GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{[Presse 6/11/54 2]; LP T.? ?; CL T.1 [389]; Lub T.1 [323]} DEUXIÈME PARTIE
Mes premi�res ann�es
1800-1810 a

{CL T.2 [1]; Lub [406]} V b 1

R�sum� de l'an X. — Le concordat et M. Thiers. — Esprit religieux sous la R�publique. — Scepticisme de Napol�on. — Le culte de l'Être supr�me. — Le concordat et la Restauration. — Vote sur le consulat � vie. — Mon p�re. — La religion de l'amour.



Je ne passerai pas outre dans l'histoire de mon p�re sans essayer de jeter un coup d'œil sur les deux principaux �v�nements de l'an X, le concordat et le consulat � vie. La signature de la paix, qui occupa beaucoup plus l'opinion en France � cette �poque, n'est aujourd'hui qu'un {CL 2} souvenir de second ordre, un �v�nement passager qui n'eut point de stabilit�, qu'on eut bient�t � consid�rer comme non avenu.

D'ailleurs il est �vident que ces trois actes de la politique de Bonaparte, la paix, le concordat, le consulat � vie, sont les trois aspects d'une m�me pens�e, d'une volont� toute personnelle. Les deux premiers sont la pr�paration du troisi�me. Au moyen de la paix, il se concilie la bourgeoisie; au moyen de la religion, il se concilie l'ancienne noblesse et croit aussi se concilier le respect et la confiance des masses. Ainsi, cette chose salutaire, la paix, cette chose sacr�e, la religion, ne sont que des moyens auxquels il a recours pour pr�parer l'envahissement de la puissance absolue. Bient�t il d�chirera forc�ment les trait�s et reprendra les armes pour maintenir sa dictature; bient�t il fera comprendre � l'Église que s'il l'a redout�e un instant, il ne l'a jamais respect�e, et qu'elle doit plier devant lui comme le reste.

Ni les corps l�gislatifs ni l'arm�e ne voulaient de la religion sous forme d'institution politique. La bourgeoisie n'y tenait pas le moins du monde, et si elle avait {Lub 407} eu le courage de son opinion, elle l'e�t repouss�e avec d�dain, car c'�tait elle qui l'avait renvers�e, et tout ce qu'il y avait d'hommes intelligents dans ses rangs �tait adepte de Rousseau ou de Voltaire. Mais Bonaparte la r�duisit au ilence en lui promettant la paix avec l'Europe, c'est-�-dire le d�veloppement de l'industrie et la s�curit� du commerce. La bourgeoisie fit ce qu'elle a toujours fait depuis, elle manqua de principes et fit taire ses croyances ou ses sympathies en pr�sence de ses int�r�ts. L'arm�e fut railleuse et irrit�e plus ouvertement et plus longtemps. Mais le premier consul savait bien que les int�r�ts de l'arm�e ne pouvaient manquer de faire bient�t cause commune avec ceux de la bourgeoisie en cas de paix durable, et qu'en {CL 3} cas de guerre prochaine, elle oublierait vite ses griefs et ne se pr�occuperait gu�re des questions religieuses.

Ce concordat si vant� est une des plus fatales d�viations de la glorieuse carri�re de Napol�on. C'est lui qui a tout naturellement pr�par� le despotisme hypocrite de la Restauration.

C'est un acte purement politique, car le premier consul ne croyait pas � la religion catholique et refusait de consacrer religieusement son mariage avec Jos�phine dans le moment c o� il ouvrait les portes de la cath�drale de Paris au l�gat du pape.

Il n'y a pas de plus grande profanation d'une chose respectable que de l'imposer aux autres sans se l'imposer � soi-m�me. C'est en faire un jouet, c'est m�priser � la fois la croyance qu'on d�cr�te et l'humanit� � qui on la fait accepter. C'est cet �ternel mensonge proclam� par les ath�es, qu'il faut aux femmes, aux enfants, au peuple, une religion dont on ne veut pas pour soi-m�me. Bonaparte se laissa persuader ou imposer ce mensonge.

Certes, il faut une religion non-seulement au peuple, aux enfants, aux femmes, aux simples de cœur et d'esprit, mais il en faut une � tous les hommes, aux chefs de nations, aux soci�t�s, aux r�publiques comme aux monarchies.

Il y a plus, il faut un culte public et des lois qui fassent respecter ce que la conscience des peuples proclame comme la plus haute expression de leur vie intellectuelle et morale.

Mais il faut que cette religion s'�tablisse par la foi et non par la {Lub 408} contrainte; par le libre examen et non par la raison d'�tat. Aucun homme n'a le droit de l'imposer � son semblable avant qu'il l'ait comprise et accept�e librement. Aucun l�gislateur n'a le droit de la r�tablir quand la soci�t� l'a repouss�e et bris�e.

{CL 4} Toute religion qui n'admet pas la loi du progr�s dans l'humanit�, ou, si l'on veut, la r�v�lation successive; toute loi pr�tendue divine qui �tablit qu'� un certain moment de la vie de l'humanit�, Dieu a dit aux hommes son dernier mot, doit fatalement �tre engloutie sous ses propres ruines, aussi bien que toute loi humaine qui s'impose aux hommes comme le dernier mot de leur propre sagesse.

Cette v�rit� a pass� dans la pratique de la l�gislation; la politique conservatrice, le gouvernement constitutionnel y ont puis� leur principe vital tout aussi bien que l'esprit r�volutionnaire. Chaque ann�e, chaque s�ance des corps qui l�gif�rent les soci�t�s constitutionnelles voient abroger, modifier, exhumer ou cr�er des lois selon les besoins ou les craintes du moment. Ce principe est d�sormais indestructible. L'application en serait excellente si les soci�t�s avaient une repr�sentation v�ritable.

Les religions n'ayant pas suivi cette doctrine, et ayant, au contraire, proclam� le principe d'immobilit�, qui entra�ne celui d'intol�rance, les nations logiques et sinc�res ont rejet� toute religion et se sont trouv�es pour un instant plong�es dans l'ath�isme. Le scepticisme douloureux ou indiff�rent a succ�d� � cette protestation d�sesp�r�e. La politique s'est avis�e alors d'une distinction subtile, mais irrationnelle et illusoire, celle du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. La politique �tait forc�e d'en venir l� dans de certains moments pour ne pas laisser entraver sa marche par les foudres de l'Église et pour ne pas briser trop brusquement l'arche sainte du pass�. On con�oit qu'� l'heure qu'il est*, il serait bien difficile au roi des fran�ais et � ses ministres, encore plus difficile aux chambres qui sont cens�es nous repr�senter, de discuter entre eux les articles de notre foi et de faire avec le chef de l'Église {CL 5} autre chose qu'une alliance politique et constitutionnelle.

[{CL 4}] * 1847

Mais si jamais il y a eu dans notre histoire, depuis un si�cle, un moment o� il e�t �t� possible de soulever avec {Lub 409} fruit cette grande question et de la porter devant le jury v�ritable de l'opinion, c'est pr�cis�ment � l'�poque o� Bonaparte n�gocia le concordat. La R�volution avait tout bris�, la philosophie avait tout remis en question. L'anarchie, l'immoralit� du Directoire avaient d�j� fait sentir � toute �me saine et honn�te que si la r�pudiation d'un faux principe religieux est l�gitime, l'absence de toute religion est une situation monstrueuse et un �tat de maladie mortelle.

Et qu'on ne dise pas que les esprits �taient tomb�s dans une sorte de stupeur qui ne leur permettait pas de s'interroger et de se conna�tre. En e�t-il �t� ainsi, c'e�t �t� une raison de plus pour que le l�gislateur leur donn�t le temps de se revoir et de se consulter, au lieu de les frapper d'une stupeur nouvelle en leur remettant sous les yeux le spectre du pass�. Mais cela n'est pas vrai. Il y a des mensonges historiques que chacun r�p�te sans les avoir approfondis, et j'en demande pardon � M. Thiers: il nous trompe parce qu'il se trompe lui-m�me quand il affirme que la majorit� des fran�ais accepta le concordat avec joie et que Bonaparte eut en cette circonstance plus d'esprit, d'�-propos et d'habilet� que tout le monde. En cela M. Thiers (je pr�sume que ce rapprochement ne le f�chera point) voit et pense comme Bonaparte: il croit qu'une religion de l'�tat est un moyen indispensable de gouvernement; mais il ne croit point � cette religion, et il n'e�t pu s'agenouiller de bonne foi le jour o�, pour la premi�re fois depuis dix ans, un pr�lat orthodoxe �leva ses mains sur la t�te des gouvernants inclin�s dans la cath�drale de Paris. Il suffit de dire: C'est un moyen, pour prouver qu'on ne respecte point la religion, qui doit �tre un but.

{CL 6} Non, il n'est pas vrai que la majorit� des fran�ais f�t indiff�rente � ce grand probl�me, avoir une religion ou n'en pas avoir: Être ou ne pas �tre, comme dit Hamlet, suspendu entre la vie et la mort dans une angoisse supr�me. Il est bien certain qu'on salua avec indiff�rence le cort�ge romain reprenant possession de la France par d�cret du premier consul. On �tait comme �bloui par la surprise, comme paralys� par l'impr�vu. On n'avait pas encore eu le temps de se demander si l'on combattrait en soi l'id�e horrible du n�ant par un retour � la religion du pass�, ou par la discussion de quelque grande h�r�sie, ou {Lub 410} par la lumi�re que le temps et la r�flexion apportent dans des situations aussi graves. On vit le fant�me sortir de la tombe et on le laissa passer. On �tait las de toute esp�ce de guerre, cela est vrai: mais on n'�tait pas abruti par la fatigue au point de renoncer au gouvernement de sa propre pens�e. Aussi chacun garda-t-il en soi-m�me le droit de croire, de nier ou de chercher. Les choses rest�rent � cet �gard absolument dans le m�me �tat. La religion catholique ne fit pas une seule conversion, et elle eut ce triste et froid triomphe d'habituer les fran�ais � ne plus s'occuper d'elle d'une mani�re s�rieuse.

Ces derniers jours qui s�parent la R�publique de l'Empire ne montrent-ils pas cependant que, si la cause du progr�s n'�tait pas gagn�e, du moins elle avait jet� d�j� ses racines dans des esprits que leur milieu social e�t d� rendre hostiles � ces tentatives de nivellement?

Non certes, ce moment que l'on nous d�peint comme une phase d'abattement et d'impuissance � l'endroit des id�es n'�tait pas ce qu'il nous para�t aujourd'hui � travers le triomphe de l'id�e personnelle de Bonaparte. Il y avait encore des �l�ments de vie extraordinaires, comme il y en a dans les �poques de dissolution et de renouvellement. Ce n'est pas l'absence d'id�es qui fait ces �poques oisives {CL 7} et aveugles en apparence: c'est, au contraire, la multiplicit� et la diversit� des id�es qui les rendent irr�solues, paresseuses et d�fiantes d'elles-m�mes. Nous sommes aujourd'hui dans une crise analogue.

De 1798 � 1802 on fut particuli�rement incertain et troubl�, et comme dans les temps de scepticisme extr�me, par une loi bizarre en apparence, mais tr�s-significative de l'esprit humain, on est port� � croire au merveilleux; chacun crut sortir de sa perplexit� en se remettant du soin de la destin�e � l'homme du destin, � l'homme du prodige, comme on l'appelait alors.

Eh bien, l'homme du prodige, l'homme du destin, malgr� l'intelligence, prodigieuse en effet, qui, plus d'une fois, lui fit accidentellement pressentir et seconder l'ordre de la destin�e, ne comprit point le parti qu'il pouvait tirer d'une soci�t� ainsi dispos�e par rapport � la v�rit� morale. Il l'exploita merveilleusement au profit de sa th�orie, qui �tait des plus terrestres, puisqu'elle se concentrait dans sa propre action. Il ne vit pas qu'une nation si profond�ment remu�e par des id�es nouvelles �tait capable de produire {Lub 411} quelque chose de plus grand que 'empire d'un seul homme, et que si cet homme e�t toujours bien senti dans son cœur l'appel de la providence, il e�t pu mettre ses hautes facult�s d'application au service d'une r�forme religieuse qui e�t �t� l'expression du progr�s de la France.

Loin de seconder les instincts g�n�reux qui couvaient �pars, mais �nergiques, dans le sein de chaque fran�ais de cette �poque, il ne fit servir son g�nie qu'� les refouler et � les an�antir.

Sa grande intelligence fut voil�e par un nuage, le jour o� il cessa de comprendre que sa mission n'�tait pas de nous faire retourner en arri�re de la R�volution, mais de nous pousser en avant sur toutes les routes.

La R�volution en �tait pourtant d arriv�e � ce point, o�, {CL 8} lasse de violences, ouvrant les yeux sur ses erreurs, regrettant du pass� ce qu'elle avait trop brusquement an�anti, esp�rant de l'avenir des inspirations meilleures, elle pouvait, au lieu de se perdre comme un r�ve �vanoui dans l'anarchie, entrer dans une nouvelle phase avec des hommes nouveaux et des id�es purifi�es. Bonaparte voulait l'ordre, et il avait raison; mais qu'il e�t appliqu� son g�nie essentiellement administrateur � r�tablir l'ordre, il le pouvait tout aussi bien sans d�truire l'id�e et sans �touffer le sentiment r�publicain. Il sentait qu'il fallait une religion repr�sent�e par un culte et il avait raison. Les instincts religieux ne suffisent pas. Ils �taient plus puissants, depuis que la R�volution avait emport� le culte, qu'ils ne l'avaient �t� en France depuis plusieurs si�cles. Jamais, depuis plusieurs si�cles, la doctrine �vang�lique ne s'�tait lus h�ro�quement d�fendue contre les mensonges entass�s sur sa poitrine g�n�reuse. Certainement les hommes valaient mieux en 1800 qu'en 1750, quoiqu'ils eussent commis beaucoup d'erreurs et m�me de crimes. Ils �taient plus �clair�s, plus enthousiastes, plus pr�s de l'id�al. Mais ils ne se rendaient pas compte de leur foi. Ils avaient ob�i � un tel esprit de r�action, qu'ils avaient oubli� que tout ce qu'ils avaient e de meilleur dans le cœur et dans l'esprit leur venait de l'Évangile. Ils se croyaient parfois ath�es ou tout au moins d�istes purs, adeptes de la religion de la nature, dans le moment o� ils �taient le plus semblables � des chr�tiens primitifs par les sentiments et les actions. Cet �tat bizarre ne pouvait durer. L'homme ne peut pas se mentir impun�ment {Lub 412} � lui-m�me pendant longtemps sans que ses croyances se perdent, et un vague instinct du beau, du vrai et du bien n'est pas toute la morale, toute la religion dont l'humanit� a besoin. Cet instinct n'est qu'un r�sultat des principes dont elle a perdu ou bris� les formules, et c'est justement sur ces beaux instincts, mis en {CL 9} effervescence par une r�volution sociale, qu'une v�rit� formul�e doit venir naturellement s'implanter.

Voil� ce que Bonaparte ne comprit pas ou ne voulut pas comprendre. Ils ont tout remis en question, ces id�ologues, pensa-t-il. Ils ne reviendront � l'ordre que par la confiance, et � la confiance que par l'ob�issance. Il me faut l'aide de leurs pr�tres pour les tenir dans le respect de l'ancienne hi�rarchie que je vais leur rendre sous des formes un instant renouvel�es, mais bient�t identiques aux anciennes.

Il est m�me permis de penser que Bonaparte n'alla pas aussi loin dans son raisonnement et qu'il ne vit dans ce repl�trage de la papaut� qu'un moyen de faire accepter son usurpation aux vieilles monarchies de l'Europe, � l'Italie d�vote particuli�rement qu'il mettait en r�publique, en attendant qu'il f�t d'elle son royaume, et de la ville des papes l'apanage de son Dauphin. Il semble qu'il ait d�daign� particuli�rement l'opinion de la France en lui imposant les cons�quences du concordat; et qu'e�t-il fait si cette opinion se f�t prononc�e sous la forme d'une r�sistance populaire? L'e�t-il bris�e � coups de canon?

Est-ce donc ainsi qu'on rel�ve les autels et qu'on restaure une religion? N'est-ce pas plut�t lui porter le dernier coup, et n'�tait-il pas permis aux jeunes gens de l'arm�e d'en critiquer la mise en sc�ne?

La critique est ais�e, dira-t-on, mais nous formulerez-vous la religion que Bonaparte e�t d� proposer au peuple fran�ais? Non, je ne la formulerai pas, parce que je ne suis pas le peuple fran�ais de 1802. Quand m�me j'aurais dans l'esprit avec mes contemporains une formule excellente � l'heure qu'il est, cette formule n'e�t pas �t� applicable il y a un demi-si�cle. Chaque �poque a la v�rit� relative qui lui convient et qui, essentielle dans le fond, doit modifier ses formes, �clairer ses symboles, �tendre ses applications en raison du progr�s des esprits et de l'�l�vation {CL 10} des cœurs. D'ailleurs, la question n'est pas l�. Je ne pr�tends pas que Bonaparte e�t d�, je ne suppose {Lub 413} m�me pas qu'il e�t pu se faire le repr�sentant d'une foi nouvelle: mais sans assumer sur lui, comme Mahomet, le double r�le d'initiateur religieux et de l�gislateur guerrier, ne pouvait-il pas se dire avec tous les esprits avanc�s de son temps: « La doctrine chr�tienne est encore la plus haute, la plus pure expression du pass�. Aucune intelligence saine, aucune �me juste ne la repousse et ne la d�savoue. Gardons la foi chr�tienne; rendons-en le culte accessible et gratuit � ceux qui n'en veulent pas r�pudier les antiques formules. Mais l'Église catholique a perdu, � certains �gards, la notion du vrai christianisme. L'esprit du clerg� est devenu dangereux, mettons un frein � la puissance du clerg�, et comme ce frein ne saurait �tre purement mat�riel, comme il faut surtout s'entendre moralement sur les points essentiels de la doctrine enseign�e et pr�ch�e aux peuples, demandons � l'Église de se d�clarer sur les questions vitales de la soci�t�, mettons le saint-si�ge dans l'obligation d'assembler un concile, ou de renoncer � �tre reconnu en France. Que cette assembl�e, cette discussion solennelle et d�cisive, ait l'�clat et le retentissement qui doivent faire assister le monde entier, la France particuli�rement, � la condamnation de l'absolutisme catholique et � la r�surrection de l'Évangile. Que le monde sache enfin � quoi s'en tenir sur ces doctrines �sot�riques de la papaut�, de l'institut des j�suites et des diff�rents corps, etc. — Une discussion de cette port�e n'est pas indigne de moi et de l'�lite des intelligences. Elle est n�cessaire, elle sera un jour in�vitable. Que ce jour soit d� � mon influence, � mon habilet�, � ma volont� large comme le ciel lui-m�me! Si de puissants esprits ne se pr�sentent pas pour soutenir et gagner la cause du Christ, si le pr�tre triomphe du messie, si la r�v�lation ne sort pas claire et vivante {CL 11} des obscures et contradictoires interpr�tations de l'Église, si la France ne s'int�resse point � ce d�bat supr�me qui va d�cider de sa conscience, de sa moralit�, de son unit�: si ce concile ne donne pas l'essor � des v�rit�s vivifiantes pour les peuples, pour les rois, pour l'Église elle-m�me, j'aurai du moins rempli ma mission et j'aurai tent� v�ritablement le salut de l'humanit�. »

Napol�on ne vit que le c�t� mat�riel des choses. Il se pr�occupa de la nomination des �v�ques, du traitement des pr�tres, etc. Ce n'�tait l� que la question secondaire. {Lub 414} Il fallait extirper le mauvais esprit et les intentions funestes, mettre au pied du mur les pens�es cach�es et les intrigues politiques, n'e�t-il �t� conseill� que par sa politique personnelle. Il a fait des choses plus difficiles que celle-l�, et celle-l�, il l'e�t faite, s'il y avait port� la foi int�rieure.

Je n'apporte pas ici l'�ventualit� de la destruction de l'Église, de celle du culte en France. Je ne suppose m�me pas que le mot et la forme catholiques eussent d� recevoir dans la forme des atteintes regrettables. À cette �poque, il ne pouvait pas s'agir d'un tel bouleversement, et il serait sans doute encore trop t�t pour le tenter, mais il y avait � r�gler les vrais devoirs de l'homme en soci�t�, et � savoir comment l'Église les entendrait d�sormais.

La discussion e�t arrach� � l'Église des concessions de principes qu'elle e�t �t� libre d'appeler des �claircissements, le compl�ment de ses explications ant�rieures. Une fois rentr�e officiellement dans la bonne voie, dans la tol�rance, dans la charit�, dans la fraternit� chr�tiennes, ses ministres eussent �t� justement passibles des peines port�es contre les perturbateurs et les conspirateurs. Autrement, �chappant � tout contr�le et libres de tout engagement, ils poursuivent et poursuivront toujours de plein droit cette �ternelle soci�t� secr�te qui travaille en silence contre tous {CL 12} les pouvoirs, qu'ils s'appellent r�publique, empire ou monarchie.

Par un concile, l'Église irrit�e pouvait se suicider il est vrai, � cette �poque. O� e�t �t� le mal, si elle e�t prouv� � l'univers qu'aucune �tincelle de vie ne couvait plus dans son sein? Mais elle pouvait aussi se relever, retrouver la g�n�reuse impulsion que grand nombre de ses ministres avaient subie en France aux premi�res heures de la R�volution. Elle pouvait se renouveler, se retremper dans la justice et la v�rit� pour des si�cles encore. Chateaubriand n'allait-il pas surgir pour l'orner des guirlandes de la po�sie? N'y avait-il pas des �rudits, des philosophes, des po�tes, voire des mystiques, de par le monde, de grands h�r�tiques et de grands saints, qui fussent sortis de la foule o� ils sont rest�s �touff�s et inconnus, et qui eussent �clair� toutes les faces des questions vitales soulev�es par la conscience publique?

D'ailleurs, avait-elle �t� condamn�e avec justice et clairvoyance, cette religion qui �tait encore alors la {Lub 415} r�v�lation absolue pour quelques-uns, et qui est, pour beaucoup aujourd'hui, une s�rie de r�v�lations successives attendant leur d�veloppement et leur continuation? Non. Elle avait �t� condamn�e sans �tre jug�e, elle avait �t� emport�e dans une tourmente, et c'est ce qui donne encore une grande autorit� � ce qu'elle a de vrai, une grande influence � ce qu'elle a de faux. C'�tait une raison de plus pour ne pas la r�tablir sans la soumettre � un examen libre et concluant, � moins que la pens�e secr�te de Bonaparte ne f�t, comme on pourrait encore se l'imaginer, de l'exposer � de nouveaux outrages en la couronnant de fleurs, et de l'embaumer pour la tombe. Une pens�e aussi ambigu� que celle de Bonaparte � cet �gard donne lieu � plus d'une hypoth�se, et c'est ce qui la condamne.

Le mouvement qui avait port� Robespierre � r�tablir une {CL 13} sorte de culte sorti de son cerveau, mouvement sans lumi�re suffisante, sans conscience assez profonde de soi-m�me, est au moins un mouvement na�f; et tout �ph�m�re et inefficace qu'ait �t� cette tentative, elle a laiss� une trace plus sensible qu'on ne pense dans l'esprit du peuple. Si c'�tait une profanation, ce n'�tait pas une profanation pr�m�dit�e et froidement accomplie. C'�tait na�f et ignorant comme un sacrifice offert par des sauvages au grand Être; mais les sauvages ne sont pas sceptiques, ils adorent Dieu du mieux qu'ils peuvent, et le peuple de Paris avait �t� plus croyant au champ de Mars en 94 qu'il ne le fut autour de Notre-Dame en 1802. Ce n'est pas � dire que la religion des jacobins p�t �tre mise en comparaison aucune avec celle des ap�tres. Mais l'hypocrisie souille tout ce qu'elle touche, et voil� les �tranges m�prises auxquelles elle condamne les hommes.

Par le concordat, Napol�on ressuscitait et consacrait l'antique divorce du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. C'�tait l�, m�me au point de vue de son autorit�, une grande faute, et je ne peux pas comprendre comment il l'a commise, sans m�me en pr�voir les cons�quences. Ses lentes et p�nibles n�gociations avec la cour de Rome, ses querelles assez vives avec le l�gat ne lui faisaient-elles donc pas pressentir que le saint-si�ge n'�tait alors ni plus sinc�re ni plus croyant que lui? Et quand il eut enfin obtenu cette pauvre victoire d'amener le pape � consacrer l'h�r�sie des pr�tres constitutionnels, ne vit-il {Lub 416} pas bien que la r�conciliation n'�tait pas r�elle, et que bient�t il lui faudrait, au nom du pouvoir temporel, briser les r�sistances, �touffer les protestations du pouvoir spirituel? Les classes extr�mes, que le r�tablissement du culte officiel devait le mieux disposer en sa faveur, la vieille noblesse et le peuple des campagnes allaient n�cessairement subir l'influence du clerg� m�content, faire du pape opprim� un martyr, et de {CL 14} l'empereur un tyran et un impie. Avec le concordat, t�t ou tard la restauration monarchique devenait imminente, in�vitable. Bonaparte, qui venait d'appliquer sa vive et mobile capacit� � �tudier les canons et les lois de l'Église, ne se rendit pas compte de l'esprit de l'Église. Il �tonna monsignor Caprara par son �rudition improvis�e, par sa facilit� � retenir la lettre des institutions eccl�siastiques;mais le l�gat s'aper�ut bien qu'il n'en p�n�trait pas le sens, et le terrible ergoteur fut jou� par le pr�lat timide et t�tu. L'Église acheva de perdre, il est vrai, dans cette lutte la v�ritable notion et la v�ritable force de son pouvoir spirituel. Elle s'en d�dommagea en empi�tant sur le pouvoir temporel dans sa pens�e, et gr�ce � sa secr�te persistance, gr�ce aux fautes de Napol�on, elle devint, apr�s la chute de ce grand homme, le v�ritable pouvoir temporel de la France.

Robespierre, dans sa rapide et informe �bauche d'une soci�t� nouvelle, avait du moins �vit� cet �cueil. Il avait r�v� un instant la concentration du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel dans un symbole unique; il avait jet� comme premi�re base de son syst�me une pierre, brute comme une pierre druidique; mais sur cette pierre, par la suite des temps et le d�veloppement des id�es, un temple pouvait s'�lever qui r�unirait dans son sein et la religion et la soci�t� dans une indivisible unit�. Je suppose que Robespierre et Saint-Just eussent v�cu quelques ann�es de plus, et que leur syst�me e�t domin�, la France aurait eu un culte que chaque ann�e aurait �pur�. Le Christ n'e�t certainement pas �t� exclu de ces honneurs rendus � la Divinit�, puisque la R�volution l'avait d�j� qualifi� de sans-culotte J�sus, expression grossi�re et cependant profonde qui r�v�lait un sentiment �nergique de la v�rit�.

Ni Robespierre ni Saint-Just pourtant n'�taient les hommes capables de mener bien loin une œuvre si grande. {CL 15; Lub 417 } Grands eux-m�mes, mais souill�s par l'�poque terrible qui les avait produits, ils eussent laiss� du moins des traces certaines de leur passage. Que Bonaparte et quelques-uns des hommes qui vinrent avec lui et qu'il absorba trop vite dans son rayonnement eussent �t� appel�s � continuer l'œuvre des jacobins, et qu'au lieu de la renier et de la maudire, eux qui l'avaient ador�e, ils eussent gard� la foi des choses nouvelles et compris la loi du progr�s, ils eussent pu apporter le concours de leur g�nie et de leur audace � cet �difice de notre avenir. Et qui sait si, quelques ann�es plus tard, cette grande h�r�sie du nouveau culte fran�ais, d�fendue par Napol�on et par l'h�ro�sme de la nation comme une conqu�te aussi pr�cieuse que nos conqu�tes mat�rielles, n'e�t pas pu n�gocier avec le pape? Le pape n�gociait bien en 1802 avec une nation sans croyance, qui laissait plaider sa cause aupr�s de lui par un seul homme habile et imp�rieux? La terreur du pape e�t �t� bien plus grande si cet homme e�t �t� l'avocat d'une nation enthousiaste, passionn�e, croyante, d�fendant ses principes philosophiques comme des articles de foi, demandant l'�galit� au nom de J�sus, exigeant la r�vision d'une doctrine �touff�e sous de fausses interpr�tations, mena�ant l'Europe d'une v�ritable propagande r�publicaine et fraternelle, et sommant le chef de l'Église d'assembler un concile o� les doctrines fran�aises eussent �t� discut�es et port�es � la tribune du genre humain? Qui sait si la pr�pond�rance du g�nie de Napol�on et la terreur de ses armes n'eussent pas arrach� au saint-p�re un �dit de tol�rance pour l'�glise de notre conscience et de notre inspiration? N'�tait-ce pas le temps des miracles, et le concordat n'est-il pas lui-m�me une sorte de miracle aussi, quoique venant du diable plut�t que de Dieu?

Mais nous n'avons pas besoin d'aller si loin dans nos hypoth�ses. Il est plus vraisemblable de croire que l'Église {CL 16 } nous e�t maudits et repouss�s; mais nous eussions plaid�, l�, du moins, la plus grande cause qui ait jamais �t� plaid�e devant l'humanit�, et nous n'eussions peut-�tre pas manqu� d'hommes pour la plaider dignement. Il en est plusieurs dont l'inspiration s'est perdue dans les luttes sourdes et impossibles de l'anarchie religieuse, qui, second�s, �clair�s et mieux inspir�s par un milieu plus {Lub 417 } pur et un concours plus large, eussent laiss� dans l'histoire une trace que nous ne pouvons pr�voir.

Mais c'e�t �t�, dira-t-on, revenir au temps des hussites, recommencer les guerres de religion, se replonger dans la barbarie dont Voltaire nous avait � jamais sauv�s. — Non, l'humanit� ne repasse point par les chemins qu'elle conna�t sans issue. L'Église n'e�t pas pu lutter, elle n'aurait pas eu le pouvoir temporel pour envoyer nos d�put�s au b�cher. Elle n'avait plus le pouvoir spirituel pour nous combattre victorieusement; elle e�t protest�, elle n'e�t rien emp�ch�; elle e�t �t� �branl�e du fa�te jusqu'� la base, et notre querelle avec les vieilles monarchies de l'Europe, sans cesser d'�tre ardente et prodigieuse, e�t gard� le caract�re religieux et philosophique qu'elle avait au commencement et que Napol�on se h�ta de lui faire perdre. Cette chim�re du pr�jug� qui fait que les mots m�mes que j'emploie, religion et philosophie, sont des termes ennemis et irr�conciliables f, f�t tomb�e devant la clart� du jour. Et supposons encore que l'esprit du temps n'e�t pas admis leur identit� �ternelle, supposons que les fran�ais eussent persist� � se croire uniquement philosophes (cela n'est pas probable, puisqu'en 1794 ils avaient �bauch� une religion et en avaient admis les termes), cette philosophie, qui aurait grandi dans les combats, et que la solidarit� du p�ril aurait grav�e dans tous les cœurs comme l'id�e m�me de la patrie, nous e�t investis d'une force qui n'e�t probablement pas succomb� � Waterloo, en supposant {CL 17} qu'une lutte si longue, si d�sastreuse et si vaine e�t �t� n�cessaire pour le maintien de la R�publique, comme elle l'a �t� pour celui de l'Empire.

Il est vrai que, pour que tout cela f�t possible, il n'aurait pas fallu que Napol�on f�t un conqu�rant et un sceptique. Il e�t fallu un g�nie �clair� d'une lumi�re sup�rieure � celle de la pratique imm�diate. Alors il ne nous e�t pas jet� pour adieu � Fontainebleau cette parole am�re, mal�diction trop juste adress�e aux hommes de son temps: « Si j'avais m�pris� les hommes comme on me l'a reproch�, le monde reconna�trait aujourd'hui que j'ai eu des raisons qui motivaient mon m�pris. » Alors l'unit� de l'homme, qui implique ses droits, ses devoirs et son action dans la vie, n'e�t pas �t� bris�e comme elle l'est aujourd'hui. Nous n'aurions pas une th�ocratie que {Lub 419} le gouvernement r�cuse et subit en m�me temps, anomalie monstrueuse o� p�rissent � la fois l'autorit� spirituelle et l'autorit� temporelle. Cette unit� de notre religion et de notre soci�t�, notion aussi simple que celle de l'union de notre �me avec notre corps, serait entr�e dans les esprits, pass�e dans les lois, dans les mœurs, dans les arts, dans tout, par la force des choses, par la gloire surtout, puisque la gloire �tait la passion de l'�poque, et qu'il e�t fallu d�fendre cette religion de l'�galit� contre les arm�es �trang�res, comme nous avons d�fendu la fortune d'un souverain sans a�eux.

Il est permis de r�ver quand on regarde derri�re soi, et de regretter les d�viations d'un grand esprit, les faiblesses d'un grand caract�re. Il faut cependant, pour �tre juste, voir les obstacles qui l'ont fait reculer, et le milieu qui lui a �t� la libert� du jugement. Bonaparte ne jugea pas les hommes dignes de le seconder, et ce m�pris, si naturel chez ceux qui voient ramper autour d'eux, le porta � r�tr�cir le vaste cadre de ses conceptions. Le spectacle et le souvenir des assembl�es tumultueuses et des vaines agitations {CL 18} parlementaires durent lui causer un profond d�go�t. C'est sous l'empire de ce d�go�t, irritant pour un esprit prompt et net, qu'il imagina le mode du vote pour le consulat � vie. Il comprit tr�s-bien que l'assentiment officiel des nombreuses signatures sur un registre tue l'esprit de parti, mais il dut comprendre aussi plus tard que ce mode peut tuer l'esprit public et cr�er des millions de parjures. Le vote de chaque individu n'est pas le vote de tous. La v�ritable adh�sion des masses n'existe qu'� la condition du contact des hommes r�unis en assembl�e, s'�prouvant, s'interrogeant, se livrant les uns aux autres, s'engageant par la publicit� des d�bats et pouvant �chapper par l� aux influences �troites de la famille et aux suggestions passag�res de l'int�r�t personnel.

Quand ces int�r�ts �go�stes se trouv�rent compromis par les malheurs publics, chacun de ces signataires empress�s se crut libre de trahir et la patrie et l'homme qui, � la fin de sa carri�re, redevenait la personnification v�ritable de la patrie, comme il l'avait �t� au commencement. Si Napol�on e�t voulu ou pu cr�er une v�ritable repr�sentation, je crois fermement qu'elle lui e�t �t� plus fid�le, car elle l'e�t pr�serv� de l'ivresse du pouvoir sans {Lub 420 } entraver la marche providentielle de son g�nie. Le chef actuel de l'État* l'a bien compris, et a r�solu plus habilement le probl�me pos� � toutes les usurpations, quand elles se voient forc�es de consulter la nation. Seulement, comme ce qui n'est qu'un compromis entre la conscience et la n�cessit� n'est qu'un leurre, et qu'un leurre ne saurait durer longtemps, la fausse repr�sentation constitutionnelle de la France pourra bien �tre un jour aussi ingrate envers son fondateur que le fut la repr�sentation na�vement asservie de l'Empire.

* Louis-Philippe. Ceci est �crit en 1847.

{CL 19} Qu'on n'attribue pas � la pr�somption ce coup d'œil jet� par moi sur les �v�nements d'un pass� encore d�battu dans l'opinion des contemporains. C'est le droit de tous, puisque cette histoire d'hier est d�j� celle de chacun de nous. Pour moi, c'est celle de mon p�re, c'est la mienne par cons�quent.

En relisant ses lettres, �crites sous l'impression irr�fl�chie mais sinc�re du moment, je ne puis me d�fendre d'examiner et de juger � mon point de vue cequ'il a jug� au sien.

Mon p�re n'avait pas la pr�tention d'�tre philosophe, malgr� l'�ducation philosophique qu'il avait re�ue. Il se croyait indiff�rent � toute religion, � toute doctrine, et comme tous les hommes de son �ge, comme ceux de son �poque surtout, il se laissait aller sans r�flexion � la vie ext�rieure. Il est bien �vident, n�anmoins, qu'il avait, au fond de l'�me, une foi compl�te aux id�es du christianisme progressif qui ont d�fray� depuis lors les modernes �coles philosophiques.

Mon p�re est mort � trente ans: dans mes vagues souvenirs comme dans le souvenir tendre et presque enthousiaste de ses amis, il reste donc � l'�tat de jeune homme, et moi, qui me fais vieille, je vois en lui, par la m�moire et l'imagination, un enfant comme mon fils, lequel approche d�j� de l'�ge que mon p�re avait � la fin du Consulat, quand je vins au monde. Je re�ois pourtant encore, en lisant sa vie �crite par lui-m�me au jour le jour, dans ses entretiens familiers avec sa m�re, les profonds enseignements qu'il m'e�t donn�s s'il e�t v�cu. Et pour les bien comprendre, � travers le temps et la tombe qui nous s�parent, je suis forc�e de commenter {Lub 421 } tout ce qui s'agite en lui et autour de lui. Je le vois se r�sumer � son insu, � toutes les �poques de sa vie qui touchent � la vie g�n�rale, et le contre-coup qu'il en re�oit me para�t, � travers l'enjouement {CL 20} apparent de son esprit, d'une port�e tr�s-s�rieuse, non-seulement pour moi, mais pour tout le monde.

Ainsi je le vois d�s l'enfance traiter le patriciat de chim�re et la pauvret� de le�on utile. Souffrant de la R�volution jusqu'au fond des entrailles en sentant sous le couteau sa m�re ador�e, je le vois ne jamais maudire les id�es m�res de la R�volution, et tout au contraire approuver et b�nir la chute des privil�ges. Je le vois aimer sa patrie comme Tancr�de, regarder la guerre et la gloire comme la proclamation des conqu�tes morales de la philosophie, et s'�crier: « Ah! Ma m�re! Qui e�t dit � tes amis les philosophes qu'un jour leurs id�es feraient de moi, fils de financier, un soldat au service d'une r�publique, et que ces id�es seraient � la pointe de nos sabres? » Je le vois plus na�f, plus cons�quent, plus chr�tien et plus philosophe encore, aimer une pauvre fille enrichie un instant par un malheur plus grand que la pauvret�; reconna�tre que son amour l'a purifi�e, et lutter contre les plus vives douleurs pour la r�habiliter en d�pit du monde. Je le vois pousser le respect et l'amour de la famille jusqu'� briser le cœur de sa m�re et le sien propre plut�t que de ne pas l�gitimer par le mariage les enfants de son amour. Toute cette conduite-l� n'est pas d'un ath�e, et si l'expression est l�g�re et d�daigneuse quand il parle du culte officiel, je vois, au fond de l'�me, les principes tenaces et victorieux de la religion de l'Évangile.


Variantes

  1. Le deuxi�me partie est soud�e � la premi�re dans {Presse}. Les titres des parties ne figurent qu'� partir de l'�dition {CL}.
  2. [rappel du titre de l'ouvrage et de son �pigraphe] / DEUXIÈME PARTIE / (Suite) -. / MES PREMIÈRES ANNÉES / 1800-1810 {CL}
  3. dans le m�me moment {Lecou}, {LP} ♦ dans le moment {CL}
  4. La r�volution �tait pourtant {Lecou}, {LP} ♦ La R�volution en �tait pourtant {CL}
  5. oubli� que ce qu'ils avaient {Lecou}, {LP} ♦ oubli� que tout ce qu'ils avaient {CL}
  6. ennemis et inconciliables {Lecou}, {LP} ♦ ennemis et irr�conciliables {CL} ennemis et inconciliables {Lub} (r�tablissant la 1�re le�on; nous le suivons)

Notes

  1. Le chapitre entier manque dans {Presse}.