GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{[Presse 6/11/54 2]; LP T.? ?; CL T.1 [389]; Lub T.1 [323]} DEUXIÈME PARTIE
Mes premi�res ann�es
1800-1810 a

{Presse 27/11/54 1; CL T.2 [174]; Lub T.1 [548]} XII b

Int�rieur de mes parents. — Mon ami Pierret. — D�part pour l'Espagne. — Les poup�es. — Les Asturies. — Les liserons et les ours. — La tache de sang. — Les pigeons. — La pie parlante.



Tous mes souvenirs d'enfance sont bien pu�rils, comme l'on voit, mais si chacun de mes lecteurs fait un retour sur lui-m�me en me lisant, s'il se retrace avec plaisir les premi�res �motions de sa vie, s'il se sent redevenir enfant pendant une heure, ni lui ni moi n'aurons perdu notre temps; car l'enfance est bonne, candide, et les meilleurs �tres sont ceux qui gardent le plus ou qui perdent le moins de cette candeur et de cette sensibilit� primitives.

J'ai tr�s-peu de souvenir de mon p�re avant la campagne d'Espagne. Il �tait si souvent absent que je dus le perdre de vue pendant de longs intervalles. Il a pourtant pass� aupr�s de nous l'hiver de 1807 � 1808, car je me rappelle vaguement de tranquilles d�ners � la lumi�re, et un plat de friandise, � coup s�r fort modeste, car il consistait en vermicelle cuit dans du lait sucr�, que mon p�re faisait semblant de vouloir manger tout entier pour s'amuser de ma gourmandise d�sappoint�e. Je me rappelle aussi qu'il faisait, avec sa serviette, nou�e et roul�e de diverses mani�res, des figures de moine, de lapin et de pantin qui me faisaient beaucoup rire. Je crois qu'il m'e�t horriblement g�t�e, car ma m�re �tait forc�e de s'interposer entre nous pour qu'il n'encourage�t pas tous mes {CL 175} caprices au lieu de les r�primer. On m'a dit que, pendant le peu de temps qu'il pouvait passer dans sa famille, il s'y trouvait si heureux qu'il ne voulait pas perdre sa femme et ses enfants de vue, qu'il jouait avec {Lub 549} moi des jours entiers, et qu'en grand uniforme il n'avait nullement honte de me porter dans ses bras, au milieu de la rue et sur les boulevards.

À coup s�r, j'�tais tr�s-heureuse, car j'�tais tr�s-aim�e; nous �tions pauvres et je ne m'en apercevais nullement. Mon p�re touchait pourtant alors des appointements qui eussent pu nous procurer de l'aisance, si les d�penses qu'entra�naient ses fonctions d'aide de camp de Murat, n'eussent d�pass� ses recettes. Ma grand'm�re se privait elle-m�me pour le mettre sur le pied de luxe insens� qu'on exigeait de lui, et encore laissa-t-il des dettes de chevaux, d'habits et d'�quipements. Ma m�re fut souvent accus�e d'avoir ajout� par son d�sordre � ces embarras de famille. J'ai le souvenir si net de notre int�rieur � cette �poque, que je puis affirmer qu'elle ne m�ritait en rien ces reproches. Elle faisait elle-m�me son lit, balayait l'appartement, raccommodait ses nippes et faisait la cuisine. C'�tait une femme d'une activit� et d'un courage extraordinaires. Toute sa vie elle s'est lev�e avec le jour et couch�e � une heure du matin, et je ne me rappelle pas l'avoir vue oisive chez elle un seul instant. c Nous ne recevions personne en dehors de notre famille et de l'excellent ami Pierret, qui avait pour moi la tendresse d d'un p�re et les soins d'une m�re.

C'est le moment de faire l'histoire et le portrait de cet homme inappr�ciable que je regretterai toute ma vie. Pierret �tait fils d'un propri�taire champenois, et d�s l'�ge de dix-huit ans il �tait employ� au tr�sor, o� il a toujours occup� un emploi modeste. C'�tait le plus laid des hommes, mais cette laideur �tait si bonne qu'elle appelait la {CL 176} confiance et l'amiti�. Il avait un gros nez �pat�, une bouche �paisse et de tr�s-petits yeux; ses cheveux blonds frisaient obstin�ment, et sa peau �tait si blanche et si rose e qu'il parut toujours jeune. À quarante ans, il se mit fort en col�re, parce qu'un commis de la mairie, o� il servait de t�moin au mariage de ma sœur, lui demanda de tr�s-bonne foi s'il avait atteint l'�ge de majorit�. Il �tait pourtant assez grand et assez gros, et sa figure �tait toute rid�e, � cause d'un tic nerveux qui lui faisait faire perp�tuellement des grimaces effroyables. C'�tait peut-�tre ce tic m�me qui emp�chait qu'on p�t se faire une id�e juste de l'esp�ce de visage qu'il pouvait avoir. Mais je crois que c'�tait surtout l'expression {Lub 550} candide et na�ve de cette physionomie dans ses rares instants de repos qui pr�tait � l'illusion. Il n'avait pas la moindre parcelle de ce qu'on appelle de l'esprit; mais, comme il jugeait tout avec son cœur et sa conscience, on pouvait bien lui demander conseil sur les affaires les plus d�licates de la vie. Je ne crois pas qu'il ait jamais exist� un homme plus pur, plus loyal, plus d�vou�, plus g�n�reux et plus juste, et son �me �tait d'autant plus belle, qu'il n'en connaissait pas la beaut� et la raret�. Croyant � la bont� des autres, il ne s'est jamais dout� qu'il f�t une exception.

Il avait des go�ts fort prosa�ques. Il aimait le vin, la bi�re, la pipe, le billard et le domino. Tout le temps qu'il ne passait pas avec nous, il le passait dans un estaminet de la rue du faubourg-poissonni�re, � l'enseigne du Cheval blanc. Il y �tait comme dans sa famille, car il le fr�quenta pendant trente ans, et il y porta jusqu'� son dernier jour son in�puisable enjouement et son incomparable bont�. Sa vie s'est donc �coul�e dans un cercle bien obscur et fort peu vari�. Il s'y est trouv� heureux, et comment ne l'e�t-il pas �t�? Quiconque l'a connu, l'a aim�, et jamais l'id�e du mal n'a effleur� son �me honn�te et simple.

{CL 177} Il �tait pourtant fort nerveux, et par cons�quent col�re et susceptible; mais il fallait que sa bont� f�t bien irr�sistible, car il n'a jamais r�ussi � blesser personne. On n'a pas id�e des brusqueries et des algarades que j'ai eues � essuyer de lui. Il frappait du pied, roulait ses petits yeux, devenait rouge et se livrait aux plus fantastiques grimaces, tout en vous adressant dans un langage peu parlementaire les plus v�h�ments reproches. Ma m�re avait coutume de n'y pas faire la moindre attention. Elle se contentait de dire: « Ah! Voil� Pierret en col�re, nous allons voir de belles grimaces! » et aussit�t Pierret, oubliant le ton tragique, se mettait � rire. Elle le taquinait beaucoup, et il n'est pas �tonnant qu'il perd�t souvent patience. Dans ses derni�res ann�es, il �tait devenu plus irascible encore, et il ne passait gu�re de jour qu'il ne pr�t son chapeau et ne sort�t de chez elle en lui d�clarant qu'il n'y remettrait jamais les pieds; mais il revenait le soir sans se rappeler la solennit� de ses adieux du matin.

Quant � moi, il s'arrogeait un droit de paternit� qui e�t �t� jusqu'� la tyrannie, s'il lui e�t �t� possible de {Lub 551} r�aliser ses menaces. Il m'avait vue na�tre et il m'avait sevr�e. Cela est assez remarquable pour donner une id�e de son caract�re. Ma m�re, �tant �puis�e de fatigue, mais ne pouvant se r�soudre � braver mes cris et mes plaintes, et craignant aussi que je fusse mal soign�e la nuit par une bonne, �tait arriv�e � ne plus dormir, dans un moment o� elle en avait grand besoin. Voyant cela, un soir, de sa propre autorit�, Pierret vint me prendre dans mon berceau et m'emporta chez lui, o� il me garda quinze ou vingt nuits, dormant � peine, tant il craignait pour moi, et me faisant boire du lait et de l'eau sucr�e avec autant de sollicitude, de soin et de propret� qu'une berceuse e�t pu le faire. Il me rapportait chaque matin � ma m�re pour aller � son bureau, puis au Cheval blanc; et chaque soir il venait me reprendre, {CL 178} me portant ainsi � pied devant tout le quartier, lui grand gar�on de vingt-deux ou vingt-trois ans et ne se souciant gu�re d'�tre remarqu�. Quand ma m�re faisait mine de r�sister et de s'inqui�ter, il se f�chait tout rouge, lui reprochait son imb�cile faiblesse, car il ne choisissait pas ses �pith�tes, il le disait lui-m�me avec grand contentement de sa mani�re d'agir: et quand il me rapportait, ma m�re �tait forc�e d'admirer combien j'�tais proprette, fra�che et de bonne humeur. Il est si peu dans les go�ts et dans les facult�s d'un homme, et surtout d'un homme d'estaminet comme Pierret, de soigner un enfant de dix mois, que c'est merveille non qu'il l'ait fait, mais que l'id�e lui en soit venue. Enfin je fus sevr�e par lui, et il en vint � bout � son honneur, ainsi qu'il l'avait annonc�.

On pense bien qu'il me regarda toujours comme un petit enfant, et j'avais environ quarante ans qu'il me parlait toujours comme � un marmot. Il �tait tr�s-exigeant sur le chapitre non de la reconnaissance, il n'avait jamais song� � se faire valoir en quoi que ce soit, mais sur celui de l'amiti�. Et quand on l'�prouvait en lui demandant pourquoi il voulait �tre tant aim�, il ne savait r�pondre que ceci: « C'est que je vous aime. » Et il disait cette douce parole d'un ton de fureur et avec une contraction nerveuse qui lui faisaient grincer les dents. Si, en �crivant trois mots � ma m�re, j'oubliais une seule fois d'adresser quelque amiti� � Pierret, et que je vinsse � le rencontrer sur ces entrefaites, il me tournait le dos et refusait de me dire bonjour. Les explications et les excuses ne servaient {Lub 552} de rien. Il me traitait de mauvais cœur, de mauvais enfant, et il me jurait une rancune et une haine �ternelles. Il disait cela d'une mani�re si comique qu'on e�t cru qu'il jouait une sorte de parade, si on n'e�t vu de grosses larmes rouler dans ses yeux. Ma m�re, qui connaissait cet �tat nerveux, lui disait: « Taisez-vous donc, Pierret, vous �tes fou »; {CL 179} et m�me elle le pin�ait fortement pour que ce f�t plus vite fini. Alors il revenait � lui-m�me et daignait �couter ma justification. Il ne fallait qu'un mot du cœur et une caresse pour l'apaiser et le rendre heureux, aussit�t qu'on avait r�ussi � la lui faire entendre.

Il avait fait connaissance avec mes parents d�s les premiers jours de mon existence, et d'une mani�re qui les avait li�s tout d'un coup. Une parente � lui demeurait rue Meslay, sur le m�me carr� que ma m�re. Cette femme avait un enfant de mon �ge qu'elle n�gligeait, et qui, priv� de son lait, criait tout le jour. Ma m�re entra dans la chambre o� le petit malheureux mourait de besoin, le fit teter, et continua � le secourir ainsi sans rien dire. Mais Pierret, en venant voir sa parente, surprit ma m�re dans cette occupation, en fut attendri, et se d�voua � elle et aux siens pour toujours.

{Presse 27/11/54 2} À peine e�t-il vu mon p�re qu'il se prit �galement pour lui d'une affection immense. Il se chargea de toutes ses affaires, y mit de l'ordre, le d�barrassa des cr�anciers de mauvaise foi, l'aida par sa pr�voyance � satisfaire peu � peu les autres; enfin il le d�livra de tous les soins mat�riels qu'il �tait peu capable de d�brouiller sans le secours d'un esprit rompu aux affaires de d�tail et toujours occup� du bien-�tre d'autrui. C'est lui qui lui choisissait ses domestiques, qui r�glait ses m�moires, qui touchait ses recettes et lui faisait parvenir de l'argent � coup s�r, en quelque lieu que l'impr�vu de la guerre l'e�t port�. Mon p�re ne partait jamais pour une campagne sans lui dire: « Pierret, je te recommande ma femme et mes enfants, et si je ne reviens pas, songe que c'est pour toute ta vie. » Pierret prit cette recommandation au s�rieux, car toute sa vie nous fut consacr�e apr�s la mort de mon p�re. On voulut bien incriminer ces relations domestiques, car qu'y a-t-il de sacr� en ce monde et quelle �me peut �tre jug�e pure par celles qui {CL 180} ne le sont pas? Mais � quiconque a �t� digne de comprendre Pierret, une semblable supposition para�tra {Lub 553} toujours un outrage � sa m�moire. Il n'�tait pas assez s�duisant pour rendre ma m�re infid�le, m�me par la pens�e. Il �tait trop consciencieux et trop probe pour ne pas s'�loigner d'elle, s'il e�t senti en lui-m�me le danger de trahir, m�me mentalement, la confiance dont il �tait si fier et si jaloux. Par la suite, il �pousa la fille d'un g�n�ral sans fortune, et ils firent tr�s-bon m�nage ensemble, cette personne �tant estimable et bonne, � ce que j'ai toujours entendu dire � ma m�re que j'ai vue en relations affectueuses avec elle.

Quand notre voyage en Espagne fut r�solu, ce fut Pierret qui fit tous nos pr�paratifs. Ce n'�tait pas une entreprise fort prudente de la part de ma m�re, car elle �tait grosse de sept � huit mois. Elle voulait m'emmener et j'�tais encore un personnage assez incommode. Mais mon p�re annon�ait un s�jour de quelque temps � Madrid et ma m�re avait, je crois, quelque soup�on jaloux. Quel que f�t le motif, elle s'obstina � l'aller rejoindre et se laissa s�duire, je crois, par l'occasion. La femme d'un fournisseur de l'arm�e, qu'elle connaissait, partait en poste et lui offrait une place dans sa cal�che pour la conduire jusqu'� Madrid.

Cette dame avait pour tout protecteur dans cette occurence un petit jockey de douze ans. Nous voici donc en route ensemble, deux femmes dont une enceinte, et deux enfants dont je n'�tais pas le plus d�raisonnable et le plus insoumis.

Je ne crois pas avoir eu de chagrin en me s�parant de ma sœur, qui restait en pension, et de ma cousine Clotilde; comme je ne les voyais pas tous les jours, je ne me faisais pas l'id�e de la dur�e plus ou moins longue d'une s�paration que je voyais recommencer toutes les semaines. Je ne regrettai pas non plus l'appartement, quoique ce f�t � peu pr�s mon univers et que je n'eusse encore gu�re {CL 181} exist� ailleurs, m�me par la pens�e. Ce qui me serra v�ritablement le cœur pendant les premiers moments du voyage, ce fut la n�cessit� de laisser ma poup�e dans cet appartement d�sert, o� elle devait s'ennuyer si fort.

Le sentiment que les petites filles �prouvent pour leur poup�e est v�ritablement assez bizarre, et je l'ai ressenti si vivement et si lontemps que, sans l'expliquer, je puis ais�ment le d�finir. Il n'est aucun moment de leur {Lub 554} enfance o� elles se trompent enti�rement sur le genre d'existence de cet �tre inerte qu'on leur met entre les mains et qui doit d�velopper en elles le sentiment de la maternit�, pour ainsi dire avec la vie. Du moins, quant � moi, je ne me souviens pas d'avoir jamais cru que ma poup�e f�t un �tre anim�; pourtant j'ai ressenti pour certaines de celles que j'ai poss�d�es une v�ritable affection maternelle. Ce n'�tait pas pr�cis�ment de l'idol�trie, quoique l'usage de faire aimer ces sortes de f�tiches aux enfants soit un peu sauvage; je ne me rendais pas bien compte de ce que c'�tait que cette affection, et je crois que si j'eusse pu l'analyser, j'y aurais trouv� quelque chose d'analogue, relativement, � ce que les catholiques fervents �prouvent en face de certaines images de d�votion. Ils savent que l'image n'est pas l'objet m�me de leur adoration, et pourtant ils se prosternent devant l'image, ils la parent, ils l'encensent, ils lui font des offrandes. Les anciens n'�taient pas plus idol�tres que nous, quoi qu'on en ait dit. En aucun temps les hommes �clair�s n'ont ador� ni la statue de Jupiter, ni l'idole de Mammon; c'est Jupiter et Mammon qu'ils r�v�raient sous les symboles ext�rieurs. Mais en tout temps, aujourd'hui comme jadis, les esprits incultes ont �t� assez emp�ch�s de faire une distinction bien nette entre le dieu et l'image.

Il en est ainsi des enfants en g�n�ral. Ils sont entre le r�el et l'impossible. Ils ont besoin de soigner ou de gronder, de caresser ou de briser ce f�tiche d'enfant ou d'animal {CL 182} qu'on leur donne pour jouet, et dont on les accuse � tort de se d�go�ter trop vite. Il est tout simple, au contraire, qu'ils s'en d�go�tent. En les brisant, ils protestent contre le mensonge. Un instant ils ont cru trouver la vie dans cet �tre muet qui bient�t leur montre ses muscles de fil de laiton, ses membres difformes, son cerveau vide, ses entrailles de son ou de filasse. Et le voil� qui souffre l'examen, qui se soumet � l'autopsie, qui tombe lourdement au moindre choc et se brise d'une fa�on ridicule. Comment l'enfant aurait-il piti� de cet �tre qui n'excite que son m�pris? Plus il l'a admir� dans sa fra�cheur et dans sa nouveaut�, plus il le d�daigne quand il a surpris le secret de son inertie et de sa fragilit�.

J'ai aim� � casser les poup�es, et les faux chats, et les faux chiens, et les faux petits hommes, tout comme les {Lub 555} autres enfants. Mais il y a eu par exception certaines poup�es que j'ai soign�es comme de vrais enfants. Quand j'avais d�shabill� la petite personne, si je voyais ses bras vaciller sur les �pingles qui les retenaient aux �paules et ses mains de bois se d�tacher de ses bras, je ne pouvais me faire aucune illusion sur son compte et je la sacrifiais vite aux jeux imp�tueux et belliqueux; mais si elle �tait solide et bien faite, si elle r�sistait aux premi�res �preuves, si elle ne se cassait pas le nez � sa premi�re chute, si ses yeux d'�mail avaient une esp�ce de regard dans mon imagination, elle devenait ma fille, je lui rendais des soins infinis et je la faisais respecter des autres enfants avec une jalousie incroyable.

J'avais aussi des jouets de pr�dilection, un entre autres que je n'ai jamais oubli� et qui s'est perdu � mon grand regret, car je ne l'ai pas bris�, et il se peut qu'il f�t effectivement aussi joli qu'il me le para�t dans mes souvenirs.

C'�tait une pi�ce de surtout de table assez ancienne, car elle avait servi de jouet � mon p�re dans son enfance, le surtout entier n'existant plus apparemment � cette �poque. {CL 183} Il l'avait retrouv�e chez ma grand'm�re en fouillant dans une armoire, et, se rappelant combien ce jouet lui avait plu, il me l'avait apport�e. C'�tait une petite v�nus en biscuit de S�vres portant deux colombes dans ses mains. Elle �tait mont�e sur un pi�destal, lequel tenait � un petit plateau ovale doubl� d'une glace et entour� de d�coupures de cuivre dor�. Dans cette garniture se trouvaient des tulipes qui servaient de chandeliers, et quand on y allumait de petites bougies, la glace, qui figurait un bassin d'eau vive, r�fl�tait les lumi�res, et la statue, et les jolis ornements dor�s de la garniture. C'�tait pour moi tout un monde enchant� que ce joujou, et, quand ma m�re m'avait racont� pour la dixi�me fois le charmant conte de Gracieuse et Percinet, je me mettais � composer en imagination des paysages ou des jardins magiques, dont je croyais saisir la r�p�tition dans un lac. O� les enfants trouvent-ils la vision des choses qu'ils n'ont jamais vues?

Lorsque nos paquets pour le voyage en Espagne furent termin�s, j'avais une poup�e ch�rie qu'on m'e�t sans doute laiss�e emporter. Mais ce ne fut pas mon id�e. Il me sembla qu'elle se casserait ou qu'on me la {Lub 556} prendrait si je ne la laissais dans ma chambre, et apr�s l'avoir d�shabill�e et lui avoir fait une toilette de nuit fort recherch�e, je la couchai dans mon petit lit et j'arrangeai les couvertures avec beaucoup de soin. Au moment de partir, je courus lui donner un dernier regard, et comme Pierret me promettait de venir lui faire manger la soupe tous les matins, je commen�ai � tomber dans l'�tat de doute o� sont les enfants sur la r�alit� de ces sortes d'�tres. État vraiment singulier o� la raison naissante, d'une part, et le besoin d'illusion, de l'autre, se combattent dans leur cœur avide d'amour maternel. Je pris les deux mains de ma poup�e et je les lui joignis sur la poitrine. Pierret m'observa que c'�tait l'attitude d'une morte. Alors je lui �levai les mains {CL 184} jointes au-dessus de la t�te dans une attitude de d�sespoir ou d'invocation, � laquelle j'attribuais tr�s-s�rieusement une id�e superstitieuse. Je pensais que c'�tait un appel � la bonne f�e, et qu'elle serait prot�g�e en restant dans cette posture tout le temps de mon absence. Aussi Pierret dut me promettre de ne pas la lui faire perdre. Il n'y a rien de plus vrai au monde que cette folle et po�tique histoire d'Hoffmann intitul�e le Casse-noisette. C'est la vie intellectuelle de l'enfant prise sur le fait. J'en aime m�me cette fin embrouill�e qui se perd dans le monde des chim�res. L'imagination des enfants est aussi riche et aussi confuse que ces brillants r�ves du conteur allemand.

Sauf la pens�e de ma poup�e qui me poursuivit quelque temps, f je ne me rappelle rien du voyage jusqu'aux montagnes des Asturies. Mais je ressens encore l'�tonnement et la terreur que me caus�rent ces grandes montagnes. Les brusques d�tours de la route au milieu de cet amphith��tre dont les cimes fermaient l'horizon m'apportaient � chaque instant une surprise pleine d'angoisses. Il me semblait que nous �tions enferm�s dans ces montagnes, qu'il n'y avait plus de route et que nous ne pourrions ni continuer ni retourner. J'y vis pour la premi�re fois, sur les marges du chemin, du liseron en fleur. g Ces clochettes roses d�licatement ray�es de blanc me frapp�rent beaucoup. Ma m�re m'ouvrait instinctivement et tout na�vement le monde du beau en m'associant d�s l'�ge le plus tendre � toutes ses impressions. Ainsi, quand il y avait un beau nuage, un grand effet de soleil, une eau claire et courante, elle me faisait arr�ter en me disant: « Voil� qui {Lub 557} est joli, regarde. » Et tout aussit�t ces objets que je n'eusse peut-�tre pas remarqu�s de moi-m�me, me r�v�laient leur beaut�, comme si ma m�re avait eu une clef magique pour ouvrir mon esprit au sentiment inculte mais profond qu'elle en avait elle-m�me. Je me souviens que notre compagne de voyage ne {CL 185} comprenait rien aux na�ves admirations que ma m�re me faisait partager, et qu'elle disait souvent: « Oh! Mon dieu, Madame Dupin, que vous �tes dr�le avec votre petite fille! » Et pourtant je ne me rappelle pas que ma m�re m'ait jamais fait une phrase . Je crois qu'elle en e�t �t� bien emp�ch�e, car c'est � peine si elle savait �crire � cette �poque et elle ne se piquait point d'une vaine et inutile orthographe. Et pourtant elle parlait purement, comme les oiseaux chantent sans avoir appris � chanter. Elle avait la voix douce et la prononciation distingu�e. Ses moindres paroles me charmaient ou me persuadaient. h 1

{Presse 28/11/54 1} Comme elle �tait i v�ritablement infirme sous le rapport de la m�moire et n'avait jamais pu encha�ner deux faits dans son esprit, elle s'effor�ait de combattre en moi cette infirmit�, qui, � bien des �gards, a �t� h�r�ditaire. Aussi me disait-elle � chaque instant: « Il faudra te souvenir de ce que tu vois l�, » et chaque fois qu'elle a pris cette pr�caution, je me suis souvenue en effet. Ainsi, en voyant les liserons en fleur, elle me dit: « Respire-les, cela sent le bon miel; et ne les oublie pas! » C'est donc la premi�re r�v�lation de l'odorat que je me rappelle, et par un lien de souvenirs et de sensations que tout le monde conna�t sans pouvoir l'expliquer, je ne respire jamais des fleurs de liseron-vrille sans voir l'endroit des montagnes espagnoles et le bord du chemin o� j'en cueillis pour la premi�re fois.

Mais quel �tait cet endroit! Dieu le sait? Je le reconna�trais en le voyant. Je crois que c'�tait du c�t� de Pancorbo.

Une autre circonstance que je n'oublierai jamais j et qui e�t frapp� tout autre enfant est celle-ci: nous �tions dans un endroit assez aplani, et non loin des habitations. La nuit �tait claire, mais de gros arbres bordaient la route et y jetaient par moments beaucoup d'obscurit�. J'�tais sur le {CL 186} si�ge de la voiture avec le jockey. Le postillon ralentit ses chevaux, se retourna et cria au jockey: Dites � ces dames de ne pas avoir peur, k j'ai de bons chevaux. Ma {Lub 558} m�re n'eut pas besoin que cette parole lui f�t transmise; elle l'entendit, et s'�tant pench�e � la porti�re, elle vit aussi bien que je les voyais trois personnages, deux sur un c�t� de la route, l'autre en face, � dix pas de nous environ. Ils paraissaient petits et se tenaient immobiles. « Ce sont des voleurs, cria ma m�re, postillon, n'avancez pas, retournez, retournez! Je vois leurs fusils. »

Le postillon, qui �tait fran�ais, se mit � rire, car cette vision de fusils lui prouvait bien que ma m�re ne savait gu�re � quels ennemis nous avions affaire. Il jugea prudent de ne pas la d�tromper, fouetta ses chevaux et passa r�sol�ment au grand trot devant ces trois flegmatiques personnages, qui ne se d�rang�rent pas le moins du monde et que je vis distinctement, mais sans pouvoir dire ce que c'�tait. Ma m�re, qui les vit � travers sa frayeur, crut distinguer des chapeaux pointus, et les prit pour une sorte de militaires. Mais quand les chevaux, excit�s et tr�s-effray�s pour leur compte, eurent fourni une assez longue course, le postillon les mit au pas, et descendit pour venir parler � ses voyageuses. « Eh bien, mesdames, dit-il en riant toujours, avez-vous vu leurs fusils? Ils avaient bien quelque mauvaise id�e, car ils se sont tenus debout tout le temps qu'ils nous ont vus. Mais je savais que mes chevaux ne feraient pas de sottise. S'ils nous avaient vers�s dans cet endroit-l�, ce n'e�t pas �t� une bonne affaire pour nous. — Mais enfin, dit ma m�re, qu'est-ce que c'�tait donc? — C'�taient trois grands ours de montagne, sauf votre respect, ma petite dame. »

Ma m�re eut plus peur que jamais, elle suppliait le postillon de remonter sur ses chevaux et de nous conduire bride abattue jusqu'au prochain g�te; mais cet homme {CL 187} �tait apparemment habitu� � de telles rencontres, qui seraient sans doute bien rares aujourd'hui en plein printemps sur les voies de grande communication. Il nous dit que ces animaux n'�taient � craindre qu'en cas de chute, et il nous conduisit au relais sans encombre.

Quant � moi, je n'eus aucune peur, j'avais connu plusieurs ours dans mes bo�tes de Nuremberg. Je leur avais fait d�vorer certains personnages malfaisants de mes romans improvis�s, mais ils n'avaient jamais os� attaquer ma bonne princesse aux aventures de laquelle je m'identifiais certainement sans m'en rendre compte.

On ne s'attend pas sans doute � ce que je mette de {Lub 559} l'ordre dans des souvenirs qui datent de si loin. Ils sont tr�s-bris�s dans ma m�moire, et ce n'est pas ma m�re qui e�t pu m'aider par la suite � les encha�ner, car elle se souvenait moins que moi. Je dirai seulement dans l'ordre o� elles me viendront, les principales circonstances qui m'ont frapp�e.

Ma m�re eut une autre frayeur moins bien fond�e, dans une auberge qui avait pourtant fort bonne mine. Je me retrace ce g�te parce que j'y remarquai pour la premi�re fois ces jolies nattes de paille nuanc�es de diverses couleurs, qui remplacent les tapis chez les peuples m�ridionaux. J'�tais bien fatigu�e, nous voyagions par une chaleur �touffante, et mon premier mouvement fut de me jeter tout de mon long sur la natte en entrant dans la chambre qui nous �tait ouverte. Probablement nous avions d�j� eu sur cette terre d'Espagne boulevers�e par l'insurrection, des g�tes moins confortables, car ma m�re s'�cria: « À la bonne heure! Voici des chambres tr�s-propres, et j'esp�re que nous pourrons dormir. » Mais au bout de quelques instants, �tant sortie dans le corridor, elle fit un grand cri et rentra pr�cipitamment. Elle avait vu une large tache de sang sur le plancher, et c'en �tait assez pour lui faire croire qu'elle �tait dans un coupe-gorge.

{CL 188} Madame Fontanier (voici que le nom de notre compagne de voyage me revient) se moqua d'elle, mais rien ne put la d�cider � se coucher qu'elle n'e�t examin� furtivement la maison. Ma m�re �tait d'une poltronnerie d'un genre assez particulier. Sa vive imagination lui pr�sentait � chaque instant l'id�e de dangers extr�mes; mais en m�me temps sa nature active et sa pr�sence d'esprit remarquable lui inspiraient le courage de r�agir, d'examiner, de voir de pr�s les objets qui l'avaient �pouvant�e, afin de se soustraire au p�ril, ce qu'elle e�t fait fort adroitement, je n'en doute pas. Enfin elle �tait de ces femmes qui, en ayant toujours peur de quelque chose parce qu'elles craignent la mort, ne perdent jamais la t�te, parce qu'elles ont pour ainsi dire le g�nie de la conservation.

La voil� donc qui s'arme d'un flambeau et qui veut emmener Madame Fontanier � la d�couverte; celle-ci qui n'�tait ni aussi craintive, ni aussi brave, ne s'en souciait gu�re. Je me sentis alors prise d'un grand {Lub 560} instinct de courage qui avait peu de m�rite, puisque je n'avais pas compris pourquoi ma m�re avait peur: mais enfin, la voyant se lancer toute seule dans une exp�dition qui faisait reculer sa compagne, je m'attachai r�sol�ment � son jupon, et le jockey, qui �tait un dr�le fort malin, n'ayant peur de quoi que ce soit et se moquant de toutes gens et de toutes choses, nous suivit avec un autre flambeau. Nous all�mes ainsi � la d�couverte sur la pointe du pied, pour ne pas �veiller la m�fiance des h�tes, que nous entendions rire et causer dans la cuisine. Ma m�re nous montra en effet la tache de sang aupr�s d'une porte o� elle colla son oreille, et son imagination �tait tellement excit�e, qu'elle crut entendre des g�missements. « Je suis s�re, dit-elle au jockey, qu'il y a l� quelque malheureux soldat fran�ais �gorg� par ces m�chants espagnols. » Et, d'une main tremblante mais r�solue, elle ouvrit la porte et se trouva en pr�sence {CL 189} de trois �normes cadavres... de porcs fra�chement assassin�s pour la provision de la maison et la consommation des voyageurs.

Ma m�re se mit � rire et revint se moquer de sa frayeur avec Madame Fontanier. Quant � moi, j'eus plus peur de la vue de ces cochons sanglants et ouverts, si vilainement pendus � la muraille, avec leur nez grill� touchant la terre, que de tout ce que j'aurais pu m'imaginer.

Je ne me fis pourtant pas pour cela une id�e nette de la mort, et il me fallut un autre spectacle pour comprendre ce que c'�tait. J'avais pourtant tu� beaucoup de monde dans mes romans entre quatre chaises et dans mes jeux militaires avec Clotilde. Je connaissais le mot et non la chose, j'avais fait la morte moi-m�me sur le champ de bataille avec mes compagnes amazones, et je n'avais senti aucun d�plaisir d'�tre couch�e par terre et de fermer les yeux pendant quelques instants. J'appris tout de bon ce que c'est dans une autre auberge, o� l'on m'avait donn� un pigeon vivant, sur quatre ou cinq qu'on destinait � notre d�ner; car, en Espagne, c'est, avec le porc, le fond de la nourriture des voyageurs, et, en ce temps de guerre et de mis�re, c'�tait du luxe que d'en trouver � discr�tion. Ce pigeon me causa des transports de joie et de tendresse; je n'avais jamais eu un si beau joujou, et un joujou vivant, quel tr�sor! Mais il me prouva bient�t qu'un �tre vivant est un {Lub 561} joujou incommode, car il voulait toujours s'enfuir, et aussit�t que je lui laissais la libert� pour un instant, il s'�chappait et il me fallait le poursuivre dans toute la chambre. Il �tait insensible � mes baisers et j'avais beau l'appeler des plus doux noms, il ne m'entendait pas. Cela me lassa et je demandai o� l'on avait mis les autres pigeons. Le jockey me r�pondit qu'on �tait en train de les tuer. « Eh bien, dis-je, je veux qu'on tue aussi le mien. » Ma m�re voulut me faire renoncer � cette id�e cruelle, mais je {CL 190} m'y obstinai jusqu'� pleurer et � crier, ce qui lui causa une grande surprise. « Il faut, dit-elle � Madame Fontanier, que cette enfant ne se fasse aucune id�e de ce qu'elle demande. Elle croit que mourir, c'est dormir. » Elle me prit alors par la main, et m'emmena avec mon pigeon dans la cuisine o� l'on �gorgeait ses fr�res. Je ne me rappelle pas comment on s'y prenait, mais je vis le mouvement de l'oiseau qui mourait violemment et la convulsion finale. Je poussai des cris d�chirants, et croyant que mon oiseau d�j� tant aim� avait subi le m�me sort, je versais des torrents de larmes. Ma m�re, qui l'avait sous son bras, me le montra vivant, et ce fut pour moi une joie extr�me. Mais quand on nous servit � d�ner les cadavres des autres pigeons, et qu'on me dit que c'�tait les m�mes �tres que j'avais vus si beaux avec leurs plumes luisantes et leur doux regard, j'eus horreur de cette nourriture et n'y voulus pas toucher.

Plus nous avancions dans notre trajet, plus le spectacle de la guerre devenait terrible. Nous pass�mes la nuit dans un village qui avait �t� br�l� la veille et o� il ne restait dans l'auberge qu'une salle avec un banc et une table. Il n'y avait absolument � manger que des oignons crus, dont je me contentai, mais auxquels ma m�re ni sa compagne ne purent se r�soudre � toucher. Elles n'osaient pas voyager la nuit. Elles la pass�rent sans fermer l'œil, et je dormis sur la table, o� elles m'avaient fait un lit vraiment trop bon avec les coussins de la cal�che.

Il m'est impossible de dire � quelle �poque pr�cise de la guerre d'Espagne nous nous trouvions. Je ne me suis jamais occup�e de le savoir � l'�poque o� mes parents eussent pu mettre de l'ordre dans mes souvenirs, et je n'en ai plus aucun en ce monde qui puisse m'y aider. {Lub 562} Je pense que nous �tions parties de Paris dans le courant d'avril 1808, et que l'�v�nement terrible du 2 mai {Presse 28/11/54 2} �clata � Madrid pendant {CL 191} que nous traversions l'Espagne pour nous y rendre. Mon p�re �tait arriv� � Bayonne le 27 f�vrier. Il �crivait quelques lignes des environs de Madrid, le 18 mars, � ma m�re, et c'est vers cette �poque que j'ai d� voir l'empereur � Paris, � son retour de Venise et avant son d�part pour Bayonne; car quand je le vis, le soleil baissait et me venait dans les yeux, et nous rentrions chez nous pour d�ner. Quand nous quitt�mes Paris, il ne faisait pas chaud; mais � peine f�mes-nous en Espagne que la chaleur nous accabla. Si j'avais �t� � Madrid pendant l'�v�nement du 2 mai, une pareille catastrophe m'e�t sans doute vivement frapp�e, puisque je me rappelle de bien moindres circonstances.

En voici une qui me fixe presque, c'est la rencontre que nous f�mes vers Burgos, ou vers Vittoria, d'une reine qui ne pouvait �tre que la reine d'�trurie. Or, l'on sait que le d�part de cette princesse fut la premi�re cause du mouvement du 2 mai � Madrid. Nous la rencontr�mes probablement peu de jours apr�s, comme elle se dirigeait sur Bayonne, o� le roi Charles IV l'appelait afin de r�unir toute sa famille sous la serre de l'aigle imp�riale.

Comme cette rencontre me frappa beaucoup, je puis la raconter avec quelques d�tails. Je ne saurais dire en quel lieu c'�tait, sinon que c'�tait dans une sorte de village o� nous nous �tions arr�t�es pour d�ner. Il y avait dans l'auberge un relais de poste, et, au fond de la cour, un assez grand jardin o� je vis des tournesols qui me rappel�rent ceux de Chaillot. Et pour la premi�re fois l je vis recueillir la graine de cette plante, et l'on me dit qu'elle �tait bonne � manger. Il y avait dans un coin de cette m�me cour une pie en cage, et cette pie parlait, ce qui fut pour moi un autre sujet d'�tonnement. Elle disait en espagnol quelque chose qui signifiait probablement mort aux Fran�ais, ou peut-�tre mort � Godoy. Je n'entendais distinctement que {CL 192} le premier mot, qu'elle r�p�tait avec affectation et avec un accent vraiment diabolique. Muera, muera... m et le jockey de Madame Fontanier n m'expliquait qu'elle �tait en col�re contre moi et qu'elle me souhaitait la mort. J'�tais si �tonn�e d'entendre parler un oiseau, que o mes contes de f�es me parurent plus s�rieux {Lub 563} que je n'avais peut-�tre cru jusqu'alors. Je ne me rendis pas du tout compte de cette parole m�canique dont le pauvre oiseau ne comprenait pas le sens: puisqu'il parlait, il devait penser et raisonner, selon moi, et j'eus tr�s-peur de cette esp�ce de g�nie malfaisant qui frappait du bec les barreaux de sa cage, en r�p�tant toujours: Muera, muera!


Variantes

  1. Le deuxi�me partie est soud�e � la premi�re dans {Presse}. Les titres des parties ne figurent qu'� partir de l'�dition {CL}.
  2. CHAPITRE DEUXIÈME {Presse} ♦ CHAPITRE DOUZIÈME {Lecou}, {LP} ♦ XII {CL} (Dans {Presse}, le chapitre deuxi�me reunit les chapitres XII et XIII des �ditions ult�rieures)
  3. oisive un seul instant. {Presse} ♦ oisive chez elle un seul instant. {Lecou} et sq.
  4. qui avait la tendresse {Presse} ♦ qui avait pour moi la tendresse {Lecou} et sq.
  5. si ridiculement blanche et rose {Presse} ♦ si blanche et si rose {Lecou} et sq.
  6. poursuivit pendant quelque temps, {Presse}, {Lecou}, {LP} poursuivit quelque temps, {CL}
  7. de la vrille en fleur. {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ du liseron en fleur. {CL}
  8. et me persuadaient. {Presse} ♦ ou me persuadaient. {CL}
  9. Comme ma m�re �tait {Presse} ♦ Comme elle �tait {Lecou} et sq.
  10. n'oublierai pas {Presse} ♦ n'oublierai jamais {Lecou} et sq.
  11. Dites de ne pas avoir peur, {Presse} ♦ Dites � ces dames de ne par avoir peur, {Lecou} et sq.
  12. Pour la premi�re fois {Presse} ♦ Et pour la premi�re fois {CL}
  13. diabolique, muera, muera. {Presse} ♦ diabolique. Muera, muera... {CL}
  14. Mme Fontanier {Presse} ♦ Madame Fontanier {CL}
  15. un oiseau que {Presse} ♦ un oiseau, que {CL}

Notes

  1. {Presse} (La suite � demain.). La publication reprend en effet son rythme normal.