Présidents en crise, monarques en rêve : la légitimité en question
En 2024, la France est secouée par une crise politique sans précédent : les élections législatives, marquées par l’absence de majorité absolue, révèlent une nation fracturée. Les présidents, élus au suffrage universel, peinent à incarner l’unité, tandis qu’une nostalgie marginale pour la monarchie refait surface. Et si la réponse à cette crise de légitimité se trouvait dans un symbole du passé ? Cet article explore si les monarques pourraient offrir une alternative, tout en confrontant ce modèle aux exigences d’une société moderne attachée à la République.
La crise de 2024 : un Parlement sans majorité
Les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 ont exposé les divisions françaises. Au premier tour, le Rassemblement National (RN) a obtenu 33,21 % des voix, suivi du Nouveau Front Populaire (NFP) avec 28,14 %, et de l’alliance Ensemble d’Emmanuel Macron avec 21,28 %. Avec une participation de 66,71 %, la plus élevée depuis 1997, les Français ont exprimé un engagement fort, mais aussi un rejet du statu quo. Au second tour, le NFP a remporté 182 sièges, Ensemble 168, et le RN 143, selon Le Monde. Aucun bloc n’a atteint la majorité absolue (289 sièges), plongeant la France dans une instabilité politique.
La dissolution de l’Assemblée par Macron, après la victoire du RN aux européennes (31,4 %), visait à clarifier le paysage politique. Mais elle a amplifié les fractures. Le gouvernement minoritaire de Michel Barnier, formé en septembre 2024, a été renversé par une motion de censure en décembre. François Bayrou, nommé Premier ministre, peine à stabiliser un Parlement fragmenté, alimentant les spéculations sur de nouvelles élections d’ici juillet 2025. Cette crise révèle une défiance croissante envers la légitimité des élus.
Réactions et tensions politiques
Les leaders politiques incarnent ces divisions. Marine Le Pen (RN) a qualifié les résultats de « base pour la victoire de demain », affirmant que « notre victoire n’est que reportée ». Jean-Luc Mélenchon (NFP) a revendiqué le droit de gouverner, pressant Macron de nommer un Premier ministre issu de son alliance. Macron, dénonçant le programme « ruineux » du NFP, a opté pour une approche prudente, exacerbant les tensions. Ces déclarations soulignent l’incapacité des responsables politiques à fédérer, fragilisant davantage la légitimité présidentielle.
La légitimité des présidents : un idéal sous pression
Depuis 1962, le suffrage universel direct confère aux présidents une légitimité populaire, pilier de la Ve République. Pourtant, cette autorité vacille. Les législatives de 2024, sans majorité, reflètent une fragmentation : aucun bloc ne parvient à unifier. L’abstention, frôlant 40 % (France24), traduit un désintérêt profond. La personnalisation de la politique aggrave la crise : l’hypothèse d’un Cyril Hanouna candidat illustre une dérive où la notoriété prime sur la compétence, un phénomène observé avec Volodymyr Zelensky en Ukraine.
La défiance envers les institutions s’intensifie : en 2023, seuls 30 % des Français faisaient confiance au Parlement (Ipsos). La « monarchie présidentielle », critiquée par Mélenchon pour ses pouvoirs quasi royaux (France24), renforce le sentiment d’une élite déconnectée. Le style « jupitérien » de Macron, combiné à des décisions controversées comme la dissolution, alimente cette perception.
La légitimité des monarques : un symbole d’unité
À l’inverse, les monarques tirent leur légitimité de la tradition et de l’histoire, sans passer par les urnes. En France, la monarchie, abolie en 1789, reste dans l’imaginaire, souvent caricaturée comme l’opulence de Louis XVI. Pourtant, les monarchies constitutionnelles modernes, comme au Royaume-Uni ou en Espagne, sont symboliques et démocratiques. Un sondage Ifop de 2016 révèle que 17 % des Français, principalement à droite, soutiennent un retour monarchique. Cette nostalgie reflète un désir de stabilité face aux divisions.
En Espagne, Felipe VI a joué un rôle clé lors de la crise catalane de 2017, appelant à l’unité dans un discours historique. Au Royaume-Uni, Elizabeth II a incarné une continuité apaisante après le Brexit, notamment lors des tensions autour de l’accord de sortie en 2019. En France, des mouvements monarchistes – légitimistes, orléanistes, bonapartistes – cultivent cette idée, comme lors de l’incident de 2021 où un homme a crié un slogan royaliste en giflant Macron. L’intérêt pour les monarchies étrangères, avec 7 millions de téléspectateurs pour les funérailles d’Elizabeth II en 2022, montre une fascination persistante.
Il est crucial de distinguer les monarchies symboliques, comme au Royaume-Uni, des monarchies exécutives, comme en Arabie saoudite. Les premières, limitées à un rôle cérémoniel, soutiennent la démocratie sans détenir de pouvoir. La nostalgie française vise ce modèle, non un retour à l’absolutisme.
Une perspective économique : monarchies vs républiques
Des recherches suggèrent que les monarchies constitutionnelles favorisent la stabilité économique. Mauro Guillén, de la Wharton School, montre qu’elles protègent mieux les droits de propriété, stimulant la prospérité. Sur 43 monarchies étudiées, 23 figurent parmi les 50 pays les plus riches, grâce à une vision à long terme. Cependant, la France, avec son PIB parmi les plus élevés et des institutions démocratiques solides, rivalise avec des monarchies comme la Suède ou le Danemark. La capacité de renouveler les dirigeants reste un atout républicain.
Les limites des monarchies : tradition contre modernité
Malgré leurs atouts, les monarchies heurtent les valeurs modernes. Leur système héréditaire, comme la fortune royale britannique estimée à plusieurs milliards, creuse les inégalités. En France, la Révolution de 1789 a rejeté la monarchie comme oppressive, un rejet profondément ancré. Cette caricature de la monarchie, associée à Versailles, occulte la réalité des modèles contemporains. Le coût des monarchies, comme en Belgique (42 millions d’euros par an, Le Soir), serait mal perçu dans un pays attaché à l’égalité. En Thaïlande, les lois sur la lèse-majesté restreignent la liberté, rappelant les risques d’un pouvoir non élu.
Une légitimité pour un monde en mutation
La crise de 2024 expose les failles de la légitimité démocratique. Les présidents, bien qu’élus, peinent à fédérer une France polarisée. Les monarques, symboles de stabilité, séduisent une minorité, mais leur modèle héréditaire contredit l’égalité. La République, malgré ses imperfections, reste un pilier inamovible. Pourtant, elle doit se réformer. Renforcer le Parlement pour mieux refléter la diversité politique, promouvoir des figures culturelles unificatrices, ou rééquilibrer les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif sont des pistes urgentes. La France doit inventer une légitimité nouvelle, capable de conjuguer la responsabilité démocratique avec une unité symbolique, sans céder à la tentation d’un passé révolu.
Comme le souligne Yascha Mounk : « Dans une démocratie en crise, le peuple cherche des symboles qui unissent autant que des leaders qui gouvernent. »
Laisser un commentaire