De la convention litt�raire de 1852 entre le Belgique et la France
Documents et controverse

HS -

C. Muqardt
De la
convention litt�raire
entre la Belgique et la France



Introduction.



Quelques mois apr�s la signature de la convention litt�raire entre le Belgique et la France en mars 1852, l'�diteur belge Charles Muquardt fit para�tre un article sur la controverse qui r�gnait tant en France qu'en Belgique sur les m�faits de la convention ou ceux de la contrefa�on.

Cet article est d'autant plus int�ressant qu'il fut r�dig� par un des acteurs majeurs de l'�dition en Belgique; il est important sous plusieurs aspects: (1) il ne prend parti ni pour la France ni pour la Belgique; (2) il est bien document� quant � l'importance r�elle de la contrefa�on qui �tait, en ce d�but des ann�es 1850, d�clinante sinon mourante; (3) il argumente, chiffres � l'appui; (4) il est bien au-dessus de la pol�mique alors r�gnante.

L'article de Muquardt parut d'abord dans le quotidien parisien La Presse, le samedi 2 octobre 1852. Il �tait pr�c�d� d'un commentaire approbateur sign� Émile de Girardin 1.

Charles Muquardt fit ensuite para�tre son article dans la Bibliographie de la Belgique, dont il �tait l'�diteur. Il �tait suivi d'une RÉPONSE AUX OBSERVATIONS de Girardin. 2

    Nous donnons, dans l'ordre:
  1. l'introduction d'Émile de Girardin dans La Presse
  2. l'article de Charles Muquardt parau dans La Presse et dans la Bibliographie de la Belgique;
  3. la r�ponse de Charles Muquardt aux observations faites sur son article 3.

L'introduction de Girardin est donn� telle que dans La Presse, avec indication de la pagination sous la forme {Pr. p.x cl.y} ou x et y sont les num�ro page et de colonne, respectivement.

L'article de Muquardt est donn� tel que paru dans la Bibliographie de la Belgique, avec la pagination de La Presse et celle de la Bibliographie de la Belgique sous la forme {BB. p.x}, et, en notes, les variantes de La Presse.

La r�ponse de Muquardt � Girardin est donn�e telle que parue dans la Bibliographie de la Belgique – � la suite de l'article , avec la pagination de la Bibliographie de la Belgique sous la forme {BB. p.x}.



RÉIMPRESSION DES LIVRES FRANÇAIS EN BELGIQUE
[Introduction par Émile de Girardin.]



{Pr. p.1 cl.4} « Les consid�rations qu'on va lire, et dont nous avons pu v�rifier par nous-m�mes la justesse, ont pour auteur l'honorable chef de l'une des premi�res maisons de librairie de Bruxelles, M. C. Muquard, fondateur et �diteur du recueil intitul�: BIBLIOGRAPHIE DE LA BELGIQUE.

» A tous les titres, M. Muquardt, qui a non seulement une maison � Bruxelles, mais encore une maison � Gand et � Leipzig, et qui entretient d'importantes relations avec l'Allemagne, la Russie et l'Am�rique, est donc un homme comp�tent, qui sait parfaitement ce dont il parle. Toutefois il est un point sur lequel nous ne saurions tomber d'accord avec lui, c'est sur kle nom qu'il donne � l'industrie belge, qu'il appelle : Contrefa�on, et que nous persistons, nous, � appeler : R�impression. Nous aimons qu'on appelle les choses par leur nom. R�imprimer des livres �trangers dans le pays o� la propri�t� litt�raire n'a pas encore �t� r�ciproquement reconnue, c'est les r�imprimer, ce n'est pas les contrefaire; c'est exercer une industrie l�gitim�, ce n'est pas exercer une industrie coupable. Attacher un nom qui est une fl�trissure � un acte qui n'�tait pas r�pr�hensible, ce serait manquer de justice.

» La Belgique a fait ce qu'elle avait le droit de faire, et ce que la France n'avait aucun scrupule de pratiquer � l'�gard des livres anglais et des livres espagnols, qu'elle r�imprimait en quantit� consid�rable pour l'exportation.

» La r�impression a pu �tre et a �t�, en effet, en Belgique, une d�testable sp�culation, puisqu'elle a englouti des millions et n'a laiss� finalement que les ruines sous lesquelles ont successivement disparu les soci�t�s en commandite : Haumann et Cie, — Wahlen et Cie — Scribe, Tecmen et Cie, — la Soci�t� Encyclographique, — la soci�t� Nationale,— la Soci�t� des Bibliophiles (Seghers), — Petit et Cie, — Laurent, — Riga et Cie, — Lacrosse et Cie, — Mertens, Wouters et Cie, etc. Mais la r�impression en Belgique n'en a pas moins �t� une utile concurrence � la librairie fran�aise, qui a �t� contrainte de fabriquer mieux. Il ne faut pas �tre ingrat : c'est aux r�impressions belges que les Fran�ais doivent de ne plus payer que 5 francs le volume les livres de 30 feuilles d'impression, tels que ceux dont se compose l'HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE, par M. Thiers; l'HISTOIRE DES GIRONDINS, l'HISTOIRE DE LA RESTAURATION, par M. de Lamartine, etc. Autrefois ces livres, ne contenant que 25 feuilles au plus, eussent co�t� 7 francs 50 centimes au moins. Et que d'anomalies encore dans la librairie fran�aise, particuli�rement dans la branche qui a pour objet ce qu'on appelle : les nouveaut�s! Ainsi l'on voit mettre en vente des romans au prix de 7 fr. 50 c. le volume, lorsque quelques jours apr�s para�tra ce m�me volume contenu sans peine dans une seule livraison illustr�e de {Pr. p.1 cl.5} gravures sur bois et se vendant 20 centimes! Vendre 7 fr. 50 c. ce qui peit se fabriquer et se vendre au prix de 20 centimes, n'est-ce pas l� une monstruosit� industrielle et commerciale? Mais nous ne voulons pas traiter aujourd'hui la question de la propri�t� litt�raire universalis�e faisant place au droit r�ciproque de r�impression, nous laissons donc la parole � M. Muquardt:

E. de Girardin. »



DE LA CONVENTION LITTÉRAIRE ENTRE LA BELGIQUE ET LA FRANCE
par C. Muquardt.



{Pr. p.1 cl.5; BB. p.88} « Bruxelles, le 28 Septembre 1852,

« En pr�sence des manifestations populaires organis�es en Belgique afin d'emp�cher, devant les chambres l�gislatives, la ratification du trait� sign� � Paris pour l'abolition de la contrefa�on 4, il devient utile de soumettre cette question � un examen s�rieux et de la d�pouiller de toutes les exag�rations int�ress�es qui ont rendu jusqu'ici sa solution si difficile.

« De nos jours, la contrefa�on des livres, envisag�e 5 comme industrie, ne peut �tre qu'une sp�culation imprudente et pr�judiciable, car elle expose celui qui l'entreprend aux chances douteuses de l'�diteur original, et la libre concurrence que les contrefacteurs se font entre eux les emp�che en outre de toucher le b�n�fice que l'�diteur r�ussit quelquefois � r�aliser.

« C'est � l'influence de cette concurrence sans frein, qui d'un c�t�, n�cessita de diminuer le tirage de chaque �dition, tandis que de l'autre elle augmenta d�m�sur�ment 6 les prix de revient, que doit �tre attribu�e la d�cadence rapide d'une industrie qui, disposant encore, il y a dix ans, de capitaux tr�s-importants 7, est maintenant totalement ruin�e, et n'occupe, sur tout le territoire belge, plus autant d'ouvriers que jadis un seul de ses ateliers.

« Aussi l'abolition de la contrefa�on, en Belgique, n'am�nera�t-elle en ce pays aucun changement notable dans la position des typographes. Elle se fera sans secousse, sans h�sitation, et il est plus que probahle que les quelques romans et livres classiques que l'on contrefait encore continueront � y �tre imprim�s comme �ditions originales pour l'�tranger, au m�me prix et dans le m�me format qu'auparavant.

« Les rares �diteurs belges qui exercent encore cette 1ndustrie entreront dans un arrangement avec les auteurs ou �diteurs de {BB. p.89} Paris, et, � la place de deux �ditions belges tir�es � petit nombre, le m�me ouvrage n'aura en Belgique qu'un seul �diteur qui doublera ou triplera son tirage, et qui, au lieu 8 d'une sp�culation hasard�e, fera une bonne et s�re op�ration.

« Les livres d'origine belge, les impressions d'ouvrages tomb�s dans le domaine public, les lithographies et gravures, en un mot toutes les publications belges non contrefaites, �taient jusqu'� pr�sent presque aussi prohib�es en France que les contrefa�ons elles m�mes, car le droit de 107 fr. 50 pour les libres 9 belges, ou de 160 fr. pour les r�impressions d'ouvrages tomb�s dans le domaine public, ainsi que celui de 317 fr. 50 pour lithographies et gravures, �quivalaient � une prohibition absolue. Le trait� que la France nous offre r�duit � 20 francs le droit d'entr�e pour livres, gravures et lithographies publi�s en Belgique; par cons�quent la Belgique, en l'acceptant, jouira non seulement de l'avantage de cette r�duction pour l'importation de ses publications en France, mais encore elle pourra vendre ses anciennes contrefa�ons, ainsi que les livres originaux, de la m�me mani�re et sur les m�mes march�s que maintenant.

« Si la Belgique voulait, au contralre, malntenir le droit de contrefa�on, cette industrie, d�j� d�pourvue de la force n�cessaire pour pouvoir exister, s'�teindra compl�tement faute de d�bouch�s. D'un c�t�, la France lui a enlev�, par des trait�s sp�ciaux, les march�s de l'Angleterre, de l'Espagne, du Portugal, de la Sardaigne, du Hanovre, etc., et de l'autre, la nouvelle loi qui reconna�t et garantit, sans conditions et sans r�serve, la propri�t� litt�raire de l'�tranger sur tout le territoire de la France, lui ferme les d�boucb�s de la Prusse, de la Saxe, de la Bavi�re, de la Su�de, du Danemark et ceux de tous les pays qui depuis longtemps reconnaissent la propri�t� {Pr. p.2 cl.1} litt�raire, sous r�serve de r�ciprocit�.

« La Belgique perdra donc tous ces march�s, non seulement pour les les nouvelles publications qu'elle pourra fabriquer, mais encore pour les anciennes d�j� imprim�es; en effet, aussi longtemps qu'une loi n'interdira pas en Belgique la contrefa�on et ne rendra pas impossible l'alimentation et la r�impression des contrefa�ons, il sera tr�s-difficile, pour ne pas dire impossible, de distinguer, dans les ballots de livres qui pourraient venir de la Belgique, ce qui est fabriqu� avant de ce qui est fabriqu� apr�s la mise en vigueur de la loi reconnaissant la propri�t� litt�raire de la France.

« Il est vrai que le code du droit des gens �tablit le principe qu'une loi ne peut avoir de force r�troactive; mais, tout �quitable qu'il soit, ce principe n'est applicable qu'aux nations qui {BB. p.90} reconnaissent et adoptent la nouvelle loi. C'est pourquoi on n'an�antit pas chez elles les anciennes contrefa�ons; on les vend, comme auparavant, on les �coule, parce que leur alimentation ne peut plus avoir lieu.

« Le travail que la contrefa�on des livres procure maintenant encore aux ouvriers belges peut �tre pr�cis� par la statistique; nous n'avons qu'� examiner le catalogue de tous les ouvrages imprim�s, qui se publie mensuellement avec indication du format et du nombre de pages de chaque volume, sous le titre : BIBLIOGRAPHIE DE LA BELGIQUE. Quant aux contrefa�ons publi�es exclusivement dans trois ou quatre villes, elle est d'une exactitude rigoureuse.

« Nous y trouvons que l'on a imprim�, pendant l'ann�e 1851, 952 articles en tout (livres, brochures, revues, etc., non compris les journaux politiques). Parmi ces 952 num�ros, il se trouve 283 contrefa�ons, qui contiennent ensemble

Total. . . . . . . 272 pages in-4°
25,211 » in-8°
40,454 » in-12 et in-18
31,960 » in-32
———    
97,897 pages  

« En admettant qu'il faille � un compositeur
3 h. pour composer une page gr. in-4°
2 h. 1/2     »         » gr. in-8°
1 h. 1/2     »         » in-12 ou in-18
1 h.     »         » in-32
et en �valuant le travail journalier d'un compositeur � 10 heures, et l'ann�e (apr�s d�duction des dimanches et jours f�ri�s) � 300 jours, nous obtenons, pour
272 pages in-4°, � 3 heures 816 h.
15,211 pages 10 in-8°, � 2 heures 1/2 63,027  
40,454 pages in-12 et in-18, � 1 heures 1/2 60,681
31,960 pages in-32, � 1 heure 31,960
  ———  
  Total. . . . . . . 156,484 h.
ce qui, divis� par 10 heures de travail par jour et 300 jours par an, soit 3,000, nous donne pour r�sultat 52, c'est � dire : la production totale de la contrefa�on des livres eu Belgique, pendant une ann�e est repr�sent�e par le travail journalier de 52 compositeurs.

« Si on prend maintenant en consid�ration que la plus grande partie de ces ouvrages a �t� tir�e � un petit nombre, nous {BB. p.91} croyons d�j� aller au del� de la r�alit� en �valuant le travail de l'imprimeur, du brocheur et du fabricant de papier ensemble au m�me chiffre, c'est � dire 52, soit total, 104, y compris le tirage de quelques ouvrages clich�s.

« Pour n'omettre aucun autre artisan, depuis le chiffonnier, le fabricant d'encre d'impression, le fondeur de caract�res, etc., jusqu'au voiturier qui conduit le ballot au chemin de fer, nous ajouterons � ce chiffre de 140 11 encore environ 50 0/0, et nous obtiendrons pour r�sultat que, bel et bien compt�, la contrefa�on des livres, sur tout le territoire belge, exige encore le travail annuel de 150 personnes.

« C'est l� la v�ritable situation de cette industrie, situation qu'on a transform�e et agrandie jusqu'aux proportions les plus fabuleuses.

« On ne saurait se faire une id�e de la d�plorable influence que les exag�rations donn�es � l'importance de la contrefa�on ont exerc�e sur la conclusion de la convention litt�raire sign�e � Paris entre les pl�nipotentiaires belges et fran�ais. Au lieu de pr�senter le v�ritable �tat de la situation et de d�montrer � l'industrie de la typographie fran�aise qu'elle n'aurait rien � craindre de sa voisine �puis�e, on s'est berc� d'une chim�re, on a esp�r� de vendre au prix le plus �lev� possible l'abandon du droit de contrefa�on en m�me temps que les livres fabriqu�s.

« Dans des brochures r�pandues � profusion � Paris, on n'a pas craint d'imprimer en toutes lettres que la contrefa�on �tait encore une industrie donnant du travail et de l'aisance � 300,000 {Pr. p.2 cl.2} ouvriers, et que le seul et meilleur moyen d'en finir, ce serait d'acheter tous les livres contrefaits que la Belgique poss�de pour les d�truire. On a propos� cela, sans prendre en consid�ration que si jamais le gouvernement fran�ais e�t voulu consentir � payer des millions pour commettre un acte aussi barbare que celui de faire, en plein dix-neuvi�me si�cle, un auto-da-f� d'excellents livres, il �tait au moins impossible � la Belgique d'y adh�rer.

« D�truire toutes les contrefa�ons existant en Belgique, c'e�t �t�, en effet, arr�ter d'un seul coup non seulement l'exportation des livres, mais encore la publication de nouveaux ouvrages qui, pour pouvoir �tre vendus, ont besoin d'�tre envoy�s � un grand nombre de correspondants, et auxquels on aurait �t� les occasions d'en faire venir des exemplaires.

« Peut-on s'�tonner, apr�s cela, que l'industrie de la typographie fran�aise se soit �mue de ces exag�rations, que les principaux int�ress�s se soient r�unis pour demander aupr�s de leur gouvernement une protection efficace contre la concurrence d'une industrie infiniment plus puissante que cette industrie en {BB. p.92} France m�me, et qu'enfin les libraires et surtout les imprimeurs de Paris tremblaient d�j� devant la perspective de voir l'activit� de 300,000 ouvriers belges se ruer sur le territoire de la France?

« Il a fallu bien des d�marches, bien des discussions, pour d�truire en partie l'influeuce funeste de ces monstrueuses erreurs et pour amener, de concession en concession, les int�ress�s jusqu'� consentir � ce que les livres, les lithographies et gravures publi�s en Belgique ne payassent, � leur entr�e en France, que 20 fr. par 100 kilog. Ce droit est encore �lev�, et la France, en passession de sa riche litt�rature, n'a certes pas besoin de cette protection; on fabrique dans les provlnces � aussi bas prix qu'en Belgique, et si le prix de fabrication est un peu plut avantageux � Bruxelles qu'� Paris, tout le monde sait parfaitement que cette diff�rence est trop peu importante pour permettre � un �diteur fran�ait d'y faire imprimer les publications, alors m�me que les livres imprim�s en Belgique entreraient sans aucun droit en France.

« Nous regrettons qu'on l'exige, mais il seralt insens�, � cause d'une condition un peu moins avantageuse, de rejeter un trait� qui seul peut sauver d'une destruction compl�te la librairie belge et toutes les industries qui en d�pendent. Du reste, nous ne croyons pas nous tromper en pr�disant que les droits d'entr�e sur les livres dispara�tront bient�t dans tous les États qui reconnaissent l� propri�t� litt�raire internationale 12.

« Lorsqu'on examine avec attention les tarifs de douane des divers pays de l'Europe et de l'Am�rique, on est frapp� de cette multitude de formalit�s et vexations les plus diverses qui, � c�t� de droits quelquefois tr�s-�lev�s, entravent presque partout la libre circulation des livres.

« Croira-t-on que, pendant que la Saxe et la Prusse, qui depuis longtemps donnent libre acc�s aux livres de toutes les nations, ont vu s'�lever leur commerce de librairie, ainsi que leurs typographies et toutes les industries qui s'y rattachent, � une 13 tr�s�grande importance et prosp�rit�, on continue non seulement en France, mais encore en Belgique, en Angleterre, en Am�rique (c'est � dire dans les pays qui se vantent d'accorder une libert� illimit�e � la presse), � entraver la circulation des livres tout aussi rigoureusement qu'en Russie?

« On exige pour toutes les marchandises une d�claration simple et naturelle : une caisse de sucre, un sac de caf�, une caisse de rubannerie ou de mercerie, chaque colis enfin paie les droits d'entr�e, soit d'apr�s son poids, soit d'apr�s sa valeur; pour les livres seuls on a fait exception, et on exige pour eux des formalit�s {BB. p.93} qui ne sont pas seulement absurdes, mais souvent impraticables.

« Les droits pour les articles contenus dans le m�me colis de livres se divisent � l'infini, suivant que les livres qu'il contient sont reli�s ou broch�s, d'apr�s la langue dans laquelle ils sont imprim�s ou d'apr�s la date de leur impression. Ceux � gravures, les lithographies ou cartes g�ographiques paient d'apr�s le nombre de feuilles; — puis les uns d'apr�s leur valeur, les autres d'apr�s leur poids, de sorte qu'il est souvent presque impossible de faire la d�claration parfaitement exacte.

« Si on ajoute � cela que la douane se fait payer toutes ces vexations, et que les faux-frais pour visite et ouvriers viennent augmenter les droits d�j� tr�s-�lev�s, on comprendra pourquoi le commerce de librairie n'a pu se d�velopper et s'�tendre au del� des fronti�res de chaque pays; pourquoi l'�diteur original d'un livre a �t� impuissant {Pr. p.2 cl.3} � lutter contre la contrefa�on, malgr� mille avantages sur son concurrent � l'�tranger, car non seulement il pourra y arriver le premier sur le march�, mais encore faire sur la composition et sur les planches grav�es de l'�dition originale un tirage sp�cial ne co�tant plus que le papier, et dont la fabrication mat�rielle lui reviendra par cons�quent de 40 � 80 0/0 moins cher que la contrefa�on; les frais de la compositlou ou de la gravure ne sauraient en effet �tre �vit�s par le contrefacteur.

« Chose �trange, on a vu que depuis que l'on prot�ge la propri�t� litt�raire nationale, et que les livres, au moyen des routes facilement pratiquables, des postes et d'autres voies de communication, ont pu circuler librement dans l'int�rieur de chaque pays, leurs prix sont devenus infiniment plus modiques, et ceci s'explique d'un c�t� par la diminution des frais de la fabrication en substituant une seule composition � plusieurs, et de l'autre, par l'augmentation du tirage, qui d�cuple la r�duction dans le prix de revient.

« On a, depuis cinquante ans, cet exemple devant les yeux, et au lieu de l'imiter et de laisser � la litt�rature ainsi qu'� la librairie leur libre essor, on a, par une erreur inexplicable, laiss� exister toutes les entraves, tous les obstacles de l'ancien temps.

« On a bien compris qu'il �tait impossible d'arr�ter l'�lan et la propagation des id�es; mais, au lieu de leur ouvrir la porte, on les a forc� � sauter par la fen�tre; au lieu de rester dans la l�galit�, on a �t� contraint de ne plus respecter le droit, et des hommes honorables sont venus proclamer du haut des tribunes un principe odieux et en contradiction flagrante avec l'organisation actuelle des relations internationates.

{BB. p.94} « Nous avons enfin vu presque tous les États de l'Europe civilis�e admettre en principe cet abus qui maintient que ce qui depuis un demi-si�cle est envisag� et puni comme un d�lit 14 commis au pr�judice d'un concitoyen, est permis vis-�-vis d'un �tranger.

« Depuis quinze � vingt ans, plusieurs États de l'Europe, reconnaissant l'injustice de cet axiome, ont d�fendu chez eux la contrefa�on des �crits publi�s � l'�tranger sous r�serve de r�ciprocit�; enfin, au 28 mars dernier, la France est la seule et premi�re nation qui reconna�t, sans conditions et sans r�serve, la propri�t� litt�raire internationale sur tout son territoire; c'est l'inauguration d'une �re nouvelle pour la litt�rature et pour la librairie. — Mais de m�me qu'il e�t �t� difficile de cr�er une litt�rature nationale apr�s ]a reconnaissance de la propri�t� litt�raire nationale, si on avait voulu entraver la libre circulation des livres dans l'int�rieur de chaque pays, 15 de m�me il serait impossible � la litt�rature universelle de se d�velopper et d'exister si on n'abat pas les anciennes entraves qu'un pays a �lev�es vis� �-vis de l'autre contre la libre circulation des livres. Qu'importe que les livres existent, s'ils ne peuvent par suite de barri�res et d'obstacles multipli�s, arriver facilement dans toutes les mains et �clairer tous les esprits!

« La France a �tendu jusqu'aux traductions m�me le droit de la propridl� litt�raire; elle s'apercevra bient�t que cette protection illimit�e de la pens�e humaine deviendra un obstacle au progr�s moral, si elle ne procure les moyens d'une circulation facile et peu co�teuse, — celle-ci est indispensable � la librairie pour se d�velopper et pour pouvoir r�unir les pens�es des nations, n'importe dans quelle langue elles sont exprim�es. L'abolition de la contrefa�on seule ne suffira pas � changer l'�tat actuel de cette industrie. Si l'on continue � entraver la libre circulation des livres, le capital, la confiance, l'intelligence, les capacit�s s'en retireront de plus en plus; elle p�rira, et avec elle la substance la plus solide de la nourriture intellectuelle; il n'y restera que ce qu'on appelle vulgairement la presse qui, m�me chez les nations qui se vantent de l'exercer dans une libert� illimit�e, ne repr�sente pas la vraie libert� d'�crire; ce n'est que lorsque les nations civilis�es auront accord� aux livres des facilit�s de transport applicables � leur forme, � leurs prix et, proportionnellement, aussi importantes que celles dont jouissent depuis 30 � 40 ans les journaux, que la libert� de la presse trouvera sa v�ritable et enti�re expansion.

« C. MUQUARDT. »



RÉPONSE AUX OBSERVATIONS
QUI ONT ÉTÉ FAITES
au sujet de l'article qui pr�c�de, publi� dans LA PRESSE
DU 2 OCTOBRE 1852



{BB. p.[95]} Les ouvriers typographes, qui ne comprennent absolument rien � la question dont il s'agit et qui ne se doutent pas que je d�fends leurs int�r�ts les plus chers en d�fendant ceux du commerce de la librairie, pr�tendent:

« 1° Que j'ai oubli� dans ma statistique, Ie travail des lithographes.

2° Que les r�les d'exportation des livres que le Moniteur publie prouvent le contraire de ce que je dis.

Je r�ponds � ces observations:

1° Le travail des lithographes, pour autant qu'il entre dans la contrefa�on des livres est compris dans ma statistique: Il a �t� pour l'ann�e 1851 de si peu d'importance, que je n'ai pu cru n�cessaire de parler de la petite d�duction que le total de la composition subirait, si on voulait faire un compte � part pour quelques pages lithographi�es, ou plut�t calqu�es. A l'exception de l'ouvrage publi� cette ann�e (1852) par MM. Avanzo et Co et qui se trouve m�me indiqu� dans le pr�sent n° de la Bibliographie, la derni�re contrefa�on d'un ouvrage de quelque importance, lithographi� en Belgique, a �t� publi� � Li�ge, en 1850. Il porte le titre : Parall�lc des maisons de Paris, 20 livraisons in-folio, et se trouve indiqu� dans la Bibliographie de 1849 et 50; * je puis m�me constater � cet �gard que ma maison a achet� de cette importante publication un tirage de 250 exemplaires, pour l'exportation.

2° Quant aux r�les d'exportation, j'ai d�j� eu $occasion ** de d�montrer qu'ils ne peuvent d'aucune mani�re donner aucune id�e {BB. p.96} de ce qu'on imprime, r�imprime ou contrefait annuel1ement en Belgique; mais constatons une fois de plus que pour certains individns, les choses les plus simples ont besoin d'une explication.

[{BB. p.95}] * La statistique de la contrefa�on pendant 1849 et 1850 est indiqu�e dans ma brochure : De la propri�t� litt�raire internationale, etc. Bruxelles, 1851.

** Voir la m�me brochure, pages 32 et 33.

[{BB. p.96}] Tout le monde sait, et cela est parfaitement vrai, que l'Angleterre, qui ach�te beaucoup de vieux livres rares et pr�cieux consomme proportionnellement le moins de nos �ditions � bon much�. Comment se fait-il que dans les r�les d'exportation des livres pendant les neuf premiers mois de cette ann�e, l'Angleterre figure presque pour la moiti� de toutes nos exportations?

Cette question est facile � r�soudre. Supposons que nous assistons � Anvers aU chargement d'un navire qui emporte quatre caisses de livres pesant 250 kilogr. chacune, et voyons ce qu'elles contiennent:

N° 1 contient de vieux livres achet�s chez Janssens-Verbeyst, Heussner, Polain ou dans une de ces ventes nombreuses qui se font en Belgique.

N° 2 contient des livres appartenant � la Biblioth�que d'un Anglais qui, apr�s avoir r�sid� quelques ann�es en Belgique, quitte ce pays et retourne en Angleterre.

N° 9 contient des livres venant de l'Allemagne ou de l'Italie, destin�s � une biblioth�que en Angleterre, et dirig�s sur l'entrep�t � Anvers.

N° 4 enfin, contient des livres helges, dont 200 kilogr. imprim�s avant 1852 et 50 kilogr. publi�s pendant l'ann�e. Otons de ces 50 kilogr. encore 25 kilogr. de livres originaux, il nous reste 25 kilogr. de contrefa�ons imprim�es en 1852, l�, o� le Moniteur indique 1000 kilogr. de livres export�s en Angleterre.

Nous n'envoyons en France aucune contrefa�on et tr�s peu de livres d'origine belge, et cependant les r�les d'exportation constatent que les exportations des livres pour la France pendant l'ann�e 1851 se sont �lev�es � 20,834 kilogr.!

L'explicatlon que je viens de donner des chiffres statistiques des r�les d'exportation, r�fute en m�me temps la seule objection que l'auteur anonyme d'une brochure r�cemmenl publi�e sur le m�me sujet ait trouv�e pour combattre mes conclusions.

Du reste, cette brochure publi�e sous le titre

Des deux conventions franco-belges jug�es au point de vue du droit et des principes �conomiques

est, quant � la partie qui traite de la propri�t� litt�raire, une v�ritable plaisanterie.

Sur une l�gislation universelle qui n'existe pas, l'auteur �tablit les consid�rations les plus vari�es; et pour prouver l'existence de la base de ses op�ratlons chim�riques, il fait comme certain gascon qui, voulant prouver qu'on peut aller plus vite en poste que par {BB. p.97} le chemin de fer, d�montre que pour la m�me destination les lettres exp�di�es par la poste arrivent plut�t que les paquets envoy�s par le chemin de fer. La seule diff�rence qui existe entre les conclusions de l'un et de l'autre est que le gascon agit sournoisement, tandis que notre auteur parle s�rieusement et de bonne foi.

Toutes les hypoth�ses, toutes les suppositions disparaissent dcvant les faits! A quoi bon toujours r�p�ter la m�me chose, prouver ce que personne ne conteste, c'est-�-dlre que la contrefa�on des livres a �t� exerc�e partout depuis des si�cles, qu'elle a peut-�tre — � une �poque, o� l'organisation actuelle des relations et communications internationales n'existait pas — rendu quelques services au progr�s moral tout en donnant lieu � des entreprises lucratives, qu'elle est une industrie parfaitement l�gale dans tous les pays o� la propri�t� litt�raire n'a pu encore �t� r�ciproquement reconnue.

Tout cela n'avance gu�re la solution de la question. Il est avant tout n�cessaire d'envisager la question au point de vue de sa situation actuelle; c'est ce que j'ai fait dans ma brochure de la propri�t8 litt�raire internattionale, etc., publi�e en 1851.

J'y ai d�montr� que de nos jours, la contrefa�on litt�raire, envisag�e comme industrie, ne peut �tre qu'une sp�culation imprudente et pr�judiciable pour celui qui l'entreprend, et c'est pour cette cause qu'elle a �t� abandonn�e par la sp�culation, de mani�re qu'elle s'est peu � peu et partout, presque �teinte d'elle� m�me; par cons�quent, le bien qu'elle produisait nagu�re d'un c�t� (la diminution, dans les prix des livres contrefaits pour les lecteurs �trangers) dispara�t compl�tement devant l'influence funeste qu'elle continue � exercer dans toute sa force sur les prix et la propagation des livres en g�n�ral; car, aussi longtemps que la contrefa�on de livres sera autoris�e par la loi � l'�tranger et que l'�diteur ne pourra compter que sur les lecteurs de sa nation, il r�partira toujours les frais de sa publication sur le nombre d'exemplaires d'un tirage appropri� presque exclusivement aux besoins du pays, pour lequel l'ouvrage est �crit; il �vitera toujours de faire les frais n�cessaires pour faire valoir � l'�tranger une propri�t� qui, du moment o� elle trouve un certain nombre d'amateurs, ne lui appartient plus.

J'ai enfin expliqu� comment, en ce qui concerne les int�r�ts belges, l'abolition de la contrefa�on litt�raire est devenue une n�cessit� et j'ai prouv� par un travail statistique exact et facile � v�rifier que cette industrie, apr�s avoir englouti des capitaux immenses est tomb�e si bas, qu'elle n'occupe sur tout le territoire belge, plus autant d'ou nies, que jadis un seul de ses atellers.

{BB. p.98} M. de Girardin (dans La Presse du 2 octobre) se rend � la justesse de mes observations qu'il a eu occasion de v�rifier lui m�me, pendant son s�jour en Belgique, mais il ajoute:

« Toutefois, il est un point sur lequel nous ne saurions tomber d'accord avec l'auteur de cet article, c'est sur le nom qu'il donne � cette industrie, qu'il appelle: contrefa�on et que nous persistons, nous, a nommer: r�impression. Nous aimons qu'on appelle les choses par leur nom. R�imprimer des livres �trangers dans le pays o� la propri�t� litt�raire n'a pas encore �t� r�ciproquement reconnue, c'est les r�imprimer, ce n'est pas les contrefaire. »

Je r�pondrai � M. de Girardin que j'attache peu d'importance au nom que l'on veut donner � cette industrie, mais je crains qu'il ne r�ussisse pas � la d�baptiser.

Certes, en pr�sence de l'organisation actuelle des relations internationales, le mot seul de contrefa�on, devrait suffire pour d�signer cette industrie honteuse et coupable que l'on nomme contrefa�on occulte ou ill�gale, pour la distinguer de la contrefa�on autoris�e par la loi, qui est une industrie parfaitement l�gale; mais aussi longtemps que cet anachronisme existera, le public, les libraires, la loi et les tarifs des douanes continueront � appeler les contrefa�ons des livres toujours par leur v�ritable nom pour les distinguer des r�impressions des livres �puis�s ou de ceux tomb�s dans le domaine public. Si on voulatt appeler les choses par leur v�ritable nom, on ne devrait se servir du mot: r�impression, que pour d�signer la r�impression des livres �puis�s.

Personne ne pense � supprimer la r�impression, mais nous assisstons � des n�gociations diplomatiques qui tendent � supprimer, non pas la r�impression, mais la contrefa�on.

C. MUQUARDT.


Notes

  1. La Presse, de la page 1, colonne 4 � � la page 2 colonne 3. Le titre �tait RÉIMPRESSION DES LIVRES FRANÇAIS EN BELGIQUE. Il est tr�s probable que l'article parut �galement dans l'un ou l'autre journal belge.
  2. Bibliographie de la Belgique, 15e ann�e, 1852, N° 10 (octobre), pp.88-98.
  3. Malheureusement nous n'avons pas encore eu acc�s aux dites observations et ne savons pas dans quel p�riodique elles parurent.
  4. contrefa�on : en italiques dans La Presse.
  5. la contrefa�on des livres, envisag�e [...] : "des livres" omis dans La Presse.
  6. augmenta d�m�sur�ment : cette coquille n'est pas dans LaPresse.
  7. tr�s-importants : La Presse utilise la forme moderne pour les superlatifs tr�s.
  8. au lieu : "� la place" La Presse.
  9. libres : lire "livres". La Presse n'a pas cette coquille.
  10. 15,211 pages : lire "25,211". La Presse a �galement cette inadvertance.
  11. 140 : lire "104". La Presse n'a pas cette coquille.
  12. L'auteur anticipe ici l'application du principe de libre �change, pr�figur� par Henty Martin en 1701, d�velopp� par Adam Smith en 1776, puis Robert Torens, David Ricardo et d'autres. Principe qui demeure aujourd'hui controvers� parce qu'appuy� sur un postulat de productivit�, or l'�volution de cette derni�re est en fait ind�pendante : la libre concurrence n'�tant pas le libre �change �quitable.
  13. � une : le "�" fait d�faut dans La Presse.
  14. comme un d�lit : "comme un vol" dans La Presse.
  15. chaque pays, : "chaque pays;" dans La Presse.