Attal, le vide en costume
Gabriel Attal n’est plus qu’un député parmi tant d’autres, un strapontin à l’Assemblée après les feux de la rampe. Pourtant, son nom résonne encore, porté par une machine médiatique qui excelle à sculpter des mirages. Il est l’incarnation parfaite de ce que le système moderne sait faire de mieux – ou de pire : polir une image jusqu’à l’éblouissement, la gonfler de superlatifs, la marteler jusqu’à ce qu’elle s’impose comme une évidence. Attal n’est pas un homme politique au sens où on pourrait l’espérer ; il est une création, un produit lisse et stylisé, un hologramme de modernité plaqué sur une société qui a troqué les faits pour des reflets.
Ce qui fascine et glace à la fois, c’est la ténacité de cette illusion. Il ne dirige plus rien, ne décide plus de rien, et néanmoins, les échos de sa gloire passée persistent, comme si son simple passage au sommet justifiait encore les louanges. Jeune, brillant, compétent, visionnaire : les qualificatifs pleuvent toujours, même quand on peine à citer un acte marquant de son bref règne à Matignon. Sa gestion de la crise éducative ? Une série d’annonces bien ficelées – comme cette interdiction des portables au collège, si médiatisée, mais si peu évaluée dans ses effets. Son discours sur la laïcité ? Des mots ciselés, un ton ferme, mais derrière, des mesures floues, diluées dans l’inaction. On ne parle pas de son bilan ; on parle de son aura. Et cette aura, c’est une perception, pas une réalité – une perception fabriquée, orientée, répétée jusqu’à l’ancrage.
Car l’esprit humain est fragile : donnez-lui une première version bien emballée, et elle devient sa boussole, même bancale. On vous a vendu Attal comme le surdoué de la politique, l’enfant prodige qui réinvente la France ? Vous y croirez, même quand les résultats tardent à suivre. Et si l’on doute – car oui, parfois, une lueur de scepticisme perce –, le rouleau compresseur médiatique est là pour rappeler la fable : il est l’avenir, point final. Cette faiblesse, les stratèges et les plateaux télé l’exploitent sans vergogne. Ils ne cherchent pas à informer ; ils cherchent à programmer. À domestiquer.
Attal n’est qu’un pion dans cette mécanique, soyons justes. Peut-être même croit-il en son propre rôle, pris dans l’engrenage d’une gloire qu’il n’a pas entièrement voulue. Mais il reste l’archétype de ces figures lissées à la perfection, propulsées sous les néons parce qu’elles ne bousculent rien – surtout pas le système technocratique qui les a vomies. Des héros préfabriqués, des barils de lessive avec un sourire en prime. Les médias, filtre impitoyable, sanctifient ceux qui passent le test de l’écran : ceux qui savent parler sans heurter, briller sans brûler. « Vu à la télé » demeure, pour trop d’électeurs, le sésame suprême. On a vu Attal partout – porte-parole mordant, ministre applaudi, Premier ministre éclair – mais que reste-t-il vraiment, sinon l’écho d’une mise en scène ?
Rien n’est innocent devant une caméra. Chaque plan, chaque mot est une brique dans un édifice plus vaste : celui d’une politique qui ne débat plus, qui ne confronte plus, mais qui impose. On ne vous demande pas de réfléchir à Attal, ni de fouiller ses discours ou ses silences – comme ce rétropédalage discret sur la réforme des retraites, qu’il a défendue puis esquivée. On vous demande de l’avaler tel quel, de croire que sa jeunesse est une vision, que son éloquence est une preuve. C’est une victoire éclatante du vide sur le réel, une arme de contrôle déguisée en effet de style. Pendant qu’on vous hypnotise avec son costume impeccable, on vous détourne de l’essentiel : où est le fond ? Où est la substance ?
Et après ? Peut-être qu’on n’échappe pas à ce cirque. Sûrement que le système a déjà gagné, avec ses idoles creuses et ses électeurs dociles. Mais il reste une brèche, une chance infime : voir clair. Douter. Démonter les images qu’on vous sert, pixel par pixel. Attal n’est pas le problème ; il est le symptôme. Le vrai défi, c’est de refuser la programmation, de reprendre les rênes de sa propre tête. Pas pour renverser le monde – trop tard, peut-être – mais pour ne pas le laisser nous avaler tout entiers.