la classe. Quant à moi, il me fallait aller à la recherche de mon soulier et reprendre cette pièce de conviction bd s'il en était temps encore. Je parvins à ne pas rencontrer les sœurs converses et à trouver l'entrée des cuisines libre. « Audaces fortuna juvat, » me disais-je be en songeant aux aphorismes que Deschartres m'avait enseignés. Et, en effet, je retrouvai le soulier fortuné qui était venu tomber dans un endroit sombre et qui n'avait frappé les {CL 113} regards de personne. Whisky seul fut accusé. J'eus grand mal aux genoux pendant quelques jours, mais je ne m'en vantai point, et les explorations ne furent pas ralenties.

Il me fallait bien toute cette excitation romanesque pour lutter contre le régime du couvent, qui m'était fort contraire. Nous étions assez convenablement nourries, et c'est d'ailleurs la chose dont je me suis toujours souciée le moins, mais nous souffrions du froid de la manière la plus cruelle, et l'hiver fut très-rigoureux cette année-là. Les habitudes du lever et du coucher m'étaient aussi nuisibles que désagréables bf. J'ai toujours aimé à veiller tard et à ne pas me lever de bonne heure. À Nohant, on m'avait laissée faire; je lisais ou j'écrivais le soir dans ma chambre, et on ne me forçait pas à affronter le froid des matinées. J'ai la circulation lente, et le mot sang-froid peint au physique et au moral mon organisation. Diable parmi les diables du couvent, je ne me démontais jamais et je faisais les plus grandes folies du monde avec un sérieux qui réjouissait fort mes complices; mais j'étais bien réellement paralysée par le froid, surtout pendant la première moitié de la journée. Le dortoir, situé sous le toit en mansarde, était si glacial que je ne m'endormais pas et que j'entendais tristement sonner toutes les heures de la nuit. À six heures, les deux servantes Marie-Josèphe et Marie-Anne venaient nous éveiller impitoyablement. Se lever et s'habiller à la lumière m'a toujours paru fort triste. On se lavait dans de l'eau dont il fallait briser la glace et qui ne lavait pas. On avait des engelures, les pieds enflés saignaient dans les souliers trop étroits. On allait à la messe à la lueur des cierges, on grelottait sur son banc, ou on dormait à genoux dans l'attitude du recueillement. À sept heures, on déjeûnait d'un morceau de pain et {Lub 894} d'une tasse de thé. On voyait enfin, en entrant en classe, poindre un peu de clarté dans le ciel et un peu de feu dans le poêle. {CL 114} Moi, je ne dégelais que vers midi, j'avais des rhumes {Presse 30/3/1855 2} épouvantables, des douleurs aiguës dans tous les membres; j'en ai souffert après pendant quinze ans.

Mais Mary ne pouvait supporter la plainte; forte comme un garçon, elle raillait impitoyablement quiconque n'était pas stoïque. Elle me rendit ce service de me rendre impitoyable à moi-même. J'y eus quelque mérite, car je souffrais plus que personne, et l'air de Paris me tuait déjà.

Jaune, apathique et muette, je paraissais en classe la personne la plus calme et la plus soumise. Jamais je n'eus avec la féroce D*** qu'une seule altercation que je raconterai plus tard. Je n'étais point répondeuse, je ne connaissais pas la colère, je ne me souviens pas d'en avoir eu la plus légère velléité pendant les trois ans que j'ai passés au couvent. Grâce à ce caractère,je n'y ai jamais eu qu'une seule ennemie et je n'y ai par conséquent ressenti qu'une seule antipathie; c'est pour cela que j'ai gardé une sorte de rancune à cette D*** qui m'a fait connaître là le sentiment le plus opposé à mon organisation. J'ai toujours été aimée, même dans mon temps de pire diablerie, des compagnes les plus maussades et des maîtresses ou des nonnes les plus exigeantes. La supérieure disait à ma grand'mère que j'étais une eau qui dort. Paris avait glacé en moi cette fièvre de mouvement que j'avais subie à Nohant. Tout cela ne m'empêchait pas de courir sur les toits au mois de décembre et de passer des soirées entières nu-tête dans le jardin en plein hiver; car, dans le jardin aussi, nous cherchions le grand secret et nous y descendions par les fenêtres quand les portes étaient fermées. C'est qu'à ces heures-là nous vivions par le cerveau, et je ne m'apercevais plus que j'eusse un corps malade à porter.

Avec tout cela, avec ma figure pâle et mon air transi, dont Isabelle faisait les plus plaisantes caricatures, j'étais gaie intérieurement. Je riais fort peu, mais le rire des {CL 115} autres me réjouissait les oreilles et le cœur. Une extravagance ne me faisait pas bondir de joie, mais je la couronnais gravement par une pire extravagance, et j'avais plus de succès que personne auprès des bêtes {Lub 895} qui ne me haïssaient pas, et qui surtout se fiaient à ma générosité.

Par exemple, il arrivait souvent que toute la classe fût punie pour le méfait d'un diable ou pour la maladresse d'une bête. Les bêtes ne voulaient pas se trahir entre elles; mais elles eussent trahi les diables si elles l'eussent osé; seulement elles n'osaient pas. Tout tremblait devant Gillibrand, et pourtant Gillibrand était bonne et n'employa jamais sa force à maltraiter les faibles; mais elle avait de l'esprit comme douze diables, et ses moqueries exaspéraient celles qui n'y savaient pas répondre. Isabelle se faisait craindre par ses caricatures, Lavinia par ses grands airs de mépris. Moi seule je ne me faisais craindre par rien bg; j'étais diable avec les diables, bête avec les bêtes, le tout par laisser-aller de caractère ou par langueur physique. Je conquis tout à fait ces dernières en leur épargnant les punitions collectives. Aussitôt que la maîtresse disait: « Toute la classe en pénitence, si je ne découvre pas la coupable, » je me levais et je disais: C'est moi. Mary, qui me donnait le bon exemple en toutes choses, suivit le mien en celle-ci, et on nous en sut gré.

Ma bonne maman allait quitter Paris, elle obtint de me faire sortir deux ou trois jeudis de suite. La supérieure n'osa pas trop lui dire que j'étais notée par toutes les maîtresses et tous les professeurs comme ne faisant absolument rien, et que le bonnet de nuit était ma coiffure habituelle. Ma grand'mère eût peut-être pensé alors que je perdais mon temps et qu'il valait mieux me reprendre avec elle. On passa donc légèrement sur ma dissipation et mes escapades.

Je me promettais une grande joie de ces sorties. Il n'en {CL 116} fut rien. J'avais déjà pris l'habitude de la vie en commun, habitude si douce aux caractères mélancoliques, et mon caractère était à la fois le plus triste et le plus enjoué de tout le couvent: triste par la réflexion, quand je retombais sur moi-même, avec mon corps souffreteux et endolori, avec le souvenir de mes chagrins de famille; gaie, quand le rire de mes compagnes, la brusque interpellation de ma chère Mary, la plaisanterie originale de ma romanesque Isabelle, venaient m'arracher au sentiment de ma propre existence et me communiquer la vie qui était dans les autres.

{Lub 896} Chez ma bonne maman, tout mon passé amer, tout mon présent tourmenté, tout mon avenir incertain me revenaient. On s'occupait trop de moi, on me questionnait, on me trouvait changée, alourdie, distraite. Quand la nuit était venue, on me reconduisait au couvent. Ce passage du petit salon chaud, parfumé, éclairé de ma grand'mère, au cloître obscur, vide et glacé; des tendres caresses de la bonne maman, de la petite mère et du grand-oncle, au bonsoir froid et rechigné des portiers et des tourières me navrait le cœur un instant. Je frissonnais en traversant seule ces galeries pavées de tombeaux: mais au bout du cloître déjà la suavité de la retraite se faisait sentir. La madone Vanloo bh avait l'air de sourire pour moi. Je n'étais pas dévote envers elle, mais déjà sa petite lampe bleuâtre me jetait dans une rêverie vague et douce. Je laissais derrière moi un monde d'émotions trop fortes pour mon âge et d'exigences de sentiments qu'on ne m'avait pas assez ménagées. J'entendais la voix de Mary m'appeler bi avec impatience. Les petites bêtes venaient curieusement s'enquérir de ce que j'avais vu dans la journée. « Comme c'est triste de rentrer! » me disait-on. Je ne répondais pas. Je ne pouvais expliquer pourquoi j'avais cette bizarrerie de me trouver mieux au couvent que dans ma famille.

{CL 117} À la veille du départ de ma grand'mère, un grand orage se forma contre moi dans les conseils de la supérieure. J'aimais à écrire autant que j'aimais peu à parler et je m'amusais à faire de nos espiègleries et des rigueurs de la D*** une sorte de journal satirique que j'envoyais à ma bonne maman, laquelle y prenait un grand divertissement et ne me prêchait nullement la soumission et la cajolerie, la dévotion encore moins. Il était de règle que nous missions le soir sur le bahut de l'antichambre de la supérieure les lettres que nous voulions envoyer. Celles qui n'étaient point adressées aux parents devaient être déposées ouvertes. Celles pour les parents étaient cachetées; on était censé en respecter le secret.

Il m'eût été facile d'envoyer mes manuscrits à ma grand'mère par une voie plus sûre, puisque ses domestiques venaient souvent m'apporter divers objets et s'informer de ma santé; mais j'avais une confiance suprême dans la loyauté de la supérieure. Elle avait dit devant moi à ma grand'mère qu'elle n'ouvrait jamais {Lub 897} les lettres adressées aux parents. Je croyais, j'étais loyale, j'étais tranquille. Mais le volume et la fréquence de mes envois inquiétèrent reverend mother*. Elle décacheta sans façon, lut mes satires et supprima les lettres. Elle me fit même ce bon tour trois jours de suite sans en rien dire, afin de bien connaître mes habitudes de chronique moqueuse et la manière dont la D*** nous gouvernait. Une personne de cœur et d'intelligence en eût fait son profit. Elle m'eût grondée peut-être, mais elle eût congédié la D***. Il est vrai qu'une personne de cœur n'eût pas tendu un piége à la simplicité d'un enfant et n'eût pas abusé d'un secret qu'elle avait autorisé. La supérieure préféra interroger {CL 118} mademoiselle D***, qui, bien entendu, ne se reconnut pas au portrait plus ressemblant que flatté que j'avais tracé d'elle. Sa haine, déjà allumée par mon air calme et la douceur très-réelle de mes manières, s'exaspéra, comme on peut le croire. Elle me traita de menteuse abominable, d'esprit fort (c'est-à-dire impie), de délatrice, de serpent, que sais-je! La supérieure me manda et me fit une scène effroyable. Je restai impassible. Elle me promit ensuite bénignement de ne point faire connaître mes calomnies à ma grand'mère et de me garder le secret sur ces abominables lettres. Je ne l'entendais pas ainsi. Je sentis la duplicité de cette bj promesse. Je répondis que j'avais un brouillon de mes lettres, que ma grand'mère l'aurait, que je soutiendrais devant elle et devant madame la supérieure elle-même la vérité de mes assertions, et que, puisqu'il n'y avait pas de sûreté dans les relations bk auxquelles je m'étais confiée, je demanderais à changer de couvent.

{[CL 117]} ]* La révérende mère. On lui donnait ce titre en anglais seulement.

La supérieure n'était pas une méchante femme; mais quoi qu'on en pensât, je n'ai jamais senti qu'elle fût une très-bonne femme. Elle m'ordonna bl de sortir de sa présence en m'accablant de menaces et d'injures. C'était une personne du grand monde et elle savait au besoin prendre des manières royales; mais elle avait fort mauvais ton quand elle était en colère. Peut-être ne savait-elle pas bien la valeur de ses expressions en français, et je ne savais pas encore assez d'anglais pour qu'elle me parlât dans sa langue. Mademoiselle D*** avait la tête baissée, l'œil fermé, dans l'attitude extatique d'une sainte qui {Lub 898} entend la voix de Dieu même. Elle se donnait des airs de pitié pour moi et de silence miséricordieux. Une heure après, au réfectoire, la supérieure entra suivie de quelques nonnes qui lui faisaient cortége; elle parcourut les tables comme pour faire une inspection; puis, s'arrêtant devant moi et roulant ses gros yeux noirs, qui étaient fort beaux, elle me dit d'une voix {CL 119} solennelle: Étudiez la vérité! — Les sages pâlirent et firent le signe de la croix. Les bêtes chuchotèrent en me regardant. On vint ensuite m'accabler de questions. « Tout cela signifie, répondis-je, que dans trois jours je ne serai plus ici. »

J'étais outrée; mais j'avais un violent chagrin. Je ne désirais nullement changer de couvent. J'avais déjà formé des affections que je souffrais de voir sitôt brisées. Ma grand'mère arriva sur ces entrefaites. La supérieure s'enferma avec elle, et, prévoyant que je dirais tout, elle prit le parti de remettre mes lettres et de les présenter comme un tissu de mensonges. Je crois qu'elle eut le dessous et que ma grand'mère blâma énergiquement l'abus de confiance qu'on était forcé de lui révéler. Je crois qu'elle prit ma défense et parla de me ramener bm sur-le-champ. Je ne sais ce qui se passa entre elles, mais quand on me fit monter dans le parloir de la supérieure, toutes deux essayaient de se composer un maintien grave et toutes deux étaient fort animées. — Ma grand'mère m'embrassa comme à l'ordinaire, et pas un mot de reproche ne me fut adressé, si ce n'est sur ma dissipation et le temps perdu à des enfantillages. Puis la supérieure m'annonça que j'allais quitter la petite classe, où mon intimité avec Mary portait le désordre et que j'entrerais immédiatement parmi les grandes. Cette bonne nouvelle, qui, en définitive, faisait aboutir toutes les menaces à une notable bn amélioration dans mon sort, me fut signifiée pourtant d'un ton sévère. On espérait que, n'ayant plus de relations avec mademoiselle D***, je renoncerais à mes habitudes de satire contre elle, que je romprais mes habitudes de diablerie avec la terrible Mary et que cette séparation serait profitable à l'une comme à l'autre bo.

Je répondis que je consentais de bon cœur à ne jamais m'occuper de mademoiselle D***, mais je ne voulus jamais {CL 120} promettre de ne plus aimer Mary. La force des {Lub 899} choses devait suffire à nous séparer, puisque nous n'aurions plus que l'heure des récréations au jardin pour nous voir. Ma grand'mère, satisfaite du résultat de cette affaire bp, partit pour Nohant. Je passai à la grande classe, où m'avaient précédée Isabelle et Sophie. Je jurai à Mary de rester son amie à la vie et à la mort; mais je n'en avais pas fini avec la terrible D***, comme on va bientôt le voir.


Variantes

  1. Ce titre figure à partir de l'édition {CL}
  2. Vol. 7. 1er chapitre {Ms}Chapitre onzième {Presse}, {Lecou} ♦ XI {CL}
  3. Mary G[illibrand rayé]. {Ms}Mary G***. {Presse} à {CL} ♦ Mary Gillibrand. {Lub} (développant le nom; nous le suivons; nous marquerons désormais cette variante par le signe à la suite du nom)
  4. Isabelle C[lifford rayé]. {Ms}Isabelle C***. {Presse} à {CL} ♦ Isabelle Clifford. {Lub} (développant le nom; nous le suivons; par la suite le nom n'est plus abrégé daans les éditions)
  5. Sophy C[ary rayé]. {Ms} {Ms}Sophie C***. {Presse} à {CL} ♦ Sophie Cary. {Lub} (même remarque que pour Clifford)
  6. la porte des cloîtres {Ms}la porte du cloître {Presse} et sq.
  7. n'existent peut-être plus {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ n'existent plus {CL}
  8. se refermant sur vous {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ se renfermant sur vous {CL}, {Lub} (rétablissant la 1ère leçon; nous ne le suivons pas)
  9. où les femmes et les nones {Ms} ♦ où les vieilles filles, et les nonnes {Presse} et sq.
  10. Cette note apparaît seulement dans {CL}
  11. un mur de trente pieds {Ms}un mur très élevé {Presse} et sq.
  12. des Boulangers, et qui ne s'ouvrait {Ms}des Boulangers. Cette porte ne s'ouvrait {Presse} et sq.
  13. locataires. Elles avaient {Ms}locataires, qui avaient {Presse} et sq.
  14. majestueux. Mais la grille {Ms}majestueux et les beaux œillets panachés; mais la grille {Presse} et sq.
  15. trois fois. Pourtant nous n'y fûmes tentées d'aucune chiperie. Ces beaux fruits ne mûrissaient point pour nous et c'eùt peut-être été de bonne guerre d'en rapporter à nos compagnes comme une preuve du succès de notre expédition. Mais quand nous les eûmes sous la main, on oublia d'en avoir envie. Leur vue nous contenta, ainsi que celle des beaux œillets panachés, des jolies chapelles couvertes de jasmin et de chèvrefeuille. Il y avait danger d'être découvertes, mais ce ne fut point ce qui nous arrêta. Ce fut une sorte de mépris pour le vol, même pour le vol par plaisanterie. Nous n'y vîmes que le vol par gourmandise et l'innocente avarie, de nos religieuses qui possédaient de telles richesses sans nous en faire part nous inspira un véritable dédain pour ces objets de convoitise. Il nous sembla que notre propre convoitise eût justifié leur avarice. Je n'ai pas parlé {Ms}trois fois. / Je n'ai pas parlé {Presse} et sq.
  16. vraiment [agréables et bien soignés rayé] remarquables {Ms}
  17. espace où cinquante familles {Ms}espace où dix familles {Presse} et sq.
  18. les religieuses [et les Anglaises surtout rayé] entendent {Ms}
  19. chez le parvenu {Ms}chez le riche {Presse} et sq.
  20. à nos enfants. Quand on pense qu'une grande population a proclamé la République sur l'air des Girondins, il ne faut pas s'étonner des fautes absurdes qu'elle a commises depuis. Tout se tient, et quand la pensée artistique est plate, le sentiment moral n'est pas loin de l'être. Entourer {Ms}à nos enfants. / Entourer {Presse} et sq.
  21. et de si nobles {Ms}et douées de si nobles {Presse} et sq.
  22. qui eût eu {Ms}qui eût été {Presse} et sq.
  23. sa piété devenait {Ms}son austérité devenait {Presse} et sq.
  24. et ce [méchant rayé] maussade {Ms}
  25. désiré débuter par la petite classe {Ms}désiré entrer à la petite classe {Presse} et sq.
  26. mais c'était une heure {Ms}mais cela durait une heure {Presse} et sq.
  27. C'était un tort de {Presse} ♦ C'était un tort, de {CL} ♦ C'était un tort de {Lub} (sans relever la variante)
  28. au leur. Il y avait une de nos maîtresses séculières qui s'appelait Mlle Gilles et dont plusieurs pensionnaires de la grande classe faisaient beaucoup de cas. Elle n'était point mauvaise et ne me tourmenta jamais. Elle était toute jeune et ne nous surveillait guères qu'au jardin, mais elle avait une figure impertinente comme son nom, qui ne me revenait pas et je ne crois pas avoir jamais échangé une parole avec elle. La religieuse {Ms}au leur. La religieuse {Presse} et sq.
  29. Ô honte! — C'est ♦ Ô honte! C'est {CL}
  30. de la mère Alippe {Ms}de la bonne mère Alippe {Presse} et sq.
  31. classe et peut-être de tout le couvent {Ms} classe, et la plus excentrique de tout le couvent {Presse} et sq.
  32. C'était une [Anglaise rayé] Irlandaise {Ms}
  33. de 14 ans, ♦ de onze ans, {CL}
  34. du garçon; {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ de garçon; {CL}
  35. par le cœur et l'esprit {Ms}par le caractère {Presse} et sq.
  36. la société. Sa mère était un vieux géant irlandais, son père un petit homme noble, riche et dévot. Elle avait {Ms}la société. Elle avait {Presse} et sq.
  37. G*** arriva {Ms} (Presque toujours le manuscrit désigne Mary Gillibrand par G***: nous ne le signalerons plus désormais.)Mary arriva {Presse} et sq.
  38. de rire. / Les {Presse} ♦ de rire. Les {CL}
  39. priver de sorties {Ms}priver de sortir {Presse} et sq.
  40. Isabelle [Clifford rayé], Sophie [Cary rayé] {Ms}
  41. folle [fantasque ou burlesque rayé] c'était là la principale manifestation {Ms}folle servaient principalement de manifestation {Presse} et sq.
  42. nos argus [sur tous les cahiers rayé], elle n'avait {Ms}
  43. des Thermes de [Dioclétien rayé] Julien {Ms}
  44. de fer, aussi périlleux à explorer que la descente {Ms}de fer [...] descente {Presse} et sq.
  45. fallait guères songer {Ms}fallait pas songer {Presse} et sq.
  46. converses. [La chambre de Mlle D. était tout près de là rayé] {Ms}
  47. en vain! [Des générations de diables s'étaient succédé se léguant les unes aux autres le soin de cette délivrance impossible rayé]. Elle pouvait {Ms}
  48. descendait à cette [impasse rayé] région ignorée. Une porte en chêne séparait cet escalier de la galerie. Il fallait renoncer à ouvrir ou à desceller la porte, mais, avec quelque courage et quelque danger, on pouvait passer d'une rampe à l'autre, en franchissant celle de la galerie et en marchant sur sa face extérieure, les pieds passant avec précaution d'un balustre à l'autre, les mains fortement prises à la traverse qui reliait les balustres. Au dessous {Ms}ignorée [...] Au dessous {Presse} et sq.
  49. l'escalier est en vieux bois vermoulu. Il faut, ou lever une marche, ou trouver une charnière et une serrure à cette marche qui doit ouvrir un passage {Ms}L'escalier [...] passage {Presse} et sq.
  50. tourner un pan de mur, ouvrir un passage quelconque {Ms}tourner un pan de boiserie, ouvrir une entrée quelconque {Presse} et sq.
  51. tremblantes et moisies, nous pouvions faire {Ms}tremblantes nous risquions de faire {Presse} et sq.
  52. Un jour, nous {Presse} ♦ Un jour nous {CL}
  53. des cuisines. On allait le trouver, on allait, pour découvrir la coupable, recommencer l'épreuve de Cendrillon. J'avais {Ms}des cuisines. J'avais {Presse} et sq.
  54. par une échelle de trente pieds à la fenêtre {Ms}par une échelle la fenêtre {Presse} et sq.
  55. de notre situation {Ms}de notre position {Presse} et sq.
  56. et à le reprendre {Ms}et à reprendre cette pièce de conviction {Presse} et sq.
  57. « Audaces fortuna juvat, » me disais-je {Presse} à {CL}pas de guillemets dans {Lub}
  58. aussi nuisibles qu'antipathiques {Ms}aussi nuisibles que ésagréables {Presse} et sq.
  59. craindre par rien {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ craindre pour rien {CL} ♦ craindre par rien {Lub} (rétablissant la 1re lecon; nous le suivons)
  60. la madone Vanloo {Ms}, {Presse} ♦ la madone de Vanloo {Lecou}, {LP} ♦ la madone Vanloo {CL}
  61. la voix pleine et mâle de G* m'appeler {Ms}la voix de Mary m'appeler {Presse} et sq.
  62. la duplicité jésuitique de cette {Ms}la duplicité de cette {Presse} et sq.
  63. point de franchise et de loyauté dans les relations {Ms}pas de sûreté dans les relations {Presse} et sq.
  64. pensât, je suis sûre et je sais qu'elle n'était pas non plus une très bonne femme. J'ai eu d'autres preuves de sa rudesse et de son peu de sincérité. Elle m'ordonna {Ms}pensât [...] Elle m'ordonna {Presse} et sq.
  65. de me remmener {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ de me ramener {CL} ♦ de me remmener {Lub} (rétablissant la 1re leçon; nous ne le suivons pas)
  66. menaces à une récompense réelle, à une notable {Ms}menaces à une notable {Presse} et sq.
  67. Dans {Ms}, cette phrase est encadrée de guillemets: elle était donc, dans esprit de l'auteur, au discours indirect.
  68. de cette grande affaire {Ms}de cette affaire {Presse} et sq.

Notes

  1. Voir la note en tête du chapitre VI. {Presse} donne bien Chapitre onzième et non Chapitre douzième