Campagne de 1805. — Lettres de mon père à ma mère. — Affaire d'Haslach. — Lettre de Nuremberg. — Belles actions de la division Gazan et de la division Dupont sur les rives du Danube. — Belle conduite de Mortier. c — Lettre de Vienne. — Le général Dupont. — Mon père passe dans la ligne avec le grade de capitaine et la croix. — Campagne de 1806 et 1807. — Radeau de Tilsitt. — Retour en France. — Voyage en Italie. — Lettres de Venise et de Milan. — Fin de la correspondance avec ma mère et commencement de ma propre histoire. d |
L'amiral Villeneuve, qui, au lieu de sortir du Ferrol et de cingler sur Brest pour se réunir à Gantheaume, avait perdu la tête et mis le comble à ses fautes incroyables en se faisant bloquer dans Cadix, avait fait échouer le projet d'une descente en Angleterre. La Russie et l'Autriche avaient conclu un traité d'alliance et mettaient cinquante mille hommes sur pied. L'Angleterre fournissait à chaque puissance coalisée un subside de quinze mille livres sterling par dix mille hommes. La réunion de Gênes à la France, survenue deux mois après la signature du traité qui constituait la troisième coalition contre la France, fut le prétexte apparent de la rupture de la paix continentale. Napoléon changea tous ses projets. Il résolut de rester sur la défensive en Italie et de prendre l'offensive en Allemagne.
En dix-sept jours, Bernadotte venant de Hanovre, Marmont de la Hollande, se rendirent à Wurtzbourg, sur le flanc droit de l'armée autrichienne, rassemblée entre Ulm et Memmingen, sur la rive droite du Danube, et commandée par le général Mack. En vingt-quatre jours les {CL 121} corps d'armée réunis au camp de Boulogne {Lub 505} traversèrent secrètement la France et vinrent prendre position sur le Rhin.
L'empereur se mit à la tête de cette masse de cent quatre-vingt mille hommes, qui reçut le nom de grande armée. La grande armée devait opérer sur le Danube pendant que Masséna, avec cinquante mille hommes, pousserait l'archiduc Charles sur l'Adige. Le plan de Napoléon était de tourner le corps du général Mack en faisant filer ses divisions par le bas Danube, de manière à couper ses communications avec l'armée russe qui s'avançait par la Gallicie.
Le sixième corps, commandé par le maréchal Ney, et dont faisait partie la division Dupont, quitta ses cantonnements de Montreuil, traversa la Flandre, la Picardie, la Champagne, la Lorraine, et arriva sur le Rhin du 23 au 24 septembre 1805. Tous avaient marché avec une ardeur sans pareille. Il y avait cinq ans que ces soldats n'avaient combattu, et c'était la première fois que Napoléon, depuis qu'il était empereur, paraissait à la tête de ses armées.
« La division Dupont, dit M. Thiers (Histoire du Consulat), en traversant le département de l'Aisne, avait laissé en arrière une cinquantaine d'hommes appartenant à ce département. Ils étaient allés visiter leurs familles, et le surlendemain ils avaient tous rejoint. Après avoir fait cent cinquante lieues au milieu de l'automne, sans se reposer un seul jour, l'armée n'avait ni malades ni traînards, exemple unique dû à l'esprit des troupes et à un long campement. »
{CL 122} LETTRE PREMIÈRE e
DE MON PÈRE À MA MÈRE
Haguenau, 1er vendémiaire an XIV
(22 septembre 1805).
J'arrive avec Decouchy pour faire ici le logement de notre division, comme c'est notre coutume. Nous dînons chez le maréchal Ney. Il nous avertit que nous allons faire vingt lieues sans débrider, passer le Rhin et ne faire halte qu'à Dourlach, où nous devons rencontrer l'ennemi.
Après une marche de cent cinquante lieues, une pareille {Lub 506} galopade est capable de nous crever tous. N'importe, c'est l'ordre. En passant le Rhin, nous prenons sous nos ordres le premier régiment de hussards et quatre mille hommes des troupes de l'électeur de Baden. Ainsi nous allons être très-forts avec cette division de douze mille hommes. Tu entendras parler de nous. Ah! mon amie, loin de toi, les bagarres et les batailles sont les seules distractions que je puisse goûter, car sans toi les plaisirs me paraissent des motifs de tristesse, et tout ce qui peut rendre les autres inquiets et agités, en les mettant à mon niveau, me les fait paraître plus supportables. Je jouis intérieurement des figures renversées de beaucoup de gens très-braves et très-importants en temps de paix. Les routes sont couvertes des voitures de la cour, remplies de pages, de chambellans et de laquais voyageant en bas de soie blancs. Gare les éclaboussures!
Vraiment si je pouvais me réjouir de quelque chose quand je ne te vois pas, je crois que je serais content à l'approche du branle-bas qui se prépare. Ne crains pas d'infidélités, car de longtemps je n'aurai rien à démêler qu'avec le sexe masculin. Messieurs de l'Autriche vont {CL 123} nous donner du travail, et, du train dont on nous mène, je ne crois pas qu'on nous laisse le temps de penser à mal.
Je n'irai point à Strasbourg et ne verrai ni ***, ni ***, ni ***, qui ne sont point gens à fréquenter les coups de fusil. Depuis que je t'ai quittée, je n'ai pas eu un seul moment de repos. Il y a six nuits que je n'ai dormi et huit jours que je n'ai pu me déshabiller. Toujours en avant pour les logements, j'en ai une extinction de voix. Je te demande si c'est dans cet équipage, et quand je te porte tout entière dans mon cœur, que je puis penser à aller faire l'agréable auprès des belles des villages que nous traversons en poste. Ce serait bien plutôt à moi d'être inquiet si je ne croyais pas à ton amour, si je n'en connaissais pas toute la délicatesse. Ah! si je me mettais à être jaloux, je le serais même d'un regard de tes yeux, et pour un rien je deviendrais le plus malheureux des hommes; mais loin de moi cette injure à notre amour! J'ai reçu, ma chère femme, ta lettre de Sarrebourg. Elle est aimable comme toi, elle m'a rendu la vie et le courage. Que notre Aurore est gentille! Que tu me donnes d'impatience de revenir pour vous serrer toutes deux dans mes bras! Je t'en conjure, chère {Lub 507} amie, donne-moi souvent de, tes nouvelles. Adresse-moi tes lettres: A Monsieur Dupin, aide de camp du général Dupont commandant la première division du sixième corps sous les ordres du maréchal Ney. De cette manière, quelque mouvement que fasse l'armée, je les recevrai. Songe, chère femme, que c'est le seul plaisir que je puisse goûter loin de toi, au milieu des fatigues de cette campagne.
Parle-moi de ton amour, de notre enfant. Songe que tu m'arracherais la vie si tu cessais de m'aimer. Songe que tu es ma femme, que je t'adore, que je n'aime l'existence que pour toi, et que je t'ai consacré la mienne. Songe que {CL 124} rien au monde, excepté l'honneur et le devoir, ne peut me retenir loin de toi, que je suis au milieu des fatigues et des privations de toute espèce, et qu'elles ne me paraissent rien en comparaison de celle que me cause ton absence. Songe que l'espoir seul de te retrouver me soutient et m'attache à la vie.
Adieu, chère femme, je tombe de fatigue. J'ai un lit pour cette nuit. D'ici à longtemps je n'en trouverai plus et je vais en profiter pour rêver de toi. Adieu donc, chère Sophie, je t'écrirai de Dourlach, si je peux. Reçois mille tendres baisers et donnes-en pour moi tout autant à Aurore. Sois sans inquiétude, je sais faire mon métier, je suis heureux à la guerre; le brevet et la croix m'attendent.
P.S. Où as-tu pris qu'on payait double en temps de guerre? C'est plus que le contraire, car il n'est pas seulement question de l'arrivée du payeur. Cependant, comme nous n'avons pas de mer à traverser et qu'il viendra tôt ou tard, ne crains rien pour moi et ne me garde rien de l'argent que ma mère aura à te remettre. Écris-lui pour la prévenir de ton arrivée à Paris. f
Je vais essayer de faire suivre rapidement à mon lecteur la marche de la division Dupont, et par conséquent celle de mon père pendant cette mémorable campagne qui allait aboutir à la bataille d'Austerlitz.
Le 25 septembre le 6e corps, dont elle faisait partie, passa le Rhin entre Lauterbourg et Carlsruhe et vint jusqu'à Stuttgard, après avoir traversé les vallées qui descendent de la chaîne des Alpes de Souabe. Le {Lub 508} 6 octobre, nos six corps d'armée étaient arrivés sans accidents au delà de cette chaîne. Le 7, ils passèrent le Danube. Mais le corps de Ney fut laissé sur la rive gauche, couvrant la route de {CL 125} Wurtemberg. Le 10, l'armée se rapprocha d'Ulm afin de serrer de plus près le général Mack, qui persistait à s'y maintenir. La division resta seule sur la rive gauche du fleuve; forte de six mille hommes, elle engagea une lutte glorieuse et presque sans exemple contre un corps de vingt-cinq mille Autrichiens. Elle les arrêta dans leur marche et enleva à l'armée du malheureux Mack le dernier espoir de salut, en lui fermant la route de la Bohême. Le 14 octobre, le général Dupont, qui avait dû se porter vers Albeck afin de cacher à l'ennemi le petit nombre de ses soldats et son isolement sur la rive gauche, revint sur les plateaux boisés d'Haslach qu'il avait illustrés trois jours avant par une héroïque résistance. Après avoir maintenu le gros de l'armée autrichienne dans Ulm, il lui était réservé d'empêcher, sur le même champ de bataille, la jonction du corps du général Werneck, qui, sorti d'Ulm la veille pour pousser une reconnaissance, ne put y rentrer.
Cependant la discorde était dans l'état-major du général autrichien. Mack, fidèle au plan de campagne dressé par le conseil aulique, persistait à attendre dans ses retranchements l'arrivée de l'armée russe de Kutusof. Le prince de Schwartzenberg et l'archiduc Ferdinand voulaient gagner la Bohême en passant sur les divisions Ney et Dupont. Mais, ne pouvant vaincrela résistance du général en chef, l'archiduc résolut, grâce à sa position indépendante, d'accomplir son dessein. Il partit dans la nuit avec six ou sept mille chevaux et un corps d'infanterie pour rejoindre Werneck.
Murat, à la tête de la brave division Dupont, des grenadiers Oudinot et de sa réserve de cavalerie, se mit à leur poursuite. Il les suivit pendant quatre jours sans prendre de repos, faisant plus de dix lieues par jour, et ne s'arrêta qu'au delà de Nuremberg, après avoir battu et détruit ce corps d'armée. Les français avaient fait douze mille prisonniers, pris cent vingt pièces de canon, cinq cents voitures, {CL 126} onze drapeaux, deux cents officiers, sept généraux et le trésor de l'armée autrichienne. Le prince Ferdinand faillit être pris et gagna la route de Bohême avec deux ou trois mille chevaux.
{Lub 509} LETTRE II
DE MON PÈRE À MA MÈRE
Nuremberg, 29 vendémiaire an XIV.
Nous sommes ici, ma chère femme, depuis hier soir, après avoir poursuivi l'ennemi sans relâche pendant quatre jours; nous avons fait toute l'armée autrichienne prisonnière, à peine en est-il resté quelques-uns pour porter la nouvelle et l'épouvante au fond de l'Allemagne. Le prince Murat, qui nous commande, est très-content de nous, et doit, demain ou après , demander pour moi la croix à l'empereur, ainsi que pour trois autres officiers de la division. h
Je ne te parlerai pas des fatigues et des dangers de ces dix journées. Ce sont les inconvénients du métier. Que sont-ils en comparaison des inquiétudes et des chagrins que me cause ton absence! Je ne reçois point de tes nouvelles. On dit même que l'ennemi ayant inquiété continuellement notre gauche, aucune lettre de nous n'a pu passer en France. Juge de mon tourment, de mon angoisse! Sais-je si tu n'es pas horriblement inquiète de moi? si tu as reçu l'argent que je t'ai fait passer? si mon Aurore se porte bien? Être séparé de ce que j'ai de plus cher au monde sans pouvoir en obtenir un seul mot! Sois courageuse, mon amie! Songe que notre séparation ne peut altérer mon amour. Quel bonheur de nous retrouver pour ne plus nous séparer! Dès que la campagne sera terminée, {CL 127} avec quelle ivresse je volerai dans tes bras pour ne plus m'en arracher, et te consacrer, ainsi qu'à Aurore, tous mes soins et tous mes instants! Cette idée seule me soutient contre l'ennui et le chagrin qui loin de toi m'assiègent. Au milieu des horreurs de la guerre, je me reporte près de toi, et ta douce image me fait oublier le vent, le froid, la pluie et toutes les misères auxquelles nous sommes livrés. De ton côté, chère amie, pense à moi. Songe que je t'ai voué l'amour le plus tendre, et que la mort seule pourra l'éteindre dans mon cœur. Songe que le moindre refroidissement de ta part empoisonnerait le reste de ma vie, et que si j'ai pu te {Lub 510} quitter, c'est que le devoir et l'honneur m'en faisaient une loi sacrée.
Nous quittons demain Nuremberg à cinq heures du matin pour nous rendre à Ratisbonne, où nous arriverons dans trois jours. Le prince Murat commande toujours notre division.
Après la reddition d'Ulm, Napoléon se dirigea rapidement sur Vienne en suivant la vallée du Danube. Le gros de l'armée marchait par la rive droite du fleuve. Une flottille, portant de l'artillerie et dix mille hommes, descendait parallèlement, prête à venir au secours soit des troupes de la rive droite, soit des divisions Gazan et Dupont, qui occupaient la rive gauche sous le commandement supérieur du général Mortier. À quelques lieues de Vienne, le corps de la rive gauche se trouva tout à coup en présence de l'ennemi: c'était l'armée russe de Kutusof qui, restée en arrière de Mack, à Braunau, et renonçant à couvrir la capitale de l'Autriche, avait passé le Danube à Mautern et allait en Moravie au-devant de la deuxième armée russe. La division Gazan, entraînée par l'élan de Murat, qui, avec l'avant-garde de l'armée principale, s'avançait trop rapidement {CL 128} sur Vienne par la rive droite, avait laissé une marche entre elle et la division Dupont. Mortier, surpris de rencontrer les Russes, qu'il croyait devant Vienne, les poussa néanmoins vivement jusqu'à Stein. Cependant, reconnaissant bientôt qu'il avait affaire à toute une armée, il fut obligé de rétrogader sur Diernstein. Mais il trouva ce point occupé par quinze mille Russes qui l'avaient tourné. On recommença dans l'obscurité le combat livré le matin. Ces cinq mille héros étaient entourés de toutes parts par des masses énormes. Il ne vint à personne l'idée de capituler. Quelques officiers conseillèrent à Mortier de s'embarquer seul et de traverser le fleuve, afin de ne pas laisser à l'ennemi un aussi beau trophée qu'un maréchal de France. « Non, répondit l'illustre maréchal, on ne se sépare pas d'aussi braves gens. On se sauve ou on périt avec eux. » Il était là, l'épée à la main, combattant à la tête de ses grenadiers. Tout à coup on entend un feu violent sur les derrières de Diernstein. C'est l'infatigable division Dupont qui, apprenant la fâcheuse position du maréchal, avait doublé son étape pour marcher au feu. Les soldats qui avaient si glorieusement combattu à Haslach se précipitèrent sur les Russes, et les colonnes se rejoignirent à Diernstein à la lueur du feu. Les cinq mille hommes de la division Gazan, qui avaient résisté tout un jour à trente mille Russes, étaient réduits à deux mille cinq cents. Napoléon envoya les plus éclatantes récompenses aux deux divisions Gazan et Dupont. Après la campagne elles furent établies à Vienne même pour s'y refaire de leurs fatigues et de leurs blessures.
{CL 129} LETTRE III i
DE MON PÈRE À MA MÈRE
Vienne, le 30 brumaire an XIV.
Ma femme, ma chère femme, ce jour est le plus beau de ma vie. Dévoré d'inquiétude, excédé de fatigue, j'arrive à Vienne avec la division. Je ne sais si tu m'aimes, si tu te portes bien, si mon Aurore est triste ou joyeuse, si ma femme est toujours ma Sophie. Je cours à la poste, mon cœur bat d'espérance et de crainte. Je trouve une lettre de toi; je l'ouvre avec transport, je tremble de bonheur en lisant les douces expressions de ta tendresse. Oh oui! chère femme, c'est pour la vie que je suis à toi, rien au monde ne peut altérer l'ardent amour que je te porte, et tant que tu le partageras, je délierai le sort, la fortune et les ridicules injustices. J'avais grand besoin de lire une lettre de ma femme pour me faire supporter l'ennui de mon existence.
Après m'être battu en bon soldat, avoir exposé cent fois ma vie pour le succès de nos armes, avoir vu périr à mes côtés mes plus chers amis, j'ai eu le chagrin de voir nos plus brillants exploits ignorés, défigurés, obscurcis par la valetaille militaire. Je m'entends et tu dois m'entendre et reconnaître les courtisans. Sans cesse à la tête des régiments de notre division, j'ai vu que le courage et l'intrépidité étaient des qualités inutiles, et que la faveur seule distribuait ses lauriers. Enfin nous étions six mille il y a deux mois, nous ne sommes plus que trois mille aujourd'hui. Pour notre part, nous avons pris cinq drapeaux à l'ennemi, dont deux aux Russes; nous {Lub 512} avons fait cinq mille prisonniers, tué deux mille hommes, pris quatre pièces de {CL 130} canon, le tout dans l'espace de six semaines, et nous voyons citer tous les jours dans les rapports des gens qui n'ont rien fait du tout, tandis que nos noms restent dans l'oubli. L'estime et l'affection de nos camarades me consolent. Je reviendrai pauvre diable, mais avec des amis que j'ai faits sur le champ de bataille et qui sont plus sincères que messieurs de la cour. Je t'ennuie de mon humeur noire; mais à qui puis-je conter mes chagrins si ce n'est à ma Sophie, et qui peut mieux qu'elle les partager et les adoucir?
Enfin, comme nos soldats sont excédés, que nous nous sommes battus sans relâche pendant huit jours avec les Russes, on nous a renvoyés de la Moravie ici pour prendre quelque repos. J'ai tout perdu à l'affaire d'Haslach*. Je m'en suis indemnisé depuis aux dépens d'un officier des dragons de Latour auquel j'ai fait mettre pied à terre.
* Pendant cette glorieuse affaire les Autrichiens s'étaient jetés, à Albeck, sur les bagages de la division Dupont, et s'en étaient emparés, ramassant ainsi, dit M. Thiers, quelques vulgaires trophées, triste consolation d'une défaite essuyée par vingt-cinq mille hommes contre six mille.
On nous promet toujours de fort belles choses, mais Dieu sait si cela viendra. Ma mère m'écrit que tu ne manqueras de rien et que je puis être tranquille. A propos! de quelle nouvelle folie m'as-tu régalé? J'en ai fait rire Debaine aux larmes; mademoiselle Roumier est ma vieille bonne, à qui ma mère fait une pension pour m'avoir élevé. Elle avait quarante ans quand je vins au monde. Le beau sujet de jalousie! Je raconte cette folie à tous nos amis.
J'ai vu ce matin Billette. Sa vue, qui me rappelait la rue Meslay, m'a causé une joie infinie. Je l'ai embrassé comme mon meilleur ami, parce que je pouvais lui parler de toi et qu'il pouvait me répondre. Quoiqu'il n'eût pas de {CL 131} nouvelles directes à me donner de ta santé, je l'ai questionné jusqu'à l'ennuyer.
On parle de nous renvoyer bientôt en France, car la guerre finît ici faute de combattants. Les Autrichiens n'osent plus se mesurer avec nous, ils sont terrifiés. Les Russes sont en pleine déroute. On nous regarde ici avec {Lub 513} stupéfaction. Les habitants de Vienne peuvent à peine croire à notre présence. D'ailleurs cette ville est assez insipide. Depuis vingt-quatre heures que j'y suis, je m'y ennuie comme dans une prison. Les gens riches se sont enfuis, les bourgeois tremblent et se cachent, le peuple est frappé de stupeur. On dit que nous repartirons dans trois ou quatre jours pour marcher sur la Hongrie et faire mettre bas les armes aux débris de l'armée autrichienne, et hâter par là la conclusion de la paix.
Sois toujours maussade en mon absence. Oui, chère femme, c'est ainsi que je t'aime. Que personne ne te voie; ne songe qu'à soigner notre fille, et je serai heureux autant que je puis l'être loin de toi.
Adieu, chère amie, j'espère te serrer bientôt dans mes bras. Mille baisers pour toi et pour mon Aurore.
Cet on dit sur une nouvelle marche en Hongrie aboutit à la bataille d'Austerlitz, le 4 décembre 1805. J'ignore si mon père y assista. Bien que plusieurs personnes me l'aient affirmé et que son article nécrologique l'atteste, je ne le crois pas, car la division Dupont, exténuée par les prodiges d'Haslach et de Diernstein j, dut rester à Vienne pour se refaire, et le nom de Dupont ne se trouve dans aucune des relations que j'ai lues de la bataille d'Austerlitz. 1
{Presse 22/11/54 1} Disons en passant un mot sur Dupont, ce général si coupable ou si malheureux en Espagne à Baylen, et si honteusement récompensé par la Restauration d'avoir été un {CL 132} des premiers à trahir la gloire de l'armée française dans la personne de l'empereur. Il est certain que dans la campagne que nous venons d'esquisser il se montra grand homme de guerre. On a vu que mon père le jugeait légèrement en temps de paix, mais sérieusement ailleurs. L'empereur avait-il une méfiance, une prévention secrète contre Dupont? Il devait en être ainsi, ou bien Dupont aimait à jouer le rôle de mécontent. Il est bien certain que les plaintes de mon père dans la lettre qu'on vient de lire sont inspirées par un sentiment collectif. Il n'était pas, quant à lui, un personnage assez important pour se croire l'objet d'une inimitié particulière. Je ne sais pas quels sont ces courtisans, cette valetaille militaire contre laquelle mon père regimbe avec tant d'amertume. {Lub 514} Comme il avait le caractère le plus bienveillant et le plus généreux qui se puisse rencontrer, il faut croire qu'il y avait dans ses plaintes quelque chose de fondé.
On sait d'ailleurs combien d'inimitiés, de rivalités et de colères k l'empereur eut à contenir durant cette campagne, quelles fautes commit Murat par audace et par présomption, quelles indignations furent soulevées dans l'âme de Ney à ce propos. Qu'on se reporte à l'histoire, on trouvera sûrement la clef de cette douleur que mon père nourrit sur les champs de bataille, et qui marque un changement bien notable dans les dispositions de ceux qui avaient suivi le premier consul avec tant d'ivresse à Marengo. Sans doute elles sont magnifiques, ces campagnes de l'Empire, et nos soldats y sont des héros de cent coudées. Napoléon y est le plus grand général de l'univers. Mais comme l'esprit de cour a déjà défloré les jeunes enthousiastes de la république! À Marengo, mon père écrivait en post-scriptum à sa mère: « Ah! Mon dieu, j'allais oublier de te dire que je suis nommé lieutenant sur le champ de bataille. » preuve qu'il n'avait guère pensé à {CL 133} sa fortune personnelle en combattant avec l'ivresse de la cause. À Vienne, il écrit à sa femme pour exprimer un doute dédaigneux sur la récompense qui l'attend. Chacun sous l'Empire songe à soi; sous la République, c'était à qui s'oublierait.
Quoi qu'il en soit, la disgrâce apparente dont la carrière de mon père semblait être frappée depuis le passage du Mincio cessa avec la campagne de 1805. Il obtint enfin de passer dans la ligne, et fut nommé capitaine du 1er hussards le 30 frimaire an XIV (20 décembre 1805)*. Il revint à Paris, puis nous emmena, ma mère, Caroline et moi, à son régiment, qui était en garnison je ne sais où. Lorsqu'il repartit pour la campagne de 1806, il écrivait à sa femme à Tongres, au dépôt, chez le quartier-maître du régiment. Probablement il fit un voyage à Nohant dans l'intervalle, mais je ne retrouve son histoire que dans les quelques lettres qui vont suivre. l
* Il obtint aussi la croix de la légion d'honneur à cette époque.
On devait prévoir que l'éclatante victoire qui avait clos, à Austerlitz, la campagne de 1805 contre les Autrichiens {Lub 515} et les Russes, conserverait à l'Europe une paix si vaillamment disputée, si chèrement acquise, mais il n'en fut rien. La Prusse, qui depuis 1792 s'était tenue à l'écart, allait recommencer les hostilités contre la France victorieuse. Tout le monde fut surpris en Europe de cette détermination aussi téméraire qu'imprévue du cabinet de Berlin; mais, comme le dit M. Thiers, les cabinets ont aussi leurs passions, et « ces irritations subites qui, dans la vie privée, s'emparent quelquefois de deux hommes et leur mettent le fer à la main, sont tout aussi souvent, plus {CL 134} souvent même qu'un intérêt réfléchi, la cause qui précipite deux nations l'une sur l'autre. »
Devant cette nouvelle agression, Napoléon eut bientôt pris son parti. Une armée prussienne ayant envahi la Saxe, il considéra la guerre comme déclarée, fit rapidement toutes ses dispositions, et partit de Mayence dans les derniers jours de septembre pour entrer en Prusse à la tête de la grande armée. L'empereur se sépara à Mayence de sa cour et de l'impératrice, et se rendit à Wurtzbourg accompagné seulement de sa maison militaire.
La division Dupont, toujours employée séparément depuis les combats de Haslach et d'Albeck, et qui avait occupé le grand-duché de Berg, avait été ramenée sur Mayence et Francfort aux premiers bruits de guerre. Mon père se trouvait donc à Mayence lorsque Napoléon y arriva.
DE MON PÈRE À MA MÈRE
Primlingen, 2 octobre 1806. m
Depuis Mayence nous avons été tellement errants, que je n'ai pu trouver un moment pour te donner de mes nouvelles. D'abord, je t'aime avec idolâtrie; ceci n'est pas nouveau pour toi, mais c'est ce que je suis le plus pressé de te dire. Ah! que je suis las d'être séparé de toi! Je jure bien que cette campagne-ci finie, quoi qu'il arrive, je ne te quitterai plus. n
Notre pauvre colonel est bien malade. La fatigue de la marche a renouvelé ses douleurs néphrétiques et il a été obligé de s'en retourner hier à Francfort. Son état et son départ dans cette circonstance affligent infiniment le régiment, et je le regrette encore plus que tout le monde. Depuis o trois jours, j'ai fait trente-six lieues avec ma compagnie {CL 135} pour escorter l'empereur. Il est arrivé hier soir à Wurtzbourg. Nous sommes cantonnés aux environs. Toute la garde à pied est arrivée. Chemin faisant l'empereur m'a fait plusieurs questions sur le régiment, et à la dernière, que le bruit de la voiture m'empêchait d'entendre, et que pourtant il répéta trois fois, je répondis à tout hasard: Oui, sire. Je le vis sourire, et je juge que j'aurai dit une fière bêtise. S'il pouvait me donner ma retraite comme idiot ou sourd, je m'en consolerais bien en retournant près de toi! p
Voici le froid qui arrive, et je regrette beaucoup de n'avoir pas emporté ma pelisse; fais-moi le plaisir de la remettre à Chapotot, qui, d'une manière ou de l'autre me la fera passer. Ne mets pas cette recommandation en papillottes; car entre ta pincette et tes jolis cheveux elle pourrait avoir trop chaud, tandis que je gèlerais ici, loin de toi, dans mon caracot de singe.
Adieu q, ma jolie femme, ma chère amie, ce que j'aime, ce que je regrette, ce que je désire le plus au monde. Je l'embrasse de toute mon âme, j'aime mon Aurore, nos enfants, ta sœur, tout ce qui est nous. r
Nous avons une poste à notre division, ainsi j'ai l'espoir de recevoir souvent de tes nouvelles.
L'arrivée subite de Napoléon à Wurtzbourg changea les dispositions des chefs de l'armée prussienne. Ceux-ci, frappés par la nouvelle tactique qui avait si puissamment contribué aux succès rapides de la précédente campagne contre les autrichiens et les Russes, au lieu de garder la défensive en choisissant les terrains les plus favorables et en laissant l'armée française venir jusqu'à eux à travers toutes les difficultés d'une marche en pays ennemi, avaient {CL 136} résolu de prendre l'offensive sans attendre les renforts que la Russie leur promettait. Le mouvement de Napoléon inspira cependant aux prussiens une réserve plus prudente, et ils se déterminèrent à garder les fortes positions qu'ils occupaient derrière la forêt de Thuringe.
L'armée française se mit en marche le 8 octobre, et le lendemain Murat et Bernadotte, formant l'avant-garde, battirent le corps du général Tauenzien. Le 10, Lannes {Lub 517} battait le prince Louis à Saalfeld, et les fuyards apprenaient aux deux armées prussiennes de Hohenlohe et de Brunswick, établies derrière Iéna, la fin tragique de ce prince et la dispersion de son armée.
Le duc de Brunswick, qui commandait en chef, se décida aussitôt à se retirer sur l'Elbe par Naumbourg, en laissant le prince Hohenlohe à Iéna avec cinquante mille hommes, et ayant en arrière-garde Ruchel avec dix-huit mille hommes.
Mais, le 13 octobre, au moment où l'armée ennemie commençait son mouvement, Napoléon arrivait à Iéna, occupé déjà par Lannes, et reconnaissait le terrain. Les deux armées étaient en présence.
Je n'ai point à raconter ici cette mémorable bataille d'Iéna, qui eut lieu le lendemain. La formidable armée prussienne fut complétement battue. De la part des français, cinquante mille hommes seulement furent engagés.
Pendant que Hohenlohe était battu à Iéna, Bernadotte marchait sur Halle pour y passer la Saale, gagner et couper la retraite de l'armée prussienne. Le duc de Brunswick en se retirant vers l'Elbe avait ordonné au prince Eugène de Wurtemberg de garder Halle avec dix-huit mille hommes, dernière ressource de la monarchie prussienne, et de recueillir les fuyards. Le 17 octobre au matin, la division Dupont, qui suivait le corps de Bernadotte, se présenta en vue de la ville. Dupont n'hésite pas un instant. Il forme {CL 137} son infanterie en colonne, enlève au pas de course le pont sur la Saale, force les portes de Halle, traverse la ville, et va se ranger en bataille en face de l'armée du duc de Wurtemberg. Le feu de douze mille hommes bien postés accueille les trois régiments dont se compose la petite armée de Dupont. Ses soldats escaladent les hauteurs sous le feu de l'ennemi et le mettent en déroute. Le duc de Wurtemberg se retira en désordre sur l'Elbe. Cinq mille hommes en avaient vaincu dix-huit mille. Napoléon, accouru sur le champ de bataille, combla de ses éloges les troupes du général Dupont.
Dix jours après, Napoléon entrait à Berlin au milieu de la garde impériale.
Cependant le roi Frédéric-Guillaume ayant refusé l'armistice qu'on lui offrait, pour aller se joindre aux Russes, qui marchaient à son secours, l'empereur se {Lub 518} décida à entrer en Pologne. Accueillie avec enthousiasme par les polonais qui commençaient à concevoir un premier espoir sérieux d'affranchissement, l'armée française prit position autour de Varsovie, dans les premiers jours de décembre.
Napoléon avait l'intention de fixer ses quartiers d'hiver sur les bords de la Vistule, « mais cela ne peut avoir lieu, écrivait-il à Davoust, qu'après avoir repoussé les Russes. » L'armée se porta en effet à la rencontre des Russes, qui furent battus à Pultusk et rejetés au delà de la Narew avec de grandes pertes.
Vers le 25 janvier, les Russes reprirent l'initiative, et, le 30, Napoléon était à la tête de la grande armée. À son approche, le général russe Benningsen se replia sur Eylau, où fut livrée cette sanglante bataille, qui coûta plus de quarante mille hommes, et qui honora également les vainqueurs et les vaincus. Si l'ennemi put battre en retraite sans être inquiété par l'armée victorieuse, presque aussi maltraitée, Napoléon eut au moins l'avantage d'être délivré pour quelque {CL 138} temps des appréhensions que le voisinage de l'armée russe pouvait causer dans les cantonnements.
La division Dupont, rattachée au corps de Bernadotte, était restée à trente lieues en arrière d'Eylau et n'avait pu prendre part au combat. Après avoir renfermé les Russes dans Kœnigsberg, la grande armée put prendre ses cantonnements sur la Passarge. Mais Benningsen, enorgueilli de n'avoir pas perdu à Eylau jusqu'au dernier homme, et, suivant son usage, se disant vainqueur, voulut donner à ses vanteries une apparence de vérité; il sortit de derrière les murailles où il s'était réfugié et eut l'audace de venir se poser en face de Ney. Ce général, mécontent de n'avoir pu prendre part à la bataille d'Eylau, saisit avec empressement cette occasion de prendre une revanche, et reçut vigoureusement les corps qui lui furent opposés. Pendant ce temps, la division Dupont s'emparait de Braunsberg sur la Passarge s et faisait prisonniers deux mille prussiens. Fatigué par les obsessions continuelles des Russes, et voulant assurer la tranquillité de ses cantonnements pour tout l'hiver, Napoléon fit faire un mouvement en avant aux corps de Bernadotte et de Soult, qu'il avait placés dans une espèce d'embuscade pour le moment de la reprise de la {Lub 519} campagne. Les Russes, s'apercevant que la retraite sur Kœnigsberg pouvait leur être coupée, se retirèrent pour ne plus reparaître de l'hiver.
DE MON PÈRE À MA MÈRE t
7 décembre 1806.
Depuis quinze jours, ma chère femme, je parcours les déserts de la Pologne, à cheval dès cinq heures du malin, et après avoir marché jusqu'à la nuit ne trouvant que la baraque enfumée d'un pauvre diable, où je puis à peine {CL 139} obtenir une botte de paille pour me reposer. Aujourd'hui j'arrive dans la capitale de la Pologne, et je puis enfin mettre une lettre à la poste. Je t'aime cent fois plus que la vie; ton souvenir me suit partout pour me consoler et me désespérer en même temps. En m'endormant je te vois; en m'éveillant je pense à toi; mon âme tout entière est près de toi. Tu es mon dieu, l'ange tutélaire que j'invoque, que j'appelle au milieu de mes fatigues et de mes dangers. Depuis que je t'ai quittée je n'ai pas joui d'un seul instant de repos, et je n'ai pas besoin de te dire que je n'ai pas goûté un seul instant de bonheur. Aime-moi, aime-moi, c'est le seul moyen d'adoucir cette rude vie que je mène. Écris-moi. Je n'ai encore reçu que deux lettres de toi. Je les ai lues cent fois, je les relis encore. Sois toujours la même femme qui m'écrit d'une manière si tendre et si adorable. Que l'absence ne te refroidisse pas. Je crois qu'elle augmente mon amour s'il est possible. Ne perdons pas l'espoir de nous réunir bientôt. On traite à Posen. Il est très-probable que nos succès détermineront les Russes à la paix. Je vais voir tout à l'heure Philippe Ségur et lui remettre le paquet que je te destine. Il aura les moyens de te le faire parvenir promptement. Demain nous passons la Vistule; les Russes sont à dix lieues d'ici, fort interloqués de notre marche et de nos manœuvres. Pour moi, j'en suis à désirer un bon coup de sabre qui m'estropie à tout jamais et me renvoie auprès de toi. Dans le siècle où nous sommes, un militaire ne peut espérer de repos et de bonheur domestique qu'en perdant bras ou jambes. Je ne rencontre pas un être dans l'armée qui ne fasse un vœu analogue. Mais le maudit {Lub 520} honneur est là qui nous retient tous. Beaucoup se plaignent, moi je souffre tout bas, car que m'importent les dégoûts, les privations, les fatigues? ce n'est pas là ce qui me chagrine dans le métier; c'est ton absence, et je ne puis aller dire cela aux autres. Ceux qui ne te connaissent pas {CL 140} ne comprendraient pas l'xcès de mon amour. Ceux qui te connaissent le comprendraient plus que je ne veux u.
Parle de moi à nos enfants. Je suis forcé de courir au fourrage. Pas un moment, même pour goûter cette demi-consolation de t'écrire! Je t'aime comme un fou. Aime-moi si tu veux que je supporte la vie.
Après l'affaire de la Passarge, mon père fut fait chef d'escadron, et, le 4 avril 1807, Murat se l'attacha en qualité d'aide de camp. Deschartres m'a raconté que ce fut à la recommandation de l'empereur, qui, l'ayant remarqué, dit au prince: « Voilà un beau et brave jeune homme, c'est comme cela qu'il vous faut des aides de camp. « Mon père s'attendait si peu à cette faveur, qu'il faillit la refuser en voyant qu'elle allait l'assujettir davantage et créer un nouvel obstacle au repos absolu qu'il rêvait au sein de sa famille. Ma mère lui sut assez mauvais gré de ce qu'elle appela son ambition, et il eut à s'en justifier, ainsi qu'on le verra dans la lettre suivante.
Rosemberg, 10 mai 1807, au quartier général du grand-duc de Berg.
Après avoir parcouru v pendant trois semaines comme un dératé et donné au prince un assez joli échantillon de mon savoir-faire dans la partie des missions, j'arrive ici et j'y trouve deux lettres de toi, du 23 mars et du 8 avril. La première me tue; il me semble que tu ne m'aimes déjà plus quand tu m'annonces que tu vas t'efforcer de m'aimer un peu moins. Heureusement je décachette la seconde, et je vois bien que c'est à force de m'aimer que tu me fais tout ce mal. ma chère femme, ma Sophie, tu as pu les écrire ces mots cruels, m'envoyer à trois cents lieues ce poison {CL 141} mortel, m'exposer à la douleur de lire cette lettre affreuse pendant quinze jours peut-être avant d'en avoir {Lub 521} reçu une autre qui me rassure et me console! Me voilà forcé de remercier Dieu d'avoir été longtemps privé de tes nouvelles! Ô mon amie, abjure ces horribles pensées, ces injustes soupçons. Est-il possible que tu doutes de moi? w Le plus sensible reproche que tu puisses me faire, c'est de me dire que je ne me souviens pas {Presse 24/11/54 2} que Caroline existe, et que tu es effrayée en pendant à l'avenir de cette enfant. En quoi ai-je pu mériter ces doutes injurieux? Ai-je un seul moment cessé de la regarder comme ma fille? Ai-je fait, dans mes soins et dans mes caresses, la moindre différence entre elle et nos autres enfants? Depuis le jour où je t'ai vue pour la première fois, ai-je un moment cessé de t'adorer; d'aimer tout ce qui t'appartient, ta fille, ta sœur, tout ce que tu aimes? Tu m'accables de reproches comme si je t'abandonnais pour le seul plaisir de courir le monde. Je te jure sur l'honneur et sur l'amour que je n'ai point demandé d'avancement, que le grand-duc m'a appelé auprès de lui sans que je me doutasse qu'il en eût la moindre idée, qu'enfin j'ai vu s'éloigner avec un profond chagrin le jour qui devait nous réunir. Te dirai-je tout? J'ai failli refuser, me sentant sans courage devant un nouveau retard à mon retour près de toi. Mais, chère femme, aurais-je rempli mon devoir envers toi, envers ma mère, qui a sacrifié son aisance à ma carrière militaire, envers nos enfants, nos trois enfants*, qui auront bientôt besoin des ressources et de la considération de leur père, si j'avais rejeté la fortune qui venait d'elle-même me chercher? Mon ambition! dis-tu. Moi, de l'ambition! Si j'étaîs moins triste, tu me ferais rire avec ce mot-là. Ah! je n'en ai qu'une depuis que je te connais, c'est de réparer {CL 142} envers toi les injustices de la société et de la destinée, c'est de t'assurer une existence honorable et de te mettre à l'abri du malheur si un boulet me rencontre sur le champ de bataille. Ne te dois-je donc pas cela à toi qui as supporté si longtemps ma mauvaise fortune et quitté un palais pour une mansarde par amour pour moi! Juge un peu mieux de moi, ma Sophie, juges-en d'après toi-même; non, il n'est pas un instant dans ma vie où je ne pense à toi. Il n'est rien qui vaille pour moi la modeste chambre {Lub 522} de ma chère femme. C'est là le sanctuaire de mon bonheur. Rien ne peut valoir à mes yeux ses jolis cheveux noirs, ses yeux si beaux, ses dents si blanches, sa taille si gracieuse, sa robe de percale, ses jolis pieds, ses petits souliers de prunelle. Je suis amoureux de tout cela comme le premier jour, et je ne désire rien de plus au monde. Mais pour posséder ce bonheur en toute sécurité, pour n'avoir point à lutter contre la misère avec des enfants, il faut faire au présent quelques sacrifices. Tu dis que nous serons moins heureux dans un palais que dans notre petit grenier; qu'à la paix le prince sera fait roi, et que nous serons obligés d'aller habiter ses États, où nous n'aurons plus notre obscurité, notre tête-à-tête, notre chère liberté de Paris. Il est bien probable que le prince sera roi en effet, et qu'il nous emmènera avec lui. Mais je nie que nous puissions n'être pas heureux là où nous serons ensemble, ni que rien puisse gêner désormais un amour que le mariage a consacré. Que tu es bête, ma pauvre femme, de croire que je t'aimerai moins parce que je vivrai dans le luxe et la dorure! Et que tu es gentille en même temps de mépriser tout cela! Mais, moi aussi, je déteste les grandeurs et les vanités, et l'ennui de ces plaisirs-là me ronge quand j'y suis. Tu le sais bien. Tu sais bien avec quel empressement je m'y dérobe pour être tranquille avec toi dans un petit coin. C'est pour mon petit coin que je travaille, {CL 143} que je me bats, que j'accepte une récompense et que j'aspire à avoir un régiment, parce qu'alors tu ne me quitteras plus et que nous aurons un intérieur à nous, aussi tranquille, aussi simple, aussi intime que nous le souhaitons. Et puis, quand je mettrais un peu d'amour-propre à te montrer quelquefois heureuse et brillante à mon bras, pour te venger des sots dédains de certaines gens à qui notre petit ménage faisait tant de pitié, où serait le mal? Je serai fier, je l'avoue, d'avoir été, moi seul, l'artisan de notre fortune et de n'avoir dû qu'à mon courage, à mon amour pour la patrie, ce que d'autres n'ont dû qu'à la faveur, à l'intrigue eu à la chimère de la naissance. J'en sais qui sont quelque chose grâce au nom ou à la galanterie de leurs femmes. Ma femme, à moi, aura d'autres titres: son amour x fidèle et le mérite de son époux.
[{CL 141; Lub 521}] * Les trois enfants c'était Caroline, moi et un fils né en 1806, et qui n'a pas vécu, Je n'en ai aucun souvenir.
Voilà la belle saison reveaue. Que fais-tu, chère amie? Ah! que l'aspect d'une belle prairie ou d'un bois prêt {Lub 523} à verdir remplit mon âme de souvenirs tristes et délicieux! Aux bords du Rhin, l'année dernière, quels doux moments je passais auprès de toi! Trop courts instants de bonheur, de combien de regrets vous êtes suivis! A Marienwerder je me suis trouvé aux bords de la Yistule, seul, en proie à mes chagrins, le cœur dévoré de tristesse et d'inquiétude, je voyais tout renaître dans la nature, et mon âme était fermée au sentiment du bonheur. J'étais dans un endroit pareil à celui où tu avais si peur, près de Coblentz, où nous nous assîmes sur l'herbe et où je te pressais sur mon cœur pour te rassurer: je me suis senti tout embrasé de ton souvenir, j'errais comme un fou, je le cherchais, je t'appelais en vain. Je me suis enfin assis fatigué et brisé de douleur, et au lieu de ma Sophie, je n'ai trouvé sur ces tristes rivages que la solitude, l'inquiétude et la jalousie. Oui, la jalousie, je l'avoue; moi aussi, de loin, je suis obsédé de fantômes, mais je ne t'en parle pas, de peur de t'offenser; {CL 144} hélas! quand la fatigue des marches et le bruit des batailles cessent un instant pour moi, je suis la proie de mille tourments, toutes les furies de la passion viennent m'obséder. J'éprouve toutes les angoisses, toutes les faiblesses de l'amour. Oh! oui, chère femme, je t'aime comme le premier jour. Ah! que nos enfants te parlent de moi sans cesse. Ne te promène qu'avec eux. Qu'ils te retracent à toute heure nos serments et notre union. Parle-leur de moi aussi. Je ne vis que pour toi, pour eux et pour ma mère.
Ici le printemps et le lieu que nous occupons me rappellent le Fayel. Mais, hélas! Boulogne est bien loin, et ce triste château me laisse tout entier à mes regrets. En y arrivant je l'ai trouva absolument désert, tout le monde était parti avec le prince pour Elbing, où s'est passée la fameuse revue de l'empereur. Le prince commandait et m'a fait courir de la belle manière. Adieu, chère femme. On parle beaucoup de la paix, rien n'annonce la reprise des hostilités. Ah! quand serai-je près de toi! Je te presse mille fois dans mes bras avec tous nos enfants; pense à ton mari, à ton amant.
MAURICE.
Que mon Aurore est gentille de penser à moi et de savoir déjà t'en parler! y
{Lub 524} Après avoir suivi la marche de la division Dupont, suivons celle de Murat, puisque c'est l'histoire de mon père, dans cette courte et brillante campagne. Au mois de mai 1807, Murat était à la tête de dix-huit mille cavaliers, montés sur les plus beaux chevaux de l'Allemagne et parfaitement exercés. Napoléon, voulant voir ce corps de cavalerie tout entier, le passa en revue dans les plaines d'Elbing. « Ces dix-huit mille cavaliers, masse énorme mue par un seul chef, le prince Murat, avaient manœuvré devant lui {CL 145} pendant une journée, et tellement ébloui sa vue, si habituée pourtant aux grandes armées, qu'écrivant, une heure après, à ses ministres, il n'avait pu s'empêcher de leur vanter le beau spectacle qui venait de frapper ses yeux dans les plaines d'Elbing. »
Le général Benningsen, commandant l'armée russe, qui n'avait pas quitté ses cantonnements de Kœnigsberg depuis la démonstration faite par les corps de Soult et Bernadotte, se décida à prendre l'initiative du mouvement. Le 5 juin 1807, l'armée russe attaqua assez vivement le corps du maréchal Ney, qui se trouvait au sommet de l'angle décrit par l'Alle et la Passarge, sur les rives desquelles était campée l'armée française, et la força de battre en retraite devant des forces très-supérieures. Mais l'empereur avait prévu cette éventualité, et Saalfeld, situé un peu en arrière du corps de Ney et au centre de l'angle formé par les cantonnements, avait été indiqué comme premierpoint de concentration en cas d'attaque. Aux premiers coups de canon tous les corps s'étaient mis en marche pour prendre leur position autour de Saalfeld.
Benningsen s'aperçut des dispositions formidables de l'armée française, et, s'arrêtant tout à coup devant le corps de Ney qui reculait en bon ordre, cédant le terrain pas à pas, il passa de l'offensive à la défensive et se retrancha à Heilsberg. L'empereur l'y suivit, le prince Murat et le maréchal Soult arrivèrent les premiers devant les redoutes ennemies et engagèrent l'action avant l'arrivée de Napoléon et du reste de l'armée. Les divisions Carra-Saint-Cyr et Saint-Hilaire, du corps du maréchal Soult, résistèrent bravement au feu terrible des redoutes, et permirent à la cavalerie de Murat, harassée de fatigue et un moment ébranlée par le choc desvingt-cinq escadrons du général Uwarow, de se reformer et de reprendre {Lub 525} l'avantage. Ces braves,secondés par la troisième division du maréchal Soult et par {CL 146} l'infanterie de la jeune garde, que Napoléon avait fait avancer rapidement sous le commandement du général Savary, soutinrent jusqu'au soir cette lutte inégale, dans laquelle trente mille français combattaient à découvert contre quatre-vingt-dix mille Russes abrités par de forts retranchements. Le général Benningsen ne jugea pas convenable, après cette tentative, d'attendre une attaque générale de toute l'armée française; il ordonna la retraite.
Napoléon persista dans son dessein de suivre pas à pas l'armée ennemie, afin d'attendre une occasion favorable d'attaquer, et, pendant ce temps, de faire couper la retraite sur Kœnigsberg, dernier asile du roi de Prusse, et qui renfermait tous les magasins des armées ennemies.
Ce fut Murat qui fut chargé de ce soin avec une partie de sa cavalerie. Napoléon le fit appuyer par les corps des maréchaux Soult et Davoust, formant l'aile gauche de l'armée. Soult arriva jusque sous les murs de Kœnigsberg; Murat et Davoust durent se rapprocher de Friedland, pour écraser les Russes par un dernier effort dans le cas où la bataille eût duré plus d'un jour; mais leur concours fut inutile. L'armée russe, acculée dans le coude formé par la rivière l'Alle, en avant de Friedland, fut enveloppée, coupée, refoulée dans la rivière, et presque entièrement détruite. Ce fut le dernier acte de la campagne de 1807.
Au z mois de juin de la même année, mon père accompagna Murat, qui lui-même aa accompagnait Napoléon à la fameuse conférence du radeau de Tilsitt. De retour en France au mois de juillet, mon père ne tarda pas à repartir pour l'Italie avec Murat et l'empereur, qui allait là faire des rois et des princes nouveaux. ab « Ses malheureuses préoccupations dynastiques allaient altérer la grandeur de ses combinaisons. Il ne changeait rien assurément à son {CL 147} système politique. Mais en politique on doit aussi tenir compte des impressions du public, et le public ne voyait que le trafic des couronnes au profit d'une famille.
« L'empereur, parti le 16 novembre de Paris, était à Milan le 21. Des fêtes brillantes lui furent données. La {Lub 526} cour de Bavière y assista. Eugène fut créé prince de Venise et appelé à la succession du royaume d'Italie, au défaut de la descendance masculine impériale*.
* Histoire de Napoléon, par M. Elias Regnault.
« Après quelques jours passés à Milan, l'empereur se rendit à Venise, et son séjour y fut marqué par des fêtes qui rappelèrent les belles années de l'opulente République. Les régates ou courses de gondoles se firent avec une royale magnificence. Le grand canal était couvert de barques décorées avec la plus grande élégance, transformées en fabriques, représentant des temples, des kiosques, des chaumières de différents pays, et conduites par des gondoliers vêtus de costumes analogues. Il n'y eut pas un noble Vénitien qui ne dépensât dans ces fêtes use année de son revenu.
« Le roi Joseph, appelé à Venise, y passa six jours avec Napoléon. Dans leurs conférences, ils s'entretinrent des chances que pourraient amener les questions qui divisaient la maison régnante d'Espagne, mais rien à cet égard ne fut définitivement arrêté.
« Parti de Venise le 8 décembre, l'empereur était le 11 à Mantoue. Il y fut rejoint par Lucien. Depuis 1804, Lucien s'était séparé de son frère, non pas, ainsi qu'on le prétendait, pour des dissentiments politiques, mais parce qu'il avait contracté un mariage qui ne s'accordait pas avec les calculs dynastiques de Napoléon. Retiré dans les États romains, il y vivait riche et considéré. Joseph, désirant vivement une réconciliation, avait ménagé {CL 148} l'entrevue de Mantoue. Elle fut des deux parts très-affectueuse, mais elle devait nécessairement ramener la question qui avait causé la rupture. Napoléon fit les offres les plus brillantes pour obtenir un divorce. Le trône de Naples ou de Portugal pour Lucien, le mariage de sa fille aînée avec le prince des Asturies, le duché de Parme pour sa femme, rien ne put ébranler Lucien: fidèle à ses affections, il préféra le bonheur domestique aux brillantes déceptions du trône. Napoléon fut inflexible dans sa politique, Lucien opiniâtre dans ses devoirs. Ils se séparèrent, attendris tous deux, mais sans se faire de concessions.
« L'empereur revint le 15 à Milan, en partit le 24, et arrivant au coucher du soleil à Alexandrie, il vit toute la {Lub 527} plaine de Marengo éclairée par des flambeaux allumés sur son passage. Après avoir visité les immenses travaux de fortifications qui faisaient d'Alexandrie la place la plus forte de l'Europe, il se dirigea rapidement vers le mont Cenis, qu'il gagna le 29, et fut de retour aux Tuileries le 1er janvier 1808. Toutes ses pensées se tournèrent alors vers l'Espagne*. »
* Histoire de Napoléon, par M. Elias Regnault.
Voici les deux avant-dernières lettres de mon père qui soient entre mes mains. Elles sont contemporaines de cet épisode de la vie impériale.
Venise, 29 septembre 1807. ac 2
Après avoir affronté tous les précipices de la Savoie et du mont Cenis, j'ai été culbuté dans un fossé bourbeux du Piémont, par la nuit la plus noire et la plus détestable, et de plus au milieu d'un bois, coupe-gorge fameux, où la veille on avait assassine et volé un marchand de Turin. Le sabre d'une main et le pistolet de l'autre, nous avons {CL 449} fait sentinelle jusqu'à ce qu'il nous soit arrivé main-forte pour nous remettre sur pied, c'est-à-dire pendant trois heures. Bientôt les chevaux nous ont manqué: ensuite les chemins sont devenus affreux. Arrivés au bord de la mer, le vent s'est élevé contre nous, et nous avons pensé chavirer dans la lagune. Enfin nous voici dans Venise la belle, où je n'ai encore vu que de l'eau fort laide dans les rues et bu que de fort mauvais vin à la table de Duroc. Depuis Paris voici la première nuit que je vais passer dans mon lit ad. L'empereur ne passera que huit jours ici. Je n'ai pas le temps de t'en dire davantage. Je t'aime, tu es ma vie, mon âme, mon Dieu, mon tout.
Milan, 11 décembre 1807.
Cette date doit te dire, chère amie, que je pense à toi doublement s'il est possible, puisque je suis dans un lieu si plein des souvenirs de notre amour, de mes douleurs, de mes tourments et de mes joies. Ah! que d'émotions j'ai éprouvées en parcourant les jardins voisins du cours. {Lub 528} Elles n'étaient pas toutes agréables, mais ce qui les domine toutes, c'est mon amour pour toi, c'est mon impatience de me retrouver dans tes bras. Nous serons bien certainement à Paris à la fin du mois. Il est impossible de s'ennuyer plus que je ne fais ici: j'ai des fêtes et des cérémonies par-dessus la tête. Tous mes camarades en disent presque autant, encore n'ont-ils pas d'aussi puissants motifs que moi pour désirer d'en finir avec toutes ces comédies. L'air est appesanti pour moi de grandeurs, de dignités, de roideur et d'ennui. Le prince est malade, et par cette raison nous devancerons, j'espère, le retour de l'empereur, et je vais bientôt te retrouver, toujours mon ange, mon diable et ma divinité. Si je ne trouve pas de lettre de toi à Turin, je te tirerai tes petites oreilles. {CL 150} Adieu, et mille tendres baisers à toi, à notre Aurore et à ma mère. Je t'écrirai de Turin. ae
J'ai cru pouvoir mettre sous les yeux du lecteur une très-rapide analyse des événements de la guerre et de l'histoire, puisque là seulement je pouvais suivre mon père, à défaut de lettres plus suivies et plus détaillées. Je n'abuserai pas plus longtemps de ce moyen de combler les lacunes qui se rencontrent dans sa vie. Et d'ailleurs, cette vie af si pure et si généreuse touche à sa fin; je n'aurai plus de lui qu'une affreuse catastrophe à raconter. Désormais je vais être guidée par mes propres souvenirs, et comme je n'ai pas la prétention d'écrire l'histoire de mon temps en dehors de la mienne propre, je ne dirai de la campagne d'Espagne que ce que j'en ai vu par mes yeux, à une époque où les objets extérieurs, étranges et incompréhensibles pour moi, commençaient à me frapper comme des tableaux mystérieux. On me permettra de rétrograder un peu, et de prendre ma vie au moment où je commence à la sentir. ag 3