GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{Presse 5/10/54 1; LP T.1 1; CL [T.1 1]; Lub [T.1 3]} PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE D'UNE FAMILLE, DE FONTENOY
À MARENGO
a.

{Presse 7/10/54 1; LP 31; CL [23]; Lub [23]} II b

De la naissance et du libre arbitre. — Fr�d�ric-Auguste. — Aurore de Kœnigsmak. — Maurice de Saxe. — Aurore de Saxe. — Le comte de Horn. — Mesdemoiselles Verri�res et les beaux esprits du dix-huiti�me si�cle. — M. Dupin de Francueil. — Madame Dupin de Chenonceaux. — L'abb� de Saint-Pierre.



Donc, le sang des rois se trouva m�l� dans mes veines au sang des pauvres et des petits; et comme ce qu'on appelle la fatalit�, c'est le caract�re de l'individu; comme le caract�re de l'individu, c'est son organisation; comme l'organisation de chacun de nous est le r�sultat d'un m�lange ou d'une parit� de races et la continuation, toujours modifi�e, d'une suite de types s'encha�nant les uns aux autres, j'en ai toujours conclu que l'h�r�dit� naturelle, celle du corps et de l'�me, �tablissait une solidarit� assez importante entre chacun de nous et chacun de ses anc�tres.

Car nous avons tous des anc�tres, grands et petits, pl�b�iens et patriciens; anc�tres signifie patres, c'est-�-dire une suite de p�res, car le mot n'a point de singulier. Il est plaisant que la noblesse ait accapar� ce mot � son profit, comme si l'artisan c et le {LP 32} paysan n'avaient pas une lign�e de p�res derri�re eux, comme si on ne pouvait porter le titre sacr� d de p�re � moins d'avoir un blason, comme si enfin les p�res l�gitimes e se trouvaient moins rares dans une classe que dans l'autre.

Ce que je pense de la noblesse de race, je l'ai �crit dans le Piccinino f, et je n'ai peut-�tre fait g ce roman que pour {CL 24} faire les trois chapitres o� j'ai d�velopp� mon sentiment sur la noblesse. Telle qu'on l'a entendue jusqu'ici, elle est un pr�jug� monstrueux, en tant qu'elle accapare au {Lub 24} profit d'une classe de riches et de puissants la religion de la famille, principe qui devrait �tre cher et sacr� � tous les hommes. Par lui-m�me, ce principe est inali�nable, et je ne trouve pas compl�te cette sentence espagnole: Cada uno es hijo de sus obras. C'est une id�e g�n�reuse et grande que d'�tre le fils de ses œuvres et de valoir autant par ses vertus que le patricien par ses titres. C'est une id�e qui a fait notre grande r�volution; mais c'est une id�e de r�action, et les r�actions n'envisagent jamais qu'un c�t� des questions, le c�t� que l'on avait trop m�connu et sacrifi� h .Ainsi, il est tr�s-vrai que chacun est le fils de ses œuvres mais il est �galement vrai que chacun est le fils de ses p�res, de ses anc�tres, patres et matres. Nous apportons en naissant des instincts qui ne sont qu'un r�sultat du sang qui nous a �t� transmis, et qui nous gouverneraient comme {LP 33} une fatalit� terrible, si nous n'avions pas une certaine somme de volont� qui est un don tout personnel accord� � chacun de nous par la justice divine.

À ce propos (ce sera i encore une digression), je dirai que, selon moi, nous ne sommes pas absolument libres, et que ceux qui ont admis le dogme affreux de la pr�destination auraient d�, pour �tre logiques et ne pas outrager la bont� de Dieu, supprimer l'atroce fiction de l'enfer, comme je la supprime, moi, dans mon �me et dans ma conscience. Mais nous ne sommes pas non plus absolument esclaves de la fatalit� de nos instincts. Dieu nous a donn� � tous un certain instinct assez puissant pour les combattre, en nous donnant le raisonnement, la comparaison, la facult� de mettre � profit l'exp�rience, de nous sauver enfin, que ce soit par l'amour bien entendu de soi-m�me, ou par l'amour de la v�rit� absolue.

{CL 25} On objecterait en vain les idiots, les fous, et une certaine vari�t� d'homicides qui sont sous l'empire d'une monomanie furieuse et qui rentrent, par cons�quent, dans la cat�gorie des fous et des idiots. Toute r�gle a son exception qui la confirme; toute combinaison, si parfaite qu'elle soit, a ses accidents. Je suis convaincue qu'avec le progr�s des soci�t�s et l'�ducation meilleure du genre humain, ces funestes accidents dispara�tront, de m�me que la somme de fatalit� que nous apportons avec nous {LP 34} en naissant, devenant le r�sultat d'une meilleure combinaison d'instincts transmis, sera j notre force {Lub 25} et l'appui naturel de notre logique acquise, au lieu de cr�er des luttes incessantes entre nos penchants et nos principes.

C'est peut-�tre trancher un peu hardiment des questions qui ont occup� pendant des si�cles la philosophie et la th�ologie que d'admettre, comme j'ose le faire, une somme d'esclavage et une somme de libert�. Les religions ont cru k qu'elles pouvaient s'�tablir sans admettre ou sans rejeter le libre arbitre d'une mani�re absolue. L'Église de l'avenir comprendra, je crois, qu'il faut tenir compte de la fatalit�, c'est-�-dire de la violence des instincts, de l'entra�nement des passions. Celle du pass� l'avait d�j� pressenti, puisqu'elle avait admis un purgatoire, un moyen terme entre l'�ternelle damnation et l'�ternelle b�atitude. La th�ologie du genre humain perfectionn�e admettra les deux principes, fatalit� et libert�. Mais, comme nous en avons fini, je l'esp�re, avec le manich�isme, elle admettra un troisi�me principe qui sera la solution de l'antith�se, la gr�ce.

Ce principe, elle ne l'inventera pas, elle ne fera que le conserver; car c'est, dans son antique h�ritage, ce qu'elle aura de meilleur et de plus beau � exhumer. La gr�ce, c'est l'action divine, toujours f�condante et toujours pr�te � venir au secours de {LP 35} l'homme qui l'implore. Je crois � cela, et ne saurais croire � Dieu sans cela.

{CL 26} L'ancienne th�ologie l avait esquiss� ce dogme � l'usage d'hommes plus na�fs et plus ignorants que nous, et par suite aussi de l'insuffisance m des lumi�res du temps. Elle avait dit, tentations de Satan n ,libre arbitre, et secours de la gr�ce pour vaincre Satan. Ainsi, trois termes qui ne s'�quilibrent pas, deux contre un, libert� absolue du choix et secours de la toute-puissance de Dieu pour r�sister � la fatalit�, � la tentation du diable, qui doit c�der o, �tre terrass� facilement. Si cela e�t �t� vrai, comment donc expliquer l'imb�cillit� humaine qui continuait � satisfaire ses passions et � se donner au diable, malgr� la certitude des flammes �ternelles, lorsqu'il lui �tait si facile de prendre, avec toute la libert� de son esprit et l'appui de Dieu, le chemin de l'�ternelle f�licit�?

Apparemment ce dogme n'a jamais bien persuad� les hommes; ce dogme parti d'un sentiment aust�re, enthousiaste, courageux; ce dogme t�m�raire jusqu'� l'orgueil et empreint de la passion du progr�s, mais sans {Lub 26} tenir compte de l'essence m�me de l'homme; ce dogme farouche dans son r�sultat et tyrannique dans ses arr�ts, puisqu'il condamne logiquement � l'�ternelle haine de Dieu l'insens� qui a librement choisi le culte du mal; ce dogme-l� n'a jamais sauv� personne; les saints n'ont gagn� le {LP 36} ciel que par l'amour. La peur n'a pas emp�ch� les faibles de rouler dans l'enfer catholique.

En s�parant absolument l'�me du corps, l'esprit de la mati�re, l'Église catholique devait m�conna�tre la puissance de la tentation et d�cr�ter qu'elle avait son si�ge dans l'enfer. Mais si la tentation est en nous-m�mes, si Dieu a permis qu'elle y f�t, en tra�ant la loi qui relie le fils � la m�re, ou la fille au p�re, tous les enfants � l'un ou � l'autre, parfois � l'un autant qu'� l'autre: parfois aussi � l'a�eul, ou � l'oncle, ou au bisa�eul (car tous ces ph�nom�nes de ressemblance, tant�t physique, tant�t {CL 27} morale, tant�t physique et morale � la fois, peuvent se constater chaque jour dans les familles); il est certain que la tentation n'est pas un �l�ment maudit d'avance, et qu'elle n'est pas l'influence d'un principe abstrait plac� en dehors de nous pour nous �prouver et nous tourmenter.

Jean-Jacques Rousseau croyait p que nous �tions tous n�s bons, �ducables, et il supprimait ainsi la fatalit� q; mais alors comment expliquait-il la perversit� g�n�rale qui s'emparait de chaque homme au berceau pour le corrompre et inoculer en lui l'amour du mal? Lui aussi croyait au libre arbitre pourtant ! Il me semble que quand on admet cette libert� absolue de l'homme, il faut, en voyant le mauvais usage qu'il en fait, arriver absolument � douter de Dieu, ou � proclamer son inaction, son indiff�rence, {LP 37} et nous replonger, pour derni�re cons�quence d�sesp�r�e, dans le dogme de la pr�destination; c'est un peu l'histoire de la th�ologie durant r les derniers si�cles.

En admettant que l'�ducabilit� ou la sauvagerie de nos instincts soient ce que je l'ai dit, un h�ritage qu'il ne nous appartient pas de refuser et qu'il nous est fort inutile de renier, le mal �ternel, le mal en tant que principe fatal, est d�truit; car le progr�s n'est point encha�n� par le genre de fatalit� que j'admets. C'est une fatalit� toujours modifiable, toujours modifi�e, excellente et sublime parfois, car l'h�ritage est parfois un don magnifique auquel la bont� de Dieu ne s'oppose jamais. La race humaine n'est plus une cohue d'�tres isol�s allant {Lub 27} au hasard, mais un assemblage de lignes qui se rattachent les unes aux autres et qui ne se brisent jamais d'une mani�re absolue quand m�me les noms p�rissent (m�diocre accident dont les nobles seuls s'embarrassent); l'influence des conqu�tes intellectuelles du temps s'exerce toujours sur la partie libre de l'�me, et, quant � l'action divine, qui est l'�me m�me de ce progr�s, elle va toujours vivifiant {CL 28} l'esprit humain, qui se d�gage ainsi peu � peu des liens du pass� et du p�ch� originel de sa race.

Ainsi le mal physique quitte peu � peu notre sang, comme l'esprit du mal quitte notre �me. Tant que nos g�n�rations imparfaites luttent encore contre {LP 38} elles-m�mes, la philosophie peut �tre indulgente et la religion mis�ricordieuse. Elles n'ont pas le droit de tuer l'homme pour un acte de d�mence, de le damner pour un faux point de vue. Lorsqu'elles auront � tracer un dogme nouveau pour des �tres plus forts et plus purs, elles n'auront que faire d'y introduire l'inquisiteur des t�n�bres, le bourreau de l'�ternit�, Satan le chauffeur. La peur n'aura plus d'action sur les hommes (elle n'en a d�j� plus). La gr�ce suffira, car ce qu'on a appel� la gr�ce, c'est l'action de Dieu manifest�e aux hommes par la foi.

Devant cet s affreux dogme de l'enfer, auquel l'esprit humain se refuse, devant la tyrannie d'une croyance qui n'admettait ni pardon ni espoir au del� de la vie, la conscience humaine s'est r�volt�e. Elle a bris� ses entraves. Elle a bris� la soci�t� avec l'Église, la tombe de ses p�res avec les autels du pass�. Elle a pris son vol, elle s'est �gar�e pour un instant, mais elle retrouvera sa route, ne vous en inqui�tez pas.

Me voici encore une fois bien loin de mon sujet, et mon histoire court le risque de ressembler � celle des sept ch�teaux du roi de Boh�me. Eh bien! Que vous importe, mes bons lecteurs? Mon histoire par elle-m�me est fort peu int�ressante. Les faits y jouent le moindre r�le, les r�flexions t {Presse 7/10/54 2} la remplissent. Personne n'a plus r�v� et moins agi que moi dans sa vie; vous attendiez-vous � autre chose de la part d'un romancier?

{LP 39} Écoutez; ma vie, c'est la v�tre; car, vous qui me lisez, vous n'�tes point lanc�s dans le fracas des int�r�ts de ce monde, autrement vous me repousseriez avec ennui. Vous {CL 29} �tes des r�veurs comme moi. D�s lors tout ce qui m'arr�te en mon chemin vous a arr�t�s aussi. Vous avez {Lub 28} cherch�, comme moi, � vous rendre raison de votre existence, et vous avez pos� quelques conclusions. Comparez les miennes aux v�tres. Pesez u et prononcez. La v�rit� ne sort que de l'examen v.

Nous nous arr�terons donc � chaque pas, et nous examinerons chaque point de vue. Ici, une v�rit� m'est apparue, c'est que le culte idol�trique de la famille est faux et dangereux, mais que le respect et la solidarit� w dans la famille sont n�cessaires. Dans l'antiquit�, la famille jouait un grand r�le. Puis le r�le s'exag�ra son importance, la noblesse se transmit comme un privil�ge, et les barons du moyen �ge prirent de leur race une telle id�e, qu'ils eussent m�pris� les augustes familles des patriarches si la religion n'en e�t consacr� et sanctifi� la m�moire. Les philosophes du dix-huiti�me si�cle �branl�rent le culte de la noblesse, la R�volution le renversa; mais l'id�al religieux de la famille fut entra�n� dans cette destruction, et le peuple, qui avait souffert de l'oppression h�r�ditaire, le peuple qui riait des blasons, s'habitua � se croire uniquement fils de ses œuvres le peuple se trompa, il a ses {LP 40} anc�tres tout comme les rois. Chaque famille a sa noblesse, sa gloire, ses titres: le travail, le courage, la vertu ou l'intelligence. Chaque homme dou� de quelque distinction naturelle la doit � quelque homme qui l'a pr�c�d�, ou � quelque femme qui l'a engendr�. Chaque descendant d'une ligne quelconque aurait donc des exemples � suivre s'il pouvait regarder derri�re lui, dans son histoire de famille. Il y trouverait de m�me des exemples � �viter. Les illustres lignages en sont remplis; et ce ne serait pas une mauvaise le�on pour l'enfant que de savoir de la bouche de sa nourrice les vieilles x traditions de race qui faisaient l'enseignement du jeune noble au fond de son ch�teau.

{CL 30} Artisans, qui commencez � tout comprendre, paysans, qui commencez � savoir �crire, n'oubliez donc plus vos morts. Transmettez la vie de vos p�res � vos fils, faites-vous des titres et des armoiries, si vous voulez, mais faites-vous-en tous! La truelle, la pioche ou la serpe sont d'aussi beaux attributs y que le cor, la tour ou la cloche. Vous pouvez vous donner cet amusement si bon vous semble. Les industriels et les financiers se le donnent bien!

Mais vous �tes plus s�rieux que ces gens-l�. Eh bien, {Lub 29} que chacun de vous cherche � tirer et � sauver de l'oubli les bonnes actions et les utiles travaux de ses a�eux, et qu'il agisse de mani�re que ses descendants lui rendent le m�me honneur z. L'oubli {LP 41} est un monstre stupide qui a d�vor� trop de g�n�rations. Combien de h�ros � jamais ignor�s, parce qu'ils n'ont pas laiss� de quoi se faire �lever une tombe! Combien de lumi�res �teintes dans l'histoire, parce que la noblesse a voulu �tre le seul flambeau et la seule histoire des si�cles �coul�s! �chappez � l'oubli, vous tous qui avez autre chose en l'esprit que la notion born�e du pr�sent isol�. Écrivez votre histoire, vous tous qui avez compris votre vie et sond� votre cœur. Ce n'est pas � autres fins que j'�cris la mienne, et que je vais raconter celle de mes parents.

aaFr�d�ric-Auguste, �lecteur de Saxe et roi de Pologne, fut le plus �tonnant d�bauch� de son temps. Ce n'est pas un honneur bien rare que d'avoir un peu de son sang dans les veines, car il eut, dit-on, plusieurs centaines de b�tards. Il eut de la belle Aurore de Kœnigsmark, cette grande et habile coquette ab, devant laquelle Charles XII recula et qui put se croire plus redoutable qu'une arm�e*, {CL 32} un fils qui le {LP 42} surpassa de beaucoup en noblesse, {Lub 29} bien qu'il ne f�t jamais que mar�chal de France. Ce fut Maurice de Saxe, le vainqueur de Fontenoy, bon et brave comme son p�re, mais non moins d�bauch� ac; plus savant dans l'art de la guerre, plus heureux aussi et mieux second�.

[{CL 31}] * L'anecdote est assez curieuse; la voici racont�e par Voltaire, Histoire de Charles XII: « ... Auguste aima mieux recevoir des lois dures de son vainqueur que de ses sujets. Il se d�termina � demander la paix au roi de Su�de, et voulut entamer [{CL 31}] avec lui un trait� secret. Il fallait cacher cette d�marche au s�nat ad, qu'il regardait comme un ennemi encore plus intraitable. L'affaire �tait d�licate ae; il s'en reposa sur la comtesse de Kœnigsmark, Su�doise d'une grande naissance, � laquelle il �tait alors attach�. C'est elle dont le fr�re est connu par sa mort maheureuse, et dont le fils a command� les arm�es en France avec tant de succ�s et de gloire. Cette femme, c�l�bre dans le monde par son esprit et par sa beaut�, �tait plus capable qu'aucun ministre de faire r�ussir une n�gociation. De plus, comme elle avait du bien dans les États de Charles XII, et qu'elle avait �t� longtemps � sa cour, elle avait un pr�texte plausible d'aller trouver ce prince. Elle vint donc au camp des Su�dois en Lithuanie, et s'adressa d'abord au comte Piper, qui lui promit trop l�g�rement une audience de son ma�tre. La comtesse, parmi les perfections qui la rendaient une des plus aimables personnes de l'europe, avait le talent singulier de parler les langues de plusieurs pays qu'elle n'avait jamais vus, avec autant de d�licatesse que si elle y �tait n�e. Elle s'amusait m�me quelquefois � faire des vers fran�ais, qu'on e�t pris pour �tre d'une personne n�e � Versailles. Elle en composa {Lub 32} pour Charles XII, que l'histoire ne doit point omettre. Elle introduisait les dieux de la fable, qui tous louaient les diff�rentes vertus de Charles. La pi�ce finissait ainsi:


« Enfin chacun des dieux discourant � sa gloire
» Le pla�ait par avance au temple de M�moire;
» Mais V�nus et Bacchus n'en dirent pa un mot. »

Tant d'esprit et d'agr�ments �tait perdu aupr�s d'un homme tel que le roi de Su�de. Il refusa constamment de la voir. Elle prit le parti de se trouver sur con chemin dans les fr�quentes promenades qu'il faisait � cheval. Effectivement elle le rencontra un jour dans un sentier fort �troit; elle descendit de carosse d�s qu'elle l'aper�ut; le roi la sualua sans lui dire un seul mot, tourna la bride de son cheval, et s'en retourna dans l'instant: de sorte que la comtesse de Kœnigsmark ne remorta de son voyage que la satisfaction de pouvoir croire que le roi de Su�de ne redoutait qu'elle. »

{CL 32} Aurore de Kœnigsmark fut faite, sur ses vieux jours, b�n�ficiaire d'une abbaye protestante; la m�me abbaye de Quedlimbourg dont la princesse Am�lie de Prusse, sœur de Fr�d�ric le Grand et amante du c�l�bre et malheureux baron de Trenk, fut abbesse aussi par la suite. La Kœnigsmark mourut dans cette abbaye et y fut enterr�e. Il y a {LP 43} quelques ann�es, des journaux allemands ont publi� qu'on avait fait des fouilles dans les caveaux de l'abbaye de Quedlimbourg, et qu'on y avait trouv� les restes parfaitement embaum�s et intacts de l'abbesse Aurore, v�tue avec un grand luxe, d'une robe de brocart couverte de pierreries et d'un manteau de velours rouge doubl� de martre. Or j'ai dans ma chambre, � la campagne, le portrait de la dame encore jeune et d'une beaut� �clatante de ton af. On voit m�me qu'elle s'�tait fard�e ag pour poser devant le peintre. Elle est extr�mement brune, ce qui ne r�alise point l'id�e que nous nous faisons d'une beaut� du Nord. Ses cheveux noirs comme {LP 44} l'encre sont relev�s en arri�re par des agrafes ah de rubis, et son front lisse et d�couvert n'a rien de modeste; de grosses et rudes tresses tombent sur son sein; elle a la robe de brocart d'or couverte de pierreries et le manteau de {Lub 31} velours rouge garni de zibeline dont on l'a retrouv�e habill�e ai dans son cercueil. J'avoue que cette beaut� hardie et souriante ne me pla�t pas, et m�me que, depuis l'histoire de l'exhumation, le portrait me fait un peu peur, le soir, quand il me regarde avec ses yeux brillants. Il me semble qu'elle me dit alors: « de quelles billeves�es embarrasses-tu ta pauvre cervelle, rejeton d�g�n�r� de ma race orgueilleuse? De quelle chim�re d'�galit� remplis-tu tes r�ves? L'amour n'est pas ce que tu crois; les hommes ne seront jamais ce que tu esp�res. Ils ne sont faits que pour �tre tromp�s par les rois, par les femmes et par eux-m�mes. »

À c�t� d'elle est le portrait de son fils, Maurice de Saxe, {CL 33} beau pastel de Latour aj. Il a une cuirasse �blouissante et la t�te poudr�e, une belle et bonne figure qui semble toujours dire: « en avant, tambour battant, m�che allum�e! » et ne pas se soucier d'apprendre le fran�ais pour justifier son admission � l'acad�mie. Il ressemble � sa m�re, mais il est blond, d'un ton de peau assez fin; ses yeux bleus ont plus de douceur et son sourire plus de franchise.

Pourtant le chapitre de ses passions fit souvent {LP 45} tache ak � sa gloire, entre autres son aventure avec madame Favart, rapport�e avec tant d'�me et de noblesse dans la correspondance al de Favart. Une de ses derni�res affections fut pour Mademoiselle Verri�res*, dame de l'Op�ra, qui habitait avec sa sœur une petite maison des champs, aujourd'hui existante encore, et situ�e au nouveau centre de Paris, en pleine chauss�e-d'Antin. Mademoiselle Verri�res eut de leur liaison une fille, qui ne fut reconnue que quinze ans plus tard pour fille du mar�chal de Saxe, et autoris�e � porter son nom par un arr�t du parlement. Cette histoire est assez curieuse comme peinture des mœurs du temps. Voici ce que je trouve am � ce sujet dans un vieil ouvrage de jurisprudence:

* Son vrai nom �tait Marie Rinteau, et sa sœur s'appelait Genevi�ve. Le nom qu'elles prirent de demoiselles Verri�res an est un nom de guerre.

« la demoiselle Marie-Aurore, fille naturelle de Maurice, comte de Saxe, mar�chal g�n�ral des camps et arm�es de France, avait �t� baptis�e sous le nom de fille de Jean-Baptiste de La Rivi�re ao, bourgeois de Paris, et de Marie {Lub 32} Rinteau, sa femme. La demoiselle Aurore �tant sur le point de se marier, le sieur de Montglas avait �t� nomm� son tuteur par sentence du Ch�telet, du 3 mai 1766. Il y eut de la difficult� pour la publication des bans, la demoiselle Aurore ne voulant point consentir � �tre {LP 46} qualifi�e de fille du sieur La Rivi�re, encore moins de fille de {CL 34} p�re et m�re inconnus. La demoiselle Aurore pr�sente requ�te � la cour � l'effet d'�tre re�ue appelante de la sentence du Ch�telet. La cour, plaidant Me Th�tion pour la demoiselle Aurore, qui fournit la preuve compl�te, tant par la d�position du sieur Gervais, qui avait accouch� sa m�re, que par les personnes qui l'avaient tenue sur les fonts baptismaux, etc., qu'elle �tait fille naturelle du comte de Saxe et qu'il l'avait toujours reconnue pour sa fille; Me Massonnet pour le premier tuteur qui s'en rapportait � justice, sur les conclusions conformes de M. Joly de Fleury, avocat g�n�ral, rendit, le 4 juin 1766, un arr�t qui infirma la sentence du 3 mai pr�c�dent; �mendant, nomma Me Giraud, procureur en la cour, pour tuteur de la demoiselle Aurore, la d�clara “ en possession de l'�tat de fille naturelle de Maurice, comte de Saxe, la maintint et garda dans ledit �tat et possession d'icelui; ce faisant ordonna que l'acte baptistaire inscrit sur les registres de la paroisse de Saint-Gervais et Saint-Protais ap de Paris, � la date du 19 octobre 1748, ledit extrait contenant: Marie-aurore, fille pr�sent�e ledit jour � ce bapt�me par Antoine-Alexandre Colbert, marquis de Sourdis, et par Genevi�ve Rinteau, parrain et marraine, sera r�form�, et qu'au lieu des pr�noms de Jean-Baptiste de La Rivi�re, bourgeois de Paris, {LP 47} et de Marie Rinteau, sa femme, il sera apr�s le nom de Marie-Aurore, fille, ajout� ces mots: NATURELLE DE MAURICE, COMTE DE SAXE, mar�chal g�n�ral des camps et arm�es de France, et de Marie Rinteau; et ce par l'huissier de notre dite cour, porteur du pr�sent arr�t ”, etc.* aq. »

* Extrait de la Collection de d�cisions nouvelles et de notions relatives � la jurisprudence actuelle, par Me J.-B. Denisart ar, procureur au Ch�telet de Paris, tome III, page 704. — Paris, 1771 as.

Une autre preuve irr�cusable que ma grand'm�re e�t pu revendiquer devant l'opinion publique, c'est la ressemblance {CL 35} av�r�e qu'elle avait avec le mar�chal de Saxe, et l'esp�ce d'adoption que fit d'elle la dauphine, fille du {Lub 33} roi Auguste, ni�ce du mar�chal at, m�re de Charles X et de Louis XVIII. Cette princesse la pla�a � Saint-Cyr et se chargea de son �ducation et de son mariage, lui intimant d�fense de voir et fr�quenter sa m�re. 1

{Presse 8/10/54 1} À quinze ans, Aurore de Saxe sortit de Saint-Cyr pour �tre mari�e au comte de Horn*, b�tard de Louis XV, et lieutenant du roi au � Schelestadt. Elle le vit pour la premi�re fois la veille de son mariage et en eut grand'peur, croyant voir marcher le portrait du feu roi, auquel il ressemblait d'une mani�re effrayante. Il �tait seulement plus grand, plus beau, {LP 48} mais il avait l'air dur et insolent. Le soir du mariage, auquel assista l'abb� de Beaumont, mon grand-oncle (fils du duc de Bouillon et de mademoiselle Verri�res), un valet de chambre d�vou� vint dire au jeune abb�, qui �tait alors presque un enfant, d'emp�cher par tous les moyens possibles la jeune comtesse de Horn de passer la nuit avec son mari. Le m�decin av du comte de Horn fut consult�, et le comte lui-m�me entendit raison.

* Messire Antoine de Horn 2, chevalier de Saint-Louis, lieutenant pour le roi de la province de Schelestadt.

Il en r�sulta que Marie-Aurore de Saxe ne fut jamais que de nom l'�pouse de son premier mari; car ils ne se virent plus qu'au milieu des f�tes princi�res qu'ils re�urent en Alsace: garnison sous les armes, coups de canon, clefs de la ville pr�sent�es sur un plat d'or, harangues des magistrats, illuminations, grands bals � l'h�tel de ville, que sais-je? aw tout le fracas de vanit� par lequel le monde semblait vouloir consoler cette pauvre fille d'appartenir � un homme qu'elle n'aimait pas, qu'elle ne connaissait pas, et qu'elle devait fuir comme la mort.

Ma grand'm�re m'a souvent racont� l'impression que lui fit au sortir du clo�tre, toute la pompe de cette r�ception. {CL 36} Elle �tait dans un grand carrosse dor�, tir� par quatre ax chevaux blancs, monsieur son mari �tait � cheval avec un habit chamarr� tr�s-magnifique ay .Le bruit du canon faisait autant de peur � Aurore que la voix de son mari. Une seule {LP 49} chose l'enivra, c'est qu'on lui apporta � signer, avec autorisation royale, la gr�ce des prisonniers. Et tout aussit�t une vingtaine de {Lub 34} prisonniers sortirent des prisons d'État et vinrent la remercier. Elle se mit alors � pleurer, et peut-�tre la joie na�ve qu'elle ressentit lui fut-elle compt�e par la Providence, lorsqu'elle sortit de prison apr�s le 9 thermidor az.

Mais, peu de semaines apr�s son arriv�e en Alsace, au beau milieu d'une nuit de bal, M. le gouverneur disparut; madame la gouvernante dansait, � trois heures du matin, lorsqu'on vint lui dire tout bas que son mari la priait de vouloir passer ba un instant chez lui. Elle s'y rendit; mais, � l'entr�e de la chambre du comte, elle s'arr�ta interdite, se rappelant combien son jeune fr�re l'abb� lui avait recommand� de n'y jamais p�n�trer seule. Elle s'enhardit d�s qu'on ouvrit la chambre et qu'elle y vit de la lumi�re et du monde; le m�me valet qui avait parl� le jour du mariage soutenait en ce moment le comte de Horn dans ses bras. On l'avait �tendu sur son lit, un m�decin se tenait � c�t�. « monsieur le comte n'a plus rien � dire � madame la comtesse, s'�cria le valet de chambre en voyant para�tre ma grand'm�re; emmenez, emmenez madame! » elle ne vit qu'une grande main blanche qui pendait sur le bord du lit et qu'on releva vite pour donner au cadavre l'attitude convenable. Le {LP 50} comte de Horn venait d'�tre tu� en duel d'un grand coup d'�p�e.

Ma grand'm�re n'en sut jamais davantage. Elle ne pouvait gu�re rendre d'autre devoir � son mari que de porter son deuil; mort ou vivant, c'�tait toujours de l'effroi qu'il lui avait inspir�.

{CL 37} Je crois, si je ne me trompe, que la Dauphine vivait encore � cette �poque et qu'elle repla�a Marie-Aurore dans un couvent. Que ce f�t tout de suite ou peu apr�s, il est certain que la jeune veuve recouvra bient�t la libert� de voir sa m�re, qu'elle avait toujours aim�e, et qu'elle en profita avec empressement*.

* La Dauphine mourut en 1767; ma bb grand'm�re avait donc dix-neuf ans lorsqu'elle put aller vivre chez sa m�re.

Les demoiselles Verri�res vivaient toujours ensemble dans l'aisance bc, et menant m�me assez grand train, encore belles et assez �g�es bd pourtant pour �tre entour�es d'hommages d�sint�ress�s. Celle qui fut mon arri�re-grand'm�re �tait la plus intelligente et la plus aimable. {Lub 35} L'autre avait �t� superbe; je ne sais plus de quel personnage elle tenait ses ressources. J'ai ou� dire qu'on l'appelait la Belle et la B�te.

Elles vivaient agr�ablement, avec l'insouciance que le peu de s�v�rit� des mœurs de l'�poque leur permettait de conserver, et cultivant les muses, comme on disait alors. On jouait la com�die chez {L51} elles, M. de La Harpe be y jouait lui-m�me ses pi�ces encore in�dites bf. Aurore y fit le r�le de M�lanie avec un succ�s m�rit�. On s'occupait l� exclusivement de litt�rature et de musique. Aurore �tait d'une beaut� ang�lique, elle avait une intelligence sup�rieure, une instruction solide, � la hauteur des esprits les plus �clair�s de son temps; et cette intelligence fut cultiv�e et d�velopp�e encore bg par le commerce, la conversation et l'entourage de sa m�re. Elle avait, en outre, une voix magnifique, et je n'ai jamais connu de meilleure musicienne. On donnait aussi l'op�ra-comique chez sa m�re. Elle fit Colette dans le Devin bh du village, Az�mia dans les Sauvages, et tous les principaux r�les dans les op�ras de Gr�try et les pi�ces de Sedaine. Je l'ai entendue cent fois dans sa vieillesse chanter des airs de vieux ma�tres bi italiens, dont elle avait fait depuis sa nourriture la plus substantielle: Leo, Porpora, Hasse, Pergol�se, etc. {CL 38} Elle avait les mains paralys�es et s'accompagnait avec deux ou trois doigts seulement sur un vieux clavecin criard. Sa voix �tait chevrotante, mais toujours juste et �tendue; la m�thode et l'accent ne se perdent pas. Elle lisait toutes les partitions � livre ouvert, et jamais depuis je n'ai entendu mieux chanter ni mieux accompagner. Elle avait cette mani�re large bj, cette simplicit� carr�e, ce go�t pur et cette distinction de prononciation qu'on n'a plus, qu'on ne conna�t plus aujourd'hui. Dans mon {LP 52} enfance, elle me faisait dire avec elle un petit duetto italien, de je ne sais plus quel ma�tre:


Non mi dir, bel idol mio,
Non mi dir ch'io son ingrato. 3

Elle prenait la partie du t�nor, et quelquefois encore, quoiqu'elle e�t quelque chose comme soixante-cinq ans, sa voix s'�levait � une telle puissance d'expression et de charme qu'il m'arriva de rester court et de fondre en larmes en l'�coutant. Mais j'aurai � revenir sur ces {Lub 36} premi�res impressions musicales, les plus ch�res de ma vie. Je vais retourner maintenant sur mes pas et reprendre l'histoire de la jeunesse de ma ch�re bonne maman.

Parmi les hommes c�l�bres qui fr�quentaient la maison de sa m�re, elle connut particuli�rement Buffon et trouva dans son entretien un charme qui resta toujours frais dans sa m�moire. Sa vie fut riante et douce autant que brillante, � cette �poque. Elle inspirait � tous l'amour ou l'amiti�. J'ai nombre de poulets en vers fades que lui adress�rent les beaux esprits de l'�poque, un entre autres de La Harpe, ainsi tourn�:


Des C�sars � vos pieds je mets toute la cour*.
Recevez ce cadeau que l'Amiti� pr�sente,
  Mais n'en dites rien � l'Amour...
  Je crains trop qu'il ne me d�mente!

* Il lui envoyait sa traduction des Douze C�sars de Su�tone.

{LP 53; CL 39} Ceci est un �chantillon de la galanterie du temps. Mais Aurore traversa ce monde de s�ductions et cette foule d'hommages sans songer � autre chose qu'� cultiver les arts et � former son esprit. Elle n'eut jamais bk d'autre passion que l'amour maternel, et ne sut jamais ce que c'�tait qu'une aventure. C'�tait pourtant une nature tendre, g�n�reuse, et d'une exquise sensibilit�. La d�votion ne fut pas son frein. Elle n'en eut pas d'autre que celle du dix-huiti�me si�cle, le d�isme de Jean-Jacques Rousseau et de Voltaire. Mais c'�tait une �me ferme, clairvoyante, �prise particuli�rement d'un certain id�al de fiert� et de respect de soi-m�me. Elle ignora bl la coquetterie, elle �tait trop bien dou�e pour en avoir besoin, et ce syst�me de provocation blessait ses id�es et ses habitudes de dignit�. Elle traversa une �poque fort libre et un monde tr�s-corrompu sans y laisser une plume de son aile; et, condamn�e par un destin �trange � ne pas conna�tre l'amour dans le mariage, elle r�solut le grand probl�me de vivre calme et d'�chapper � toute malveillance, � toute calomnie.

Je crois qu'elle avait environ vingt-cinq ans lorsqu'elle perdit sa m�re. Mademoiselle Verri�res mourut un soir, au moment de se mettre au lit, sans �tre indispos�e le {Lub 37} moins du monde et en se plaignant seulement d'avoir un peu froid aux pieds. Elle s'assit devant le feu, et, tandis que sa femme de chambre lui faisait chauffer sa pantoufle, elle rendit l'esprit {LP 54} sans dire un mot ni exhaler un soupir. Quand la femme de chambre l'eut chauss�e, elle lui demanda si elle se sentait bien r�chauff�e, et, n'en obtenant pas de r�ponse, elle la regarda au visage et s'aper�ut que le dernier sommeil avait ferm� ses yeux. Je crois que dans ce temps-l�, pour certaines natures qui se trouvaient en harmonie compl�te avec l'humeur et les habitudes de leur milieu philosophique, tout �tait agr�able et facile, m�me de mourir.

{CL 40} Aurore se retira dans un couvent; c'�tait l'usage quand on �tait jeune fille ou jeune veuve, sans parents pour vous piloter � travers le monde. On s'y installait paisiblement, avec une certaine �l�gance, on y recevait des visites, on en sortait le matin, le soir m�me, avec un chaperon convenable. C'�tait une sorte de pr�caution contre la calomnie, une affaire d'�tiquette et de go�t.

Mais pour ma grand'm�re qui avait des go�ts s�rieux et des habitudes d'ordre, cette retraite fut utile et pr�cieuse. Elle y lut prodigieusement et entassa bm des volumes d'extraits et de citations que je poss�de encore, et qui me sont un t�moignage de la solidit� de son esprit et du bon emploi de son temps. Sa m�re ne lui avait laiss� que quelques hardes, deux ou trois bn portraits de famille, celui d'Aurore de Kœnigsmark entre autres, singuli�rement log� chez elle par le mar�chal de Saxe, beaucoup de madrigaux et de pi�ces de vers in�dits de ses amis {LP 55} litt�raires (lesquels vers in�dits m�ritaient bien de l'�tre), enfin, le cachet du mar�chal et sa tabati�re, que j'ai encore et qui sont d'un tr�s-joli travail. Quant � sa maison, � son th��tre et � tout son luxe de femme charmante, il est � croire que les cr�anciers se tenaient pr�ts � fondre dessus, mais que, jusqu'� l'heure sereine et insouciante de sa fin, la dame avait trop compt� sur leur bonne �ducation pour s'en tourmenter bo. {Presse 8/10/54 2} Les cr�anciers de ce temps-l� �taient, en effet, trop bien �lev�s bp. Ma grand'm�re n'eut pas le moindre d�sagr�ment � subir de leur part; mais elle se trouva r�duite � une petite pension de la Dauphine, qui m�me manqua tout d'un coup un beau jour. Ce fut � cette occasion qu'elle �crivit � {Lub 38} Voltaire et qu'il lui r�pondit une lettre charmante, dont elle se servit aupr�s de la duchesse de Choiseul* bq.

* Voici la lettre de ma grand'm�re, et la r�ponse:

À M. de Voltaire, 24 ao�t 1768.

C'est au chantre de Fontenoi que la fille du mar�chal de Saxe {CL 41} s'adresse pour obtenir du pain. J'ai �t� reconnue; madame la Dauphine br a pris soin de mon �ducation apr�s la mort de mon p�re. Cette princesse m'a retir�e de Saint-Cyr pour me marier � M. de Horn, chevalier de Saint-Louis et capitaine au r�giment de Royal-Bavi�re. Pour ma dot, elle a obtenu la lieutenance de roy de Schelestadt. Mon mari, en arrivant dans cette place, au milieu des f�tes qu'on nous y donnait, est mort subitement. Depuis, la mort m'a enlev� mes protecteurs, monsieur le Dauphin et madame la Dauphine bs.

Fontenoi, Raucoux, Laufeld sont oubli�s. Je suis d�laiss�e. {LP 56} J'ai pens� que celui qui a immortalis� les victoires du p�re s'int�resserait aux malheurs de la fille. C'est � lui qu'il appartient d'adopter les enfants du h�ros et d'�tre mon soutien, comme il est celui de la fille du grand Corneille. Avec cette �loquence que vous avez consacr�e � plaider la cause des malheureux, vous ferez retentir dans tous les cœurs le cri de la piti�, et vous acquerrez autant de droits sur ma reconnaissance, que vous en avez d�j� sur mon respect et sur mon admiration pour vos talents sublimes.

R�ponse.

2 7bre 1768, au ch�teau de Ferney.        

        Madame,

J'irai bient�t rejoindre le h�ros votre p�re et je lui aprendrai avec indignation l'�tat o� est sa fille. J'ai eu l'honneur de vivre {CL 42} beaucoup avec lui; il daignait avoir de la bont� pour moi. C'est un des malheurs qui m'accablent dans ma vieillesse, de voir que la fille du h�ros de la France n'est pas {LP 57} heureuse en France. Si j'�tais � votre place, j'irais me pr�senter � madame la duchesse de Choiseul. Mon nom me ferait ouvrir les portes � deux battants, et madame la duchesse de Choiseul, dont l'�me est juste, noble et bienfesante, ne laisserait pas passer une telle occasion de faire du bien. C'est le meilleur conseil que je puisse vous donner, et je suis s�r du succ�s quand vous parler�s. Vous m'av�s fait, sans doute, trop d'honneur, Madame, quand vous av�s pens� qu'un vieillard moribond, pers�cut� et retir� du monde, serait ass�s heureux pour servir la fille de monsieur le mar�chal de Saxe. Mais vous m'av�s rendu justice {Lub 39} en ne doutant pas du vif int�r�t que je dois prendre � la fille d'un si grand homme.

J'ai l'honneur d'�tre avec respect,

Madame,

        Votre tr�s-humble et tr�s-ob�issant serviteur,

VOLTAIRE, gentilhomme orde de
        la chambre du Roy.

{LP 56; CL 41; Lub 39} Mais il est probable bt que cela ne r�ussit point, car Aurore se d�cida, vers l'�ge de trente ans bu, � �pouser M. Dupin de Francueil, mon grand-p�re, qui en avait alors soixante-deux.

bvM. Dupin de Francueil, le m�me que Jean-Jacques Rousseau, dans ses M�moires, et madame d'Épinay, dans sa Correspondance, d�signent sous le nom de Francueil seulement, �tait l'homme charmant par excellence, comme on l'entendait au si�cle dernier. Il n'�tait point de haute noblesse, �tant fils de M. Dupin, fermier g�n�ral, qui avait quitt� l'�p�e pour la finance. Lui-m�me �tait receveur g�n�ral {LP 57} � l'�poque o� il �pousa ma grand'm�re. C'�tait une famille bien apparent�e et ancienne, ayant quatre in-folio de lignage bien �tabli par grimoire h�raldique, avec vignettes colori�es, fort jolies bw. Quoi qu'il en soit, ma grand'm�re {CL 42} h�sita longtemps � faire cette alliance, non que l'�ge de M. Dupin f�t une objection capitale, mais parce que son entourage, � elle, le tenait pour un trop petit personnage � mettre en regard de Mademoiselle de Saxe, comtesse de Horn. Le pr�jug� c�da devant des consid�rations de fortune, M. Dupin �tant fort riche � cette �poque. Pour ma grand'm�re, l'ennui {LP 58} d'�tre s�questr�e au couvent dans le plus bel �ge de sa vie, les soins assidus, la gr�ce, l'esprit et l'aimable caract�re de son vieux adorateur, eurent plus de poids que l'app�t des richesses; apr�s deux ou trois ans d'h�sitation, durant lesquels il ne passa pas un jour sans venir au parloir d�jeuner et causer avec elle, elle couronna son amour et devint madame Dupin*.

* Il para�trait qu'il y eut quelque opposition, je ne sais de quelle part, car ils all�rent se marier en Angleterre, dans la chapelle de l'ambassade, et firent ratifier ensuite leur union � Paris.

Elle m'a souvent parl� de ce mariage si lentement pes� et de ce grand-p�re que je n'ai pas connu. Elle m'a {Lub 40} dit bx {CL 43} que pendant dix ans qu'ils v�curent ensemble, il fut, avec son fils, la plus ch�re affection de sa vie; et bien qu'elle n'employ�t jamais le mot d'amour, que je n'ai jamais entendu sortir de ses l�vres � propos de lui ni de personne by, elle souriait quand elle m'entendait dire qu'il me paraissait impossible d'aimer un vieillard. « Un vieillard aime plus qu'un jeune homme, disait-elle, et il est impossible de ne pas aimer qui vous aime bz parfaitement. Je l'appelais mon vieux mari et mon papa. Il le voulait ainsi et ne m'appelait jamais que sa fille, m�me en public. Et puis, ajoutait-elle, est-ce qu'on �tait jamais vieux dans ce temps-l�! C'est la r�volution qui a amen� la vieillesse dans le monde. Votre grand-p�re, ma fille, a �t� ca beau, {LP 59} �l�gant, soign�, gracieux, parfum�, enjou�, aimable, affectueux et d'une humeur �gale jusqu'� l'heure de sa mort. Plus jeune, il avait �t� trop aimable pour avoir une vie aussi calme et je n'eusse peut-�tre pas �t� aussi heureuse avec lui, on me l'aurait trop disput�. Je suis convaincue que j'ai eu le meilleur �ge de sa vie, et que jamais jeune homme n'a rendu une jeune femme aussi heureuse que je le fus; nous ne nous quittions pas d'un instant, et jamais je n'eus un instant d'ennui aupr�s de lui. Son esprit �tait une encyclop�die d'id�es, de connaissances et de talents qui ne s'�puisa jamais pour moi. Il avait le don de savoir toujours s'occuper d'une mani�re agr�able pour les autres autant que pour lui-m�me. Le jour il faisait de la musique avec moi; il �tait excellent violon, et faisait ses violons lui-m�me, car il �tait luthier, outre qu'il �tait horloger, architecte, tourneur, peintre, serrurier, d�corateur, cuisinier, po�te, compositeur de musique, menuisier et qu'il brodait � merveille. Je ne sais pas ce qu'il n'�tait pas. Le malheur, c'est qu'il mangea sa fortune � satisfaire tous ces instincts divers, et � exp�rimenter toutes choses; mais je n'y vis que du feu, et nous nous {CL 44} ruin�mes le plus aimablement du monde. Le soir, quand nous n'�tions pas en f�te, il dessinait � c�t� de moi tandis que je faisais du parfilage, et nous nous faisions la {LP 60} lecture � tour de r�le; ou bien quelques amis charmants nous entouraient et tenaient en haleine son esprit fin et f�cond par une agr�able causerie. J'avais pour amies de jeunes femmes mari�es d'une fa�on plus splendide, et qui pourtant ne se lassaient pas de me dire qu'elles m'enviaient bien cb mon vieux mari.

{Lub 41} » C'est qu'on savait vivre et mourir dans ce temps-l�, disait-elle encore; on n'avait pas d'infirmit�s importunes. Si on avait la goutte, on marchait quand m�me et sans faire la grimace: on se cachait de souffrir par bonne �ducation. On n'avait pas ces pr�occupations d'affaires qui g�tent l'int�rieur et rendent l'esprit �pais. On savait se ruiner sans qu'il y par�t, comme de beaux joueurs qui perdent sans montrer d'inqui�tude et de d�pit cc. On se serait fait porter demi-mort � une partie de chasse. On trouvait qu'il valait mieux mourir au bal ou � la com�die que dans son lit, entre quatre cierges et de vilains hommes noirs. On �tait philosophe, on ne jouait pas l'aust�rit�, on l'avait parfois sans en faire montre. Quand on �tait sage, c'�tait par go�t, et sans faire le p�dant ou la prude. On jouissait de la vie, et, quand l'heure de la perdre �tait venue, on ne cherchait pas � d�go�ter les autres de vivre. Le dernier adieu de mon vieux mari fut de m'engager � lui survivre longtemps et � me faire une vie heureuse. {LP 61} C'�tait la vraie mani�re de se faire regretter que de montrer un cœur si g�n�reux. »

Certes, elle �tait agr�able et s�duisante, cette philosophie de la richesse, de l'ind�pendance, de la tol�rance et de l'am�nit�; mais il fallait cinq ou six cent mille livres de rente pour la soutenir, et je ne vois pas trop comment en pouvaient profiter les mis�rables et les opprim�s.

{CL 45} Elle �choua, cette philosophie, devant les expiations r�volutionnaires, et les heureux du pass� n'en gard�rent que l'art de savoir monter avec gr�ce sur l'�chafaud, ce qui est beaucoup, j'en conviens; mais ce qui les aida � montrer cette derni�re vaillance, ce fut le profond d�go�t d'une vie o� ils ne voyaient plus le moyen de s'amuser, et l'effroi d'un �tat social o� il fallait admettre, au moins en principe, le droit de tous au bien-�tre et au loisir.

Avant d'aller plus loin, je parlerai d'une illustration qui �tait dans la famille de M. Dupin, illustration vraie et l�gitime, mais dont ni mon grand-p�re ni moi n'avons � revendiquer l'honneur et le profit intellectuel. Cette illustration, c'�tait madame Dupin de Chenonceaux, � laquelle je ne tiens en rien par le sang, puisqu'elle �tait seconde femme de M. Dupin le fermier g�n�ral, et par cons�quent belle-m�re de M. Dupin de Francueil. Ce n'est pas une raison pour que je n'en parle pas. Je dois {Lub 42} d'autant plus le faire que, malgr� la r�putation d'esprit et de {LP 62} charme dont elle a joui, et les �loges que lui ont accord�s ses contemporains, cette femme remarquable n'a jamais voulu occuper dans la r�publique des lettres s�rieuses la place qu'elle m�ritait cd.

Elle �tait Mademoiselle de Fontaines, et passa pour �tre la fille de Samuel Bernard, du moins Jean-Jacques Rousseau le rapporte. Elle apporta ce une dot consid�rable � M. Dupin; je ne me souviens plus lequel des deux poss�dait en propre la terre de Chenonceaux, mais il est certain qu'� eux deux ils r�alis�rent une immense fortune. Ils avaient pour pied-�-terre � Paris l'h�tel Lambert, et pouvaient se piquer d'occuper tour � tour deux des plus belles r�sidences du monde.

On sait comment Jean-Jacques Rousseau devint secr�taire de M. Dupin, et habita Chenonceaux avec eux, comment il devint amoureux de madame Dupin, qui �tait belle comme un ange, et comment il risqua imprudemment une d�claration {CL 46} qui n'eut pas de succ�s. Il conserva n�anmoins des relations d'amiti� avec elle et avec son beau-fils Francueil.

Madame Dupin cultivait les lettres et la philosophie sans ostentation et sans attacher son nom aux ouvrages de son mari, dont cependant elle aurait pu, j'en suis certaine, revendiquer la meilleure partie et les meilleures id�es. Leur critique �tendue de l'esprit des lois est un tr�s-bon ouvrage peu connu cf et peu appr�ci�, inf�rieur par la forme � celui {LP 63} de Montesquieu, mais sup�rieur dans le fond � beaucoup d'�gards, et, par cela m�me qu'il �mettait cg dans le monde des id�es plus avanc�es, il dut passer inaper�u � c�t� du g�nie de Montesquieu, qui r�pondait � toutes les tendances et � toutes les aspirations politiques du moment*.

* Cet ouvrage ne se r�pandit gu�re. Madame de Pompadour, qui prot�geait Montesquieu, obtint de M. Dupin qu'il an�antirait son livre, bien qu'il f�t d�j� imprim� et publi� ch, J'ai pourtant le bonheur d'en avoir un exemplaire qui s'est conserv� entre nos mains. Sans aucune pr�vention, ni amour-propre de famille, c'est un tr�s bon livre, d'une critique serr�e qui rel�ve toutes les contradictions de L'Esprit des lois, et pr�sente de temps � autre des aper�us beaucoup plus �lev�s sur la l�gislation et la morale des nations.

M. et madame Dupin travaillaient ci � un ouvrage sur le m�rite des femmes, lorsque Jean-Jacques v�cut cj {Lub 43} aupr�s d'eux. Il les aidait � prendre des notes et � faire des recherches, et il entassa � ce sujet des {Presse 8/10/54 3} mat�riaux consid�rables qui subsistent encore � l'�tat de manuscrits au ch�teau de Chenonceaux. L'ouvrage ne fut point ex�cut� ck, � cause de la mort de M. Dupin, et madame Dupin, par modestie, ne publia jamais ses travaux. Certains r�sum�s de ses opinions, �crits de sa propre main, sous l'humble titre d'Essais, m�riteraient pourtant de voir le jour, ne f�t-ce que comme document historique � joindre � l'histoire philosophique du si�cle dernier. Cette aimable femme est de la famille des beaux et bons {LP 64} esprits de son temps, et il {CL 47} est peut-�tre beaucoup � regretter qu'elle n'ait pas consacr� sa vie � d�velopper et � r�pandre la lumi�re qu'elle portait dans son cœur.

Ce qui lui donne une physionomie tr�s-particuli�re et tr�s-originale au milieu de ces philosophes, c'est qu'elle est plus avanc�e que la plupart d'entre eux. Elle n'est point l'adepte de Rousseau. Elle n'a pas le talent de Rousseau; mais il n'a pas, lui, la force et l'�lan de son �me. Elle proc�de d'une autre doctrine plus hardie et plus profonde, plus ancienne dans l'humanit�, et plus nouvelle en apparence au dix-huiti�me si�cle; elle est l'amie, l'�l�ve ou le ma�tre (qui sait?) d'un vieillard r�put� extravagant, g�nie incomplet cl, priv� du talent de la forme, et que je crois pourtant plus �clair� int�rieurement de l'esprit de Dieu que Voltaire, Helv�tius, Diderot et Rousseau lui-m�me: je parle de l'abb� de Saint-Pierre, qu'on appelait alors dans le monde le fameux abb� de Saint-Pierre, qualification ironique dont on lui fait gr�ce aujourd'hui qu'il est � peu pr�s inconnu et oubli�.

Il est des g�nies malheureux cm auxquels l'expression manque et qui, � moins de trouver un Platon pour les traduire au monde, tracent de p�les �clairs dans la nuit des temps, et emportent dans la tombe le secret de leur intelligence, l'inconnu de leur m�ditation, comme disait un membre de cette grande {LP 65} famille de muets ou de b�gues illustres, Geoffroy Saint-Hilaire.

Leur impuissance semble un fait fatal, tandis que la forme la plus claire et la plus heureuse se trouve d�partie souvent � des hommes de courtes id�es et de sentiments froids. Pour mon compte cn, je comprends fort bien que madame Dupin ait pr�f�r� les utopies de l'abb� de Saint-Pierre aux doctrines anglomanes de Montesquieu. Le {Lub 44} grand Rousseau n'eut pas autant de courage moral et de libert� d'esprit que cette femme g�n�reuse. Charg� par elle de {CL 48} r�sumer le projet de paix perp�tuelle de l'abb� de Saint-Pierre et la polysynodie, il le fit avec la clart� et la beaut� de sa forme; mais il avoue avoir cru devoir passer les traits les plus hardis de l'auteur; et il renvoie au texte les lecteurs qui auront le courage d'y puiser eux-m�mes.

J'avoue que je n'aime pas beaucoup le syst�me d'ironie adopt� par Jean-Jacques Rousseau � l'�gard des utopies de l'abb� de saint-Pierre, et les m�nagements qu'il croit devoir feindre avec les puissances de son temps. Sa feinte, d'ailleurs, est trop habile ou trop maladroite; ou ce n'est pas de l'ironie assez �vidente, et par l� elle perd de sa force, ou elle n'est pas assez d�guis�e, et par l� elle perd de sa prudence et de son effet. Il n'y a pas d'unit�, il n'y a pas de fixit� dans les jugements de Rousseau sur le philosophe de Chenonceaux; selon les �poques de {LP 66} sa vie o� les d�go�ts de la pers�cution l'abattent plus ou moins lui-m�me, il le traite de grand homme ou de pauvre homme. En de certains endroits des Confessions, on dirait qu'il rougit de l'avoir admir�. Rousseau a tort. Pour manquer de talent, on n'est pas un pauvre homme. Le g�nie vient du cœur et ne r�side pas dans la forme. Et puis, la critique principale qu'il lui adresse avec tous les critiques co de son temps, c'est de n'�tre point un homme pratique et d'avoir cru � la r�alisation de ses r�formes sociales. Il me semble pourtant que ce r�veur a vu plus clair que tous ses contemporains, et qu'il �tait beaucoup plus pr�s des id�es r�volutionnaires cp, constitutionnelles, saint-simoniennes, et m�me de celles qu'on appelle aujourd'hui humanitaires, que son contemporain Montesquieu et ses successeurs Rousseau, Diderot, Voltaire, Helv�tius, etc.

Car il y a eu de tout dans le vaste cerveau de l'abb� de Saint-Pierre, et, dans cette esp�ce de chaos de sa pens�e, on trouve entass�es p�le-m�le toutes les id�es dont chacune a d�fray� la vie enti�re d'hommes tr�s-forts cq. Certainement, {CL 49} Saint-Simon proc�de de lui, madame Dupin, son �l�ve, et M. Dupin, dans la Critique de l'Esprit des lois, sont ouvertement �mancipateurs de la femme. Les divers essais de gouvernement qui se sont produits depuis cent ans, les principaux actes de la diplomatie europ�enne, et les simulacres de conseils {LP 67} princiers qu'on appelle alliances, ont emprunt� aux th�ories {Lub 45} gouvernementales de l'abb� de Saint-Pierre des semblants (menteurs, il est vrai) de sagesse et de moralit�. Quant � la philosophie de la paix perp�tuelle, elle est dans l'esprit des plus nouvelles �coles philosophiques cr.

Il serait donc fort ridicule aujourd'hui de trouver l'abb� de Saint-Pierre ridicule, et de parler sans respect de celui que ses d�tracteurs m�mes appelaient l'homme de bien par excellence. N'e�t-il conserv� que ce titre pour tout bagage dans la post�rit�, c'est quelque chose de plus que celui de plus d'un grand homme cs de son temps.

Madame Dupin de Chenonceaux aima religieusement cet homme de bien, partagea ses id�es, embellit sa vieillesse par des soins touchants et re�ut � Chenonceaux son dernier soupir. J'y ai vu, dans la chambre m�me o� il rendit � Dieu son �me g�n�reuse, un portrait de lui fait peu de temps auparavant. Sa belle figure, � la fois douce et aust�re, a une certaine ressemblance de type avec celle de Fran�ois Arago. Mais l'expression est autre, et d�j�, d'ailleurs, les ombres de la mort ont envahi ce grand œil noir creus� par la souffrance, ces joues p�les d�vast�es par les ann�es*.

* J'ai commis ici une petite erreur de fait que mon cousin M. de Villeneuve, h�ritier de Chenonceaux et de l'histoire {LP 68} de madame Dupin, me signale. L'abb� de Saint-Pierre mourut � Paris, mais bien peu de temps apr�s avoir fait une maladie grave � Chenonceaux.

(Note de 1850.)        

{LP 68} Madame Dupin a laiss� � Chenonceaux quelques �crits {CL 50} fort courts, mais tr�s-pleins d'id�es nettes et de nobles sentiments. Ce sont, en g�n�ral, des pens�es d�tach�es, mais dont le lien est tr�s-logique. Un petit trait� du bonheur, en quelques pages, nous a paru un chef-d'œuvre. Et, pour en faire comprendre la port�e philosophique, il nous suffit d'en transcrire les premiers mots: Tous les hommes ont un droit �gal au bonheur textuellement: « Tous les hommes ont un droit �gal au plaisir. » mais il ne faut pas que ce mot plaisir, qui a sa couleur locale comme un trumeau de chemin�e, fasse �quivoque et soit pris pour l'expression d'une pens�e de la r�gence. Non, son v�ritable sens est un bonheur mat�riel, jouissance de la vie, bien-�tre, r�partition des biens, comme on dirait aujourd'hui. Le titre de l'ouvrage, l'esprit chaste et s�rieux dont il est empreint, ne peuvent laisser aucun doute sur le sens {Lub 46} moderne de cette formule �galitaire qui correspond � celle-ci: À chacun suivant ses besoins. C'est une id�e assez avanc�e, je crois, tellement avanc�e, qu'aujourd'hui encore elle l'est trop pour la cervelle prudente de la plupart de nos penseurs et de nos {LP 69} politiques, et qu'il a fallu � l'illustre historien ct Louis Blanc un certain courage pour la proclamer et la d�velopper*.

* J'�cris ceci en juillet 1847. Qui sait si avant la publication de ces M�moires un bouleversement social n'aura pas cr�� beaucoup de penseurs tr�s-courageux?

Belle et charmante, simple, forte cu et calme, madame Dupin finit ses jours � Chenonceaux dans un �ge tr�s-avanc�. La forme de ses �crits est aussi limpide que son �me, aussi d�licate, souriante et fra�che que les traits de son visage. Cette forme est sienne, et la correction �l�gante n'y nuit point � l'originalit�. Elle �crit la langue de son temps, mais elle a le tour de Montaigne, le trait de Bayle, et l'on voit que cette belle dame cv n'a pas craint de secouer la poussi�re des vieux ma�tres. Elle ne les {CL 51} imite pas, mais elle se les est assimil�s, comme un bon estomac nourri de bons aliments.

Il faut encore dire � sa louange que, de tous les anciens amis d�laiss�s et soup�onn�s par la douloureuse vieillesse de Rousseau, elle est peut-�tre la seule � laquelle il rende justice dans ses Confessions, et dont il avoue les bienfaits sans amertume. Elle fut bonne, m�me � Th�r�se Levasseur et � son indigne famille. Elle fut bonne � tous, et r�ellement estim�e; car l'orage r�volutionnaire entra dans le royal manoir de Chenonceaux et respecta {LP 70} les cheveux blancs de la vieille dame. Toutes les mesures de rigueur se born�rent � la confiscation de quelques tableaux historiques dont elle fit le sacrifice de bonne gr�ce aux exigences du moment. Sa tombe, simple et de bon go�t, repose dans le parc de Chenonceaux sous de m�lancoliques et frais ombrages. Touriste qui cueillez religieusement les feuilles de ces cypr�s, sans autre motif que de rendre hommage � la vertueuse beaut� aim�e de Jean-Jacques, sachez qu'elle a droit � plus de respect encore. Elle a consol� cw la vieillesse de l'homme de bien de son temps; elle a �t� son disciple; elle a inspir� � son propre mari la th�orie du respect pour son sexe; grand hommage rendu � la sup�riorit� douce et modeste de son intelligence. Elle {Lub 47} a fait plus encore, elle a compris, elle, riche, belle et puissante, que tous les hommes avaient droit au bonheur. Honneur donc � celle qui fut belle comme la ma�tresse d'un roi, sage comme une matrone, �clair�e comme un vrai philosophe, et bonne comme un ange!

Une noble amiti� qui fut calomni�e, comme tout ce qui est naturel et bon dans le monde, unissait Francueil � sa belle-m�re. Certes ce dut �tre pour lui un titre de plus � l'affection et � l'estime que ma grand'm�re porta � son vieux mari. Le commerce d'une belle-m�re comme la premi�re madame Dupin, et celui d'une �pouse comme la {CL 52} seconde, {LP 71} doivent imprimer cx un reflet de pure lumi�re sur la jeunesse et sur la vieillesse d'un homme. Les hommes doivent aux femmes plus qu'aux autres hommes ce qu'ils ont de bon ou de mauvais dans les hautes r�gions de l'�me, et c'est sous ce rapport qu'on pourrait leur dire: dis-moi qui tu aimes, et je te dirai qui tu es. Un homme pourrait vivre plus ais�ment dans la soci�t� cy avec le m�pris des femmes qu'avec celui des hommes; mais devant Dieu, devant les arr�ts de la justice qui voit tout et qui sait tout, le m�pris des femmes lui serait beaucoup plus pr�judiciable. Ce serait peut-�tre ici le pr�texte d'une digression, je pourrais citer quelques excellentes pages de M. Dupin, mon arri�re-grand-p�re, sur l'�galit� de rang de l'homme et de la femme dans les desseins de Dieu et dans l'ordre de la nature. Mais j'y reviendrai plus � propos et plus longuement dans le r�cit de ma propre vie. 4


Variantes

  1. Les titres de parties n'apparaissent qu'avec {CL}.
  2. Chap. 2 [4. De la naissance et du libre-arbitre ray�] {Ms}CHAPITRE DEUXIÈME {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ II {CL}
  3. comme si [l'ouvrier ray�] l'artisan {Ms}
  4. le titre [auguste ray�] sacr� {Ms}
  5. les p�res [v�ritables ray�] l�gitimes {Ms}
  6. �crit [derni�rement ray� bleu] dans le Piccinino {Ms}
  7. et je n'ai fait {Ms} ♦ et je n'ai peut-�tre fait {Presse} et sq.
  8. m�connu et sacrifi� {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ m�connu est sacrifi� {LP} ♦ m�connu et sacrifi� {CL}
  9. À ce propos (et ce sera {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ À ce propos (ce sera {LP} et sq.
  10. transmis, [deviendra ray�] sera {Ms}
  11. ont [bien senti ray�] cru {Ms}
  12. sans cela. / [L'Église ray�] L'ancienne th�ologie {Ms}
  13. de [sa propre ray�] [l'incapacit� des ray�] l'insuffisance {Ms}
  14. tentation de Satan {Ms}, {Presse} ♦ tentations de Satan {Lecou} et sq.
  15. du diable [qui ne font qu'un ray�], qui doit c�der, {Ms}
  16. Rousseau croyait {Ms}Rousseau pensait {Presse} ♦ Rousseau croyait {Lecou} et sq.
  17. fatalit� [de l'existence de l'individu ray�] {Ms}
  18. th�ologie [jusqu'� Luther ray�] durant {Ms}
  19. par la foi. / Mais le pass�, mais le pr�sent? L'industrie seule progresse, un peu la science naturelle; le r�gne de la mati�re nous arrive, le r�gne de Dieu s'�loigne! / Oui, vous avez raison. D�barass�s [sic] d'une foi erron�e nous sommes pires que lorsque nous l'avions, tant il est vrai que nous ne pouvons nous passer de foi. L'homme fuyant la pr�sence de Dieu, c'est Cain tuant son fr�re Abel. L'homme sans doctrine, sans dogme, sans id�al, sans communication avec la pens�e de Dieu, sans commerce avec le ciel, est �gar�, incomplet, malade, fou, � demi-mort. / Mais ce mal passera, il a �t� produit en nous par l'horreur du dogme de l'enfer auquel l'esprit humain se refuse, et par la tyrannie. Devant cet {Ms} ♦ par la foi. / Devant cet {Presse} et sq.
  20. jouent [un si petit ray�] le moindre r�le, et les r�flexions {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ jouent le moindre r�le, les r�flexions {LP} et sq.
  21. v�tres. [Discutez et choisissez ray�]. Pesez {Ms}
  22. que de [la discussion ray�] l'examen {Ms}
  23. respect et l'id�e de solidarit� {Ms} ♦ respect et la solidarit� {Presse} et sq.
  24. nourrice, ces vieilles {Ms} ♦ nourrice les vieilles {Presse} et sq.
  25. beaux [embl�mes ray�] attributs {Ms}
  26. honneur. [Laissez tomber dans le n�ant de l'inconnu si bon vous s... ray�] {Ms}
  27. [5. / Fr�d�ric-Auguste — Aurore de Kœnigsmark — Maurice de Saxe et Aurore de Saxe ray�] {Ms}
  28. coquette [qui alla au devant de Charles XII pour ray�] {Ms}
  29. [moins d�bauch� ray�] un peu moins d�bauch� {Ms} ♦ mais non moins d�bauch� {Presse} et sq.
  30. S�nat {Lub}
  31. �tait d�licate; {Ms}�tait tr�s-d�licate; {Presse} ♦ �tait d�licate; {Lecou}
  32. �clatante [quoique sans noblesse et m�me ray�] [plus que ray�] de ton et de vivacit� plus que de lignes et de distinction. {Ms} ♦ �clatante de ton. {Presse} et sq.
  33. On voit qu'elle s'�tait [tr�s ray�] fard�e {Ms} ♦ On voit m�me qu'elle s'�tait fard�e {Presse} et sq.
  34. l'encre [boucl�s derri�re ray�] sont relev�s en arri�re [ce qui ray�] par des agraffes {Ms}
  35. retrouv�e [r�cemment ray�] habill�e {Ms}
  36. Saxe, [peint par ray�], beau pastel de Latour. {Ms}
  37. franchise. / [En somme on aime cet homme-l� ray� bleu] Il ne fut jamais mari� et le chapitre de ses amours fit souvent {Ms} ♦ franchise. / Pourtant le chapitre de ses passions fit souvent {Presse} et sq.
  38. dans [les M�moires ray�] la correspondance {Ms}
  39. Depuis Voici ce que je trouve... jusqu'� la fin de la citation de l'arr�t ({Lub} 32), le texte de {Ms} est une copie, de la main d'Émile Aucante, semble-t-il. (note de Georges Lubin)
  40. demoiselles de Verri�res {Ms} ♦ demoiselles Verri�res {Presse} et sq.
  41. Jean-Baptiste de la Rivi�re {CL} ♦ Jean-Baptiste de La Rivi�re {Lub} que nous suivons; de m�me deux fois quelques lignes plus loin, marqu�es du signe derri�re le nom
  42. la paroisse de Saint-Gervais-et-Saint-Protais ♦ la paroisse de Saint-Gervais et Saint-Protais {Lub} que nous suivons
  43. arr�t, etc. » [Il r�sulte de cet �trange proc�s que la dite Aurore de Saxe, ma grand'm�re, pourrait bien n'�tre pas la fille de Maurice de Saxe, mais cela ne me g�ne pas ray�] {Ms}. Ces lignes sont fortement ratur�es, et la phrase qui les remplace (de Une autre preuve ..., ... opinion publique) est d'une �criture plus tardive.
  44. J. B. Denisart {Lub}
  45. t. III, p. 704, Paris, 1771 {Lub}
  46. sœur du mar�chal {Ms} ♦ ni�ce du mar�chal {Presse} et sq.
  47. et [gouverneur de Strasbourg ray�] lieutenant de roi {Ms} ♦ et lieutenant du roi {Presse} et sq.
  48. mari. [On m'a racont� ray�] [J'ai entendu raconter cette histoire � demi-voix, � demi-mot dans mon enfance, � mon grand-oncle l'abb�, qui se vantait d'avoir �t� courageux et ferme plus que son �ge ne le comportait alors, et d'avoir r�ussi � pr�server sa sœur d'un grand danger. Il en �tait bien capable. C'�tait l'homme le plus franc, le plus [gracieux RAYE] brave en m�me temps que le plus aimable et le mieux dou� de la nature. Je n'ai jamais vu d'aussi beau vieillard, et il parait que les dames l'avaient appr�ci� encore mieux dans sa jeunesse. Il ajoutait, dans son r�cit � l'oreille de ma m�re (les enfans ont l'oreille fine!) qu'un m�decin du comte de Horn s'en �tait m�l�, que le comte lui-m�me avait entendu raison. Enfin je crois que je comprends assez bien maintenant ray� bleu] Le m�decin {Ms}
  49. � l'h�tel de ville; que sais-je? {Lub}
  50. tir� de quatre {Ms} ♦ tir� par quatre {Presse} et sq.
  51. tr�s-magnifique {Ms}tr�s magnifiquement {Presse} ♦ tr�s-magnifique {Lecou} et sq.
  52. thermidor [la veille de l'ex�cution de sa sentence de mortray�] {Ms}
  53. de vouloir bien passer {Ms} ♦ de vouloir passer {Presse} et sq.
  54. en 1767. Ma {Lub}
  55. dans [une grande ray�] l'aisance {Ms}
  56. belles et [entour�es ray�] assez �g�es {Ms}
  57. M. de la Harpe {CL} ♦ M. de La Harpe {Lub} que nous suivons
  58. ses pi�ces in�dites {Ms} ♦ ses pi�ces encore in�dites {Presse} et sq.
  59. d�velopp�e [de tr�s bonne heure ray�] encore {Ms}
  60. Le Devin {Lub}; de m�me ensuite Les Sauvages
  61. airs des vieux ma�tres {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ airs de vieux ma�tres {LP} et sq.
  62. mani�re [pure et ray�] large {Ms}
  63. Elle n'a jamais eu {Ms} ♦ Elle n'eut jamais {Presse} et sq.
  64. de soi-m�me [et d'habitudes dignes et s�rieuses ray�]. Elle ignora {Ms}
  65. et y entassa {Ms} ♦ et entassa {Presse}
  66. hardes, [cinq ou six ray�] deux ou trois {Ms}
  67. pour [ne point venir la ray�] s'en tourmenter {Ms}
  68. fort bien �lev�s {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ trop bien �lev�s {CL} ♦ fort bien �lev�s {Lub} (r�tablissant la 1�re le�on)
  69. � Voltaire pour le prier de parler pour elle � Mr de Choiseul et qu'il lui r�pondit une lettre charmante, en lui promettant de s'y employer {Ms} ♦ � Voltaire [...] la duchesse de Choiseul {Presse} et sq.
  70. Madame la Dauphine {Lub}
  71. Monsieur le Dauphin et Madame la Dauphine {Lub}
  72. Mais s'il le fit, je l'ignore; et il est probable {Ms} ♦ Mais il est probable {Presse} et sq.
  73. vers l'�ge de [vingt-cinq ray�] trente ans {Ms}
  74. [6. / Mr Dupin de Francueil et Mme Dupin de Chenonceauxray�] {Ms}
  75. Apr�s fort jolies, deux lignes ratur�es illisibles {Ms}
  76. Elle m'a dit {Ms} ♦ Elle me dit {Presse} ♦ Elle m'a dit {Lecou} et sq.
  77. de rien ni de personne {Ms} ♦ de lui ni de personne {Presse} et sq.
  78. qui nous aime {Ms} ♦ qui vous aime {Presse} ♦ qui nous aime {Lecou}, {LP} ♦ qui vous aime {CL}
  79. ma fille, [�tait ray�] a �t� {Ms}
  80. m'enviaient bien {Ms}m'enviaient {Presse} ♦ m'enviaient bien {Lecou} et sq.
  81. d'inqui�tude et de d�pit {Ms} ♦ d'inqui�tude et de d�sir {Presse}, {Lecou} ♦ d'inqui�tude et de d�pit {LP} et sq.
  82. qu'elle m�ritait [d'occuper ray�] {Ms}
  83. le rapporte. Mais je ne le crois pas. Il n'y a rien de moins juif que le caract�re et les id�es philosophiques dont elle s'est nourrie. Elle apporta Ms ♦ le rapporte. Elle apporta {Presse} et sq.
  84. est un [excellent ray�] tr�s bon ouvrage [trop ray�] peu connu {Ms}
  85. qu'il [traduit ray�] �mettait {Ms}
  86. d�j� imprim� et publi�. {Ms} ♦ d�j� imprim�. {Presse} ♦ d�j� imprim� et publi�. {Lecou}
  87. Mr et Mme Dupin [surtout ray�] travaillaient {Ms}
  88. Jean-Jacques [vint ray�] v�cut {Ms}
  89. ex�cut� [mais il existe � Chenonceaux entre les mains de Mr de Villeneuve mon ray�] {Ms}
  90. g�nie [in�dit ray� bleu] incomplet [add. bleu] {Ms}
  91. g�nies [incomplets et ray� bleu] malheureux {Ms}
  92. {Ms}: Depuis Pour mon compte ... jusqu'� ... de l'avoir admir� (milieu du paragraphe suivant), le passage est d'une autre encre et d'une �criture post�rieure (note de Georges Lubin)
  93. avec [toute la critique ray�] tous les critiques {Ms}
  94. plus pr�s [encore ray�] [de la r�volution ray�] des id�es {Ms}
  95. d'hommes [illustres ray�] tr�s-forts. {Ms}
  96. philosophiques [et m�me dans la politique officielle. Mr de la Martine l'a r�pandu et vulgaris� chaque jour avec toute la force de son �loquence et tout l'�lan de sa conviction ray� bleu] {Ms}. Une note, au verso du folio suivant, devait se rapporter au texte qui pr�c�de: [Mais il ne faut pas confondre le syst�me de paix perp�tuelle entre les nations avec le syst�me de paix � tout prix de nos hommes d'�tat modernes. RAYE] {Ms}
  97. de tous les [philos.. ray�] grands hommes {Ms} ♦ de plus d'un grand homme {Presse} et sq.
  98. fallu [au noble ray�] � l'illustre historien {Ms}
  99. simple, [originale ray�], forte {Ms}
  100. cette [grande ray�] belle dame {Ms}
  101. elle a [ferm� les yeux ray�] consol� {Ms}
  102. doit [jeter ray�] imprimer {Ms} ♦ doivent imprimer {Presse} et sq.
  103. {Ms}: Ce qui suit parait avoir �t� r�crit apr�s coup: l'�criture est plus tardive.

Notes

  1. {Presse} (La suite � demain.)
  2. George Sand �crit de horn; les documents varient et l'on trouve les orthographes: de Horne et Dehorne. {Lub} parfois rectifie en de Horne nous marquerons cela par le signe derri�re le nom.
  3. Vers du Don Giovanni de W. A. Mozart, livret de Lorenzo da Ponte. C'est le d�but, � l'acte II, du n°23: r�citatif qui pr�c�de le final.
  4. {Presse} (La suite � demain.)