Albert Le Roy
George Sand et ses amis

Paris; Soc. d'�d. Litt�raires et Artistiques, Libr. Paul Ollendorff; 1903

CHAPITRE XXVII
LES DERNIÈRES ANN&EAcute;ES.

Attel�e � sa besogne quotidienne, George Sand, pour qui le th��tre avait �t� un d�lassement, composait le roman p�riodique, � peu pr�s bi-annuel, qu'elle s'�tait engag�e � fournir � Buloz pour la Revue des Deux Mondes. Alors m�me que le m�rite litt�raire fl�chissait, elle avait conserv� une client�le ind�fectible, et, parmi l'abondance de sa production automnale, de temps � autre apparaissait encore une oeuvre o� l'on retrouvait le charme de ses d�buts et l'�clat de sa maturit�. Ce fut le cas de Malgr�tout, paru en mars 1870, et qui obtint un gros succ�s d'allusion malicieuse. Le r�cit des amours de Miss Sarah Owen pour le violoniste Abel, virtuose de l'archet, reprenait un th�me maintes fois trait� par George Sand; mais la rivale de la jeune fille �tait une certaine Carmen d'Ortosa, en qui l'on voulut voir le portrait de l'imp�ratrice Eug�nie, au temps o� avec sa m�re, madame de Montijo, elle fr�quentait les villes d'eaux et les plages � la mode, en qu�te de quelque �pouseur. L'auteur de Malgr�toutse d�fendit �nergiquement d'avoir eu une telle pens�e et de sp�culer sur le scandale. Le 19 mars 1870, elle �crivit � Gustave Flaubert: « Je sais, mon ami, que tu lui es tr�s d�vou�. Je sais qu'Elle est tr�s bonne pour les malheureux qu'on lui recommande; voil� tout ce que je sais de sa vie priv�e. Je n'ai jamais eu ni r�v�lation ni document sur son compte, pas un mot, pas un fait, qui m'e�t autoris�e � la peindre. Je n'ai donc trac� qu'une figure de fantaisie, je le jure, et ceux qui pr�tendraient la reconna�tre dans une satire quelconque seraient, en tous cas, de mauvais serviteurs et de mauvais amis. Moi, je ne fais pas de satires; j'ignore m�me ce que c'est. Je ne fais pas non plus de portraits: ce n'est pas mon �tat. J'invente. Le public, qui ne sait pas en quoi consiste l'invention, veut voir partout des mod�les. Il se trompe et rabaisse l'art. Voil� ma r�ponse sinc�re! » Cette lettre fut communiqu�e par les soins de Flaubert � madame Cornu, filleule de la reine Hortense et soeur de lait de Napol�on III. George Sand revient sur ce sujet, eu s'adressant, le 3 juillet, d'abord � Émile de Girardin, puis au docteur Henri Favre. Elle atteste qu'on lui fait injure, dans certaine presse, en assimilant la t�che de l'artiste � celle du pamphl�taire honteux. « Si j'avais voulu, dit-elle, peindre une figure historique, je l'aurais nomm�e. Ne la nommant pas, je n'ai pas voulu la d�signer; ne la connaissant pas, je n'aurais pu la peindre. S'il y a ressemblance fortuite, je l'ignore, mais je ne le crois pas. » Quelle �tait donc cette Carmen d'Ortosa, personnage �pisodique de Malgr�tout, qui soulevait une ardente controverse? Voici le portrait de l'aventuri�re, trac� par elle-m�me: « Je suis la fille d'une tr�s grande dame. Le comte d'Ortosa, �poux de ma m�re, �tait vieux et d�labr�; il lui avait procur� des fils rachitiques qui n'ont pas v�cu. Ma m�re, en traversant certaines montagnes, fut enlev�e par un chef de brigands fort c�l�bre chez nous. Il �tait jeune, beau, bien n� et plein de courtoisie. Il lui rendit sa libert� sans conditions, en lui donnant un sauf-conduit pour qu'elle p�t circuler � l'avenir dans toutes les provinces o� il avait des partisans, car c'�tait une mani�re d'homme politique � la fa�on de chez nous. Voil� ce que racontait ma m�re. Je vins au monde � une date qui correspond � cette aventure. Ma ressemblance avec le brigand est une autre circonstance bizarre que personne n'a pr�tendu expliquer. Le comte d'Ortosa pr�tendit bien que je ne pouvais pas appartenir � sa famille; mais il mourut subitement, et je v�cus riche d'un beau sang dont je remercie celui qui me l'a donn�. Je fus �lev�e � Madrid, � Paris, � Londres, � Naples, � Vienne, c'est-�-dire pas �lev�e du tout. Ma m�re, belle et charmante, ne m'a jamais appris que l'art de bien porter la mantille et le jeu non moins important de l'�ventail. Mes filles de chambre m'ont enseign� la jota aragonese et nos autres danses nationales, qui ont �t� pour moi de grands �l�ments de sant� � domicile et de pr�coces succ�s dans le monde... Je vis les amours de ma m�re; elle ne s'en cachait pas beaucoup, et j'�tais curieuse. J'en parle parce qu'ils sont � sa louange, comme vous devez l'entendre. Elle �tait plus tendre qu'ambitieuse, plus spontan�e que pr�voyante. Sa jeunesse se passa dans des ivresses toujours suivies de larmes. Elle �tait bonne et pleurait devant moi en me disant: « Embrasse-moi, console ta pauvre m�re, qui a du chagrin! » Pouvait-elle s'imaginer que j'en ignorais la cause? »

Cependant, il est un passage o� les analogies se pr�cisent et semblent devenir de formelles allusions. Carmen d'Ortosa indique ce qu'elle r�ve, ce qu'elle veut �tre, ce qu'elle sera. « Ce but normal et logique pour moi, ce n'est pas l'argent, ce n'est pas l'amour, ce n'est pas le plaisir; c'est le temple o� ces biens sont des accessoires n�cessaires, mais secondaires: c'est un �tat libre, brillant, splendide, supr�me. Cela se r�sume pour moi dans un mot qui me pla�t: l'�clat! Je veux �pouser un homme riche, beau, jeune, �perdument �pris de moi, � jamais soumis � moi, et portant avec �clat dans le monde un nom tr�s illustre. Je veux aussi qu'il ait la puissance, je veux qu'il soit roi, empereur, tout au moins h�ritier pr�somptif ou prince r�gnant. Tous mes soins s'appliqueront d�sormais � le rechercher, et, quand je l'aurai trouv�, je suis s�re de m'emparer de lui, mon �ducation est faite. »

Malgr�tout �tait publi� quelques mois ou plut�t quelques semaines avant la guerre de 1870, et certes, si George Sand avait eu d'aventure la pens�e de prendre la souveraine pour mod�le, elle e�t �t� vite d�sol�e d'avoir atteint celle qui devait tomber du tr�ne, parmi la plus lamentable des catastrophes nationales. La dynastie allait sombrer, en manquant d'entra�ner la patrie dans sa ruine. Ici, la Correspondance de George Sand nous sert de fil conducteur, pour suivre les sinuosit�s de sa pens�e. Le 14 juillet, elle est oppos�e � la guerre, o� elle ne voit « qu'une question d'amour-propre, � savoir qui aura le meilleur fusil. » C'est un jeu de princes. Elle proteste contre « cette Marseillaise autoris�e » que l'on chante sur les boulevards et qui lui para�t sacril�ge. Le 18 ao�t, elle �crit � J�r�me Napol�on, au camp de Ch�lons: « Quel que soit le sort de nos armes, et j'esp�re qu'elles triompheront, l'Empire est fini, � moins de se maintenir par la violence, s'il le peut... Sachez bien que la R�publique va rena�tre et que rien ne pourra l'emp�cher. Viable ou non, elle est dans tous les esprits, m�me quand elle devrait s'appeler d'un nom nouveau, j'ignore lequel. Moi, je voudrais qu'une fois vos devoirs de famille remplis, vous puissiez vous r�server, je ne dis pas comme pr�tendant, — vous ne le voulez pas plus que moi, vous avez la fibre r�publicaine, — mais comme citoyen v�ritable d'un �tat social qui aura besoin de lumi�re, d'�loquence, de probit�. » En m�me temps, et par une �tonnante contradiction — est-ce un regain de ses opinions de 1848? — elle d�clare � son ami Boutet: « Je suis, moi, de la sociale la plus rouge, aujourd'hui comme jadis. » À l'en croire, elle avait toujours pr�vu un d�nouement sinistre � l'ivresse aveugle de l'Empire; mais le 31 ao�t, dans une lettre � Edmond Plauchut, elle se prononce pour les moyens de l�galit� constitutionnelle: « Faire une r�volution maintenant serait coupable; elle �tait possible � la nouvelle de nos premiers revers, quand les fautes du pouvoir �taient flagrantes; � pr�sent, il cherche � les r�parer. Il faut l'aider. La France comptera avec lui apr�s. » Elle proclame que d�sorganiser et r�organiser le gouvernement en face de l'ennemi, ce serait le comble de la d�mence. Cinq jours plus tard, avec une mobilit� bien f�minine, elle salue de ses voeux enthousiastes la R�publique nouvelle. « Quelle grande chose, �crit-elle � Plauchut le 5 septembre, quelle belle journ�e au milieu de tant de d�sastres! Je n'esp�rais pas cette victoire de la libert� sans r�sistance. Voil� pourquoi je disais: « N'ensanglantons pas le sol que nous voulons d�fendre. » Mais, devant les grandes et vraies manifestations, tout s'efface. Paris s'est enfin lev� comme un seul homme! Voil� ce qu'il e�t d� faire, il y a quinze jours. Nous n'eussions pas perdu tant de braves. Mais c'est fait: vive Paris! Je t'embrasse de toute mon �me. Nous sommes un peu ivres. » Cette ivresse sera de courte dur�e. Sans doute elle charge Andr� Boutet, le 15 septembre, de porter mille francs, de son mois prochain, au gouvernement pour les bless�s ou pour la d�fense; mais les pr�occupations de famille l'assi�gent et dominent le z�le r�publicain. Une �pid�mie de petite v�role charbonneuse s�vit � Nohant et la d�termine � se retirer, avec tous les siens, dans la direction de Boussac; puis elle se rend � La Ch�tre et ne regagne son logis que vers la mi-novembre. Sur les hommes et les choses de la D�fense nationale ses premi�res impressions sont flottantes et confuses. Elle s'�vertue � justifier la sinc�rit� des contradictions o� elle se d�bat. » Ne suis-je pas, �crit-elle au prince J�r�me, r�publicaine en principe depuis que j'existe? La r�publique n'est-elle pas un id�al qu'il faut r�aliser un jour ou l'autre dans le monde entier? » Mais, si l'on analyse sa Correspondance et surtout le Journal d'un Voyageur pendant la guerre, on voit cro�tre l'aigreur des r�criminations. Le 11 octobre, quand elle apprend que deux ballons, nomm�s Armand Barb�s et George Sand, sont sortis de Paris, emportant entre autres personnes M. Gambetta, elle le d�finit « un remarquable orateur, homme d'action, de volont�, de pers�v�rance. » Trois semaines apr�s, il a « une mani�re vague et violente de dire les choses qui ne porte pas la persuasion dans les esprits �quitables. Il est verbeux et obscur, son enthousiasme a l'expression vulgaire, c'est la rengaine emphatique dans toute sa platitude. » Cette opinion s'accentue ult�rieurement et atteint une extr�me virulence de vocabulaire. « Arri�re la politique! �crit-elle le 29 janvier 1871 � M. Henry Harrisse, arri�re cet h�ro�sme f�roce du parti de Bordeaux qui veut nous r�duire au d�sespoir et qui cache son incapacit� sous un lyrisme fanatique et creux, vide d'entrailles! » Elle aspire impatiemment � la paix et maudit « une dictature d'�colier ». Sa col�re l'entra�ne jusqu'� mander au prince J�r�me: « Vous avez raison, cet homme est fou. » Elle ne retrouve le calme de sa pens�e et l'impartialit� de son jugement que lorsque la guerre �trang�re et la guerre civile ont fait place � un gouvernement r�gulier. Non qu'elle e�t beaucoup de go�t pour Thiers et qu'elle appr�ci�t judicieusement ses m�rites. Elle avait contre lui des pr�ventions, ainsi qu'il r�sulte de sa Correspondance et de conversations que relate M. Henri Amic: « La carri�re politique de cet homme, disait-elle, finit mieux qu'elle n'a commenc�. Il a toujours eu plus d'habilet� que d'honn�tet�. » De vrai, ils �taient en froid, depuis certaine sc�ne d'antichambre qui montre Thiers sous un jour plus l�ger et George Sand sous un aspect plus farouche qu'on ne serait induit � l'imaginer. C'�tait � un d�ner de c�r�monie, avant la r�volution de 1848. George Sand s'appr�tait � se retirer et avait envoy� Emmanuel Arago chercher son manteau. « J'�tais, raconte-t-elle, tranquillement dans le vestibule, lorsque survint le petit Thiers. Il se mit aussit�t � me parler avec quelque empressement, je lui r�pondis de mon mieux; mais tout d'un coup, je n'ai jamais su pourquoi, voici qu'assez brusquement la fantaisie lui vint de m'embrasser. Je refusai, bien entendu; il en fut tr�s profond�ment �tonn�, il me regardait tout �bahi, avec des yeux bien dr�les. Lorsque Emmanuel Arago revint, je me mis � rire de bon coeur. Le petit bonhomme Thiers ne riait pas, par exemple, il semblait tr�s furieux et tout d�concert�. Monsieur Thiers Don Juan, voil� comme le temps change les hommes. » Peu � peu cependant, devant l'oeuvre accomplie par celui qui devait �tre le lib�rateur du territoire, George Sand att�nue sa s�v�rit�.« M. Thiers n'est pas l'id�al, �crit-elle � Edmond Plauchut le 26 mars 1871, il ne fallait pas lui demander de l'�tre. Il fallait l'accepter comme un pont jet� entre Paris et la France, entre la R�publique et la r�action. » Et, le 6 juillet de la m�me ann�e, dans une lettre � M. Henry Harrisse: « Je crois � la sinc�rit�, � l'honneur, � la grande intelligence de M. Thiers et du noyau mod�r� qui joint ses efforts aux siens. »

La politique, au demeurant, la laisse assez indiff�rente. Elle vit de plus en plus retir�e � Nohant, en famille, avec d'intimes amis, recevant les visites espac�es de quelques grands hommes de lettres. Voici comment Th�ophile Gautier racontait la sienne, si nous en croyons le Journal des Goncourt: « À propos, lui demandait-on au d�ner Magny, vous revenez de Nohant, est-ce amusant? — Comme un Couvent des fr�res moraves... Il y avait Marchal le peintre, Alexandre Dumas fils... On d�jeune � dix heures... Madame Sand arrive avec un air de somnambule et reste endormie tout le d�jeuner... Apr�s le d�jeuner, on va dans le jardin. On joue au cochonnet; �a la ranime... À trois heures, madame Sand remonte faire de la copie jusqu'� six heures... Apr�s d�ner, elle fait des patiences sans dire un mot, jusqu'� minuit... Par exemple, le second jour, j'ai commenc� � dire que si on ne parlait pas litt�rature je m'en allais... Ah! litt�rature, ils semblaient revenir tous de l'autre monde... Il faut vous dire que pour le moment il n'y a qu'une chose dont on s'occupe l�-bas: la min�ralogie. Chacun a son marteau, on ne sort pas sans... Tout de m�me Manceau lui avait joliment machin� ce Nohant pour la copie. Elle ne peut s'asseoir dans une pi�ce sans qu'il surgisse des plumes, de l'encre bleue, du papier � cigarettes, du tabac turc et du papier � lettre ray�. Et elle en use... La copie est une fonction chez madame Sand. Au reste, on est tr�s bien chez elle. Par exemple, c'est un service silencieux. Il y a dans le corridor une bo�te qui a deux compartiments: l'un est destin� aux lettres pour la poste, l'autre aux lettres pour la maison. J'ai eu besoin d'un peigne, j'ai �crit: « M. Gautier telle chambre, » et ma demande. Le lendemain, � six heures, j'avais trente peignes � choisir. » Si l'abondante chevelure de Th�ophile Gautier r�clamait un d�m�loir, Charles Edmond avait d'autres exigences. George Sand l'avertit, le 20 d�cembre 1873, qu'� son prochain voyage il recevra satisfaction: « On a achet� pour vous une �norme cuvette, Solange nous ayant dit que vous trouviez la v�tre trop petite. Alors, Lina s'est �mue, et elle a fait venir de tous les environs une quantit� de cuvettes. Les Berrichons, qui s'en servent fort peu, ouvraient la bouche de surprise, et demandaient si c'�tait pour couler la lessive. » George Sand relate tous ces menus d�tails avec sa placidit� coutumi�re, et, quand Th�ophile Gautier toujours effervescent s'�tonne et s'impatiente d'un mutisme opini�tre, elle r�pond � Alexandre Dumas fils qui s'�tait fait l'�cho des dol�ances du po�te: « Vous ne lui avez donc pas dit que j'�tais b�te? »

Nohant est une usine ou plut�t un comptoir, o� l'on d�bite de la copie. Il faut suivre cette production ininterrompue. — En 1870, c'est C�sarine Dietrich, analyse d'un caract�re de jeune fille tr�s riche, tr�s belle et tr�s fantasque, qui ne r�ussit pas � se faire aimer du seul homme qui lui plaise, Paul Gilbert. Il pr�f�re �pouser sa ma�tresse, une fille du peuple qu'il rel�ve et qu'il instruit. C�sarine, par d�pit de s'�tre offerte et d'avoir �t� repouss�e, devient marquise de Rivonni�re et courra les aventures. — Francia, qui date de 1871, est un �pisode de l'entr�e des Cosaques � Paris. Le prince Mourzakine retrouve cette petite Francia qu'il a sauv�e durant la retraite de Russie. Grisette sensible, elle l'aime. Fran�aise, elle en rougit et le tue, dans un acc�s d'exaltation chauvine. — Nanon (1871) nous reporte aux �v�nements de la R�volution que George Sand envisage, non plus avec l'ardeur de 1848, mais avec une mod�ration s�nile. La jacobine est pass�e au parti de la Gironde. « Couthon et Saint-Just, �crit-elle, r�vent-ils encore la paix fraternelle apr�s ces sacrifices humains? En cela, ils se trompent; on ne purifie pas l'autel avec des mains souill�es, et leur �cole sera maudite, car ceux qui les auront admir�s sans r�serve garderont leur f�rocit� sans comprendre leur patriotisme. » — Dans Ma soeur Jeanne, Laurent Bielsa, fils d'un contrebandier, a termin� ses �tudes de m�decine et sent grandir en lui une tendresse inqui�tante pour Jeanne. Par bonheur Jeanne n'est pas sa soeur. Il pourra la ch�rir sans trouble et l'�pouser. — Flamarande et les Deux Fr�res, qui lui font suite, sont les m�moires d'un valet de chambre qui retrace les infortunes de la famille de Flamarande. Il y a l� une �tude assez tenace de la jalousie et des pers�cutions dirig�es par un mari contre sa femme qu'il croit adult�re. Elle passe vingt ans � g�mir et � r�clamer l'enfant qui lui a �t� ravi. — Marianne est un retour vers les moeurs simples de la campagne, avec une nuance d'idylle, et la Tour de Percemont met en sc�ne une belle-m�re qui tyrannise une jeune fille pour lui extorquer son h�ritage. — Reste un roman, Albine, qui demeura interrompu, et dont les premiers chapitres furent publi�s par la Nouvelle Revue.

Les autres volumes de George Sand sont ou des contes pour les enfants, comme le Ch�ne parlant, le Ch�teau de Pictordu, la Coupe, les L�gendes rustiques, recueils de glanures, ou des ouvrages de critique g�n�ralement indulgente et consacr�e � louanger des amis, sous les rubriques diverses de Questions d'art et de litt�rature, Autour de la Table, Impressions et Souvenirs, Derni�res Pages. Il y a plus d'agr�ment dans les Promenades autour d'un village, o� elle a rassembl� des paysages du bas Berry, d'aimables descriptions des rives de la Creuse et des sous-bois de la Vall�e Noire, ou dans les Nouvelles Lettres d'un Voyageur, qui nous conduisent � Marseille, en Italie, et sur les vagues confins d'une botanique impr�gn�e de mysticisme, « au pays des an�mones. » La visite des Catacombes romaines a sugg�r� � George Sand d'admirables pages, d'une �loquence path�tique, sur la mort: « Homme d'un jour, s'�crie-t-elle, pourquoi tant d'effroi � l'approche du soir? Si tu n'es que poussi�re, vois comme la poussi�re est paisible, vois comme la cendre humaine aspire � se m�ler � la cendre r�g�n�ratrice du monde! Pleures-tu sur le vieux ch�ne abattu dans l'orage, sur le feuillage dess�ch� du jeune palmier que le vent embras� du sud a touch� de son aile? Non, car tu vois la souche antique reverdir au premier souffle du printemps et le pollen du jeune palmier, port� par le m�me vent de mort qui frappa la tige, donner la semence de vie au calice de l'arbre voisin! »

Voici l'oeuvre de George Sand qui touche � son terme, toujours avec la m�me ferveur de spiritualisme, la m�me continuit� de labeur, la m�me amplitude d'horizons! À soixante-sept ans, en juillet 1871, au cours d'une brouille provoqu�e par le refus de Buloz d'ins�rer la tr�s belle Lettre de Junius d'Alexandre Dumas fils, elle projette de cr�er une concurrence � la Revue des Deux Mondes. « Dites-moi donc, �crit-elle � l'auteur de la Dame aux Cam�lias, pourquoi nous ne ferions pas une Revue, vous, moi, About, Cherbuliez et nombre d'autres �galement m�contents du droit que s'arroge la Revue, de refuser, de changer, de couper ceci et cela, de faire passer tous les esprits sous le m�me gaufrier? » Ce vague dessein n'eut pas de suite. La curiosit� de George Sand �tait surtout port�e vers le th��tre. Elle ne venait gu�re � Paris que pour s'aboucher avec les directeurs, n�gocier la reprise de ses pi�ces, apporter quelque manuscrit. À la fin de 1872, elle voulut faire jouer un drame tir� de Mademoiselle La Quintinie. L'ouvrage fut m�me mis en r�p�tition � l'Od�on; mais l'�tat de si�ge opposa son veto. Le 29 novembre 1872, George Sand �crit � Gustave Flaubert: « Les censeurs ont d�clar� que c'�tait un chef-d'oeuvre de la plus haute et de la plus saine moralit�, mais qu'ils ne pouvaient pas prendre sur eux d'en autoriser la repr�sentation. Il faut que cela aille plus haut, c'est-�-dire au ministre qui renverra au g�n�ral Ladmirault; c'est � mourir de rire. » Et � Charles Edmond elle ajoute: « Ne laissez pas La Quintinie tomber dans la main des g�n�raux! » Parmi les th��tres, l'Od�on est sa maison de pr�dilection. Elle y est ador�e des artistes, des ouvreuses. Pour tous et toutes elle a un mot gracieux et familier. Une restriction vient cependant sous sa plume. « Sarah, dit-elle, n'est gu�re consolante, � moins qu'elle n'ait beaucoup chang�. C'est une excellente fille, mais qui ne travaille pas et ne songe qu'� s'amuser; quand elle joue son r�le, elle l'improvise; �a fait son effet, mais ce n'est pas toujours juste. » En revanche, George Sand �prouve une tendresse et une estime profondes pour mademoiselle Baretta, qui allait �migrer de l'Od�on � la Com�die-Fran�aise et jouer avec un tact si exquis le Mariage de Victorine. Cette reprise eut lieu la premi�re semaine de mars 1876, sans que l'auteur p�t y assister. Elle �tait retenue � Nohant par le m�diocre �tat de sa sant�, mais elle gardait cette humeur sereine qui s'�panouit surtout dans les lettres � Flaubert. » Faut pas �tre malade, lui �crivait-elle, faut pas �tre grognon, mon vieux troubadour. Il faut tousser, moucher, gu�rir, dire que la France est folle, l'humanit� b�te, et que nous sommes des animaux mal finis; il faut s'aimer quand m�me, soi, son esp�ce, ses amis surtout. J'ai des heures bien tristes. Je regarde mes fleurs, ces deux petites qui sourient toujours, leur m�re charmante et mon sage piocheur de fils que la fin du monde trouverait chassant, cataloguant, faisant chaque jour sa t�che, et gai quand m�me comme Polichinelle aux heures rares o� il se repose. Il me disait ce matin: « Dis � Flaubert de venir, je me mettrai en r�cr�ation tout de suite, je lui jouerai les marionnettes, je le forcerai � rire. » Et, dans une autre lettre au m�me Flaubert, George Sand finit par cette formule de salutation: « J'embrasse les deux gros diamants qui t'ornent la trompette. » Elle le bl�mait un peu d'�tre inapais� et inquiet, impatient de perfection et d'immortalit�. « Je n'ai pas mont� aussi haut que toi, dit-elle, dans mon ambition. Tu veux �crire pour les temps. Moi, je crois que dans cinquante ans je serai parfaitement oubli�e et peut-�tre m�connue. C'est la loi des choses qui ne sont pas de premier ordre, et je ne me suis jamais crue de premier ordre. Mon id�e a �t� plut�t d'agir sur mes contemporains, ne f�t-ce que sur quelques-uns, et de leur faire partager mon id�al de douceur et de po�sie. » Elle se tient tr�s consciencieusement au courant du mouvement litt�raire. Le mois qui pr�c�de sa mort, elle lit des volumes de Renan, d'Alphonse Daudet; elle projette d'�crire un feuilleton sur les romans de M. Émile Zola, et il e�t �t� fort digne d'int�r�t d'avoir le jugement de cette id�aliste imp�nitente sur le propagateur du naturalisme. En voici l'esquisse dans une lettre � Flaubert, du 25 mars 1876: « La chose dont je ne me d�dirai pas, tout en faisant la critique philosophique du proc�d�, c'est que Rougon est un livre de grande valeur, un livre fort, comme tu dis, et digne d'�tre plac� au premier rang. »

Le 28 mai 1876, George Sand adressa au docteur Henri Favre, � Paris, la derni�re lettre qu'on ait recueillie. Elle lui promettait de suivre toutes ses prescriptions, et ajoutait: « L'�tat g�n�ral n'est pas d�t�rior�, et, malgr� l'�ge (soixante et douze ans bient�t), je ne sens pas les atteintes de la s�nilit�. Les jambes sont bonnes, la vue est meilleure qu'elle n'a �t� depuis vingt ans, le sommeil est calme, les mains sont aussi s�res et aussi adroites que dans la jeunesse... Mais, une partie des fonctions de la vie �tant presque absolument supprim�es, je me demande o� je vais, et s'il ne faut pas m'attendre � un d�part subit, un de ces matins. » Deux jours plus tard, George Sand s'alitait pour ne plus se relever. Elle souffrait, depuis plusieurs ann�es, d'une maladie chronique de l'intestin, dont l'�volution avait �t� lente. Son temp�rament robuste lui permit de r�sister longtemps. À soixante-huit ans, elle se plongeait tous les jours dans l'Indre, sous sa cascade glac�e. Elle avait d'ailleurs des moments de cruelle douleur, des crampes d'estomac « � en devenir bleue » qui l'obligeaient � s'�tendre sur son lit, � interrompre tout travail, toute lecture. Mais, �crivait-elle � Flaubert au sortir d'une de ces crises, le 25 mars 1876, je pense toujours � ce que me disait mon vieux cur� quand il avait la goutte: Ça passera ou je passerai. Et l�-dessus il riait, content de son mot. » En huit jours, du 30 mai au 8 juin, la paralysie de l'intestin accomplit son oeuvre, en d�pit ou � la suite d'une op�ration faite par le docteur P�an. George Sand mourut, entour�e de tous les siens. Elle eut les fun�railles qui convenaient � sa gloire et � sa simplicit�, le concours de l'�lite intellectuelle, Alexandre Dumas fils, Ernest Renan, Gustave Flaubert, Paul Meurice, le prince Napol�on, et l'affluence de tous les villages environnants. Victor Hugo envoya par le t�l�graphe un supr�me adieu qui d�butait ainsi: « Je pleure une morte et je salue une immortelle », et qui se terminait par cette affirmation spiritualiste: « Est-ce que nous l'avons perdue? Non. Ces hautes figures disparaissent, mais ne s'�vanouissent pas. Loin de l�, on pourrait presque dire qu'elles se r�alisent. En devenant invisibles sous une forme, elles deviennent visibles sous l'autre, transfiguration sublime! » Alexandre Dumas fils, tout en larmes, n'eut pas la force de prononcer le discours qu'il avait compos� durant la nuit. Devant cette tombe, les lettres fran�aises �taient en deuil: un g�nie lumineux venait de nous �tre ravi. Mais surtout les paysans sanglotaient: ils avaient perdu leur bienfaitrice, leur amie, la bonne dame de Nohant. Cet hommage des humbles, plus encore que les louanges officielles, honorait la m�moire et pouvait toucher l'�me tendre, sentimentale et fraternelle de George Sand.

F I N