GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{Presse 5/10/54 1; LP T.1 1; CL [T.1 1]; Lub [T.1 3]} PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE D'UNE FAMILLE, DE FONTENOY
À MARENGO
a.

{Presse 9/10/54 1; LP 72; CL [53]; Lub [48]} III b

Une c anecdote sur J.-J. Rousseau. — Maurice Dupin, mon p�re. — Deschartres, mon pr�cepteur d. — La t�te du cur�. — Le Lib�ralisme d'avant la r�volution. — La visite domiciliaire. — Incarc�ration. — D�vouement de Deschartres et de mon p�re. — N�rina.



Puisque e j'ai parl� de Jean-Jacques Rousseau et de mon grand-p�re, je placerai ici une anecdote gracieuse que je trouve dans les papiers de ma grand'm�re Aurore Dupin de Francueil.

« Je ne l'ai vu qu'une seule fois (elle parle de Jean-Jacques), et je n'ai garde de l'oublier jamais. Il vivoit d�j� sauvage et retir�, atteint de cette misanthropie qui fut f trop cruellement raill�e par ses amis paresseux ou frivoles.

« Depuis mon mariage, je ne cessois de tourmenter M. de Francueil pour qu'il me le f�t voir; et ce n'�toit pas bien ais�. Il y alla plusieurs fois sans pouvoir �tre re�u. Enfin, un jour il le trouva jetant du pain sur sa fen�tre � des moineaux. Sa tristesse �toit si grande qu'il lui dit en les voyant s'envoler: “ Les voil� repus. Savez-vous ce qu'ils vont faire? Ils s'en vont au plus haut des toits pour {LP 73} dire du mal de moi, et que mon pain ne vaut rien. ”

« Avant que je visse Rousseau, je venois de lire tout d'une haleine La Nouvelle H�lo�se, et, aux derni�res pages, je me sentis si boulevers�e que je pleurois � sanglots. M. de Francueil m'en plaisantoit doucement. J'en voulois plaisanter moi-m�me, mais, ce jour-l�, depuis le matin jusqu'au soir, je ne fis que pleurer. Je ne pouvois penser {CL 54} � la mort de Julie sans recommencer mes pleurs. J'en �tois malade, j'en �tois laide.

{Lub 49} « Pendant cela, M. de Francueil, avec l'esprit et la gr�ce qu'il savoit mettre � tout, courut chercher Jean-Jacques. Je ne sais comment il s'y prit, mais il l'enleva, il l'amena, sans m'avoir pr�venue de son dessein.

« Jean-Jacques avoit c�d� de fort mauvaise gr�ce, sans s'enqu�rir de moi, ni de mon �ge, ne s'attendant qu'� satisfaire la curiosit� d'une femme, et ne s'y pr�tant pas volontiers, � ce que je puis croire.

« Moi, avertie de rien, je ne me pressois pas de finir ma toilette, j'�tois avec madame d'Esparb�s de Lussan, mon amie, la plus aimable femme du monde et la plus jolie, bien qu'elle f�t un peu louche et un peu contrefaite. Elle se moquoit de moi parce qu'il m'avoit pris fantaisie depuis quelque temps d'�tudier l'ost�ologie, et elle faisoit, {LP 74} en riant, des cris affreux, parce que, voulant me passer des rubans qui �toient dans un tiroir, elle y avoit trouv� accroch�e une grande et vilaine main g de squelette.

« Deux ou trois fois M. de Francueil �toit venu voir si j'�tois pr�te. Il avoit un air, � ce que disoit le marquis (c'est ainsi que j'appelois madame de Lussan, qui m'avoit donn� pour petit nom son cher baron). Moi, je ne voyois point d'air � mon mari et je ne finissois pas de m'accommoder, ne me doutant point qu'il �toit l�, l'ours sublime, dans mon salon. Il y �toit entr� d'un air demi-niais, demi-bourru, et s'�toit assis dans un coin, sans marquer d'autre impatience que celle de d�ner, afin de s'en aller bien vite.

« Enfin, ma toilette finie h, et mes yeux toujours rouges et gonfl�s, je vais au salon; j'aper�ois un petit homme i assez mal v�tu et comme refrogn�, qui se levoit lourdement, qui m�chonnoit des mots confus. Je le regarde et je devine; je crie, je veux parler, je fonds en larmes. {CL 55} Jean-Jacques �tourdi de cet accueil veut me remercier et fond en larmes. Francueil veut nous remettre l'esprit par une plaisanterie et fond en larmes. Nous ne p�mes nous rien dire. Rousseau me serra la main et ne m'adressa pas une parole.

« On essaya de d�ner pour couper court � tous ces sanglots. Mais je ne pus rien manger. M. de {LP 75} Francueil ne put avoir d'esprit, et Rousseau s'esquiva en sortant de table, sans avoir dit un mot, m�content peut-�tre d'avoir re�u un nouveau d�menti � sa pr�tention d'�tre le plus pers�cut�, le plus ha� et le plus calomni� des hommes. »

{Lub 50} J'esp�re que mon lecteur ne me saura pas mauvais gr� de cette anecdote et du ton dont elle est rapport�e j. Pour une personne �lev�e � Saint-Cyr, o� l'on n'apprenait pas l'orthographe, ce n'est pas mal tourn�. Il est vrai qu'� Saint-Cyr, � la place de grammaire, on apprenait Racine par cœur et on y jouait ses chefs-d'œuvre. J'ai bien regret que ma grand'm�re ne m'ait pas laiss� plus de souvenirs personnels �crits par elle-m�me. Mais cela se borne � quelques feuillets. Elle passait sa vie � �crire des lettres qui valaient presque, il faut le dire, celles de madame de S�vign�, et � copier, pour la nourriture de son esprit, une foule de passages dans des livres de pr�dilection.

Je reprends son histoire.

Neuf mois apr�s son mariage avec M. Dupin, jour pour jour, elle accoucha d'un fils qui fut son unique enfant, et qui re�ut le nom de Maurice* en m�moire du mar�chal de Saxe. Elle voulut le nourrir elle-m�me, bien entendu; c'�tait encore un {LP 76} peu excentrique, mais elle �tait de celles qui avaient lu l'Émile avec religion k et qui voulaient donner le bon exemple. En outre, elle avait le sentiment maternel extr�mement {CL 56} d�velopp�, et ce fut, chez elle, une passion qui lui tint lieu de toutes les autres l.

* Maurice-Fran�ois-Élisabeth, n� le 13 janvier 1778. Il eut pour parrain le marquis de Polignac.

Mais la nature se refusa � son z�le. Elle n'eut pas de lait, et pendant quelques jours, qu'en d�pit des plus atroces souffrances elle s'obstina � faire teter son enfant, elle ne put le nourrir que de son sang. Il fallut y renoncer; ce fut pour elle une violente douleur et comme un sinistre pronostic.

Receveur g�n�ral du duch� d'Albret, M. Dupin passait, avec sa femme et son fils, une partie de l'ann�e � Ch�teauroux. Ils habitaient le vieux ch�teau qui sert aujourd'hui de local aux bureaux de la pr�fecture, et qui domine de sa masse pittoresque le cours de l'Indre et les vastes prairies qu'elle arrose. M. Dupin, qui avait cess� de s'appeler Francueil depuis la mort de son p�re, �tablit � Ch�teauroux des manufactures de drap, et r�pandit par son activit� et ses largesses beaucoup d'argent dans le pays. Il �tait prodigue, sensuel, et menait un train de prince. Il avait � ses gages m une troupe de musiciens, {Lub 51} de cuisiniers, de parasites, de laquais, de chevaux et de chiens, donnant tout � pleines mains, au plaisir et � la bienfaisance, voulant �tre heureux, et que tout le monde le f�t avec lui. C'�tait une autre mani�re que celle des financiers et des {LP 77} industriels d'aujourd'hui. Ceux-l� ne gaspillent n pas la fortune dans les plaisirs, dans l'amour des arts et dans les imprudentes largesses d'un sentiment aristocratique surann� o. Ils suivent les id�es prudentes de leur temps, comme mon grand-p�re suivait la routine facile du sien p. Mais qu'on ne vante pas ce temps-ci plus que l'autre; les hommes q ne savent pas encore ce qu'ils font et ce qu'ils devraient faire.

Mon grand-p�re mourut dix ans apr�s son mariage, laissant un grand d�sordre dans ses comptes avec l'�tat et dans ses affaires personnelles. Ma grand'm�re montra la bonne t�te qu'elle avait en s'entourant de sages conseils et en s'occupant de toutes choses avec activit�. Elle liquida {CL 57} promptement, et, toutes ses dettes pay�es, tant � l'�tat qu'aux particuliers, elle se trouva ruin�e, c'est-�-dire � la t�te de 75 000 r livres de rente*.

* Voici un renseignement que me fournit mon cousin Ren� de Villeneuve: « L'h�tel Lambert �tait habit� par notre famille et par l'amie intime de madame Dupin de Chenonceaux, la belle et charmante princesse de Rohan-Chabot. C'�tait un vrai palais. En une nuit, M. de Chenonceaux, fils de M. et madame Dupin, cet ingrat �l�ve de Jean-Jacques, mari� depuis peu de temps � mademoiselle de Rochechouart, perdit au jeu 700 mille livres s. Le lendemain il fallut payer cette dette d'honneur. L'h�tel Lambert fut engag�, d'autres biens vendus. De ces splendeurs, de ces peintures c�l�bres, il ne me reste qu'un tr�s-beau tableau {LP 78} de Lesueur, repr�sentant trois muses dont une joue de la basse. Il l'avait peint deux fois, l'autre exemplaire est au Mus�e. M. de Chenonceaux, notre grand-oncle, et notre grand-p�re Francueil ont mang� sept � huit millions d'alors. Mon p�re, mari� � la sœur de ton p�re, �tait en m�me temps propre neveu de madame Dupin de Chenonceaux et son unique h�ritier. Voil� comment depuis quarante-neuf ans je suis propri�taire de Chenonceaux. » Je dirai t ailleurs avec quel soin religieux et quelle entente de l'art M. et madame de Villeneuve ont conserv� et remeubl� ce ch�teau, un des chefs-d'œuvre de la Renaissance.

{LP 78} La R�volution u devait restreindre bient�t ses ressources v � de moindres proportions, et elle ne prit pas tout de suite son parti aussi ais�ment de ce second coup de fortune; mais au premier elle s'ex�cuta bravement, et, bien que je ne puisse comprendre qu'on ne soit pas immens�ment {Lub 52} riche avec 75 000 livres de rente, comme tout est relatif, elle accepta cette pauvret� avec beaucoup de vaillance et de philosophie. En cela, elle ob�issait � un principe d'honneur et de dignit� qui �tait bien selon ses id�es: au lieu que les confiscations r�volutionnaires ne purent jamais prendre dans son esprit une autre forme que celle du vol et du pillage.

Apr�s avoir quitt� Ch�teauroux, elle habita w, rue du Roi-de-Sicile, un petit appartement, dans lequel, si j'en juge par la quantit� et la dimension des meubles qui garnissent aujourd'hui ma maison, il y avait encore de quoi se {CL 58} retourner. Elle prit, pour {LP 79} faire l'�ducation de son fils, un jeune homme que j'ai connu vieux, et qui a �t� aussi mon pr�cepteur. Ce personnage, � la fois s�rieux et comique, a tenu trop de place dans notre vie de famille et dans mes souvenirs pour que je n'en fasse pas une mention particuli�re.

Il s'appelait Fran�ois Deschartres, et comme il avait port� le petit collet x en qualit� de professeur au coll�ge du cardinal Lemoine, il entra chez ma grand'm�re avec le costume et le titre d'abb�. Mais, � la R�volution qui vint bient�t chicaner sur toute esp�ce de titres, l'abb� Deschartres devint prudemment le citoyen Deschartres. Sous l'Empire y, il fut M. Deschartres, maire du village de Nohant; sous la Restauration, il e�t volontiers repris son titre d'abb�, car il n'avait pas vari� dans son amour pour les formes y du pass�. Mais il n'avait jamais �t� dans les ordres, et d'ailleurs il ne put se d�livrer d'un sobriquet que j'avais attach� � son omnicomp�tence et � son air important; on ne l'appelait plus d�s lors que le grand homme.

Il avait �t� joli gar�on, il l'�tait encore lorsque ma grand'm�re se l'attacha: propret, bien ras�, l'œil vif et le mollet saillant. Enfin, il avait une tr�s-bonne tournure de gouverneur. Mais je suis s�re que jamais personne, m�me dans son meilleur temps, n'avait pu le regarder sans rire, tant le mot cuistre �tait clairement �crit dans toutes les lignes {LP 80} de son visage et dans tous les mouvements de sa personne.

Pour �tre complet il e�t d� �tre ignare, gourmand et l�che. Mais loin de l�, il �tait fort savant, tr�s-sobre et follement courageux. Il avait toutes les grandes qualit�s de l'�me, jointes � un caract�re insupportable et � un {Lub 53} contentement de lui-m�me qui allait jusqu'au d�lire. Il avait aa les id�es les plus absolues ab, les mani�res les plus rudes, le langage {CL 59} le {Presse 9/10/54 2} plus outrecuidant. Mais quel d�vouement, quel z�le, quelle �me g�n�reuse et sensible! Pauvre grand homme! Comme je t'ai pardonn� tes pers�cutions! Pardonne-moi de m�me, dans l'autre vie, tous les mauvais tours que je t'ai jou�s, toutes les d�testables espi�gleries par lesquelles je me suis veng�e de ton �touffant despotisme; tu m'as appris fort peu de chose, mais il en est une que je te dois et qui m'a bien servi: c'est de r�ussir, malgr� les bouillonnements de mon ind�pendance naturelle, � supporter longtemps les caract�res les moins supportables et les id�es les plus extravagantes.

Ma grand'm�re, en lui confiant l'�ducation de son fils, ne pressentait ac point qu'elle faisait emplette du tyran, du sauveur et de l'ami de toute sa vie.

À ses heures de libert�, Deschartres continuait � suivre des cours de physique, de chimie, de m�decine et de chirurgie. Il s'attacha beaucoup � M. Desault, et devint, sous le commandement de cet {LP 81} homme remarquable, un praticien fort habile pour les op�rations chirurgicales. Plus tard, lorsqu'il fut le fermier de ma grand'm�re et le maire du village, sa science le rendit fort utile au pays, d'autant plus qu'il l'exer�ait pour l'amour de Dieu, sans r�tribution aucune. Il �tait de si grand cœur qu'il n'�tait point de nuit noire et orageuse, point de chaud, de froid ni d'heure indue qui l'emp�chassent de courir, souvent fort loin, par des chemins perdus, pour porter du secours dans les chaumi�res. Son d�vouement et son d�sint�ressement �taient vraiment admirables. Mais comme il fallait qu'il f�t ridicule autant que sublime en toutes choses, il poussait l'int�grit� de ses fonctions jusqu'� battre ses malades quand ils revenaient gu�ris lui apporter de l'argent. Il n'entendait pas plus raison sur le chapitre des pr�sents, et je l'ai vu dix fois faire d�gringoler l'escalier � de pauvres diables, en les assommant � coups de canards, de dindons et de li�vres {CL 60} apport�s par eux en hommage � leur sauveur. Ces braves gens humili�s et maltrait�s s'en allaient le cœur gros, disant: « Est-il m�chant ce brave cher homme! » quelques-uns ajoutaient en col�re: « En voil� un que je tuerais, s'il ne m'avait pas sauv� la vie! » et Deschartres de vocif�rer, du haut de l'escalier, d'une voix de stentor: « Comment, canaille, {Lub 54} malappris, butor, mis�rable! Je t'ai rendu service et tu veux me payer! {LP 82} Tu ne veux pas �tre reconnaissant! Tu veux �tre quitte envers moi! Si tu ne te sauves bien vite, je vais te rouer de coups et te mettre pour quinze jours au lit et tu seras bien oblig� alors de m'envoyer chercher. »

Malgr� ses bienfaits, le pauvre grand homme �tait aussi ha� qu'estim�, et ses vivacit�s lui attir�rent parfois de mauvaises rencontres dont il ne se vanta pas. Le paysan berrichon est endurant jusqu'� un certain moment o� il fait bon d'y prendre garde.

Mais je vais toujours anticipant sur l'ordre des temps dans ma narration. Qu'on me le pardonne! Je voulais placer, � propos des �tudes anatomiques de l'abb� Deschartres, une anecdote qui n'est point couleur de rose. Ce sera encore un anachronisme de quelques ann�es; mais les souvenirs me pressent un peu confus�ment, me quittent de m�me, et j'ai peur d'oublier tout � fait ce que je remettrais au lendemain.

Sous la Terreur, bien qu'assidu � veiller sur mon p�re et sur les int�r�ts de ma grand'm�re, il para�t que sa passion le poussait encore de temps en temps vers les salles d'h�pitaux et les amphith��tres de dissection. Il y avait bien assez de drames sanglants de par le monde en ce temps-l�, mais l'amour de la science l'emp�chait de faire beaucoup de r�flexions philosophiques sur les t�tes que la guillotine envoyait aux carabins. Un jour cependant il eut une {LP 83} petite �motion qui le d�rangea fort de ses observations. Quelques t�tes humaines venaient d'�tre jet�es sur une table de {CL 61} laboratoire, avec ce mot d'un �l�ve qui en prenait assez bien son parti: Fra�chement coup�es! On pr�parait une affreuse chaudi�re o� ces t�tes devaient bouillir pour �tre d�pouill�es et diss�qu�es ensuite. Deschartres prenait les t�tes une � une et allait les y plonger: « c'est la t�te d'un cur�, dit l'�l�ve en lui passant la derni�re; elle est tonsur�e. » Deschartres la regarde et reconna�t celle d'un de ses amis qu'il n'avait pas vu depuis quinze jours ad et qu'il ne savait pas dans les prisons. C'est lui qui m'a racont� cette horrible aventure. « Je ne dis pas un mot; je regardais cette pauvre t�te en cheveux blancs. Elle �tait calme et belle encore, elle avait l'air de sourire. J'attendis que l'�l�ve e�t le dos tourn� pour lui donner un baiser sur le front. Puis je la remis dans la chaudi�re comme les autres et je la diss�quai pour moi. {Lub 55} Je l'ai gard�e quelque temps, mais il vint un moment o� cette relique devenait trop dangereuse. Je l'enterrai dans un coin du jardin. Cette rencontre me fit tant de mal que je fus bien longtemps sans pouvoir m'occuper de la science. »

Passons vite � des historiettes plus gaies.

Mon p�re prenait fort mal ses le�ons. Deschartres n'aurait os� le maltraiter, et quoique partisan outr� {LP 84} de l'ancienne m�thode, du martinet et de la f�rule, l'amour extr�me de ma grand'm�re pour son fils lui interdisait les moyens efficaces. Il essayait, � force de z�le et de t�nacit�, de remplacer ce puissant levier de l'intelligence, selon lui, le fouet! Il prenait avec lui les le�ons d'allemand, de musique, de tout ce qu'il ne pouvait lui enseigner � lui seul, et il se faisait son r�p�titeur en l'absence des ma�tres. Il se consacra m�me, par d�vouement, � faire des armes et � lui faire �tudier les passes entre les le�ons du professeur. Mon p�re, qui �tait paresseux et d'une sant� languissante � cette �poque, se r�veillait un peu de sa torpeur � la salle d'armes; mais quand Deschartres s'en m�lait, ce pauvre {CL 62} Deschartres qui avait le don de rendre ennuyeuses des choses plus int�ressantes, l'enfant b�illait et s'endormait debout.

« Monsieur l'abb�, lui dit-il un jour na�vement et sans malice, est-ce que quand je me battrai pour tout de bon, �a m'amusera davantage?

— Je ne le crois pas, mon ami, r�pondit Deschartres; mais il se trompait. Mon p�re eut de bonne heure l'amour de la guerre et m�me la passion des batailles. Jamais il ne se sentait si � l'aise, si calme et si doucement remu� int�rieurement que dans une charge de cavalerie.

Mais ce futur brave fut d'abord ae un enfant d�bile et terriblement g�t�. On l'�leva, � la lettre, dans du coton, et comme il fit une maladie de {LP 85} croissance, on lui permit d'en venir � cet �tat d'indolence, qu'il sonnait son domestique af pour lui faire ramasser son crayon ou sa plume. Il en rappela bien, Dieu merci, et l'�lan de la France, lorsqu'elle courut aux fronti�res, le saisit un des premiers et fit de sa subite transformation un miracle entre mille.

Quand la R�volution commen�a � gronder, ma grand'm�re, comme les aristocrates �clair�s de son temps, la vit approcher sans terreur. Elle �tait trop nourrie de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau pour ne pas ha�r {Lub 56} les abus de la cour. Elle �tait m�me des plus ardentes contre la coterie de la reine, et j'ai trouv� des cartons pleins de couplets, de madrigaux et de satires sanglantes contre Marie-Antoinette et ses favoris ag. Les gens comme il faut copiaient et colportaient ces libelles. Les plus honn�tes sont �crits de la main de ma grand'm�re ah, peut-�tre quelques-uns sont-ils de sa fa�on; car c'�tait du meilleur go�t de composer quelque �pigramme sur les scandales triomphants, et c'�tait l'opposition philosophique du moment qui prenait cette forme toute fran�aise. Il y en avait vraiment de bien hardies et de bien �tranges. On mettait dans la bouche du peuple et on rimait dans l'argot des halles des chansons inou�es sur {CL 63} la naissance du dauphin, sur les dilapidations et les galanteries de l'Allemande on mena�ait la m�re et l'enfant du fouet et du pilori. {LP 86} Et qu'on ne pense pas que ces chansons sortissent du peuple. Elles descendaient du salon � la rue. J'en ai br�l� de tellement obsc�nes, que je n'aurais os� les lire jusqu'au bout, et celles-l� �crites de la main d'abb�s que j'avais connus dans mon enfance, et sortant du cerveau de marquis de bonne race, ne m'ont laiss� aucun doute sur la haine profonde et l'indignation d�lirante de l'aristocratie � cette �poque. Je crois que le peuple e�t pu ne pas s'en m�ler, et que s'il ne s'en f�t pas m�l�, en effet, la famille de Louis XVI aurait pu avoir le m�me sort et ne pas prendre rang parmi les martyrs.

Au reste, je regrette fort l'acc�s de pruderie qui me fit, � vingt ans, br�ler la plupart de ces manuscrits. Venant d'une personne aussi chaste, aussi sainte que ma grand'm�re, ils me br�laient les yeux; j'aurais d� pourtant me dire que c'�taient des documents historiques qui pouvaient avoir une valeur s�rieuse. Plusieurs �taient peut-�tre uniques, ou du moins fort rares. Ceux qui me restent sont connus et ont �t� cit�s dans plusieurs ouvrages.

Je crois que ma grand'm�re eut une grande admiration pour Necker et ensuite pour Mirabeau. Mais je perds la trace de ses id�es politiques � l'�poque o� la r�volution devint pour elle un fait accablant et un d�sastre personnel.

Entre tous ceux de sa classe, elle �tait peut-�tre la personne qui s'attend�t le moins � �tre frapp�e {LP 87} dans cette grande catastrophe; et, en fait, en quoi sa conscience pouvait-elle l'avertir qu'elle avait m�rit� collectivement de subir un ch�timent social? Elle avait adopt� la {Lub 57} croyance de l'�galit� autant qu'il �tait possible dans sa situation. Elle �tait � la hauteur de toutes les id�es avanc�es ai de son temps. Elle acceptait le contrat social avec Rousseau; elle ha�ssait la superstition avec Voltaire; elle aimait m�me les utopies g�n�reuses; {CL 64} le mot de r�publique ne la f�chait point. Par nature, elle �tait aimante, secourable, affable, et voyait volontiers son �gal dans tout homme obscur et malheureux. Que la r�volution e�t pu se faire sans violence et sans �garement, elle l'e�t suivie jusqu'au bout sans regret et sans peur; car c'�tait une tr�s-grande �me, et, toute sa vie, elle avait aim� et cherch� la v�rit�.

Mais il faut �tre plus que sinc�re, plus que juste, pour accepter les convulsions in�vitables attach�es � un bouleversement immense. Il faut �tre enthousiaste, aventureux, h�ro�que, fanatique m�me du r�gne de Dieu. Il faut que le z�le de sa maison nous d�vore pour subir l'atteinte et le spectacle des effrayants d�tails de la crise. Chacun de nous est capable de consentir � une amputation pour sauver sa vie; bien peu peuvent sourire dans la torture.

À mes yeux, la R�volution est une des phases actives de la vie aj �vang�lique. Vie tumultueuse, sanglante, terrible � certaines heures, pleine de {LP 88} convulsions, de d�lires et de sanglots. C'est la lutte violente ak du principe de l'�galit� pr�ch� par J�sus, et passant, tant�t comme un flambeau radieux, tant�t comme une torche ardente, de main en main, jusqu'� nos jours, contre le vieux monde pa�en qui n'est pas d�truit, qui ne le sera pas de longtemps, malgr� la mission du Christ et tant d'autres missions divines, malgr� tant de b�chers, d'�chafauds et de martyres.

Mais l'histoire du genre humain se complique de tant d'�v�nements impr�vus, bizarres, myst�rieux; les voies de la v�rit� s'embranchent � tant de chemins �tranges et abrupts, les t�n�bres se r�pandent si fr�quentes et si �paisses sur ce p�lerinage �ternel, l'orage y bouleverse si obstin�ment les jalons de la route, depuis l'inscription laiss�e sur le sable jusqu'aux pyramides; tant de sinistres dispersent et fourvoient les p�les voyageurs, qu'il n'est pas �tonnant que nous n'ayons pas encore eu d'histoire vraie bien accr�dit�e, {CL 65} et que nous flottions dans un labyrinthe d'erreurs al. Les �v�nements d'hier sont aussi obscurs pour nous que les �pop�es des temps fabuleux, {Lub 58} et c'est d'aujourd'hui seulement que des �tudes s�rieuses font p�n�trer quelque lumi�re dans ce chaos. 1

{Presse 13/10/54 1} Alors, quoi d'�tonnant dans le vertige qui s'empara de tous les esprits � l'heure de cette inextricable m�l�e o� la France se pr�cipita en 93? Lorsque tout {LP 89} alla par repr�sailles, que chacun fut, de fait ou d'intention, tour � tour victime et bourreau, et qu'entre l'oppression subie et l'oppression exerc�e il n'y eut pas le temps de la r�flexion am ou la libert� du choix, comment la passion e�t-elle pu s'abstraire dans l'action, et l'impartialit� dicter des arr�ts tranquilles an? Des �mes passionn�es furent jug�es par des �mes passionn�es, et le genre humain s'�cria comme au temps des vieux hussites: « c'est aujourd'hui le temps du deuil, du z�le et de la fureur. »

Quelle foi e�t-il donc fallu pour se r�soudre joyeusement � �tre, soit � tort, soit � raison, le martyr du principe? L'�tre � tort, par suite d'une de ces fatales m�prises que la tourmente rend in�vitables, �tait encore le plus difficile � accepter; car la foi manquait de lumi�re suffisante et l'atmosph�re sociale �tait trop troubl�e pour que le soleil ao s'y montr�t � la conscience individuelle. Toutes les classes de la soci�t� �taient pourtant �clair�es de ce soleil r�volutionnaire jusqu'au jour des �tats g�n�raux. Marie-Antoinette, la premi�re t�te de la contre-r�volution de 92, �tait r�volutionnaire dans son int�rieur, et pour son profit personnel, en 88, � Trianon, comme Isabelle l'est aujourd'hui sur le tr�ne ap d'Espagne, comme le serait Victoria d'Angleterre, si elle �tait forc�e de choisir entre l'absolutisme et sa libert� individuelle. La libert�! Tous l'appelaient, tous la voulaient avec passion, avec {LP 90} fureur. Les rois la demandaient pour eux-m�mes aussi bien que le peuple.

{CL 66} Mais vinrent ceux qui la demandaient pour tous, et qui, par suite du choc de tant de passions oppos�es, ne purent la donner � personne.

Ils le tent�rent. Que Dieu les absolve des moyens qu'ils furent r�duits � employer! Ce n'est pas � nous, pour qui aq ils ont travaill�, � les juger du haut de notre inaction inf�conde*.

* 1847. ar

Dans cette �pop�e sanglante, o� chaque parti revendique pour lui-m�me les honneurs et les m�rites du {Lub 59} martyre, il faut bien reconna�tre qu'il y eut, en effet, des martyrs dans les deux camps. Les uns souffrirent pour la cause du pass�, les autres pour celle de l'avenir; d'autres encore, plac�s � la limite de ces deux principes, souffrirent sans comprendre ce qu'on ch�tiait en eux. Que la r�action du pass� se f�t faite, ils eussent �t� pers�cut�s par les hommes du pass�, comme ils le furent par les hommes de l'avenir.

C'est dans cette position �trange que se trouva la noble et sinc�re femme dont je raconte ici l'histoire. Elle n'avait point song� � �migrer, elle continuait � �lever son fils et � s'absorber dans cette t�che sacr�e.

Elle acceptait m�me la r�duction consid�rable {LP 91} que la crise publique avait apport�e dans ses ressources. Des d�bris de ce qu'elle appelait les d�bris de sa fortune premi�re, elle avait achet� environ 300 000 livres la terre de Nohant, peu �loign�e de Ch�teauroux; ses relations et ses habitudes de vie la rattachaient au Berry as.

Elle aspirait � se retirer dans cette province paisible, o� les passions du moment s'�taient encore peu fait sentir at, lorsqu'un �v�nement impr�vu vint la frapper.

Elle habitait alors la maison d'un sieur Amonnin 2, payeur de rentes, dont l'appartement, comme presque tous ceux {CL 67} occup�s � cette �poque par les gens ais�s, contenait plusieurs cachettes. M. Amonnin lui proposa au d'enfouir dans un des panneaux de la boiserie une assez grande quantit� d'argenterie et de bijoux appartenant tant � lui qu'� elle av. En outre, un M. de Villiers y cacha des titres de noblesse.

Mais ces cachettes aw, habilement pratiqu�es dans l'�paisseur des murs, ne pouvaient r�sister � des investigations faites souvent par les ouvriers qui les avaient �tablies et qui en �taient les premiers d�lateurs. Le 5 frimaire an II (26 novembre 93), en vertu d'un d�cret qui prohibait l'enfouissement de ces richesses retir�es de la circulation*, une descente {LP 92} fut faite dans la maison du sieur {Lub 60} Amonnin. Un expert menuisier sonda les lambris ax et par suite tout fut d�couvert: ma grand'm�re fut arr�t�e ay et incarc�r�e dans le couvent des Anglaises, rue des Foss�s-Saint-Victor, qui avait �t� converti en maison d'arr�t**. Les scell�s furent appos�s chez elle, et les objets confisqu�s confi�s, ainsi que {CL 68} l'appartement, � la garde du citoyen Leblanc, caporal. On permit au jeune Maurice (mon p�re) d'habiter son appartement, qui �tait, comme on dit, sous une autre clef, et que Deschartres occupait aussi. az

* Voici les termes de ce d�cret, qui avait pour but de ramener la confiance par la terreur:

« Art. 1er. ba Tout m�tal d'or et d'argent, monnay� ou non {LP 92} monnay�, les diamants bb, bijoux, galons d'or et d'argent, et tous autres meubles ou effets pr�cieux qu'on aura d�couvert ou qu'on d�couvrira enfouis dans la terre ou cach�s dans les caves, dans {Lub 60} l'int�rieur des murs, des combles, parquets ou pav�s, �tres ou tuyaux de chemin�es et autres lieux secrets, sont saisis et confisqu�s au profit de la R�publique bc.

« ART. 2. — Tout d�nonciateur qui procurera la d�couverte de pareils objets recevra le vingti�me de leur valeur en assignats...

« ART. 6. — L'or et l'argent, vaisselle, bijoux et autres effets quelconques seront envoy�s sur-le-champ avec les inventaires au comit� des inspecteurs de la ville, qui fera passer sans d�lai les esp�ces monnay�es � la tr�sorerie nationale, et l'argenterie � la Monnaie.

« ART. 7. — À l'�gard des bijoux, meubles et autres effets, ils seront vendus � l'ench�re, � la diligence du m�me comit�, qui en fera passer le produit � la tr�sorerie, et en rendra compte � la Convention nationale. » (23 brumaire an II.)

** Elle avait pass� dans ce m�me couvent une grande partie de sa retraite volontaire, avant d'�pouser son second mari.

{LP 93} M. Dupin, alors �g� bd de quinze ans � peine, fut frapp� de cette s�paration comme d'un coup de massue. Il ne s'�tait attendu � rien de semblable, lui qu'on avait aussi nourri be de Voltaire et de J.-J. Rousseau. On lui cacha la gravit� des circonstances, et le brave Deschartres renferma ses inqui�tudes: mais ce dernier sentit que madame Dupin �tait perdue, s'il ne venait � bout d'une entreprise qu'il con�ut sans h�siter et qu'il ex�cuta avec autant de bonheur que de courage.

Il savait bien que les objets les plus compromettants parmi tous ceux enfouis dans les boiseries de la maison bf avaient �chapp� aux premi�res recherches. Ces objets, c'�taient des papiers, des titres et des lettres constatant que ma grand'm�re avait contribu� � un pr�t volontaire secr�tement effectu� en faveur du comte d'Artois, alors �migr�, depuis roi de France, Charles X bg. Quels motifs ou quelles influences la port�rent � cette action, je {Lub 61} l'ignore, peut-�tre un commencement de r�action contre les id�es r�volutionnaires qu'elle avait suivies �nergiquement jusqu'� la prise de la Bastille. Peut-�tre s'�tait-elle laiss� entra�ner par des conseils exalt�s, ou par un secret sentiment d'orgueil du sang. Car enfin, malgr� la barre de la b�tardise bh, elle �tait la cousine de Louis XVI et de ses fr�res, et elle crut devoir l'aum�ne � ces princes qui l'avaient pourtant laiss�e dans la mis�re apr�s la mort de la Dauphine. {LP 94} Dans sa pens�e, je crois que ce ne fut point autre chose, et cette somme de 75,000 livres qui, dans sa situation, avait �t� pour elle un sacrifice s�rieux, ne repr�sentait point pour elle, comme pour tant d'autres, un fonds plac� sur les faveurs et les r�compenses de l'avenir. D�s cette �poque, au contraire, elle {CL 69} regardait la cause des princes comme perdue, elle n'avait de sympathie, d'estime, ni pour le caract�re fourbe de Monsieur (Louis XVIII), ni pour la vie honteuse et d�bauch�e du futur Charles X. Elle me parla de cette triste famille au moment de la chute de Napol�on, et je me rappelle parfaitement ce qu'elle m'en dit: mais n'anticipons pas sur les �v�nements. Je dirai seulement que jamais la pens�e ne lui vint de profiter de la Restauration pour r�clamer son argent aux Bourbons et pour se faire indemniser d'un service qui avait failli la conduire � la guillotine.

Soit que ces papiers fussent cach�s dans une cavit� particuli�re qu'on n'avait pas sond�e, soit que m�l�s � ceux de M. de Villiers, ils eussent �chapp� � un premier examen des commissaires, Deschartres �tait certain qu'il n'en avait point �t� fait mention dans le proc�s-verbal, et il s'agissait de les soustraire au nouvel examen qui devait avoir lieu � la lev�e des scell�s.

C'�tait risquer sa libert� et sa vie. Deschartres n'h�sita pas.

{LP 95} Mais, pour bi bien faire comprendre la gravit� de cette r�solution dans de pareilles circonstances, il est bon de citer ici le proc�s-verbal de la d�couverte des objets suspects. C'est un d�tail qui a sa couleur et dont je transcrirai fid�lement le style et l'orthographe.

« Comit�s r�volutionnaires r�unis des sections de Bon Conseil et Bondy.

« ce jourd'hui cinq frimaire, l'an deux de la r�publique une et indivisible et imp�rissable, nous Jean-Fran�ois Posset et Fran�ois Mary, {Presse 13/10/54 2} commissaires du {Lub 62} comit� r�volutionnaire de la section de Bon Conseil, nous sommes transport�s au comit� r�volutionnaire de la section de Bondy, � l'effet de requ�rir les membres du dit comit� de se transporter avec nous au domicil du citoyen Amonnin payeur de rentes, demeurant rue Nicolas n° 12, et de ce sont venus avec nous {CL 70} le citoyen Christophe et G�r�me, membres du comit� de la section de Bondy, et Feuilloys bj, idem, ou nous sommes transport�s au domicil ci-dessus ou nous sommes entr�s, et sommes mont�s au deuxi�me �tage et sommes entr�s dans un appartement et de la dans un cabinet de toilette ou il y a trois pas � descendre accompagn�s de la citoyenne Amonnin, son mari ni �tant pas, ou l'avons interpell�e de nous d�clarer s'il n'y avait rien de cach� ch�s elle nous a d�clar� n'en s�avoir rien. Et del� la ditte Amonnin, s'est trouv�e mal et hors de raison. {LP 96} De suitte avons continu� notre perquisition et avons somm� le citoyen Villiers �tant dans la ditte maison, demeurant rue montmartre n° 21 section de Brutus, d'�tre t�moin � nos perquisitions ce qu'il a fait ainsi que le citoyon Gondois idem dans la dite maison, et de l� avons proc�d� � l'ouverture par les talens du citoyen Tartey demeurant rue du faubourg Saint-Martin n° 90, et de plus en pr�sence du citoyen Froc portier de la ditte maison, tous assistant � l'ouverture du lambri donnant dans une armoire en face de la porte � droitte. Et de suite avons fait une ouverture � l'effet de d�couvrir ce qu'il y avait dans le dit lambri, et de suitte ouverture faite toujours assist�s comme dessus avons fait la d�couverte d'une quantit� d'argenterie et plusieurs coffres et diff�rents papiers, et de suitte en avons fait l'inventaire en pr�sence de tous les d�nomm�s ci dessus. — 1° une �p�e mont�e en acier taill�, 2° une espingolle, 3° une bo�te en maroquin contenant cuill�res, pelles � sucre, � moutarde en vermeil et toutes avec des armoiries, etc. »

.......................................................................

Suit l'inventaire d�taill� portant toujours la d�signation des pi�ces et bijoux armori�s, car c'�tait l� un des principaux griefs, comme chacun sait.

.......................................................................

« Et de suitte le citoyen Amonnin est arriv� et {LP 97} l'avons {CL 71} somm� de rester avec nous pour �tre pr�sent de la suitte du proc�s-verbal.

« Et, de suitte, avons somm� le dit Amonnin de nous d�clarer le contenu d'un paquet de papiers envelopp� dans un linge blanc et sur lequel il y avait un cachet.

« Et de suitte, avons fait lecture de diff�rentes lettres � l'adresse du citoyen de Villiers employ� � l'assembl�e nationale constituante, le quel citoyen de Villiers, d�nomm� comme pr�sent au proc�s-verbal en l'absence du citoyen Amonnin, nous a d�clar� lui appartenir ainsi que la correspondance que nous avons trouv�e envelopp�e dans le linge blanc et le dit citoyen Amonnin nous a d�clar� ne pas s�avoir qu'ils �taient l�, et n'en pas avoir connaissance dont le citoyen de Villiers est convenu. De suitte avons interpell� le citoyen Amonnin de nous d�clarer depuis quand la ditte argenterie et bijoux �taient enfouis, a r�pondu qu'ils y �taient � l'�poque de la fuite du cidevant roy pour Varenne.

« A lui demand� si la ditte argenterie et bijoux lui appartenaient, a r�pondu qu'une partie lui appartenait et l'autre partie � la citoyenne Dupin demeurant au premier au dessous de lui.

De suitte avons fait comparaitre la citoyenne Dupin � l'effet de nous remettre la notte de l'argenterie qui se trouvait enfouie chez le sieur Amonnin, ce que la citoyenne a fait � l'instant... Et de suitte {LP 98} avons pass� � la v�riffication des lettres et de leur contenu, en pr�sence toujours du citoyen Villiers, lesquelles lettres veriffi�es avons trouv� des copies de lettres de noblesse et armoiries que nous avons mis sous les scell�s par un cachet en cœur barr�, et un cachet formant la clef de montre d'un dit commissaire, le tout enferm� dans une feuille de papier blanc, pour les dites lettres �tre examin�es par le comit� de suret� g�n�rale pour par eux en �tre ordonn� ce qu'il appartiendra. Et de suitte avons saisi comme il appert par le {CL 72} pr�sent proc�s verbal toutes les dittes argenteries et bijoux, pour aux termes de la loi en �tre ordonn� ce qu'il appartiendra et avons clos le pr�sent proc�s verbal le six frimaire � deux heures. »

D'o� il r�sulte que ces perquisitions s'op�raient particuli�rement la nuit et comme par surprise, car ce proc�s-verbal est commenc� le 5 et termin� le 6 � deux heures du matin. S�ance tenante les commissaires d�cr�tent d'arrestation M. de Villiers, dont le d�lit leur para�t apparemment le plus consid�rable, et ne statuent rien {Lub 64} sur madame Dupin ni M. Amonnin son complice, sinon que les scell�s sont appos�s sur les malles, coffres et bo�tes de bijoux et d'argenterie, « pour �tre, dans le jour, transport�s � la Convention nationale, et laiss�s en attendant sous la garde et responsabilit� du citoyen Leblanc, caporal, pour �tre par lui {LP 99} repr�sent�s sains et entiers � la premi�re r�quisition, et a d�clar� ne savoir signer. »

Il para�t qu'on ne s'�mut pas beaucoup d'abord de l'�v�nement dans la maison, ou qu'on crut le danger pass�; � vrai dire, la confiscation faite, avec espoir de restitution (car on prenait avec soin la note des objets saisis, et une bonne partie fut rendue intacte, ainsi qu'il para�t dans des notes de la main de Deschartres aux marges de l'inventaire contenu dans le proc�s verbal), le d�lit d'enfouissement n'�tait pas bien constat� de la part de madame Dupin. Elle avait confi� ou pr�t� les objets saisis � M. Amonnin, qui avait jug� � propos de les cacher. Tel �tait son syst�me de d�fense et l'on ne croyait pas encore alors que les choses en viendraient au point o� il n'y aurait pas de d�fense possible. Le fait est que l'on eut l'imprudence de laisser les dangereux papiers dont j'ai parl� plus haut dans un meuble du second entre-sol bk, dont il va �tre question tout � l'heure.

Le 13 frimaire, c'est-�-dire sept jours apr�s la premi�re {CL 73} perquisition chez Amonnin, seconde descente dans la m�me maison, et cette fois dans l'appartement de ma grand'm�re d�cr�t�e d'arrestation. Nouveau proc�s-verbal plus laconique et moins fleuri que le premier.

« Le treizi�me de frimaire, l'an second de la R�publique fran�aise une et indivisible, nous, {LP 100} membres du comit� de surveillance de la section de Bondy, en vert�e de la loy et d'une arrett� dudit comitt�, en datte du onze frimaire, portant que les scell�es serons appos� chez Marie Orrore, veuve Dupin; et la ditte citoyenne mise en �tat d'arrestations. À cette effet, nous nous sommes transport�s dans son domicile, r�e Saint-Nicolas n° 12. Sommes mont� au 1er �tage, la porte � gauche, i etant avont fait part � la ditte de notre missions, et avons apos�es les scell�es sur les crois�es et portes du dit appartement, ainsy que sur la porte d'entr�e donnans sur lescaill�e au nombre de dix: lesquelles scell�es avons laiss�e � la garde de Charles Froc, portier de la ditte maison, qui les a reconnue apr�s lecture � lui donn�e.

{Lub 65} » Et de suite, nous sommes transport�s en la porte en face, sur le dit paill�e occup�e par le citoyen Maurice Fran�ois Dupin, fils de la dite veuve Dupin, et par le citoyen Deschartre instituteur. Aprais v�riffications faite des papiers des dits citoyen, nous n'avons rien trouv� contraire aux int�rest de la r�publique, etc. »

Voil� donc ma grand'm�re arr�t�e et Deschartres charg� de son salut; car, au moment d'�tre emmen�e aux Anglaises, elle avait eu le temps de lui dire o� �taient ces maudits papiers dont elle avait n�glig� de se d�faire. Elle avait, en outre, une {LP 101} foule de lettres qui attestaient ses relations avec des �migr�s, relations fort innocentes, � coup s�r, de sa part, qui pouvaient lui �tre imput�es � crime d'�tat et � trahison envers la R�publique.

Le dernier proc�s-verbal que j'ai cit�, et Dieu sait avec {CL 74} quel m�pris et quelle indignation le puriste Deschartres traitait dans son �me des actes r�dig�s en si mauvais fran�ais! Ce proc�s-verbal, dont chaque faute d'orthographe lui donnait la chair de poule, ne constate pas l'existence d'un petit entre-sol situ� au-dessus du premier et qui d�pendait de l'appartement de ma grand'm�re. On y montait par un escalier d�rob� qui partait d'un cabinet de toilette.

Les scell�s avaient �t� appos�s sur les portes et sur les fen�tres de cet entre-sol, et c'est l� qu'il fallait aller chercher les papiers. Donc, il fallait rompre trois scell�s avant d'y entrer: celui de la porte du premier donnant sur l'escalier de la maison, celui de la porte du cabinet de toilette ouvrant sur l'escalier d�rob�, et celui de la porte de l'entre-sol au haut de ce m�me escalier. La loge du citoyen portier, r�publicain tr�s-farouche, �tait situ�e positivement {LP 102} au-dessous de l'appartement de ma grand'm�re, et le caporal Leblanc, citoyen incorruptible, pr�pos� � la garde des scell�s du second �tage, couchait sur un lit de sangle dans un cabinet voisin de l'appartement de M. Amonnin, c'est-�-dire positivement au-dessus de l'entre-sol. Il �tait l�, arm� jusqu'aux dents, ayant consigne de faire feu sur quiconque s'introduirait dans l'un ou l'autre appartement. Et le citoyen Froc, qui, bien que portier, avait le sommeil fort l�ger, disposait d'une sonnette plac�e ad hoc � la fen�tre du caporal, et dont il n'avait qu'� tirer la corde pour le r�veiller en cas d'alarme.

{Lub 66} L'entreprise �tait donc insens�e de la part d'un homme qui n'avait pas dans l'art de crocheter les portes et de s'introduire sans bruit les hautes connaissances qu'� force d'�tudes sp�ciales et s�rieuses acqui�rent MM. les voleurs. Mais le d�vouement fait des miracles. Deschartres se munit de tout ce qui �tait n�cessaire et attendit que tout le monde f�t couch�. Il �tait d�j� deux heures du matin {CL 75} quand la maison fut silencieuse. Alors il se {Presse 13/10/54 3} l�ve, s'habille sans bruit, emplit ses poches de tous les instruments qu'il s'est procur�s, non sans danger. Il enl�ve le premier scell�, puis le second, puis le troisi�me. Le voil� � l'entre-sol, il s'agit d'ouvrir un meuble en marqueterie qui sert de casier et de d�pouiller vingt-neuf cartons remplis de papiers; car ma grand'm�re n'a pas su lui dire o� sont ceux qui la compromettent.

Il ne se d�courage pas; le voil� examinant, triant, br�lant. Trois heures sonnent, rien ne bouge... mais si! Des pas l�gers font crier faiblement le {LP 103} parquet dans le salon du premier; c'est peut-�tre N�rina, la chienne favorite de la prisonni�re qui couche aupr�s du lit de Deschartres et l'aura suivi. Car force lui a �t�, � tout �v�nement, de laisser les portes ouvertes derri�re lui; c'est le portier qui a les clefs, et Deschartres s'est introduit � l'aide d'un rossignol.

Quand on �coute attentivement avec le cœur qui bondit dans la poitrine et le sang qui vous tinte dans les oreilles, il y a un moment o� l'on n'entend plus rien. Le pauvre Deschartres reste p�trifi�, immobile; car, ou l'on monte l'escalier de l'entre-sol, ou il a le cauchemar; et ce n'est pas N�rina, ce sont des pas humains. On approche avec pr�caution; Deschartres s'�tait muni d'un pistolet, il l'arme, il va droit � la porte du petit escalier... mais il laisse retomber son bras d�j� �lev� � hauteur d'homme; car celui qui vient de rejoindre, c'est mon p�re, c'est Maurice, son �l�ve ch�ri.

L'enfant, auquel il a vainement cach� son projet, l'a devin�, �pi�; il vient l'aider. Deschartres, �pouvant� de lui voir partager un p�ril effroyable, veut parler, le renvoyer; Maurice lui pose sa main sur la bouche. Deschartres comprend que le moindre bruit, un mot �chang� peuvent les perdre l'un et l'autre, et la contenance de l'enfant lui prouve bien d'ailleurs qu'il ne c�dera pas.

{CL 76; Lub 67} Alors tous deux, dans le plus complet silence, {LP 104} se mettent � l'œuvre. L'examen des papiers continue et marche rapidement; on br�le � mesure; mais quoi! Quatre heures sonnent! Il faudra plus d'une heure pour refermer les portes et replacer les scell�s. La moiti� de la besogne n'est pas faite, et � cinq heures le citoyen Leblanc est invariablement debout.

Il n'y a pas � h�siter. Maurice fait comprendre � son ami, par signes, qu'il faudra revenir la nuit suivante. D'ailleurs cette malheureuse petite N�rina, qu'il a eu soin d'enfermer dans sa chambre et qui s'ennuie d'�tre seule, commence � g�mir et � hurler. On referme tout, on laisse les scell�s bris�s dans l'int�rieur, et on se contente de r�parer celui de l'entr�e principale qui donne sur le grand escalier. Mon p�re tient la bougie et pr�sente la cire. Deschartres, qui a pris l'empreinte des cachets, se tire de l'op�ration avec la prestesse et la dext�rit� d'un homme bl qui a fait des op�rations chirurgicales autrement d�licates. Ils rentrent chez eux et se recouchent tranquilles pour eux-m�mes, mais non pas rassur�s sur le succ�s de leur entreprise; car on peut venir dans la journ�e pour lever les scell�s � l'improviste, et tout est rest� en d�sordre dans l'appartement. D'ailleurs les principales pi�ces de culpabilit� n'ont pas encore �t� retrouv�es et an�anties.

Heureusement cette terrible journ�e d'attente s'�coula sans catastrophe. Mon p�re porta N�rina chez un ami; Deschartres acheta pour mon p�re {LP 105} des pantoufles de lisi�re bm, graissa les portes de leur appartement, mit en ordre ses instruments, et n'essaya pas de changer l'h�ro�que r�solution de son �l�ve. Lorsqu'il me racontait cette histoire, vingt-cinq ans plus tard: « je savais bien, disait-il, que si nous �tions surpris, madame Dupin ne me pardonnerait jamais d'avoir laiss� bn son fils se pr�cipiter dans un pareil danger; mais avais-je le droit d'emp�cher un bon fils {CL 77} d'exposer sa vie pour sauver celle de sa m�re? Cela e�t �t� contraire � tout principe de saine �ducation, et j'�tais gouverneur avant tout. »

La nuit suivante ils eurent plus de temps. Les gardiens se couch�rent de meilleure heure; ils purent commencer leurs op�rations une heure plus t�t. Les papiers furent retrouv�s et r�duits en cendres; puis on rassembla ces cendres l�g�res dans une bo�te que l'on referma avec soin et que l'on emporta pour la faire dispara�tre le lendemain. {Lub 68} Tous les cartons visit�s et purg�s, on brisa plusieurs bijoux et cachets armori�s; on enleva m�me des �cussons sur la couverture des livres de luxe. Enfin la besogne termin�e, tous les scell�s furent replac�s, les empreintes restitu�es en perfection; les bandes de papier reparurent intactes, les portes furent referm�es sans bruit, et les deux complices, apr�s avoir accompli une action g�n�reuse avec tout le myst�re et toute l'�motion qui accompagnent la perp�tration des crimes, se retir�rent dans leur appartement � l'heure voulue. L�, {LP 106} ils se jet�rent dans les bras l'un de l'autre, et, sans se rien dire, m�l�rent des larmes de joie. Ils croyaient avoir sauv� ma grand'm�re; mais ils devaient vivre encore longtemps sous le coup de l'�pouvante, car sa d�tention se prolongea jusqu'apr�s la catastrophe du 9 thermidor, et, jusque-l�, les tribunaux r�volutionnaires devinrent chaque jour plus ombrageux et plus terribles.

Le 16 niv�se, c'est-�-dire environ un mois apr�s, madame Dupin fut extraite de la maison d'arr�t et amen�e dans son appartement sous la garde du citoyen Philidor, commissaire fort humain et qui se montra de plus en plus dispos� en sa faveur. Le proc�s-verbal, r�dig� sous ses yeux et sign� de lui, atteste bo que les scell�s furent retrouv�s intacts. Le citoyen portier n'y e�t pas mis de complaisance, donc il est � croire qu'aucun indice bp ne trahit l'effraction.

{CL 78} Que je dise en passant, car je ne veux point oublier cela, que le brave Deschartres ne m'a jamais racont� cette histoire que press� par mes questions; et encore la racontait-il assez mal, et n'ai-je jamais bien su les d�tails que par ma grand'm�re. Pourtant je n'ai jamais connu de narrateur plus prolixe, plus pointilleux, plus p�dant, plus vain de son r�le dans les petites choses, et plus complaisant � se faire �couter que cet honn�te homme. Il ne se faisait point faute de r�p�ter chaque soir une s�rie d'anecdotes {LP 107} et de traits de sa vie que je connaissais si bien, que je le reprenais quand il se trompait d'un mot. Mais il �tait comme ceux de sa trempe, qui ne savent point par o� ils sont grands; et quand il s'agissait de montrer les c�t�s h�ro�ques de son caract�re, lui qui avait pour des pu�rilit�s des pr�tentions vraiment burlesques, il �tait aussi na�f qu'un enfant, aussi humble qu'un vrai chr�tien.

Ma grand'm�re bq n'avait �t� extraite de la prison que {Lub 69} pour assister � la lev�e des scell�s et � l'examen de ses papiers. On n'y trouva, bien entendu, rien de contraire aux int�rest de la r�publique, bien que cet examen e�t dur� neuf heures. Ce fut un jour de joie pour elle et pour son fils, parce qu'ils purent le passer ensemble. Leur mutuelle tendresse toucha beaucoup les commissaires et surtout Philidor, lequel Philidor �tait, si j'ai bonne m�moire, un ex-perruquier, tr�s-bon patriote et honn�te homme. Il prit surtout mon p�re en grande amiti� et ne cessa de faire des d�marches pour que ma grand'm�re f�t mise en jugement, avec l'espoir qu'elle serait acquitt�e. Mais ses d�marches br n'eurent de succ�s qu'� l'�poque de la r�action.

Le soir du 16 niv�se il reconduisit sa prisonni�re aux Anglaises, et elle y resta jusqu'au 4 fructidor (22 ao�t 1794) bs. Pendant quelque temps, mon p�re put voir sa m�re un instant chaque jour au parloir des Anglaises. Il attendait ce bienheureux instant {LP 108} dans le clo�tre, par un froid glacial, {CL 79} et Dieu sait qu'il fait froid dans ce clo�tre que j'ai arpent� dans tous les sens durant trois ans de ma vie, car j'ai �t� �lev�e dans ce m�me couvent. Il l'attendait souvent durant plusieurs heures, vu que, dans les commencements surtout, les consignes changeaient chaque jour selon le caprice des concierges, et peut-�tre suivant le vœu du gouvernement r�volutionnaire, qui craignait les communications trop fr�quentes et trop faciles entre les d�tenus et leurs parents. En d'autres temps, l'enfant mince et d�bile e�t pris l� une fluxion bt de poitrine. Mais les vives �motions nous font une autre sant�, une autre organisation. Il n'eut pas seulement un rhume, et apprit bien vite � ne plus s'�couter, � ne plus se plaindre � sa m�re de ses petites souffrances et de ses moindres contrari�t�s, comme il avait eu coutume de le faire. Il devint tout d'un coup ce qu'il devait �tre toujours, et l'enfant g�t� disparut pour ne plus repara�tre. Lorsqu'il voyait arriver � la grille sa pauvre m�re toute p�le, tout effray�e du temps qu'il avait pass� � l'attendre, toute pr�te � fondre en larmes en touchant ses mains froides, et � le conjurer de ne plus venir plut�t que de s'exposer � ces souffrances, il �tait honteux de la mollesse dans laquelle il s'�tait laiss� bercer, il se reprochait d'avoir consenti � ce d�veloppement extr�me de sollicitude, et, connaissant enfin par lui-m�me ce que c'est {LP 109} que de {Lub 70} trembler et de souffrir pour ce qu'on aime, il niait qu'il e�t attendu; il assurait n'avoir pas eu froid, et, par un effort de sa volont�, il arrivait r�ellement � ne plus sentir le froid.

Ses �tudes bu �taient bien interrompues; il n'�tait plus question de ma�tres de musique, de danse et d'escrime. Le bon Deschartres lui-m�me, qui aimait tant � enseigner, n'avait pas plus le cœur � donner ses le�ons que l'�l�ve � les prendre bv; mais cette �ducation-l� en valait bien une autre, et le temps qui formait le cœur et la conscience de l'homme n'�tait pas perdu pour l'enfant. 3


Variantes

  1. Les titres de parties n'apparaissent qu'avec {CL}.
  2. CHAPITRE TROISIÈME {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ III {CL}
  3. L'argument de ce chapitre est d'une autre main.
  4. pr�cepteur. — [Anecdote sur la terreur ray�] {Ms}
  5. D'autre main: Chap. 3e. .De la main de George Sand: [7. Maurice Dupin. Des Chartres ray�] {Ms}
  6. misanthropie [maladive ray�] qui fut {Ms}
  7. grande vilaine main {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ grande et vilaine main {LP} et sq.
  8. Enfin ma toilette finie {Lub}
  9. un petit bonhomme {Ms}un gros petit bonhomme {Presse} ♦ un petit bonhomme {Lecou} ♦ un petit homme {LP} et sq.
  10. rapport�e. [Je crois qu'il est bien regrettable ray�] {Ms}
  11. avec [passion ray�] religion {Ms}
  12. qui rempla�a toutes les autres {Ms} ♦ qui lui tint lieu de toutes les autres {Presse} et sq.
  13. Il [trainait apr�s lui ray�] avait � ses gages {Ms}
  14. aujourd'hui. [Mr le d�put� Muret qui a fait sa fortune dans les draps de Ch�teauroux ne la gaspillera pas dans les plaisirs ray� bleu] Ceux-ci ne gaspillent {Ms} ♦ aujourd'hui. Ceux-l� ne gaspillent {Presse} et sq.
  15. aristocratique [d'autrefois ray�] surann� {Ms}
  16. du sien. [Tant qu'il y aura des riches, la richesse sera plus ou moins mal employ�e ray� bleu] {Ms}
  17. que l'autre. [Les pauvres sont plus m�contents que jamais, et ils l'ont r�cemment prouv� dans ce pays-ci d'une mani�re peu �quivoque ray� bleu]. Les hommes {Ms}
  18. 75,000 {Lub} (nous ne signalerons plus cette sorte de variante)
  19. 700 000 livres {Ms}70 000 livres {Presse} ♦ 700000 livres {Lecou} ♦ 700 mille livres {LP} et sq.
  20. Chenonceaux. [C'est ici le lieu de dire ray�]. Je dirai {Ms}
  21. La r�volution {CL} ♦ La R�volution {Lub} que nous suivons; Georges Lubin met une majuscule � R�volution lorsque le mot d�signe une p�riode r�volutionnaire pr�cise; nous marquerons cette variante du signe apr�s le mot
  22. bient�t [sa fortune ray�] ses ressources {Ms}
  23. elle [loua ray�] habita {Ms}
  24. port� le [costume d'abb� ray�] petit collet {Ms}
  25. Sous l'empire {CL} ♦ Sous l'Empire {Lub} que nous suivons; Georges Lubin met une majuscule � Empire lorsque le mot d�signe la p�riode du 1er Empire; nous marquerons d�sormais la variante le signe � la suite du mot
  26. pour les [choses ray�] formes {Ms}
  27. d�lire: [jamais p�dagogue n'a �t� plus d�sagr�able et m�me plus ha�ssable pour ses �l�ves. Et pourtant nous l'avons tendrement aim�, mon p�re et moi. Je l'ai maudit toute sa vie, et je l'ai sinc�rement pleur� � sa mort ray� bleu]. Il avait {Ms}
  28. les plus [fausses ray� bleu] absolues {Ms}
  29. ne [devina ray�] pressentait {Ms}
  30. qu'il [avait vu quinze jours ray�] n'avait pas vu depuis quinze jours {Ms}
  31. fut [jusqu'� 16 ans ray�] d'abord {Ms}
  32. sonnait un domestique {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ sonnait son domestique {LP} et sq.. Ici s'est produit un remaniement du texte primitif, avec adjonction d'un fragment d�coup� et coll�, avec la mention faites suivre de la main de George Sand � l'encre bleue; au folio suivant (114), huit lignes qui paraissent recopi�es d'un morceau sacrifi�, pour faire raccord (note de Georges Lubin).
  33. Marie-Antoinette [et les dames des ray�] et ses favoris {Ms}
  34. libelles. [Ils sont presque tous �crits de sa main ray�]. Les plus [...] grand'm�re {Ms}
  35. Elle �tait [au-dessus de tous ls pr�jug�sray�] � la hauteur de toutes les id�es avanc�es {Ms}
  36. phases [de la doctrine ray�] actives de la vie {Ms}
  37. lutte [ardente ray�] violente {Ms}
  38. d'erreurs. Plusieurs lignes ratur�es illisibles {Ms}
  39. pas [l'�paisseur d'une chose ray�] le temps de la r�flexion {Ms}
  40. arr�ts [mod�r�s ray�] tranquilles {Ms}
  41. pour que le [moindre rayon de ray�] soleil {Ms}
  42. aujourd'hui [� l'Escorial, comme Louis XV l'�tait d�j� dans les bras d'une fille du peuple, comme ray�] sur le tr�ne {Ms}
  43. � nous, hommes pour qui {Ms} ♦ � nous, pour qui {Presse} et sq.
  44. Appel de note et note ajout�s � l'encre bleue.
  45. la rattachant au Berry {Ms} ♦ la rattachaient au Berry {Presse} et sq.
  46. s'�taient � peine fait sentir {Ms} ♦ s'�taient encore peu fait sentir {Presse} et sq.
  47. lui [demanda la permission ray�] proposa {Ms}
  48. tant � lui qu'� [Mr de Villiers, un autre de ses locataires ray�] elle {Ms}
  49. noblesse. [Mme Dupin, croyant � la s�ret� de ce d�p�t cacha aussi quelques pi�ces d'argenterie et des bijoux, et m�me des papiers d'une grande importance ainsi qu'on le verra plus tard. ray�] Mais ces cachettes {Ms} (Georges Lubin ne pr�cise pas si l'alin�a figure dans le manuscrit ou apparut dans {Presse}.)
  50. Amonin [et d�couverte. Ma grand'm�re �tait absente. Sa femme de chambre s'�vanouit d�s la premi�re question qui lui fut adress�e. Le portier somm� de dire la v�rit� confirma tout ray�]. Un expert menuisier sonda [tous ray�] les lambris {Ms}
  51. ma grand'm�re [d�cr�t�e de prison ray�] fut arr�t�e {Ms}
  52. aussi. [Cette s�paration de la m�re et du fils fut d�chirante. Ce pauvre enfant n'avait jamais quitt� sa ray�] {Ms}
  53. ARTICLE PREMIER — {Lub} (les autres articles sous la forme: "ART x. —")
  54. diamans {Lub}
  55. r�publique {Lub}
  56. Maurice Dupin, [mon p�re ray�] alors �g� {Ms} ♦ M. Dupin, alors �g� {Presse} et sq.
  57. nourri aussi {Ms} ♦ aussi nourri {Presse} et sq.
  58. de la maison {Ms}de sa maison {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ de la maison {CL}
  59. Charles X. [Qui avait pu la d�cider � cette action? Probablement l'effroi du r�gne de la terreur, et ray�] {Ms}
  60. barre de b�tardise {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ barre de la b�tardise {LP} et sq.
  61. Mais pour {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ Mais, pour {CL}
  62. Filoy {Presse} {CL} ♦ Feuilloys {Lub} qui rectifie et que nous suivons
  63. un meuble [de l'entresol ray�] du second entre-sol {Ms}
  64. et la s�curit� d'un homme {Ms} ♦ et la dext�rit� d'un homme {Presse} et sq.
  65. pantoufles de [feutre ray�] lisi�re {Ms}
  66. d'avoir [entra�n� ray�] laiss� {Ms}
  67. de lui, [constate ray�] atteste {Ms}
  68. qu'[aucune apparence ray�] aucun indice {Ms}
  69. chr�tien. Revenons � notre histoire. Ma grand'm�re {Ms} ♦ chr�tien. Ma grand'm�re {Presse} et sq. (Georges Lubin ne pr�cise pas si l'alin�a figure dans le manuscrit ou apparut dans {Presse})
  70. acquitt�e. Mais [sans doute il trouva grande opposition dans la section, et ray�] ses d�marches {Ms}
  71. 4 fructidor, 22 ao�t 1794 {Ms} addition d'une autre �criture ♦ 4 fructidor (22 ao�t 1794) {Presse} et sq. (??)
  72. d�bile [�lev� litt�ralement dans du coton ray� bleu] e�t pris l� une fluxion {Ms} ♦ d�bile e�t pris l� une fluxion {Presse} et sq.
  73. Les �tudes {Ms} ♦ Ses �tudes {Presse} et sq.
  74. Un collage, � partir de � les prendre, semble indiquer que le texte se continuait sans interruption, et que la division en chapitres n'est intervenue qu'apr�s coup (note de Georges Lubin)

Notes

  1. {Presse} (La suite � demain.), en fait ce sera le vendredi 13.
  2. Pierre-Roch Amonnin (et non Amonin comme �crit George Sand), ancien valet de garde-tobe du comte d'Artois, payeur de rentes � l'H�tel de ville, �tait �g� de quarante-deux ans et demi � l'�poque. Il sera emprisonn� du 5 frimaire au 2 fructidor, mais recouvrera effets et bijoux (Arch. nat. F7 4579) (Note de Georges Lubin). {Lub} rectifie l'orthographe du nom, nous faisons de m�me en faisant suivre le nom du signe .
  3. {Presse} (La suite prochainement.), en fait le lendemain. Ceci pourrait indiquer que le texte avait �t� compos� pour �tre publi� le mardi 10 plut�t que le vendredi 13.