GEORGE SAND
HISTOIRE DE MA VIE

Calmann-L�vy 1876

{Presse 5/10/54 1; LP T.1 1; CL [T.1 1]; Lub [T.1 3]} PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE D'UNE FAMILLE, DE FONTENOY
À MARENGO
a.

{Presse 5/10/54 1; CL [T.1 1]; Lub [4 bl.; 5]} I* b 1

Pourquoi ce livre? — C'est un devoir de faire profiter les autres de sa propre exp�rience. — Lettres d'un voyageur. — Confessions de J.-J. Rousseau. — Mon nom et mon �ge. — Reproches � mes biographes. — Antoine Delaborde, ma�tre paulmier et ma�tre oiselier. — Affinit�s myst�rieuses. — Éloge des oiseaux. — Histoire d'Agathe et de Jonquille. — L'oiselier de Venise c.



* Cette premi�re partie de l'ouvrage a �t� �crite en 1847.

Je ne pense pas d qu'il y ait de l'orgueil et de l'impertinence � �crire l'histoire de sa propre vie, encore moins � choisir, dans les souvenirs que cette vie a laiss�s en nous, {CL 2} ceux qui nous paraissent valoir la {LP 2} peine d'�tre conserv�s. Pour ma part, je crois accomplir un devoir, assez p�nible m�me, car je ne connais rien de plus malais� que de se d�finir et de se r�sumer en personne.

L'�tude du cœur humain est de telle nature, que plus on s'y absorbe, moins on y voit clair; et, pour certains esprits actifs e, se conna�tre est une �tude fastidieuse et toujours incompl�te. Pourtant je l'accomplirai, ce devoir; je l'ai toujours eu devant les yeux; je me suis toujours promis de ne pas mourir sans avoir fait ce que j'ai toujours conseill� aux autres de faire pour eux-m�mes: une �tude sinc�re de ma propre nature et un examen attentif f de ma propre existence.

Une insurmontable paresse (c'est la maladie des esprits trop occup�s et celle de la jeunesse g par cons�quent) m'a fait diff�rer jusqu'� ce jour d'accomplir cette t�che; et, coupable peut-�tre envers moi-m�me, j'ai laiss� publier sur mon compte h un assez grand nombre de biographies pleines d'erreurs, dans la louange comme dans le bl�me. {Lub 6} Il n'est pas jusqu'� mon nom qui ne soit une fable dans certaines de ces biographies i, publi�es d'abord � l'�tranger et reproduites en France avec des modifications de fantaisie. Questionn�e par les auteurs de ces r�cits, appel�e � donner les renseignements j qu'il me plairait de fournir, j'ai pouss� l'apathie jusqu'� refuser � des personnes bienveillantes le plus simple indice. {LP 3} J'�prouvais, je l'avoue, un d�go�t mortel � occuper le public de ma personnalit�, qui n'a rien de saillant, lorsque je me sentais le cœur et la t�te remplis de personnalit�s plus fortes, plus logiques, plus compl�tes, plus id�ales, de types sup�rieurs � moi-m�me, de personnages de roman en un mot. Je sentais qu'il ne faut parler de soi au public qu'une fois en sa vie, tr�s-s�rieusement k, et n'y plus revenir l.

Quand on s'habitue � parler de soi, on en vient facilement {CL 3} � se vanter, et cela, tr�s-involontairement sans doute, par une loi naturelle de l'esprit humain, qui ne peut s'emp�cher m d'embellir et d'�lever l'objet de sa contemplation. Il y a m�me de ces vanteries na�ves dont on ne doit pas s'effrayer lorsqu'elles sont rev�tues des formes du lyrisme, comme celles des po�tes n, qui ont, sur ce point, un privil�ge sp�cial et consacr�. o Mais l'enthousiasme de soi-m�me qui inspire ces audacieux �lans vers le ciel n'est pas le milieu o� l'�me puisse se poser pour parler longtemps d'elle-m�me aux hommes. Dans cette excitation, le sentiment de ses propres faiblesses lui �chappe. Elle s'identifie avec la Divinit�, avec l'id�al qu'elle embrasse; s'il se trouve en elle quelque retour vers le regret et le repentir, elle l'exag�re jusqu'� la po�sie du d�sespoir et du remords; elle devient Werther, ou Manfred, ou Faust, ou Hamlet, types sublimes au point de vue de l'art, mais qui, sans le secours de l'intelligence philosophique, {LP 4} sont devenus parfois de funestes exemples ou des mod�les hors de port�e.

Que ces grandes peintures des plus puissantes �motions p de l'�me des po�tes restent pourtant � jamais v�n�r�es! et disons bien vite qu'on doit pardonner aux grands artistes de s'�tre drap�s ainsi des nuages de la foudre ou des rayons de la gloire. C'est leur droit, et en nous donnant le r�sultat de leurs plus sublimes �motions, ils ont accompli leur mission souveraine. Mais disons aussi que, dans des conditions plus humbles, et sous des formes plus vulgaires, on peut accomplir un devoir s�rieux, plus {Lub 7} imm�diatement utile q � ses semblables, en se communiquant � eux sans symbole r, sans aur�ole et sans pi�destal.

Il est certainement impossible de croire que cette facult� des po�tes qui consiste � id�aliser leur propre existence et � en faire quelque chose d'abstrait et d'impalpable soit un enseignement bien complet. Utile et vivifiant, il l'est sans doute; car tout esprit s'�l�ve avec celui des r�veurs {CL 4} inspir�s, tout sentiment s'�pure ou s'exalte en les suivant � travers ces r�gions de l'extase; mais il manque � ce baume subtil, vers� par eux sur nos d�faillances, quelque chose d'assez important, la r�alit�.

Eh bien, il en co�te � un artiste de toucher � cette r�alit�, et ceux qui s'y complaisent sont vraiment bien g�n�reux! Pour ma part, j'avoue que {LP 5} je ne puis porter aussi loin l'amour du devoir, et que ce n'est pas sans un grand effort que je vais descendre dans la prose de mon sujet.

J'ai toujours s trouv� qu'il �tait de mauvais go�t non-seulement t de parler beaucoup de soi u ,mais encore de s'en entretenir v longtemps avec soi-m�me. Il y a peu de jours, peu de moments dans la vie des �tres ordinaires o� ils soient int�ressants ou utiles � contempler w. Je me suis sentie pourtant dans ces jours et dans ces heures-l� quelquefois comme tout le monde, et j'ai pris la plume alors pour �pancher quelque vive souffrance x qui me d�bordait, ou quelque violente anxi�t� qui s'agitait en moi. La plupart de ces fragments n'ont jamais �t� publi�s, et me serviront de jalons pour l'examen que je vais faire de ma vie. Quelques-uns seulement ont pris une forme � demi confidentielle, � demi litt�raire, dans des lettres publi�es � certains intervalles et dat�es de divers lieux. Elles ont �t� r�unies sous le titre de Lettres d'un voyageur. À l'�poque o� j'�crivis ces lettres je ne me sentis pas trop effray�e de parler de moi-m�me, parce que ce n'�tait pas ouvertement et litt�ralement de moi-m�me que je parlais alors. Ce voyageur �tait une sorte de fiction, un personnage convenu, masculin comme mon pseudonyme, vieux quoique je fusse encore jeune; et dans la bouche de ce triste p�lerin, qui en somme �tait une sorte de h�ros de roman, je mettais des impressions {LP 6} et des r�flexions y plus personnelles que je ne les aurais risqu�es dans un roman, o� les conditions de l'art sont plus s�v�res.

{Lub 8} J'avais besoin alors d'exhaler certaines agitations z, mais {CL 5} non le besoin d'occuper de moi mes lecteurs. Je l'ai peut-�tre moins encore aujourd'hui, ce besoin pu�ril chez l'homme et dangereux tout au moins chez l'artiste. Je dirai pourquoi je ne l'ai pas, et aussi pourquoi je vais pourtant �crire ma propre vie aa comme si je l'avais, comme on mange par raison sans �prouver aucun app�tit.

Je ne l'ai pas, parce que je me trouve arriv�e � un �ge de calme ab o� ma personnalit� n'a rien � gagner � se produire, et o� je n'aspirerais qu'� la faire oublier, � l'oublier moi-m�me enti�rement, si je ne suivais que mon instinct, et si je ne consultais que mon go�t. Je ne cherche plus le mot des �nigmes qui ont tourment� ma jeunesse; j'ai r�solu en moi bien des probl�mes qui m'emp�chaient de dormir. On m'y a aid�e, car � moi seule je n'aurais ac vraisemblablement rien �clairci.

Mon si�cle a fait jaillir les �tincelles de la v�rit� qu'il couve; je les ai vues, et je sais o� en sont les foyers principaux, cela me suffit. J'ai cherch� jadis la lumi�re dans des faits de psychologie. C'�tait absurde. Quand j'ai compris que cette lumi�re �tait dans des principes, et que ces principes �taient en moi sans venir de moi, j'ai pu, sans trop d'effort ni {LP 7} de m�rite, entrer dans le repos de l'esprit. Celui du cœur ne s'est point fait et ne se fera jamais. Pour ceux qui sont n�s compatissants, il y aura toujours � aimer sur la terre, par cons�quent � plaindre, � servir, � souffrir. Il ne faut ad donc point chercher l'absence de douleur, de fatigue et d'effroi, � quelque �ge que ce soit de la vie, car ce serait l'insensibilit�, l'impuissance, la mort anticip�e. Quand on a accept� un mal incurable, on le supporte mieux.

Dans ce calme de la pens�e et dans cette r�signation du sentiment, je ne saurais avoir d'amertume contre le genre humain qui se trompe, ni d'enthousiasme pour moi-m�me qui me suis tromp�e si longtemps. Je n'ai donc aucun {CL 6} attrait de lutte, aucun besoin d'expansion qui me porte � parler de mon pr�sent ou de mon pass�.

Mais j'ai dit que je regardais comme un devoir de le faire, et voici pourquoi:

Beaucoup d'�tres humains vivent sans se rendre un compte s�rieux de leur existence, sans comprendre et presque sans chercher quelles sont les vues de Dieu � leur {Lub 9} �gard, par rapport � leur individualit� aussi bien que par rapport � la soci�t� dont ils font partie ae. Ils passent parmi nous sans se r�v�ler, parce qu'ils v�g�tent sans se conna�tre, et, bien que leur destin�e, si mal d�velopp�e qu'elle soit, ait toujours son genre d'utilit� ou de n�cessit� conforme aux vues de la Providence, il est fatalement af {LP 8} certain que la manifestation de leur vie reste incompl�te et moralement inf�conde pour le reste des hommes.

La source la plus vivante et la plus religieuse ag du progr�s de l'esprit humain, c'est, pour parler la {Presse 5/10/54 2} langue de mon temps, la notion de solidarit�. Les hommes de tous les temps l'ont senti instinctivement ou distinctement, et toutes les fois qu'un individu s'est trouv� investi du don plus ou moins d�velopp� ah de manifester sa propre vie, il a �t� entra�n� � cette manifestation par le d�sir de ses proches ou par une voix int�rieure non moins puissante ai. Il lui a sembl� alors remplir une obligation aj, et c'en �tait une, en effet, soit qu'il e�t � raconter les �v�nements historiques dont il avait �t� le t�moin, soit qu'il e�t fr�quent� d'importantes individualit�s, soit enfin qu'il e�t voyag� et appr�ci� les hommes et les choses ext�rieures � un point de vue quelconque.

Il y a encore un genre de travail personnel qui a �t� plus rarement accompli ak, et qui, selon moi, a une utilit� tout aussi grande, c'est celui qui consiste � raconter la vie {CL 7} int�rieure, la vie de l'�me, c'est-�-dire l'histoire de son propre esprit et de son propre cœur, en vue d'un enseignement fraternel al. Ces impressions personnelles, ces voyages ou ces essais de voyage dans le monde abstrait de l'intelligence ou {LP 9} du sentiment, racont�s par un esprit sinc�re et s�rieux, peuvent �tre un stimulant, un encouragement, et m�me un conseil et un guide pour am les autres esprits engag�s an dans le labyrinthe de la vie. C'est comme un �change de confiance et de sympathie qui �l�ve la pens�e de celui qui raconte et de celui qui �coute. Dans la vie intime, un mouvement naturel nous porte � ces sortes d'expansions � la fois humbles et dignes. Qu'un ami, un fr�re vienne nous avouer les tourments et les perplexit�s de sa situation, nous n'avons pas de {Lub 10} meilleur argument pour le fortifier et le convaincre que des arguments tir�s de notre propre exp�rience, tant nous sentons alors que la vie d'un ami c'est la n�tre, comme ao la vie de chacun est celle de tous. « J'ai souffert les m�mes maux, j'ai travers� les m�mes �cueils, et j'en suis sorti; donc tu peux gu�rir et vaincre. » Voil� ce que l'ami dit � l'ami, ce que l'homme enseigne � l'homme. Et lequel de nous, dans ces moments de d�sespoir et d'accablement o� l'affection et le secours d'un autre �tre sont indispensables, n'a pas re�u une forte impression des �panchements de cette �me dans laquelle il allait �pancher la sienne?

Certes alors c'est l'�me la plus �prouv�e qui a le plus de pouvoir sur l'autre. Dans l'�motion, nous ne cherchons gu�re l'appui du sceptique railleur ou superbe. C'est vers un malheureux de notre esp�ce, souvent m�me vers un plus malheureux que nous, {LP 10} que nous tournons nos regards et que nous tendons nos mains. Si nous le surprenons dans un moment de d�tresse, il conna�tra la piti� et pleurera avec nous. Si nous l'invoquons lorsqu'il est dans l'exercice de sa force et de sa raison, il nous instruira et {CL 8} nous sauvera peut-�tre; mais � coup s�r il n'aura d'action sur nous qu'autant qu'il nous comprendra, et, pour qu'il nous comprenne, il faut qu'il ait � nous faire une confidence ap en retour de la n�tre.

Le r�cit des souffrances et des luttes de la vie de chaque homme est donc l'enseignement de tous; ce serait le salut de tous si chacun savait juger ce qui l'a fait souffrir et conna�tre ce qui l'a sauv�. C'est dans cette vue sublime et sous l'empire d'une foi ardente que saint Augustin �crivit ses Confessions, qui furent celles de son si�cle et le secours efficace de plusieurs g�n�rations de chr�tiens.

Un ab�me s�pare les Confessions de Jean-Jacques-Rousseau de celles du P�re de l'Église. Le but du philosophe du dix-huiti�me si�cle semble plus personnel, partant moins s�rieux et moins utile. Il s'accuse afin d'avoir l'occasion de se disculper aq ,il r�v�le des fautes ignor�es afin d'avoir le droit de repousser des calomnies publiques. Aussi c'est un monument confus d'orgueil et d'humilit� qui parfois nous r�volte par son affectation, et souvent nous charme et nous p�n�tre par sa sinc�rit�. Tout d�fectueux et parfois coupable que peut �tre cet illustre �crit ar ,il porte avec lui {LP 11} de graves enseignements, et plus le {Lub 11} martyr s'ab�me et s'�gare � la poursuite de son id�al, plus ce m�me id�al as nous frappe et nous attire.

Mais on a trop longtemps at jug� les Confessions de Jean-Jacques au point de vue d'une apologie purement individuelle au. Il s'est rendu complice de ce mauvais r�sultat en le provoquant par les pr�occupations personnelles m�l�es � son œuvre. Aujourd'hui av que ses amis et ses ennemis personnels ne sont plus, nous jugeons l'œuvre de plus haut. Il ne s'agit plus gu�re pour nous de savoir jusqu'� quel point l'auteur des Confessions fut injuste ou malade, jusqu'� quel point ses d�tracteurs furent impies ou cruels. Ce qui nous int�resse, ce qui nous �claire et nous {CL 9} influence, c'est le spectacle de cette �me inspir�e aux prises avec les erreurs de son temps et les obstacles de sa destin�e philosophique, c'est le combat de ce g�nie �pris d'aust�rit�, d'ind�pendance et de dignit�, avec le milieu frivole, incr�dule ou corrompu qu'il traversait et qui, r�agissant sur lui � toute heure, tant�t par la s�duction, tant�t par la tyrannie, l'entra�na tant�t dans l'ab�me du d�sespoir, et tant�t le poussa vers de sublimes protestations.

Si la pens�e des Confessions aw �tait bonne, s'il y avait devoir � se chercher des torts pu�rils et � raconter des fautes in�vitables, je ne suis pas de ceux qui reculeraient devant cette p�nitence publique. Je {LP 12} crois que mes lecteurs ax me connaissent assez, en tant qu'�crivain, pour ne pas me taxer de couardise. Mais, � mon avis, cette mani�re de s'accuser n'est pas humble, et le sentiment public ne s'y est pas tromp�. Il n'est pas utile, il n'est pas �difiant de savoir que Jean-Jacques a vol� trois livres dix sous � mon grand-p�re, d'autant plus que le fait n'est pas certain*. Pour moi, je me souviens d'avoir pris ay dans {Lub 12} mon enfance dix sous dans la bourse de ma grand'm�re pour les donner � un pauvre, et m�me de l'avoir fait en cachette et {CL 10} avec plaisir. Je trouve qu'il n'y a point l� sujet de se vanter ni de s'accuser. C'�tait tout simplement une b�tise, car, pour les avoir, je n'avais qu'� les demander.

* Voici le fait comme je l'ai trouv� dans les notes de ma grand'm�re: « Francueil, mon mari, disoit un jour � Jean-Jacques:“ Allons aux Fran�ais, voulez-vous? — Allons, dit Rousseau, cela nous fera toujours b�iller une heure ou deux. ” C'est peut-�tre la seule r�partie qu'il ait eu en sa vie; encore n'est-elle pas �norm�ment spirituelle. C'est peut-�tre ce soir-l� que Rousseau vola 3 livres 10 sols � mon mari. Il nous a toujours sembl� qu'il y avoit eu de l'affectation � se vanter de cette escroquerie; Francueil n'en a gard� aucun souvenir, et m�me il pensoit que Rouseau l'avoit invent�e pour montrer les susceptibilit�s de sa conscience et pour emp�cher qu'on ne cr�t aux fautes dont il ne se confesse pas. Et puis d'ailleurs {Lub 12} quand cela seroit, bon Jean-Jacques! il vous faudroit aujourd'hui faire claquer votre fouet un peu plus fort pour nous faire seulement dresser les oreilles! »

{LP 13} Or la plupart de nos fautes, � nous autres honn�tes gens, ne sont rien de plus que des b�tises, et nous serions bien bons de nous en accuser devant des gens malhonn�tes qui font le mal avec art et pr�m�ditation. Le public se compose des uns et des autres. C'est lui faire un peu trop la cour que de se montrer pire que l'on n'est, pour l'attendrir ou pour lui plaire.

Je souffre mortellement quand je vois le grand Rousseau s'humilier ainsi et s'imaginer qu'en exag�rant, peut-�tre en inventant ces p�ch�s-l�, il se disculpe az des vices de cœur que ses ennemis lui attribuaient. Il ne les d�sarma certainement pas par ses Confessions et ne suffit-il pas, pour le croire pur et bon ba, de lire les parties de sa vie o� il oublie de s'accuser? Ce n'est que l� qu'il est na�f, on le sent bien.

Qu'on soit pur ou impur, petit ou grand, il y a toujours vanit�, vanit� pu�rile et malheureuse, � entreprendre sa propre justification. Je n'ai jamais compris qu'un accus� p�t r�pondre quelque chose sur les bancs du crime. S'il est coupable, il le devient encore plus par le mensonge, et son mensonge d�voil� ajoute l'humiliation et la honte � la rigueur du ch�timent. S'il est innocent, comment peut-il s'abaisser jusqu'� vouloir le prouver?

Et encore l� il s'agit de l'honneur et de la vie. Dans le cours ordinaire de l'existence, il faut, ou {LP 14} s'aimer tendrement soi-m�me, ou avoir quelque projet s�rieux � faire r�ussir, pour s'attacher passionn�ment � repousser la calomnie qui atteint tous les hommes, m�me les meilleurs, et pour vouloir absolument prouver l'excellence de soi. C'est parfois une n�cessit� de la vie publique; mais dans la vie priv�e on ne prouve point sa loyaut� par des discours; {CL 11} et, comme nul ne peut prouver qu'il ait atteint � la perfection, il faut laisser � ceux qui nous connaissent {Lub 13} le soin de nous absoudre de nos travers et d'appr�cier bb nos qualit�s.

Enfin, comme nous sommes solidaires les uns des autres, il n'y a point de faute isol�e. Il n'y a point d'erreur dont quelqu'un ne soit la cause ou le complice, et il est impossible de s'accuser sans accuser le prochain, non pas seulement l'ennemi qui nous attaque bc, mais encore parfois l'ami qui nous d�fend. C'est ce qui est arriv� � Rousseau, et cela est mal. Qui peut lui pardonner d'avoir confess� madame de Warens en m�me temps que lui?

Pardonne-moi, Jean-Jacques, de te bl�mer en fermant ton admirable livre des Confessions! Je te bl�me, et c'est te rendre hommage encore, puisque ce bl�me ne d�truit pas mon respect et mon enthousiasme pour l'ensemble de ton œuvre bd.

Je be ne fais point ici un ouvrage d'art, je m'en d�fends m�me, car ces choses ne valent que par la {LP 15} spontan�it� et l'abandon, et je ne voudrais pas raconter ma vie comme un roman. La forme emporterait le fond.

Je pourrai donc parler sans ordre et sans suite, tomber m�me dans beaucoup de contradictions. La nature humaine n'est qu'un tissu d'incons�quences, et je ne crois point du tout (mais du tout) � ceux qui pr�tendent s'�tre toujours trouv�s bf d'accord avec le moi de la veille.

Mon ouvrage se ressentira donc par la forme de ce laisser aller de mon esprit, et, pour commencer, je laisserai l� l'expos� bg de ma conviction sur l'utilit� de ces M�moires, et je le compl�terai par l'exemple du fait, au fur et � mesure du r�cit que je vais commencer.

Qu'aucun de ceux qui m'ont fait du mal ne s'effraie bh, je ne me souviens pas d'eux; qu'aucun amateur de scandale bi ne se r�jouisse, je n'�cris pas pour lui. 2

{Presse 6/10/54 1; CL 12} Je suis n�e l'ann�e du couronnement de Napol�on, l'an XII de la r�publique bj fran�aise (1804). Mon nom n'est pas Marie-Aurore de Saxe, marquise de Dudevant, comme plusieurs de mes biographes bk l'ont d�couvert, mais Amantine-Lucile-Aurore Dupin, et mon mari, M. Fran�ois Dudevant, ne s'attribue aucun titre. Il n'a jamais �t� que sous-lieutenant bl d'infanterie, et il n'avait que vingt-sept ans quand je l'ai �pous�. En faisant de lui un vieux {LP 16} colonel bm de l'Empire, on l'a confondu avec M. Delmare, personnage d'un de mes romans 3. Il est vraiment trop facile de faire la biographie d'un {Lub 14} romancier, en transportant les fictions de ses contes dans la r�alit� de son existence. Les frais d'imagination ne sont pas grands.

On nous a peut-�tre confondus aussi, lui et moi, avec nos parents. Marie-Aurore de Saxe �tait ma grand'm�re, le p�re de mon mari �tait colonel de cavalerie bn sous l'Empire. Mais il n'�tait ni rude ni grognon; c'�tait le meilleur et le plus doux des hommes.

À ce propos, et je demande bien pardon � mes biographes; mais, au risque de me brouiller avec eux et de payer leur bienveillance d'ingratitude, je le ferai: je ne trouve ni d�licat, ni convenable, ni honn�te, que, pour m'excuser de n'avoir pas pers�v�r� � vivre sous le toit conjugal, et d'avoir plaid� en s�paration, on accuse mon mari de torts dont j'ai absolument cess� de me plaindre depuis que j'ai reconquis mon ind�pendance. Que le public, � ses moments perdus, s'entretienne des souvenirs d'un proc�s de ce genre, et qu'il en ait gard� une impression plus ou moins favorable � l'un ou � l'autre, cela ne se peut emp�cher; et il n'y a pas � s'en soucier de part ni d'autre, quand on a cru devoir affronter et subir la publicit� de pareils d�bats. — Mais les �crivains qui s'attachent � raconter la vie {LP 17} d'un autre �crivain, ceux surtout qui sont pr�venus en sa faveur et qui veulent le grandir ou le r�habiliter dans {CL 13} l'opinion publique, ceux-l� ne devraient pas agir contre son sentiment et sa pens�e, en frappant d'estoc et de taille autour de lui. La t�che d'un �crivain en pareil cas est celle d'un ami, et les amis ne doivent point manquer aux �gards qui sont, apr�s tout, de morale publique. Mon mari est vivant et ne lit ni mes �crits ni ceux qu'on fait sur mon compte. C'est une raison de plus pour moi de d�savouer les attaques dont il est l'objet � propos de moi. Je n'ai pu vivre avec lui, nos caract�res et nos id�es diff�raient essentiellement. Il avait des motifs pour ne point consentir � une s�paration l�gale, dont il �prouvait pourtant le besoin, puisqu'elle existait de fait. Des conseils imprudents l'ont engag� � provoquer des d�bats publics qui nous ont contraints � nous accuser l'un l'autre. Triste r�sultat d'une l�gislation bo imparfaite et que l'avenir amendera. Depuis que la s�paration a �t� prononc�e et maintenue, je me suis h�t�e d'oublier mes griefs, en ce sens que toute r�crimination publique contre lui me semble de mauvais {Lub 15} go�t, et ferait croire � une persistance de ressentiments dont je ne suis pas complice.

Ceci pos�, on devine que je ne transcrirai point dans mes M�moires les pi�ces de mon proc�s. Ce serait me faire ma t�che trop p�nible que d'y donner {LP 18} place aux rancunes pu�riles et aux souvenirs amers. J'ai beaucoup souffert de tout cela; mais je n'�cris pas pour me plaindre et pour me faire consoler. Les douleurs que j'aurais � raconter � propos d'un fait purement personnel n'auraient aucune utilit� g�n�rale. Je ne raconterai que celles qui peuvent atteindre tous les hommes. Encore une fois donc, amateurs de scandale, fermez mon livre d�s la premi�re page, il n'est pas fait pour vous.

Ceci est probablement tout ce que j'aurai � conclure de mon mariage, et je l'ai dit tout de suite pour ob�ir � un arr�t de ma conscience. Il n'est pas prudent, je le sais, de {CL 14} d�savouer des biographes bien dispos�s en votre faveur, et qui peuvent vous menacer d'une �dition revue et corrig�e; mais je n'ai jamais �t� prudente en quoi que ce soit, et je n'ai point vu que ceux qui se donnaient la peine de l'�tre fussent plus �pargn�s que moi. À chances �gales, il faut agir selon l'impulsion de son vrai caract�re.

Je laisse l� le chapitre du mariage jusqu'� nouvel ordre, et je reviens � celui de ma naissance.

Cette naissance qui m'a �t� reproch�e si souvent et si singuli�rement des deux c�t�s de ma famille est un fait assez curieux en effet, et qui m'a parfois donn� � r�fl�chir sur la question des races.

Je soup�onne mes biographes �trangers bp particuli�rement d'�tre fort aristocrates, car ils m'ont tous {LP 19} gratifi�e d'une illustre origine, sans vouloir tenir compte, eux qui devaient �tre si bien inform�s, d'une tache assez visible dans mon blason.

On n'est pas seulement l'enfant de son p�re, on est aussi un peu, je crois, celui de sa m�re. Il me semble m�me qu'on l'est davantage, et que nous tenons aux entrailles qui nous ont port�s bq, de la fa�on la plus imm�diate, la plus puissante, la plus sacr�e. Or, si mon p�re �tait l'arri�re-petit-fils d'Auguste II br, roi de Pologne, et si, de ce c�t�, je me trouve d'une mani�re ill�gitime, mais fort r�elle, proche parente de Charles X et de Louis XVIII bs, il n'en est pas moins vrai que je tiens au peuple par le {Lub 16} sang, d'une mani�re tout aussi intime et directe; de plus, il n'y a point de b�tardise de ce c�t�-l�.

Ma m�re �tait une pauvre enfant du vieux pav� de Paris; son p�re, Antoine Delaborde, �tait ma�tre paulmier et ma�tre oiselier, c'est-�-dire qu'il vendit des serins et des chardonnerets sur le quai aux Oiseaux, apr�s avoir tenu un petit estaminet avec billards, dans je ne sais quel coin de Paris, o�, du reste, il ne fit point ses affaires. Le parrain {CL 15} de ma m�re avait, il est vrai, un nom illustre dans la partie des oiseaux; il s'appelait Barra; et ce nom se lit encore au boulevard du Temple, au-dessus d'un �difice de cages de toutes dimensions, o� sifflent toujours joyeusement une foule de volatiles que je regarde comme autant de parrains et de {LP 20} marraines, myst�rieux patrons avec lesquels j'ai toujours eu des affinit�s particuli�res bt.

Expliquera qui voudra ces affinit�s entre l'homme et certains �tres secondaires dans la cr�ation. Elles sont tout aussi r�elles que les antipathies et les terreurs insurmontables que nous inspirent certains animaux inoffensifs. Quant � moi, la sympathie des oiseaux m'est si bien acquise, que mes amis en ont �t� souvent frapp�s comme d'un fait prodigieux. J'ai bu fait � cet �gard des �ducations merveilleuses; mais les oiseaux sont les seuls �tres de la cr�ation sur lesquels j'aie jamais exerc� une puissance fascinatrice, et, s'il y a de la fatuit� � s'en vanter, c'est � eux que j'en demande pardon.

Je tiens ce don bv de ma m�re, qui l'avait encore plus que moi, et qui marchait toujours dans notre jardin accompagn�e de pierrots effront�s, de fauvettes agiles et de pinsons babillards, vivant sur les arbres en pleine libert�, mais venant becqueter avec confiance les mains qui les avaient nourris. Je gagerais bien qu'elle tenait cette influence de son p�re, et que celui-ci ne s'�tait point fait oiselier par un simple hasard de situation, mais par une tendance naturelle � se rapprocher des �tres avec lesquels l'instinct l'avait mis en relation. Personne n'a refus� � Martin, � Carter et � Van Amburg bw une puissance particuli�re sur l'instinct des animaux f�roces. J'esp�re qu'on ne me contestera pas trop mon {LP 21} savoir-faire et mon savoir-vivre avec les bip�des emplum�s qui jouaient peut-�tre un r�le fatal dans mes existences ant�rieures.

Plaisanterie � part, il est certain bx que chacun de nous {Lub 17} a {CL 16} une pr�vention marqu�e by, quelquefois m�me violente, pour ou contre certains bz animaux. Le chien joue un r�le exorbitant dans la vie de l'homme, et il y a bien l� quelque myst�re qu'on n'a pas sond� enti�rement. J'ai eu une servante qui avait la passion des cochons, et qui s'�vanouissait de d�sespoir quand elle les voyait passer entre les mains du boucher; tandis que moi, �lev�e � la campagne, rustiquement m�me, et devant m'�tre habitu�e � voir ces animaux qu'on nourrit chez nous en grand nombre, j'en ai toujours eu une terreur pu�rile, insurmontable, jusqu'au point de perdre la t�te si je me vois entour�e de cette gent immonde: j'aimerais cent fois mieux me voir au milieu des lions et des tigres ca.

C'est peut-�tre que tous les types, d�partis chacun sp�cialement � chaque race d'animaux, se retrouvent dans l'homme. Les physionomistes ont constat� des ressemblances physiques; qui peut nier les ressemblances morales? N'y a-t-il pas parmi nous des renards, des loups, des lions, des aigles, des hannetons, des mouches? La grossi�ret� humaine est souvent basse et f�roce comme l'app�tit du pourceau, et c'est ce qui me cause le plus de terreur et {LP 22} de d�go�t chez l'homme. J'aime le chien, mais pas tous les chiens. J'ai m�me des antipathies marqu�es contre certains caract�res d'individus de cette race. Je les aime un peu rebelles, hardis, grondeurs et ind�pendants. Leur gourmandise � tous me chagrine. Ce sont des �tres excellents, admirablement dou�s, mais incorrigibles sur certains points o� la grossi�ret� de la brute reprend trop ses droits. L'homme-chien n'est pas un beau type.

Mais l'oiseau, je le soutiens, est l'�tre sup�rieur dans la cr�ation. Son organisation est admirable. Son vol le place mat�riellement au-dessus de l'homme, et lui cr�e une puissance vitale que notre g�nie n'a pu encore nous faire acqu�rir. Son bec et ses pattes poss�dent une adresse inou�e cb. {CL 17} Il a des instincts d'amour conjugal, de pr�vision et d'industrie domestique; son nid {Presse 6/10/54 2} est un chef-d'œuvre d'habilet�, de sollicitude et de luxe d�licat. C'est la principale esp�ce cc o� le m�le aide la femelle dans les devoirs de la famille, et o� le p�re s'occupe, comme l'homme, de construire l'habitation, de pr�server cd et de nourrir les enfants. L'oiseau est chanteur, il est beau, il a la gr�ce, la souplesse, la vivacit�, l'attachement, la morale, et c'est bien � tort qu'on en a fait souvent le type de {Lub 18} l'inconstance. En tant que l'instinct de fid�lit� est d�parti � la b�te, il est le plus fid�le des animaux. Dans la race canine si vant�e ce, la femelle seule a l'amour de la prog�niture, ce qui la rend sup�rieure {LP 23} au m�le; chez l'oiseau, les deux sexes, dou�s d'�gales vertus, offrent l'exemple de l'id�al dans l'hym�n�e. Qu'on ne parle donc pas l�g�rement des oiseaux. Il s'en faut de fort peu qu'ils ne nous valent; et, comme musiciens et po�tes, ils sont naturellement mieux dou�s que nous. L'homme-oiseau, c'est l'artiste cf.

Puisque je suis sur le chapitre des oiseaux (et pourquoi ne l'�puiserais-je pas, puisque je me suis permis une fois pour toutes les interminables digressions?), je citerai un trait dont j'ai �t� t�moin et que j'aurais voulu raconter � Buffon, ce doux po�te de la nature cg. J'�levais deux fauvettes de diff�rents nids et de diff�rentes vari�t�s: l'une � poitrine jaune, l'autre � corsage gris. La poitrine jaune, qui s'appelait Jonquille, �tait de quinze jours plus �g�e que la poitrine grise, qui s'appelait Agathe. Quinze jours pour une fauvette (la fauvette est le plus intelligent et le plus pr�coce de nos petits oiseaux) ch, cela �quivaut � dix ans ci pour une jeune personne. Jonquille �tait donc une fillette fort gentille, encore maigrette et mal emplum�e, ne sachant voler que d'une branche � l'autre, et m�me ne mangeant point seule; car les oiseaux que l'homme �l�ve se d�veloppent beaucoup plus lentement que ceux qui s'�l�vent � {CL 18} l'�tat sauvage. Les m�res fauvettes sont beaucoup plus s�v�res que nous, et Jonquille aurait mang� seule quinze jours {LP 24} plus t�t, si j'avais eu la sagesse de l'y forcer en l'abandonnant � elle-m�me et en ne c�dant pas � ses importunit�s.

Agathe �tait un petit enfant insupportable. Elle ne faisait que remuer, crier, secouer ses plumes naissantes et tourmenter Jonquille, qui commen�ait � r�fl�chir et � se poser des probl�mes, une patte rentr�e sous le duvet de sa robe, la t�te enfonc�e dans les �paules, les yeux � demi ferm�s.

Pourtant elle �tait encore tr�s-petite fille, tr�s-gourmande, et s'effor�ait de voler cj jusqu'� moi pour manger � sati�t�, d�s que j'avais l'imprudence de la regarder.

Un jour, j'�crivais je ne sais quel roman qui me passionnait un peu; j'avais plac� � quelque distance la branche verte sur laquelle perchaient et vivaient en bonne {Lub 19} intelligence mes deux �l�ves. Il faisait un peu frais. Agathe, encore � moiti� nue, s'�tait serr�e et blottie sous le ventre de Jonquille, qui se pr�tait � ce r�le de m�re avec une complaisance g�n�reuse. Elles se tinrent tranquilles toutes les deux pendant une demi-heure, dont je profitai pour �crire ck; car il �tait rare qu'elles me permissent tant de loisir dans la journ�e.

Mais enfin l'app�tit se r�veilla, et Jonquille, sautant sur une chaise, puis sur ma table, vint effacer le dernier mot au bout de ma plume, tandis qu'Agathe, n'osant quitter la branche, battait des ailes {LP 25} et allongeait de mon c�t� son bec entr'ouvert avec des cris d�sesp�r�s.

J'�tais au milieu de mon d�no�ment, et pour la premi�re fois je pris de l'humeur contre Jonquille. Je lui fis observer qu'elle �tait d'�ge � manger seule, qu'elle avait sous le bec une excellente p�t�e dans une jolie soucoupe, et que j'�tais r�solue � ne point fermer les yeux plus longtemps {CL 19} sur sa paresse. Jonquille, un peu piqu�e et t�tue, prit le parti de bouder et de retourner sur sa branche. Mais Agathe ne se r�signa pas de m�me, et, se tournant vers elle, lui demanda � manger avec une insistance incroyable. Sans doute, elle lui parla avec une grande �loquence, ou, si elle ne savait pas encore bien s'exprimer, elle eut dans la voix des accents � d�chirer un cœur sensible. Moi, barbare, je regardais et j'�coutais sans bouger, �tudiant l'�motion tr�s-visible de Jonquille, qui semblait h�siter et se livrer un combat int�rieur fort extraordinaire.

Enfin elle s'arme de r�solution, vole d'un seul �lan jusqu'� la soucoupe, crie un instant, esp�rant que la nourriture viendra d'elle-m�me � son bec; puis elle se d�cide et entame la p�t�e. Mais, � prodige de sensibilit�! Elle ne songe pas � apaiser sa propre faim, elle remplit son bec, retourne � la branche, et fait manger Agathe avec autant d'adresse et de propret� que si elle e�t �t� d�j� m�re.

Depuis ce moment Agathe et Jonquille ne {LP 26} m'importun�rent plus, et la petite fut nourrie par l'a�n�e, qui s'en tira bien mieux que moi, car elle la rendit propre, luisante, grasse, et sachant se servir elle-m�me beaucoup plus vite que je n'y serais parvenue. Ainsi cette pauvrette avait fait de sa compagne une fille adoptive, elle qui n'�tait encore qu'une enfant cl ,et elle n'avait appris � se {Lub 20} nourrir elle-m�me que pouss�e et vaincue par un sentiment de charit� maternelle envers sa compagne*.

* Il para�t que cette prodigieuse histoire est la chose la plus ordinaire du monde, car, depuis que j'ai �crit ce volume, nous en avons vu d'autres exemples. Une couv�e de rossignols de muraille, �lev�e par nous, et commen�ant � peine � savoir manger, nourrissairt avec tendresse tous les petits oiseaux de son esp�ce que l'on pla�ait dans la m�me cage cm.

Un mois apr�s, Jonquille et Agathe, toujours ins�parables, quoique de m�me sexe et de vari�t�s diff�rentes, vivaient en pleine libert� sur les grands arbres de mon {CL 20} jardin. Elles ne s'�cartaient pas beaucoup de la maison, et elles �lisaient leur domicile de pr�f�rence sur la cime d'un grand sapin. Elles �taient longuettes, lisses et fra�ches. Tous les jours, comme c'�tait la belle saison et que nous mangions en plein air, elles descendaient � tire d'ailes sur notre table, et se tenaient autour de nous comme d'aimables convives, tant�t sur une branche voisine, tant�t sur notre �paule, tant�t volant au-devant du {LP 27} domestique qui apportait les fruits, pour les go�ter sur l'assiette avant nous cn.

Malgr� leur confiance en nous tous, elles ne se laissaient prendre et retenir que par moi, et, � quelque moment que ce f�t de la journ�e, elles descendaient du haut de leur arbre � mon appel, qu'elles connaissaient fort bien et ne confondaient jamais avec celui des autres personnes co. Ce fut une grande surprise pour un de mes amis qui arrivait de Paris que de m'entendre appeler des oiseaux perdus dans les hautes branches, et de les voir accourir imm�diatement. Je venais de parier avec lui que je les ferais ob�ir, et, comme il n'avait pas assist� � leur �ducation, il crut un instant � quelque diablerie cp.

J'ai eu aussi un rouge-gorge qui, pour l'intelligence et la m�moire, �tait un �tre prodigieux; un milan royal, qui �tait une b�te f�roce pour tout le monde, et qui vivait avec moi dans de tels rapports d'intimit� qu'il se perchait sur le bord du berceau de mon fils, et, de son grand bec, tranchant comme un rasoir cq, il enlevait d�licatement et avec un petit cri tendre et coquet les mouches qui se posaient sur le visage de l'enfant. Il y mettait tant d'adresse et de pr�caution qu'il ne le r�veilla jamais. Ce monsieur �tait pourtant d'une telle force et d'une telle {Lub 21} volont�, qu'il s'envola un jour apr�s avoir roul� sous lui et bris� une cage �norme o� on l'avait mis, parce qu'il devenait dangereux pour les personnes {LP 28} qui lui d�plaisaient. Il n'y avait point de cha�ne cr {CL 21} dont il ne coup�t les anneaux fort lestement, et les plus grands chiens en avaient une terreur insurmontable.

Je n'en finirais pas avec l'histoire des oiseaux que j'ai eus pour amis et pour compagnons. À Venise, j'ai v�cu t�te � t�te avec un sansonnet plein de charmes, qui s'est noy� dans le canaletto, � mon grand d�sespoir; ensuite avec une grive que j'y ai laiss�e et dont je ne me suis pas s�par�e sans douleur. Les v�nitiens ont un grand talent pour �lever les oiseaux, et il y avait, dans un coin de rue, un jeune gars qui faisait des merveilles en ce genre. Un jour il mit � la loterie et gagna je ne sais combien de sequins. Il les mangea dans la journ�e dans un grand festin qu'il donna � tous ses amis en guenilles. Puis, le lendemain, il revint s'asseoir dans son coin, sur les marches d'un abordage, avec ses cages pleines de pies et de sansonnets qu'il vendait tout instruits aux passants, et avec lesquels il s'entretenait avec amour du matin au soir. Il n'avait aucun chagrin, aucun regret d'avoir fait manger son argent � ses amis. Il avait trop v�cu avec les oiseaux pour n'�tre pas artiste. C'est ce jour-l� qu'il me vendit mon aimable grive cinq sous. Avoir pour cinq sous une compagne belle, bonne, gaie, instruite, et qui ne demande qu'� vivre un jour avec vous pour vous aimer toute sa vie, c'est vraiment trop bon march�! {LP 29} Ah! Les oiseaux! Qu'on les respecte cs peu et qu'on les appr�cie mal!

Je me suis pass� la fantaisie d'�crire un roman o� les oiseaux jouent un r�le assez important et o� j'ai essay� de dire quelque chose sur les affinit�s et les influences occultes. C'est Teverino, auquel je renvoie mon lecteur, ainsi que je le ferai souvent quand je ne voudrai pas redire ce que j'ai mieux d�velopp� ailleurs. Je sais bien que je n'�cris pas pour le genre humain. Le genre humain a bien d'autres affaires en t�te que de ct se mettre au courant d'une collection de romans et de lire l'histoire d'un individu �tranger au monde officiel. Les gens cu de mon m�tier n'�crivent {CL 22} jamais que pour un certain nombre de personnes plac�es dans des situations ou perdues dans des r�veries analogues � celles qui {Lub 22} les occupent. Je ne craindrai donc pas d'�tre outrecuidante en priant ceux qui n'ont rien de mieux � faire de relire certaines pages de moi pour compl�ter celles qu'ils ont sous les yeux.

Ainsi, dans Teverino, j'ai invent� une jeune fille ayant pouvoir, comme la premi�re Ève, sur les oiseaux de la cr�ation, et je veux dire ici que ce n'est pas l� une pure fantaisie; pas plus que les merveilles qu'on raconte en ce genre du po�tique et admirable imposteur Apollonius de Tyane, ne sont des fables contraires � l'esprit du christianisme. Nous vivons cv dans un temps o� l'on n'explique pas {LP 30} bien encore les causes naturelles qui ont pass� jusqu'ici pour des miracles, mais o� l'on peut d�j� constater que rien n'est miracle ici-bas, et que les lois de l'univers, pour n'�tre pas toutes sond�es et d�finies, n'en sont pas moins conformes � l'ordre �ternel.

Mais il est temps cw de clore ce chapitre des oiseaux et d'en revenir � celui de ma naissance. 4


Variantes

  1. Les titres de parties n'apparaissent qu'avec {CL}.
  2. CHAPITRE PREMIER {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ I {CL}
  3. Venise. Les moineaux de Madame L...h... {Ms}.
  4. [I. Pourquoi ce livre ray�] Je ne pense point {Ms} ♦ Je ne pense pas {Presse} (Dans La Presse, toutes les occurences semblables ont �t� corrig�es.)
  5. et pour [certaines natures actives ray�] certains esprits actifs {Ms}
  6. un examen [rapide ray�] attentif {Ms}
  7. et [le tort ray�] celle de la jeunesse {Ms}.
  8. sur [moi ray�] mon compte {Ms}.
  9. dans ces biographies {Ms} ♦ dans certaines de ces biographies {Presse} et sq.
  10. � donner [sur mon compte ray�] les renseignements {Ms}.
  11. {Lub} modernise l'ortographe en supprimant le trait d'union apr�s tr�s. Il en allait de m�me pour {Presse}. Nous ne signalerons plus cette variante.
  12. Sur {Ms}, apr�s revenir, devait exister une premi�re r�daction: la page a �t� d�coup�e, un b�quet portant le nouveau texte est coll� � la place. L'�criture est plus tardive. (note de Georges Lubin)
  13. ne peut [se passer ray�] s'emp�cher {Ms}
  14. {Lub} modernise l'ortographe: po�te au lieu de po�te. Nous ne signalerons plus cette variante.
  15. consacr�. [C'est ce qui nous fait dire que les histoires personnelles �crites en vue d'un enseignement g�n�ral sont extr�mement rares bien que toutes ayent leur v�rit� relative, mais cette utilit� est incompl�te chez les po�tes particuli�rement. L'enthousiasme ray�] {Ms}. L'id�e de ce passage ray� est reprise plus loin sous une autre forme.
  16. sublimes [facult�s ray� — aspirations ray�] �motions {Ms}.
  17. on peut [rendre un service ray�] accomplir un devoir s�rieux [envers ray�], plus imm�diatement utile {Ms}.
  18. sans [d�tour ray�] symbole {Ms}.
  19. J'ai toujours {Ms}J'avais toujours {Presse} ♦ J'ai toujours {Lecou}
  20. {Lub} modernise l'ortographe: non seulement au lieu de non-seulement. Nous ne signalerons plus cette variante
  21. parler beaucoup de soi {Ms}parler de soi {Presse} ♦ parler beaucoup de soi {Lecou}.
  22. de s'en entretenir {Ms}de s'entretenir {Presse} ♦ de s'en entretenir {Lecou}
  23. utiles [regarder ray�] contempler {Ms}
  24. quelque [grande ray�] vive souffrance {Ms}
  25. des impressions [de voyage ray�] et des r�flexions {Ms}
  26. certaines [souffrances ray�] agitations {Ms}.
  27. �crire sur ma propre vie {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ �crire ma propre vie {LP} et sq.
  28. un �ge [de raison et ray� bleu] de calme {Ms}.
  29. car [de moi-m�me ray� bleu] � moi seule je n'aurais {Ms}.
  30. Il y aura toujours � aimer sur la terre, par cons�quent � plaindre, � servir, � souffrir, pour celui qui est n� compatissant et simple. Il ne faut {Ms} ♦ Pour ceux qui sont n�s [...] � souffrir. Il ne faut {Presse} et sq.
  31. dont ils [sont membres ray� bleu] font partie {Ms}
  32. il est [� regretter ray�] fatalement {Ms}
  33. [Une des sources les plus f�condes et les plus religieuses ray�] La source la plus vivante et la plus religieuse {Ms}
  34. plus ou moins [appr�ciable ray�] d�velopp� {Ms}
  35. puissante [et imp�rieuse ray�] {Ms}
  36. accomplir un devoir {Ms} ♦ remplir une obligation {Presse} et sq.
  37. un genre [d'impression qui est plus rarement exprim� ray�] de travail [int�rieur ray�] personnel qui a �t� plus rarement accompli {Ms}
  38. enseignement [de philosophie, d'art, de m�taphysique ou simplement d'art et de po�sie ray�] fraternel {Ms}
  39. et m�me un conseil et un guide pour {Ms}et m�me un conseil pour {Presse} ♦ et m�me un conseil et un guide pour {Lecou}
  40. esprits [dans la sph�re de la po�sie ray�] engag�s {Ms}
  41. c'est la n�tre propre, comme {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ c'est la n�tre, comme {LP} et sq.
  42. une confession {Ms} ♦ une confidence {Presse} et sq.
  43. l'occasion de se disculper {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ l'occasion de disculper {LP} ♦ l'occasion de se disculper {CL}
  44. que soit cet illustre �crit {Ms}, {Presse}, {Lecou}, {LP} ♦ que peut �tre cet illustre �crit {CL}
  45. plus [l'id�al ray�] ce m�me id�al {Ms}
  46. On a trop longtemps {Ms} ♦ Mais on a trop longtemps {Presse} et sq.
  47. apologie [personnelle ray�] purement individuelle {Ms}
  48. � son œuvre. Mais aujourd'hui {Ms} ♦ � son œuvre. Aujourd'hui {Presse} et sq.
  49. Si la [forme ray�] pens�e des Confessions {Ms}
  50. Je crois que [le public ray�] mes lecteurs {Ms}
  51. d'avoir [vol� ray�] pris {Ms}
  52. il se [disculperait ray� bleu] disculpe {Ms}
  53. pur et [grand ray�] bon {Ms}
  54. travers et [de nous d�fendre contre ray�] d'appr�cier {Ms}
  55. qui nous accuse {Ms} ♦ qui nous attaque {Presse} et sq.
  56. pour ton cœur et ton �loquence {Ms} ♦ pour l'ensemble de ton œuvre {Presse} et sq.
  57. [2. Chapitre deuxi�me ray�] Cette disgression sur Jean-Jacques Rousseau m'a emp�ch� de dire toute ma pens�e sur l'utilit� des impressions personnelles recueillies et communiqu�es simplement {Ms} (passage non repris dans les �ditions).
  58. s'�tre toujours trouv�s {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ s'�tre trouv�s {LP}, {CL} ♦ s'�tre toujours trouv�s {Lub} (qui restaure la le�on originale; nous le suivons)
  59. je laisserai l� mon raisonnement, l'expos� {Ms} ♦ je laisserai l� l'expos� {Presse} et sq.
  60. ne s'effrayent {Ms} ♦ ne s'effraie {Presse} et sq.
  61. de scandales {Ms} ♦ de scandale {Presse} et sq.
  62. r�publique {CL} ♦ R�publique {Lub} que nous suivons; nous marquerons d�sormais cette variante par le signe � la suite du mot
  63. comme [mes biographes �trangers ray�] plusieurs de mes biographes {Ms}
  64. Amantine-Lucile-Aurore Dupin [dont le mari n'a aucun titre ray�], et mon mari, Mr. Fran�ois Dudevant, ne s'attribue aucun titre. Il n'a jamais �t� [colonel ray�] que sous-lieutenant {Ms}
  65. de lui [un grognard ray�] un vieux colonel {Ms}
  66. colonel de [chasseurs ray�] cavalerie {Ms}.
  67. r�sultat d'une [loi ray�] l�gislation {Ms}
  68. mes biographes [anglais ray�] �trangers {Ms}
  69. qui nous ont port� {Ms} ♦ qui nous ont port�s {Presse} et sq.
  70. d'Auguste 3 {Ms} ♦ d'Auguste II {Presse} et sq.
  71. fort r�elle, [plus ray�] proche parente [des Bourbon ray�] de Charles X et de Louis XVIII [que beaucoup de leurs bons cousins couronn�s ray� bleu] {Ms}
  72. des affinit�s [inexplicables ray� bleu] particuli�res {Ms}
  73. prodigieux. [Il ne me faut que deux ou trois heures de volont� magn�tique et d'absorption vitale pour obtenir la confiance et l'attroupement des oiseaux les plus sauvages d�s qu'on les a mis entre mes mains ray� bleu]. J'ai {Ms}
  74. je [tenais ray�] tiens ce don {Ms}
  75. Van Amburgh {Ms}, {Presse}, {Lecou} ♦ Van Amburg {LP} et sq.
  76. Plaisanterie � part et fort s�rieusement, je suis certaine {Ms}Plaisanterie � part, il est certain {Presse} et sq.
  77. une pr�dilection marqu�e {Ms}une pr�vention marqu�e {Presse} et sq.
  78. pour certains {Ms}pour ou contre certains {Presse} et sq.
  79. des tigres [, et m�me il me semble que je ne m'y trouverais point mal � l'aise et que je n'y rencontrerais pas d'hostilit�. Je me trompe bien certaine ray� bleu] {Ms}
  80. une adresse qui serait �gale � la n�tre si l'intelligence �tait �gale {Ms} ♦ une adresse inou�e {Presse} et sq.
  81. C'est la [seule ray� bleu] principale (add. bleu) esp�ce {Ms}
  82. de [couver ray�] pr�server {Ms}
  83. animaux. [Il a l'amour paternel aussi bien que dans les autres esp�ces ray� bleu]. Dans la race canine si vant�e, (add. bleu) {Ms}
  84. [Dans l'esp�ce-homme ray�] L'homme-oiseau, c'est l'artiste [vraiment inspir� qui r�pond � ray�] mais le v�ritable artiste, type fort rare et qui se perd chaque jour dans notre esp�ce {Ms} ♦ L'homme-oiseau, c'est l'artiste {Presse} et sq.
  85. ce grand po�te de la nature [qu'il a si bien comprise ray�] {Ms} ♦ ce doux po�te de la nature {Presse} et sq.
  86. le plus pr�coce [des animaux ray�] des oiseaux {Ms} ♦ le plus pr�coce de nos petits oiseaux {Presse} et sq.
  87. �quivaut � [quinze ray�] dix ans {Ms}
  88. et s'effor�ant de voler {Ms} ♦ et s'effor�ait de voler {Presse} et sq.
  89. dont je profitai [avec plaisir ray�] pour �crire {Ms}
  90. qu'un enfant {Ms}, {Presse} ♦ qu'une enfant {Lecou} et sq.
  91. Cette note n'est pas dans {Ms}
  92. avant nous. [Elles ne permettaient pas aux mouches de nous importuner, et elles en faisaient grande d�confiture, sachant bien que ces insectes volent autour des viandes ray� bleu] {Ms}
  93. personnes. [Elles venaient se poser sur ma main et becqueter mes doigts o� je leur faisais <mot illisible> et chercher quelque friandise, un moucheron ou une petite fraise ray� bleu] {Ms}
  94. diablerie. [Dans un roman intitul� Teverino ray�] {Ms}
  95. grand bec qui e�t tranch� un doigt humain comme [avec ray�] ferait un rasoir {Ms} ♦ grand bec, tranchant comme un rasoir {Presse} et sq.
  96. point de cha�ne de fer {Ms} ♦ point de cha�ne {Presse} et sq.
  97. qu'on les [appr�cie ray�] respecte {Ms}
  98. en t�te, � l'heure qu'il est surtout, que de {Ms} ♦ en t�te que de {Presse} et sq.
  99. officiel. [On n'�crit jamais ray�] Les gens {Ms}
  100. christianisme. Il existe de nos jours un fait tout aussi extraordinaire et qui, au moyen �ge, e�t envoy� au b�cher l'innocente magicienne dont il �mane. C'est un fait constat� par un grand nombre de t�moins lesquels n'y voient, non plus qu'elle-m�me, rien de [surnaturel ray�] prodigieux. Nous vivons {Ms} ♦ christianisme. Nous vivons {Presse} et sq.
  101. �ternel. Voici ce fait: Mme L. h., femme d'un publiciste distingu�, vivait en Suisse, il y a quelques ann�es, et nourrissait des moineaux sur sa fen�tre, sans toutefois en faire [une occupation ray�] un amusement assidu, ni [une �tude ray�] un examen approfondi. / Appel�e en France par les occupations de son mari, elle [prit ray�] monta avec lui en diligence et arriva � Paris. En s'�veillant le lendemain, elle ouvrit sa fen�tre et se vit assaillie d'une certaine quantit� d'oiseaux (il y en avait, je crois, quatorze) qu'elle fut forc�e de reconna�tre pour des moineaux qu'elle nourrissait en Suisse, et qui s'�taient familiaris�s avec elle au point qu'elle avait pu leur attacher des signes particuliers. Il y avait avec eux une hirondelle qu'elle connaissait, parce que cette voyageuse avait toujours �t� m�l�e � ses moineaux, en Suisse, et s'�tait �tablie en soci�t� avec eux pour jouir de ses bienfaits, bien contrairement aux instincts et aux habitudes de cet oiseau dont le moineau est l'ennemi-n�. / Mme L. h. changea plusieurs fois de r�sidence, et partout ses moineaux la suivirent, quel que f�t son mode de transport, et sans qu'on les v�t voyager avec elle. Jamais elle n'y a rien compris, et chaque arriv�e de ses oiseaux au lendemain de ses diverses installations, fut pour elle une surprise charmante. Dans toutes ses promenades, les quatorze moineaux et l'hirondelle l'accompagnaient. Peu � peu, ils s'�taient familiaris�s avec son mari, et ils en vinrent � ce point que les deux �poux ayant eu � voyager dans diff�rentes directions une partie de l'escorte emplum�e suivait le mari, l'autre partie suivait la femme et les deux bandes se r�unissaient lorsque les deux �poux se retrouvaient ensemble. Voil�, sauf peut-�tre quelques inexactitudes de [d�tail ray�] ma m�moire sur des d�tails sans signification, le fait qui m'a �t� rapport� par des t�moins oculaires auxquels je dois croire comme � moi-m�me. Mais il est temps {Ms} ♦ �ternel. / Mais il est temps {Presse} et sq.

Notes

  1. {Presse} publie le 1er octobre 1854 une annonce: « La Presse commencera le mercredi 4 octobre la publication de l'HISTOIRE DE MA VIE, par Mme GEORGE SAND. La Presse laisse ainsi le temps de s'abonner � tous ceux qui voudront avoir le commencement de ces m�moires, achet�s CENT TRENTE MILLE FRANCS. » (p.2 c.2)
  2. {Presse} (La suite � demain.)
  3. M. Delmare, personnage d'un de mes romans: « le colonel Delmare, vieille bravoure en demi-solde » (Indiana, I I).
  4. {Presse} (La suite � demain.)