GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{Presse 5/10/54 1; LP T.1 1; CL [T.1 1]; Lub [T.1 3]} PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE D'UNE FAMILLE, DE FONTENOY
À MARENGO
a.

{Presse 14/10/54 1; LP 110; CL [80]; Lub [71]} IV b

Sophie-Victoire-Antoinette Delaborde c. — La m�re Cloquart et ses filles � l'h�tel de ville. — Le couvent des Anglaises. — Sur l'adolescence. — En dehors d de l'histoire officielle, il y a une histoire intime des nations. — Recueil de lettres sous la Terreur.



Je suspendrai un instant ici l'histoire de ma lign�e paternelle pour introduire un nouveau personnage qu'un �trange rapprochement place dans la m�me prison � la m�me �poque e.

J'ai parl� d'Antoine Delaborde f, le ma�tre paulmier et le ma�tre oiselier c'est-�-dire qu'apr�s avoir tenu un billard, mon grand-p�re maternel vendit des oiseaux. Si je n'en dis pas davantage sur son compte, c'est que je n'en sais pas davantage. Ma m�re ne parlait presque pas de ses parents, parce qu'elle les avait peu connus et perdus lorsqu'elle �tait encore enfant. Qui �tait son grand-p�re paternel? Elle n'en savait rien, ni moi non plus. Et sa grand'm�re? Pas davantage. Voil� o� les g�n�alogies pl�b�iennes ne peuvent lutter contre celles des riches et des puissants de ce monde. Eussent-elles produit les �tres les meilleurs ou les plus pervers, {LP 110} il y a impunit� pour les uns, ingratitude envers les autres. Aucun titre, aucun embl�me, aucune peinture ne conserve le souvenir g de ces g�n�rations obscures qui passent sur la terre et n'y laissent point de traces. Le pauvre meurt tout entier, le m�pris du riche scelle sa tombe et marche dessus sans savoir si c'est m�me de la poussi�re humaine que foule son pied d�daigneux.

Ma m�re et ma tante m'ont parl� d'une grand'm�re {CL 81} maternelle qui les avait �lev�es et qui �tait bonne et pieuse. Je ne pense pas que la R�volution les ruina. Elles {Lub 72} n'avaient rien � perdre, mais elles y souffrirent, comme tout le peuple, de la raret� et de la chert� du pain. Cette grand'm�re �tait royaliste, Dieu sait pourquoi, et entretenait ses deux petites-filles dans l'horreur de la R�volution. Le fait est qu'elles n'y comprenaient goutte, et qu'un beau matin on vint prendre l'a�n�e, qui avait alors quinze ou seize ans et qui s'appelait Sophie-Victoire (et m�me Antoinette, comme la reine de France), pour l'habiller tout de blanc, la poudrer, la couronner de roses et la mener � l'h�tel de ville. Elle ne savait pas elle-m�me ce que cela signifiait: mais les notables pl�b�iens du quartier, tout fra�chement revenus de la Bastille et de Versailles, lui dirent: « petite citoyenne, tu es la plus jolie fille du district h, on va te faire brave; voil� le citoyen Collot-d'Herbois i, acteur du th��tre-fran�ais, qui {LP 111} va t'apprendre un compliment en vers avec les gestes; voici une couronne de fleurs; nous te conduirons � l'h�tel de ville, tu pr�senteras ces fleurs et diras ce compliment aux citoyens Bailly et La Fayette, et tu auras bien m�rit� de la patrie. »

Victoire s'en fut gaiement remplir son r�le au milieu d'un chœur d'autres jolies filles, moins gracieuses j qu'elle apparemment, car elles n'avaient rien � dire ni � pr�senter aux h�ros du jour; elles n'�taient l� que pour le coup d'œil. La m�re Cloquart (la bonne maman de Victoire) suivit sa petite fille avec Lucie, la sœur cadette, et toutes deux bien joyeuses et bien fi�res, se faufilant dans une foule immense, r�ussirent � entrer � l'h�tel de ville et � voir avec quelle gr�ce la perle k du district d�bitait son compliment et pr�sentait sa couronne. M. de La Fayette en fut tout �mu, et prenant la couronne, il la pla�a galamment et paternellement sur la t�te de Victoire en lui disant: {CL 82} « aimable enfant, ces fleurs conviennent � votre visage plus qu'au mien. » On applaudit, on prit place � un banquet offert � La Fayette et � Bailly. Des danses se form�rent autour des tables, les belles jeunes filles des districts y furent entra�n�es: la foule devint si compacte et si bruyante, que la bonne m�re Cloquart et la petite Lucie, perdant de vue la triomphante Victoire, n'esp�rant plus la rejoindre et craignant d'�tre �touff�es, sortirent sur {LP 113} la place pour l'attendre; mais la foule les en chassa. Les cris d'enthousiasme leur firent peur. Maman Cloquart n'�tait pas brave: elle crut que Paris allait s'�crouler sur {Lubin73} elle, et elle se sauva avec Lucie, pleurant, et criant que Victoire serait �touff�e ou massacr�e dans cette gigantesque farandole.

Ce ne fut que vers le soir que Victoire revint les trouver dans leur pauvre petite demeure, escort�e d'une bande de patriotes des deux sexes l, qui l'avaient si bien prot�g�e et respect�e, que sa robe blanche n'�tait pas seulement chiffonn�e.

À quel �v�nement politique se rattache cette f�te donn�e � l'h�tel de ville? Je n'en sais rien. Ni ma m�re ni ma tante n'ont jamais pu me le dire; probablement qu'en y jouant un r�le, elles n'en savaient rien non plus. Autant que je puis le pr�sumer, ce fut lorsque La Fayette vint annoncer � la commune m que le roi �tait d�cid� � revenir dans sa bonne ville de Paris.

Probablement � cette �poque les petites citoyennes Delaborde trouv�rent la r�volution n charmante. Mais plus tard elles virent passer une belle t�te orn�e de longs cheveux blonds au bout d'une pique, c'�tait celle de la malheureuse princesse de Lamballe. Ce spectacle leur fit une impression �pouvantable, et elles ne jug�rent plus la r�volution qu'� travers cette horrible apparition.

Elles �taient alors si pauvres, que Lucie travaillait {LP 114} � l'aiguille, et que Victoire �tait comparse dans un petit {CL 83} th��tre o. Ma tante a ni� depuis p ce dernier fait, et, comme elle �tait la q franchise m�me, elle l'a ni� r certainement de bonne foi. Il est possible qu'elle l'ait ignor�; car, dans cet orage o� elles �taient emport�es comme deux pauvres petites feuilles qui tournoient sans savoir o� elles sont, dans cette confusion de malheurs, d'�pouvantes et d'�motions incomprises, si violentes parfois, qu'elles avaient, � de certaines �poques, tout � fait d�truit le sens de la m�moire chez ma m�re, il est possible que les deux sœurs se soient perdues de vue pendant un certain temps. Il est possible qu'ensuite Victoire, craignant les reproches de la grand'm�re, qui �tait d�vote, et l'effroi de Lucie, qui �tait prudente et laborieuse, n'ait pas os� avouer � quelles extr�mit�s la mis�re ou l'impr�voyance de son �ge l'avaient r�duite. Mais le fait est certain, parce que Victoire ma m�re me l'a dit, et dans des circonstances que je n'oublierai jamais: je raconterai cela en son lieu, mais je dois prier le lecteur de ne rien pr�juger avant ma conclusion s.

{Lub 74} Je ne sais en quel endroit il arriva � ma m�re, sous la Terreur, de chanter une chanson s�ditieuse contre la R�publique. Le lendemain, on vint faire une perquisition chez elle. On y trouva cette chanson manuscrite, qui lui avait �t� donn�e par un certain abb� Borel. La chanson �tait s�ditieuse en {LP 115} effet; mais elle n'en avait chant� qu'un seul couplet qui l'�tait fort peu. Elle fut arr�t�e sur-le-champ avec sa sœur Lucie (Dieu sait pourquoi!) et incarc�r�e d'abord � la prison de la Bourbe, et puis dans une autre, et puis transf�r�e enfin aux Anglaises, o� elle �tait probablement � la m�me �poque que ma grand'm�re.

Ainsi deux pauvres petites filles du peuple �taient l�, ni plus ni moins que les dames les plus qualifi�es t de la cour et de la ville. Mademoiselle Contat y �tait aussi, et la sup�rieure des religieuses anglaises, madame Canning, s'�tait intimement u li�e avec elle. Cette c�l�bre actrice avait {CL 84} des acc�s de pi�t� tendre et exalt�e. Elle ne rencontrait jamais madame Canning dans les clo�tres sans se mettre � genoux devant elle et lui demander sa b�n�diction. La bonne religieuse, qui �tait pleine d'esprit et de savoir-vivre, la consolait et la fortifiait contre les terreurs de la mort, l'emmenait dans sa cellule et la pr�chait sans l'�pouvanter, trouvant en elle une belle et bonne �me o� rien ne la scandalisait. C'est elle-m�me qui a racont� cela � ma grand'm�re devant moi, lorsque j'�tais au couvent, et qu'au parloir elles repassaient ensemble les souvenirs de cette �trange �poque.

Au milieu d'un si grand nombre de d�tenues, souvent renouvel�es par le d�part* des unes et {LP 116} l'arrestation des autres, si Marie-Aurore de Saxe {Presse 14/10/54 2} et Victoire Delaborde ne se connurent pas ou ne se remarqu�rent pas, il n'y a rien d'�tonnant. Le fait est que leurs souvenirs mutuels ne dat�rent point de cette �poque. Mais qu'on me laisse faire ici un aper�u de roman. Je suppose que Maurice se promen�t dans le clo�tre, tout transi et battant la semelle contre le mur en attendant l'heure d'embrasser sa m�re; je suppose aussi que Victoire err�t dans le clo�tre et remarqu�t ce bel enfant; elle qui avait d�j� dix-neuf ans, elle e�t dit, si on lui e�t appris que c'�tait l� le petit-fils du mar�chal de Saxe: — v« il est joli gar�on; quant au mar�chal de Saxe, je ne le connais pas. » Et je suppose {Lub 75} encore qu'on e�t dit � Maurice: « vois cette pauvre jolie fille, qui n'a jamais entendu parler de ton a�eul, et dont le p�re vendait des oisillons en cage, c'est ta future femme... » Je ne sais ce qu'il e�t r�pondu alors, mais voil� le roman engag�.

* D�part signifiait alors la guillotine w.

Qu'on n'y croie pas, pourtant. Il est possible qu'ils ne se soient jamais rencontr�s dans ce clo�tre, et il n'est pourtant {CL 85} pas impossible qu'ils s'y soient regard�s et salu�s en passant, ne f�t-ce qu'une fois. La jeune fille n'aura pas fait grande attention � un �colier; le jeune homme, tout pr�occup� de ses chagrins personnels, l'aura peut-�tre vue, mais il l'aura oubli�e l'instant d'apr�s. Le fait est qu'ils ne se sont souvenus de cette rencontre ni l'un ni l'autre {LP 117} lorsqu'ils ont fait connaissance en Italie, dans une autre temp�te, plusieurs ann�es apr�s.

Ici l'existence de ma m�re dispara�t enti�rement pour moi, comme elle avait disparu pour elle-m�me dans ses souvenirs. Elle savait seulement qu'elle �tait sortie de prison comme elle y �tait entr�e, sans comprendre comment et pourquoi. La grand'm�re Cloquart n'ayant pas entendu parler de ses petites-filles depuis plus d'un an, les avait crues mortes. Elle �tait bien affaiblie quand elle les vit repara�tre devant elle; car, au lieu de se jeter d'abord dans leurs bras, elle eut peur et les prit pour deux spectres.

Je reprendrai leur histoire o� il me sera possible de la retrouver. Je retourne � celle de mon p�re, que, gr�ce � ses lettres, je perds rarement de vue.

Les rapides entrevues qui servaient de consolation � la m�re et au fils furent brusquement interrompues. Le gouvernement r�volutionnaire prit une mesure de rigueur contre les proches parents des d�tenus, en les exilant hors de l'enceinte de Paris et en leur interdisant d'y mettre les pieds jusqu'� nouvel ordre. Mon p�re alla s'�tablir � Passy avec Deschartres, et il y passa plusieurs mois.

Cette seconde s�paration fut plus d�chirante encore que la premi�re. Elle �tait plus absolue, elle d�truisait le peu d'esp�rances qu'on avait pu conserver. Ma grand'm�re en fut navr�e, mais elle r�ussit � cacher � son fils l'angoisse qu'elle �prouva {LP 118} en l'embrassant avec la pens�e que c'�tait pour la derni�re fois.

Quant � lui, il n'eut point des pressentiments aussi {CL 86; Lub 76} sombres, mais il fut accabl�. Ce pauvre enfant n'avait jamais quitt� sa m�re, il n'avait jamais connu, jamais pr�vu la douleur. Il �tait beau comme une fleur, chaste et doux comme une jeune fille x. Il avait seize ans, sa sant� �tait encore d�licate, son �me exquise. À cet �ge, un gar�on �lev� par une tendre m�re est un �tre � part dans la cr�ation. Il n'appartient pour ainsi dire � aucun sexe; ses pens�es sont pures comme celles d'un ange; il n'a point cette pu�rile coquetterie, cette curiosit� inqui�te, cette personnalit� ombrageuse qui tourmentent souvent le premier d�veloppement de la femme. Il aime sa m�re comme la fille ne l'aime point et ne pourra jamais l'aimer. Noy� dans le bonheur d'�tre ch�ri sans partage et choy� avec adoration, cette m�re est pour lui l'objet d'une sorte de culte. C'est de l'amour, moins les orages et les fautes o� plus tard l'entra�nera l'amour d'une autre femme. Oui, c'est l'amour id�al, et il n'a qu'un moment dans la vie de l'homme. La veille il ne s'en rendait pas encore compte et vivait dans l'engourdissement d'un doux instinct; le lendemain d�j� ce sera un amour troubl� ou distrait par d'autres passions, ou en lutte peut-�tre avec l'attrait dominateur de l'amante.

Un monde d'�motions nouvelles se r�v�lera alors {LP 119} � ses yeux y �blouis; mais s'il est capable d'aimer ardemment et noblement cette nouvelle idole, c'est qu'il aura fait avec sa m�re le saint apprentissage de l'amour vrai.

Je trouve que les po�tes et les romanciers n'ont pas assez connu ce sujet d'observation, cette source de po�sie qu'offre ce moment rapide et unique dans la vie de l'homme z. Il est vrai que, dans notre triste monde actuel, l'adolescent n'existe pas, ou c'est un �tre �lev� d'une mani�re exceptionnelle. Celui que nous voyons tous les jours est un coll�gien mal peign�, assez mal appris, infect� de quelque vice grossier qui a d�j� d�truit dans son �tre la saintet� du premier id�al. Ou si, par miracle, le pauvre enfant a �chapp� {CL 87} � cette peste des �coles, il est impossible qu'il ait conserv� aa la chastet� de l'imagination et la sainte ignorance de son �ge. En outre, il nourrit une haine sournoise contre les camarades qui ont voulu l'�garer, ou contre les ge�liers ab qui l'oppriment. Il est laid, m�me lorsque la nature l'a fait beau; il porte un vilain habit, il a l'air honteux et ne vous regarde point en face. Il d�vore en secret de mauvais livres, et pourtant la vue d'une femme {Lub 77} lui fait peur. Les caresses de sa m�re le font rougir. On dirait qu'il s'en reconna�t indigne. Les plus belles langues du monde, les plus grands po�mes de l'humanit�, ne sont pour lui qu'un sujet de lassitude, de r�volte et de d�go�t; nourri, brutalement {LP 120} et sans intelligence, des plus purs aliments, il a le go�t d�prav� et n'aspire qu'au mauvais. Il lui faudra des ann�es pour perdre les fruits de cette d�testable �ducation, pour apprendre sa langue en oubliant le latin ac qu'il sait mal et le grec qu'il ne sait pas du tout, pour former son go�t, pour avoir une id�e juste de l'histoire, pour perdre ce cachet de laideur qu'une enfance chagrine et l'abrutissement de l'esclavage ont imprim� sur son front, pour regarder franchement et porter haut la t�te. C'est alors seulement qu'il aimera sa m�re; mais d�j� les passions s'emparent de lui, et il n'aura jamais connu cet amour ang�lique dont je parlais tout � l'heure et qui est comme une pause pour l'�me de l'homme, au sein d'une oasis enchanteresse, entre l'enfance et la pubert�.

Ceci n'est point une conclusion que je prends contre l'�ducation universitaire ad. En principe, je reconnais les avantages de l'�ducation en commun. En fait, telle qu'on la pratique aujourd'hui, je n'h�site pas � dire que tout vaut mieux, en fait d'�ducation, m�me celle des enfants g�t�s � domicile.

Au reste, il ne s'agit pas ici de conclure sur un fait particulier. Une �ducation comme celle que re�ut mon p�re ne saurait servir de type. Elle fut � la fois trop belle et {CL 88} trop d�fectueuse. Bris�e deux fois, la premi�re par une maladie de langueur, la seconde par les �motions de la terreur r�volutionnaire, et {LP 121} par l'existence pr�caire et d�cousue qui en fut la suite, elle ne fut jamais compl�t�e. Mais telle qu'elle fut, elle produisit un homme d'une candeur, d'une vaillance et d'une bont� incomparables. La vie de cet homme fut un roman de guerre et d'amour, termin� � trente ans par une catastrophe impr�vue. Cette mort pr�matur�e le laisse � l'�tat de jeune homme dans la pens�e de ceux qui l'ont connu, et un jeune homme dou� d'un sentiment h�ro�que dont toute la vie se renferme dans une p�riode h�ro�que de l'histoire, ne peut �tre une physionomie sans int�r�t et sans charme. Quel beau sujet de roman pour moi que cette existence, si les principaux personnages n'eussent �t� mon p�re, ma m�re {Lub 78} et ma grand'm�re! Mais, quoi qu'on fasse, quoique dans ma pens�e rien ne soit plus s�rieux que certains romans qu'on �crit avec amour et religion, il ne faut mettre dans un roman ni les �tres qu'on aime, ni ceux qu'on hait. J'aurai beaucoup � dire l�-dessus, et j'esp�re r�pondre franchement � quelques personnes qui m'ont accus�e d'avoir voulu les peindre dans mes livres. Mais ce n'est point ici le lieu, et je me borne � dire que je n'eusse pas os� faire de la vie de mon p�re le sujet d'une fiction; plus tard on comprendra pourquoi.

Je ne pense pas d'ailleurs que cette existence e�t �t� plus int�ressante avec les ornements de la forme litt�raire. Racont�e telle qu'elle est, elle signifie {LP 122} davantage et r�sume, par quelques faits tr�s-simples, l'histoire morale de la soci�t� qui en fut le milieu. ae 1

Tout ce pr�ambule n'est � autre fin que d'expliquer pourquoi je vais rapporter une s�rie de lettres qui, sans avoir grande apparence de couleur historique, en ont cependant une r�elle. Tout concourt � l'histoire, tout est l'histoire, {CL 89} m�me les romans qui semblent ne se rattacher en rien aux situations politiques qui les voient �clore. Il est donc certain que les d�tails r�els de toute existence humaine sont des traits de pinceau dans le tableau g�n�ral de la vie collective. Lequel de nous, trouvant un fragment d'�criture du temps pass�, f�t-ce un acte de s�che proc�dure, f�t-ce une lettre insignifiante, ne l'a examin�, retourn�, comment�, pour en tirer quelque lumi�re sur les mœurs et coutumes de nos a�eux! Chaque si�cle, chaque moment a sa mani�re, son expression, son sentiment, son go�t, sa pr�occupation. L'histoire de la l�gislation se fait avec de vieux titres, l'histoire des mœurs avec de vieilles lettres.

Mon fils s'est amus� � �crire, pour ne pas le publier, bien entendu, un roman burlesque avec commentaires scientifiques plus burlesques encore. Au milieu d'une lettre de haute intrigue, un de ses personnages �crit � un autre: « Ô ciel! Envoie-moi vingt-sept aunes de velours vert. » Ce velours vert nous a fait rire au coin du feu, et l'auteur assure {LP 123} qu'il y a un myst�re bien profond dans cette apostrophe. Nous ne demandons pas mieux; mais j'en tire un exemple: que cette lettre f�t une v�ritable lettre dat�e du r�gne de Louis XIV seulement, et qu'elle nous tomb�t sous la main: tout de suite nous voil� {Lub 79} s�rieusement intrigu�s par ce velours. Et que faisait-on dans ce temps-l� de vingt-sept aunes de velours vert? Un habillement, un meuble, une porti�re? �tait-ce un objet de grand luxe ou d'un usage commun? Quel en �tait le prix? O� le fabriquait-on? Quelles classes de la soci�t� le consommaient plus particuli�rement? On regretterait de n'avoir pas ce d�tail; car si on l'avait, on se reporterait par la pens�e � tout un �tat de choses, � la situation du commerce, au sort des ouvriers, au luxe des mœurs, aux diff�rences du bien-�tre: voil� donc qu'on �tablit une �chelle qui touche � toute base et � tout sommet du probl�me �conomique, que l'on compare {CL 90} le pass� au pr�sent, et que l'on arrive � des conclusions qui int�ressent le probl�me social.

L'histoire se sert donc de tout, d'une note de marchand, d'un livre de cuisine, d'un m�moire de blanchisseuse. Et voil� comment vingt-sept aunes de velours vert peuvent int�resser l'histoire de l'humanit�. Ceci peut servir de note � l'estimable ouvrage dont j'ai tir� cet exemple*.

* L'Inconnu, roman inconnu de Maurice Sand af.

{LP 124} Je vais donc citer textuellement une s�rie de lettres �crites par mon p�re �g� de seize ans, � sa m�re d�tenue aux Anglaises sous la Terreur, et j'avertis le lecteur qu'il n'y a rien de vari� et rien de dramatique dans la situation personnelle que ces lettres constatent. Elles ne constatent, au contraire, que la morne situation de deux �mes d�chir�es de douleur. Mais elles sont dat�es de 94 ag, et c'est l� leur valeur historique. Et, quant � leur valeur morale, on en jugera apr�s les avoir lues. C'est un monument d'innocence, d'amour filial, et de cet �tat ang�lique de l'�me qui caract�rise le v�ritable adolescent ah.

{LP 125; CL [91]; Lub 80} Lettres de 1794

LETTRE PREMIÈRE
(Sans date.)

Exil�! exil� � quinze ans, et pour quel crime? Ah! si j'avais pu pr�voir qu'on prendrait cette mesure contre les parents des d�tenus, je me serais fait mettre en prison avec toi. Être s�par� de toi, ne plus te voir! oh! oui, c'est bien l'exil! Ma bonne m�re, prends courage si tu peux; pour moi, je n'en peux plus; j'ai tant pleur� que je ne vois plus clair. J'�tais comme abasourdi en sortant de Paris, je ne savais pas o� j'allais, et, sans le citoyen Deschartres, qui me tra�nait par le bras, je me serais couch� par terre en sortant de la porte Maillot. Je n'ose pas t'en �crire davantage, j'ai peur que ma lettre ne passe pas. Qu'avons-nous fait pour �tre si malheureux? Il faudrait que j'eusse commis un grand crime pour m�riter de ne plus te voir, et je n'ai rien fait, {LP 126} mon Dieu! Ma m�re, ma m�re, rendez-moi bient�t ma m�re!


Ici il y a une lacune. Ces premi�res lettres �taient sans doute les plus d�chirantes, les plus passionn�es. Peut-�tre contenaient-elles quelques plaintes contre le gouvernement r�volutionnaire, et, dans la crainte des cons�quences, ma grand'm�re les aura br�l�es aussit�t apr�s les avoir lues.

{CL 92} LETTRE II

Passy, le 8 flor�al an II de la R�publique ai (avril 1794).

Nous nous serons certainement rencontr�s en regardant le Panth�on, car je suis rest� tr�s longtemps sur la hauteur. Mon Dieu, ma bonne m�re, quelle triste ressource! Si j'�tais deux cents toises plus haut avec un t�lescope, je d�couvrirais les Anglaises.

Ce soir, apr�s notre entrevue (� une lieue de distance!), j'ai �t� me promener au bois de Boulogne, et j'y ai eu le {Lub 81} divertissement d'un orage. Je n'ai pas perdu une goutte d'eau ni un grain de gr�le. Il ne faut pas que cela t'inqui�te, je ne m'en porte que mieux. Je suis arriv�, au milieu des vents fougueux et des noirs torrents, � la municipalit�, dont {LP 127} les membres sont tr�s-polis. Et comme quelqu'un disait qu'il croyait qu'on nous renverrait plus loin, il y eut un des municipaux qui nous assura le contraire, en nous faisant des politesses et en nous disant qu'ils en seraient tr�s-f�ch�s. J'aimerais mieux �tre renvoy� � Paris couvert de sottises que compliment� de la sorte.

Bonsoir, ma bonne et tendre m�re, je t'embrasse de tout mon cœur. Il y a d�j� six jours que je n'ai eu ce bonheur-l�; que c'est long et d�chirant!

LETTRE III
(Apr�s une seconde lacune.)

Passy, 19 flor�al an II (mai 1794).

Si mon exil est un chagrin bien grand pour moi, ma {CL 93} bonne m�re, puisqu'il me prive de te voir, peut-�tre aussi pourra-t-il m'�tre d'une grande utilit� en me laissant un vide �norme que je suis forc� de remplir par le travai. À Paris, j'�tais distrait toute la journ�e. Il fallait courir, faire des visites, et tout mon temps se trouvait gaspill�. Maintenant, isol�, ne connaissant personne autour de moi, je n'ai d'autre ressource que l'�tude pour ne pas p�rir {LP 128} d'ennui dans mes longues et solitaires journ�es. Je travaille depuis mon r�veil jusqu'� trois heures, et comme je suis seul et sans bruit, je m'y donne tout entier et plus s�rieusement que je n'ai jamais fait. Le citoyen Deschartres arrive, me donne une lettre de toi, que je lis en m�me temps que tu lis la mienne. L'apr�s-midi nous sortons, nous nous promenons au bois de Boulogne, nous lisons, et, de cette mani�re, la journ�e se trouve remplie. J'ai �t� ce soir � la municipalit� pour avoir un certificat de vie, et l'on m'a fait des difficult�s pour me l'accorder, parce que mon extrait de bapt�me n'�tait pas l�galis�. Cependant je l'aurai demain, et je serai vivant plus que jamais.

Bonsoir, ma bonne m�re, le citoyen Deschartres est fatigu�, nous sommes rentr�s tard de la municipalit�, et {Lub 82} il veut se coucher. Pardonne � la bri�vet� de ma lettre � cause de sa lassitude. Je t'embrasse bien tendrement.

LETTRE IV

Passy, 20 flor�al.

Je t'�cris, ma bonne m�re, du coin de mon feu. Je ne sais ce que j'ai fait aux sieurs Éole, Bor�e et {LP 129} compagnie, mais ils ne cessent de me pourchasser ici. Je crois que ce {CL 94} matin, � notre rendez-vous sur la terrasse*, si j'eusse �t� un peu plus diaphane, ils m'auraient emport� jusqu'� Paris, et je leur en aurais su bon gr� aj, je t'assure. Si jamais il m'�tait permis d'aller te voir, les trente-deux vents ne seraient que trente-deux tortues aupr�s de moi. Oh! qu'il y a d�j� longtemps, ma bonne m�re, que je ne t'ai embrass�e! Le travail peut bien faire oublier l'ennui et la solitude; mais rien au monde n'est capable de me consoler de la privation de te voir. C'est un ver rongeur qui empoisonne toute esp�ce de satisfaction, m�me la vue de ces bois charmants, de ces longues all�es d'un vert tendre, �clair�es par le soleil, ou de ces bois plus sombres, dont les troncs sont garnis de mousse et les pieds d'une fra�che pelouse. Je m'y prom�ne, j'y sens un premier mouvement de plaisir, mais aussit�t je rencontre une all�e dans laquelle je me suis promen� avec toi, et me voil� redevenu aussi triste qu'auparavant. Comme je n'ai pas besoin de souvenirs pour penser � toi, m�me lorsque je jouis de quelque beau spectacle de la nature, j'en jouis tristement.

* Ils �taient convenus, comme on l'a vu dans une lettre pr�c�dente, de regarder le d�me du Panth�on � la m�me heure. Ils appelaient cela leur rendez-vous ak.

Mon mal de t�te n'a pas eu de suite. L'air de la campagne est on ne peut pas plus sain, et je n'ai {LP 130} plus entendu parler de mes migraines depuis que je suis ici; je suis tr�s-las. Je vais peut-�tre encore r�ver, comme la nuit derni�re, que je suis avec toi. Cela �tait bien doux; mais le r�veil vient et le bonheur cesse.

Adieu, ma ch�re et tendre m�re, je t'embrasse de toute mon �me.

MAURICE.

{CL 95; Lub 83} LETTRE V

Passy, 23 flor�al an II.

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Le tendre int�r�t que tu prends � tout ce que je fais te fait-il deviner l'emploi de ma matin�e? J'ai relu les fables de La Fontaine apr�s avoir parl� de lui avec mon ami de la montagne*, qui m'en a racont� mille distractions comiques et charmantes. Si on l'avait jug� par ses actions, on l'aurait pris pour un insens�. Ses fables, sur lesquelles je passais rapidement autrefois, sont vraiment remplies de beaut�s {LP 131} dont je ne m'�tais pas dout�. Quelle simplicit� belle et rare!

* C'�tait M. H�kel al 2, auteur d'un ouvrage philosophique sur la diplomatie et le droit des gens. Il fr�quentait la maison de ma grand'm�re, et avait pris le jeune Maurice en grande amiti�.

Martin arrive dans l'instant et m'apporte du chocolat de ta part. Que tu es donc bonne de penser � cela! Je suis bien f�ch� que tu t'en prives pour moi; je m'en serais si bien pass�! Je voudrais l'avoir eu pour te le donner. Je souffre bien d'�tre loin de toi. Encore si je te savais heureuse!

.......................................................................

J'ai bien besoin de recevoir de tes nouvelles. Il me semble que je suis �loign� de toi de quarante lieues de plus, depuis que je n'ai plus une lettre de toi tous les jours. J'ai su que tu te portais bien; mais c'est bien diff�rent de le tenir de toi. Je connais bien les causes qui t'emp�chent de m'�crire, et cela n'emp�che pas que je sois inquiet sans savoir pourquoi. Enfin, il me faut une lettre {CL 96} pour me tranquilliser. Je l'attends comme le voyageur alt�r� attend une source apr�s une longue route dans les sables br�lants. Sans doute l'�criture, c'est-�-dire l'art de donner du corps et de la couleur aux pens�es, fut invent�e par des �tres s�par�s, comme nous, par des obstacles insurmontables. Qu'une lettre est consolante dans une longue et p�nible absence! Qu'il est doux de pouvoir se parler, se r�pondre, converser ensemble! Il faut avoir go�t� comme moi cette consolation et l'avoir {Lub 84} perdue pour en sentir le prix. J'esp�re que lorsque tu recevras cette lettre, ma {LP 132} bonne m�re, nous pourrons communiquer ensemble par �crit. Voil� quatre grands jours que cela dure, et tout ce temps j'ai �t� tout d�sorient�. Avant, lorsque le citoyen Deschartres �tait porteur d'une lettre, il n'arrivait jamais assez t�t au gr� de mon impatience; je comptais les minutes. Maintenant je ne regarde plus l'heure, il arrive quand il veut, cela m'est presque indiff�rent. Mais j'esp�re que bient�t je reprendrai mon impatience et que je me remettrai � compter les minutes. Mande-moi bien, je t'en prie, ce qui s'est pass� chez toi, je suis d'une impatience incroyable de l'apprendre. On dit qu'aussit�t que les administrateurs de police auront fini, les commissions populaires entreront en activit�. J'ai grand besoin que cela se d�cide, car le temps que je passe est bien long et bien triste. L'�t� dernier �tait encore si heureux pour nous, que je ne me rappelle pas sans la plus vive �motion le souvenir du temps o� nous vivions tous ensemble; nous avions des habitudes si douces! Si ces souvenirs sont m�l�s de quelque plaisir, je t'assure qu'ils le sont bien d'amertume! Enfin, ma bonne m�re, si nous retrouvons ce temps heureux, nous pourrons chanter notre duo:


Et tous les jours nous b�nissons
L'instant heureux qui nous rassemble.

{CL 97} Adieu, ma bonne m�re, je t'embrasse de toute {LP 133} mon �me, de tout mon cœur, de toutes mes forces, de tout mon amour pour toi.

MAURICE.

LETTRE VI

24 flor�al.

J'avais bien besoin, ma bonne m�re, de recevoir une lettre de toi. Ce bonheur m'a paru encore bien plus grand par la privation que j'en avais �prouv�e. j'esp�re que ce sera la seule atteinte que notre correspondance essuiera, ou plut�t j'esp�re qu'elle finira bient�t, et que je pourrai te dire de vive voix tout ce que je sens pour toi. Voil� comment on n'est jamais content! Lorsque j'�tais priv� {Lub 85} de t'�crire, je n'aspirais qu'apr�s le moment o� cette libert� me serait rendue; maintenant j'en jouis, et cela ne fait qu'augmenter le d�sir que j'ai d'�tre r�uni � toi.

On dit qu'on n'a pris toutes ces mesures que pour ensuite mettre les commissions en activit�. J'ignore comment tout cela s'arrangera; mais la justice ne peut manquer de r�gner dans les arr�ts rendus par des magistrats int�gres.

J'ai vu ce matin le citoyen Beaumont*, ainsi que mon ami de la montagne 3. Nous nous sommes {LP 134} longtemps promen�s, et je n'ai pas besoin de te dire de qui nous parlions. Si les oreilles ne t'ont pas tint� tout ce temps-l�, c'est que le proverbe est menteur.

* L'abb� de Beaumont, son oncle, fils du duc de Bouillon et de mademoiselle Verri�res am.

Je reconduis ceux qui viennent me voir jusqu'� la barri�re, et je t'assure que je trouve bien �trange {CL 98} de ne pouvoir plus y rentrer comme autrefois, surtout � celle de la R�volution; c'�tait par l� que j'allais au bois de Boulogne avec toi ou � cheval. J'ai bien de la peine, quand je passe par les m�mes endroits et quand j'arrive � cette barri�re, � ne pas me mettre � courir vers le lieu o� tu demeures pour t'embrasser... Mais je suis retenu par quelques petites consid�rations: j'aper�ois de l� la guillotine, et, avec une lunette, je lirais le journal sur une des tables du caf� an de la Terrasse des Feuillants... Oh! si le ciel exauce ma pri�re, je t'assure que nous serons bient�t r�unis pour ne plus jamais nous quitter. Oh! ce sera pour moi le comble du bonheur!

Adieu, ma bonne m�re, je te serre contre mon cœur.

MAURICE.

LETTRE VII
(Sans date.)

Tu dates toujours tes lettres de six heures du matin. Cette heure me choque, ma bonne m�re; tu te {LP 135} couches tard, donc, tu ne dors pas assez. Je crains que cela ne prenne sur ta sant�. . . . . . . .

Ce soir, comme nous lisions en marchant, sur la route {Lub 86} de Versailles, nous avons entendu une voix nous appeler; c'�tait Feuilloys ao, du comit� r�volutionnaire. Il nous a fait beaucoup d'amiti�s et nous a demand� de tes nouvelles. Comme il �tait en voiture, nous n'avons pu lui parler longtemps.

On dit que si les commissions ne sont pas mises en {CL 99} activit� dans un mois, ce sera le comit� de s�ret� g�n�rale qui d�cidera du sort des d�tenus, d'apr�s les tableaux des sections. Chacun dit sa nouvelle, vraie ou fausse. . . . . . . .

Je fais bien aussi en me couchant des r�flexions sur notre sort, ma bonne m�re; mais je ne raisonne pas de m�me que toi. Tu dis que plus tu avances, plus ton espoir s'�loigne. Il est constant que toute souffrance a un terme; donc, plus nous avan�ons, plus nous approchons de ce terme d�sir�. Si nous regrettons les jours heureux, nous devons nous r�jouir des jours malheureux qui sont pass�s ap et les regarder comme des m�decines aval�es. . . . . . . Ah! que le m�decin qui t'enverrait � Passy ferait deux belles cures! qu'il gu�rirait bien les blessures profondes qui nous sont faites depuis six mois!... J'ai �t� ce soir me promener le long de la rivi�re en avan�ant vers Meudon, c'est d�licieux. Des coteaux couverts d'arbres et de charmantes maisons de campagne {LP 136} bornent l'horizon. De quelque c�t� que vous regardiez, votre œil est charm�; d'un c�t� Paris, qui vous pr�sente ses �difices les plus majestueux, de l'autre, les campagnes les plus riantes. Que je te regrette dans mes promenades! Ces jouissances sont bien imparfaites go�t�es loin de toi.

Je suis revenu par Auteuil. J'ai demand� o� �tait la maison de Boileau. Tout le monde la conna�t. Elle passe pour la plus ancienne. Cette maison est habit�e aujourd'hui par un extravagant qui ne l'a pas respect�e. Il l'a fait reblanchir, lui a donn� une forme toute neuve et n'a pas manqu� de d�truire ces buis, ces ifs tondus, paliss�s par Antoine. Il a fait un jardin anglais de ces all�es sous lesquelles Boileau composait, sous lesquelles se rassemblaient les g�nies de la France, d'Aguesseau, Lamoignon, Racine, Moli�re, La Fontaine! J'ai pourtant retrouv� une seule all�e de ce temps-l�, qu'on a �pargn�e par hasard. C'est l� qu'il m�ditait peut-�tre de pr�f�rence, c'est l� {CL 100} qu'il faisait le proc�s aux vices et aux ridicules du genre humain.

Si cette maison m'e�t appartenu, je l'aurais laiss�e avec {Lub 87} tous ses vieux ornements, je ne l'aurais r�tablie qu'en la faisant �tayer. Les jardins eussent �t� entretenus sur les anciens dessins; mon jardinier se f�t appel� Antoine. Cette demeure e�t �t� enti�rement consacr�e � la m�moire du grand po�te.

En revenant, comme nous pensons toujours que {LP 137} ta d�tention ne peut plus �tre de longue dur�e, nous avons visit� des appartements qui pourraient te convenir. Il y en a un d'o� l'on d�couvre tout Paris; mais il y a un arbre qui est comme celui de Rousseau; il te cacherait aq toute la montagne Sainte-Genevi�re, cette plage maudite ar qui te rappellerait de tristes souvenirs. Ah! que je voudrais que tu vinsses choisir toi-m�me! que je serais heureux! J'esp�re que les temps deviendront meilleurs. . . . . . . as

Je t'embrasse de toute mon �me, de toute ma tendresse.

LETTRE VIII at

Passy, 27 flor�al, huit heures du soir.

Je rentre dans l'instant. Antoine est venu de ta part savoir de mes nouvelles. Il m'a un peu rassur�, je craignais que la possibilit� de t'�crire ne me f�t encore �t�e. Toutes ces nouvelles sont bien tristes. Tant�t on ne peut te voir, tant�t on ne peut t'�crire. Quand ces tourments finiront-ils? Adieu, ma bonne m�re, Antoine veut partir; il est tard, et je n'ai pas encore �t� signer � la municipalit�.

{LP 138; CL 101} LETTRE IX au

28 flor�al.

J'ai suivi ton conseil, ma bonne m�re, j'ai encore �t� revoir cette apr�s-midi av la maison de Boileau; mais comme les portes en �taient ferm�es, cette fois je n'ai vu que le dehors. Je me suis bien dout� que tu ne serais pas d'avis du r�tablissement des ifs et des vieux buis. Tu pr�f�res des arbres � longs rameaux balanc�s dans les airs, � ces charmilles, � ces arbres tondus qui ont pris la roideur du fer qui les tailles. Mais mon intention n'�tait pas de faire du romanesque en les r�tablissant. C'�tait de me {Lub 88} transporter par la pens�e au temps o� vivait Boileau: de m�me que sur la sc�ne on nous montre les Grecs et les Romains avec leurs habits, leurs �difices et leurs meubles. Ainsi, pour ne rien omettre, on m'e�t vu me promener dans mon jardin en grande perruque et en nœuds de manche... Mais je quitte mon jardin d'Auteuil et reviens au pr�sent. Les commissions, � ce qu'on dit, ne sont point nomm�es, quoique la Convention ait d�cr�t� qu'elles seraient en activit� le 15 flor�al... Nous sommes au 28, et il est certain qu'elles ne sont dans aucune prison. Lorsque j'ai {LP 139} appris qu'il y aurait un tribunal nomm� pour juger les d�tenus, j'ai regard� ce moment comme celui de ta d�livrance, connaissant l'�quit� des repr�sentants du peuple et la justice de ta cause. Nous voil� encore frustr�s dans nos esp�rances de ce c�t�. Cependant il y a des gens qui disent que ce sera le comit� de s�ret� g�n�rale qui en d�cidera.

Bonsoir, ma bonne m�re, je t'embrasse comme je t'embrassais � la m�me heure lorsque nous �tions ensemble. {CL 102} Que je regrette ce temps! qu'il �tait heureux! Nous voil� dispers�s comme des feuilles par le vent, et sans savoir pourquoi!

LETTRE X aw

29 flor�al.

Il y a aujourd'hui trois semaines que je ne t'ai vue et que je suis dans ce lieu de plaisance, loin de toi, loin de mes foyers, de mes amis; je suis aussi fatigu� de corps que d'esprit. Une longue promenade est la cause de ma fatigue physique; mais quant � la fatigue morale, ce n'est pas une bonne nuit qui me reposera. Il me faudrait �tre avec toi, et tout le reste ne serait rien. Tu me compares � une rose, ma bonne m�re, je t'assure que depuis {LP 140} six mois je suis bien rembruni, et d'id�es et de teint. Avec une l�g�re nuance de plus, je pourrais le disputer � Othello. Il faut se prendre de cela au blond Phœbus. Quant aux id�es, dans ma situation on ne voit plus les objets lilas et aurore... Je ne crois pas que la gr�le, la neige, le tonnerre qui tomberont � Nohant doivent nous inqui�ter beauoup, car pour les revenus de cette terre, ils ne nous {Lub 89} appartiennent pas pour le moment. Qu'on est heureux d'�tre � l'h�pital! on n'y a point l'inqui�tude de la conservation de ses biens! Et que cette inqui�tude est peu de chose en comparaison de la privation que j'�prouve maintenant! Je dis:


De tous les biens que vous m'avez ravis,
Grands dieux! je ne r�clame qu'elle.

C'est l� mon refrain. Qu'on me rende ma m�re, je ne demande plus rien.

Adieu, toujours adieu! Quand donc nous dirons-nous aussi souvent bonjour?

MAURICE.

{CL 103} LETTRE XI ax

Passy, 1er prairial an II.

Enfin, nous pouvons fonder notre espoir sur quelque chose! Si tu lis les journaux, tu sais comment {LP 141} les commissions jugeront. Il y aura trois classes, l'une sera renvoy�e au tribunal r�volutionnaire. Ceux que les commissions jugeront ne pas �tre d�tenus pour des causes assez graves seront renvoy�s au comit� de s�ret� g�n�rale. On condamnera � l'exil ou � la d�tention jusqu'� la paix, mais on ne pourra mettre en libert� sur-le-champ. N'importe, une fois envoy�e au comit� de s�ret� g�n�rale, toi, tu es libre! Cette bonne nouvelle m'a fait passer une journ�e toute diff�rente des autres. J'ai d�n� chez M. de V�zelay ay et j'ai �t� ensuite chez M. de Serennes az. Il y avait un jeune homme, �l�ve de Krumholz ba 4, qui a jou� parfaitement de la harpe. Cela m'a fait grand bien, car il y a longtemps que je n'ai entendu de musique. Tu as raison, cela remonte l'esprit, et surtout pouvant m'abandonner au doux espoir de te revoir, de t'embrasser, de vivre avec toi. Je saute de joie quand j'y pense. Cela serait si doux apr�s cette longue et cruelle absence! Une fois que je te tiendrai, je ne m'inqui�terai plus de rien, je ne d�sirerai plus rien, tous mes souhaits seront accomplis.

Bonsoir, ma bonne m�re, je vais m'endormir sur ces riantes id�es; toutes les nuits je r�ve que tu es en libert�, que nous sommes ensemble; hier, en dormant je croyais {Lub 90} que nous �tions tous r�unis. C'�tait dans ton ancienne maison; Victor, tous nos amis y �taient; nous avions tous �t� rendus � nos {LP 142} foyers. La joie r�gnait, tout cela allait {CL 104} bien, lorsqu'un d�mon f�cheux m'a r�veill�. Bonsoir encore, ma bonne m�re bb, je te serre bien tendrement dans mes bras.

LETTRE XII bc

2 prairial bd.

Je t'�cris, ma bonne m�re, du coin de mon feu; je suis rentr� gel�, transi, morfondu. Mon ami de la montagne est venu me voir. Nous avons voulu lui faire les honneurs de nos prairies �maill�es, mais la bise a glac� notre admiration. On se croirait au mois de janvier. Tu ne te figures pas comme je m'ennuie de ne pas te voir: lorsque je compare ma vie monotone et triste � celle encore plus triste que tu m�nes, je me reproche l'air que je respire; tout est empoisonn� pour moi. Ce qui me faisait plaisir autrefois n'est plus qu'un sujet de regret. J'entendis l'autre jour l'ouverture d'Œdipe � Colone, je ne puis t'exprimer la peine que cela me fit, je l'avais entendue si souvent avec toi: encore l'�t� dernier! nous jouissions alors ensemble des douceurs de la libert�. Je pouvais t'embrasser soir et matin, je vivais pr�s de toi. Ah! j'�tais trop {LP 143} heureux, j'oubliais mon bonheur! Tous ces souvenirs me font s�cher. J'envie le sort des enfants que je vois jouer au bord des chemins. Libres d'inqui�tude, ils ne connaissent point l'exil, l'arrestation, la douleur de l'absence; ils ne tremblent pas pour ce qu'ils aiment, les noirs soucis ne h�tent pas leur r�veil...

C'est chez le citoyen V�zelay p�re be que j'ai �t� d�ner. Il me comble d'amiti�s, ainsi que sa femme. C'est le plus galant homme possible. Quant au fils, je le crois tr�s-vide. Il ne {CL 105} demeure pas � Passy avec son p�re, mais � Neuilly. Ce n'est pas comme cela que nous nous arrangerons, nous!

Bonsoir, ma bonne m�re. Je t'embrasse mille fois aussi tendrement que je t'aime!

MAURICE.

{Lub 91} LETTRE XIII bf

3prairial bg.

Je te vois toujours dans mes r�ves, ma bonne m�re, encore la nuit derni�re! Tu ne sors jamais de ma pens�e, pas m�me quand je dors. Si le sommeil est l'image de la mort, et si �tant mort je pouvais te voir sans cesse en r�ve, je m'endormirais bien vite du long sommeil pour jouir de ce bonheur...

{LP 144} Je vis, au reste, le plus que je peux avec les morts, car je lis sans cesse, j'ai pass� ma journ�e avec eux; le mauvais temps m'a renferm�. Tu me dis de cultiver mon violon. Je ne l'ai que de ce matin. Je te promets bien que, puisque tu le d�sires, je m'y attacherai et que lorsque tu pourras m'entendre, tu me trouveras avanc�. Nous sommes toujours au futur, je le prends en haine! le pr�sent de m�me; je suis l'imparfait: j'�tais et j'ai �t� me ram�nent � des souvenirs cruels. J'�tais avec toi! Il faudra absolument changer tout cela.



La lettre et les fragments suivants ne sont pas dat�s, mais sont tous de prairial.

{CL 106} LETTRES XIV, XV ET XVI bh
(Fragments sans date bi.)

Que je suis reconnaissant, ma bonne m�re, de la cha�ne et des cheveux que tu m'as envoy�s! qu'ils me sont pr�cieux! Ils ne me quitteront jamais! En sentant ces cheveux, j'ai cru �tre un moment pr�s de toi! Je me suis ressouvenu de la toilette de Paris, du temps o� j'�tais heureux! — Et j'aurai ton {LP 145} portrait aujourd'hui! D�s aujourd'hui il sera attach� � mon cou pour ne plus me quitter. Je lui parlerai, je l'aurai sans cesse sous les yeux. Mais il ne me consolera pas de ne plus voir l'original!...

Je vais donc essayer de me rapprocher de toi, � l'aide du t�lescope. Tout le monde en fait autant ici. Chaque {Lub 92} exil� est nanti d'une lunette, et c'est � qui regardera vers Paris... Peut-�tre ce sera-t-il d�fendu!

Mon Dieu! quand nos maux seront-ils donc finis? Adieu, ma bonne m�re. Je n'ai pas d'expression assez forte pour te dire mon amour.

.......................................................................

Tu es pendue � mon cou, ma bonne m�re. Tu reposes dedans et dessus mon cœur... Il m'est arriv� ce soir une dr�le d'aventure. Nous �tions pr�s de la fen�tre, le citoyen Deschartres et moi, � jouer l'ouverture d'Œdipe; lorsque nous e�mes fini, nous entend�mes battre des mains derri�re nous*. En nous retournant, nous v�mes un homme habill� dans l'ancien genre, qui nous pria de ne pas le prendre pour un espion, et de lui permettre de rester pour nous �couter. Comme il avait l'air tr�s-honn�te, apr�s {CL 107} plusieurs propos nous lui offr�mes d'entrer. Il accepta avec empressement. Nous jou�mes devant lui {LP 146} quelques morceaux. Enfin il prit un violon, et nous voil� � traverser les op�ras, faisant une musique admirable, car il est excellent musicien, tr�s-bon violon, et cela m'a remis les oreilles. J'avais besoin d'entendre de bonne musique; car malgr� son bon cœur et sa bonne volont�, le citoyen Deschartres ne peut pas arriver � jouer juste. Pour nous assurer de nouveau qu'il n'�tait pas espion, notre nouvel ami nous dit qu'il s'appelait Gavini�s bj 5, auteur de la musique de plusieurs op�ras-comiques aux Italiens. Il fut longtemps premier violon de l'Op�ra. Il se trouva qu'il avait connu particuli�rement mon papa — qu'il appelle toujours Francueil; qu'il avait fait beaucoup de musique avec lui dans le temps du Devin**, etc. Et le voil� tout � fait me connaissant, sans m'avoir jamais vu. Enfin, apr�s avoir bien jou�, il nous quitta en me disant que s'il ne demeurait pas � Paris, il se ferait souvent un plaisir de me donner des conseils. Pour mon violon, il le reconnut, et se ressouvint m�me du num�ro, qu'il me dit avant de l'avoir regard�. Ce fut la plus plaisante chose du monde!

{CL 106} * Le logement �tait un rez-de-chauss�e. L'homme �tait dans la rue bk.

{CL 107} ** Le EM;Devin du village de J.-J. Rousseau. C'est mon grand-p�re qui avait fait les r�citatifs.

Cela m'encouragea � travailler encore plus. J'aime la {Lub 93} musique par passion, et quoique n'ayant pas de ma�tre, je pourrai devenir musicien, car je me suis {LP 147} trouv� ce soir dans des seconds violons que je n'avais jamais vus, et j'allais dedans sans m'arr�ter, avec l'ex�cution et le mouvement. Cela me ferait tant de plaisir de devenir fort! Comme je travaillerais si tu �tais l� pour jouir de mes progr�s! Ah! je le vois bien, je ne connaissais pas mon bonheur, je ne l'appr�ciais pas assez bl.

J'ai ici N�rina* avec son petit, que j'aime beaucoup. Quand {CL 108} il est las � la promenade, nous le mettons dans un mouchoir. Sa t�te passe par un des coins; il est comme dans une liti�re, ou bien il s'y met en rond et il dort. C'est ainsi qu'il est venu de Paris. Il est magnifique et caressant. Il a toutes les mani�res de sa m�re, saute comme elle pardessus les mains, c'est un superbe animal. Il n'a point de nom et je d�sirerais que tu lui en donnes un, il m'en serait plus cher. Cherche-lui-en un, je t'en prie. Tiens haut et bas conseil, la chambre des enqu�tes, �coute les diff�rents avis. « C'est du choc des opinions contraires que na�t l'�tincelle de la v�rit�. »

{CL 107 } * La chienne favorite de sa m�re.

On ne s'attendait gu�re � voir... Young en cette affaire. Enfin, j'attends ta d�cision supr�me.

Adieu, ma bonne m�re. Je suis un archibavard... je me laisse aller... Mon Dieu, il me semblait que j'�tais avec toi. Ah! ma bonne m�re, je t'embrasse mille fois de toute mon �me!

MAURICE.

{LP 148} LETTRE XVII bm

. . . flor�al.

Nous sommes en march� pour monter au quatri�me; pour quatre francs de plus par mois nous aurons une vue magnifique. Notre rez-de-chauss�e est d'une humidit� insupportable. La chambre du citoyen Deschartres est si malsaine qu'il couche dans la mienne; il se fait un lit en mettant son matelas sur des chaises: tous les soirs il me donne la sc�ne de M. d'Asni�res... Et puis comme nous serons extr�mement �lev�s, � l'aide d'une lunette que {Lub 94} j'emprunterai � M. V�zelay bn, je ferai mes observations sur la montagne Sainte-Genevi�ve. Si je pouvais d�couvrir les Anglaises! Du moins j'en approcherai. — Je voulais te surprendre, ma bonne m�re, {CL 109} avant que tu m'en eusses parl� je travaillais � une vue de Meudon et des environs. Je vais me h�ter d'achever. Tu auras au moins une id�e des vues que je te vante tant... Quant � ma taille, elle va bien. Je suis � pr�sent aussi grand que le citoyen Deschartres. — Ah! que j'ai besoin de te revoir! Il me semble qu'il y a d�j� un an que je ne t'ai vue!

Adieu, ma bonne m�re. Je t'embrasse aussi tendrement que je t'aime.

{LP 149} LETTRE XVIII bo

... flor�al.

Tu crains que la cha�ne ne soit pas assez longue pour faire deux tours. Tu as raison, mais je la passe deux fois autour de mon cou, de mani�re qu'elle se croise et ne me g�ne pas. Cela me fait tant de plaisir d'avoir ton portrait! Je suis si reconnaissant de ce beau pr�sent que je ne trouve pas de mots pour t'en remercier. Je vais tous les soirs travailler � ton dessin d'apr�s nature. Ah! toute une vue d'apr�s nature, c'est tr�s-difficile! Mais j'esp�re r�ussir, je m'y donne tout entier. Ne t'en fais pourtant pas une trop haute id�e d'avance; mais j'y fais de mon mieux, et tu auras du moins une id�e assez correcte de la vue dont nous jouissons tous les soirs lorsque nous nous promenons le long de la rivi�re. En regardant ce dessin aux heures o� je me prom�ne, tu pourras dire que nous voyons les m�mes objets tous les deux � la fois. Il faut avouer que nous mettons � sec tous les moyens de nous rapprocher en imagination. Nous faisons l� un triste apprentissage! Que tu as raison! Le destin n'a pas s�par� des m�res et des fils indiff�rents l'un � l'autre, et {CL 110} qui se seraient m�me quitt�s de plein gr�, comme madame de W... et... 6 {LP 150} Et il prend � t�che d'�loigner ceux qui ne pouvaient vivre l'un sans l'autre! Nos malheurs se sont succ�d� depuis un an sans interruption. Il y a un proverbe bien vrai qui dit que la pluie tombe sur le mouill�... Nous entendons la foudre gronder sur nos t�tes, jamais un ciel {Lub 95} serein. Un horizon toujours obscurci de nuages bien noirs... Ah! mon Dieu! quel temps! Et des mers o� personne n'a jamais pass�! La Providence nous conduit � la diable. Ah! que le calme sera doux apr�s un tel orage! Je ne peux le trouver qu'aupr�s de toi. Esp�rons qu'il viendra...

Le nom que tu veux donner au petit de N�rina! oui, oui, Tristan! il m'a fait penser � ce prince qui naquit dans le malheur, ce fils de saint Louis, qui vint au monde en Palestine pendant que son p�re �tait prisonnier, et qui fut nomm� Tristan.

Ce pauvre petit animal est charmant. Ce soir, pendant que je dessinais, il se pla�ait sous mon portefeuille. Il me g�nait et le citoyen Deschartres l'appelait, mais il ne l'�coutait pas et revenait toujours � moi en me caressant. Quand je vais d'un c�t�, et M. Deschartres de l'autre, c'est moi qu'il suit. Il ne me quitte pas. Il est tout tachet� de brun et de blanc. Il a une t�te carr�e avec de longues oreilles, ce qui lui donne l'air tr�s respectable. Je t'assure que je l'aime beaucoup et qu'il me d�sennuie dans mes promenades.

M. de La Madelaine bp 7 est venu me voir ce matin {LP 1561} par hasard. Il ne savait pas que je fusse ici. M. Deschartres le rencontra pr�s de notre porte, cela m'a fait le plus grand plaisir. Quand on n'a aucune soci�t�, on est ravi de rencontrer des gens que l'on conna�t. Il est si fort dans le besoin qu'il nous a dit qu'il faisait des pi�ces pour le Vaudeville, afin d'avoir de quoi subsister. O� en serait-il, s'il �tait un sot? Comme il vient souvent au bois de Boulogne, il nous a promis de venir nous voir. L'exil fait conna�tre {CL 111} des jouissances qu'on n'appr�ciait pas! Les sages nous disent pourtant qu'il faut savoir se suffire � soi-m�me! Cela me para�trait bien facile si j'�tais avec toi, mais sans toi il me faut une bien grande force d'esprit!

LETTRE XIX bq

Passy, 1er prairial (mai I794).

Le citoyen Deschartres n'a pas �t� hier � Paris; tu as peut-�tre �t� inqui�te de ne pas recevoir de mes nouvelles. Et moi, par la m�me raison, j'ai �t� priv� des tiennes. {Lub 96} Aussi ma journ�e a �t� ennuyeuse, malencontreuse, tout ce qu'il y a de pis. Je crains que tu n'aies �t� inqui�te! Enfin j'en recevrai peut-�tre deux aujourd'hui; car tu auras fait comme moi, qui n'ai pas voulu me priver du plaisir de causer {LP 152} avec toi. J'ai toujours de magnifiques projets d'observations. Si je monte au quatri�me �tage, M. V�zelay m'a promis de me pr�ter son t�lescope avec lequel on voit l'heure aux horloges � sept lieues de distance. Tu con�ois comme je d�couvrirai la montagne! Il n'y aura pas une maison qui m'�chappera, et je verrai les Anglaises; con�ois-tu ma joie?

LETTRE XX br

3 prairial.

Tu auras �t� inqui�te; tu m'auras cru malade. Ce m�me matin o� tu n'as pas re�u de mes nouvelles, nous avons d�jeun� avec Philidor et Lef�vre. Ils allaient arr�ter � {CL 112} Versailles, et ils n'ont pas voulu passer ici sans nous donner le baiser fraternel. Nous leur avons parl� de notre projet de dire aux commissions que tu �tais cultivatrice. Ils l'ont fort approuv� et nous ont dit qu'il fallait en parler au comit� r�volutionnaire assembl�. Philidor s'est charg� de la p�tition, dans la crainte qu'elle ne s'�gar�t si on l'adressait � tout le comit�. Ils ont toujours pour toi les meilleurs sentiments; si cela d�pendait d'eux, tu serais bien vite mise en libert�. Ils font ton apologie � tout le monde. Ce qui les a si bien dispos�s {LP 153} en ta faveur, c'est le bien que tous les gens de la section ont dit de toi. Il n'y a pas un mois qu'ils furent encore aux informations, et c'�tait � qui te b�nirait. Nous leur avons bien expliqu� comment tu n'�tais pas noble. Ils ont beaucoup ri du ricochet qui me confinait ici; de mani�re que, si jamais il y avait un jugement, tu serais mise indubitablement en libert�. Tu dois bien te tranquilliser de ce c�t�-l�.

Adieu, ma bonne m�re. Esp�rons que nos maux auront un terme; je sens les tiens bien plus que les miens. Je t'embrasse comme je t'aime.

{Lub 97} LETTRE XXI bs

Le 7 prairial.

Ta description du r�fectoire m'a donn� une haute id�e de la ch�re qu'on y fait. Les heures surtout ne laissent pas que d'�tre agr�ables! Mon plus grand regret est de ne pouvoir partager tes maux. Je t'assure que si j'avais su �tre exil�, et que tous les moyens d'agir pour toi me seraient �t�s, j'aurais sollicit� ton comit� r�volutionnaire pour que tu fusses transf�r�e � Saint-Lazare ou ailleurs, o� j'aurais pu me faire mettre en prison avec toi. J'aurais �t� le {CL 113} plus heureux homme du monde bt, et cela aurait adouci ta {LP 154} longue d�tention; mais en libert� je croyais pouvoir t'�tre utile, je ne pr�voyais pas qu'on m'en emp�cherait! L'endroit que j'habite me para�t toujours plus triste. Il est vrai que sans toi le paradis serait aussi ennuyeux qu'une maison dite d'arr�t. Comme je suis tr�s mal log�, et surtout tr�s bruyamment, car je suis investi de ma�ons qui mettent les gens qui sortent en danger d'�tre assomm�s, je vais changer d'appartement, c'est de ce nom que je d�core ma chambre... Autrefois, � mon r�veil, mes habits �taient battus, mon d�jeuner pr�t. Mon lit �tait fait bien vite et ma chambre balay�e. Cela me paraissait tout naturel d'�tre servi, je ne m'en apercevais seulement pas... Tout cela est bien chang�, et pourtant ce n'est gu�re l� ce qui m'occupe. Il est m�me fort bon d'apprendre � se servir soi-m�me; mais, en comparant, je me souviens, et en me souvenant, je me vois pr�s de toi, pouvant t'embrasser d�s le matin, tous les matins! Ah! je vois bien maintenant que j'�tais beaucoup trop heureux!

Adieu, ma bonne m�re. Ne te laisse pas abattre par le chagrin, je t'en supplie. Je t'embrasse et me serre longtemps contre ton cœur.

MAURICE.

{LP 155; Lub 98} LETTRE XXII

8 prairial.

Il est donc impossible de jouir d'un moment de tranquillit�! Nos lettres pouvaient un peu nous consoler, et il faut que les moyens de nous �crire soient menac�s sans cesse! Depuis plus de six mois que nous sommes s�par�s, je m�ne ce genre de vie; toujours esp�rant et toujours {CL 114} frustr�, un peu plus tranquille pendant vingt-quatre heures, et, comme pour expier ce moment de tranquillit�, agit� pendant un mois! On dit qu'il faut s'armer de force. C'est un lieu commun en pr�cepte, mais pas tant en ex�cution. Ces maux de reins m'affligent! Tu n'as donc pas assez des maux de l'�me, sans que ceux du corps s'acharnent apr�s toi! J'esp�re que le beau temps va revenir, et que tu pourras prendre un peu d'exercice. Quant � moi, la pluie, le beau temps me sont indiff�rents. Je m'ennuie tout autant quand le barom�tre est au beau fixe que quand il est � la temp�te. Hier je suis rest� toute la journ�e enferm� avec mes livres, qui me sont d'une grande ressource. Mande-moi si tu peux prendre des bains, et si notre correspondance pourra se continuer. Cela m'inqui�te {LP 156} bien! mais ne te laisse pas abattre, prends bien soin de toi, conserve-toi pour moi.

Je t'embrasse comme je t'embrasserai quand nous nous reverrons. Puisse ce moment arriver bient�t!

LETTRE XXIII bv

9 prairial.

Je maudis ce mauvais temps! Il t'emp�che de prendre l'exercice qui te serait si n�cessaire. Pour aujourd'hui il ne m'a laiss� que le temps d'aller � la municipalit�, et comme chacun avait choisi cet intervalle, il s'est trouv� au moins cent personnes ensemble pour signer. Les moins press�s restaient � la porte; et moi, malgr� mon naturel patient, je me suis insinu� et j'ai p�n�tr�. Il y avait force gens autour de la table, qui tous �taient occup�s � adapter {Lub 99} des lunettes sur leur nez et � les �ter. Ce n'�tait pas petite affaire bw.

bxEnfin mon tour est venu. — Mon voisin de la rue de Bondy est en r�quisition. J'en ai re�u la nouvelle. Il doit venir me voir, et cela me fera grand plaisir, car je ne l'ai pas vu depuis le jour o� j'ai quitt� Paris. Ah! je me ressouviendrai de cette triste journ�e aussi longtemps que je vivrai. Je te dis adieu, ensuite successivement � {LP 157} tout ce qui m'est cher aupr�s de toi by. J'�tais an�anti en m'en allant. Les jambes me tremblaient. Chaque personne de ma connaissance que je rencontrais m'�tait un nouveau sujet d'affliction. J'ai �t� vingt fois sur le point, �tant � la barri�re, de retourner pour te voir encore. Je disais: J'en ai encore la possibilit�, et dans quelque temps je regret terai le moment m�me o� je suis. Si j'eusse �t� seul, je t'assure que je serais retourn�... Mais � quoi bon rappeler de si tristes moments? Esp�rons plut�t des jours heureux, et que cela nous donne le courage de supporter nos maux!

Adieu, ma bonne m�re; je t'embrasse mille fois.

MAURICE.

LETTRE XXIV bz
(Sans date.)

Enfin l'aube d'un jour plus heureux commence � luire. Les commissions sont en activit�. Le citoyen Deschartres t'a mand� ce qu'il avait appris. Il m'a fait sauter au plancher en me disant qu'on avait fait sortir en un jour quatre-vingts personnes de la Force. Je ne sais pas encore les noms des personnes qu'on a mises en libert�. Il s'en informera et t'en donnera des nouvelles; c'est important � savoir.

{LP 158} Saint-Lambert dit: Esp�rer c'est jouir. Je ne suis {CL 116} pourtant pas de son avis, et je pourrais plut�t dire comme dans le sonnet ridicule du Misanthrope:

                On d�sesp�re
Alors qu'on esp�re toujours.

Mais non! la pens�e de pouvoir �tre bient�t r�uni � toi est un sentiment bien doux. Seulement il ne se compare point � celui que j'�prouverai quand tu me seras rendue. {Lub 100} Je t'en prie, ne te d�courage pas, ne vois pas en noir. Crois qu'il est une Providence qui punit quelquefois les m�chants et qui r�compense les bons. La justice de ta cause me fait tout esp�rer, et l'esp�rance est maintenant, dit-on, � l'ordre du jour. Pour moi, ma bonne m�re, je me mets s�rieusement � travailler. Je veux sortir de Passy tout autre que je n'y suis entr�. Nous voil� dans des circonstances o� il faut se mettre au-dessus des biens de la fortune. On est heureux de pouvoir dire comme Bias: Omnia mecum ca. . . . . . C'est ce que nous autres gens savants nous traduisons par: Je porte tout avec moi. Il faut � pr�sent sortir des vieux sentiers tout battus d'avance, et se frayer � soi-m�me un chemin nouveau. Je veux devenir quelque chose, faire du grand, �tre digne de mon grand-p�re. Je me sens venir cette ambition dans la solitude. Dans le monde je n'y avais jamais pens�. Boileau avait raison de dire aux gens froids:

{LP 159}

Sentiez-vous, dites-moi, ces violents transports
Qui d'un esprit divin font mouvoir les ressorts?

— Je ne sais pas si je t'ai dit que Couthon �tait ici, chez un m�decin qui lui a promis de lui rendre l'usage de ses membres. Il demeure � c�t� de M. de Serennes.

Bonsoir, ma bonne m�re; je t'embrasse de tout mon cœur, et j'esp�re que bient�t ce ne sera plus par �crit, car je suis bien las de cette mani�re-l�. Le vent l'emporte et je n'ai rien.

{CL 117} LETTRE XXV cb

10 prairial cc.

Tu vois, ma bonne m�re, que tout va assez bien jusqu'� pr�sent. Ta cause maintenant est celle du comit� r�volutionnaire. Ils ont bien senti que s'ils ne d�mentaient pas ton �crou, ils se trouveraient en contradiction avec eux-m�mes, puisque ton �crou te chargeait injustement, et que dans toutes leurs r�clamations ils disaient que tu n'avais fait que c�der aux pri�res du citoyen Amonnin. Ils ont eu une conf�rence avec la commission, et ils lui parleront encore. Il para�t que l'on jugera les d�tenus, et qu'on les mettra en libert� sans qu'ils s'en doutent. Ce {Lub 101} sera {LP 160} un travail particulier. Ils ne seront point pr�sents. Ainsi nous voil� d�barrass�s des solennit�s d'autrefois. On verra particuli�rement les tableaux des sections, et on d�cidera d'apr�s eux. C'est un peu comme le tribunal secret qui juge ou absout l'accus� sans l'entendre. Mais enfin rien n'est plus favorable pour toi que cette marche-l�. Le tableau de ta section �quivaut � un certificat de civisme, de la mani�re dont il est con�u. Ainsi, ma bonne m�re, il nous est permis de voir lilas et couleur de rose. Quelle joie de nous retrouver, de reprendre nos anciennes occupations! Pour bien jouir du bonheur il faut en avoir �t� priv�. Mande-moi, je te prie, si ma lettre d�cachet�e t'est parvenue. Je vais �crire � notre bon et ancien ami de Marolles pour lui t�moigner ma joie de ce qu'il a obtenu ses certificats.

Adieu, ma m�re ch�rie; je t'en prie, partage mes esp�rances! Ah! qu'il me sera doux de substituer, � ceux que je te donne tous les jours sur le papier, de bons et v�ritables baisers!

MAURICE.

{CL 118} LETTRE XXVI cd

Passy, 14 prairial an II (juin 1794).

Je suis extr�mement fatigu�; ce soir, ma bonne m�re, j'ai parcouru de longs espaces. Le temps {LP 161} devient enfin tenable, et j'esp�re que tu en profites pour arpenter le jardin des Anglaises. Je le pr�f�rerais bien, je t'assure, � toutes mes belles promenades dans la campagne. Je me regarderais comme au comble du bonheur d'�tre enferm� avec toi. Je fais quelquefois des ch�teaux en Espagne. Je r�ve une maison d'arr�t o� nous serions avec tous nos amis. Ce serait charmant et je m'inqui�terais peu de ma libert�. J'ai un si grand besoin de te voir! Il y a si longtemps que nous sommes s�par�s! Peut-�tre cela ne sera-t-il pas long maintenant. Mon ami t'a mand� que l'on prenait des informations sur ton compte, et la mani�re satisfaisante dont tous ceux qui te connaissent s'empressaient d'y r�pondre. De qui ne te ferais-tu pas aimer! Tu es comme Za�re:


D�s que l'on te conna�t on te doit adorer.

{Lub 102} Je suis bien tourment� de cette dent qui te fait souffrir, et qui prend de l'humeur quand tu la fais boire chaud ou froid. La mienne est d'un meilleur naturel, et ne me fait plus le moindre mal. Si cela recommen�ait, je la ferais arracher et remplacer, car par ce moyen on a des dents meilleures que les anciennes, et c'est un profit tout clair.

Adieu, ma bonne m�re; ne m'�cris plus apr�s ton d�ner, je sais que cela te fatigue, et je crois te voir rouge, ayant mal � la t�te. Tu vois, je me m�le de te gronder!

{LP 162; CL 119} LETTRE XXVII ce

15 prairial.

Nous comptons assister � la f�te de l'Être supr�me, � distance pourtant, et voici comme: le citoyen V�zelay aura une fen�tre vis-�-vis le champ de Mars. Il y fera transporter son t�lescope et ses jolies petites lunettes de neuf pieds. Nous devons �tre de la partie... Je n'oublierai pas, je t'assure, de lorgner le Panth�on et les environs. Je verrai indubitablement l'heure � Saint-Étienne, qui est � dix pas des Anglaises. Ah ciel! si tu pouvais �tre sur un point �lev�, je te verrais! Et si tu avais une lunette, nous nous verrions comme � nous parler!..... mais je ne serais pas encore content. Je voudrais aussi te parler tout de bon, et puis apr�s je voudrais t'embrasser, et puis ne plus te quitter. Voil� le nec plus ultra de mes r�ves. Vivre avec toi, ne plus te quitter! c'est mon refrain �ternel. Notre ami de Marolles m'a �crit une lettre charmante. Sa terre promise est aussi le Berry.

{LP 163} LETTRE XXVIII cf

23 prairial cg.

L'exil va me faire cultiver le dessin. J'en ai fait un pour mon ami de la montagne, qui en a �t� content. Je vais continuer. J'ai la nature sous les yeux, et c'est le meilleur mod�le. Te lis aussi, presque � livre ouvert, les quatuors de Pleyel; ce qui m'a fait hier un tr�s-grand plaisir, car j'allais dans des choses que je n'avais jamais vues. Tu {Lub 103} vois, {CL 120} ma bonne m�re, que je ne laisse pas aux autres le soin de mon apologie, mais entre nous, ce n'est pas cela.

Je suis encore � d�m�nager; c'est la troisi�me fois en deux mois. Pour toi, h�las! on t'�pargne ce soin-l�.

Couthon a demand� de nos nouvelles � la municipalit�. On lui en a rendu un compte satisfaisant. Il est d'avis que non seulement nous ne sortions pas de la commune, mais que nous n'allions pas m�me au bois de Boulogne. Ainsi le d�cret pourra bien sortir que tout exil� ne pourra s'�loigner du village o� il est arr�t�. Cela me seralt bien �gal, je t'assure! Quand on est en train d'�tre malheureux, un peu moins, un peu plus, ne compte pas.


{LP 164} Il y a ici encore une lacune. Les esp�rances de libert� ne s'�taient pas r�alis�es, et de nouvelles rigueurs, probablement des r�glements pour la police int�rieure des prisons, portaient sur la correspondance des d�tenus.

LETTRE XXIX ch

Passy, 9 messidor ci (juin 1794).

Enfin, ma bonne m�re, je puis t'�crire plus de trois lignes. Je ne m'accommodais gu�re de cette bri�vet�. Trois lignes sont bient�t remplies, et comme je n'ai pas d'autre plaisir que celui de te parler, mon plaisir se trouvait singuli�rement abr�g�.

Voil� le chaud qui recommence. Comment t'en arranges-tu, toi qui le crains, dans cette petite chambre du jardin? Ah! que tu dois en �tre lasse! Il est bien dur d'�tre puni quand on est innocent et que tout le monde le sait! Socrate disait � ses amis qui s'affligeaient de le voir mourir innocent: « Aimeriez-vous mieux que je mourusse {CL 121} coupable! » Et nous, nous pouvons bien dire comme au lendemain de la bataille de Pavie: « Nous avons tout perdu fors l'honneur. »

Si cette chaleur continue, j'irai me rejeter � la {LP 165} rivi�re. C'est l� que je finis mes journ�es. Quelles longues journ�es! Le bois de Boulogne m'exc�de, j'ai par-dessus les yeux de toutes les promenades, et toi, tu ne peux pas te promener!

{Lub 104} LETTRE XXX cj

10 messidor ck (juillet 1794.)

Voil� un bien beau temps, et pourtant je suis triste � l'exc�s. Tout m'ennuie sans toi. Ah! que ces insipides promenades deviendraient charmantes si nous �tions ensemble! Quand pourrai-je donc �tre r�uni � toi? Je ne te quitterai plus d'un jour, plus d'une heure! Ah! je suis obs�d� d'ennuis! Mon seul rem�de est le travail. Je reste chez moi jusqu'� sept heures du soir. Ton dessin avance. Ce sera mon morceau de r�ception. Je trouve cela d'une difficult� incroyable; mais tout ce qu'on fait pour toi se change en plaisir.

Adieu, ma bonne m�re. Porte-toi donc bien, je t'en prie. Je t'embrasse de toute mon �me.

MAURICE.

{LP 166} LETTRE XXXI cl

Passy, 11 messidor an II (juillet 1794).

Mon ami n'a point �t� aujourd'hui � Paris, ma bonne m�re, ce qui fait que je n'ai point re�u de tes nouvelles et que je m'ennuie d'un degr� de plus qu'� l'ordinaire. Je {,CL 122} travaille pourtant beaucoup. Je suis dans les morts jusqu'au cou. Je vis avec ce que les si�cles ont produit de plus grand. Je m'�chauffe particuli�rement � la lecture des grandes actions de ton p�re. Je vais avoir les cartes de ses batailles, je veux les �tudier, me les approprier. Peut-�tre un jour verras-tu les cartes des miennes. Je regrette que les circonstances ne me permettent pas d'aller les �tudier sur les lieux m�mes o� elles se sont donnn�es. Cela vaudrait bien les foins de Nohant! Je suis ambitieux de grandes choses, et je te parle un peu, ma bonne m�re, comme M. de l'Empyr�e. C'est que j'aime le grand, le beau; on se distingue sur le sol de la libert� par ses talents et ses vertus. Notre r�volution


Venge l'humble vertu de la richesse alti�re,
Et l'honn�te homme � pied du faquin en liti�re.

{Lub 105} Autrefois les talents �taient �touff�s par les brigues {LP 167} et les cabales. Maintenant la carri�re la plus brillante est ouverte au seul m�rite. Il n'y a plus de ces titres pompeux enfant�s par l'orgueil. Il en est un plus grand, celui de citoyen. Il faut t�cher de le m�riter dans toute son �tendue, c'est � quoi je vise et veux m'appliquer.

Adieu, ma bonne m�re; je suis bien impatient de recevoir de tes nouvelles. Je t'embrasse mille fois de toute mon �me*.

* On pourrait croire que ces sentiments dans la bouche d'un enfant victime de la R�volution sont une feinte destin�e � l'assurer sur les opinions de sa m�re les agents charg�s de surveiller la correspondance, ou � servir quelque jour de pi�ces justificatives dans un proc�s en r�gle. Mais il n'en est rien. Ces sentiments sont na�fs et sinc�res. Toute la vie de mon p�re en fait foi, et toutes ses lettres ult�rieures en fournissent le t�moignage. Au reste, il n'est pas �tonnant qu'un enfant �lev� dans les id�es philosophiques du dix-huiti�me si�cle conserv�t ces principes pendant et apr�s la r�volution. Ma grand'm�re les conserva bien aussi, comme on le verra.

{CL 123} LETTRE XXXII cm

Le 12 messidor cn.

L'on m'a affirm� hier une nouvelle qui serait bien bonne, c'est que les comit�s r�volutionnaires auront {LP 168} le droit d'accorder aux exil�s des cartes pour venir passer un jour � Paris et faire leurs affaires, mais pas y coucher. Je me rapprocherais de toi, et cette id�e me consolerait un peu. Mais c'est peut-�tre enncore une histoire!

J'ai beaucoup nag� hier, et je suis un peu fatigu�. Au moment o� nous allions nous jeter il l'eau, il s'est �lev� un grand vent et par cons�quent des lames qu'il fallait couper, car sans cela on les a dans le nez, ce qui n'est point agr�able, et l'on se trouve beaucoup plus sous l'eau que dessus. J'ai d�ploy� dans cette circonstance p�rilleuse tout mon savoir-faire, et je m'en suis bien tir�. Ne vas pas croire pourtant que j'aie couru un grand danger; je me vante, et voil� tout. Je m'ennuie toujours bien compl�tement co. Avec toi, tout me para�trait ravissant; mais, dans la position o� nous nous trouvons tous {Lub 105} deux, quel moyen de combattre la tristesse? Je t'embrasse de toute mon �me, � ma bonne m�re!

MAURICE.

LETTRE XXXIII cp

Le 14 messidor (juillet 1794).

Je vais t'expliquer, ma bonne m�re, pourquoi j'ai les bras rompus apr�s avoir nag�. Ce n'est point {LP 169} que mes bras soient moins forts, ni que je nage trop longtemps: {CL 124} mais tu dois te ressouvenir que j'ai fort peu nag� l'ann�e derni�re et j'ai un peu perdu l'habitude. Je m'y remettrai bient�t. Je compte y aller cette apr�s-midi cq, et je t'en donnerai demain des nouvelles. Mon ami le citoyen Deschartres s'y jette toujours aussi, et j'entreprends de lui apprenndre � nager sur le dos: mais il a la t�te bien dure, il ne fait pas ce que je lui dis.

Mon petit chien veut aussi nager, et il est si rond qu'il ne fait que rouler. Je serais tr�s-f�ch� de le contrarier, car je l'aime beaucoup. Pour l'habituer � l'eau et lui donner confiance, je ne l'ai point fait culbuter au commencement, je le portais sur l'eau avec moi et je le remettais � terre sans le mouiller. Mais quoiqu'il n'e�t point touch� l'eau, il se croyait tr�s-mouill� et courait, en se secouant, se s�cher dans mes habits. À pr�sent il vient me rejoindre � la nage et m�me malgr� moi, car je ne le trouve pas encore assez fort pour s'exposer ainsi, et je le soutiens quand il enfonce. Mais je termine, ma bonne m�re, avec mes histoires de chien.

Adieu, je t'embrasse aussi tendrement que je t'aime.

{LP 170} LETTRE XXXIV cr

13 messidor cs.

Il y avait plusieurs jours, ma bonne m�re, que je lisais l'histoire de mon grand-p�re, �crite par l'anncien gouverneur des Invalides, d'Espagnac; mais, n'ayant point de carte, je ne pouvais avoir qu'une id�e bien confuse de ses campagnes. Il se trouve que les cartes qui viennent {Lub 107} de para�tre sont du m�me d'Espagnac et ont �t� faites en m�me temps que les deux volumes que j'ai, mais qu'elles n'avaient point �t� publi�es. Ainsi j'ai un ouvrage bien {CL 125} complet. On conna�t les batailles comme si on y �tait. Le moindre corps, la moindre batterie de canons ct s'y trouve. On est dispens� de cette pluie de balles, de boulets, de ces tourbillons de fum�e qui doivent un peu incommoder l'observateur. C'est pourtant au milieu de ce tintamarre que ton p�re, n'�tant encore que colonel, se pla�ait pour examiner. Il cherchait les postes les plus p�rilleux pour s'instruire tranquillement. Tu con�ois que, dans ma chambre, je ne puis malheureusement faire un cours aussi complet, mais j'en prends ce que je peux.

Voil� un temps bien chaud, bien beau, mais il te fatigue, et je le maudis presque. Ah! si nous �tions {LP 171} ensemble! voil� mon �ternel refrain, je serais au comble du bonheur.

Adieu, ma m�re bien-aim�e, je te serre dans mes bras aussi tendrement que je t'aime.

DUPIN*.

* Jusque-l� il a sign� Maurice. Il prend un nom de famille, il croit se sentir homme fait, parce qu'il �tudie des batailles, et qu'il en r�ve d�j�.

LETTRE XXXV cu

15 messidor cv.

N�rina n'est ni morte ni perdue, rassure-toi, elle est plus vivante, plus folle que jamais. Hier elle est rest�e � Paris, o� mon ami l'emm�ne tous les jours, mais elle est revenue ce matin, et tous les soirs elle court avec son chien. Tu ne te fais pas d'id�e de sa brutalit�. Le pauvre Tristan est heurt�, bouscul�, et il a l'air de trouver cela fort amusant. Mais cette N�rina a si peu de jugement que cela m'inqui�te pour lui. L'autre jour, nous �tions sur les bords de la Seine, le long d'une pente rapide, elle ne vit {CL 126} pas qu'en le faisant rouler elle l'enverrait dans la rivi�re, et si je n'avais fait un saut plus prompt que sa roulade, et plac� mon corps entre la rivi�re et {LP 172} lui, le pauvre petit {Lub 108} animal aurait bu l'onde bourbeuse, car elle est fort sale de ce c�t�-l�.

Voil� une chaleur qui me permettra de bien nager aujourd'hui. J'esp�re qu'au moment o� j'entrerai dans l'eau il ne s'�l�vera pas une temp�te comme celle de l'autre jour, et que je pourrai sillonner tout � mon aise le flot tranquille. — Nous avons le camp dans notre canton. Nous irons le voir un de ces jours; on le dit superbe.

Adieu, ma bonne m�re, porte-toi bien. Je t'embrasse aussi tendrement que je t'aime.

MAURICE DUPIN.

LETTRE XXXVI cw

16 messidor cx.

Mes journ�es solitaires se succ�dent et m'accablent. Mon ami allant tous les jours � Paris, ce qui prend presque toute la journ�e, je suis compl�tement livr� � moi-m�me, et si je ne travaillais avec ardeur, je deviendrais fou. Je ne puis pas te dire cy que je m'ennuie, puisque je m'occupe, et je dis pourtant: Je m'ennuie, ce qui signifie que je suis loin de toi, que je ne te vois pas, et que je ne peux m'y habituer.

{LP 173} Ce n'est pourtant pas le d�sœuvrement qui m'atttriste, car j'ai travaill� hier depuis huit heures du matin jusqu'� sept heures du soir sans interruption cz que le d�jeuner et le d�ner. Je revois � fond les batailles de ton p�re, et je suis revenu � celle de Malplaquet, qui est la premi�re, pour la travailler � la savoir par cœur. Je sais le nombre des {CL 127} batteries, de combien de canons elles �taient compos�es, ce qui d�cida le gain de la bataille, o� �taient la cavalerie, l'infanterie, le camp, le village, la ferme, le bois, la rivi�re, la trou�e, l'abatis, etc. Je me trouve ainsi beaucoup mieux chez moi que dehors, o� la r�flexion me tue. Mon Dieu, si nous �tions ensemble, comme je serais encourag� au travail par ta pr�sence! Quand ce moment viendra-t-il donc?

Adieu, je t'embrasse comme je t'aime.

DUPIN.

{Lub 109} LETTRE XXXVII da

17 Messidor db.

J'ai trouv� ta lettre d'hier bien courte, ma bonne m�re, peut-�tre aura-t-on trouv� la mienne trop longue. Est-ce encore une jouissance dont il faudra nous priver? Plus nous avan�ons, plus le terme de nos maux semble s'�loigner, plus le malheur {LP 174} augmente. Ah! qu'il est dur, quand on est innocent, d'�tre trait� comme des coupables!

Si on pouvait exterminer tous les Autrichiens, les Anglais, les Espagnols, et toutes les autres races qui nous font la guerre, nous aurions la paix et par cons�quent la libert�. On commence d�j� � les mener de la bonne mani�re. Et qu'est-ce que je fais ici? � quoi sert que je sois exil�? La guerre que j'�tudie dans cette petite chambre n'avance pas nos affaires. Esp�rons pourtant!

Je t'embrasse de toutes mes forces.

DUPIN.

LETTRE XXXVIII dc

18 messidor dd.

N�rina suivra aujourd'hui de mon ami et tu l'auras demain. Mais je te conseille de bien prendre garde � elle, car elle {CL 128} ne tient pas en place. Il y avait deux jours que mon ami l'avait laiss�e � Paris pour l'habituer; mais elle s'est ennuy�e de ne pas nous voir, et nous l'avons encore vue arriver toute seule hier matin � huit heures. La premi�re chose qu'elle a faite, c'est d'aller chercher son chien. Apr�s qu'elle l'eut bien caress�, elle vint nous dire bonjour.

Je vis toujours dans mon puits, et je ne me presse {LP 175} pas d'en sortir, � cause de l'extr�me chaleur. Mais quand le temps sera plus ti�de, je prendrai mon essor vers le quatri�me; je m'y plairai peut-�tre davantage, puisque j'aurai devant les yeux la montagne que tu habites. Ah! mon Dieu, ma bonne m�re, quelle s�paration! qu'elle est triste et longue! Quand je pense qu'il y a trois mois {Lub 110} que je ne t'ai vue! Jamais pareille chose ne m'�tait arriv�e, jamais je n'aurais cru qu'elle p�t m'arriver! — Je suis le moins � moi qu'il m'est possible. J'ai travaill� encore hier depuis huit heures du matin jusqu'� sept heures du soir; je ne vais que tard � la promenade, et quand je me suis cass� la t�te toute la journ�e sur mes livres, j'�prouve au moins quelque jouissance � prendre l'air. J'assi�ge en ce moment Belgrade. Dans la derni�re sortie, nous f�mes grande d�confiture de spahis et de janissaires df, car les Turcs avaient voulu nous bloquer dans nos lignes de circonvallation et conntrevallation. Je crois que la place va se rendre.

Adieu, ma bonne m�re. Je fais de l'h�ro�sme en imagination. Je t'embrasse mille fois de tout mon cœur.

MAURICE DUPIN.

{LP 176} LETTRE XXXIX dg

Le 20.

J'ai trouv� ta lettre d'hier bien courte, ma bonne m�re, j'esp�re que celle d'aujourd'hui le sera moins. Tes lettres {CL 129} influent sur toute ma journ�e; celle d'hier a �t� d'une tristesse am�re. Il me manque une moiti� de mon courage quand, � l'heure accoutum�e, je ne vois pas arriver la quantit� d'�criture sur laquelle je comptais. Si cela me manquait encore aujourd'hui, ma journ�e serait toute noire. Nous sommes dans un gouffre de douleurs. Ordinairement les chagrins sont envoy�s en punition de quelque faute. Mais quelle est donc la n�tre? Cependant je regarde un coupable en libert� comme bien plus � plaindre qu'un innocent dans les cha�nes. Une bonne conscience est un bien inestimable, je le poss�de, et je t'assure qu'il ne me quittera pas. Il me donnera de la force dans le malheur dh... mais jamais pour notre s�paration. La morale, les pr�ceptes n'y font rien; je ne puis me faire de raison l�-dessus. . . . . . . Ta lettre m'arrive, trois lignes seulement! Que se passe-t-il donc? Je suis accabl� de chagrin, et je n'y vois que des augmentations tous les jours! Ah! j'oublierais tout si j'�tais pr�s de toi, si je pouvais du moins te voir! mais rien!

{LP 177; Lub 111} LETTRE XL di

22 messidor dj.

Je crains en t'�crivant que mes lettres ne t'arrivent plus. Il fait bien chaud! mais j'y suis insensible. J'ai tant de chagrin que je suis comme h�b�t�.

Adieu, ma bonne m�re, je t'embrasse aussi tendrement que je t'aime.


La lettre suivante est de ma grand'm�re, c'est malheureusement la seule de cette correspondance qui soit rest�e. Elle doit �tre du 22 messidor.

{CL 130} POUR MON FILS. dk

On me dit � l'instant qu'on a arr�t� tout Villiers hier, que cette nuit on ira � Neuilly. H�las! Passy est bien pr�s de l�. Ne te laisse pas arr�ter; veille et ne te laisse pas prendre. On dit qu'il ne reste plus personne � Villiers! qu'on a emmen� jusqu'aux enfants de neuf ans. Mon fils, sauve ta libert� si tu veux conserver ma vie. C'est un pr�texte pour arr�ter tous les nobles, voil� la battue que l'on projetait. {LP 178} Quitte Passy, que ton ami te conserve! Je suis dans une inqui�tude affreuse. Mon Dieu, si tu allais �tre arr�t� cette nuit! Je frissonne, je tremble! que mon existence est p�nible!

Adieu, adieu, ta pauvre m�re te presse contre son cœur.


La r�ponse est de Deschartres, qui apparemment crut ne pas devoir quitter mon p�re ce jour-l� pour aller aux Anglaises.

Ce 23 messidor.

Je sais, mon amie, que vous vous abandonnez � votre d�sespoir. Quelles que soient les causes de votre inqui�tude, nous les partageons de la mani�re la plus sensible. {Lub 112} Nous g�missons comme vous sur le malheur qui nous accable. Mais faut-il bannir tout espoir de votre �me? Ce malheur serait pour nous le plus affreux. T�chez, mon amie, de relever votre courage. La cause de cet abattement vient, je ne puis en douter, de la crainte que vous �prouvez pour notre jeune ami. Je dois vous rassurer enti�rement. On a fait dans notre commune les informations que les circonstances semblent devoir exiger sur le compte des exil�s. On n'a eu aucun reproche � leur faire. Nous sommes donc parfaitement tranquilles, soyez-en {LP 179} en s�re. Je le tiens de notre ami {CL 131} de la montagne*, qui a pris des renseignements certains. D'ailleurs, je ne vous cacherai point que je d�sirerais obtenir une r�quisition pour notre jeune ami. Si je ne r�ussis point, nos d�marches ne seront point inutiles, puisqu'elles nous auront procur� les attestations de notre comit�. Si je r�ussis et que mon ami soit employ� sur-le-champ, je me chargerai de sa besogne, et il continuera son travail ordinaire. Nous ne nous quittterons point. Je crois inutile de vous r�it�rer mes engagements, rien n'est pour moi plus sacr�. Je serais d�dommag� amplement si je pouvais croire qu'ils sont pour vous un faible objet dl de consolation.

* J'ai d�j� dit que cet ami de la montagne dm �tait M. H�kel, homme de lettres, distingu� surtout par les qualit�s de son cœur et la sinc�rit� de ses opinions. Mais ce nom de guerre, ami de la montagne, dont se servait mon p�re pour le d�signer, apparemment parce que M. H�kel �tait compromis alors, ne signifie pas du tout qu'il f�t de l'opinion des montagnards. Loin de l�, M. H�kel �tait un partisan fid�le du parti royaliste. J'ai plusieurs lettres de lui qui sont d'un p�dant homme de bien, beau diseur et court d'id�es. Il avait cependant beaucoup d'esprit et de feu dans la conversation. et mon p�re aima toujours non-seulement son caract�re, mais sa soci�t�, bien que rien ne fut plus oppos� que leur mani�re de voir et leur mani�re d'�tre.

Recueillez quelques larmes qui s'�chappent de mes yeux malgr� moi. C'est un tribut que le malheur arrache � l'amiti�; mais ne d�sesp�rons point, {LP 180} mon amie, de les voir s�cher un jour, quelque �loign� qu'il nous paraisse.


Il y a encore une lacune qui se termine au 9 thermidor, ce jour d'�ternelle m�moire. Le billet qui suit est d'une {Lub 113} �criture fine et serr�e, sur un petit carr� de papier. Sans doute Deschartres fit un effort d�sesp�r� pour le faire passer aux Anglaises.

LETTRE XLI dn

Passy, 9 thermldor.

J'ai nag� hier, Il faisait le plus beau temps du monde. Aujourd'hui il pleut, le ciel est tout noir ici, comme mon �me. Loin de toi, je ne puis vivre en paix. Il n'est plus de bonheur pour moi!

MAURICE.

LETTRE XLII do

10 thermidor an II (juillet 1794).

Tu as s�rement lu le d�cret d'hier qui ordonne de mettre en libert� tous ceux qui ne sont pas compris {LP 181 } dans la loi sur les gens suspects. Nous nous sommes procur� cette loi. Tu n'y es nullement comprise; surtout ton comit� r�volutionnaire protestant � juste titre de ton patriotisme. Ainsi, si jamais nous devons esp�rer, c'est dans ce moment-ci. Oui, ma bonne m�re, nous serons r�unis, je n'en peux plus douter. Une grande quantit� de personnes sont d�j� sorties. Robert le peintre est mis en libert�. On dit que c'est David qui l'avait fait incarc�rer par jalousie. Ce serait affreux! C'est � la Convention que nous devons notre salut. Sans elle, dit-on, tous les patriotes eussent �t� victimes de la tyrannie de Robespierre*.

*Voici l'effet des calomnies de la r�action. De tous les terroristes, Robespierre fut le plus humain, le plus ennemi par nature et par conviction des apparentes n�cessit�s de la terreur et du fatal syst�me de la peine de mort. Cela est assez prouv� aujourd'hui, et on ne peut pas r�cuser � cet �gard le t�moignage de {CL 133} M. de Lamartine. La r�action thermidorienne est une des plus l�ches dp que l'histoire ait produites dq. Cela est encore suffisamment prouv�. À quelques exceptions pr�s, les thermidoriens n'ob�irent dr � aucune conviction, {Lub 114} � aucun cri de la conscience, en immolant Robespierre. La plupart d'entre eux le trouvaient trop faible et trop mis�ricordieux la veille de sa mort, et le lendemain ils lui attribu�rent leurs propres forfaits pour se rendre populaires, Soyons justes enfin, et ne craignons plus de le dire: Robespierre est le plus grand homme de la R�volution et un des plus grands hommes de l'histoire. Ce n'est pas � dire qu'il n'ait eu des fautes, des erreurs, et par cons�quent des {LP 182} crimes � se reprocher; entra�n� sur une pente rapide, il fut au niveau des malheureuses th�ories du moment, bien que sup�rieur � tous les hommes qui les appliquaient. Mais dans quelle carri�re politique orageuse l'histoire nous montrera-t-elle un seul homme pur de quelque p�ch� mortel contre l'humanit�? Sera-ce Richelieu, C�sar, Mahomet, Henri IV, le mar�chal de Saxe, Pierre le Grand, Charlemagne, Fr�d�ric le Grand, etc., etc.? ds Quel grand ministre, quel grand prince, quel grand capitaine, quel grand l�gislateur n'a commis des actes qui font fr�mir la nature et qui r�voltent la conscience? Pourquoi donc Robespierre serait-il le bouc �missaire de tous les forfaits qu'engendre ou subit notre malheureuse race dans ses heures de lutte supr�me? dt

{LP 183; CL 133; Lub 114} Il sera aujourd'hui question � notre section des patriotes d�tenus. Ah! il n'y a que cela qui m'int�resse! Mon ami y sera, et tu ne dois pas douter qu'aussit�t qu'on prononcera ton nom, c'est � qui se l�vera pour te r�clamer. Nous n'avons plus rien � craindre. Mon Dieu! que tu m'as donc fait plaisir en m'envoyant une natte de tes cheveux! J'esp�re que bient�t je te verrai tout enti�re.

Adieu, ma bonne m�re, il n'y a plus que courage � avoir. Je t'embrasse aussi tendrement que je t'aime.

D.                

P. S. du — Je re�ois ta lettre. Sois bien tranquille. Nous sommes comme des diables dans un b�nitier, et nous allons faire tout ce qu'il faudra.

{CL 134} LETTRE XLIII dv
(Sans date).

Prends un peu patience. Le d�cret d'hier n'a rien qui doive t'inqui�ter. On rendra justice � l'innocence opprim�e. Les pi�ces de ton affaire sont au comit� de s�ret� g�n�rale. Mon ami y retourne ce matin avec la commission. Tallien a dit que si l'on voulait r�tablir un gouvernement {Lub 115} tel que celui de Robesspierre, il p�rirait plut�t. Attends un moment, et tu seras mise en libert�.

Adieu, ma bonne m�re, je ne puis t'en dire davantage, Antoine part. Je t'embrasse.

LETTRE XLIV dw

16 thermidor dx.

Tranquillise-toi, ma bonne m�re, ta libert� est assur�e. Le comit� r�volutionnaire a r�clam� auupr�s du comit� de s�ret� g�n�rale quatre ou cinq patriotes, et tu es du nombre. Les pi�ces de ton affaire sont entre les mains de la commission, et {LP 184 } c'est cette commission qui examine les affaires et met en libert�. Si bien que d'un moment � l'autre tu peux �tre d�livr�e sans que nous le sachions. Cela peut arriver demain, aujourd'hui, ce soir! Ah! j'�touffe de joie � cette id�e: Tous les maux pass�s ne sont rien!


Je supprime plusieurs billets remplis du d�tail des pas et d�marches de Deschartres et des amis de la section. C'est une alternative d'espoir, de crainte, d'impatience et d'abattement.

{CL 135} LETTRE XLV dy

Passy, 22 thermidor dz (ao�t 1794).

Tu as bien raison, ma bonne m�re, tous les innnocents sont mis en libert� et ton tour va venir. C'est le nec plus ultra si tu passes la d�cade sur cette maudite montagne o� tu languis depuis huit mois. Nous allons �tre r�unis, il n'en faut plus douter. Je suis d�j� � t'attendre � la barri�re. Quel moment que celui o� je te reverral! Je suis comme un fou, je ne peux pas rester un instant en place. Mon Dieu, que nous allons �tre heureux!

{LP 185; Lub 116} LETTRE XLVI ea

Le 24.

On s'occupe de ton affaire. Encore un peu de patience, j'en ai bien besoin. Mon ami est toujours � Paris. Mon Dieu, si pour le jour de ta f�te tu pouvais �tre libre! Je crois r�ver en pensant � mon bonheur!

LETTRE XLVII eb

28 thermidor ec.

Ce jour qui �tait autrefois si heureux pour moi, quand je pouvais te serrer dans mes bras en te souhaitant ta f�te, est aujourd'hui bien triste loin de toi! Mais je ne veux plus regarder en arri�re. Je t'envoie mon dessin, ma bonne {CL 136} m�re. Je n'y ai pas donn� un coup de crayon sans penser � toi. Ah! quand vas-tu venir comparer la copie avec la nature? Que j'aurai de plaisir � te conduire � mes promenades accoutum�es sur les bords de la Seine! Que tout cela va redevenir beau pour moi! Allons, {LP 186} ta f�te s'annonce sous d'heureux auspices, nous n'aurons bient�t plus de larmes � r�pandre. Je t'embrasse de toute mon �me.

MAURICE.


Variantes

  1. Les titres de parties n'apparaissent qu'avec {CL}.
  2. CHAPITRE QUATRIÈME {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ IV {CL}
  3. L'argument de ce chapitre est d'une autre main (note de Georges Lubin)
  4. adolescence. — [Utilit� des moindres documents pour l'histoire intime ray�] En dehors {Ms}
  5. [et vers la m�me �poque ray� bleu] � la m�me �poque {Ms}
  6. J'ai parl� de [Joseph ray�] d'Antoine Delaborde {Ms}
  7. conserve [la trace ray� bleu] le souvenir [add. bleu] {Ms}
  8. fille [de la paroisse ray�] du district {Ms}
  9. le citoyen (je ne sais plus qui) {Ms} ♦ le citoyen Collot-d'Herbois {Presse} et sq.
  10. moins [jolies ray� bleu] gracieuses [add. bleu] {Ms}
  11. la petite perle {Ms} ♦ la perle {Presse} et sq.
  12. bande d'h�ro�nes de Versailles et de h�ros de la Bastille {Ms} ♦ bande de patriotes des deux sexes {Presse} et sq.
  13. annoncer � [l'h�tel de ville ray�] la commune {Ms}
  14. trouv�rent la [r�publique ray� (??)] r�volution {Ms}
  15. et que [Sophie ray�] Victoire �tait comparse [au th��tre ray�] dans un petit th��tre {Ms}
  16. Ma tante Lucie [qui vit encore, Dieu merci, et qui est l'�tre le plus aimable, me plus sage, le plus spirituel et le plus excellent que je connaisse, nie ray� bleu] a ni� depuis [add. bleu] {Ms} ♦ Ma tante a ni� depuis {Presse} et sq. (??)
  17. et, comme elle [est ray� bleu] �tait la [add. bleu] {Ms} Georges Lubin disait que les corrections � l'encre bleue sur le manuscrit �taient post�rieures � 1851. Cette variante le confirme: Lucie Delaborde est d�c�d�e le 8 mai 1851.
  18. elle [le nie ray� bleu] l'a ni� [add. bleu] {Ms}
  19. « Apr�s jamais passage fortement ratur�, en partie ind�chiffrable, que nous [Georges Lubin] essayons de restituer en raison de son importance: » [..... du courage et une fiert� d'�me qui me firent une profonde impression. Je raconterai cela quand j'y serai, mais je dis ici que la mani�re dont elle me raconta cette p�riode de sa vie, loin de me faire rougir pour elle, d�truisit, en un instant et pour jamais, des pr�ventions qui m'avaient rendue ingrate envers elle, ..... ..... coupable ... Je n'ai connu ma m�re que dans les derni�res ann�es de sa vie. Jusque l� ..... pas �t� �clair�e par elle ..... faisais trop souffrir de mon caract�re trop injuste, et elle s'�tait trop peu r�v�l�e � moi pour que je pusse l'appr�cier. Mais nous nous sommes connues enfin, et nous nous sommes aim�es. Je remercie Dieu de ne me l'avoir pas enlev�e avant qu'elle put m'ouvrir son cœur. / Mais je vais toujours anticipant malgr� moi sur l'ordre des tems. Qu'on me le pardonne, et sur ce que j'aurai les ..... de dire de ma m�re et de moi, qu'on ne juge ni d' ..... ray� bleu]: je raconterai [...] avant ma conclusion ♦ je raconterai cela [...] avant ma conclusion {Presse} et sq.
  20. que les [plus grandes et belles ray�] dames les plus qualifi�es {Ms}
  21. Canning [qui a �t� ma sup�rieure depuis ray� bleu], s'�tait [tendrement ray� bleu] intimement {Ms}
  22. pas de tiret dans {Lub}
  23. Note rajout�e � l'encre bleue {Ms}
  24. beau comme une [jeune fille ray�] fleur, chaste et doux comme une [fleur ray�] jeune fille {Ms}
  25. r�v�lera � ses yeux {Ms} ♦ r�v�lera alors � ses yeux {Presse} et sq.
  26. de l'homme [qui s�pare l'enfance et la pubert� ray�] {Ms}
  27. il est [presque ray�] impossible qu'il [se soit d�fendu d'un sentiment de ray�] ait conserv� {Ms}
  28. ou les ge�liers {Ms} ♦ ou contre les ge�liers {Presse} et sq.
  29. oubliant [les langues �trang�res ray�] le latin {Ms}�tudiant le latin {Presse} ♦ oubliant le latin {Lecou} et sq.
  30. �ducation [publique ray� bleu] universitaire add. bleu {Ms}
  31. Interruption de {Presse}
  32. Note �crite � l'encre bleue
  33. dat�es de [93 corr.] 94 {Ms}
  34. adolescent [Tant pis pour ceux qui ne trouveraient pas que c'est l� un beau [spectacle ray�] sujet d'observation ray� bleu] {Ms}
  35. r�publique {Lub}
  36. su bien bon gr� {Ms}, {Lecou} ♦ su bon gr� {LP}
  37. Note rajout�e tardivement
  38. Heckel {CL} ♦ H�kel {Lub} qui rectifie et que nous suivons; nous marquerons d�sormais la variante le signe � la suite du mot
  39. et de Mlle [de ray� bleu] Verri�res [Marie Rinteau ray� bleu] {Ms} ♦ et de mademoiselle Verri�res {Lecou} (??)
  40. tables de caf� {Ms} ♦ tables du caf� {Lecou}
  41. Feuillois {AutDupin} ♦ Feuillet (toutes les �ditions jusqu'� {CL} ♦ Feuilloys {Lub} qui rectifie et que nous suivons; on a d�j� vu plus haut le nom orthographi� Filoy
  42. qui sont pass�s {Ms}, {Lecou} ♦ qui se sont pass�s {CL} ♦ qui sont pass�s {Lub} qui reprend la premi�re le�on, qui est dans {AutDupin}, que nous suivons �galement
  43. il [nous a cach� ray� bleu] te cacherait {Ms}
  44. maudite [� laquelle tu es retenue ray� bleu] {Ms}
  45. pas de points de conduite dans {Lub}.
  46. Lettre 7 [sic] {Ms} ♦ Lettre VIII {Lecou}
  47. Lettre 8me [sic] {Ms} ♦ Lettre IX {Lecou}
  48. cet apr�s-midi {Ms} ♦ cette apr�s-midi {Lecou}
  49. Lettre 9 [sic] {Ms} ♦ Lettre X {Lecou}
  50. Lettre 10 [sic] {Ms} ♦ Lettre X {Lecou}
  51. de V�zelais {Ms} ♦ de V�zelay {Lecou}
  52. chez Mme de S�rennes {Ms} ♦ chez M. de S�rennes {Lecou} ♦ M. de Serennes {LP} (??)
  53. Cramoltz {AutDupin} et toutes les �ditions jusqu'� {CL} ♦ Krumpholz {Lub} qui rectifie et que nous suivons
  54. Bonsoir encore, ma m�re {Ms}, {Lecou} ♦ Bonsoir encore, ma bonne m�re {LP}
  55. Lettre 11 [sic] {Ms} ♦ Lettre XII {Lecou}
  56. Le 2 prairial {Lub} suivant ainsi {AutDupin}: le 2 prairial.
  57. citoyen [V�zel ray�] V... p�re {Ms} ♦ citoyen V�zelay p�re {Lecou} ♦ citoyen V... p�re {CL} ♦ citoyen Vezelay p�re {Lub} que nous suivons
  58. Lettre 12 [sic] {Ms} ♦ Lettre XIII {Lecou}
  59. le 3 prairial l'an second {AutDupin} ♦ 3 prairial toutes les �ditions jusqu'� {CL} ♦ Le 3 prairial {Lub}
  60. Lettres 13, 14, 15 [sic] et Fragments {Ms} ♦ Lettres XIV, XV, XVI {Lecou}
  61. [Flor�al, Germinal an 2 ray�] {Ms} ♦ Fragments sans date {Lecou}
  62. Gavini�s {AutDupin} ♦ Gavign� {Ms} et quelles �ditions??? ♦ Gavinies {CL} ♦ Gavini�s {Lub} que nous suivons; cette variante sera dor�navant marqu�e par le signe derri�re le nom
  63. rue, les ex�cutants tournaient le dos � la fen�tre {Ms} ♦ rue {Lecou}
  64. {LP} poursuit la ligne par une s�rie de points.
  65. Lettre [16 ray�] 17 {Ms} (George Sand a d� s'apercevoir ici de son erreur de num�rotation, mais elle y retombe d�s la lettre qui suit) (note de Georges Lubin) ♦ Lettre XVII {Lecou}
  66. V�zel {CL} ♦ V�zelay {Lub} que nous suivons; nous marquerons cette variante par le signe derri�re le nom
  67. Lettre 17 [sic] {Ms} ♦ Lettre XVIII {Lecou}
  68. M. de la Magdeleine {AutDupin} ♦ M. de la Magdelaine {Ms} et toutes les �ditions jusqu'� {CL} ♦ M. de La Madelaine {Lub} qui rectifie et que nous suivons
  69. Lettre 18 [sic] {Ms} ♦ Lettre XIX {Lecou}
  70. Lettre 19 [sic] {Ms} ♦ Lettre XX {Lecou}
  71. Lettre 20 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXI {Lecou}
  72. le plus heureux du monde {Ms}, {Lecou}, {LP} ♦ le plus heureux homme du monde {CL}
  73. Lettre 22 {Ms} ♦ Lettre XXII {Lecou}
  74. Lettre 22 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXIII {Lecou}
  75. Depuis qui tous, cette phrase un peu moqueuse est ratur�e sur {AutDupin} (note de Georges Lubin)
  76. pas d'alinea dans {Lub}
  77. cher apr�s toi {Ms}, {Lecou} ♦ cher aupr�s de toi {LP} (Maurice a simplement �crit: tout ce qui m'est cher) (note de Georges Lubin)
  78. Lettre 23 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXIV {Lecou}
  79. Omnia mecum [porto ray�] {Ms} ( porto �tait bien dans la lettre) (note de Georges Lubin)
  80. Lettre 24 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXV {Lecou}
  81. le 10 prairial {AutDupin} ♦ Le 10 prairial {Lub}
  82. Lettre 25 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXVI {Lecou}
  83. Lettre 26 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXVII {Lecou}
  84. Lettre 27 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXVIII {Lecou}
  85. Le 23 prairial {AutDupin}, {Lub}
  86. Lettre 28 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXIX {Lecou}
  87. le 9 messidor {AutDupin}, {Lub}
  88. Lettre 29 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXX {Lecou}
  89. Le 10 messidor {AutDupin}, {Lub}
  90. Lettre 30 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXI {Lecou}
  91. Lettre 31 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXII {Lecou}
  92. Le 12 messidor {AutDupin}, {Lub}
  93. V5 {Lub} modernise l'ortographe: compl�tement au lieu de compl�tement. Nous ne signalerons plus cette variante.
  94. Lettre 32 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXIII {Lecou}
  95. cet apr�s-midi {Ms} ♦ cette apr�s-midi {Lecou}
  96. Lettre 33 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXIV {Lecou}
  97. Le 13 messidor {AutDupin}, {Lub}
  98. batterie de l'œuvre {Ms} ♦ batterie de canons {Lecou} (Il y a bien canons dans la lettre de Maurice, mais fort mal �crit) (note de Georges Lubin)
  99. Lettre 34 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXV {Lecou}
  100. Le 15 messidor {AutDupin}, {Lub}
  101. Lettre 35 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXVI {Lecou}
  102. Le 16 messidor {AutDupin}, {Lub}
  103. Je ne puis pas dire {Ms} ♦ Je ne puis pas te dire {Lecou}
  104. sans autre interruption {Ms}, {LP} ♦ sans interruption {LP}
  105. Lettre 36 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXVII {Lecou}
  106. Le 17 Messidor {AutDupin} ♦ Le 17 {Lub}
  107. Lettre 37 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXVIII {Lecou}
  108. le 18 messidor {AutDupin} ♦ Le 18 messidor {Lub}
  109. suivra [demain ray�] aujourd'hui {Ms}
  110. d�confiture de saphis et de janissaires {Ms} ♦ d�confiture de spahis et de janissaires (Maurice avait �crit saphis)
  111. Lettre 38 [sic] {Ms} ♦ Lettre XXXIX {Lecou}
  112. dans mon malheur {Ms} {Lecou}, {LP} ♦ dans le malheur {CL}
  113. Lettre 39 [sic] {Ms} ♦ Lettre XL {Lecou}
  114. Le 22 messidor {AutDupin}, {Lub}
  115. POUR MON FILS, {Lub}
  116. un faible objet {Ms}, {Lecou}, {LP} ♦ un objet {CL} ♦ un faible objet {Lub} qui restitue faible pr�sent dans la lettre; nous faisons de m�me
  117. ami de la montagne {CL} ♦ ami de la montagne {Lub}
  118. Lettre 39 [sic] {Ms} ♦ Lettre XLI {Lecou}
  119. Lettre 40 [sic] {Ms} ♦ Lettre XLII {Lecou}
  120. Les thermidoriens sont [les plus l�ches ray�] en g�n�ral la plus l�che engeance {Ms} ♦ La r�action thermidorienne est une des plus l�ches {Lecou}
  121. ait produit {Ms} ♦ ait produites {Lecou}
  122. ils n'ob�irent {Ms} ♦ les thermidoriens n'ob�irent {Lecou}
  123. Pierre le Grand, Fr�d�ric le Grand, etc., etc.? {Ms}, {Lecou}, {Lecou} ♦ Pierre le Grand, Charlemagne, Fr�d�ric le Grand, etc., etc.? {CL}
  124. notre malheureuse race? {Ms} ♦ notre malheureuse race dans ses heures de lutte supr�me? {Lecou}
  125. P.-S. {Lub}
  126. Lettre 41 [sic] {Ms} ♦ Lettre XLIII {Lecou}
  127. Lettre 42 [sic] {Ms} ♦ Lettre XLIV {Lecou}
  128. Le 16 thermidor {AutDupin}, {Lub}
  129. Lettre 43 [sic] {Ms} ♦ Lettre XLV {Lecou}
  130. le 22 thermidor {AutDupin}, {Lub}
  131. Lettre 44 [sic] {Ms} ♦ Lettre XLVI {Lecou}
  132. Lettre 45 [sic] {Ms} ♦ Lettre XLVII {Lecou}
  133. le 28 thermidor {AutDupin} ♦ Le 28 thermidor {Lub}

Notes

  1. {Presse} (La suite � demain.), ce sera seulement le 20. Ce retard – la publication ne reprendra r�guli�rement que le 27 – est d� � Plon: « J'ai vu aujourd'hui [20 octobre] Mr de Girardin et il doit vous voir [...] pour vous dire le r�sultat de notre conversation. Il est donc n�cessaire [...] de presser un peu la composition des �preuves dont la lenteur am�ne aujourd'hui, comme je le pr�voyais, un temps d'arr�t pr�judiciable � l'ouvrage. » (lettre S 767 � Henri Plon, t.25 p.891 de l'�dition de Georges Lubin de la correspondance). « Il serait donc bien important qu'il peut para�tre quatre feuilletons la semaine prochaine [...] Il est convenu que j'arrangerai l'�preuve destin�e � la Presse et que je vous l'enverrai toute pr�te � �tre remise � Mr de Girardin avec les coupures n�cessaires. » (ibid. p.891). La lettre du 24 octobre � Émile de Girardin confirme les coupures: « Il est bien entendu que dans le manuscrit expurg� de beaucoup de lettres et de longueurs que j'ai remis � Mr. Plon pour vous, les pages, les passages, les lignes soulign�es ou ray�es en marge � l'encre rouge doivent �tre supprim�s par vous. — Les raccords sont �crits � l'encre rouge. » (Lettre 6423, t.XII pp.598-599 de l'�dition de Georges Lubin). Et la publication reprit dans La Presse aussit�t (le 27).
  2. J.-M. H�kel (que George Sand �crit � tort Heckel), ancien professeur d'histoire, tr�s hostile aux id�es r�volutionnaires. Maurice parle souvent de lui sans le nommer autrement que l'ami de la montagne, car il habitait sur la montagne Sainte-Genevi�ve. (Note de Georges Lubin.)
  3. H�kel (ou Heckel comme l'�crit George Sand) ainsi qu'on l'a vu plus haut.
  4. Jean-Baptiste Krumpholz (°1745 - †1790), musicien originaire de Boh�me, grand harpiste et compositeur. {AutDupin} et {Ms} portent Cramoltz.
  5. Pierre Gavini�s (�crit correctementpar Maurice Dupin mais que George Sand transforme en Gavign�), virtuose du violon, professeur au conservatoire, compositeur. (d'apr�s une note de Georges Lubin.)
  6. madame de W... et...: Georges Lubin pensait qu'il s'agissait de madame de V�zelay et son fils.
  7. Louis-Philippon de La Madelaine (°1734 - †1818) avait succ�d� � Claude Dupin comme intendant des finances du comte d'Artois. (D'apr�s une note de Georges Lubin.)